Séance du 18 juin 1998







M. le président. Par amendement n° 21, M. Fauchon, au nom de la commission, propose d'insérer, avant l'article 19, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le troisième alinéa de l'article 626 du code de procédure pénale est complété par la phrase suivante :
« Si la personne en fait la demande, l'indemnisation peut également être allouée par la décision d'où résulte son innocence. Devant la cour d'assises, l'indemnisation est allouée par la cour statuant, comme en matière civile, sans l'assistance des jurés. »
« II. - Au début du dernier alinéa du même article, les mots : "Elle est à la charge" sont remplacés par les mots : "Cette indemnité est à la charge". »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il s'agit ici d'un cas d'une tout autre gravité, celui, toujours sérieux et quelquefois tragique, des personnes qui ont été condamnées d'une manière définitive et qui bénéficient d'une révision parce que sont apparus des faits nouveaux, par exemple des témoignages, qui montrent que la décision prise à leur encontre était une erreur.
Notre système juridique prévoit, dans ce cas, une indemnisation, mais elle est assez compliquée à obtenir.
Il faut d'abord obtenir la révision, puis se pourvoir devant une juridiction spéciale, qui décidera l'indemnisation.
La Cour de cassation, entre autres propositions, a elle-même suggéré que l'on simplifie la procédure pour des personnes qui bénéficient d'une décision de révision. Notre idée est de faire en sorte que, lorsque son innocence est reconnue, la personne puisse demander directement des dommages et intérêts, non pas devant une commission spéciale, comme à l'heure actuelle, mais directement auprès de la juridiction qui a reconnu son innocence. C'est-à-dire que, par une même décision, cette juridiction, qui peut être la Cour de cassation ou une cour de renvoi, statue et sur le principe de la révision, et sur la réparation du dommage causé.
Il s'agit, encore une fois, d'une suggestion de la Cour de cassation, mais il nous a paru plus conforme à l'intérêt de la personne - il me semble que c'est un cas où cet intérêt doit être particulièrement pris en compte - qu'elle ait le choix entre demander à la juridiction de révision de statuer sur son préjudice, ou, si elle préfère, se réserver de procéder selon la procédure actuellement en vigueur.
C'est pour ouvrir cette double possibilité au bénéficiaire d'une décision de révision que nous avons déposé cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à cet amendement parce qu'il permettra en effet à la victime d'être indemnisée le plus rapidement possible.
Cependant, je souligne une difficulté : il ne faudrait pas que le nouveau dispositif entraîne des discriminations choquantes dans la mesure où les décisions seront prises par des juridictions différentes.
Un recours à l'échelon national pourrait donc être envisagé. Mes services examinent cette possibilité. Nous pourrons approfondir la question lors de la navette, si vous en êtes d'accord, mais, en l'état, je suis favorable à l'amendement n° 21.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 21.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est précisément en l'état actuel de cet amendement que je demande la parole contre.
Nous avons en effet déposé un autre amendement, qui porte le numéro 45 et qui sera appelé tout à l'heure, contre lequel la commission s'est prononcée. M. le rapporteur a bien voulu dire qu'il y était favorable sur le principe, mais qu'il fallait en renvoyer l'adoption jusqu'à ce que nous soyons saisis du texte, dont le dépôt est annoncé, sur la détention provisoire et la présomption d'innocence.
Je ne vois pas de différence avec le cas présent ni pourquoi, ici, il n'y aurait pas aussi lieu d'attendre, pour cet amendement, ce texte que l'on nous promet.
Par l'amendement n° 45, en effet, nous réclamons, pour les personnes qui ont été placées en détention provisoire à tort, non pas une indemnité mais la réparation intégrale de leur préjudice et nous proposerons qu'il soit statué sur cette réparation intégrale par une commission départementale ou, au moins, par une commission située dans chaque cour d'appel.
Lorsque la commission alloue une indemnité d'un montant ridicule, cela n'est pas acceptable, la commission est bien d'accord sur le principe.
S'agissant ici non de détention provisoire mais de révision, je lis dans l'amendement que « l'indemnisation peut également être allouée à l'intéressé par la décision d'où résulte son innoncence ». Je poursuis : « Devant la cour d'assises, l'indemnisation est allouée par la cour statuant, comme en matière civile, sans l'assistance des jurés ». Ce n'est pas une indemnité qu'il faut, c'est une réparation intégrale du préjudice. Et c'est déjà une raison pour laquelle, nous refusons cet amendement.
