Séance du 16 juin 1998







M. le président. Par amendement n° 319, Mme Cerisier-ben Guiga et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 69, un article additionnel ainsi rédigé :
« A. - I. - Les allocations servies par le fonds d'aide sociale du ministère des affaires étrangères sont indexées sur l'évolution des prix dans chaque pays concerné.
« II. - Il est créé une allocation d'insertion locale qui est versée mensuellement aux personnes en situation d'extrême difficulté durable. L'allocation d'insertion locale se substitue à l'allocation à durée déterminée.
« III. - Un décret en Conseil d'Etat précisera les conditions d'application des I et II ci-dessus.
« B. - Les pertes de recettes entraînées par l'application des dispositions du paragraphe A ci-dessus sont compensées à due concurrence par l'augmentation des droits sur les tabacs prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Le fonds d'aide sociale du ministère des affaires étrangères - 90,7 millions de francs en 1998 - est très insuffisant pour apporter un secours aux Français de l'étranger en situation de détresse.
L'indexation sur l'évolution des prix dans chaque pays permettrait un réajustement de cette aide par rapport au coût de la vie.
Par ailleurs, l'allocation actuellement versée est à « durée déterminée », c'est-à-dire qu'en l'absence de crédits suffisants le ministère des affaires étrangères en interdit la reconduction, même si la situation de l'allocataire ne s'est pas améliorée.
Si cette allocation était conçue comme le substitut du RMI pour les Français résidant à l'étranger, elle serait versée en fonction de la situation réelle du bénéficiaire et serait modifiée selon l'évolution de celle-ci au lieu d'être arrêtée arbitrairement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. A entendre Mme Derycke, il s'agirait de verser aux Français résidant à l'étranger un substitut du RMI lorsqu'ils sont en situation d'extrême difficulté durable.
J'ai déjà eu l'occasion d'expliquer combien nous étions attachés à ce qu'il soit tenu compte de la situation difficile que traversent certains Français de l'étranger à leur retour en France. De même, nous souhaitions que soit respecté le principe de l'accès de tous aux droits de tous, sans stigmatiser telle ou telle catégorie de Français selon sa résidence géographique.
Cela étant, l'amendement soulève quelques problèmes d'ordre pratique : si la solidarité nationale, en l'espèce le budget de l'Etat, assure un RMI à nos ressortissants à l'étranger, il ne serait pas totalement illogique que ces ressortissants contribuent à cette solidarité nationale pour participer fiscalement au financement de cette nouvelle dotation, même si, par ailleurs, ils sont imposés dans le pays où ils résident et où ils travaillent. Cela peut poser des problèmes techniques du point de vue des conventions fiscales.
Mais admettons que l'on fasse abstraction de ce point, car la solidarité nationale est une. Il faut se demander si, dans certains pays, ces ressortissants étrangers n'ont pas droit à une aide sociale de la part du pays d'accueil, tout comme les étrangers résidant sur notre territoire ont droit, au-delà d'un certain délai, au RMI s'ils sont en situation régulière. Tous les pays n'ont pas une protection sociale développée. Cependant, si la France institue le RMI à l'étranger, ces pays, justement, ne vont-ils pas demander que les Français réclament d'abord à la France ce qui serait dû, pour n'intervenir qu'à titre subsidiaire ? Cela pourrait s'avérer fort coûteux, car le dispositif jouerait en Europe aussi bien que dans des pays plus défavorisés.
Enfin, dernière interrogation, que doit-on faire pour les bi-nationaux qui résident à l'étranger ? Ils auraient automatiquement droit, pour une durée illimitée, à l'allocation d'insertion locale, alors que leur souhait n'est pas de s'établir en France. Du point de vue de la bi-nationalité, les effets pervers sont considérables.
Aussi la commission a-t-elle décidée de s'en remettre à l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Pour toutes les raisons que M. le rapporteur a indiquées, il nous paraît difficile, aujourd'hui, d'attribuer l'équivalent du RMI aux Français de l'étranger.
