Séance du 25 juin 1998






DÉBAT D'ORIENTATION BUDGÉTAIRE

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement suivie d'un débat.
La parole et à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous livrons aujourd'hui à un exercice que je crois bienvenu - qui n'a pas eu lieu l'année dernière, pour des raisons que chacun comprend, tenant aux circonstances particulières liées au renouvellement de l'Assemblée nationale - et qui vise à ce que, avant l'été, un débat s'instaure dans les deux assemblées pour que le Gouvernement écoute les représentants élus, définisse ses orientations budgétaires et fasse son miel de ce que le Sénat, en l'occurrence, voudra lui transmettre.
Les quelques points que je souhaite développer, avant que Christian Sautter entre dans un détail plus fin de la préparation budgétaire, sont les suivants.
D'abord, dans quel contexte se situe ce débat ?
La principale caractéristique de la période dans laquelle nous sommes, lorsqu'on la compare à la période équivalente de l'année précédente, c'est que la confiance en matière économique et sociale est très largement revenue. Cela ressort des enquêtes menées tant auprès des consommateurs que des chefs d'entreprise, et comme vous êtes des observateurs avertis de ces choses vous aurez constaté comme moi que nous atteignons, dans ces sondages d'opinion réalisés régulièrement par l'INSEE, la Banque de France ou d'autres instituts, des sommets qui ont eu, certes, leur équivalent dans le passé, mais dans un passé lointain.
Voilà très longtemps - plus de dix ans - que nous n'avons pas connu dans notre pays un tel sentiment de confiance dans l'avenir, même si l'on peut regretter qu'il ne soit pas encore suffisamment élevé. Néanmoins, l'évolution est très sensible, et je crois que c'est la principale caractéristique, tant il est vrai que l'économie, c'est peut-être non pas avant tout mais assez largement de la psychologie.
Associée à cette confiance - je ne m'aventurerai pas sur la question de savoir quel est l'oeuf, quelle est la poule ! - la croissance est fortement de retour et, bien évidemment, les deux phénomènes sont liés dans les deux sens : la croissance induit la confiance, la confiance permet la croissance.
Cette croissance, la France n'est pas le seul pays européen à en ressentir les bienfaits, fort heureusement. Il serait donc peu raisonnable, de la part du Gouvernement, de s'en attribuer tous les mérites. Il est clair que l'ensemble des pays européens connaissent aujourd'hui un retour à la croissance qui a été bien long à obtenir, et bien tardif.
Mais il est vrai aussi que nous serons sans doute, pour autant que l'on puisse le mesurer aujourd'hui, au mois de juin, parmi les grands pays non seulement européens mais même du G 7, celui qui aura la croissance la plus élevée en 1998. Là, pour le coup, ce ne sont plus la chance et l'environnement qu'il faut invoquer, mais sans doute la façon dont la politique économique qui a été conduite a accompagné cette croissance. Seule, cette politique économique n'aurait peut-être pas suffi. Mais, à l'inverse, le mouvement international seul, non relayé par une politique économique adaptée, n'aurait sans doute pas suffi non plus.
Chacun a à l'esprit cette période, pas tellement lointaine - je pense à 1995 et 1996 - où l'Europe aussi commençait à connaître un retour à la croissance et où, en France, quelques mesures de politique économique, que je juge, pour ma part, malencontreuses, ont, au contraire, cassé cette croissance.
Si bien que ceux qui voudront féliciter le Gouvernement et sa majorité pour la politique économique suivie le feront sans que j'y voie malice ; les autres auront au moins à coeur de reconnaître - ce qui est une version dégradée de la félicitation, mais je m'en satisferai ! - que le Gouvernement n'a pas, par sa politique, commis les quelques bêtises qui étaient concevables, qui ont été faites par le passé et qui auraient entravé ce retour à la croissance. En effet, s'ils ne reconnaissaient pas cela, ils seraient en contradiction avec les faits, qui, comme je l'évoquais tout à l'heure, vont sans doute mettre en évidence pour la France la plus forte croissance des pays du G 7 en 1998.
A cette croissance est associé un début de baisse du chômage, baisse évidemment insuffisante mais tout de même sensible puisque, depuis le mois d'août, le chômage baisse régulièrement et qu'au mois de mars, vous le savez, nous avons franchi à la baisse le seuil symbolique des 3 millions de chômeurs.
On ne peut pas s'en réjouir : trois millions de chômeurs, c'est encore infiniment trop ! Mais ne gâchons pas tout de même notre satisfaction collective, éprouvée sur toutes les travées du Sénat, j'en suis sûr, de voir que, depuis maintenant neuf mois, mois après mois - un peu plus certains mois, un peu moins d'autres - le chômage décroît régulièrement.
Tant et si bien que le taux de chômage, qui était de 12,5 % de la population active au mois d'août dernier - il était d'ailleurs identique au mois de janvier 1997 puisque, entre janvier et août 1997, il n'avait pas bougé - a commencé à décroître au rythme de presque 0,1 point par mois et que nous sommes passés sous la barre des 12 % après avoir approché les 13 %.
Il est clair que cette décrue est insuffisante, que d'autres actions doivent être mises en oeuvre, que notre politique doit être renforcée.
Pour le moment, alors que, notamment, la politique de réduction du temps de travail n'a pas encore produit ses effets, puisque la loi vient seulement d'être votée et que les décrets d'application sont à peine signés, c'est principalement la croissance qui est à l'origine de cette décrue du chômage, et j'attends le relais qui, sans que la croissance diminue, sera pris, pour augmenter cet effet, par la mise en oeuvre du texte sur la réduction du temps de travail.
Au total, alors que 20 000 emplois marchands dans le secteur privé avaient été créés en France au cours du premier trimestre de 1997, ce sont 95 000 emplois, soit près de cinq fois plus, qui ont été créés au cours du premier trimestre de 1998.
Vous savez que la prévision que j'avais donnée au Sénat, lorsque nous avions examiné ensemble le projet de loi de finances pour 1998, était de créer 200 000 emplois marchands en 1998. Eh bien ! au premier trimestre, la moitié de cet objectif a déjà été atteint. On peut donc espérer que le seuil de 200 000 à la fin de l'année sera dépassé.
Mais ne faisons pas trop de prévisions, les résultats sont encore aléatoires. Nous mesurons mal, notamment, l'ensemble des conséquences que la crise asiatique pourra avoir sur notre économie.
Deux mots pour informer le Sénat sur ce point.
Il y a eu une première crise aux mois d'octobre, novembre et décembre, dont nous avons analysé ensemble les effets et dont chacun a pu penser, vers les mois de janvier-février, que nous avions réussi - nous, c'est la collectivité financière internationale - à la maîtriser.
En effet, en février, il apparaissait que la Thaïlande était sur la bonne voie, que cela s'arrangeait en Corée et que, si la situation restait encore très difficile en Indonésie, l'économie indonésienne n'avait cependant pas un poids tel dans l'économie mondiale que les désordres mais aussi les difficultés des populations qu'on pouvait y constater suffisaient à déséquilibrer l'économie mondiale.
Donc, l'hypothèse de perdre 0,5 point de croissance en raison de la crise asiatique, qui avait été faite très tôt - vers octobre-novembre - restait solide vers février.
Finalement, le premier trimestre a révélé que la crise était sans doute un peu plus profonde - je vais y revenir - et que l'effet sur la croissance était plus proche de 0,6 point que de 0,5. A l'inverse, la croissance domestique en France même s'est révélée un peu plus forte que prévue, si bien qu'au total la prévision d'ensemble de 3 % pour 1998 reste solide, mais avec une composition légèrement différente de ce qui avait été prévu : plus de croissance en France, un peu moins de croissance provenant de la demande externe.
Aujourd'hui, la question est posée de savoir comment l'autre partie de la crise, celle qui était sous-jacente, celle dont le Sénat se souvient sans doute d'avoir discuté avec moi à la fin de décembre, celle qui était encore peu visible à l'époque, mais qui l'est de façon flagrante aujourd'hui, c'est-à-dire la situation japonaise, va évoluer dans les semaines ou les mois qui viennent.
Nous voyons tous que cette situation est sérieuse, que c'est là que se concentrent aujourd'hui les risques les plus importants non seulement pour le Japon lui-même mais aussi pour les pays avoisinants, comme la Chine.
Vous connaissez comme moi les deux pôles sur lesquels nous attendons que le gouvernement japonais mette en oeuvre les décisions qu'il a annoncées : l'aspect macro-économique et la croissance de l'économie japonaise, d'une part ; la restructuration du système bancaire, d'autre part.
Des assurances très fortes ont été données tout récemment encore par le gouvernement japonais à l'occasion de l'intervention qui a eu lieu sur le marché des changes pour éviter que le yen ne dérape trop fort.
Il reste que, comme vous le savez, des élections auront lieu au Japon le 12 juillet prochain. Le système démocratique a beaucoup de vertus mais aussi quelques défauts, notamment le fait qu'une période préélectorale ne prédispose pas à la prise de décisions difficiles. Tout est donc quelque peu suspendu à l'échéance du 12 juillet.
Le temps de l'économie, notamment celui des marchés financiers, coïncide assez mal avec le temps plus lent du fonctionnement de la démocratie.
J'ai cependant bon espoir que l'ensemble des mesures qui ont été annoncées et qui commencent à être mises en oeuvre - elles sont d'une ampleur considérable puisque plusieurs points de PIB sont en cause - viendront à bout des difficultés et que nous n'aurons donc pas à subir de répercussions trop massives de cette crise asiatique dans sa version aujourd'hui japonaise sur notre croissance. Ainsi, la prévision de 3 % faite au début de l'année, même si elle est quelque peu « chamboulée » dans sa structure, restera en moyenne cohérente avec le résultat que nous enregistrerons cette année.
Dès lors, et avec toutes les réserves qu'implique un exercice de prévision, comment se présente notre budget pour 1999, puisque tel est l'objet de notre débat d'aujourd'hui ?
Du côté des dépenses, vous le savez, le Gouvernement ne défend pas l'idée que la dépense publique est mauvaise par nature. Au contraire, je soutiendrai devant vous l'idée que la dépense publique peut être l'un des éléments majeurs à la fois du soutien de la croissance et de la solidarité, mais que, pour autant, toute dépense publique n'est pas obligatoirement efficace et bonne. Il faut faire le tri ; il faut travailler fortement à une meilleure efficacité de la dépense publique. Cela ne signifie nullement qu'il faille à tout prix essayer de la faire décroître.
J'ai rencontré, encore récemment, des industriels américains venus investir en France. Ils expliquaient les raisons pour lesquelles leur choix s'était finalement porté sur la France : certes, en matière d'impôts, de cotisations sociales, c'était un peu plus lourd que chez nos voisins ; mais, à l'inverse, ils y trouvaient une population mieux formée, des infrastructures plus développées, notamment dans le domaine des télécommunications, qui était celui qui les intéressait. En définitive, dans la petite liste de pays qui restaient au dernier moment du choix, à savoir, en l'occurrence, la Pologne, le Royaume-Uni et la France, ils avaient décidé de venir en France. Et cela n'est pas un cas isolé puisque nous sommes, vous le savez, le troisième pays au monde pour l'importance des investissements étrangers directs qui viennent s'y réaliser. Si c'est le cas - et c'est le cas ! - c'est bien que ceux qui peuvent choisir, lorsqu'ils veulent venir en Europe, entre plusieurs pays, choisissent plus volontiers la France que d'autres pays.
Cela montre, au total, qu'il faut bien faire - et j'invite le Sénat à le faire avec moi - une comparaison raisonnable entre les recettes et les dépenses, à savoir entre la charge fiscale et les services publics rendus, et non pas simplement procéder à une évaluation de la dépense comme si, en elle-même, elle devait toujours être mauvaise. Elle est souvent bonne !
C'est la raison pour laquelle, en 1999, le Gouvernement a choisi une croissance modérée de la dépense publique, de 1 % en termes réels, quand le PIB devrait augmenter de 2,8 %. Cette croissance de 1 % lui permet de financer l'ensemble des priorités qui sont les siennes et dont je reprendrai la liste tout à l'heure ; mais vous les connaissez assez largement : elles touchent à l'emploi, à la solidarité, sous la forme des emplois-jeunes, de la réduction du temps de travail, de la lutte contre les exclusions, etc.
Je connais bien les critiques émises par certains - c'est d'ailleurs normal - contre cette croissance des dépenses publiques de 1 %, comme si le taux de 0 % était magique. Je voudrais dire au Sénat que je ne trouve rien, dans l'analyse économique, qui justifie l'idée que 0 % serait bien et que 1 % serait mal. S'il est un critère qui a du sens, c'est la part de la dépense publique dans le PIB. Certains pensent qu'elle doit augmenter - ils sont peu nombreux aujourd'hui. D'autres pensent qu'elle doit se stabiliser. D'autres pensent qu'elle doit décroître.
Elle décroîtra en 1999 puisque, comme je le disais, la dépense publique doit augmenter de 1 % quand le PIB augmentera de 2,8 %. On peut bien sûr considérer qu'elle devrait décroître plus ou moins ; chacun est libre d'avoir une opinion sur ce point. Mais il n'y a pas de caractère magique à une dépense publique qui « croîtrait » en volume 0 %.
Compte tenu de la phase de la conjoncture dans laquelle nous sommes, du réglage assez fin - toujours aléatoire, bien sûr - que M. Sautter et moi-même essayons de réaliser pour obtenir la croissance la plus forte possible, il a semblé au Gouvernement que, dans le financement de ses priorités, ce soutien de l'activité justifiait une croissance de la dépense publique faible, mais pas nulle, donc fixée à 1 %.
Cela nous conduit évidemment à la définition du déficit souhaitable. Vous savez que le Gouvernement a retenu un déficit de 2,3 %, à comparer à celui de 3 % pour 1998. C'est donc là une diminution très sensible. C'est même la plus forte diminution du déficit des pays de la zone de l'euro. Certains diront - et ils n'auront pas tort - que c'est la plus forte diminution, certes, mais que nous sommes à des niveaux de déficit supérieurs et qu'il est plus facile pour nous de diminuer que d'autres pays qui ont déjà beaucoup diminué. Cela est exact aussi.
Le résultat, c'est que, à 2,3 %, nous serons, en 1999, le pays de la zone de l'euro ayant encore le plus fort déficit. Ceux qui sont les plus ardents défenseurs de la réduction du déficit verront là une critique et diront que nous sommes les derniers de la classe. Les autres constateront que, si nous sommes dans cette situation, c'est parce que le cycle économique, en France, est en retard par rapport à celui des autres pays. Certains ont commencé leur croissance avant nous. Je ne veux faire aucune remarque sur les politiques économiques passées, mais il est vrai que nous sommes un peu en retard. Nous entrons dans la croissance avec retard par rapport à l'Irlande, aux Pays-Bas et à quelques autres pays. Cela explique que nous soyons aussi en retard pour ce qui est de la diminution du déficit.
Il faut réduire celui-ci ; parce que ceux qui, comme moi, Christian Sautter et le Gouvernement, pensent que la dépense publique est un soutien utile de la croissance lorsque celle-ci vient à manquer, doivent avoir à l'idée que, pour pouvoir utiliser la dépense publique lorsque la croissance ralentit, il faut, dans les périodes de forte croissance, avoir pris de l'avance, avoir rechargé les batteries. C'est parce qu'on diminue le déficit dans les périodes de forte croissance que l'on peut l'augmenter à nouveau quand la croissance n'est plus là ; on utilise justement le budget à contre-cycle, pour compenser les mouvements naturels de l'économie et avoir une croissance plus régulière.
Ceux qui, comme certains sans doute au Sénat, pensent qu'il ne faut pas utiliser le budget comme une arme conjoncturelle, parce qu'ils sont libéraux, ceux-là n'ont aucune raison de vouloir diminuer le déficit.
En revanche, ceux qui, comme moi, pensent qu'il faut utiliser le déficit, que nous en aurons besoin - pas maintenant, car nous sommes en phase de croissance, mais dans trois ou quatre ans, le plus tard possible lorsque la croissance viendra à manquer - ceux-là doivent aujourd'hui faire l'effort de revenir en arrière, de réarmer la fronde, de recharger les batteries... - les images possibles sont multiples ! - pour que nous puissions, le moment venu, utiliser cette marge.
La seconde raison pour laquelle il faut que nous diminuions notre déficit, c'est que le déficit, c'est de la dette ; il est financé par la dette publique.
M. Denis Badré. C'est vrai !
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La dette publique, ce sont des intérêts que l'Etat doit payer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en 1980, le service de la dette représentait 5 % des recettes fiscales de l'Etat. Aujourd'hui, il représente près de 20 % de ces recettes. Je ne veux pas faire le tri pour savoir qui l'a plus ou moins augmenté au cours des dix-huit ou vingt dernières années. Le fait est que le déficit a beaucoup augmenté, et chacun y retrouvera ses petits. Aujourd'hui, je le répète, près de 20 % des recettes fiscales de l'Etat sont utilisées à payer des intérêts.
