Séance du 20 octobre 1998







M. le président. La parole est à Mme Borvo, auteur de la question n° 317, adressée à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité.
Mme Nicole Borvo. Madame la secrétaire d'Etat, l'informatisation du système de sécurité sociale, dont la mise en oeuvre est d'une grande complexité, pose problème tant du point de vue médical que de celui des libertés, en l'état actuel des choses.
Un des objectifs du nouveau système est de fournir un outil d'évaluation et d'analyse de l'état de santé des populations en vue d'une exploitation sur le plan de la santé publique. Or, si le codage des pathologies, qu'il est prévu de systématiser et de rendre obligatoire en vue du remboursement, peut être efficace pour un certain nombre de situations, nombre de ces dernières ne relèvent pas d'un diagnostic précis en termes de pathologie ou d'état morbide bien défini et font entrer en ligne de compte le contexte, la raison du recours, le symptôme, les motifs psychologiques, les réalités sociales, etc.
Dès lors, on comprend facilement que ce codage imposé aux praticiens conduira très probablement à des effets pervers du point de vue tant des données transmises que du dialogue avec le patient.
En tout état de cause, les études statistiques et épidémiologiques avec une méthodologie d'enquête stricte et une réalisation par les profesionnels formés à cet effet nous semblent être plus effficaces pour atteindre l'objectif visé. Elles doivent être développées en France, car elles sont insuffisantes.
Par ailleurs, la constitution d'un véritable casier sanitaire de l'individu, combinée aux modalités prévues pour la carte Vitale, risque de produire des dérives portant atteinte à la sphère la plus intime de la vie privée.
La constitution d'un fichier centralisé de toute la population, dénoncé régulièrement dans les années soixante-dix et quatre-vingt, ne poserait-elle aujourd'hui plus aucun problème ?
De plus, rendre libre d'accès le volet « urgences » laisse craindre - une enquête à ce sujet a été publiée la semaine dernière dans un hebdomadaire - que les employeurs ou les assureurs ne fassent pression pour prendre connaissance de ces informations figurant dorénavant sur une carte santé rendue obligatoire. L'usager, en position de demandeur, sera-t-il alors pleinement en situation de défendre ses droits en refusant la communication d'informations contenues dans la carte ?
Par ailleurs, le fait que les professionnels de santé demeureront libres de s'abonner ou non au réseau intranet santé social, le RSS, qui ne dispose d'aucune exclusivité, pose problème. Outre la réalité aujourd'hui incontournable que l'utilisation de la technique Internet comporte des risques de divulgation, de déformation et d'intrusion dans les systèmes informatiques, n'est-il pas à craindre que d'autres opérateurs de réseau ne se mettent sur le marché et ne proposent des services qui ne seraient pas soumis aux mêmes contraintes que celles qui sont imposées au RSS par le contrat de concession, s'agissant, en particulier, de la sécurisation du réseau ?
C'est pourquoi je vous demande, madame la secrétaire d'Etat, ce que le Gouvernement envisage de faire afin d'empêcher toutes ces dérives.
M. le président. La parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat à la formation professionnelle. Madame la sénatrice, la question du respect de la vie privée face au développement des systèmes d'information dans le domaine de la santé est, en effet, essentielle. Même si la question posée est complexe, le sujet mérite donc que l'on s'y attarde.
Croyez bien que le Gouvernement s'attache à apporter toutes les garanties nécessaires en ce qui concerne tant le répertoire national inter-régimes des bénéficiaires de l'assurance maladie, le RNIAM, le volet médical de la carte Vitale d'assuré social que le réseau santé social, le RSS.
Le RNIAM est un répertoire dont la seule fonction est d'aider les caisses à maintenir des fichiers à jour de façon que les changements de caisse, par exemple, soient enregistrés de manière la plus diligente possible, et ce dans l'intérêt même de l'assuré qui attend des remboursements rapides de sa nouvelle caisse.
Ne sont inscrites dans ce répertoire que les informations strictement indispensables à l'identification des personnes : nom, prénom, date et lieu de naissance, numéro d'inscription du répertoire et caisse de rattachement.
En aucun cas n'y figurent des données médicales relatives aux assurés sociaux. Ce répertoire a d'ailleurs été créé par décret, en application de la loi, sous le contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés.
De son côté, le codage des actes et des pathologies monte en charge : 40 % des actes totaux sont couverts à ce jour par le codage ; le codage de la biologie est terminé et celui de la pharmacie est en cours. Ce codage est opéré sous le contrôle de la CNIL. Les agents ayant accès aux données du codage sont tenus aux secrets professionnel et médical.