L'attribution du RMI est en effet actuellement soumise à une condition première, la résidence en France, parce qu'elle suppose une connaissance réelle de la situation du demandeur mais aussi parce qu'elle est assortie de la mise en place d'un contrat d'insertion, ce qui n'aurait pas véritablement de sens pour un Français résidant à l'étranger.
Par ailleurs, ainsi que M. le rapporteur l'a souligné, les Français de l'étranger n'étant pas soumis à la fiscalité française, il paraît difficile de prendre en compte une telle proposition.
En revanche, le Gouvernement émettra un avis favorable sur l'amendement n° 323, tendant à insérer un article additionnel avant l'article 82, qui permet de dresser un bilan de la situation générale des Français à l'étranger.
Nous devrons notamment étudier la question du fonds social du ministère des affaires étrangères, qui peut être mobilisé pour venir en aide à des Français de l'étranger connaissant des difficultés particulièrement graves.
En outre, l'attribution du RMI à des Français résidant à l'étranger poserait d'énormes problèmes en cas de double nationalité.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à l'amendement n° 319.
M. le président. Monsieur le rapporteur, puis-je en conclure que la commission émet également un avis défavorable ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. Oui, monsieur leprésident.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 319, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 377, Mme Borvo, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 69, un article additionnel ainsi rédigé :
« Lorsque les conditions d'ouverture des droits sont réunies, les minima sociaux sont attribués aux bénéficiaires au premier jour du mois de la demande. »
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Cet amendement vise à supprimer les conséquences pénalisantes de l'écart qui existe entre la date de la demande et la date de versement des minima sociaux, étant donné que ceux-ci constituent souvent les seules ressources de la famille.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. Cet amendement est bien compréhensible, mais il est sans doute un peu général dans sa rédaction.
Il existe huit sortes de minima sociaux ; il faudrait donc examiner les règles qui s'appliquent à chacun d'eux pour savoir s'il n'existe pas parfois des solutions avantageuses.
Par exemple, pour le RMI, il existe un système d'acomptes et d'avance qui permet de répondre aux problèmes urgents. La question n'est en effet pas tant de verser une mensualité que de verser le minimum social dans un délai rapide.
Il serait souhaitable d'examiner la situation de chaque minimum social avant de s'engager sur cet amendement, dont l'intention est tout à fait louable. Cela étant, la commission souhaiterait, avant de donner son avis définitif, recueillir l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Il existe effectivement une distinction selon les minima sociaux ; mais, aujourd'hui, la situation est, dans la réalité, plus favorable que celle qui résulterait de l'amendement proposé.
En effet, pour le revenu minimum d'insertion comme pour l'allocation de parent isolé, c'est d'ores et déjà la date de la demande qui est prise en compte ; en revanche, en ce qui concerne l'allocation d'insertion ou l'allocation de solidarité spécifique, c'est la date à laquelle le droit a été ouvert, que la demande ait ou non été déposée. Par conséquent, on anticipe parfois le versement. Ainsi, une personne qui ne fait sa demande d'allocation spécifique de solidarité que quinze jours après avoir cessé de percevoir ses indemnités de chômage, bénéficiera de l'ASS à compter non pas de la date de sa demande mais de son arrivée en fin de droits.
La réalité aujourd'hui est donc soit conforme à vos souhaits soit plus favorable. Par conséquent, je vous demande de bien vouloir retirer l'amendement, tout en en comprenant l'esprit.
M. le président. Madame Borvo, l'amendement est-il maintenu ?
Mme Nicole Borvo. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 377 est retiré.
Par amendement n° 378, Mme Borvo, M. Fischer et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 69, un article additionnel ainsi rédigé :
« Au plus tard dans le délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement, après concertation des partenaires sociaux, présentera au Parlement un projet de réforme de l'ensemble des minima sociaux en lien avec la réforme nécessaire du régime de l'assurance chômage dont l'objectif sera notamment de s'assurer qu'aucune personne ne bénéficiera de ressources inférieures au seuil de pauvreté. »
La parole et à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Cet amendement a pour objet de demander au Gouvernement de présenter au Parlement, après concertation des partenaires sociaux, un projet de réforme de l'ensemble des minima sociaux en liaison avec la réforme nécessaire du régime de l'assurance chômage, dont le but sera, notamment, de s'assurer qu'aucune personne ne bénéficiera de ressources inférieures au seuil de pauvreté. Il s'inscrit dans une volonté de prévoir une étape nouvelle de justice sociale et de progrès dans l'action de la gauche.