Or, quand on y regarde bien, c'est sans doute l'une des choses les plus injustes qui soit. En effet, les recettes fiscales de l'Etat, c'est ce que paient tous les Français, y compris les plus modestes, qui paient de l'impôt sur le revenu, qui consomment et paient de la TVA à 20,6 % tout cela pour verser une rente à une partie de la population qui détient les emprunts d'Etat et qui n'est pas la plus malheureuse du pays. On a donc un système anti-redistributif, ou redistributif à l'envers pour près de 20 % du budget de l'Etat, ce qui fait de ce budget un budget très inégalitaire.
Quand le service de la dette ne représentait que 5 % des recettes, passe encore. Mais il s'élève aujourd'hui à près de 20 % et, si nous continuons dans cette voie, il sera à 25 % ou à 30 % dans cinq ans ou dans dix ans, ce qui voudra dire que le quart puis le tiers des impôts collectés sur tous les Français sera redistribué à une catégorie très peu nombreuse de la population qui détient les emprunts d'Etat.
Cette redistribution me semble absolument anormale et la seule manière de l'éviter c'est de faire baisser la dette.
C'est pourquoi j'ai proposé, vous vous en souvenez sans doute, lors de la présentation du projet de loi de finances pour 1998, un objectif : en l'an 2000 - ces choses-là bougent doucement - nous inverserons la croissance inexorable depuis des années du ratio dette sur PIB. Vous vous souvenez sans doute de cette promesse. Eh bien nous la tiendrons ! Avec 2,3 % de déficit en 1999, nous ne sommes pas encore au sommet. En l'an 2000, pour la première fois depuis des années dans notre pays, nous pourrons, si tout se passe comme je le prévois aujourd'hui, réduire suffisamment notre déficit pour que le ratio de la dette sur le PIB commence à décroître, ce qui, au-delà des problèmes que je viens d'évoquer d'anti-redistribution ou de redistribution à contresens - induits par une dette trop importante, permettra à l'Etat de retrouver des marges de manoeuvre grâce à la diminution de la part du service de la dette dans son budget. En effet, utiliser 20 % du budget à cette fin réduit d'autant les possibilités d'action directe de l'Etat.
Par ailleurs, sur un plan plus éthique - et chacun, je pense, peut admettre cet argument - cela reviendra à cesser, ou à commencer de cesser de faire payer par les générations futures des dépenses qui sont les nôtres aujourd'hui. En effet, ne nous y trompons pas : accumuler de la dette aujourd'hui, c'est créer des impôts pour demain, car il faudra bien rembourser plus tard cette dette, et ce sont alors nos enfants qui seront mis à contribution. Trouvons-nous normal de laisser grimper notre dette par rapport à notre PIB et de reporter le financement d'une part importante de nos dépenses d'aujourd'hui sur les impôts que devront payer demain nos enfants ?
A l'évidence, ce n'est pas satisfaisant, et la seule manière de résoudre l'ensemble de ces contradictions - un budget qui devient antiredistributif, des marges de manoeuvre de l'Etat qui se réduisent et un report sur nos enfants d'une part de nos dépenses - c'est de faire en sorte que notre dette diminue, en pourcentage du PIB s'entend, et donc que notre déficit décroisse.
L'effort qui est fait par le Gouvernement dans ce sens trouve là sa triple justification.
Certains estimeront sans doute, au vu de ces arguments, que l'on pourrait aller plus loin. A ceux-là, je répondrai qu'il y a une bonne répartition de l'effort dans le temps à trouver, et qu'aller trop vite présenterait d'autres inconvénients, notamment en termes de soutien à la croissance, qui est renaissante.
Mon objectif est de faire en sorte que la croissance ne se limite pas aux seules années 1998 et 1999 pour faire place ensuite à un long cycle de dépression, comme c'est malheureusement la tradition en Europe. En effet, ce qui caractérise l'Europe par rapport aux Etats-Unis, c'est que nous connaissons des phases de croissance peu durables, auxquelles succèdent des bas de cycle qui durent de nombreuses années. Il faut que nous arrivions à inverser cette tendance. Les Etats-Unis, qui ont d'autres avantages économiques, et d'autres faiblesses, sont dans leur septième année de croissance ! Il n'y a pas de raisons que nous n'arrivions pas à faire de même. Si l'Europe était capable d'avoir, non pas deux ou trois ans de croissance mais quatre, cinq ou six ans de croissance, alors, pour le coup, les effets en matière de chômage, en matière de développement et en matière de pouvoir d'achat seraient, considérables ! En effet, il est une vérité que nos concitoyens évaluent mal, mais que vous connaissez : avec un demi-point de croissance supplémentaire pendant plusieurs années, l'écart, à l'arrivée, est considérable !
Voilà la politique à suivre et voilà pourquoi il faut, certes, réduire notre déficit mais ne pas le réduire trop, au risque de casser la croissance.
Le Gouvernement a choisi le seuil de 2,3 %, qui est évidemment contestable. Personne ne peut prouver avec une rigueur mathématique que c'est juste ce seuil de 2,3 % qu'il fallait retenir. Certains diront qu'il faut aller plus vite, d'autres moins vite. Le Gouvernement a choisi ce point médian que je crois juste et qui doit nous permettre d'avancer dans chacune des directions que j'évoquais tout à l'heure.
Reste un dernier point et j'en aurai terminé : après les dépenses et le déficit, j'en arrive aux recettes.
Bien sûr, le débat fiscal est toujours un débat fortement chargé de considérations politiques, et c'est normal car la fiscalité est l'un des grands instruments qui permettent à une politique de s'exprimer.
J'ai annoncé, avec Christian Sautter, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1998, que nous ouvririons au premier semestre trois chantiers fiscaux : le premier sur la fiscalité locale ; le deuxième sur la fiscalité du patrimoine et le troisième sur la fiscalité écologique.
Ces chantiers ont été ouverts par l'administration. Des travaux importants ont été conduits. Ils parviennent maintenant à une phase de concertation, à laquelle j'invite l'ensemble des participants à la vie démocratique ou économique de notre pays. Ces consultations ont d'ailleurs déjà commencé avec les forces politiques, avec les syndicats patronaux, ouvriers...
J'insiste sur ce point, car, à ma connaissance, c'est la première fois que, dans notre pays, un gouvernement, en matière fiscale, va décider certes seul ce qu'il entend proposer à sa majorité, mais après avoir écouté les opinions des différents partenaires. C'est là une forme de concertation qui est nouvelle et à laquelle j'espère que chacun se prêtera avec détermination. Certes, si les objectifs politiques sont différents, on ne peut aboutir aux mêmes mesures. Il est néanmoins utile d'écouter chacun à l'occasion non seulement d'un débat parlementaire, comme lors de la discussion à venir du projet de loi de finances, mais avant même la préparation de ce débat.
Les orientations du Gouvernement sont claires : trois principes doivent guider notre action en matière de fiscalité.
Le premier principe, c'est qu'on ne chamboule pas la fiscalité en une nuit pour dire au matin que la réforme fiscale est faite. Le thème du « grand soir fiscal » avec un grand dossier comprenant toute la réforme, avec un ruban rose, diront certains, rouge, diront d'autres, autour est un thème qui ne convient pas à la bonne marche de nos économies ni à celle de la démocratie.
Un projet fiscal doit être annoncé, se dérouler dans le temps, progressivement, et, surtout, assurer la stabilité des règles fiscales au moins pour une législature.
Lorsqu'un sujet a été traité, chacun peut estimer qu'il l'a été bien ou mal, chacun est évidemment libre de son opinion, mais il ne faut pas y revenir chaque année. L'instabilité des règles fiscales constitue pour les citoyens et plus encore pour les entreprises, une source d'incertitude qui nuit considérablement aux investissements, aux calculs économiques, que l'on ne peut faire que lorsqu'on sait quelles seront les règles fiscales des années qui viennent.
Il me semble donc de bonne politique fiscale que, pour une législature, lorsqu'une majorité a souhaité modifier un impôt dans tel ou tel sens, cette modification soit pérenne, quitte à ce qu'une autre majorité - c'est le jeu de la démocratie ! - le change plus tard.
Le deuxième principe, c'est que tout ce que nous devons faire doit servir l'emploi. Il n'y a pas aujourd'hui, je crois, un seul parlementaire qui récusera l'idée que le principal fléau dans notre pays, c'est le chômage, et que c'est donc bien l'emploi, avant tout, que nous devons servir. Toute réforme fiscale qui, d'une manière ou d'une autre, viendrait nuire à l'emploi serait, évidemment, contreproductive.
Le troisième principe, qui, évidemment, vient en parallèle avec l'emploi, c'est la justice. Or la fiscalité est, par essence, un instrument qui permet d'introduire plus de justice fiscale dans notre pays, et Dieu sait que c'est nécessaire.
C'est donc en tenant compte de ce balancement entre ce qui peut servir l'emploi et ce qui est nécessaire pour améliorer la justice fiscale que le Gouvernement fera des propositions sur des sujets sur lesquels, évidemment, il souhaite avant tout vous entendre, mesdames, messieurs les sénateurs.
Nous connaissons tous ici quelles sont les grandes composantes de notre fiscalité. Chacun voit donc, au travers de mes propos, quels sont les impôts qui peuvent éventuellement être en cause lorsqu'on veut agir pour l'emploi ou pour la solidarité et la justice.
Nous aurons donc des propositions à examiner ensemble ; mais je suis - et M. Christian Sautter avec moi - évidemment très désireux, avant même les consultations et la concertation que j'évoquais, d'entendre les remarques que vous voudrez bien faire à ce sujet.
Tel est donc le cadre de ce débat d'orientation budgétaire.
Je n'ai pas abordé les priorités et leur contenu, M. Christian Sautter le fera après moi.
Et puis, nous aurons toute cette journée pour entendre les observations des différents groupes représentés au Sénat et les remarques que voudront bien nous adresser les experts que tous vous êtes individuellement. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie vient de décrire l'orientation stratégique du Gouvernement en matière budgétaire.
Il a exposé que le budget de l'Etat doit, année après année, contribuer à rendre la croissance plus durable et plus forte, les créations d'emplois suffisamment nombreuses pour que le chômage recule continûment et massivement et, enfin, mieux assurer la solidarité de la nation aux plus faibles de nos concitoyens.
A sa suite, je ferai brièvement, tout d'abord, un bref retour sur le bilan budgétaire de l'année 1997, puis un point sur l'exécution budgétaire durant les premiers mois de l'année 1998 et, enfin, une analyse de la préparation du budget pour 1999, principalement du point de vue des dépenses, puisque M. Dominique Strauss-Kahn vient de préciser quelles étaient les grandes orientations du Gouvernement en ce qui concerne la réforme de la fiscalité.
J'aurai l'occasion de me référer au remarquable rapport de M. le rapporteur général, M. Lambert, dont la commission des finances a débattu sous l'autorité sagace de son président, M. Poncelet.
Je ferai d'abord brièvement le point sur l'exécution du budget de 1997, dont les deux lignes directrices étaient la réorientation et le rétablissement des finances publiques.
La réorientation des finances publiques a consisté à donner un coup de pouce à la consommation : 10 milliards de francs ont été engagés dès le mois de juillet, par le quadruplement de l'allocation de rentrée scolaire, l'aide permettant à tous les enfants de manger à la cantine, le démarrage des emplois-jeunes et la relance du logement social.
Permettez-moi à cet égard de formuler une critique à l'égard du rapport de M. Lambert : son analyse de la conjoncture de 1997 ne distingue pas suffisamment le premier semestre, qui a enregistré une croissance relativement « molle » et principalement tirée par la demande extérieure, et le second semestre, au cours duquel la reprise de l'investissement productif a contribué à équilibrer davantage notre croissance, à la rendre plus vertueuse et, comme l'a dit M. Strauss-Kahn, plus durable, puisque les exportations dépendent bien évidemment au premier chef de notre environnement international et que, du côté de l'Asie, sont apparus les nuages que vous savez.
S'agissant du rétablissement des finances publiques, vous vous souvenez que l'audit du mois de juillet dernier prévoyait un déficit de l'ensemble des finances publiques entre 3,5 % et 3,7 %. Or l'année s'est achevée avec un taux de 3 %. Les dépenses ont été contenues car les orientations que j'ai évoquées ont été entièrement gagées par des économies et les recettes fiscales ont été conformes aux attentes.
Le montant des recettes fiscales nettes s'élevait à 1 395 milliards de francs en loi de finances initiale. Elles ont été révisées à 1 403 milliards de francs dans le collectif pour atteindre, en exécution, 1 416 milliards de francs. Par rapport à la loi de finances initiale, on a donc enregistré une amélioration en exécution de l'ordre de 21 milliards de francs.
Ces bons résultats en ce qui concerne l'équilibre des finances publiques, principalement issus des mesures d'urgence dont le Sénat a débattu, ont apporté un surplus de recettes de l'ordre de 22,8 milliards de francs.
En ce qui concerne la TVA nette, qui avait été sous-estimée dans la loi de finances initiale, l'exécution s'est finalement faite à 5,9 milliards de francs au-dessus des prévisions. Une des raisons de ce résultat, sur laquelle je n'insiste pas, est l'amélioration du contrôle fiscal, auquel M. Dominique Strauss-Kahn et moi-même nous sommes attaqués, si je puis dire, dès notre arrivée au ministère.
En résumé, le budget de 1997 a remis la France sur la bonne trajectoire pour atteindre la cible de l'euro, ce qui n'était pas évident voilà un an. Il a manifesté la volonté du Gouvernement de s'engager dans une autre logique de développement fondée sur trois principes simples.
Le premier, c'est qu'une croissance est plus forte et plus durable si elle est tirée par une demande intérieure dynamique qui vient s'ajouter et non pas remplacer une demande extérieure qui, elle, est fluctuante.
Le deuxième principe, c'est que le chômage diminue - M. Dominique Strauss-Kahn a rappelé les chiffres : 156 000 chômeurs de moins depuis le mois d'août 1997 - si la croissance est plus forte et si son contenu en emplois est enrichi par des mesures telles que les emplois-jeunes et, bientôt, la réduction négociée du temps de travail.
Enfin, le troisième principe, qui traduit un changement de politique, est que la solidarité s'exerce en vers ceux qui en ont le plus besoin : les enfants qui ont faim, les familles qui supportent le plus le coût de la rentrée scolaire, les jeunes et les moins jeunes qui éprouvent des difficultés pour se loger.
Maintenant, je dirai quelques mots sur l'exécution du budget de 1998, qui se fait sans à-coups. De plus, la croissance, M. Strauss-Kahn l'a dit, est de 3 %.
A ce sujet, je souhaite dire au président de la commission des finances du Sénat, qui m'avait mis au défi de ne pas opérer de gels de dépenses publiques durant le premier trimestre de 1998, qu'en dehors du milliard de francs, qui a été entièrement gagé, à destination des chômeurs en situation de grande détresse, pour la première fois depuis 1990, l'Etat n'a pas eu recours à cette opération qu'il condamne à juste titre ; un gel des crédits bafoue en effet le vote parlementaire, à peine sèche l'encre du Journal officiel...
M. Denis Badré. Ce sont surtout les annulations qui sont condamnables !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le secrétaire d'Etat, me permettez-vous de vous interrompre un instant seulement.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je vous en prie, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, avec l'autorisation de M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez bien voulu reconnaître qu'il y avait déjà eu un milliard de francs de gels. Mais l'exercice n'est pas terminé, et j'aurai l'occasion de vous demander de nous fournir quelques explications sur l'avenir s'agissant précisément des crédits affectés à l'emploi.
M. Denis Badré. Très bien !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur Poncelet, je suis évidemment à votre disposition pour répondre à vos interrogations.
Je voulais simplement noter en passant que cette petite catastrophe budgétaire que vous anticipiez ne s'est pas produite et que cela dénote un changement de comportement par rapport aux années antérieures. Mais nous aurons l'occasion d'y revenir, semble-t-il.
J'en viens aux dépenses.
Les dépenses concernant la lutte contre l'exclusion seront financées par redéploiements budgétaires en 1998.
En ce qui concerne le coût de l'accord salarial, qui est légèrement supérieur aux sommes qui avaient été provisionnées dans la loi de finances initiale pour 1998, parce qu'un calendrier plus favorable aux salariés a été retenu lors des négociations, il sera en bonne partie couvert par les disponibilités qui existent traditionnellement sur les crédits de rémunération des divers ministères. Cela ne devrait donc déboucher que très marginalement sur des demandes de crédits nouveaux d'ici au collectif.
Du côté des recettes, sur lesquelles subsistent des interrogations, sachez que la France publie des situations mensuelles, ce qui est un acte de transparence démocratique qui n'est pas pratiqué dans tous les pays qui nous entourent. Si ces situations mensuelles montrent des rentrées supplémentaires de TVA sur les premiers mois de l'année, je tiens à souligner qu'il n'est pas possible aujourd'hui d'en tirer des conclusions pour l'ensemble de l'année.
