Séance du 14 octobre 1998






RÉFORMES ANNONCÉES DE L'ÉDUCATION

Suite de la discussion d'une question orale avec débat

M. le président. Nous reprenons la discussion de la question orale avec débat n° 7 de M. Adrien Gouteyron à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie sur les réformes annoncées de l'éducation.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, point n'est besoin d'atteindre et d'attendre la majorité légale pour infléchir son destin. Espérons que cette volonté d'agir sur le cours des choses se traduira aussi, demain, par une participation aux scrutins électoraux.
Les parties en présence, hier et demain, sont constituées d'une fraction de la population et de l'Etat. Depuis plusieurs décennies, cette population veut être, également, acteur de son sort. Aussi, chaque gouvernement initie sa propre enquête afin de bâtir sa propre réforme. Si bien que les mesures fondées sur les réponses obtenues restent la plupart du temps au stade de l'énoncé ou au mieux reçoivent un début d'application. Rarement, pour ne pas dire jamais, une réflexion sur les effets n'a lieu puisque le nouvel exécutif n'a qu'une idée, imprimer sa marque au système.
Il conviendrait, dans l'intérêt général, d'agir avec un peu plus d'humilité et de cohérence. L'éducation nationale n'est pas un champ d'expérience à l'usage des politiques, les élèves des cobayes et les parents d'élèves des mutants car lorsqu'ils ont quatre ou cinq enfants, ils ont eu toutes les variantes possibles.
Je souhaite donc qu'avant de faire table rase de ce qui a été arrêté et de ce qui a été mis en place on en tire un enseignement. De plus, comme tout changement a un coût, il serait opportun de ne le faire qu'à bon escient. On pourrait calmer le jeu à ce niveau-là.
Puisqu'il y a eu consultation en vue d'une réflexion sur une réforme des lycées parlons-en.
Selon un document établi par vos services, madame le ministre, vous avez engagé « une consultation de très grande ampleur organisée par M. Philippe Meirieu, professeur d'université, sur les enseignements en lycée afin de les adapter aux exigences de notre temps. Celle-ci a concerné l'ensemble des acteurs du système éducatif : élèves, enseignants, chefs d'établissement, qui ont été consultés sous forme de questionnaires diffusés à des millions d'exemplaires. » Lui a fait suite un colloque national en avril dernier.
Toujours dans ce même document, il est précisé qu'« aucun aménagement des structures d'enseignement en lycée n'interviendra à la rentrée 1998 ». Et c'est là que le bât blesse !
L'effet d'annonce et la communication sur l'événement ont été tels que les attentes sont allées crescendo. Les jeunes, aujourd'hui, ont l'impression d'avoir été floués. Les adolescents ne tolèrent ni l'injustice, ni le manquement de parole venant des adultes, même si eux-mêmes n'honorent pas toujours leurs promesses ! Or le temps de réponse ne leur a pas été indiqué clairement. Conclusion : c'est tout et maintenant !
Ainsi, des solutions vont être trouvées dans l'urgence. Permettez-moi de douter que ce soient les meilleures en ce qui concerne tant la qualité que le coût.
Précipitation et imminence ne riment pas avec ajustement et durée. Ce sera forcément encore une occasion de ratée car pour faire rentrer les élèves dans leurs lycées, il va bien falloir colmater les brèches, donc faire du provisoire.
En effet, ou bien il était possible de mettre les mesures nécessaires en place pour la rentrée 1998 - et alors pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ? - ou ce n'était matériellement pas réalisable, et ça ne l'est pas plus aujourd'hui, c'est-à-dire un mois après. La réponse apportée ne sera donc pas adéquate ; elle calmera momentanément.
Une double erreur a été commise. D'une part, l'information n'a pas été délivrée entièrement et l'un des acteurs a été méconnu dans sa capacité de partenaire responsable ; d'autre part, l'appréciation des paramètres saisis a été mauvaise puisque n'a pas été perçu l'impératif de ne pas reporter le traitement des dysfonctionnements.
Cet état de chose tient, aussi, au mode d'administration trop centralisé.
Si le mouvement des lycéens a débuté à Nîmes et à Montpellier, c'est bien parce que l'acuité des carences y était plus forte qu'ailleurs. Les problèmes gagneraient à être traités et les solutions trouvées et mises en place par une autorité de proximité. Meilleure identification, plus rapide aussi, facilité d'échanges, opportunité de traitement, ajustement possible : tout est optimisé.
Pourtant, il aura fallu attendre dix ans après les lois de décentralisation pour qu'un texte législatif mette en place une gestion déconcentrée des affectations des personnels pour la rentrée scolaire 1999. Le processus prévoit une phase nationale interacadémique où l'administration centrale procède à l'examen des demandes de changement d'académie et une phase intra-académique gérée par le rectorat pour les personnels déjà en exercice dans l'académie et ceux qui y arrivent. Il était temps ! Trois enseignants haut-saônois ont mis plusieurs années à permuter entre eux alors qu'ils avaient la même spécialité, que les chefs d'établissement étaient d'accord et qu'ils satisfaisaient aux critères des nouvelles affectations demandées. La limpidité de la chose ne s'imposait pas à Paris.
Les collectivités locales - communes, départements, régions - ont en charge, respectivement, les immobiliers de l'enseignement primaire, du premier cycle du secondaire et du second cycle du même secondaire. La cohérence et l'efficacité voudraient qu'elles aient, avec les services déconcentrés de l'Etat, également la gestion de l'ensemble, des ouvertures ou des fermetures de classe, des personnels, du choix des langues, des options et des rythmes scolaires. On en arrive à énoncer des lapalissades car il est évident que l'ensoleillement n'est pas le même à Lille et à Marseille et que les horaires scolaires pourraient être modulés en fonction des conditions climatiques sans que la souveraineté nationale soit en péril. Ainsi, le modeste département rural de la Haute-Saône, que j'ai l'honneur de représenter dans cet hémicycle et que vous connaissez, a été choisi pour expérimenter de nouveaux rythmes scolaires aménagés. Je suis convaincu que l'inspecteur d'académie, les chefs d'établissement, les représentants des parents d'élèves et ceux des scolaires auraient été tout à fait capables d'apprécier et de décider ce qui était le plus approprié pour eux.
La possibilité de création de filières novatrices et spécifiques devrait également être donnée dans l'enseignement supérieur aux entités régionales et aux antennes départementales. Là encore, la saisie de proximité permet d'apporter des réponses totalement adaptées aux besoins.
L'IUT de Vesoul, en partenariat avec les entreprises locales, a des formations dont les diplômés sont attendus par l'environnement économique. Ce passeport pour l'emploi en fait une structure recherchée. Pourtant, c'est un bras de fer permanent pour obtenir ou conserver des enseignants, pour mettre en place le bouclage d'un cycle, pour obtenir des crédits de laboratoire ou d'atelier.
Bien qu'il ait été admis que le chômage était combattu plus efficacement quand il était appréhendé à travers les bassins d'emploi, l'éducation nationale ne met pas tout en oeuvre pour que les moyens soient donnés. La responsabilité est lourde. Chacun connaît la fragilité des grands groupes, plus exposés aux fluctuations des monnaies et de l'économie internationale. Dès que leurs résultats fléchissent, les conséquences s'en font sentir dans l'Hexagone et la précarité s'installe dans des milliers de familles. La force d'aujourd'hui réside dans la vitalité et le développement des PME et des PMI. Dans des structures régionales, elles sont associées aux collectivités locales et aux services déconcentrés de l'Etat pour mettre en place des réponses personnalisées qui construisent l'avenir. C'est ce pari qu'il faut soutenir car si l'éducation nationale ne sert pas à entrer dans la vie avec le plus d'atouts possible, je ne vois pas où est sa mission.
Relativement à cela, je me demande s'il n'y a pas dilution de cette vocation : apprendre à apprendre et transmettre le savoir. L'assignation nouvelle de tâches visant à relayer, notamment, le milieu familial défaillant revient plus à traiter les effets que les causes.
Prenons le racket. Les psychologues s'accordent pour dire que ce ne sont pas obligatoirement les milieux défavorisés, où il y a manque, qui génèrent les racketteurs et qu'il n'y a pas de victime type. L'enfant qui rackette serait celui à qui les parents n'ont pas su ou n'ont pas voulu dire non. Ainsi le désir de posséder ce qu'il n'a pas doit-il être immédiatement satisfait. Il prend là où se trouve l'objet.
Bien sûr, il est nécessaire de réagir, d'avertir et d'éduquer pour que ces violences soient non pas subies mais dénoncées. Mais la racine du mal est ailleurs, dans le manque de repères et l'absence de structuration. La cellule familiale, fondement du système social, mérite une politique toute particulière de soutien et d'accompagnement. Or, depuis plusieurs mois, elle subit des mauvais coups.
Lors de votre dernier passage en Haute-Saône, madame le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire, vous vous êtes félicitée, lors d'une interview, que « l'école ait réussi la massification ». Si l'on entend par là arriver au niveau zéro d'illettrisme et à l'accès pour tous à la culture, qui, on le sait, est un héritage mal réparti, bravo ! Mais je crains une dérive d'une autre nature que l'on trouve dans la formule « une classe d'âge bachelière ».
