Séance du 27 octobre 1998






CUMUL DES MANDATS

Suite de la discussion d'un projet de loi organique
et d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi organique relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice, et du projet de loi relatif à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d'exercice.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur les incompatibilités, ou sur le cumul des mandats électoraux, est difficile, puisqu'il s'agit de concilier notre volonté d'évolution avec l'expérience tirée de notre propre parcours d'élus, un parcours qui nous a souvent permis d'expérimenter les vertus et les contraintes du cumul des mandats. Nécessairement, notre opinion est subjective.
Je présenterai trois brèves observations techniques et deux observations plus générales.
Voici ma première observation d'ordre technique : il est incontestable que les transferts de compétences vers les exécutifs des assemblées départementales et régionales a entraîné un accroissement constant des responsabilités des élus. Et nous avons pu en faire l'expérience les uns et les autres : un exécutif d'aujourd'hui n'est pas comparable à un exécutif d'hier. Voilà le premier facteur qu'il convient de prendre en considération.
Deuxième observation : au stade actuel, la décentralisation implique le maintien d'un lien fort entre les élus nationaux et les collectivités locales. C'est indispensable si nous voulons imprégner notre travail législatif des réalités locales. A cet égard, le mandat unique est totalement irréaliste.
Mme Nelly Olin. Tout à fait !
M. Daniel Hoeffel. Troisième observation : le dossier des incompatibilités est indissociable d'autres questions fondamentales qui concernent la vie des élus et des collectivités locales, à savoir l'avenir de la décentralisation, le statut des élus, l'évolution des structures territoriales - particulièrement de l'intercommunalité - ainsi que l'évolution et le renforcement du rôle du Parlement, auquel nous sommes attachés.
L'ensemble de ces thèmes de réflexion doivent imprégner le débat sur les incompatibilités.
A cela s'ajoutent deux facteurs plus généraux qui, je le sais, donnent matière à controverses.
Le premier, c'est l'originalité française en Europe.
A de rares exceptions près, en effet, nos partenaires ne connaissent pas ou peu le cumul des mandats. Et lorsque nous rencontrons nos collègues européens, nous constatons qu'ils sont à la fois dubitatifs et admiratifs devant « l'exception française ».
Nous savons tous que les structures étatiques ne sont pas comparables d'un pays à l'autre et que, en Europe occidentale, nous restons le pays le plus fortement centralisé, quels que soient nos regrets à cet égard. Nous ne pouvons en aucun cas nous comparer, du point de vue des structures, aux pays fédéraux.
Par ailleurs, la sélection des candidats aux élections chez nos voisins peut s'appuyer sur une représentativité des partis et sur des procédures qui n'ont rien de comparable avec les nôtres.
De plus, nous sommes en retard sur le plan de l'organisation de notre vie politique.
Néanmoins, sachons avoir présente à l'esprit la comparaison, justifiée ou non, qui est souvent faite entre la France et les pays voisins.
Ma seconde observation d'ordre général porte sur l'image du Sénat dans l'opinion.
Même si nous savons que l'opinion est éminemment versatile, elle a du cumul en général une vision différente de celle du cumul de son élu : très critique à l'égard du cumul dans l'abstraction, elle est plutôt approbative quand il s'agit de son élu, de son maire, de son président d'assemblée départementale ou régionale. N'accentuons pas les critiques qui s'expriment à ce propos.
Je regrette que, dans ce débat qui doit rester serein, on entende parler du « mur du Sénat », du conservatisme et de la rigidité archaïque de la Haute Assemblée. A cela s'ajoutent des critiques à l'égard des élus en général, allant jusqu'à dire que le cumul est source de privilèges, voire de corruption, alors que, nous le savons, l'immense majorité des élus ont, dans l'exercice de leur mandat, un sens de l'intérêt général qui mérite d'être salué.
De telles observations, qui tendent à jeter le discrédit sur les élus, ne sont pas de nature à permettre à un débat comme celui-ci de se dérouler dans la sérénité.
Le Sénat n'est pas hostile à une réforme. A cet égard, notre rapporteur emploie une formule tout à fait réaliste lorsqu'il dit qu'il lui apparaît que, davantage qu'une question de principe, le débat d'aujourd'hui est une question de mesure, qu'il s'agit de savoir où placer le curseur.
Le débat sur les incompatibilités est nécessaire. Je suis convaincu que nous ne pouvons pas rester figés, mais la discussion doit être sereine, elle doit se dérouler sans pression extérieure. C'est à cette condition qu'une réforme cohérente et globale, qui n'occulte pas le problème du cumul, démontrera que le Sénat veut et sait aller de l'avant, mais en privilégiant, dans cette marche en avant, raison, réalisme et bon sens. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. André Boyer.