Comme l'a dit M. Strauss-Kahn, la croissance est conforme aux prévisions. N'en déplaise aux sceptiques, elle est bien là. Il n'y a donc pas de raison qu'il y ait des recettes supplémentaires par rapport à celles qui étaient inscrites dans la loi de finances initiale.
La lutte contre la fraude fiscale continue certes à faire sentir ses effets. Mais la grève des services des impôts à la fin de l'année 1997 et au début de l'année 1998, et un certain nombre d'opérations techniques m'amènent à dire qu'il serait prématuré de conclure à des écarts significatifs et durables en matière de rentrées fiscales.
Par conséquent, je crois que l'on peut dire que, pour 1998, le plan de route budgétaire qui a été tracé par la loi de finances adoptée par le Parlement est suivi sans écart notable après cinq mois d'exécution.
Pour 1999 maintenant, je ferai un développement un peu plus détaillé, en m'inscrivant dans la ligne des grands choix exposés par M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
La progression des dépenses a été de 1 % en volume et de 2,2 % en francs courants. C'est beaucoup plus que ce que souhaitent les adeptes libéraux de la croissance zéro, c'est nettement moins que la progression de la richesse nationale, qui serait de 2,8 % plus 1,2 % d'inflation, soit 4 %.
A ce titre, dans le document qui vous a été transmis, un graphique montre que le poids des dépenses de l'Etat dans le PIB diminue notablement entre 1998 et 1999.
Par ailleurs, nous avons opté pour la réduction du déficit de l'Etat d'une vingtaine de milliards de francs avec - et j'y insiste parce que M. le rapporteur général y consacre de longs développements - le retour à un excédent budgétaire primaire. C'est la première fois, là aussi depuis 1990, que l'on réalise cette performance et, comme M. Strauss-Kahn l'a expliqué, nous ne nous arrêterons pas en si bon chemin.
Enfin, nous visons une stabilisation et, si possible, une réduction des prélèvements obligatoires en 1999.
Je voudrais maintenant montrer que ces grands choix permettent de conserver des marges de manoeuvre substantielles et plus importantes qu'en 1998 pour financer les priorités que les Français ont choisies lors des élections législatives qui se sont déroulées voilà plus d'un an.
Je voudrais par ailleurs, si vous le permettez, critiquer la logique que M. le rapporteur général a développée dans son rapport écrit, tout à fait remarquable dans la forme, mais peut-être moins sur le fond.
S'agissant du premier point, je souhaite développer un raisonnement qui est largement hypothétique. Nous ne savons pas encore, en effet, ce que sera l'année 1999, évidemmment, le Gouvernement n'a pas encore arrêté ses principaux choix budgétaires. Cela interviendra au mois de juillet prochain, en avance sur le calendirer normal, de façon que le Parlement dispose de plus de temps pour travailler, ce qui me paraît important et répond au souhait exprimé à la fois par l'Assemblée nationale et par le Sénat.
Partons de l'hypothèse plausible que les recettes fiscales suivent grosso modo l'évolution de la croissance, c'est-à-dire 2,8 % en volume et 1,2 % en prix, soit 4 % en valeur. Cela dégagerait, dans l'hypothèse très conventionnelle du même rendement des impôts, une masse de recettes supplémentaires située entre 50 milliards et 60 milliards de francs en 1999. La réduction du déficit - il a été question de 20 milliards de francs environ - en absorbera un tiers. Il resterait donc de 30 milliards à 40 milliards de francs de recettes nouvelles pour financer les grandes priorités du Gouvernement qui sont, vous le savez, l'emploi, l'éducation, la justice, la solidarité, la culture, l'environnement et la sécurité.
C'est un nombre limité de priorités sur lesquelles seront concentrés les moyens budgétaires nouveaux.
Un tiers de réduction du déficit, deux tiers de dépenses nouvelles sur les priorités gouvernementales, c'est là un premier exemple de l'équilibre dynamique de la démarche gouvernementale.
Si l'on ajoute à cela que le Gouvernement va faire le même effort que l'an dernier pour redéployer environ 20 milliards de francs de dépenses civiles de budgets moins prioritaires vers des budgets prioritaires, vous voyez que, là encore, nous avons réalisé un heureux équilibre, dynamique, entre les recettes apportées par la croissance et le redéploiement des dépenses de l'Etat.
Ce qui est important dans l'esprit du Gouvernement, c'est qu'il faut dépenser mieux, c'est-à-dire redéployer les moyens au sein de chaque ministère, en fonction des priorités ou des domaines les plus prioritaires. Il faut également réorienter les moyens selon la même logique, afin de respecter les trois priorités indiquées par M. Strauss-Kahn : la croissance, l'emploi et la solidarité.
Cela vaut pour les crédits de fonctionnement, pour les crédits d'équipement et aussi pour les emplois budgétaires, qui s'inscrivent, vous le savez, dans une perspective définie par M. le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, à savoir une stabilité du nombre des emplois civils : certains ministères auront des postes budgétaires en plus, d'autres auront des postes budgétaires en moins.
On constate là une différence de logique par rapport à ceux qui, à toute force - j'en connais certains au sein de la Haute Assemblée - voulaient dépenser moins parce que, dans leur esprit, toute dépense publique était nuisible. Le « dépenser plus » ne consiste pas à tout laisser en l'état et à ne réformer qu'en ajoutant des dispositifs aux dispositifs existants.
Je voudrais enfin m'intéresser à la logique développée, avec une certaine constance, par votre rapporteur général, qui prône une autre politique. Je la décrirai rapidement, certainement pas aussi bien qu'il le fera dans un instant.
Cette politique n'est peut-être pas dépourvue d'un certain nombre d'incohérences.
M. Lambert, et c'est son droit le plus strict, met sur un piédestal nostalgique la politique budgétaire mise en oeuvre par M. Juppé en 1997, politique qui visait à une progression des dépenses de l'Etat inférieure à la hausse des prix.
M. le rapporteur général, je dois rendre hommage à votre grande honnêteté : vous expliquez aussitôt que la vertu budgétaire que vous prêtez au budget pour 1997 n'est en fait qu'une apparence. Vous insistez sur le fait que, dans le projet de loi de finances initiales pour 1997, les dépenses civiles de personnel progressaient rapidement, de 2,8 % - ce qui n'est, je crois, pas conforme à vos voeux - que les crédits à l'emploi augmentaient très massivement, de 6,3 %, et que les dépenses d'investissement étaient sacrifiées, puisqu'elles marquaient une diminution de 6 %.
Je passe sur le fait, dont nous nous souvenons tous, que ce budget pour 1997, dans sa version initiale, n'était pas d'une sincérité parfaite, puisqu'il y avait eu un certain nombre de débudgétisations..., sans parler de la soulte de France Télécom, qui n'est peut-être pas renouvelable éternellement !
Pour 1999, vous formulez trois propositions.
Premièrement, vous proposez une action vigoureuse sur les dépenses de personnel et, dans votre esprit, il s'agit d'un arrêt de tout recrutement net dans la fonction publique. J'ai cru comprendre que cela voulait dire - mais peut-être ai-je mal interprété vos propos - que les 60 000 fonctionnaires qui vont partir à la retraite en 1999 ne seraient pas remplacés.
Il y a, certes, là une source d'économies, mais je me demande ce que la Haute Assemblée penserait si l'on suivait ces propositions téméraires de M. le rapporteur général, notamment en zone rurale. Combien d'instituteurs, combien de gendarmes, combien de percepteurs devraient laisser leur place à la jachère administrative !
La deuxième proposition formulée par M. le rapporteur général, pour qui j'ai un immense respect,...
M. Adrien Gouteyron. Ça se voit !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. ... est une réduction nette des aides à l'emploi.
Il est clair que la période de référence 1993-1997 n'est pas extraordinairement probante pour ce qui est de votre démonstration, mais on peut essayer de faire mieux que durant les quatre années écoulées.
Je crois surtout qu'en matière d'aides à l'emploi il y a entre nous une véritable différence politique : dans l'esprit du Gouvernement, les emplois-jeunes et la réduction négociée du temps de travail sont des dispositifs complémentaires dont les effets s'ajouteront aux effets bénéfiques d'une croissance durable pour accélérer le recul du chômage dans notre pays.
Si l'on vous suivait, monsieur le rapporteur général, combien de chômeurs supplémentaires compterions-nous ? C'est une vraie question que je soumets à la Haute Assemblée.
Par ailleurs, vous proposez, monsieur le rapporteur général, de préserver les missions régaliennes de l'Etat.
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Absolument !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. On ne peut qu'être d'accord avec vous sur le fait que les crédits des ministères de l'intérieur, de la justice, des affaires étrangères et de la défense méritent une protection particulière.
Mais, si l'on raisonne en creux, cela signifie a contrario que les missions non régaliennes de l'Etat, c'est-à-dire tout ce qui concerne la recherche, l'éducation, la culture et l'environnement, subiraient, si l'on suivait vos propositions courageuses, voire téméraires, le sort qui leur a été réservé entre 1993 et 1997. Or notre pays souffre encore des réductions des crédits destinés à la recherche, à la protection de l'environnement et à un certain nombre de budgets auxquels nos concitoyens sont tout à fait attachés.
M. Philippe Marini. Si le secrétaire d'Etat fait le discours du rapporteur général, il ne restera plus à ce dernier qu'à faire le discours du secrétaire d'Etat ! (Sourires.)
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Absolument !
J'aimerais - et j'en aurai bientôt terminé - aborder un dernier point, à propos duquel M. le rapporteur général a introduit peut-être une touche de paradoxe dans ses propositions.
M. Alain Lambert, rapporteur général. D'incohérence ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je n'oserais jamais parler d'incohérence à votre propos, monsieur le rapporteur général !
M. Alain Lambert, rapporteur général. C'est déjà fait !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le paradoxe est le suivant : vous plaidez - et je sens que vous rencontrerez un écho important dans la Haute assemblée - pour que l'Etat majore ses transferts en direction des collectivités locales.
Il s'agit, à l'évidence, d'une mission qui n'est pas régalienne et cela n'entre donc pas tout à fait, me semble-t-il, dans la logique que vous avez développée antérieurement. Comment peut-on accroître massivement, comme vous le souhaitez, les transferts de l'Etat vers les collectivités locales en préconisant en même temps une stabilité en francs courants, voire une diminution, des dépenses de l'Etat dans leur ensemble ?
Vous souhaitez aussi que l'Etat continue à prendre en charge une part constante, voire croissante, de la fiscalité locale. Je rappelle que, pour la seule taxe professionnelle - et je cite votre excellent rapport -, l'Etat a payé 39 milliards de francs en 1992 et 57 milliards de francs en 1997.
J'ai quelque difficulté - mais c'est certainement dû à mon inexpérience ! - à concilier la sollicitude que vous manifestez à l'égard des collectivités locales en souhaitant que l'Etat leur apporte toujours plus,...
M. Alain Lambert, rapporteur général. ... qu'on cesse d'augmenter leurs charges !
M. Michel Mercier. Oui, qu'on arrête d'augmenter leurs charges !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. ... avec votre souhait que l'Etat vive à la portion congrue !
M. Paul Masson. C'est de la caricature !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. J'évoquerai rapidement, en conclusion, deux points : d'abord l'Europe ; ensuite, la perspective à long terme. Ce sera une conclusion dans l'espace et dans le temps !
Sur l'Europe, il est clair que notre stratégie budgétaire s'inscrit dans un cadre européen. Le conseil de l'euro s'est réuni pour la première fois et je voudrais dire devant la Haute Assemblée qu'il serait important que le budget de l'Europe, auquel la France apporte une contribution importante,...
M. Denis Badré. Qu'on augmente moins le budget de l'Europe !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. ... suive les mêmes sages préceptes que ceux que l'on applique en France. Or, vous savez qu'il y a pour 1999 un risque budgétaire européen tout à fait sensible.
M. Denis Badré. Il faut refuser le budget rectificatif !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, avec l'autorisation de M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il n'est pas dans mes habitudes d'interrompre M. le secrétaire d'Etat lorsqu'il intervient dans cette enceinte. Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, depuis quelques instants tout au moins, vous semblez donner des leçons de vertu, de vertu budgétaire.
Je me suis fait communiquer quelques chiffres pour savoir comment, lorsque vous étiez aux responsabilités, vous vous comportiez en matière de rigueur budgétaire. Je vais donc me permettre de vous rafraîchir un peu la mémoire, au cas où elle aurait quelques défaillances, monsieur le secrétaire d'Etat.
Pour 1991, le Gouvernement avait prévu un déficit de 81 milliards de francs : le budget a été exécuté en déficit réel à 133 milliards de francs. Pour 1992, le Gouvernement a fait mieux : il prévoyait un déficit de 91 milliards de francs, le budget a été réalisé en déficit à 236 milliards de francs.
Quand on parle de sincérité et de cohérence - tout au moins est-ce mon sentiment - il faut savoir de quoi on parle !
Je vais simplement prendre comme exemple le budget de 1993. Il avait été prévu un déficit - écoutez bien ! - de 183 milliards de francs : le budget a été exécuté avec un déficit de 345 milliards de francs ! Un tel déficit a été un handicap pour le gouvernement qui a succédé à celui de 1993, la majorité de l'époque ayant été sévèrement sanctionnée par le pays, qui était bien conscient de la dérive budgétaire.
Par ailleurs, quand on commence un septennat en annonçant qu'il est excessif et insupportable d'avoir un million de chômeurs et qu'on le termine avec trois millions de chômeurs, il faut être modéré dans la critique à l'égard des autres ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. le président. Poursuivez, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, je voulais simplement dire que personne n'a le monopole de la vertu budgétaire...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Merci !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. ... et limiter mon intervention à ce point.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Dont acte !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je terminerai, monsieur Poncelet, en soulignant un point commun entre M. le rapporteur général et le Gouvernement, à savoir le souci du long terme.
Dans le rapport d'orientation budgétaire, sont mentionnés pour la première fois des éléments d'information pluriannuelle qui posent, notamment, la question - question que l'on pose à froid pour l'instant - de l'avenir des régimes de retraite.
Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, sur ce sujet de préoccupation, le Gouvernement a le souci de traiter le problème dans la durée, et le Commissariat général du plan éclairera les choix d'avenir sur cette question tout à fait essentielle.
Voilà ce que je voulais dire en introduction à ce débat. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini. Il va faire le discours du ministre !
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, délivrer la France des contraintes qui pèsent sur elle et sur son avenir, alléger le poids des handicaps qui grèvent ses finances publiques, tel est l'enjeu du débat d'orientation budgétaire qui s'ouvre ce matin devant le Sénat.
Vous poursuivez ainsi opportunément, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, la démarche engagée, en 1996, par le précédent gouvernement pour préparer le budget de 1997. Le président Poncelet appelait depuis longtemps de ses voeux la tenue d'un tel débat, et c'est donc un motif de satisfaction de voir celui-ci s'ancrer désormais dans notre tradition républicaine.
M. Philippe de Bourgoing. Très bien !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Même s'il relève des prérogatives constitutionnelles et organiques du Gouvernement de bâtir un projet de loi de finances et un projet de loi de financement de la sécurité sociale, il est utile que le dialogue se noue avec le Parlement avant l'envoi des lettres plafonds et avant les arbitrages fiscaux qui interviendront à la fin du mois de juillet.
En fait de débat d'orientation budgétaire, nous tiendrons plutôt ce matin un débat prospectif sur l'ensemble des finances publiques. En effet, d'une part, nos engagements européens ne portent pas sur les finances du seul Etat, mais aussi sur celles de la sécurité sociale et des collectivités locales ; d'autre part, le contribuable fiscal, le contribuable local et le contribuable social ne forment qu'une seule personne vers laquelle convergent de plus en plus de prélèvements.
Pour donner plus de clarté à nos travaux, le président Christian Poncelet reviendra plus particulièrement sur les questions de finances locales, Jacques Oudin s'exprimant sur le financement de la sécurité sociale.
Vous vous êtes tout à l'heure posé la question de savoir, messieurs les ministres, si je saurais reconnaître vos mérites. Je ne voudrais pas gâcher votre plaisir et, certainement, je vais souligner certains mérites du Gouvernement.
Depuis la nomination du Gouvernement actuel, la situation économique s'est améliorée.
La croissance a atteint 2,5 % en 1997 ; elle n'était que de 1,2 % en 1996, et les prévisions officielles retiennent 3 % pour 1998.
L'emploi progresse et, surtout, le chômage commence à refluer puisque l'on compte 156 000 chômeurs de moins entre octobre et avril 1997. Le taux de chômage a décru de 12,5 % de la population active en juillet 1997 à 11,9 % en avril 1998.
M. René Régnault. C'est bien !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Ces mérites sont d'autant plus grands que notre Gouvernement a obtenu des résultats similaires et parfois même meilleurs à l'étranger !