Outre le fait que cette proposition semble résulter d'une mauvaise traduction de propos entendus à l'étranger, avant d'être séduit et d'adhérer séance tenante à la gageure, il aurait fallu mener une réflexion qualitative. Le pari ayant été tenu, examinons les effets.
Le niveau de connaissances des bacheliers a baissé ; le diplôme s'est dévalorisé. Les premières années de faculté connaissent une surpopulation et les écumages se situent lors des DEUG. Des jeunes arrivent ainsi régulièrement sur le marché du travail en n'ayant aucune qualification.
Je ne vois aucune connotation discriminatoire à dire que tous les élèves ne sont pas aptes à suivre un enseignement général et que l'entêtement mis à y propulser le maximum d'effectifs est irresponsable. Le marché du travail se chargera de sanctionner le laxisme qui aura prévalu au cours d'une scolarité parce qu'on n'aura pas voulu, au nom d'un égalitarisme pénalisant à terme, orienter différemment.
M. André Maman. Très bien !
M. Bernard Joly. Finalement, celui qui sera puni ce n'est pas celui qui aura commis l'erreur, mais celui qui l'aura subie. Cela n'est pas admissible.
Avec cette politique, les effectifs des lycées et des universités ont grossi et les effets de la baisse de la natalité ont été comblés. Il apparaît aujourd'hui clairement que le corps enseignant n'a pas été renforcé en conséquence. La marmite explose.
M. André Maman. Bien sûr !
M. Bernard Joly. A côté de moyens à mettre en oeuvre, il convient de réfléchir sur une redistribution des responsabilités.
A l'aube du xxie siècle, il est anachronique que des entités administratives territoriales dotées d'un exécutif et d'un budget, bénéficiant de transferts de compétences et de crédits de la part de l'Etat, continuent, dans leur propre champ de capacité affectée, à être partiellement dirigées par la capitale. C'est totalement obsolète. Les habitudes doivent être modifiées.
Si telle est votre conviction, je gage que vous y parviendrez, madame le ministre, et vous trouverez alors le soutien de la représentation nationale, constituée en majorité d'élus locaux. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Darcos.
M. Xavier Darcos. Monsieur le président, mes chers collègues, à diverses reprises, Mme la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire et M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie ont présenté devant la commission des affaires culturelles les priorités du Gouvernement sur une question essentielle et au fond récurrente : les réformes - pour ne pas dire la réforme - du système éducatif français.
Or, depuis 1988, une seule question orale avec débat a été posée au ministre de l'éducation nationale par la Haute Assemblée. C'est dire l'importance du débat d'aujourd'hui dont l'heureuse initiative revient à M. Adrien Gouteyron et qui coïncide avec un moment de fièvre lycéenne dont je n'exagérerai cependant pas l'importance pour avoir connu de tels moments à peu près tous les ans à l'occasion de mes fonctions précédentes. Ayant travaillé au sein du ministère de l'éducation nationale jusqu'à ces dernières années, je connais la complexité, la lourdeur des problèmes, et j'aurai garde de ne jeter la pierre à qui que ce soit en parlant de questions aussi centrales.
Je souhaiterais donc, madame la ministre, vous poser sans la moindre polémique plusieurs questions en vue d'éclairer le Sénat sur les réformes qui ont été successivement annoncées et qui ont été parfois évoquées soit dans cet hémicycle soit devant la commission des affaires culturelles du Sénat. La dernière audition de M. le ministre de l'éducation nationale par cette commission, dont j'ai lu le compte rendu, ouvrait ainsi des perspectives très nombreuses.
J'aborderai tout d'abord le thème de la violence et de l'insécurité, exemple typique de sujet récurrent. Si ce sujet est toujours d'actualité, il a cependant déjà fait l'objet de rapports approfondis, de commissions, de réunions d'urgence, de réunions interministérielles, et, naguère, d'une réunion à Matignon. Mais il a aussi été examiné par M. Jean-Louis Lorrain dans son rapport intitulé « Violences scolaires : ni fatalité, ni impuissance ». Ainsi, notre collègue a présenté le 24 juin dernier une série de propositions de grande qualité visant à la redéfinition des fonctions du personnel éducatif d'encadrement et à l'institution d'un code de déontologie pour l'an 2000, afin de rétablir à la fois l'autorité dans le sanctuaire de l'école, l'autorité et la responsabilité des parents, et, tout simplement, la discipline des enfants.
Ces propositions complétaient ou renforçaient les mesures qui avaient été annoncées le 2 juillet 1997 devant la commission des affaires culturelles du Sénat. Un plan de lutte contre la violence scolaire a été mis en place sur neuf sites dans six académies, mais force est de constater - et ce n'est pas surprenant - qu'il porte pour l'instant inégalement ses fruits. Il serait néanmoins intéressant d'avoir un premier bilan. Les recensements effectués trimestriellement depuis la rentrée scolaire 1996 révèlent en effet une hausse systématique des phénomènes de violence enregistrés dans les établissements publics. La question que je souhaite poser est donc précise et simple : quelles solutions concrètes le Gouvernement envisage-t-il de prendre immédiatement pour garantir dans tous les établissements le respect de la loi, celui de la sécurité des personnes et des biens, le temps, le calme pour enseigner ?
Ma deuxième question porte sur la réforme interne du ministère de l'éducation nationale.
M. Allègre avait exprimé d'emblée, dans des termes forts et extrêmement imagés, sa volonté de « dégraisser » de lourdes structures - il avait même cité un animal préhistorique ! - et, concrétisant cette volonté, les directions de son ministère sont passées de dix-neuf à dix.
Simultanément, le recteur Claude Pair a proposé, dans un rapport de soixante-quatorze pages commandé en septembre 1997 et publié au mois de février dernier, toute une série de mesures destinées à repenser l'organisation des services extérieurs du ministère de l'éducation nationale.
Là encore, ma question est simple : quelle suite le Gouvernement compte-t-il réserver aux propositions pertinentes du rapport Pair, dont le fil conducteur - « Responsabilité et démocratie » - était vaste mais intéressant ?
Dans un entretien publié le 10 octobre dernier dans un grand quotidien régional, M. Allègre a annoncé qu'il prendrait des mesures de déconcentration après la Toussaint, et cela a été confirmé ce matin. Mais le rapport Pair allait beaucoup plus loin que la simple déconcentration des affectations des enseignants.
Pourriez-vous donc préciser où en est ce projet et quelle est la teneur de vos intentions ? Pourriez-vous également éclairer le Sénat sur les moyens et les compétences qui vont être attribués aux régions et aux rectorats chargés en particulier de gérer ce nouveau mode d'affectation des personnels enseignants ?
Je souhaite ensuite poser une série de questions plus circonscrites mais propres également à nous éclairer sur vos intentions concernant le système éducatif.
La première porte sur le taux trop élevé d'absentéisme des enseignants, problème évoqué le 9 octobre 1997 par M. le ministre de l'éducation nationale devant la commission des affaires culturelles : 85 000 élèves, disait M. Allègre, sont touchés chaque jour par cet absentéisme. Ce chiffre est effrayant. S'il est réel, sans doute avez-vous prévu que chaque congé de formation soit subordonné au remplacement effectif de l'enseignant concerné. Là encore, cette intention est-elle suivie d'effet ? Où en sommes-nous ?
Enfin, madame la ministre, vous aviez, pour votre part, insisté sur l'aspect humain du personnel éducatif d'encadrement et aviez estimé à juste titre, le 2 juillet 1997, devant la commission des affaires culturelles, que « la revalorisation du métier d'enseignant et de chef d'établissement était indispensable pour restaurer la dignité de ces personnels ».
Plusieurs des orateurs précédents ont insisté sur le besoin de remobiliser l'élite de nos enseignants pour qu'ils se présentent au concours de chef d'établissement. On observe en effet aujourd'hui une pénurie de personnel de qualité pour accéder à ces fonctions. Que comptez-vous faire à cet égard ? Alors que les fonctions de principaux de collèges et de proviseurs attirent de moins en moins, quelles mesures envisagez-vous pour répondre à cette difficulté ?
Enfin, le 13 mai 1998, M. Philippe Meirieu, président du comité d'organisation de la consultation nationale sur l'avenir des lycées, a présenté un rapport assez vaste qui, certes, vient après tant d'autres - les rapports de MM. Prost, Bourdieu, Fauroux - mais qui a cependant l'avantage de présenter des suggestions concrètes destinées à améliorer notre système d'enseignement : rédéfinition de la mission du service des enseignants, autonomie des équipes pédagogiques, accompagnement des élèves par le soutien scolaire, bilan en fin de classe de première, expression artistique développée, éducation civique et juridique, etc. Ce rapport est intervenu après une consultation immense, notamment des lycéens. Il serait dramatique que ces derniers voient leurs espérances déçues.
Pourriez-vous, madame la ministre, nous apporter des précisions sur les priorités à court terme et sur les actions à moyen ou à long terme que vous avez retenues dans les propositions de M. Meirieu ?