Certes, nous aurions pu proposer une modification et prévoir, dans ce cas là également, une réparation intégrale du préjudice. Vous n'auriez plus alors à craindre, madame le garde des sceaux, de contradiction de jurisprudences, puisque, quelle que soit la juridiction, elle aurait à réparer intégralement le préjudice.
Reste que, en l'état actuel du texte, je le répète, nous ne pensons pas pouvoir l'accepter. Bien évidemment, s'il devait être voté dans cette rédaction, cela nous permettrait de maintenir notre amendement n° 45 alors que, s'il était retiré, nous pourrions accéder à la proposition qui nous a été faite et surseoir pour reprendre cette question lors de l'examen du texte sur la présomption d'innocence.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Monsieur Dreyfus-Schmidt, je suis un peu surpris de la ligne de conduite que vous adoptez dans cette affaire.
En effet, les deux hypothèses sont tout de même bien différentes !
Dans un cas, il s'agit d'une révision ; une personne a été condamnée par un jugement, mais à tort. Elle a souffert, nous voulons faciliter son indemnisation.
Dans l'autre cas, il s'agit d'une personne qui est aussi à plaindre, bien entendu, puisqu'elle a été mise en détention de manière abusive, mais tout de même, ce sont deux situations profondément différentes.
Or, pour la raison que nous n'acceptons pas l'amendement concernant le second cas, M. Dreyfus-Schmidt, tout en étant d'accord sur le fond, se déclare hostile à l'amendement relatif au premier cas. Autrement dit, il fait payer aux personnes bénéficiaires d'une révision une sorte de rancune qu'il éprouve contre nous du fait de la position que nous avons adoptée sur la détention provisoire. Nous ne contestons pas du tout le bien-fondé de son amendement, simplement nous pensons qu'il trouvera plus sa place lors de l'examen d'un projet de loi dont nous serons très prochainement saisis.
Véritablement, mon cher collègue, je suis surpris et je me permets d'insister pour que, dans le cas particulier de la révision, nos collègues veuillent bien voter le dispositif que nous proposons et qui est approuvé par le Gouvernement.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. C'est une question tout à fait importante que celle qui est soulevée à cet instant.
Ai-je besoin de le rappeler, le moment où la présomption d'innocence apparaît avoir été le plus radicalement, le plus complètement méconnue, c'est bien quand, à la suite de la révision du procès, on constate l'innocence de celui qui a été accusé et condamné. Il n'y a pas de situation plus dommageable que celle-là.
J'approuve tout à fait l'initiative prise par la commission des lois. Simplement, elle me paraît, monsieur le rapporteur, insuffisante et je pense qu'il faudra revoir la question.
Insuffisante, pourquoi ? Parce que vous avez repris le terme « indemnisation », qui correspond à la notion d'indemnité figurant dans le texte. Or, dans l'amendement déposé par M. Dreyfus-Schmidt, il est question d'une « réparation ». Ici, mieux vaut penser à la réparation intégrale du préjudice subi qu'à l'indemnité. Nous savons tous que la commission d'indemnisation a adopté une ligne qui n'est pas toujours la bonne, car le forfait consenti ne correspond pas au préjudice subi. Or, en l'occurrence, le préjudice, moral et matériel, peut être considérable.
Dans l'avenir - car nous reprendrons, je crois, ce texte - je souhaite très vivement qu'il s'agisse d'une réparation, plus précisément d'une réparation intégrale.
Vous avez bien fait de souligner qu'il était préférable que la réparation soit prononcée à cet instant-là par la juridiction qui vient d'étudier le dossier. Qu'il s'agisse de la cour d'assises ou de la cour de révision, lorsqu'un nouveau procès n'est pas possible, il est en effet préférable que ce soit la juridiction qui vient de proclamer l'innocence qui, au cours d'un débat qui suivra immédiatement, procède à l'octroi d'une réparation intégrale.
Il s'agit d'une question très importante. Pour ma part, je souhaiterais que Mme le garde des sceaux nous dise qu'elle traitera l'ensemble de cette question dans le cadre du projet de loi relatif à la détention provisoire et des textes concernant la procédure pénale. Je suis, en effet, plutôt partisan de poser dans sa totalité la question de la réparation de ce préjudice si grave.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais insister, car j'approuve, bien sûr, ce qui vient d'être dit.