En Belgique, le chômage a reflué de 9,3 % en août 1997 à 7,3 % en mars dernier ; au Danemark, il a décru de 8,1 % en mai 1997 à 6,9 % en avril 1998 ; en Irlande, il est passé de 10,3 % en juin 1997 à 9,4 % en avril 1998. La Suède a connu une amélioration spectaculaire de sa situation de l'emploi depuis les élections législatives françaises, le taux de chômage passant de 9,1 % en juin 1997 à 6,4 % en mars 1998.
L'Italie a vu son chômage se réduire de 60 000 personnes au premier trimestre. Même l'Allemagne, dont la situation n'a cessé de se dégrader jusqu'à la fin de 1997, a vu, depuis, son chômage commencer à refluer. Son taux de croissance est sur un rythme annuel de 3 %.
Bref, depuis l'installation du nouveau Gouvernement, le chômage a reculé dans toute l'Union européenne. Il avait atteint 10,7 % en juin 1997, il n'est plus que de 10,3 % en mars 1998.
Faut-il y voir une coïncidence ou les bienfaits de l'influence de notre Gouvernement sur l'Union européenne ? Je vous laisse répondre à cette question. Mais je tiens à vous dire que votre influence pourrait même devenir planétaire si vous parveniez à retourner la conjoncture, comme vous en avez le secret, en Asie du Sud-Est et au Japon !
Chacun l'aura compris, je ne crois pas que le Gouvernement - pas plus celui-ci que tous les autres - ait une quelconque capacité à améliorer la situation économique d'un pays et à retourner la conjoncture. Le destin de notre pays est lié à celui du reste de l'Union européenne par quarante ans de volonté politique. Lorsque la situation est mauvaise, les gouvernements incriminent « l'héritage » et l'environnement international. Lorsqu'elle est bonne, ils s'en attribuent le mérite. Nos gouvernants devraient se laisser gagner par l'humilité en reconnaissant devant la nation que la conjoncture est une donnée, dont la politique budgétaire doit tirer le meilleur parti mais qu'elle ne peut plus réellement influencer.
Nous ne devons plus laisser croire aux Français que la politique économique nationale peut infléchir sensiblement la conjoncture alors que ce n'est plus vrai depuis longtemps. Les désillusions sont trop fréquentes et trop lourdes de conséquences. Elles alimentent le doute des Français à l'endroit de la politique. Aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, convient-il d'être prudent.
Or le Gouvernement ne témoigne pas d'une prudence exemplaire. Bien qu'il s'en défende, il continue pour 1999, me semble-t-il, de négliger les effets de la crise financière asiatique, qui est pourtant, chacun le reconnaît, d'une particulière gravité. Le Japon est entré en récession au premier trimestre de 1998, pour la première fois en vingt-trois ans.
Si je souhaite, comme chacun de vous, que cette crise ait peu d'effet sur l'Union européenne, il me paraîtrait sage cependant d'en tenir compte dans les prévisions de croissance et de plus-values fiscales pour 1999.
Le Gouvernement les affecte allègrement alors qu'elles ne sont encore qu'hypothétiques. Ne vaudrait-il pas mieux être trop prudent aujourd'hui et jouir ensuite de bonnes surprises, que se trouver demain devant une impasse financière, comme ce fut le cas en 1992 et 1993, ainsi que M. Poncelet nous l'a rappelé tout à l'heure ?
Je souhaite naturellement que l'avènement de l'euro ouvre en Europe, et donc en France, une longue période de prospérité. Mais les incertitudes conjoncturelles demeurent ; elles exigent une gestion précautionneuse de nos finances publiques, car cette gestion reste sous très fortes contraintes, malgré notre qualification pour l'euro.
Mes chers collègues, je résumerai ces contraintes sous la forme de trois propositions : un impératif, réduire les déficits publics ; une nécessité, réduire les dépenses publiques et un objectif, réduire les prélèvements obligatoires.
J'ai qualifié ces trois propositions de contraintes, car je ne souhaite pas leur donner de connotation idéologique.
La réduction de la place de l'Etat dans l'économie n'est pas un dogme pour nous ; elle est simplement rendue nécessaire en France par l'hypertrophie de cette place : plus de 58 % de dette publique dans le produit intérieur brut, des dépenses à 55 %, des prélèvements obligatoires à plus de 46 %. Nous avons atteint des niveaux d'intervention publique qui posent un vrai choix de société.
J'observe d'ailleurs que le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale commencent à partager cette analyse. Pourtant, ce que vous proposez, monsieur le secrétaire d'Etat, au nom du Gouvernement, n'est pas conforme à ces trois propositions. J'aurai l'occasion de le montrer.
Si l'impératif de réduction des déficits publics nous est prescrit par nos engagements européens, il l'est plus encore par notre situation interne.
Certes, nous sommes libérés de ce que certains appellent « l'obsession des 3 % ». Mais, contrairement à l'interprétation qui peut être faite de ces propos, la qualification pour l'euro ne nous rend pas toute latitude dans nos choix budgétaires. Le Gouvernement a adhéré au pacte de stabilité et de croissance à Amsterdam en juin 1997, leque prévoit, pour les pays ayant adopté la monnaie unique, un objectif « d'équilibre ou d'excédent à moyen terme ». Finis donc les 3 %. La prochaine étape, dans trois à cinq ans, c'est 0 % !
Toutefois, mes chers collègues, même si cet engagement européen n'avait pas été pris, il conviendrait que nous le prenions vis-à-vis de nous-mêmes. En effet, le niveau atteint par la dette publique dévore chaque année en intérêts 20 % des recettes fiscales. Notre devoir absolu est de faire refluer cette dette, ce qui exige de dégager un excédent primaire des administrations publiques, c'est-à-dire un excédent hors charges de la dette.
Le Gouvernement partage cette analyse et ces objectifs. Pourtant, il ne propose pas de faire refluer la dette publique dès 1999 alors que ses hypothèses de croissance le lui permettraient.
Avec 2,3 % du PIB, il se fixe un objectif de réduction du déficit des administrations publiques insuffisant pour stabiliser la dette : 2,2 % auraient été nécessaires, moins encore, monsieur le secrétaire d'Etat, si vous aviez voulu faire refluer la dette.
Vous faites reposer votre objectif de 2,3 % sur les excédents qui seront dégagés par les administrations publiques autres que l'Etat, en particulier les collectivités locales et la sécurité sociale.
Au fond, le Gouvernement ne fixe à l'Etat qu'un objectif de déficit de 2,7 %. Il s'autorise en quelque sorte la facilité et il assigne la rigueur et la vertu aux autres ; je pense en particulier aux collectivités locales. Il a pourtant, me semble-t-il, moins de prise sur la situation des autres administrations publiques que sur la sienne propre.
En réalité, mes chers collègues, le Gouvernement n'entreprend pas une politique volontariste de réduction des déficits.
Sur les onze pays de la zone euro, il affiche l'objectif le plus mauvais, l'Allemagne et l'Autriche faisant mieux avec 2,2 %. L'objectif du Gouvernement français n'est, d'ailleurs, que la traduction des décisions déjà prises, fin 1997, en matière sociale : je pense à l'accord salarial dans la fonction publique, aux emplois-jeunes, aux trente-cinq heures, à la loi sur les exclusions. La direction de la prévision a simplement intégré les effets de ces décisions. Loin d'être un objectif ou une orientation budgétaire, il ne s'agit, en fait, que de la constatation de la politique décidée en 1997.
Le Gouvernement ne propose donc pas une réduction suffisante des déficits publics. Il propose, au contraire, d'affecter une part de la croissance espérée des recettes à une augmentation des dépenses publiques de 1 % en termes réels.
Pourtant, je continue de croire, après vous avoir écouté avec beaucoup d'attention, monsieur le secrétaire d'Etat, que la réduction des dépenses publiques est une nécessité, et je souhaite que le Sénat veuille bien confirmer cette orientation.
Je rappelle que cette affirmation n'est pas contingente ; ce n'est pas une question de circonstances ; elle n'est pas liée au gouvernement en fonction. Permettez-moi de citer le rapport élaboré par la commission des finances pour le débat d'orientation budgétaire d'il y a deux ans : « C'est une diminution sans précédent de la dépense publique qui devra s'opérer à partir de 1997. »
Mes chers collègues, il nous faut admettre que, depuis le début des années soixante-dix, la dégradation de l'emploi est allée de pair avec l'augmentation de la part des dépenses publiques dans la richesse nationale.
Nous disposons maintenant d'un recul de plus de vingt-cinq ans qui montre que l'intervention publique n'a jamais réussi à faire refluer durablement le chômage. Pourtant, le Gouvernement persiste à emprunter cette voie.
Bien sûr, la réduction des déficits pourrait résulter d'une augmentation des recettes. Mais celles-ci sont un levier qu'il n'est plus raisonnable d'utiliser : d'une part, l'augmentation des prélèvements obligatoires a un effet de plus en plus incertain sur le niveau des recettes ; d'autre part, le niveau de ces prélèvements a dépassé l'acceptable. Nous le disions déjà en 1996 : « Le poids des prélèvements obligatoires - 45 % à l'époque - exclut de solliciter à nouveau les recettes fiscales. »
Là encore, dans son discours, le Gouvernement paraît nous rejoindre. Mais il y a loin du discours aux actes, car c'est bien sur un surcroît de recettes - 50 milliards à 60 milliards de francs - qu'il compte pour boucler le budget pour 1999 d'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, prévoit que, si cette tendance devait se poursuivre, les prélèvements atteindraient 47 % du produit intérieur brut en 2005.
Par conséquent, si je recommande au Sénat, au nom de la commission des finances, de continuer à préconiser une réduction des dépenses publiques, comme je le fais depuis 1996, ce n'est naturellement pas par hostilité au service public, ce n'est sûrement pas par hostilité à l'Etat ou à la protection sociale, mais parce que c'est la seule option possible pour faire refluer la dette publique de façon significative.
Ce constat étant dressé, les difficultés commencent. En effet - nous l'avons observé et vécu lors du débat sur le projet de loi de finances pour 1998 - s'il est aisé de se convaincre du bien-fondé d'une baisse des dépenses publiques en général, l'arbitrage entre les réductions à opérer est un art difficile dès que l'on entre dans les détails.
Je préconise donc - vous avez un peu ironisé sur le sujet tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat - la méthode du gel des dépenses, qui est d'ailleurs celle que le ministre des finances demande d'appliquer aux ministres dépensiers, en préalable aux arbitrages budgétaires.
M. Philippe Marini. C'est un discours responsable de ministre !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Cette méthode a fonctionné, quoi que vous en disiez, en 1997 : le gouvernement d'alors avait proposé une reconduction des dépenses de 1996 en valeur et, pour la première fois, il en est résulté une stabilité des dépenses de l'Etat en termes réels.
En outre, je préconise de commencer à s'attaquer aux composantes les plus rigides de la dépense publique, car la réussite suppose une action opiniâtre, durable et courageuse. Il s'agit en particulier des dépenses de la fonction publique : il est urgent et nécessaire d'engager un mouvement progressif de réduction des effectifs du secteur public...
M. Marc Massion. Dans quelles administrations ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. ... et une réforme des régimes de retraite de ce même secteur. Je vise aussi les dépenses d'intervention en faveur de l'emploi, car les pays qui ont le mieux réussi dans ce domaine sont aussi ceux qui ont fait l'effort le plus significatif sur les dépenses.
Là encore, bien que le Gouvernement déplore la rigidité croissante des dépenses, il l'accentue en augmentant sensiblement les charges de personnel et les interventions publiques pour l'emploi, notamment par la création d'emplois publics. Mais à quoi sert-il de créer toujours plus d'emplois publics lorsque, pour faire des économies, l'Etat doit chaque année réduire les moyens dont disposent les fonctionnaires pour accomplir leurs missions ?
Cette attitude est imprévoyante, et le Gouvernement semble découvrir maintenant que les charges liées aux retraites publiques seront bientôt une source majeure d'augmentation des dépenses.
Cette attitude est également contradictoire, car le Gouvernement prévoit de stabiliser les effectifs de la fonction publique pour réserver, semble-t-il, des crédits aux emplois-jeunes et au relèvement des salaires. Que souhaitez-vous réellement, monsieur le secrétaire d'Etat ? S'agit-il de précariser l'emploi public ? Ou bien s'agit-il d'augmenter la rigidité des dépenses par une embauche massive de futurs fonctionnaires ? Nous voudrions le savoir.
Inversement, il serait nécessaire d'interrompre le reflux des dépenses d'équipement public.
Tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez en quelque sorte ouvert un procès en sorcellerie sur la réduction des dépenses en laissant croire que je trouvais toute dépense mauvaise. (M. le secrétaire d'Etat fait un signe de dénégation.)
Mais non ! il y a de bonnes dépenses : les dépenses d'investissement sont excellentes, et je regrette vivement qu'elles régressent.
Le pari engagé par le Gouvernement sur l'excédent des collectivités locales est risqué.
L'accord salarial dans la fonction publique va alourdir les charges des collectivités locales.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. De 1,5 milliard de francs !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Tout à fait !
Or elles sont déjà contraintes de faire porter leurs efforts d'assainissement sur la réduction de leurs investissements, lesquels ont pourtant atteint un plancher.
La commission des finances propose, quant à elle, la préservation des crédits régaliens, et je parle là sous le contrôle de M. Christian Bonnet, qui est très attaché à ce que nous affirmions clairement notre volonté politique en la matière. (M. Bonnet opine.)
Préserver les crédits régaliens, c'est préserver les missions fondamentales de l'Etat : la sécurité, la justice, la diplomatie et la défense. Tout dans notre vie sociale montre que ce sont là les vraies missions de l'Etat. Protéger la liberté des citoyens, voilà le devoir de l'Etat.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous me demandiez tout à l'heure où nous pourrions trouver des économies. Ne croyez-vous pas que l'Etat devrait cesser de s'égarer dans des activités de banquier, d'assureur, de transporteur, au prix d'une réduction des moyens qui lui sont nécessaires pour qu'il puisse assumer ses missions régaliennes, lesquelles se trouvent ainsi sacrifiées ?
Enfin, notre objectif doit être celui de la réduction des prélèvements obligatoires. Toutefois, je continue de poser en préalable la réduction des déficits et celle des dépenses publiques, car la réduction des prélèvements obligatoires ne doit pas entraîner un alourdissement supplémentaire de la dette publique. Ce serait une faute contre le principe de bonne gestion et, pis encore, une faute à l'endroit de nos enfants.
De ce point de vue, je trouve le discours majoritaire peu cohérent : il appelle à une réduction des impôts et des cotisations, sans effort corrélatif sur les dépenses. Parfois, mais fort rarement, les circonstances économiques permettent, c'est vrai, de mener de front réduction des déficits et réduction des impôts sans réduction des dépenses. Cependant, le plus souvent, c'est une dangereuse illusion, car au premier retournement de conjoncture l'impôt et l'emprunt s'envolent.
Dès lors qu'une démarche nette sera engagée pour réduire les dépenses, le déficit et la dette publics, il deviendra possible de s'engager résolument sur la voie de l'allégement des prélèvements obligatoires.
Le Gouvernement l'affirme aujourd'hui mais, une fois encore, il est en contradiction avec lui-même, car c'est lui qui a décidé d'alourdir les prélèvements obligatoires sur les entreprises par la loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier. Or l'exécution du budget de 1997 montre que l'augmentation de l'impôt sur les sociétés n'était pas nécessaire pour que les recouvrements de recettes soient conformes aux prévisions.
De même, en 1998, le Gouvernement a choisi de ne pas maintenir l'allégement de l'impôt sur le revenu. Il a préféré engager des dépenses nouvelles pour la fonction publique. Et, pour boucler le budget pour 1999, il compte sur un surcroît de recettes.
Quelles doivent être les priorités en matière de réduction de nos prélèvements obligatoires ? J'en citerai trois.
La première est de réduire les charges sociales pesant sur le travail, en particulier sur les bas salaires. Le passé récent nous a montré que ce combat de Sisyphe consistant à dépenser toujours plus pour l'emploi et à prélever toujours plus sur les salaires nous a placés parmi les Européens les moins performants aussi bien sur le front du chômage que sur celui des finances publiques.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Exact !
M. Alain Lambert, rapporteur général. On m'a objecté et on m'objectera encore que les allégements de charges n'ont pas permis de créer des emplois. Mais les allégements ponctuels ne doivent pas non plus masquer la tendance longue à l'alourdissement des prélèvements.
La deuxième priorité est de reprendre le processus de réforme de l'impôt sur le revenu engagé par le gouvernement précédent.
La troisième priorité est d'alléger la fiscalité de l'épargne et du patrimoine, des ménages comme des entreprises. Dans la course à l'attractivité fiscale, nous ne somme pas compétitifs. Cette situation nous fait perdre des cerveaux, de l'activité et des emplois. Il convient donc d'y remédier au plus vite.