Je voudrais également attirer votre attention sur un thème que le président René Monory a souvent défendu avec la conviction que chacun lui connaît : le lycée ne doit pas être une forteresse coupée des réalités de la vie quotidienne, mais doit être inséré dans son environnement, notamment régional, au sein des bassins de formation. Cet aspect pratique de l'enseignement ne doit pas être dissocié de la réalisation, d'une part, du plan informatique annoncé devant la commission des affaires culturelles, et, d'autre part, de la mise en conformité du parc des machines des lycées professionnels, qui représente pour nos régions une charge trop lourde.
Le 2 juillet 1997 encore, madame la ministre, vous aviez émis devant la commission des affaires culturelles l'idée d'une péréquation entre les régions pour régler cette question cruciale. Où en sommes-nous ?
Mme Hélène Luc. Vous devriez nous parler un peu de ce que vous avez fait quand vous étiez au pouvoir !
M. le président. Seul M. Darcos a la parole !
Mme Hélène Luc. Oui, mais on dirait que ses amis n'ont jamais gouverné !
M. Xavier Darcos. S'agissant du plan informatique, est-il exact que certaines filières de sciences et technologies tertiaires n'ont pas toujours d'ordinateurs à leur disposition ?
Enfin, je voudrais terminer mon propos par deux questions essentielles : les rythmes scolaires et l'apprentissage des langues vivantes.
S'agissant des rythmes scolaires, qui, précisément, furent préparés par M. Bayrou, M. Allègre a formulé le 1er juillet dernier, devant la commission des affaires culturelles, une série de propositions exprimant des préoccupations identiques à celles qui avaient été émises précédemment par les ministres concernés. Ont été annoncées la réduction des horaires d'enseignement, en concertation avec les organisations syndicales, et une plus grande ouverture des établissements scolaires sur la cité. Pourriez-vous nous préciser, madame la ministre, les axes de priorité qui ont été retenus à ce jour par votre département ministériel ?
En ce qui concerne l'apprentissage des langues vivantes dans l'enseignement primaire, mesure également engagée par M. Bayrou, vous avez constaté à deux reprises devant la commission des affaires culturelles, le 2 juillet et le 9 octobre 1997, que notre pays connaissait un retard dans ce domaine par rapport à de nombreux pays étrangers, ce que chacun s'accorde à reconnaître. Vous avez donc formulé le souhait d'une extension à l'école maternelle de l'apprentissage des langues vivantes.
A ce jour, la situation a-t-elle évolué ? Cet apprentissage des langues vivantes ne doit d'ailleurs pas exclure la diffusion de notre propre langue dans les écoles et dans les lycées des pays francophones. Vous connaissez mieux que personne, madame la ministre, la situation du français et de la lecture dans les classes de sixième.
Le 9 octobre 1997, enfin, M. Allègre insistait devant la commission des affaires culturelles sur la nécessité de renforcer l'enseignement du français dans les pays francophones par l'utilisation de satellites. Il évoquait également l'élaboration d'une charte d'études françaises dans plusieurs universités américaines, déclarant que : « la défense de la langue française passe par une politique offensive ».
Cette question, si elle peut sembler ne pas s'inscrire au coeur même du débat d'aujourd'hui, a cependant son importance, en tout cas à mes yeux, et ne doit pas être perdue de vue.
Comme nous le savons tous, les études, les colloques, les rapports officiels, les lois de programmation n'ont pas manqué.
M. Adrien Gouteyron. Oh non !
M. Xavier Darcos. Ils ont la réputation d'être régulièrement commandés par le ministère de l'éducation nationale, mais chacun craint que leur destin ordinaire ne soit d'être enterrés.
C'est la raison pour laquelle je souhaite que le Sénat soit informé des suites concrètes que le Gouvernement envisage de donner à tous ces rapports et ces intentions.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Xavier Darcos. L'école a besoin de se conduire de façon pédagogique c'est-à-dire de se concentrer sur l'essentiel, d'expliquer clairement les intentions et les objectifs, d'agir concrètement. Comment les jeunes feraient-ils confiance aux gestionnaires du système éducatif si nous dispersons les pistes, si nous mobilisons sans cesse l'opinion, si nous accumulons les rapports et les réflexions sans jamais conclure vraiment ? Or, vous le savez, conclure, c'est agir ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est vraiment touchant d'entendre le mea culpa de certains de nos collègues de la majorité sénatoriale, lesquels expliquent tout ce qu'il faut faire, alors qu'ils ne l'ont pas fait quand ils étaient au pouvoir !
M. Jean-Louis Carrère. Bravo !
M. Paul Blanc. Vive la FEN !
Mme Nicole Borvo. Le débat de cet après-midi tombe évidemment à point nommé - tout le monde en a d'ailleurs conscience - alors que, dans tout le pays, des lycéens de toutes les grandes villes de France, dont Toulouse, Montpellier et Bordeaux, des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, de l'Essonne, de Seine-et-Marne, en passant par Paris,...
M. Ivan Renar. Et le Nord - Pas-de-Calais !
Mme Nicole Borvo. ... demandent par dizaines de milliers, voire par centaines de milliers, aux responsables politiques de se préoccuper de leur avenir.
Qu'expriment ces lycéens ? Le malaise de la jeunesse devant l'avenir ? Sans doute ! Mais justement, madame la ministre, ce malaise nous interpelle. En même temps, ces lycéens expriment des aspirations précises, fortes, à des changements tangibles dans la construction de cet avenir, ce qui concerne en premier lieu le système éducatif.
Il ressort des paroles lycéennes deux choses : d'une part, la volonté de réussir des études de qualité et qualifiantes, donc d'étudier dans de bonnes conditions, et de pouvoir bien travailler ; d'autre part, le souhait d'une démocratie accrue.
Ce sont là deux grandes questions largement exprimées par les lycéens qui ont répondu au questionnaire que le Gouvernement leur avait soumis l'année dernière. Ces aspirations sont légitimes, comme l'a dit lui-même M. le ministre. Le Gouvernement doit y répondre et ne pas décevoir.
Se posent alors, bien évidemment, les vraies questions. En se concentrant sur l'essentiel, elles sont, me semble-t-il, au nombre de trois.
La première question est celle de l'égalité devant l'école. Tout le monde sait qu'elle n'est pas réalisée. Sans aucun doute, le service public de l'enseignement n'a pas démérité, et les acquis et le mérite de notre enseignement, à savoir le service public national et la qualité des personnels, ne sont pas en cause. Ils ont résisté à l'offensive libérale et aux politiques de restriction des dépenses publiques, mais ils doivent être confortés. Ils justifient l'attachement de la population à son école publique nationale.
Le service de l'éducation a permis que la quasi-totalité des élèves accède à l'enseignement secondaire, que plus de 60 % des jeunes obtiennent le baccalauréat et qu'un jeune sur deux fréquente un établissement d'enseignement supérieur.
Pour autant, chacun le sait, il n'y a pas eu de véritable démocratisation du système. L'école reproduit la hiérarchie des origines sociales. La ségrégation se perpétue selon des formes nouvelles. Plus grave, le système semble grippé : depuis quelques années, le taux de réussite au baccalauréat et le pourcentage d'élèves accédant à l'enseignement supérieur stagnent, lorsqu'ils ne régressent pas.
Je ne partage pas l'opinion selon laquelle, s'agissant de l'enseignement, la question du quantitatif serait réglée.
Pourquoi faudrait-il accepter comme une fatalité que quatre jeunes sur dix n'obtiennent pas le baccalauréat et que seulement un sur deux accède à l'enseignement supérieur ?
Faudrait-il penser que l'objectif de 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat soit inaccessible, alors que l'évolution des connaissances et le développement de l'information requièrent plus de travail qualifié, plus de culture, plus de citoyenneté pour tous ?
Apprendre tout au long de sa vie, ce à quoi les jeunes sont invités, implique que le socle de base des connaissances soit élevé et solide.
La deuxième question est celle du contenu de cette école. Au travers des différents chantiers entrepris, le gouvernement actuel a posé de vraies questions ; reste à trouver ensemble de vraies réponses.
Prenons garde de ne pas répondre hâtivement aux problèmes qui se posent dans les lycées. Il faut tenir compte des exigences de transformation moderne.
La baisse des horaires des cours au lycée à vingt-six heures par semaine dans l'enseignement général, à trente heures dans l'enseignement technologique et professionnel résulte pour une large part de la réforme des lycées que vous avez engagée. Est-on pour autant assuré que cela ne sera pas sans conséquence négative sur les enseignements ? Ne faudrait-il pas se donner encore le temps de réfléchir sur les contenus ? Alléger les programmes d'ici aux vacances de la Toussaint, n'est-ce pas un peu hâtif au regard des enjeux concernés ?
Nous avons à faire face à l'arrivée de nouvelles connaissances, de nouvelles technologies qui appellent une réflexion d'ensemble sur ce qu'il convient d'enseigner et sur la manière de le faire.