Ces garanties ont été définies par la loi Teulade, que le Parlement a adoptée il y a maintenant cinq ans. Elles permettront à l'assurance maladie, dans le respect de la vie privée, de disposer des informations nécessaires à une orientation plus stratégique de la prise en charge des soins en France.
En ce qui concerne maintenant le volet médical de la carte d'assuré social, il est en cours de définition. Le Parlement sera amené très prochainement à se prononcer sur ce sujet. Le Conseil d'Etat, lors de l'examen de la convention des médecins généralistes, a en effet annulé l'article de l'ordonnance correspondant,
Je ne souhaite pas anticiper sur les débats que nous aurons ensemble à cette occasion, mais je suis en mesure de vous préciser que le volet médical devrait comprendre, en effet, un volet d'urgence. Il s'agit de doter chaque patient d'informations facilement accessibles à un professionnel de santé en cas d'urgence, notamment lorsque le patient est inconscient ou trop choqué pour répondre à un médecin, surtout lorsque l'accident a lieu dans un pays étranger.
Le volet d'urgence serait donc lisible dans toutes les langues de l'Union européenne. Il satisferait ainsi à des standards européens et offrirait donc à nos concitoyens l'assurance qu'en cas de besoin les premiers soins pourront leur être prodigués par un professionnel informé.
Je souhaite, madame la sénatrice, que ce volet puisse être lu facilement par un médecin. En revanche, il est bien clair que l'inscription d'une donnée sur le volet médical, ou son effacement, relèvera du libre choix de l'assuré.
Enfin, vous m'avez interrogé sur le « réseau santé social », qui jouit d'une exclusivité de raccordement des caisses d'assurance maladie. Les professionnels et les établissements de santé, quant à eux, sont libres, comme vous l'indiquez, de choisir un « fournisseur d'accès réseau » de leur choix.
Cette faculté est sans incidence sur la confidentialité des feuilles de soins électroniques, qui est assurée par le chiffrement des données médicales. Ce chiffrement est effectué à la source, directement sur le poste du professionnel ; il est donc indépendant du réseau qui transporte lesdites données chiffrées.
Le RSS, au-delà, offre une protection aux systèmes d'information des caisses et des professionnels qui s'y connectent grâce aux procédures qui lui sont propres : authentification par carte à puce, traçabilité des flux.
La qualité de service et de sécurité qui est la caractéristique même du RSS devrait conduire, n'en doutons pas, une majorité de professionnels à s'y raccorder.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Madame la secrétaire d'Etat, je vous remercie des renseignements que vous m'avez donnés, mais je voudrais insister sur quelques points.
Dans la mise en place du nouveau système, le citoyen doit obtenir la maîtrise réelle, totale sur les circuits d'information de santé le concernant. Il serait préjudiciable pour la santé et les libertés des citoyens d'appliquer en la matière une logique de maîtrise budgétaire et de gestion ou de contrôle de populations dites « à risque ». Cette logique comptable a de plus un coût important, comme le relève le dernier rapport de la Cour des comptes.
Il serait en revanche nécessaire de rendre anonymes - vous nous avez dit que ce point ferait l'objet d'un débat - les données utilisées à des fins statistiques et transmises aux organismes de protection sociale, avec déconnexion entre les données liées aux remboursements, nécessairement nominatives, et celles qui sont destinées à des études.
En ce qui concerne la carte Sésame Vitale, les informations non administratives enregistrées devraient se limiter au maximum - vous nous avez également donné certaines assurances sur ce point - aux coordonnées du ou des médecins traitants et éventuellement à quelques informations utiles dans le domaine de l'urgence, à condition que l'accès en soit sécurisé. J'insiste beaucoup sur ce point.
Quant au réseau Intranet, qui contient les données de santé, il serait nécessaire, en cas de multiplication de ces réseaux qui viendront se connecter aux points d'accès RSS, de prévoir des contraintes égales à celles qui sont imposées à celui-ci en matière de sécurisation.
Outre le débat parlementaire que vous annoncez, madame la secrétaire d'Etat, il faut d'urgence initier un débat plus large, compréhensible par les citoyens, portant sur le processus global d'informatisation des données personnelles de santé, avant que les dispositifs définis ne soient entérinés par les pouvoirs publics, d'autant que les parlementaires n'ont pu s'exprimer ni en 1993, au moment de la loi Teulade, ni a fortiori lors des ordonnances de 1996.
En réalité, ce débat, jusqu'à présent, n'a jamais eu lieu. J'apprécie qu'il soit annoncé, mais force est de constater que tout a été fait jusqu'à présent sans véritable débat devant la représentation nationale, s'agissant notamment de tout ce qui touche aux libertés, encore moins avec nos concitoyens.

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