Le Gouvernement commence, semble-t-il, à en prendre conscience. Mais que pourra-t-il faire s'il ne s'engage pas dans la voie d'une réduction de la dépense publique ? Il ne pourra rien faire et, comme le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie l'a dit à l'Assemblée nationale « les prélèvements décroîtront... si la croissance le permet ».
Au fond, comme le Gouvernement, la commission des finances du Sénat vous propose, mes chers collègues, de faire vôtres les objectifs de diminution des déficits et des prélèvements obligatoires. Mais, au contraire du Gouvernement, elle suggère, pour y parvenir, de mener une politique affirmée de maîtrise des dépenses publiques. C'est de cette manière, et de cette manière seulement, que notre pays pourra résorber sa dette publique, faire face aux charges de l'avenir et éviter ainsi de compromettre l'avenir de nos enfants.
Vous avez tout à l'heure souhaité, monsieur le secrétaire d'Etat, dégager un point de consensus, et je suis sensible à ce souci. Je crois que cet objectif de réduction rapide de notre dette peut être partagé sur toutes les travées de cette assemblée, car nul d'entre nous ne voudrait qu'il puisse être dit que la France de notre génération n'a pas aimé ses enfants ou, pis, qu'elle a joué contre ses enfants. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Avec l'accord de M. le président de la commission des finances, la parole est à M. le président de la commission des affaires économiques.
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais d'abord dire au président Poncelet combien j'apprécie son geste de courtoisie : une obligation familiale impérative me contraint à prendre un avion dans quelques minutes, et il a bien voulu me permettre de parler avant lui. C'est une situation à laquelle je ne connais pas de précédent ; je suis donc particulièrement sensible à son geste.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le débat sur les orientations budgétaires a un immense mérite, celui de mettre en évidence les grands choix qui sous-tendent toute politique.
Ceux que vous nous proposez sont, pour simplifier, de deux ordres : d'une part, un choix en faveur de la monnaie unique, auquel la quasi-unanimité de la commission des affaires économiques souscrit ; d'autre part, un choix en faveur de la dépense publique, que la majorité de la commission regrette parce qu'il lui paraît contradictoire avec le premier, en opposition avec les exigences que la monnaie unique porte en elle.
S'agissant tout d'abord de la monnaie unique, si les polémiques que l'euro a longtemps suscitées ont, pour l'essentiel, cessé, c'est parce que son impact sur l'économie s'avère dès aujourd'hui, avant même qu'il soit mis en circulation hautement positif.
En vérité, sa contribution est triple.
L'euro apporte à l'Europe la stabilité monétaire dans un environnement international caractérisé par la volatilité des taux de change, notamment en Asie.
L'euro a ouvert la voie à des taux d'intérêt qui ne sont pas seulement les plus bas de la planète, à l'exception du Japon, - un pays qui connaît au demeurant une situation très particulière - mais aussi les plus bas que notre continent ait connu depuis la Seconde Guerre mondiale.
L'euro confère enfin à l'Europe une attractivité nouvelle aux yeux des investisseurs internationaux.
Souvenons-nous : on dénonçait hier la réduction à marche forcée des déficits budgétaires, qui était censée engendrer déflation et chômage. Or on constate qu'en cette fin de siècle c'est au contraire, en Europe et dans le reste du monde, l'assainissement des finances publiques qui est porteur de croissance et d'emploi.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Très juste !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques. Le retournement de conjoncture dont vous bénéficiez, monsieur le secrétaire d'Etat, doit beaucoup au choix de l'euro fait par la France depuis Maastricht. En annonçant un déficit ramené de 3 % à 2,3 % du PIB en 1999, vous vous inscrivez - et c'est un fait heureux - dans cette continuité ; nous vous en donnons acte.
Mais on se tromperait gravement, mes chers collègues, en ne voyant dans la monnaie unique qu'un simple carcan budgétaire. L'euro est beaucoup plus que cela. Il ouvre en Europe une ère nouvelle de transparence économique et donc de concurrence, à laquelle non seulement les entreprises mais aussi l'Etat doivent se préparer.
Cela m'amène évidemment à votre deuxième choix, monsieur le secrétaire d'Etat, en faveur de la dépense publique. Bien que je ne fasse pas partie de ceux que vous décrivez comme des libéraux partisans de la croissance zéro - vous me permettrez de ne pas m'inscrire dans cette cohorte - il n'en demeure pas moins que, à mes yeux, votre choix en faveur de la défense publique ne prépare pas la France à la concurrence européenne de demain.
La croissance de l'économie amènera avec elle, si tout va bien, entre 50 milliards et 60 milliards de francs de recettes budgétaires supplémentaires. Vous proposez d'en consacrer un tiers à la réduction du déficit et deux tiers à l'accroissement de la dépense publique. Tout en observant que la dette publique est énorme - je cite M. Strauss-Kahn s'adressant à l'Assemblée nationale -, vous proposez de l'augmenter de 10 milliards de francs en 1999.
La dépense publique est souvent nécessaire - on évoquait à l'instant les dépenses régaliennes - et productive, j'en conviens. Mais où est la priorité quand les dépenses de l'Etat ajoutées aux dépenses sociales représentent - c'est le gouverneur de la Banque de France qui l'affirme - 54,1 % du PIB, contre 48,2 % en moyenne dans les pays européens ?
Où est la priorité quand le niveau de la fiscalité pousse une partie de nos élites à s'expatrier ?
Quand comprendra-t-on que l'impôt détruit plus d'emplois dans l'ensemble de l'économie qu'il n'en crée ponctuellement à travers les programmes qu'il permet de financer ?
Chacun d'entre nous le constate quotidiennement dans son département, un nombre considérable de petites et de très petites entreprises qui pourraient embaucher y renoncent, parce que, à force de réglementations et de charges, on les en dissuade ou, pour être plus exact, on les en dégoûte. Nous sommes tous depuis des années responsables de cet état de choses, c'est vrai. Raison de plus pour, ensemble, changer radicalement de cap.
Et que dire de la création d'entreprises, dont on voit, notamment aux Etats-Unis, qu'elle est le moteur de l'innovation et de la croissance mais qui, en France, ne bénéficie, pour l'essentiel, que de bonnes paroles dans les discours du dimanche ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le choix européen est un choix fondamental.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est exact !
M. Jean-François Poncet, président de la commission des affaires économiques. De deux choses l'une : ou bien nous en tirerons les conséquences fiscales, sociales, administratives et universitaires qu'il implique, et la France surprendra l'Europe par la vigueur de sa croissance et la force de son dynamisme ; ou bien, tout en ayant fait le choix européen, nous nous replierons sur ce que nous appelons avec fatuité « l'exception française », qui n'est, le plus souvent, rien d'autre que le retard français, et nous mettrons tôt ou tard, par notre incapacité à nous adapter, la construction européenne elle-même en danger. Car il n'y aura d'Europe unie qu'avec une France forte et compétitive ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le débat sur les orientations budgétaires pour l'exercice 1999 est notre quatrième rendez-vous de l'année avec le ministre de l'économie et des finances. Je n'ai pas comptabilisé les rendez-vous que nous avons eus avec vous, monsieur le secrétaire d'Etat, car nous avons l'habitude de vous recevoir ; vous répondez d'ailleurs toujours aux invitations que nous vous adressons.
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a fait savoir, voilà un instant, qu'il nous consacrerait sa journée. Je m'en réjouis et je l'en remercie, sachant combien est particulièrement chargé son emploi du temps. Je considère que sa présence (Sourires) marque tout l'intérêt qu'il porte, comme vous-même, au débat d'orientation budgétaire, qui est une initiative sénatoriale. Nous avions regretté que, l'an dernier, ce débat n'ait pas eu lieu.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Ce n'est pas de notre fait !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Après avoir manifesté notre très large soutien à la mise en oeuvre de l'euro, modifié les statuts de la Banque de France et débattu du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, nous allons poursuivre ensemble notre réflexion sur la politique économique de notre pays.
Je ne reviendrai pas sur l'excellente intervention de notre rapporteur général, qui a très bien décrit la stratégie budgétaire que propose la commission des finances, une stratégie, je le rappelle, qui n'a pas à être « corrigée des variations politiques saisonnières » (sourires.), puisqu'elle est restée constante depuis de nombreuses années. Vous l'avez fort justement rappelé, monsieur le rapporteur général. La position du Sénat, en ce domaine, n'a pas varié, quels que soient les gouvernements en place.
Cette stratégie, je le souligne aussi, est très largement partagée par les experts français et internationaux. Je n'en donnerai qu'un seul exemple, celui de l'urgente nécessité de la maîtrise de la dépense publique, qui vient de faire l'objet de quelques controverses, voilà un instant.
J'observe d'ailleurs que, si M. le ministre de l'économie se plaît à citer régulièrement certains chiffres tirés de l'audit réalisé l'an dernier, au moment de l'installation du Gouvernement, par MM. Bonnet et Nasse, magistrats de la Cour des comptes, il ne reprend pas à son compte les conclusions de fond de l'audit. Je devine que les contraintes inhérentes à la majorité plurielle, dont nous avons eu quelques exemples tout récemment dans une autre assemblée, ainsi que les promesses électorales récentes brident certainement le ministre de l'économie, qui, j'en suis persuadé, serait sans doute tenté d'emprunter sa pente naturelle de réduction des dépenses publiques, si j'en juge à ses déclarations antérieures.
Mais que lit-on dans ce rapport d'audit des deux magistrats de la Cour des comptes ? Tout simplement ceci : « Agir sur la dépense est le seul moyen de réduire les déficits sans accroître des prélèvements obligatoires déjà très lourds. » Et, plus loin : « Une maîtrise prolongée de la dépense publique impose un réexamen en profondeur des missions de l'Etat. »
Autrement dit, la question est posée de savoir si l'Etat va demeurer dans le secteur concurrentiel ?
Je pourrais également me référer à mon tour au Conseil de la politique monétaire : « Un effort important de maîtrise des dépenses doit être poursuivi. »
Le Gouvernement ne souhaite pas tenir compte de ces recommandations, pourtant inspirées par la sagesse et le bon sens d'experts nationaux et internationaux. C'est son droit, mais il en portera la responsabilité et il montrera peut-être qu'il a des défaillances de mémoire. En effet, dès demain, sinon dès aujourd'hui, les manuels d'histoire budgétaire retiendront comme question de cours les conséquences désastreuses de la politique de « réhabilitation de la dépense publique », comme on la baptisait à l'époque, conduite par M. Michel Rocard, alors Premier ministre.
M. Michel Charasse. Puis par M. Balladur !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Et si un sursaut ne s'opère pas à bref délai, ils ajouteront un chapitre supplémentaire consacré, cette fois, aux erreurs de la politique budgétaire du Premier ministre, M. Lionel Jospin.
M. René Régnault. Il ne faut pas rêver !
M. Michel Charasse. Et entre les deux, rien ? Quid de M. Balladur ?
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Ces vicissitudes budgétaires, si elles restaient de portée franco-française, n'auraient d'autre conséquence - si je puis dire - que de rétablir ce que nous avons connu dans le passé : le cycle inflation-dévaluation. Mais le monde a changé plus vite que les éminents experts budgétaires. Les retards que nous prenons aujourd'hui dans la maîtrise de nos finances publiques se traduisent et se traduiront par des pertes de compétitivité et des pertes d'emplois, car les facilités de l'inflation et de la dévaluation nous sont aujourd'hui interdites du fait de notre entrée dans le cercle des pays à monnaie unique.
Mes chers collègues, attention : nous prenons du retard dans la course à l'euro, ce qui ne sera pas sans conséquences. Et les historiens ne comprendront pas grand-chose à nos volte-face successives. En effet, pour préparer le grand marché unique, nous avons accepté, parfois dans l'improvisation et la précipitation, d'abaisser considérablement notre fiscalité, qu'il s'agisse de TVA, de l'impôt sur les sociétés - le gouvernement de Pierre Bérégovoy avait ramené son taux à 33 1/3 % pour l'harmoniser avec celui des autres pays européens - ou qu'il s'agisse encore de la fiscalité de l'épargne.
Et aujourd'hui, pour préparer une échéance encore plus considérable, celle de l'euro, nous procédons à un véritable « réarmement fiscal » - autorisez-moi l'expression - dont seule la croissance, ô combien fragile, comme M. le ministre et vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, l'avez souligné à l'instant, permet de masquer provisoirement l'importance, pendant que se creuse l'écart entre nous et nos partenaires pour ce qui est de la maîtrise de nos dépenses.
Je sais bien que les prélèvements obligatoires devraient « mécaniquement » baisser en pourcentage de la richesse nationale, mais si leur part dans le produit intérieur brut diminue, cela n'empêchera pas pour autant notre fiscalité du revenu, de l'épargne et du patrimoine de demeurer aussi lourde pour celles et ceux qui doivent l'acquitter. Les contribuables éprouveront toujours quelque difficulté à oublier leur feuille d'impôt, elle bien réelle, pour se consacrer à la lecture des tableaux de comptabilité nationale, eux bien théoriques. Nous avons véritablement un double défi à relever - ce n'est pas facile, j'en conviens ; il nous faut beaucoup de courage et de persévérance - celui des dépenses et celui des recettes, indissolublement liées.
Le constat est simple : la part des dépenses publiques est de 54,1 % du produit intérieur brut en France, contre 48,2 % dans l'Union européenne et loin devant la moyenne du groupe des sept pays les plus industrialisés, qui s'établit à 38,3 %.
Ces pourcentages semblent abstraits, traduisons-les en francs : pour s'inscrire dans la moyenne de ses partenaires européens, la France devrait « supprimer » ou « privatiser », sous une forme ou sous une autre, 480 milliards de francs de dépenses publiques. Je sais bien que la nomenclature de l'OCDE est critiquable, mais 480 milliards de francs, c'est une somme, et l'ordre de grandeur doit nous faire réfléchir !
Quels que soient nos affrontements nationaux à venir, comme il est normal, dans une démocratie, sur les trois réformes qui nous sont annoncées pour l'automne - la fiscalité du patrimoine, la fiscalité écologique et la fiscalité locale - j'en appelle solennellement à la lucidité : allons-nous continuer à faire cavalier seul en Europe, alors que l'immense dossier de l'harmonisation fiscale est ouvert, harmonisation fiscale qui devient chaque jour de plus en plus urgente, notamment de l'avis des responsables de nos grandes entreprises industrielles ?
J'attends d'ailleurs avec impatience que le Gouvernement tienne ses promesses et diminue, comme il l'a annoncé, le taux de TVA de deux points. Le corps électoral avait été sensible à cette annonce, qui vous a rapporté des voix, monsieur le secrétaire d'Etat. Alors, dépêchez-vous de le faire...
Par ailleurs, il et techniquement difficile de modifier la taxe d'habitation sans donner l'impression de créer un troisième impôt sur le revenu, qui serait local, après l'impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée, On serait tenté de dire : trop, c'est trop !
Mais il serait dangereux d'augmenter la taxe intérieure sur les produits pétroliers appliquée au gazole sans abaiser à due concurrence celle qui frappe le super sans plomb.
M. Philippe Marini. Mais il faudrait choisir !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Voilà qui serait logique.
Enfin, il serait à proprement parler catastrophique - je n'hésite pas à employer ce qualificatif - ...
M. René Régnault. Un peu fort !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. ... pour nos petites et moyennes entreprises d'inclure l'outil de travail dans l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune, comme cela est demandé par certains au sein de la majorité plurielle.
M. Alain Lambert, rapporteur général. C'est une folie !
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est nous qui le demandons, monsieur le président de la commission !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Vous voyez que je suis bien informé !
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'attends une réponse. Mais elle ne saurait tarder, s'agissant d'une question aussi importante. Oui ou non, êtes-vous favorable à ce que l'outil de travail soit passible de l'impôt sur la fortune ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Très bien !
M. Philippe Marini. Il faut le savoir !
M. René Régnault. Comme vous dites !
M. Jean Chérioux. Que voilà une bonne idée économique !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Je suis convaincu que ni vous-même ni M. le ministre ne souhaitez prendre une telle mesure. Comme nous tous, vous savez que cela reviendrait à casser l'activité, à détruire ces précieux emplois qui nous viennent des petites et moyennes entreprises et à freiner, voire à détruire une croissance qui reprend à peine.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ne prenez pas une telle mesure !
M. Alain Lambert, rapporteur général. Très bien !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. S'agissant précisément de la politique de l'emploi, je me souviens que nous avaient été annoncées, l'année dernière, des modifications considérables portant sur les aides à l'emploi afin de financer les trente-cinq heures et les emplois-jeunes. Le rapport écrit du Gouvernement, que nous pouvons consulter, est muet sur ce point. Comme il s'agit d'une orientation essentielle et que, par ailleurs, les arbitrages sont rendus, si j'en crois les informations données par les médias, nous aimerions débattre avec le Gouvernement de ses orientations précises. Si je vous ai bien compris, monsieur le secrétaire d'Etat, lors de votre audition devant la commission des finances, le coût des trente-cinq heures et des emplois-jeunes en 1999 serait de l'ordre de 20 milliards de francs, mais dans le cadre d'un budget de l'emploi « maîtrisé » - je reprends le terme que vous avez employé - ce coût serait gagé par des économies sur d'autres actions en faveur de l'emploi, tout en préservant les prises en charge par l'Etat de cotisations sociales afin d'abaisser le coût du travail. Sur ce dernier point, que je partage, vous aurez l'occasion de manifester concrètement votre approbation, puisque, lundi prochain, le Sénat examinera une proposition de loi tendant à alléger les charges sur les bas salaires. Soyez donc assez aimable de dire à Mme le ministre des affaires sociales que vous êtes d'accord, afin qu'elle approuve cette disposition qui va dans le sens que vous avez indiqué.