Au début du mouvement des chômeurs, vous vous étiez engagée, madame la ministre, à remettre à plat l'ensemble du système d'indemnisation du chômage.
Par ailleurs, Mme Join-Lambert a fait un certain nombre de constats à ce sujet dans son rapport et proposé de nombreuses pistes intéressantes.
Depuis 1984, le chômage est, en quelque sorte, scindé en deux parties. L'assurance chômage reste officiellement à la charge des entreprises, mais le chômage de longue durée est, lui, renvoyé à la responsabilité de l'Etat par le biais de l'ASS et, de plus en plus, du RMI.
N'est-ce pas là une certaine perversion du système ?
Il est significatif que l'instauration de l'allocation unique dégressive se soit traduite par un bond en avant du nombre de bénéficiaires du RMI. Ainsi, on le constate, ce qui a massivement diminué, c'est non pas le chômage, mais le nombre de chômeurs indemnisés.
Cet état de fait ne peut, à notre avis, durer indéfiniment, et c'est pourquoi je vous propose d'adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Seillier, rapporteur. La commisison ne verrait aucune objection à ce qu'un rapport sur les minima sociaux soit établi pour favoriser une certaine harmonisation et une meilleure cohérence des dispositifs. Sur ce point, elle s'en remettrait donc à la sagesse du Sénat.
Cela étant, demander au Gouvernement de déposer un projet de réforme législative constitue une injonction, et la commission ne peut donc pas suivre les auteurs de l'amendement sur ce point.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Pour répondre à ce souci de réforme et de meilleure cohérence dans les minima sociaux, le Gouvernement a d'ores et déjà annoncé un certain nombre de mesures.
Mme Join-Lambert a effectivement bien montré qu'il existait, outre des distorsions entre les minima sociaux, des incohérences et parfois même de véritables trous dans les dispositifs, ce qui pose problème pour les allocataires.
Nous avons donc entamé ce travail de mise en cohérence, qui, d'ailleurs, doit se faire de pair avec celui que nous avons entrepris concernant l'indemnisation du chômage. C'est pourquoi j'ai écrit à la présidente de l'UNEDIC pour lui demander de bien vouloir travailler avec nous, car, ces dix dernières années, les conditions d'entrée dans le dispositif d'indemnisation du chômage ont été extrêmement restreintes, et nombre de personnes ont basculé dans les minima sociaux alors qu'elles auraient eu droit, auparavant, à des indemnités de chômage.
Il nous faut donc considérer les problèmes dans leur ensemble.
Il n'est pas normal que des jeunes parfois au terme de plusieurs contrats à durée déterminée ne puissent avoir droit à l'indemnisation du chômage et se retrouvent effectivement sans ressources. Nous devons donc revoir la cohérence entre ces différents minima sociaux.
Le Gouvernement a déjà pris un certain nombre de décisions. Il s'agit du rattrapage de l'ASS, pour un milliard de francs cette année, à comparer aux pertes de pouvoir d'achat des années passées, ainsi que de l'assurance donnée par le Gouvernement d'indexer sur les prix l'ASS et l'allocation d'insertion, ce qui n'était pas encore le cas, contrairement à ce qui se passe pour les autres minima sociaux.
Par ailleurs, si l'article 82 du projet de loi prévoit un bilan, je pense qu'avant même ce bilan nous aurons pris un certain nombre de décisions sur les minima sociaux à partir des travaux qui sont conduits dans la ligne du rapport de Mme Join-Lambert.
Je vous demande donc, là encore, d'accepter de retirer cet amendement.
M. le président. Madame Borvo, l'amendement n° 378 est-il maintenu ?
Mme Nicole Borvo. Madame la ministre, je retire l'amendement, mais j'attends du Gouvernement qu'il donne effectivement suite à notre demande.
M. le président. L'amendement n° 378 est retiré.

Article 69