Je dépose un sous-amendement visant à préciser : « Si la personne en a fait la demande, la réparation intégrale du préjudice peut également être allouée par la décision d'où résulte son innocence. » Ainsi, le principe de la réparation intégrale du préjudice serait posé. En effet inscrire aujourd'hui dans la loi qui sera appliquée pendant un certain temps avant que l'on revienne sur ce sujet le principe d'une simple indemnité me paraît plus négatif que positif.
Mon sous-amendement viserait ensuite à préciser : « Devant la cour d'assises, réparation intégrale est allouée par la cour statuant,... ».
Grâce à ce sous-amendement, la notion de réparation intégrale du préjudice sera d'ores et déjà prise en compte.
M. le président. J'ai pris bonne note de votre sous-amendement, monsieur Dreyfus-Schmidt. Toutefois, j'attire votre attention sur le fait que l'article 626 du code de procédure pénale ne comprend pas que l'alinéa qu'il est proposé de modifier. Il en comporte d'autres relatifs au versement de l'indemnité à un condamné reconnu innocent ou à une personne ayant subi un préjudice du fait de sa condamnation. Il faudrait peut-être alors déposer un amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est bien pourquoi je ne le propose pas. Mais, bien évidemment, la leçon sera tirée au cours de la navette. En effet, mon sous-amendement ne peut porter que sur le troisième alinéa de l'article 626 du code de procédure pénale.
M. le président. Je suis donc saisi d'un sous-amendement n° 56, présenté par M. Dreyfus-Schmidt, et tendant, dans le deuxième alinéa de l'amendement n° 21 :
I. - A remplacer les mots : « l'indemnisation peut également être allouée » par les mots : « la réparation intégrale du préjudice peut être allouée » ;
II. - Après les mots : « Devant la cour d'assises », à remplacer les mots « l'indemnisation » par les mots : « la réparation intégrale ».
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Nous sommes confrontés à une méthode de travail assez curieuse. Nous nous orientons vers un progrès certain. Aux yeux de quelques-uns d'entre nous, ce n'est pas suffisant : il faut aller plus loin.
Il convient de noter que, dans l'amendement présenté par la commission, un progrès considérable est accompli en matière de procédure. Pour me prêter au jeu de la réponse du berger à la bergère, je me demande si le sous-amendement présenté par M. Dreyfus-Schmidt n'est pas susceptible de se voir appliquer l'article 40 de la Constitution, car son adoption entraînerait la création d'une charge publique. Il s'agit d'un simple élément de réflexion.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Invoquez l'article 40 !
M. Jacques Larché, président de la commission. Comme je n'ai pas l'habitude de me livrer à ce genre de manoeuvre, que je vous laisse bien volontiers, je ne l'invoquerai pas.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur le sous-amendement n° 56 ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Pour les raisonss qui ont été indiquées, la commission émet un avis défavorable. Nous sommes en mesure d'apporter une amélioration sensible à la situation des personnes qui bénéficient d'une révision de leur jugement. Faisons-le !
La discussion relative à la différence entre le mot : « indemnité » et le mot : « réparation » est purement verbale. (M. Dreyfus-Schmidt est dubitatif.) Si la juridiction qui apprécie considère que le préjudice est égal à telle somme, que ce soit sous le nom d'identité ou de réparation, elle retiendra cette somme. Il ne faut donc pas exagérer l'importance de la différence entre ces deux termes.
En tout cas, nous avons la possibilité d'apporter une amélioration. Nous ne pouvons pas procéder autrement car, comme le président de séance l'a fort justement rappelé, il faudrait revoir l'ensemble de l'article 626 du code de procédure pénale, ce que nous ne pouvons faire en l'instant.
Lors de cette première lecture, je souhaite que nous adoptions le texte modifié par l'amendement de la commission. Ensuite, nous continuerons à l'améliorer - c'est l'objet de la navette.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur le sous-amendement n° 56 ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je maintiens mes observations précédentes, monsieur le président. Je suis d'accord sur le principe. Cependant, il serait préférable d'examiner ce point au cours de la navette.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 56, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 21, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 19.
Par amendement n° 45, MM. Dreyfus-Schmidt et Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 19, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 149 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
« I. - Après le mot : "indemnité", les mots : "peut être accordée" sont remplacés par les mots : "est accordée en réparation de son préjudice matériel et moral".
« II. - Après le mot "définitive", la fin de l'article est supprimée.