Si mon interprétation est correcte, indiquez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, les types d'actions - sans entrer dans le détail - qui verront leurs crédits amputés, puisqu'il faudra réorienter, redistribuer 20 milliards de francs.
Je poursuis mon analyse sur l'emploi en indiquant au Gouvernement l'attachement du Sénat à l'abaissement du coût du travail peu qualifié, seul moyen efficace de préserver et de créer des emplois dans les services de proximité et les industries de main-d'oeuvre. Aujourd'hui, tous les experts sont d'accord pour estimer qu'il s'agit de la seule piste d'action sérieuse et efficace.
Tout récemment, j'ai lu une déclaration, que vous ne sauriez contredire, de M. Fabius, président de l'Assemblée nationale, qui a occupé par ailleurs de hautes responsabilités et qui sait donc de quoi il parle. Il disait : « Il faut d'urgence, avec la croissance qui dégage quelques recettes nouvelles, abaisser les charges sur les bas salaires dans le domaine des industries de main-d'oeuvre. » Cette déclaration renforce encore notre démarche. Je regrette que M. Fabius ne siège pas parmi nous, car il aurait pu nous aider lundi prochain lorsque nous défendrons notre proposition de loi.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Cela prouve votre objectivité, monsieur le président de la commission !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. La Commission de Bruxelles nous enjoint même de consacrer toutes nos marges budgétaires retrouvées à cet abaissement du coût du travail. Or - je le regrette - vous faites exactement le contraire de ce qu'il faudrait faire : vous réduisez la ristourne dégressive fusionnée ; vous augmentez le coût de la main-d'oeuvre par le décrochage du SMIC de la réduction du temps de travail ; vous accordez des coups de pouce répétés au SMIC, ce qui est socialement et humainement justifié, disons-le,...
Mme Marie-Claude Beaudeau et M. Marc Massion. Quand même !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Oui, mais on ne peut tout faire à la fois, même si certains prétendent le contraire ; c'est une démarche démagogique que je regrette.
Mme Marie-Claude Beaudeau. On ne peut pas tout avoir à la fois : le CAC 40 à plus de 4 000 points...
M. Jean Chérioux. Aucun rapport ! C'est vraiment une assimilation absurde !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. On ne peut, en effet, à la fois imposer l'outil de travail et lui demander un meilleur rendement !
Si c'est socialement et humainement justifié, cela a pour effet de détruire des emplois existants et de freiner la création d'emplois nouveaux.
Toutes ces dispositions fiscales et sociales, prises au détour d'une discussion budgétaire ou de l'élaboration d'un collectif, créent une instabilité de la réglementation, dénoncée avant-hier, hier, aujourd'hui, et peut-être encore demain. Mais il faudra y mettre un frein, car cette instabilité de la réglementation ruine la confiance des chefs d'entreprise dans la parole de l'Etat, et cela conduit parfois certains d'entre eux à profiter des effets d'aubaine sans qu'apparaissent les conséquences positives liées aux décisions prises par le Parlement et par le Gouvernement.
Il faudrait, en effet, convaincre nos brillants techniciens, ou technocrates - mais je n'aime pas trop ce dernier mot - que les patrons de PME n'embauchent que si le coût des salaires est prévisible à moyen terme. Dans le cas contraire - on le constate en le regrettant - ils refusent des commandes et privilégient l'automatisation des processus de production - ce que notre collègue Michel Charasse évoquait l'autre jour en disant que la machine remplace l'homme dans tous les domaines, ce qui n'est pas le cas aux Etats-Unis ou dans certains pays d'Europe. En outre, les chefs d'entreprise ont tendance à délocaliser leurs activités, surtout si celles-ci font appel à une main-d'oeuvre importante.
Je regrette donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que les orientations du Gouvernement en matière tant de dépenses publiques que de prélèvements obligatoires hypothèquent, de fait, l'avenir de l'emploi dans notre pays.
Les emplois-jeunes sont précaires. J'ignore quelle somme vous allez inscrire dans le projet de budget pour 1999, mais, initialement, les emplois-jeunes devaient entraîner une dépense de trente-cinq milliards de francs par an. Si on ne retrouve pas ces 35 milliards de francs dans le projet de loi de finances pour 1999, c'est donc que vous n'avez pas atteint le nombre d'emplois espéré.
Je vais me laisser aller à évoquer une question qui me tient à coeur. (Sourires.)
Les emplois-jeunes coûteront 35 milliards par an pendant cinq ans, la politique de la ville - si j'ai bien lu le rapport de M. Sueur - quelque 30 milliards de francs sur une dizaine d'années et l'application de la loi relative à la lutte contre les exclusions - qui était nécessaire - 52 milliards de francs avec le concours des collectivités territoriales. Alors que l'on trouve ces sommes extrêmement importantes pour financer ce que j'appellerai du fonctionnement, des interventions, on ne trouve pas - tenez-vous bien ! - 2,5 milliards de francs pour finaliser le plan de financement du TGV Paris-Strasbourg, qui est incontestablement une infrastructure très importante pour l'avenir du pays. (MM. Bernadaux, Chérioux et Trucy applaudissent.) Je n'arrive pas à comprendre !
M. René Régnault. Celui-ci ne desservirait-il pas les Vosges ? (Sourires.)
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Bien sûr ! Vous n'êtes pas chargé de défendre les Vosges, vous...
Je redoute même que les emplois-jeunes ne soient, en définitive, destructeurs à terme d'emplois productifs.
J'en viens à la situation des finances locales. Elle appelle, de ma mart, un certain nombre de commentaires, et plus encore d'interrogations.
Je remercie M. le ministre de l'intérieur, M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat au budget, ainsi que M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation d'avoir reçu, lundi dernier, les commissions des finances du Parlement et les présidents des grandes associations nationales d'élus locaux pour évoquer l'avenir des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales à la veille, nous ont-ils dit, du débat d'orientation budgétaire.
Bien que les arbitrages soient presque tous effectués et les lettres plafond dans quelques jours à la signature de M. le Premier ministre, cette première réunion, disons-le, d'ailleurs cela a été reconnu - je parle sous le contrôle de ceux qui participaient à cette réunion et qui sont parmi nous ce matin - ne nous a guère éclairés sur les intentions du Gouvernement. Une telle appréciation a en effet été partagée par tous les participants, quelle que soit leur tendance. Je ne parle pas, bien sûr, des ajustements de détail, qui seront débattus lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1999, mais des grandes options. En effet, si un tel débat dit d'orientation budgétaire a un sens, c'est bien celui de nous éclairer sur les grandes orientations du Gouvernement pour permettre d'établir un véritable dialogue.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les concours de l'Etat aux collectivités territoriales seront-ils indexés sur la croissance, en tout ou partie ? En effet, il a été admis, par tous les participants à cette réunion, que les collectivités territoriales participent à l'augmentation de la croissance dont chacun se félicite, à savoir entre 175 milliards et 200 milliards de francs, soit à peu près 75 % de l'investissement public. Dans l'hypothèse selon laquelle cette indexation aurait lieu, quelles contreparties seraient exigées des collectivités locales ? Le versement du surplus des dotations résultant de cette indexation serait-il conditionné par l'obligation pour les élus locaux de prendre l'engagement, par exemple, de limiter, voire d'arrêter, toute augmentation de la pression fiscale, ou de s'engager à investir, dans des proportions à déterminer ?
Des mesures spécifiques - c'est un point qui nous préoccupe - sont-elles envisagées pour assurer l'équilibre de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales en 1999, ou bien ne restera-t-il aux collectivités locales qu'à augmenter alors, faute d'interventions nouvelles, les cotisations sociales ? Le principe de la surcompensation, décidé en 1985 et qui a été par la suite terriblement combattu - M. Régnault ne me contredira pas...
M. René Régnault. Je continue à le combattre !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. M. Régnault appartient à votre majorité, monsieur le secrétaire d'Etat !
Le principe de la surcompensation, disais-je, sera-t-il maintenu l'an prochain dans toutes ses conséquences ?
Les dotations de l'Etat seront-elles recalibrées pour leur assurer un effet de péréquation plus important ?
M. René Régnault. Très bien !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Cette péréquation accrue correspondrait-elle au franc le franc au produit de l'éventuelle indexation des concours de l'Etat ?
Autant de questions que nous sommes légitimement en droit de nous poser au moment où, dans nos collectivités territoriales, nous réfléchissons à la construction de nos budgets pour l'an prochain. En outre, dans quelques semaines, nous allons devoir, nous aussi, présenter nos orientations aux élus, puisque lorsqu'on est maire ou président de conseil général, ou président de conseil régional, c'est une obligation qui résulte de la loi.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, trois questions de fond, trois orientations sur lesquelles le Sénat souhaiterait être informé dès à présent, sans avoir à attendre les déclarations du Premier ministre, annoncées pour le 9 juillet, si j'ai bien compris ce qui nous a été dit l'autre jour.
Pour ce qui la concerne, la réflexion de la commission des finances est guidée par quelques grands principes. J'ai la faiblesse de penser qu'ils sont simples et efficaces.
Tout d'abord, le principe d'un engagement réciproque pluriannuel doit être préservé. Ce pacte de stabilité entre l'Etat et les collectivités locales, lorsqu'il a été instauré, a bien sûr été critiqué parce qu'il comportait des imperfections, mais, aujourd'hui, aucun d'entre nous ne souhaiterait sa disparition car il permet une prévisibilité des interventions de l'Etat et une meilleure lisibilité de celles-ci. Il faut donc maintenir un engagement réciproque pluriannuel.
M. René Régnault. Réciproque, en effet !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Ces dotations doivent être indexées sur la croissance, à la fois au regard des dépenses dont les collectivités locales n'ont pas la maîtrise et pour conserver à ces collectivités leur rôle déterminant en termes d'investissement public ; je n'y reviens pas, car j'ai donné tout à l'heure quelques indications sur ce sujet.
Monsieur le secrétaire d'Etat, si la réunion du 22 juin a eu un intérêt, c'est bien celui d'avoir attiré votre attention sur la dérive des charges dont nos collectivités locales ne peuvent assurer la maîtrise car elles leur sont imposées : qu'il s'agisse, par exemple, de la mise aux normes européennes de nombreux équipements et services, de la lutte contre les exclusions, de la prestation spécifique dépendance, du contrat de plan de La Poste, qui appellera, sans aucun doute, à contribution les communes, de l'aménagement des lycées, ou des infrastructures. La liste est longue. Tous les participants à cette réunion ont considéré qu'il y avait, dans chacun de ces domaines, des dérapages au détriment des collectivités territoriales.
L'Etat, et il a tendance à l'oublier, est plus prompt à augmenter le coût de la fonction publique locale qu'à indexer ses dotations aux mêmes collectivités. On ne le soulignera jamais assez - M. le rapporteur général l'a fait mais j'y reviens car la répétition peut avoir un effet pédagogique en permettant aux uns et aux autres de retenir quelque chose. (Sourires) - le coût de l'accord salarial de février 1998 sera, pour nos collectivités, de 4 milliards de francs en 1999 et de 6 milliards de francs en l'an 2000. Pour fixer un ordre de grandeur, je dirai simplement que le seul effet de cet accord salarial en 1998, soit 1,5 milliard de francs, est à rapprocher de l'augmentation prévue pour 1998 de la dotation globale de fonctionnement, qui est de 1,45 milliard de francs. Je serais tenté de dire que l'Etat reprend d'une main ce qu'il donne de l'autre, encore que nous puissions débattre des chiffres, mais, dans le cas présent, compte tenu de l'importance de ceux-ci, nous ne le pouvons pas.
Je conclurai mes observations relatives aux collectivités locales en faisant justice des propos qui ont été tenus ici ou là, et qui sont parfois excessifs - tout ce qui est excessif est insignifiant ! - sur la santé financière dite « florissante » en 1997 de nos collectivités territoriales. Cette bonne santé apparente tient aux décisions courageuses prises par le précédent gouvernement en matière de rémunérations des fonctionnaires, aux effets de la renégociation de la dette, à une compression des frais de fonctionnement, à des mesures non reconductibles sur la CNRACL, et à des dépenses d'équipement limitées à 123 milliards de francs. Nous constatons déjà une réduction des investissements des collectivités territoriales dans la mesure où une grande partie de leur budget est dévorée par les mesures de fonctionnement qui incluent les mesures sociales. Non, cette situation ne tient pas à une quelconque prodigalité fiscale, puisque les taux des impôts locaux n'ont augmenté que de 1,3 % en 1997. Cette bonne santé apparente n'est que transitoire au regard des évolutions prévisibles du coût de la fonction publique territoriale, des charges de retraite, de l'achèvement de la restructuration de la dette, de l'augmentation souhaitable de l'investissement et de la poursuite rampante des transferts de charges.
Cette augmentation souhaitable de l'investissement local me conduit à interroger le Gouvernement sur deux points.
Le premier point est de méthode : la commission des finances du Sénat, même si elle est consciente des imperfections de l'exercice, souhaite vivement que la présentation du budget de l'Etat en section de fonctionnement et en section d'investissement, comme cela a été fait, soit fournie au Parlement à l'appui du projet de loi de finances pour 1999. Le projet de budget apparaît ainsi, pour la plupart d'entre nous, particulièrement lisible. Cette présentation montre bien que nous continuons à financer des dépenses courantes par l'endettement, ce qui est une facilité coupable dont les contribuables de demain - nos enfants et petits-enfants - nous demanderont raison.
Cette facilité que se donne l'Etat de recourir à l'emprunt pour financer son fonctionnement est fort heureusement interdite par la loi aux collectivités territoriales, et il doit continuer à en aller ainsi. D'ailleurs, en cas de manquement, une telle démarche serait à juste titre sanctionnée par les chambres régionales des comptes.
Le second point est de fond : quelles sont les orientations du Gouvernement en matière d'investissement civil de l'Etat ? En prenant en compte le budget général de l'Etat, les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor, le Gouvernement peut-il nous indiquer si, en volume ou en pourcentage, il entend faire de l'investissement public une priorité ? Il me semble délicat de discuter des options budgétaires de manière sereine et efficace si nous n'obtenons pas une réponse précise, non sur les chiffres eux-mêmes, mais sur la tendance, bref sur les choix politiques qui sous-tendent l'action du Gouvernement. Pour la commission des finances, il ne saurait subsister aucune ambiguïté : l'investissement doit cesser d'être la variable d'ajustement des budgets successifs.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Très bien !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Il doit être érigé au rang de priorité, une bonne fois pour toutes. C'est la garantie de l'avenir des générations futures.
Je conclurai mon propos en regrettant très sincèrement que le Gouvernement, qui apparaît comme prisonnier d'engagements électoraux,...
M. Philippe Marini. ... contradictoires !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. ... faits par certains des membres de cette majorité plurielle, engagements d'un autre âge, se refuse, pour le moment, à entendre nos conseils et nos suggestions. Le Gouvernement ne procède pas, ou trop lentement, aux ajustements indispensables, que ce soit pour la politique de l'emploi, pour la politique fiscale, pour les effectifs de la fonction publique ou pour la maîtrise des dépenses.
Ainsi, M. le ministre de l'éducation nationale ayant dit qu'il fallait « dégraisser le mammouth » - l'expression est de lui, non de moi ! - j'attends ses propositions de dégraissage. Voilà un exemple !
M. Philippe Marini. Ou alors, c'était une parole maladroite ! Il faudrait le savoir !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Or, l'opinion publique prend bien sûr tout cela en compte.
Mes chers collègues, que cela plaise ou non, nous sommes tous « embarqués », si je puis dire, dans la grande aventure collective de l'euro. Seul le succès de notre pays doit nous importer. Et il n'est pas besoin d'être grand clerc pour deviner aujourd'hui que des bouleversements formidables vont s'opérer à bref délai. Notre procédure budgétaire, nos petites astuces de présentation des comptes, notre système fiscal et notre niveau de dépenses vont être soumis à de fortes pressions.