Des milliers de jeunes défilent et dénoncent les sureffectifs dans les classes, réclament davantage de professeurs, réclament de meilleures conditions de travail dans des locaux adaptés. Ils ne trouveront pas de réponse satisfaisante si l'on n'accorde pas au service public d'enseignement des moyens conséquents. C'est le cas, pour ne prendre que ces exemples, de la transformation des heures supplémentaires en postes et du recrutement d'enseignants.
La modernité ne passe pas forcément par faire « moins d'école » - peut-être même faudrait-il en faire davantage - et le problème est de faire mieux l'école.
Ces revendications rencontrent celles qu'expriment de façon constante les enseignants et les parents d'élèves ainsi que les chefs d'établissement, auxquels on demande de résoudre tant de problèmes.
La démocratie revendiquée par les lycées doit être effective pour eux, et d'ailleurs pour tous les acteurs du système éducatif. Elle ne peut qu'être bénéfique pour dynamiser notre école.
L'éducation à la citoyenneté, oui, mais aussi, en même temps, l'exercice de la citoyenneté dans l'école et dans la société. Outre des moyens et des postes supplémentaires d'enseignants, les jeunes attendent des locaux mieux adaptés et en nombre suffisant. Certaines collectivités territoriales s'engagent. C'est le cas de la région d'Ile-de-France, et personne ne comprendrait que l'Etat ne prenne pas les responsabilités qui sont les siennes.
Avec la « Charte pour l'école du xxie siècle », vous amorcez le débat sur la transformation de l'école élémentaire.
Je considère comme positif que ce débat puisse avoir lieu. L'école maternelle, l'école élémentaire comme le collège et le lycée méritent d'être transformés. Le travail en équipe, en relation avec la recherche pédagogique, l'amélioration de la formation continue sont incontestablement des orientations positives. Mais, là encore, comment avancer à moyens constants ?
Les aides éducateurs dans les établissements font oeuvre utile. Leur travail, complémentaire de celui des enseignants, ne saurait cependant se substituer au leur.
La concertation entre les différents partenaires, le temps pour la formation impliquent la constitution de véritables équipes pédagogiques et non pas moins, mais davantage de professeurs d'école.
Les méthodes d'enseignement, les contenus disciplinaires, la formation des enseignants doivent être évalués et modifiés, mais pas en mettant en cause le niveau de recrutement des enseignants. Ce travail nécessite plus de collaboration entre les scientifiques et les enseignants, plus de démocratie.
Traversée par les mêmes questions que l'ensemble de la société, l'école, avec ses personnels, doit faire face à des phénomènes relativement nouveaux tels que la violence ou encore la malnutrition.
Face à ces problèmes, elle ne peut pas tout, mais elle doit contribuer à apporter des réponses.
L'amélioration de l'accès à la restauration scolaire, à laquelle vous êtes attachée, madame la ministre, la présence d'adultes dans les établissements, l'aide aux enfants particulièrement démunis sont incontournables.
La médecine scolaire est sinistrée. De premiers efforts ont été faits, mais nous constatons bien l'ampleur du problème ! L'éducation à la santé, oui, mais elle doit aller de pair avec la compétence sanitaire pour prévenir et orienter la prise en charge pour la santé. Les enfants eux-mêmes ne revendiquent-ils pas la présence d'infirmières scolaires dans les établissements pour pallier les petits et les grands maux dont ils souffrent ? Permettez-moi un mot sur le plan « Université du troisième millénaire », que M. le ministre de l'éducation nationale vient de mettre en chantier.
Réfléchir à l'université pour le xxie siècle ne peut se faire sans prendre en compte l'extraordinaire progrès des connaissances qui caractérise notre époque et l'élévation du niveau de formation que cela implique.
Dans un avenir proche, l'essentiel des formations comportera un passage obligé par l'enseignement supérieur. Cela suppose que le nombre d'étudiants continue de s'accroître de manière importante. De ce point de vue, l'ambition ne peut être, à mon sens, comme cela semble ressortir du plan, dans des effectifs en stagnation, voire en régression.
D'autre part, le plan « Université du troisième millénaire » s'appuyant sur un fort engagement des régions, le risque est grand de voir s'aggraver encore les inégalités à l'intérieur du pays. Là encore, l'investissement éducatif s'impose, tant du point de vue de la rénovation et de la construction d'établissements que du recrutement de personnels enseignants et IATOS, ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service.
En troisième lieu, je l'ai évoqué implicitement mais je veux le dire nettement, il est impossible de s'engager dans des réformes positives du système éducatif sans y consacrer les moyens nécessaires.
Dans cet hémicycle, la majorité sénatoriale vous demande de faire beaucoup, de faire, en fait, tout ce que la droite n'a pas voulu faire...
M. Paul Blanc. Ce qu'elle n'a pas pu faire, à cause de la FEN !
Mme Nicole Borvo. ... sans y consacrer un sou de plus. Ce n'est pas sérieux ! Conforter notre système d'enseignement, c'est répondre aux besoins d'aujourd'hui et non aux besoins d'hier !
En ce qui concerne le nombre d'élèves par enseignant dans le secondaire, le chiffre de onze correspond à peu près à la moyenne mondiale, mais il se situe derrière l'Allemagne, l'Espagne, la Turquie. Par ailleurs, notre pays se situe au huitième rang mondial pour ce qui est de la dépense publique directe pour les établissements, et au quatrième rang de l'Union européenne.
Lutter contre les gâchis, oui, mais parler de moyens constants et de redéploiements internes n'est pas la solution.
Elue d'un département trop facilement considéré comme bien doté, je constate que le nombre d'enfants scolarisés en maternelle à Paris régresse, que le remplacement des enseignants absents n'est pas assuré de façon satisfaisante, que l'enseignement spécialisé est en voie de disparition. En réalité, s'il n'y a pas assez de postes globalement, comment répondre aux besoins localement ? La déconcentration ne saurait y remédier.
Certains départements ont particulièrement souffert des politiques d'austérité antérieures que vous avez menées, messieurs de la majorité sénatoriale. La Seine-Saint-Denis a mis ce problème sur le devant de la scène, mais, dans chaque département, il y a des points noirs, et force est de constater que l'insuffisance globale accumulée depuis des années ne permet pas d'apporter des réponses durables, ni là ni ailleurs.
Le développement de l'emploi à l'école n'a rien perdu de son actualité. Aussi, le budget de l'éducation nationale devrait concourir plus qu'il ne le fait à la création d'emplois stables. Lever le gel de l'emploi public, créer 2 000 emplois de certifiés stagiaires dès la rentrée 1999 coûterait quelque 85 millions de francs ; en outre, le fait de financer par des créations d'emplois les engagements pour la Seine-Saint-Denis nécessiterait 126 millions de francs de crédits nouveaux. Qu'est-ce en comparaison de l'exonération de la taxe professionnelle, dont nous ne sommes pas même certains qu'elle se traduise par des créations d'emplois ?
Certes, le ministère de l'éducation nationale a inversé le processus entamé par le précédent gouvernement, qui prévoyait la suppression de 5 000 postes ; c'est évidemment positif, mais il nous faut aller plus loin encore et vous pourrez compter, pour ce faire, sur la détermination de l'ensemble de notre groupe à faire prévaloir des choix de progrès et de justice pour l'école.
Cette question des moyens touche plus fondamentalement aux réformes à entreprendre pour que la politique de gauche réponde aux attentes populaires.
Ce sera l'objet du débat budgétaire. Pour nous, contrairement à la droite, il ne s'agit pas de réduire les dépenses publiques, mais au contraire d'en faire le levier du développement de la croissance, comme souhaite le faire le Premier ministre.
Débattre en si peu de temps de l'école est une gageure qui laisse de côté bien des aspects. Ainsi n'ai-je pas abordé le développement au sein du système éducatif des emplois-jeunes, la formation absolument nécessaire de ceux qui ont été recrutés, la transformation de ces emplois en emplois durables, les questions relatives à la recherche, indissociables de la réflexion sur l'université, l'adaptation de la formation des maîtres. Mais nous y reviendrons à l'occasion de l'examen du budget et à d'autres moments encore, j'en suis certaine.
L'ensemble de la communauté éducative, les parents et les jeunes attendent de vous, madame la ministre, attendent de nous, la majorité aujourd'hui en France, des signes forts qui donnent son sens à une politique éducative synonyme de progrès pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre système éducatif est en pleine mutation : « Charte pour bâtir l'école du xxie siècle », suite de la consultation « Quels savoirs enseigner dans les lycées », réflexion sur le collège, mise en place des contrats éducatifs locaux...
Ce programme ambitieux et plus que nécessaire implique la réelle démocratisation de l'école en termes d'objectifs, de contenus, de programmes, de rythmes et de méthodes.
Il implique aussi une gestion administrative et technique déconcentrée au plus près des établissements : il faudrait faciliter la prise de décision dans un meilleur rapport avec les collectivités locales.
Plus généralement, l'école, qui supporte une charge très lourde - l'apprentissage des savoirs et de la citoyenneté - ne peut assumer seule l'adaptation à son environnement.
Quant à l'éducation à la citoyenneté, elle n'est plus la mission propre de l'école, mais le rôle de l'ensemble des adultes. Il ne doit pas y avoir de fossé entre l'éducation civique à l'école et la réalité des comportements. Elle nécessite donc une mobilisation forte de tous.