« III. - Il est ajouté un deuxième alinéa ainsi rédigé :
« L'intéressé n'a toutefois pas le droit à indemnisation lorsqu'il a échappé à une condamnation du seul fait de la reconnaissance de son irresponsabilité, de la prescription ou de l'amnistie. »
« IV. - Il est ajouté un troisième alinéa ainsi rédigé :
« N'a pas droit non plus à une indemnisation la personne qui aurait fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement et volontairement accusée ou laissée accuser à tort. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Compte tenu du texte qui vient d'être adopté, le Sénat ne peut, à l'évidence, refuser l'amendement n° 45.
M. le rapporteur a dit que l'allocation d'une indemnité, c'est la même chose que la réparation intégrale du préjudice.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je n'ai pas dit cela !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tant mieux, cela m'étonnait de votre part ! En effet, allouer cent francs à quelqu'un qui a fait un an de prison, c'est lui allouer une indemnité. En revanche, réparer intégralement le préjudice subi, c'est rechercher combien il a perdu en termes de salaires et au titre du préjudice moral qui lui a été causé. Pour un innocent qui a été en prison, c'est la moindre des choses !
Ce n'est pas vrai seulement lorsque l'innocence résulte de la révision d'une condamnation. C'est vrai aussi lorsque quelqu'un a été mis en prison par un juge d'instruction et qu'il se révèle que l'emprisonnement ferme était injustifié.
Nous en avions déjà discuté avec M. Toubon. Celui-ci nous avait répondu : « Certes, mais il peut y avoir des cas où on libère l'intéressé parce qu'il est irresponsable, qu'il y a prescription, qu'il y a amnistie ou que l'intéressé s'est accusé à tort. » Nous avons donc pris en considération ces explications et ces réserves.
Notre amendement tendait - nous l'avions déjà déposé alors et nous le reprenons - à ce que soit indiqué : « une indemnité est accordée en réparation de son préjudice matériel et moral... » - j'aurais dû dire : en réparation « intégrale », mais c'est sous-entendu.
Un deuxième alinéa est ainsi rédigé : « L'intéressé n'a toutefois pas le droit à indemnisation lorsqu'il a échappé à une condamnation du seul fait de la reconnaissance de son irresponsabilité, de la prescription ou de l'amnistie. »
M. Jacques Machet. Il fallait présenter cet amendement en commission !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous l'avons, bien sûr, présenté en commission, monsieur Machet, autrement nous ne pourrions pas le présenter en séance publique du Sénat.
L'intéressé n'a donc pas droit à indemnisation parce qu'il a été déclaré irresponsable - le juge avait tout de même raison de le mettre en prison au départ, avant de savoir qu'il était irresponsable - ou bien parce que l'affaire est prescrite - le juge avait raison de le mettre en prison dès lors qu'il n'y avait pas encore prescription - ou parce qu'il y a amnistie.
Enfin, n'a pas droit non plus à une indemnisation la personne qui aurait fait l'objet d'une détention provisoire pour s'être librement - évidemment, si l'intéressé s'accuse parce qu'on l'a amené à s'accuser, il a droit à l'indemnisation - ou volontairement laissée accuser à tort.
Pourquoi attendre plus longtemps pour faire un progrès important ? Je suis sûr que M. le président de la commission des lois, s'il partage notre point de vue sur le principe, comme c'est le cas de nombre de nos collègues qui l'ont dit en commission, n'invoquera pas, n'évoquera même pas l'article 40 de la Constitution.
Tel est l'objet de notre amendement n° 45.
Si, comme je l'espère, le Sénat l'adopte, je ne pourrai que me féliciter qu'il ait adopté l'amendement précédent qui a ouvert la voie en matière d'indemnité due à un innocent.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission émet un avis défavorable. Il est vrai, et votre rapporteur l'a dit, à titre personnel, en commission et il n'est pas gêné de le répéter, que cet amendement procède d'une préoccupation légitime.
Cela étant, cette question relève d'un texte plus général sur la présomption d'innocence. Nous sommes dans le domaine de la détention préventive. (M. Dreyfus-Schmidt sourit.) Je suis heureux que vous vous réjouissiez monsieur Dreyfus-Schmidt. Cela prouve que je vous fais plaisir, à moins que ce ne soit un sourire sardonique, ce qui ne serait pas gentil pour moi.