Nous avons la chance depuis le dernier trimestre 1996 - j'insiste sur cette date - d'avoir renoué avec une certaine croissance. C'est le moment ou jamais d'entamer les ajustements indispensables qui ont été rappelés par M. le rapporteur général. Nous ne devons pas rater cette « fenêtre de tir » à l'heure même où des menaces sérieuses se profilent en Asie. Lors de la discussion du projet de budget pour 1998, monsieur le secrétaire d'Etat, j'avais exprimé des craintes à cet égard, et vous m'aviez alors répondu que les difficultés étaient derrière nous ! Non ! Elles sont en fait devant nous ! Voyons la situation du yen et du yuan, ainsi que tout ce qui va se passer : des difficultés financières en Europe de l'Est. Pouvez-vous me garantir, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il ne va pas y avoir un effondrement financier en Russie ? Tout cela ne sera pas sans conséquences sur l'économie européenne.
Devant cette situation, je souhaite que le Gouvernement entende l'appel du Sénat. Cet appel est dicté non par des considérations partisanes mais simplement par la volonté de toutes et de tous, ici, de servir le pays dans son destin européen. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, parlant en tant que président de la commission des affaires culturelles, je pense exprimer l'opinion d'une large majorité de cette dernière.
Bien sûr, nous nous réjouissons tous - cela a déjà été dit et je l'indique à mon tour - de l'amélioration de la conjoncture, de ses retombées positives sur notre économie et sur nos finances. Mais nous ne devons pas pour autant relâcher l'effort entrepris, dans une période moins faste, pour définir une politique des finances publiques à la fois prudente et dynamique : prudente, parce que l'union monétaire, une économie ouverte, les évolutions démographiques auxquelles nous serons bientôt confrontés nous l'imposent ; dynamique, parce que nos marges de manoeuvre toujours étroites doivent nous inciter à faire preuve d'imagination et à rechercher l'efficacité.
Nous devons contenir les dépenses publiques mais peut-être surtout les « optimiser » et en planifier l'évolution.
Ces objectifs sont inséparables Ils requièrent le même effort d'évaluation des actions entreprises, de réflexion sur l'allocation des moyens entre les départements ministériels ou au sein de chaque administration.
Ils exigent aussi une réflexion sur la notion même de priorité et sur sa traduction budgétaire.
Relayant les propos de M. le président de la commission des finances et de M. le rapporteur général, je prendrai l'exemple de l'éducation nationale : personne, et surtout pas le président de la commission des affaires culturelles, ne niera que l'éducation est et doit rester une priorité.
Mais cela implique-t-il, monsieur le secrétaire d'Etat, que le budget de l'éducation nationale, qui est déjà, et de très loin, le premier budget de l'Etat, doive automatiquement bénéficier chaque année de considérables augmentations ?
Le problème du nombre et du redéploiement des postes d'enseignants doit-il être considéré comme un sujet tabou, quelle que soit par ailleurs l'évolution des effectifs d'élèves et d'étudiants ? Est-il impensable de remettre en question le montant des crédits d'heures supplémentaires ? Est-il déplacé de s'interroger sur le nombre et le coût des emplois-jeunes, sur leur utilisation et sur le devenir de leurs titulaires ?
Nous assistons, dans le domaine de l'éducation, à un foisonnement de projets de réforme, dont certains sont d'ailleurs sympathiques. Néanmoins, ne devons-nous pas nous étonner, à ce moment de notre débat, que leurs incidences budgétaires paraissent ignorées ou, en tout cas, ne soient jamais évoquées ?
Pour tout vous dire, monsieur le secrétaire d'Etat, nous n'avons pas l'impression que l'on exige du ministère de l'éducation nationale le même effort de rigueur que celui qui est demandé à d'autres ministères, pourtant moins bien dotés.
Nous voudrions aussi vous rappeler que d'autres ministères concourent à l'éducation et que toutes les dépenses d'éducation ne bénéficient pas d'un égal traitement budgétaire. Je pense, bien sûr, à l'enseignement agricole, mais aussi, par exemple, à l'enseignement maritime, qu'il ne faut pas négliger et dont le devenir inquiète beaucoup les professionnels de la pêche.
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, nous sommes aussi conduits à nous interroger sur la différence de traitement des « grands » et des « petits » ministères lorsque nous constatons, par exemple, la situation du budget de la jeunesse et des sports, qui apporte pourtant une contribution essentielle aux priorités que sont l'intégration sociale et l'éducation à la citoyenneté.
L'optimisation de la dépense publique impose de privilégier, dans chaque secteur de l'activité gouvernementale, les dépenses qui contribuent à la réalisation des priorités économiques et sociales.
La priorité absolue est toujours l'emploi. Il faut donc privilégier les dépenses créatrices d'emplois - de vrais emplois.
Pour m'en tenir aux domaines qui sont ceux de la commission des affaires culturelles, je voudrais rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette commission, en particulier sous l'impulsion et l'autorité de mon prédécesseur Maurice Schumann, a toujours défendu les dépenses consacrées à la restauration et à la mise en valeur du patrimoine, pour leur effet « démultiplicateur » en termes d'investissement et pour l'enjeu qu'elles représentent en termes de survie des entreprises et des métiers d'art.
Nous sommes confortés dans ce choix par une récente étude de la Commission européenne qui met en évidence l'impact de la politique du patrimoine sur la valorisation du tourisme, sur l'emploi et sur les rentrées fiscales.
La priorité accordée aux dépenses culturelles doit porter plus particulièrement sur les crédits que je viens d'évoquer.
L'optimisation des dépenses impose aussi de veiller à la « productivité » des services publics, et donc de réfléchir sur le meilleur emploi des moyens. Cette réflexion progresse encore lentement, et l'éducation nationale en est un exemple.
L'administration de l'éducation nationale invoque à juste raison, depuis un certain nombre d'années, le principe de la « discrimination positive » qui inspire notamment la politique des zones d'éducation prioritaire. Mais en tire-t-on vraiment toutes les conséquences possibles dans les zones qui ne relèvent pas de ce principe ? Je crains que non.
Je voudrais me féliciter, monsieur le secrétaire d'Etat, que les conclusions du rapport de M. Philippe Meirieu, dont on a beaucoup parlé, posent à nouveau la question de la définition des obligations de service des enseignants. Vous conviendrez que ce sujet n'est pas sans incidence budgétaire quand on sait le volume d'emplois et de crédits concernés !
Nous avions souhaité, dès 1989, que la revalorisation de la situation des enseignants s'accompagne d'une révision de cette définition, qui est manifestement obsolète et bien peu favorable - il faut le souligner - aux enseignants des établissements « difficiles » et aux universitaires qui s'investissent le plus dans leur mission.
Enfin, je voudrais rappeler que le Parlement devait débattre, ce printemps, du plan social étudiant.
Je profite de ce débat d'orientation budgétaire pour vous indiquer, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous espérons disposer bientôt de quelques indications sur les orientations de ce plan, dont nous souhaitons qu'elles privilégient un meilleur « ciblage » des aides aux étudiants.
Mais nous souhaitons aussi être complètement informés des incidences budgétaires de ce plan, dont l'application - nous n'en doutons pas - sera étalée sur plusieurs années.
Cela m'amène, mes chers collègues, à évoquer la programmation des dépenses publiques.
Le rapport déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire propose, dans une de ces formules qu'affectionnent les technocrates, « d'élargir l'horizon temporel de l'action publique ». L'idée est bonne, et nous nous en félicitons. Nous espérons, monsieur le secrétaire d'Etat, que ce souci conduira le Gouvernement, en particulier l'administration des finances, à surmonter ses réticences à l'égard des engagements pluriannuels et à développer les efforts consentis en matière de planification des dépenses.
J'en reviens au patrimoine : pouvons-nous espérer qu'une nouvelle loi de programme sur le patrimoine monumental sera présentée au Parlement ?
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Même si elle n'a pas toujours, hélas ! été strictement respectée, cette programmation a, nous semble-t-il, fait la preuve de son utilité. Elle représente un gage de la continuité de l'action de l'Etat, particulièrement pour les entreprises, elle accentue l'effet multiplicateur de la dépense consacrée au patrimoine, elle incite à une gestion plus efficace des crédits.
Enfin, je voudrais rappeler que la loi d'orientation sur l'éducation de 1989 - il y a déjà dix ans, monsieur le secrétaire d'Etat ! - prévoyait la publication annuelle, par le ministère de l'éducation nationale, de plans de recrutement des personnels sur cinq ans.
Cette disposition n'a jamais été appliquée. Elle n'est d'ailleurs pas, j'en conviens, facile à mettre en oeuvre. Il paraît néanmoins tout à fait indispensable de développer un effort sérieux de planification des recrutements des personnels de l'éducation nationale, au moment où les départs à la retraite vont s'accélérer, où les évolutions démographiques se stabilisent, où de multiples réformes sont envisagées.
Il me semble, sur un sujet comme celui-là, que le Gouvernement n'a pas droit à l'erreur et que le Parlement et les citoyens ont droit, eux, à une meilleure information. Une planification susceptible de réduire les incertitudes et d'éclairer les choix s'impose donc.
Monsieur le secrétaire d'Etat, les marges de manoeuvre sont étroites, et cette étroitesse peut être ressentie comme une contrainte. Mais, en nous interdisant les délices d'un keynésianisme un peu simpliste, en nous imposant de nouveaux efforts de rigueur et d'imagination, cette contrainte nous offre aussi une chance nouvelle d'améliorer la gestion de nos finances publiques et la qualité du service public.
La commission des affaires culturelles souhaite que le Gouvernement saisisse pleinement cette chance ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après les excellentes interventions de MM. Poncelet, François-Poncet, Gouteyron et Lambert, je voudrais avancer une interrogation sur la nature du débat qui nous réunit et vous soumettre trois observations de fond sur le rapport du Gouvernement et sur les propos tenus par M. le ministre et par M. le secrétaire d'Etat.
Je formulerai d'abord une interrogation sur la méthode, car ce troisième débat d'orientation budgétaire intervient dans un contexte très différent de celui des deux premiers.
D'abord, notre participation à la mise en place de l'euro, tout comme les engagements souscrits au titre du pacte de stabilité et de croissance de juin 1997, impose la référence au « besoin de financement des administrations publiques », qui dépasse le cadre de la loi de finances et inclut les finances des collectivités locales et de la sécurité sociale.
Ensuite, la réforme constitutionnelle du 19 février 1996 et la loi organique du 22 juillet 1996 ont créé une seconde catégorie de lois de finances publiques : les lois de financement de la sécurité sociale. Nous examinerons ainsi, à l'automne, la troisième loi de financement de la sécurité sociale.
Le débat d'orientation budgétaire a donc changé de nature ; de fait, il est devenu un débat d'orientation sur l'évolution des finances publiques.
Je constate que, parmi les quatre objectifs fixés par le Gouvernement pour 1999, trois concernent pleinement le domaine des finances sociales.
La stabilisation des prélèvements obligatoires est un voeu pieux si l'on n'aborde pas les prélèvements sociaux, qui sont équivalents, en pourcentage du PIB, à ceux de l'Etat et des collectivités locales réunis.
Quant à l'objectif consistant à ramener le besoin de financement des administrations publiques à 2,3 % du PIB en 1999, il repose pour partie sur la réalisation du quatrième objectif que s'est donné le Gouvernement, ramener à l'équilibre le régime général de sécurité sociale.
Aussi, mes chers collègues, de deux choses l'une : soit ce débat reste un débat d'orientation purement budgétaire, consacré aux dépenses et aux recettes de l'Etat au sens strict et il est, à l'évidence, nécessaire d'organiser par ailleurs un débat d'orientation sur le financement de la sécurité sociale - M. Jacques Barrot, alors qu'il était ministre des affaires sociales, s'était engagé à organiser un tel débat, qui n'a pas eu lieu en 1997 pour les raisons que l'on sait et qui, à l'évidence, n'aura pas lieu non plus en 1998 - soit ce débat d'orientation devient un véritable débat sur les finances publiques, et il faut en tirer toutes les conséquences.
Pour ma part, je suis favorable à cette seconde solution, car elle est la seule à prendre en considération le nouveau contexte dans lequel nous allons entrer.
Mais l'organisation d'un tel débat d'orientation sur les finances publiques supposerait que le Gouvernement puisse présenter de véritables orientations sur ce que sera le projet de loi de financement de la sécurité sociale et que Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, qui présente au nom du Gouvernement ce projet de loi, soit partie prenante à ce débat.
Force est de constater que le débat d'aujourd'hui traduit une absence de choix entre ces deux solutions possibles : les finances sociales y sont évoquées à de nombreuses reprises, elles apparaissent même au coeur des objectifs fixés par le Gouvernement, mais les analyses qui y sont consacrées sont très insuffisantes. L'excellent document présenté par le rapporteur général de la commission des finances souligne d'ailleurs les nombreuses « incertitudes » qui demeurent, et, lorsqu'il emploie ce terme, c'est parce que son langage est très châtié ! (Sourires.) J'en viens à mes observations de fond, dont la première, personne ne s'en étonnera, concerne l'emploi.
J'ai été très intéressé par la lecture des rapport que vous nous avez transmis, monsieur le secrétaire d'Etat, puisque la « stratégie budgétaire pour 1999 », évoquée dans le propos introductif à ces deux rapports, insiste sur les trois axes de la politique économique du Gouvernement.
Deux de ces axes sont sociaux : rendre la croissance plus riche en emplois, et favoriser l'insertion des plus fragiles. Il s'agit de la mise en oeuvre de trois textes qui ont, autour des derniers mois - et tout récemment encore - mobilisé la commission des affaires sociales : la loi emplois-jeunes, la loi sur les 35 heures et le projet de loi contre les exclusions, dont, je l'espère, nous viendrons à bout au cours de la session extraordinaire qui est annoncée.
J'observe que le rapport du Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire comporte un développement tout à fait intéressant concernant la structure des dépenses de l'Etat, dont il est dit qu'elle s'est « rigidifiée au fil des ans ».
Trois postes de dépenses - fonction publique, charge de la dette et interventions pour emploi - représentent ainsi, à eux seuls, 88 % des recettes fiscales. Or ce chiffre n'était que de 57 % en 1990.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. C'est vrai !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Ces trois postes de dépenses sont, certes, de nature différente, mais le Gouvernement a pris la responsabilité de les agréger pour justifier la nécessaire « amélioration de la qualité de l'intervention publique », faisant apparaître ainsi la réduction de ces marges de manoeuvre.
Je relève, pour ma part, une contradiction entre ce constat et la multiplication de dispositifs nouveaux. La charge future du plan emplois jeunes ainsi que du dispositif qui accompagne l'abaissement de la durée légale du travail aura d'ailleurs pour effet, hélas ! d'accroître cette rigidité que le Gouvernement analyse pourtant avec tant de pertinence.
Quelle sera, dans ces conditions, l'ampleur des redéploiements qu'annonce le Gouvernement pour financer ses priorités budgétaires ? Concerneront-ils également le maquis des interventions pour l'emploi ?
Je relève au passage toute la signification politique qu'il y a à rapprocher ainsi les dépenses de la fonction publique et les interventions pour l'emploi.
De fait - et c'est là mon principal point de profonde divergence avec le Gouvernement - je trouve que c'est une grave erreur pour le Gouvernement que de privilégier l'emploi dans le secteur public et parapublic...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Eh oui !
M Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. ... - alors que nous sommes, par rapport à nos partenaires de l'Union européenne, très surdotés de ce point de vue - tout en négligeant les créations d'emplois dans le secteur marchand.
Je regrette que la plupart des dispositifs qui ont été présentés depuis un an favorisent le développement du secteur public alors qu'il faudrait, au contraire, développer l'emploi marchand. L'application du plan emplois-jeunes est, à cet égard, particulièrement révélatrice !
Quant à la loi sur les 35 heures, je ne veux pas y revenir, sinon pour vous faire observer, mes chers collèges, que le dernier rapport présenté sur l'application de la loi Robien a montré avec quel intérêt les chefs d'entreprise et les partenaires sociaux avaient accueilli ce texte : près de 2 000 accords ont été conclus, intéressant plusieurs centaines milliers de salariés et permettant des réorganisations, la sauvegarde d'un certain nombre d'emplois et la création d'emplois nouveaux. Il est dommage que cette année 1997 soit ainsi isolée ! En 1998, en effet, les statistiques concerneront les négociations liées à la loi sur les 35 heures. On a donc cassé là un développement qui commençait à s'inscrire dans la réalité, changeant les comportements, donnant un caractère dynamique à une création d'emplois liée à la réorganisation des entreprises.
Je regrette, en un mot, que l'on en revienne à une logique du « tout service public ».
Ma deuxième observation concerne l'équilibre du régime général de sécurité sociale.