Déjà, de très nombreuses associations telles la Ligue de l'enseignement, la Fédération des oeuvres laïques ou l'Union sportive de l'enseignement du premier degré, pour ne citer qu'elles, participent sur le terrain à la réalisation de « l'école pour tous ». Les associations, dans leur ensemble, mènent de nombreuses actions éducatives, en particulier dans le domaine de l'accompagnement scolaire et de l'apprentissage de la citoyenneté.
D'ailleurs, les contrats de réussite mis en place dans le cadre de la relance des ZEP donnent une place substantielle aux associations intervenant dans les domaines de la santé, de l'aide sociale à l'enfance, de la prévention de la délinquance et de la violence ainsi que dans les secteurs socioculturels, artistiques ou sportifs.
Puisque le rôle des associations est reconnu, ne faudrait-il pas leur donner plus de moyens, notamment à travers la relance des postes FONJEP détachés de l'éducation nationale vers l'éducation populaire ?
Les expériences des associations locales sont un filon d'innovation, de participation et de démocratisation qu'il faut non pas négliger mais au contraire faire connaître et encourager au maximum.
M. Jean-Louis Carrère. Je préfère ce discours à celui de tout à l'heure !
M. Serge Lagauche. Seul un partenariat actif et durable de tous les acteurs de l'éducation est à même de faire de l'école le lieu privilégié, avec les familles, de l'apprentissage de la citoyenneté.
« L'école de tous » doit non seulement développer ce partenariat, mais aussi s'ouvrir plus largement aux parents. En ce sens, la « semaine des parents » est une excellente initiative. Mais, dans les faits, et malgré la campagne d'affichage et de radio, certains établissements restent réticents pour associer les parents à l'école de leurs enfants. On leur reproche souvent leurs interventions déplacées, leur comportement utilitariste ou uniquement critique vis-à-vis de l'école.
Que dire alors d'une école où le bureau de vote pour l'élection des représentants des parents d'élèves est ouvert pendant moins de trois heures, alors même que les instructions mentionnent une durée d'ouverture du bureau de vote pendant quatre heures, ou bien qui refuse l'affichage sous prétexte que la campagne nationale d'information n'est d'aucune utilité ?
Au-delà, comment faire pour que la participation parentale ne se limite pas à quelques jours dans l'année scolaire ou à une réunion parents-enseignants... quand celle-ci a lieu ? Comment donner de manière efficace leur place aux parents dans le projet d'école ou d'établissement ?
Le slogan de la campagne nationale « Parents, vous avez besoin de l'école, l'école a besoin de vous » est on ne peut plus juste, puisque près de sept parents sur dix se disent prêts à participer à la vie des établissements scolaires. Et quel thème mobilise le plus les parents, avant même la réussite scolaire de leurs enfants ? Les questions de société, avec comme priorité la lutte contre la violence. Ainsi, un réel partenariat avec les parents dans l'apprentissage de la citoyenneté doit s'engager, afin de répondre à leurs attentes de participation.
Malheureusement, outre la réserve et la méfiance de certains enseignants envers les parents d'élèves, se pose le problème de la distance de certains parents envers le système scolaire.
A l'inverse de ceux qui en connaissent tous les arcanes et sont organisés en associations ou fédérations, il y a ceux qui se sentent éloignés du système et ne participent pas aux réunions, car ils ne s'estiment pas en capacité de se retrouver face à l'enseignant. Ce sont souvent des parents issus des catégories sociales les moins favorisées, ce qui contribue à accentuer les inégalités : en se mettant à l'écart de l'école, ils s'interdisent la connaissance du système scolaire indispensable à la réussite de leurs enfants.
Comment faire, donc, pour que ce ne soient pas seulement les parents intégrés dans les associations ou les fédérations de parents d'élèves qui participent au système éducatif ?
La fédération des oeuvres laïques du Calvados a tenté d'apporter une réponse. Ainsi a-t-elle organisé, dans une zone d'éducation prioritaire de Caen, en plus d'une visite d'établissement pour les familles, des rencontres avec les parents ciblées sur les questions concrètes qu'ils se posent, à savoir comment aider l'enfant à gérer son emploi du temps, à faire ses devoirs, c'est-à-dire des questions très simples.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Serge Lagauche. La démocratisation du système éducatif passe donc avant tout par une meilleure information, un meilleur rapport entre les familles et l'école.
Les acteurs du système éducatif ont leur propre réseau d'informations : le bulletin officiel de l'éducation nationale, les instructions officielles.
Pour les parents, hormis le cahier de correspondance, c'est le néant. Pourquoi ne pas imaginer la création d'un journal par académie en direction des élèves et des parents pour faire connaître la vie des établissements, informer concrètement des initiatives, des expériences nouvelles dans le système éducatif ?
Dans cette même perspective, et malgré les difficultés de mise en pratique des comités locaux d'éducation instaurant plus de transparence et de concertation dans le fonctionnement des services de l'éducation nationale, ne conviendrait-il pas de diffuser largement auprès des parents les comptes rendus des comités locaux d'éducation existants ?
Si l'école doit favoriser la participation de tous les acteurs, en particulier parents et associations partenaires, elle doit aussi faire vivre de manière effective la démocratie et la citoyenneté dans ses propres murs.
En effet, l'éducation à la citoyenneté ne se résume pas à une citoyenneté passive faite d'enseignement civique et juridique.
Apprendre la citoyenneté, c'est aussi et surtout apprendre le dialogue, la contradiction, l'argumentation autant que l'écoute, la compréhension autant que l'esprit critique. D'ailleurs, faire du lycée un lieu de confrontation des idées, de débat, constitue une exigence des lycéens.
Et pour que cette citoyenneté soit effective, les élèves doivent être en mesure de vivre autant leurs droits que leurs devoirs, de participer à la vie de la cité, et en premier lieu à la vie de l'école. Or, bien souvent, les élèves élus ne servent à rien, sauf à faire de la figuration, puisque leur parole n'est pas entendue.
Cette citoyenneté effective passe donc - c'est l'essentiel - par une responsabilisation des élèves, en favorisant tout particulièrement l'esprit d'initiative, l'élaboration de projets. La prise de responsabilités est, sinon la meilleure, du moins la plus concrète des méthodes d'apprentissage de la citoyenneté.
Dans les faits, elle peut être développée autour de la formation des élèves délégués aux exigences de la démocratie participative. De même, la gestion des maisons des lycéens par des associations d'élèves, l'élaboration d'une charte de la vie scolaire, initiatives qui ont déjà été prises mais dans trop peu d'établissements, doivent être généralisées.
Avec la consultation des lycées, le ministre de l'éducation nationale a montré non seulement la faculté de participation et de proposition des lycéens, mais aussi que les réformes ne pouvaient plus se faire par le haut sans prendre en considération l'avis et les demandes des principaux intéressés.
Cependant, cette méthode participative est loin de faire l'unanimité, alors même que le préalable à une réelle participation des élèves à la vie de leur établissement réside dans l'acceptation du dialogue, du débat, et donc de la critique.
Malheureusement, on connaît l'opposition de certains syndicats à toute critique. Ils refusent déjà une plus forte participation des parents, souvent par peur de l'empiètement dans le domaine strictement scolaire.
Alors, associer les lycéens à la gestion de leur établissement et à la mise en oeuvre des activités inscrites au projet de ce dernier, tenir compte de leurs propositions, par exemple pour l'élaboration des emplois du temps, souvent aberrants, leur semble être une menace d'autant plus forte !
M. Paul Blanc. Ça, c'est vrai !
M. Serge Lagauche. Une des revendications essentielles du mouvement lycéen repose pourtant sur la volonté de changement dans la vie lycéenne, changement inscrit dans vos réformes, madame la ministre, avec, notamment, la mise en place des « conseils de la vie lycéenne ».
Constitués pour moitié d'adultes et pour moitié de représentants des élèves, les conseils de la vie lycéenne auront un triple rôle : rôle de proposition d'organisation et d'activités au conseil d'administration ; rôle d'impulsion d'actions en faveur de l'apprentissage de la démocratie et de la citoyenneté ; rôle de gestion des « lieux-ressources » favorisant l'ouverture de l'établissement sur son environnement extérieur.
L'ensemble de ces réflexions a pour principal objectif de démontrer que « l'école du xxie siècle » ne pourra être qu'une école ouverte sur son environnement, une école autour de laquelle gravitera tout un réseau de partenaires coordonnés dans un projet commun. C'est ce que sous-tend l'ensemble des réformes engagées.
Votre volontarisme ne peut être mis en doute, mais notre rôle de parlementaire est d'être vigilant à l'application de ces réformes. Or, je ne suis pas sûr que les inspections académiques se sentent très mobilisées : elles jouent parfois le rôle de simple boîte aux lettres, peut-être faute de moyens.
De même, la réunion des recteurs en pleine crise lycéenne est caractéristique du manque d'implication sur le terrain.
Pourtant, je reste convaincu que bon nombre d'élèves, de parents et, bien sûr, d'enseignants, conscients de la nécessaire adaptation du système éducatif, approuvent les projets de réforme et sont prêts à s'impliquer dans ce travail considérable de transformations que vous lancez.