Quoi qu'il en soit, nous sommes défavorables à cet amendement, car il nous paraît préférable d'examiner cette hypothèse liée aux détentions abusives dans le cadre du projet de loi sur la détention provisoire.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je suis d'accord sur le fond avec ce qui est proposé. Cependant, je considère que cette disposition n'a pas vraiment sa place dans le présent projet de loi. En effet, elle relève davantage du texte visant à renforcer la présomption d'innocence, que le Gouvernement présentera prochainement au Parlement.
Par conséquent, je suis réservée sur cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 45.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. En ce domaine, je ne crois pas qu'il faille attendre. Tout le monde est d'accord, semble-t-il. En effet, sur le principe, qui pourrait ne pas l'être ?
Il s'agit de personnes présumées innocentes qui ont été placées sous mandat de dépôt et la procédure s'est achevée par un non-lieu ou une relaxe. La présomption d'innocence, ici, encore une fois, joue à plein.
Le texte, très singulier, actuellement en vigueur a fait l'objet, à juste titre, de vives critiques. Je pense, pour ma part, que si, à l'époque de son adoption, avait existé un contrôle de constitutionnalité effectif, et non pas théorique, dans notre Constitution, il n'aurait pas franchi la barre.
La loi du 17 juillet 1970 prévoit non pas la réparation du préjudice causé, mais une indemnité allouée par une commission, laquelle statue sans recours.
Tous ceux qui ont suivi de près l'évolution de ses décisions savent qu'elles sont loin d'être équivalentes à la réparation du préjudice subi. C'est tout simplement une indemnité forfaitaire qui est accordée.
J'ajoute - et ce n'est pas la moindre des critiques que l'on peut faire au texte actuel de l'article 149 - qu'il est tout simplement contraire à la prise en compte élémentaire des exigences du respect de la présomption d'innocence de lire que l'on ne répare le préjudice causé par une détention qui s'est révélée plus qu'inutile, abusive puisque nous sommes dans un cas où il y a eu non-lieu ou relaxe, que « lorsque cette détention a causé un préjudice manifestement anormal et d'une particulière gravité ». Il ne s'agit pas d'un préjudice ordinaire ; il faut qu'il soit « manifestement anormal et d'une particulière gravité ».
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cette fin de l'article 149 a été supprimée !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il en reste encore une petite partie.
M. Robert Badinter. Les mots : « manifestement anormal » ont en effet été maintenus.
Je conclus en disant : ne perdons pas de temps dans ce domaine. Statuons tout de suite, votons le texte, et on le réinsérera le moment venu, si une amélioration peut encore être faite, lors du grand débat sur la détention provisoire et la présomption d'innocence.
M. Jean-Jacques Robert. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Robert.
M. Jean-Jacques Robert. Je ne sais si cet amendement vient au bon moment sur un bon texte, mais, pour moi, il est nécessaire et il répond à un besoin. C'est donc une vertu suffisante, et je le voterai donc.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne dirai qu'un mot de plus : pourquoi attendre une minute de plus ? Pourquoi priver de la réparation intégrale de son préjudice celui qui sortira de prison demain, ou après-demain ou en attendant que nous soyons saisis d'un autre texte ?
Franchement, je ne comprends pas pourquoi il faudrait remettre à demain ce que nous pouvons faire aujourd'hui même.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 45, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 19.
Par amendement n° 50, MM. Pagès, Duffour et les membres du groupe communiste républicaion et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 19, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 729 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au deuxième alinéa et en cas de condamnation à une peine d'emprisonnement égale ou inférieure à un an, la personne condamnée peut être placée sous le régime de la libération conditionnelle, quelle que soit la durée de la peine accomplie et y compris en l'absence d'incarcération.
« II. - Le deuxième alinéa de l'article 730 du même code est complété par une phrase ains rédigée : "Toutefois, dans les cas prévus au quatrième alinéa de l'article 729, la libération conditionnelle est accordée en l'absence d'incarcération, après avis du procureur de la République. »
La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite, par cet amendement, attirer l'attention du Gouvernement et du Sénat sur la nécessité de modifier la mise en oeuvre de la libération conditionnelle, dans le respect des droits de chacun, pour permettre un désengorgement réel des prisons et une meilleure réinsertion, la prison pouvant entraîner l'effet contraire à celui qui est souhaité.
Mon ami Michel Duffour m'a signalé que cette proposition avait suscité une certaine émotion en commission des lois.