A trois lignes d'intervalle, le rapport du Gouvernement indique que l'équilibre du régime général « doit être atteint en 1999 », puis que cet équilibre « sera atteint en 1999 ». Aussi est-il difficile de déterminer si cet objectif sera atteint tendanciellement - auquel cas il s'agirait d'une simple prévision - ou si cet objectif sera atteint quoi qu'il arrive, c'est-à-dire au prix de mesures de correction incluses dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Certes, le rapport précise également que « l'amélioration prévue pour 1999 suppose que la maîtrise des dépenses sociales soit poursuivie », ce qui rend hommage implicitement au plan Juppé et aux différentes mesures prises en 1996.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très juste !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Or, depuis un an, le Gouvernement s'est contenté de critiquer certaines de ces mesures, sans d'ailleurs les remettre en cause. Le dialogue avec les professionnels de santé, notamment avec les syndicats médicaux - on vient de le voir ! - n'a pas été établi et la nécessaire réorganisation du tissu hospitalier a été retardée, sous couvert d'un nouveau concept de « démocratie sanitaire » ; mais le poids de l'hospitalisation publique pèse toujours autant sur nos chiffres.
Le Gouvernement a évoqué des « mesures de correction ». Quelles sont-elles, mis à part le mécanisme tant décrié de reversement des honoraires ? Va-t-on revenir aux mesures sectorielles « exceptionnelles » prises hors de tout cadre conventionnel ou va-t-on, au contraire, réutiliser ce cadre ? Il y a là matière à débattre, mais, comme il s'agit d'un des objectifs essentiels du rapport économique et financier, il est bien clair que nous ne pouvons pas rester sur notre faim.
Ma dernière observation a trait à la question des retraites.
Comme M. Gouteyron, qui l'a fort judicieusement relevée, j'ai trouvé très intéressante la proposition tendant à élargir « l'horizon temporel de l'action publique ». Quelle belle phrase ! Quel bel objectif, auquel on ne peut que souscrire ! Il s'agit « d'anticiper les conséquences du choc démographique qui se produira à partir de 2005 ». Et le rapport reprend, à cet égard, différents tableaux d'un rapport publié en 1995 par le Commissariat général du Plan.
J'ai assisté, le 26 mars dernier, aux sixièmes rencontres parlementaires sur la protection sociale, placées sous la présidence de M. Claude Evin, dont nul ne conteste la compétence. S'y sont exprimés un certain nombre d'experts sur un thème tout à fait d'actualité : « Comment assurer la pérennité de nos régimes de retraite ? »
Après ce colloque et compte tenu de tout ce qu'ont dit ces experts, redemander au Commissariat général du Plan un nouveau rapport sur les retraites me paraît une démarche tout à fait inutile ! On connaît aujourd'hui parfaitement tous les éléments de ce dossier, et nous savons qu'en 2005 le système explosera. Il n'est plus question de faire des études : il faut maintenant passer à la réalisation d'un certain nombre d'actions.
Le Gouvernement s'inquiète de la charge supplémentaire écrasante que représenteront, dans dix ans, les pensions de retraite des fonctionnaires. Je partage cette inquiétude, mais j'aurais souhaité qu'une esquisse de solution soit présentée.
Je propose depuis plusieurs années la création d'un véritable régime de retraite de la fonction publique distinct du budget de l'Etat, qui regrouperait les trois fonctions publiques - Etat, hôpitaux et collectivités locales - et qui permettrait de clarifier la situation en matière de prestations et de cotisations. On me dit que cela aurait des conséquences tragiques, mais c'est, à mon sens, une première réforme qui s'impose, car la clarification doit précéder l'action.
Soucieux d'« anticiper l'avenir en France », le Gouvernement se réfère aux « systèmes appropriés » qui ont été mis en place dans différents pays étrangers sous la forme de « réserves pour les régimes de retraite par répartition ».
En revanche, rien n'est indiqué dans le rapport sur les fonds de pension et je considère que ce n'est pas à l'honneur du Gouvernement actuel, monsieur le secrétaire d'Etat, que de n'avoir ni abrogé ni appliqué la loi Thomas sur la mise en place d'un certain nombre de ces fonds. Si le problème des retraites est à ce point important et urgent, n'avoir rien fait depuis un an sur ce sujet est certainement une faute dans un Etat de droit. Nous savons tous ici, quels que soient les travées sur lesquelles nous siégons, que ce troisième étage est nécessaire, moyennant, bien entendu, des frontières claires entre les régimes complémentaires et ces régimes supplémentaires par capitalisation.
Quand je vois, aujourd'hui, l'importance des fonds de retraite étrangers dans le capital de nos grandes entreprises,...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. ... quand je vois arriver dans ma commune des représentants des fonds de pension américains, qui viennent acheter, créer ou développer des programmes de bureaux,...
M. Alain Lambert, rapporteur général. Dans la mienne aussi !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. ... je me dis que nous sommes en retard, que nous ne prenons pas la voie de la mondialisation partagée et que le Gouvernement doit donc agir, car on ne saurait se contenter de dénoncer ce qui s'est passé avant ou de ne pas appliquer des textes votés par le Parlement.
Si l'on veut apporter des solutions aux problèmes que posent nos régimes de retraite, il faut aller à l'essentiel, à savoir aborder la question des retraites des fonctionnaires, remettre à niveau tous les régimes particuliers - chacun sait tout ce que recouvre ce concept de régime particulier ! - et, très rapidement, mettre en place un troisième étage, car nous perdons du temps, et plus nous perdons du temps, plus nous aurons du mal à équilibrer nos mécanismes de retraite.
Il est en effet un point qui n'est pas abordé dans les documents officiels, mais dont nous, parlementaires ou maires, connaissons la réalité, c'est que les jeunes générations n'accepteront pas, dans cinq ou dix ans - soyez-en assuré - de voir majorer leur taux de cotisation dans des conditions insupportables, alors que la compétition sera plus vive, pour financer les retraites de leurs aînés.
Nous serons alors face à un problème politique fondamental, et c'est parce que j'en ai une claire conscience que je dis, aujourd'hui, que le projet dont vous nous présentez les orientations n'est pas suffisant.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce que je voulais dire en ma qualité de président de la commission des affaires sociales.
Je sais bien que nombre de nos concitoyens demandent à la fois la réduction du poids des prélèvements publics et l'augmentation des dépenses publiques. Mais c'est, précisément, lors de la discussion sur les orientations du budget qu'il doit être possible de concilier ces deux aspirations. Or, ce qui manque dans les orientations qui nous sont soumises, c'est l'indication d'un certain nombre de réformes claires pour faire suite au diagnostic qui a été fait.
Sur le diagnostic, sur le constat, finalement, quelles que soient nos orientations politiques, nous ne pouvons qu'être d'accord : et sur la mondialisation, et sur l'importance de l'euro, et sur les problèmes cruciaux qui se posent. Là où nous divergeons, c'est sur les méthodes. Le pire serait de ne rien faire ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce débat revêt un intérêt tout particulier cette année, à l'heure du lancement de la monnaie européenne. Au-delà de leurs difficultés propres, les pays de la zone euro devront en effet démontrer leurs capacités à gérer désormais leurs économies de façon coordonnée.
La mise en place d'une monnaie unique européenne constitue l'un des événements majeurs de cette fin de siècle. Elle doit remédier à l'hégémonie du dollar et limiter - nous l'espérons, tout au moins - les mouvements de spéculation.
Mais nous devons être conscients que l'euro appelle aussi une harmonisation des politiques nationales européennes, en particulier - mes collègues l'ont répété - des politique fiscales et sociales, afin d'éviter les distorsions de concurrence.
La France et les pays européens doivent valoriser l'arrivée de l'euro sur la scène monétaire internationale. La zone euro représentera environ 20 % de la richesse mondiale et réalisera 20 % des échanges commerciaux dans le monde, soit, je le rappelle, un poids comparable à celui des Etats-Unis.
Cette influence monétaire accrue devrait se traduire - je dis bien « devrait » - par un accroissement du poids politique de cette zone euro dans le monde. Mais il faut pour cela que la zone euro soit capable de faire entendre sa voix sur la scène internationale.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous indiquer, en particulier, dans quelle mesure et selon quelles modalités l'Europe de la monnaie unique sera désormais capable de s'exprimer d'une seule voix dans les forums économiques et financiers internationaux tels que le G7 ?
L'élaboration du budget pour 1999 et la mise en place de la monnaie unique bénéficient, malgré les fragilités qui demeurent et l'impact de la crise asiatique, d'une conjoncture favorable.
Le retour de la croissance doit rapporter au budget de l'Etat, en 1999, plus de 50 milliards de francs de recettes supplémentaires. Nous devons en profiter non pas pour relâcher notre effort, mais, tout au contraire, pour poursuivre la réduction des déficits et alléger le niveau très excessif - nos excellents collègues de la commission des finances l'ont dit - des prélèvements obligatoires.
Comment ne pas rappeler ici que les critères de Maastricht sont simplement des règles de bonne gestion, des règles de bon sens que tout gouvernement devrait appliquer ? Je pense aussi que la dépense publique ne devrait, en toute hypothèse, pas augmenter plus rapidement que l'inflation et je regrette, à mon tour, que telle ne soit pas l'orientation retenue par le Gouvernement.
Comment ne pas rappeler que l'endettement est une tentation dangereuse, qui nous coûte chaque jour un milliard de francs pour régler les seuls intérêts de notre dette, et que, bien entendu, toute augmentation du déficit budgétaire accroît l'endettement public aux dépens des générations futures, qui devront en assurer le remboursement ?
Pour l'heure, malgré les progrès accomplis au cours des dernières années, la France demeure, en matière de réduction des déficits, à l'arrière du peloton européen. Le retour de la croissance doit rendre plus aisée la poursuite des efforts entrepris en la matière, tout en permettant l'indispensable réduction de la charge fiscale, qui constitue une absolue nécessité.
Dans ce contexte, je tenterai très brièvement, monsieur le secrétaire d'Etat, de tracer quelques pistes de réflexion dans le domaine des activités régaliennes qui entrent dans le champ de la compétence de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
J'ai bien noté que ces activités ne figuraient pas parmi les secteurs privilégiés constituant les priorités budgétaires retenues par le Gouvernement pour 1999. Je ne conteste, naturellement, aucune de ces priorités. Je ne suis pas davantage surpris - notre commission en a l'habitude ! - de ne pas y trouver ce qui constitue la base de notre action internationale.
C'est malheureusement le cas depuis longtemps, monsieur le secrétaire d'Etat, et je crains qu'il n'en aille encore ainsi dans l'avenir prévisible.
Mais, je le dis très tranquillement et très posément, il faudra bien un jour y venir et accorder aux moyens essentiels de la présence de la France dans le monde les ressources budgétaires qui lui sont indispensables, faute de quoi nous aurons insidieusement, mais de manière irréversible, abandonné l'ambition de notre pays dans le monde.
L'année 1999 verra, en ce domaine, la mise en oeuvre de l'importante réforme de la coopération, qui doit se traduire par une véritable fusion entre les affaires étrangères et la coopération.
Cette réforme d'envergure - nous en avons parlé ensemble, monsieur le secrétaire d'Etat - est complexe puisqu'elle impose à la fois l'intégration des services de la rue Monsieur et de ceux du quai d'Orsay, le regroupement budgétaire qui en résulte, l'intégration des personnels, la transformation des missions d'aide et de coopération, et, enfin, la transformation de la Caisse française de développement.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous savez les vives inquiétudes qui se sont manifestées au sein de notre commission - toute sensibilités confondues, vous avez pu le constater - quant aux conditions budgétaires de mise en oeuvre de cette réforme.
Des économies sont naturellement attendues de ce regroupement, grâce à l'élimination des doubles emplois et aux gains de productivité qui en résulteront. Il me paraît toutefois évident que ces bénéfices ne seront pas immédiats - c'est peut-être sur ce point que nous divergeons - et qu'il serait donc très imprudent de vouloir en quelque sorte tirer les dividendes de la réforme dès 1999. (M. le secrétaire d'Etat sourit.)
Je vous vois sourire, monsieur le secrétaire d'Etat. En fait, vous m'inquiétez, vous le savez !
En tout cas - c'est ma conviction - il y aurait un risque majeur de fragiliser d'emblée une réforme difficile, qui risquerait d'être d'autant plus mal acceptée que sa mise en oeuvre s'effectuerait dans un contexte de pression budgétaire accrue.
Mais notre inquiétude va au-delà de ces conditions immédiates de mise en oeuvre de la réforme. Elle porte sur l'évolution globale des dotations budgétaires du quai d'Orsay et de la rue Monsieur. Elle pourrait même toucher à la logique de cette réforme s'il devait apparaître que l'intégration de nos actions en Afrique dans le cadre d'une vaste direction générale de la coopération internationale et du développement dissimulait, en réalité, contrairement aux discours officiels, un certain désengagement de la France sur ce continent.
Pouvez-vous nous assurer, monsieur le secrétaire d'Etat, que tel ne sera pas le cas dans le projet de loi de finances pour 1999 ? Disposerons-nous, enfin, d'un document de synthèse, compréhensible pour le sénateur de base, évaluant, pays par pays, le poids de notre aide au développement et qui permettra au Parlement d'apprécier tout à la fois les évolutions et les redéploiements nécessaires ?
J'évoquerai enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, car j'aimerais beaucoup vous entendre sur ce point, les crédits militaires. J'aurais peut-être pu m'en dispenser, malgré le poids qu'ils représentent, puisque le Gouvernement a conduit, pendant de longs mois, dans le silence de sa capacité de réflexion, une revue des programmes d'équipement militaire.
Les conclusions de cet exercice interministériel, actées par le Président de la République et par le Premier ministre, prévoient, je le rappelle, la stabilisation, pour les quatre prochaines années, des crédits d'équipement militaire à un niveau supérieur à celui de « l'encoche » très préoccupante qui avait été faite par vous, en 1998, à l'exécution normale de la loi de programmation militaire.
Je me contenterai de formuler brièvement pour terminer, trois observations, étant entendu que j'escompte, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous confirmerez que le projet de budget de la défense pour 1999 sera bien conforme à ces conclusions de la revue des programmes, et cohérent avec les objectifs de la loi de programmation.
Première observation : la stabilisation à 85 milliards de francs constants des crédits d'équipement militaire est indispensable pour ne pas porter atteinte à la réforme de notre défense dans son ensemble et à la cohérence entre les missions assignées à nos armées et les moyens qui lui sont accordés.
L'équation sur laquelle repose l'équilibre de la loi de programmation est ambitieuse, mais cet équilibre est aujourd'hui en danger. Il pourrait être rompu par toute nouvelle réduction des crédits d'équipement. La marge de manoeuvre dans l'exécution de la loi de programmation est d'autant plus faible que le niveau des dépenses d'équipement retenu ne pourra être atteint que si les crédits ouverts sont intégralement consommés. Et vous savez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'atteindre un tel objectif est très difficile et suppose un réglage extrêmement fin de la consommation des crédits militaires, que seule une coordination entre services techniques et services gestionnaires permettra d'obtenir.
Ma seconde observation sera pour vous demander, monsieur le secrétaire d'Etat, les raisons de fond pour lesquelles le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie semble encore freiner le développement des commandes pluriannuelles - j'en suis tout étonné - pourtant indispensables au bon déroulement des programmes d'armement et largement pratiquées par nos partenaires. L'exemple comparé de la gestion financière et des commandes de l' Eurofightet - allemand, anglais, italien, espagnol - et de celles du Rafale français, pour lequel nous attendons toujours la commande groupée de 48 avions annoncée par le précédent gouvernement, me paraît à cet égard tristement éloquent pour mon pays.
Je conclurai enfin - et cela ne surprendra personne - en vous demandant encore une fois, monsieur le secrétaire d'Etat, puisque vous lisez, comme moi, le grand journal du soir, que le Gouvernement s'engage à ce que les crédits militaires ne soient pas affectés, en cours d'année, par des régulations budgétaires. Si tel n'était pas le cas, en effet, l'engagement pris par le Gouvernement à l'issue de la revue des programmes risquerait, naturellement, de perdre toute valeur. De nouvelles annulations, source de mauvaise gestion, compromettraient la réforme de notre défense dans son ensemble et ôteraient toute crédibilité aux lois de programmation militaire. J'ajoute, accessoirement, qu'elle réduirait également notre débat d'aujourd'hui à un simple exercice de style.
J'ai, pour ma part, la conviction que le « décrochage » des budgets annuels par rapport à la programmation et le « décrochage » des lois de finances exécutées par rapport aux lois de finances initiales ne constituent pas, monsieur le secrétaire d'Etat, une fatalité. C'est une affaire de volonté politique. Je souhaite que ce soit celle du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. Avant de vous donner la parole, monsieur le secrétaire d'Etat, je veux vous indiquer que je devrai impérativement suspendre la séance à treize heures au plus tard, car, à quinze heures, M. le président du Sénat doit prononcer son allocution de fin de session.
Vous avez la parole.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, je veux dire aux cinq présidents de commission qui se sont exprimés d'une façon ô combien argumentée et ô combien sage, ainsi qu'à M. le rapporteur général, que je ne vois pas comment, en quelques minutes, je pourrais rendre hommage à l'intelligence de leurs propos.
Avec votre autorisation, je leur répondrai donc à la fin du débat ; ce sera plus conforme au respect que je crois devoir à la qualité de leurs interventions.
M. le président. Nous allons donc interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. René Monory.)