Le chemin à parcourir pour réaliser « l'école du xxie siècle » sera long et périlleux, mais il faut y arriver coûte que coûte et le plus rapidement possible.
Madame la ministre, cela n'étonnera personne : le groupe socialiste vous renouvelle toute sa confiance. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Carle.
M. Jean-Claude Carle. Le 22 octobre 1997, il y a presque un an jour pour jour, vous veniez, madame la ministre, avec M. le ministre, débattre devant notre assemblée d'un domaine qualifié de prioritaire : l'éducation.
A cette tribune, vous confirmiez votre volonté de « remettre l'élève et l'étudiant au coeur de toutes les priorités ».
Vous nous aviez alors promis de grandes initiatives allant du « dégraissage du mammouth » au « zéro défaut », en passant par une remise en ordre du système éducatif, autant de propositions ou de propos intéressants que je partage. Je vous en avais d'ailleurs fait part, madame la ministre, à cette même tribune.
Je concluais alors mon intervention en vous disant : « C'est sur votre volonté, votre engagement sur les délais, que mon groupe et moi-même formulerons notre jugement. »
Un an plus tard, qu'en est-il de ces affirmations ? Vos discours sont-ils devenus des actes ? Hélas non !
Aussi, permettez-moi, mes chers collègues, de remercier M. Gouteyron, d'avoir pris l'initiative de ce débat. Sa question est plus que jamais d'actualité.
Force est de constater, madame la ministre, qu'il s'agisse du lycée, du collège ou d'autres segments de notre système éducatif, que peu de choses ont été engagées ou réalisées.
Certes, je vous l'ai dit il y a un an, les corporatismes et les conservatismes de tous bords sont pesants, et nombre de vos prédécesseurs en ont fait l'amère expérience.
Mais j'étais alors convaincu que le formidable agitateur d'idées qu'est M. Allègre obtiendrait, un an plus tard, un tout autre résultat que la seule agitation dans les lycées.
En effet, où en sommes-nous de ce que d'aucuns ont appelé « les douze travaux d'Allègre » ? Je n'en reprendrai que quelques-uns.
S'agissant de ce fameux dégraissage du mammouth, vous annonciez une baisse des effectifs d'environ trois mille. Malgré le réel bouleversement de l'administration centrale, vous n'avez réussi à supprimer qu'une centaine de postes.
La déconcentration des mutations est repoussée - vous nous l'avez dit - à la rentrée de 1999. Il est vrai que vous trouvez sur votre chemin l'opposition du principal syndicat. « Sans être au SNES, il est difficile d'obtenir sa mutation », relève fort justement dans la presse un professeur !
L'absentéisme des enseignants était l'une de vos priorités, priorité partagée par 76 % des Français. Où en sommes-nous, comme l'a demandé notre collègue M. Darcos ?
J'en viens aux deux réformes tant attendues, celle du lycée et celle du collège.
Pour ce qui concerne le lycée, vous avez confié une mission à M. Philippe Meirieu, auteur d'un excellent rapport qu'il est venu détailler devant notre commission. Ce rapport montre que, grâce à la diversification et à la décentralisation, nous avons réussi depuis trente ans la démocratisation de l'accès au lycée mais non pas sa socialisation. La mobilité sociale est faible. « Les enseignants se reproduisent entre eux », pour reprendre les termes du rapporteur, qui ajoute la nécessité de s'impliquer aujourd'hui dans l'accès à la réussite en sollicitant les partenaires de l'Etat, la région, le Parlement, afin de ne pas réduire le problème à une partie de bras de fer entre l'administration centrale et les centrales syndicales.
« C'est à la nation de dire ce qu'elle attend des enseignants », a affirmé M. Meirieu devant notre commission. Qu'advient-il de cette affirmation, à laquelle je souscris ?
Et qu'en est-il pour le collège, madame la ministre, ce maillon faible, mais pourtant prioritaire, où se dessinent les pré-choix de l'enfant ?
Vous nous promettiez, si j'en crois la presse, un audit. Un de plus, diront certains ! Mais pourquoi pas ? Car il est vrai que toute réforme sérieuse doit s'appuyer sur un état précis de la situation et ne pourra se faire sans concertation.
Voilà beaucoup d'idées exposées, madame la ministre, mais bien peu de résultats, si ce n'est l'agitation, spontanée ou provoquée, des lycéens, qui vous réclament plus de moyens !
Or, dans ce domaine comme dans d'autres, ce ne sont pas les moyens qui font le plus défaut. Je rappelle simplement qu'en cinq ans la dépense globale en matière d'éducation a augmenté de 150 milliards de francs, passant de 445 milliards de francs en 1990 à 588 milliards de francs en 1995. Cette augmentation a essentiellement été réservée à la revalorisation des salaires des enseignants.
Permettez-moi, madame la ministre, de vous dire mon étonnement et mon indignation lorsque j'entends M. Allègre se défausser sur les régions en expliquant aux lycéens que ces dernières n'ont pas - ou pas suffisamment - accompli leur mission. C'est particulièrement cavalier !
Je ne vous citerai qu'un exemple, celui de ma propre région. En dix ans, nous avons investi 17 milliards de francs dans les établissements dont nous avons la responsabilité. Sur ces 17 milliards de francs, 11 milliards l'ont été sur nos fonds propres. Cet investissement est trois fois supérieur à la dotation que l'Etat nous accorde pour assumer cette compétence. Chaque jour qui passe, nous engageons 10 millions de francs pour la formation des Rhônalpins. Nous n'avons donc, en ce domaine, aucune leçon à recevoir, et surtout pas de l'Etat.
M. Paul Girod. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. La majorité de nos concitoyens pensent d'ailleurs que les difficultés que connaît notre système éducatif sont dues plus à une mauvaise utilisation de ces moyens qu'à un manque de moyens.
Le véritable problème, vous le savez, madame la ministre, est ailleurs. M. Allègre a d'ailleurs déclaré le 18 septembre 1997, dans les colonnes de Paris-Match : « Avec ses syndicats, ses confédérations, l'éducation nationale s'est trop isolée du pays. »
Madame la ministre, il est temps de sortir de cet isolement. Cela devrait être relativement facile, si j'en crois toujours les propos de M. Allègre du 4 février dernier rapportés par Le Parisien : « J'ai la confiance de 60 % à 70 % des enseignants. C'est beaucoup plus important que les 30 % qui font grève. Si ça gêne certains appareils syndicaux ou l'administration centrale qui perd une partie de son pouvoir, ce n'est pas ce qui m'arrêtera. »
Alors, ne vous arrêtez pas, madame la ministre, n'attendez plus, car, comme le rappelle très justement M. Christian Janet, président de la PEEP : « Il est inacceptable que les élèves fassent encore une fois les frais du bras de fer qui oppose les syndicats enseignants et leur ministre. »
Madame la ministre, appuyez-vous sur les 70 % d'enseignants qui vous suivent pour engager ces réformes, d'autant plus que 70 % de nos concitoyens reconnaissent leur compétence et leur amour du métier.
Appuyez-vous sur les collectivités pour faire des établissements scolaires de véritables centres de ressources ouverts 365 jours par an. Faites entrer dans les établissements un peu d'air extérieur en y associant les professions, les parents et les représentants du monde associatif. Dans ce domaine comme dans d'autres, la consanguinité est la première menace de l'espèce. Soyez plus jacobine sur les fins et moins sur les moyens, comme le dit encore M. Meirieu.
La nation doit se réapproprier son système éducatif. C'est la meilleure manière pour qu'il redevienne « le coeur de la République », pour reprendre les termes de la circulaire que vous avez adressée aux enseignants le 5 juin dernier.
Madame la ministre, il ne suffit pas de le dire, il faut le faire. L'avenir de nos enfants est plus important pour la nation que le comportement égoïste, voire rétrograde, de ceux qui campent sur leurs acquis et leurs privilèges. C'est sur vos actes que nous vous jugerons. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Mes chers collègues, comme nombre d'entre vous, sans doute, j'ai été interpellé à la fin de la semaine dernière, et encore ce lundi, par des lycéens qui cherchaient des interlocuteurs et qui, dans un certain désarroi, se demandaient finalement qui portait la responsabilité de l'enseignement dans notre pays.
Bien sûr, ils savent qu'il y a un ministre, qu'il y a un ministère ! Mais ils ont l'impression aussi que c'est une affaire d'adultes, que c'est un jeu de pouvoir.
Ils entendaient être reçus, être écoutés, ce qui, bien évidemment, a été fait dans la ville où j'ai quelque responsabilité.
Madame le ministre, je voudrais porter ici, à la tribune du Sénat, et maintenant, la parole de certains de ces lycéens, non pas pour tout reprendre systématiquement à mon compte, mais parce que je crois qu'il est important que nous sachions les écouter et que nous puissions comprendre ce que sont leurs aspirations profondes.