Elle n'a pourtant rien d'excessif, puisqu'elle était inscrite dans le projet de loi initial déposé par M. Méhaignerie et débattu le 20 octobre 1994 par notre assemblée. L'Assemblée nationale avait alors supprimé cette disposition et le Sénat avait refusé, déjà, de la rétablir, malgré notre proposition de le faire.
Le Gouvernement d'alors indiquait ceci dans un rapport annexé au projet de loi de programme : « C'est pourquoi le Gouvernement souhaite que les condamnés à des peines inférieures à un an puissent être placés en liberté conditionnelle dès le prononcé du jugement. »
Nous estimons qu'une telle disposition a toute sa place dans l'actuel projet de loi et respecte pleinement son esprit.
Nous venons de débattre de la réparation. La liberté conditionnelle me paraît un aspect tout aussi important.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter l'amendement n° 50, qui vise à appliquer la liberté conditionnelle aux personnes condamnées à moins d'un an de prison.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission est tout à fait défavorable à cet amendement qui, s'il était adopté, aboutirait au résultat suivant : un individu reconnu coupable et condamné à une peine d'un an de prison serait immédiatement placé en liberté conditionnelle. S'il n'a pas été mis en détention provisoire, il ne purgera donc aucune peine !
M. Robert Pagès. Mais la liberté conditionnelle est une peine !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. On en arrive à se demander à quoi servent les juges du fond ! Il ne faut pas oublier qu'on leur dérobe de plus en plus leurs responsabilités : ainsi, en amont, du fait des décisions prises par les juges d'instruction, les juges du fond sont assez souvent mis en présence d'une détention provisoire dont la durée est telle qu'il n'y a plus qu'à la couvrir pour ne pas avoir l'air de la désapprouver. J'ai suffisamment plaidé ce genre d'affaires, pour l'avoir vécu personnellement dans ce genre de cas.
Ensuite, le juge prendra sa décision et, aussitôt après, celle-ci deviendra inopérante parce que le juge de l'application des peines décidera de mettre immédiatement en liberté la personne qu'il vient de condamner.
Or, selon le principe actuel du code de procédure pénale, pour bénéficier d'une libération conditionnelle, il faut tout de même avoir purgé la moitié de la peine, ce qui me paraît élémentaire si l'on considère que, véritablement, le juge normal d'un délit est le juge du fond.
J'ajoute que, sur le plan pratique, mon cher collègue, le résultat d'une telle mesure sera que les juges du fond prononceront systématiquement des peines d'un an et demi de prison pour être sûrs qu'une partie de la peine sera faite. C'est en effet le résultat le plus clair de ce genre de mesures !
La commission des lois tient absolument à ce que les juges du fond - les vrais juges - conservent la plus grande marge possible de responsabilité et de décision et ne soient pas dépossédés de cette responsabilité par cet amendement. C'est pourquoi elle est totalement opposée à celui-ci.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Monsieur le président, je considère que cette question est importante puisqu'elle correspond à une revendication traditionnelle assez générale des juridictions, notamment des juges de l'application des peines. Toutefois, elle soulève des problèmes de principe qui mériteraient des débats substantiels qui sont d'ailleurs éloignés de l'objet de ce projet de loi.
La Chancellerie a entamé à ma demande une réflexion générale et approfondie sur notre système d'exécution des peines, qui pourrait précisément déboucher sur la préparation d'un projet de loi. C'est pourquoi je préférerais que l'on débatte d'un tel amendement dans un autre cadre, et je ne peux donc émettre qu'un avis défavorable sur ce texte.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 50.
M. Robert Pagès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Madame la garde des sceaux, je suis très sensible à votre réponse et à ce que je considère comme un quasi-engagement de votre part.
Je tiens tout d'abord à indiquer que cet amendement ne constitue pas un quelconque cavalier. En effet, il se situe tout à fait dans le vif du sujet.
Monsieur le rapporteur, la liberté conditionnelle n'est pas, selon moi, une absence de peine : si l'on supprime l'incarcération éventuelle, la condamnation et la réprobation de la société subsistent. La liberté conditionnelle n'est pas la liberté tout court.
Cela dit, compte tenu des propos tenus par Mme la ministre, je retire cet amendement, souhaitant qu'il ne s'agisse pas d'un renvoi définitif de cette question, dont on parlait déjà en 1994, et sans doute même avant !
M. le président. L'amendement n° 50 est retiré.

Article 19