M. Jean-Louis Carrère. C'est bien que vous soyez le porte-parole des lycéens au Sénat !
M. Jacques Legendre. Ils disaient, par exemple, et j'ai sous les yeux le journal qui rapporte leurs propos : « Ce qu'on veut, c'est qu'Allègre tienne ses promesses ! On est quand même l'avenir de la France. »
M. Jean-Louis Carrère. Qui vous l'a dit ? Le journal ou les lycéens ?
M. Jacques Legendre. J'ai entendu les lycéens, monsieur Carrère, et je lis leurs propos.
M. Jean-Louis Carrère. Vous ne devez pas les recevoir souvent !
M. le président. Je vous en prie, monsieur Carrère, seul M. Legendre a la parole !
M. Jacques Legendre. Ce qui, je crois, est important dans cette formule, c'est la phrase : « On est quand même l'avenir de la France. » Elle témoigne de l'importance qu'ils attachent à leur destin, pour eux mais aussi pour leur pays, et peut-être du sentiment qu'ils éprouvent de n'être pas suffisamment considérés. Cela m'a frappé lors de l'entretien que je leur ai accordé et au cours des échanges que nous avons eus.
Ils se plaignent peut-être de certaines difficultés à mettre en route les institutions qui doivent normalement leur permettre de s'exprimer dans leurs lycées. Dans un établissement, les élections des délégués de classe n'avaient pas encore été organisées sept semaines après la rentrée, et cela pouvait peut-être poser problème.
Je crois que, au-delà de ce qui est fait ou de ce qui pourrait être fait pour une pleine concertation au sein d'un établissement, il y a chez ces jeunes le sentiment que les adultes et les responsables de ce pays ne sont pas suffisamment respectueux de ce qu'ils ont à leur dire.
Voilà pourquoi j'éviterai aujourd'hui le jeu, un peu facile, que j'aurais peut-être envie de jouer et qui consisterait à sourire de l'embarras de la majorité de gauche communiste et socialiste confrontée à une fronde lycéenne, elle qui, en d'autres temps, a souri - et même bien davantage - de l'embarras de majorités de droite confrontées à cette même fronde lycéenne.
M. Adrien Gouteyron. Certes !
M. Jacques Legendre. Quand ces événements se produisent, il faut en chercher les causes et apporter des réponses. J'estime que les élèves, les jeunes de ce pays, méritent mieux qu'un sempiternel débat politicien entre nous. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jean-Louis Carrère. C'est vrai que vous êtes attristé... (Sourires.)
M. Jacques Legendre. Mais, dans cette affaire, il faut prendre très au sérieux l'attente de ces jeunes. Pourquoi disent-ils : « Ce qu'on veut, c'est qu'Allègre tienne ses promesses » ? C'est qu'une consultation a été lancée et qu'ils y ont participé de bonne foi. Or ils ont le sentiment de n'avoir pas eu, en quelque sorte, le compte rendu de l'ensemble de ces travaux, qu'ils n'ont eu ni retour, ni décisions. Et maintenant, le tremps presse.
Puisque nous les avons interrogés, les jeunes sont en droit de savoir ce que nous avons retiré de leurs propos, de leurs remarques, et pas seulement ce que nous en avons retiré, mais aussi, madame la ministre - et cela est de votre responsabilité - quelles décisions vous prenez pour en tenir compte.
Alors, mes chers collègues, sachons-le, ce qui est exprimé en ce moment, c'est d'abord une exigence de la génération actuellement lycéenne et bientôt étudiante d'être traitée avec respect, d'être prise au sérieux. Je crois qu'il est bon qu'aujourd'hui le Sénat tout entier les écoute et leur dise que nous serons attentifs à ce qu'ils nous diront et que nous voulons que le Gouvernement respecte cette génération.
Les jeunes m'ont parlé bien évidemment de problèmes matériels ; ils ont évoqué certains bâtiments qui ne sont pas toujours dans l'état où ils souhaiteraient qu'ils soient. La vérité, l'honnêteté et le courage amènent à dire à cette génération que les adultes ont fait depuis quelques années, dans des régions et sous des gouvernements de droite ou de gauche, un effort très important pour mettre à leur disposition des bâtiments dont la qualité s'est sensiblement améliorée. Mais il est vrai aussi que l'on ne peut pas tout faire la même année.
Je crois donc qu'il est inutile sur ce point de s'opposer en se renvoyant tel ou tel exemple. Tous les départements, toutes les régions consentent actuellement de gros efforts.
Il convient aussi de ne pas oublier le plan Université 2000 et ce qui doit suivre pour répondre à cette nécessité, que les lycéens ressentent aussi, qu'est l'égalité d'accès à l'enseignement supérieur. En effet, après la démocratisation de l'enseignement secondaire, il y a la nécessaire démocratisation de l'enseignement supérieur, qui n'est pas achevée ; il y a toujours ceux qui connaissent les bonnes filières, celles qui permettent encore d'accéder à l'emploi, et ceux qui ne les connaissent pas ou qui les connaissent moins parce que leurs familles sont moins informées. C'est bien là une des principales inégalités à laquelle, dans un esprit républicain, nous devons nous attacher à apporter des réponses.
Qu'il me soit permis, madame le ministre, de dire quand même qu'à l'occasion de ces manifestations j'ai été étonné par le nombre des témoignages apportés sur des classes de première ou de terminale très chargées.
Beaucoup plus de classes que je ne l'aurais cru - je n'ai peut-être pas assez bien regardé - sont à la limite du dédoublement. On a limité bien sûr, pour ne pas procéder à ces dédoublements. Mais des classes de première ou de terminale comptant 38 ou 39 élèves, dans des lycées accueillant souvent une population scolaire de milieux défavorisés ne permettent pas de dispenser le meilleur enseignement. C'est un problème.
Je sais bien que les effectifs vont décroître ; je sais bien qu'il vous faut gérer tout cela. Je me demande simplement - peut-être convient-il d'appronfondir la réflexion - s'il n'est pas quelque peu paradoxal de maintenir des maîtres auxiliaires, rémunérés, en réserve alors que des classes, avec un titulaire en poste, sont à ce point surchargées. Ne faudrait-il pas - c'est une suggestion - introduire un peu de souplesse ?
Effectifs pléthoriques, programmes chargés, les lycéens ont beaucoup insisté sur ces points. Ils attendaient les réponses du ministre sur le poids des programmes dont l'allégement ne doit pas être synonyme de diminution de la qualité de l'enseignement.
J'aborderai maintenant un sujet qui m'est cher et qui pose également des problèmes : l'enseignement des langues.
Nous avons entrepris de développer l'enseignement des langues, y compris un enseignement précoce de celles-ci. Vous savez que nous avons ici au Sénat - un rapport adopté à l'unanimité en fait foi - une préoccupation, celle de maintenir une véritable diversification des langues enseignées. Nous l'avons affirmé à maintes reprises. J'ai eu la satisfaction de faire reprendre ce rapport du Sénat et de le faire adopter comme un document européen, à l'unanimité, par le Conseil de l'Europe, voilà quinze jours à Strasbourg.
Je sais que nous avons un affichage de diversité linguistique dans l'école française. Mais, dans la pratique, on va vers le monopole de l'anglais, accompagné d'une ou deux autres langues importantes, tel l'espagnol ; pour le reste, on ne s'oriente pas vers cette diversification pourtant nécessaire.
Je souhaiterais que M. le ministre nous rappelle - cela lui a été demandé à plusieurs reprises, mais jamais les rendez-vous prévus ne nous ont été accordés - quelle est véritablement sa politique sur ce point.
Je voudrais maintenant parler de ceux qui sont aujourd'hui moins au coeur de l'actualité mais dont le rôle est capital : le bruit que font les lycéens dans la rue empêche peut-être de savoir vraiment ce que pensent les enseignants.
On a parlé de tel pourcentage d'enseignants qui aimeraient leur ministre et de tel pourcentage d'enseignants qui ne l'aimeraient pas. Je ne veux pas entrer dans ce débat, le lieu ne se prêtant pas aux sondages !
Ce qui me frappe, quand je lis les publications et quand je rencontre des enseignants - l'ayant été moi-même pendant très longtemps, j'ai gardé de nombreux collègues et amis dans les lycées - c'est l'irritation, pour employer un terme modeste, de nombre d'enseignants à l'égard d'un ministre qui, ont-ils l'impression, les traite avec désinvolture.
Certes, il faut savoir, à certains moments, faire avancer, bousculer les choses, en parlant clair, en parlant franchement. Mais il ne faut pas donner l'impression qu'il s'agit là d'une attitude systématique, destinée finalement à cacher sinon un certain mépris du moins un certain manque de considération pour des personnes dont la tâche est chaque année plus difficile.
Je voudrais dire, à cet égard, que si les enseignants ont le sentiment qu'ils ne rencontrent pas auprès de leur ministre la considération à laquelle ils ont droit eux aussi, ils ne seront sans doute pas poussés à faire plus d'efforts. Or, sans leur coopération, sans eux, nous le savons bien, nous ne pourrons procéder aux changements qui sont pourtant nécessaires dans l'éducation.
En résumé, ce que je voulais dire à la tribune du Sénat, c'est que les événements que nous vivons nous imposent, certes, d'être très respectueux et très attentifs à l'égard des jeunes, mais, nous obligent aussi à faire bien comprendre l'effort que nous demandons aux enseignants, sans lesquels aucun changement réel dans l'éducation de ce pays ne sera possible, changement qui, pourtant, nous le savons, est nécessaire. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Martin.
M. Pierre Martin. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, maniant le verbe avec une adresse volontairement provocatrice, M. le ministre a acquis une certaine popularité, et il a, depuis dix-huit mois, au travers d'un torrent bouillonnant de paroles et de projets, ouvert de nombreux chantiers.
Avec habileté, il a su médiatiser ses priorités ; il a ainsi pu, à sa manière, s'attirer les faveurs de nombreux parents.
Acquisition de savoirs fondamentaux, amélioration de l'apprentissage de la lecture, réinstauration de la morale abandonnée depuis 1969, allégement des horaires et des programmes, accès pour tous à la cantine, relance des zones d'éducation prioritaires - nous en reparlerons - généralisation de l'usage des nouvelles technologies, prévention de la violence en milieu scolaire, réflexion sur une réforme des lycées, organisation de la présence et du remplacement des enseignants, gestion déconcentrée des personnels vers les académies, politique de recrutement des emplois-jeunes, cet impressionnant catalogue passe en revue vos priorités, mais souligne aussi, madame le ministre, les maux qui rongent le système éducatif français.
Après avoir vécu votre deuxième rentrée, jugée sans problème, mais agitée, semble-t-il, depuis quelques jours, je voudrais savoir, madame le ministre, si la situation et les résultats du terrain sont, selon vous, à la hauteur des ambitions que vous affichiez initialement.
Je vous le concède, votre rôle n'est pas aisé à la tête de ce grand ministère ! A partir de paramètres difficilement conciliables, l'enjeu est de taille : offrir à l'enfant - car c'est bien de lui qu'il s'agit - un enseignement de qualité, pour lui donner les meilleures chances de s'intégrer dans une société où rien n'est facile.
Tous les partenaires concernés - enseignants, parents, élus - ont le devoir de concentrer leur efforts et leurs volontés pour parvenir à cet objectif permanent.
Si, dès le primaire, l'école de la République n'inculque pas les savoirs fondamentaux - lire, écrire, compter - elle risque de générer les ingrédients pour une véritable bombe sociale, de former le lit de l'exclusion, c'est-à-dire les sans-emploi de demain.
Il ne peut y avoir de bonne qualité de l'éducation de nos jeunes sans une bonne qualité de l'enseignement. Ce postulat ne semble pas toujours respecté.
En premier lieu, comment comprendre le maintien du moratoire, sur lequel je suis intervenu le 19 mai dernier, lors d'une question orale sans débat ?
Comme vous en êtes convenue dans votre réponse, madame le ministre, « le moratoire se retourne parfois contre l'intérêt de l'élève ».
M. Jean-Louis Carrère. Et voilà !
M. Pierre Martin. La baisse démographique régulière - 40 000 écoliers de moins à la rentrée 1998 - va conduire à terme vers des classes réduites, trop réduites pour garantir un bon fonctionnement.
Seule une volonté courageuse de rééquilibrage des effectifs corrigera ces inégalités pour offrir des chances identiques à tous les enfants.
M. Jean-Louis Carrère. Il faut le dire aux RI !
M. Pierre Martin. Est-il raisonnable que cinq écoles, dans mon département de la Somme, accueillent moins de dix enfants ? Les enfants sont en moyenne sept par classe.
En tant qu'élu local et national, j'ai la conviction que le « maintien à tout prix de la dernière classe » n'est pas de nature à enrayer la désertification rurale ; le système éducatif doit prendre en compte les nouvelles technologies, considérer la démographie et l'espace territoire pour s'adapter à notre temps.
L'intercommunalité, l'imagination et la volonté sont les bases indispensables à la revitalisation de nos écoles rurales.
En second lieu, j'aborderai l'expérience de l'aménagement des rythmes scolaires.
Vous décidez, sans concertation, d'abroger les dispositions prévues par la circulaire du 31 octobre 1995 à compter du 1er septembre 1999.
Lancée en 1995, l'allocation de rentrée scolaire, l'ARS, tentée par quelques collectivités locales, constitue une avancée pour l'épanouissement de l'enfant. Là où elle est appliquée, cette expérience moderne et réformiste se révèle largement positive. Elle permet une réelle avancée dans l'allégement du temps scolaire ; elle fait bénéficier gratuitement les enfants les plus défavorisés d'activités auxquelles ils n'auraient jamais eu accès.
Le contrat éducatif local que vous proposez et qui est censé organiser l'intervention des différents partenaires éducatifs autour d'une nouvelle forme d'aménagement du temps de l'enfant va mettre fin à l'aménagement des rythmes de vie de l'enfant et du jeune, l'ARVEJ. Comment va-t-il s'intégrer dans la « Charte pour bâtir l'école du xxie siècle » ?
A cet égard, permettez-moi de m'interroger, madame le ministre, sur le déroulement et la prise en charge des activités extrascolaires et périscolaires des enfants, sur le devenir des intervenants municipaux et sur les moyens financiers que vous affecterez pour remplacer les aides importantes octroyées, représentant le tiers du coût total pour chaque expérience menée dans le cadre de l'ARS.
J'en arrive maintenant aux emplois-jeunes, par lesquels vous avez fait naître un immense espoir, qui a beaucoup de mal à se concrétiser.
Vous avez fait de l'emploi l'une de vos priorités. En moins de cinq mois, 30 000 jeunes embauchés dans le cadre des emplois-jeunes par les services de l'éducation nationale ont trouvé des postes dans les écoles primaires et les collèges. Comment interviennent-ils sur le terrain ?
M. Jean-Louis Carrère. Bien !
M. Pierre Martin. Le projet, un peu sibyllin, relatif aux conditions d'emploi des aides éducateurs a été tardivement complété par une réglementation qui est loin d'être appliquée ! J'en veux pour preuve la différence de traitement réservé à cette catégorie de personnel, qui effectue souvent aux alentours de vingt-cinq heures de travail par semaine pour une rémunération basée sur trente-neuf heures hebdomadaires.
Par cette distinction arbitraire, vous créez des emplois-jeunes à deux vitesses et un contre-encouragement à travailler ; je le déplore.
En outre, je m'interroge sur l'organisation de la formation, annoncée initialement comme devant être dispensée par l'éducation nationale, destinée à ces jeunes gens embauchés pour cinq ans. Se déroule-t-elle vraiment et, si oui, comment ?
Quelle image déformée, au travers de promesses non tenues, l'éducation nationale va-t-elle envoyer d'elle-même à ses jeunes agents ?
Enfin, je voudrais vous livrer certaines réflexions inspirées par des situations existantes qui me sont signalées. Notons l'attribution de postes d'enseignants - des maîtres auxiliaires en l'occurrence - dans des établissements où leurs disciplines ne sont pas dispensées, l'inégalité de traitement entre les professeurs titulaires et les maîtres auxiliaires : les premiers touchent un salaire normal, les seconds perçoivent une rémunération complète pour une durée de travail à temps partiel qui n'excède pas un mi-temps.
Contrairement aux instructions demandant de les attribuer aux professeurs, employés à temps plein, les heures supplémentaires pourraient compléter logiquement ces temps partiels.
Relevons aussi la substitution des retraits de postes budgétaires à la limitation de fermetures de classes en milieu rural, qui est une façon larvée de réduire les moyens et d'entretenir une certaine confusion, et la disparité des situations entre les écoles pourvues en emplois-jeunes et les écoles « laissées pour compte », qui, déçues, font pression, par les enseignants, sur les élus locaux afin d'obtenir un recrutement d'aide éducateur dans le cadre du dispositif des emplois-jeunes ou des contrats emploi solidarité.
Je suppose que ces cas concrets dénonçant des anomalies inquiétantes feront réagir le scientifique rationnel qu'est M. le ministre.
Pour clore mon propos, madame le ministre, je dirai que la jeunesse est en droit de prétendre à un système éducatif de qualité.
Donnons des repères à cette jeunesse sans la sacrifier !
Ouvrons-lui le chemin de l'espoir, elle le demande !
Madame le ministre, ne décevez pas cette espérance par des annonces prometteuses que vous ne pourriez pas traduire concrètement avec sincérité !
La force de l'image que nous transmettons, que vous transmettez aujourd'hui, réfléchira sur les générations futures.
Soyons à la hauteur de nos ambitions pour garantir cette éducation de qualité à nos enfants. Ils la méritent. Ainsi seront-ils naturellement dans la classe et non dans la rue ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
(M. Paul Girod remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. PAUL GIROD
vice-président

M. le président. Tous les orateurs inscrits se sont exprimés.
Mme Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Ségolène Royal, ministre délégué. Monsieur le président, M. le ministre de l'éducation nationale s'étant engagé à répondre lui-même aux questions qui lui ont été posées par les sénateurs, je souhaite que vous suspendiez la séance quelques instants pour lui laisser le temps de rejoindre l'hémicycle.
M. le président. Nous allons interrompre nos travaux une dizaine de minutes.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)