M. André Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Premier ministre a eu raison de faire de la limitation du cumul des mandats un des axes prioritaires de la politique du Gouvernement, et, à titre personnel, je voterai les projets qui nous sont présentés parce qu'ils répondent à l'attente de nos concitoyens, qui les approuveraient, j'en suis sûr, à une très large majorité, et parce qu'ils tiennent compte des réalités.
Qui conteste d'ailleurs ouvertement le principe posé par ces deux projets de loi, car c'est bien d'un principe qu'il s'agit, même si certaines de leurs dispositions peuvent être discutées ?
Qui prétendra que peuvent désormais être assumés, réellement assumés, par un seul homme, une seule femme, des mandats et des fonctions multiples ?
Lequel d'entre nous est en mesure de nous convaincre qu'il peut être à la fois au four et au moulin alors que le temps se mesure toujours à la même aune, que l'inflation législative se poursuit, si bien que la session unique y suffit à peine, que les calendriers sont de plus en plus surchargés, les instances multipliées, les réunions plus nombreuses, les sollicitations de nos concitoyens plus pressantes, les problèmes à résoudre plus complexes et les niveaux de décision plus intriqués ?
Qui pourra le prétendre sans admettre que la technocratie, qui n'est pas seulement parisienne, que les délégations de pouvoir, qui diluent souvent ce pouvoir, que les apparitions fugaces de certains élus dans les réunions, que les excuses en raison d'engagements antérieurs, qui encombrent les parapheurs, ne sont pas autant de façons de biaiser devant cette évidence de bon sens : on ne peut pas être partout à la fois ?
Bien entendu, nous n'échappons pas à l'argument classique qui veut que les citoyens réclament des députés-maires ou des sénateurs-maires. Mais n'avez-vous jamais vous-même utilisé cet argument dans d'autres villes que la vôtre au cours de vos campagnes électorales ?
Enfin, mes chers collègues, si, face à cet hémicycle, il y avait un miroir, nous renverrait-il une image toujours flatteuse et conforme à cette tradition démocratique que nous revendiquons et que nous nous targuons souvent de donner en exemple au monde ?
Les Athéniens ont inventé la démocratie et Périclès, dans sa célèbre oraison funèbre, affirmait le modèle de la démocratie grecque.
Nous savons cependant que les citoyens qui siégeaient à l'ecclésia, l'assemblée du peuple, se précipitaient, le matin, pour toucher les trois oboles et bavardaient très longuement sur l'agora, fuyant devant la corde teinte en rouge qui rabattait les citoyens vers l'assemblée, remède utilisé, nous dit Aristophane, contre la désaffection croissante pour les réunions.
Ne parlons pas de corde...
C'est bien parce que tous ici, mes chers collègues, nous souhaitons que le Sénat conserve la place éminente qui est la sienne dans nos institutions que nous devons mettre en pratique, dans ce débat, la sagesse que l'on nous prête volontiers... jusqu'ici.
C'est bien parce que nous sommes convaincus, malgré quelques manifestations de scepticisme goguenard d'un autre siècle, qu'il faut tendre progressivement vers une parité entre hommes et femmes et vers une meilleure représentation des jeunes dans notre vie publique que nous devons admettre que la limitation du cumul est une des voies qui y conduit.
M. Dominique Braye. Les sénateurs à dix-huit ans !
M. André Boyer. Il faut faire la place en ne l'occupant pas toute.
Ne nous cachons pas derrière les faux prétextes. Que la loi préserve un nécessaire enracinement local des élus nationaux, tout le monde, je pense, y souscrit. Mais si elle devait, au travers d'exécutifs départementaux et régionaux ou de mandats municipaux trop lourds - c'est peut-être sur ce dernier point que devraient porter notre réflexion et notre discussion -, pérenniser le pouvoir de ceux d'entre nous qui l'accumulent de façon démesurée, alors nous rencontrerions les uns et les autres un autre miroir, celui que nous tendraient nos concitoyens. Et l'image renvoyée ne serait pas à notre avantage, bien des signes nous l'annoncent déjà.
Regardons-nous donc dans les yeux des autres, c'est là que l'on se voit le mieux.
Je vous invite, en conclusion, à capter ce regard sous la plume d'un éditorialiste de talent qui, dans une fresque historique plaisante, compare la fin du précédent millénaire et cette fin du XXe siècle.
Je cite :
« Le pays se fragmente en une infinité de nouveaux terroirs. Les puissants comtes règnent sur les régions ; les vicomtés départementales - issues de la Révolution - se voient découpées en châtellenies nouvelles : quantités de seigneurs ou de chevaliers, tous plus ou moins vassaux les uns des autres, se mettent à la tête d'un syndicat mixte, d'un haut lieu culturel, d'un site majeur, d'une unité de séjour touristique, d'un SIVOM, d'un SIVU, d'un terroir, (...).
« Quelques barons régentent des communautés de communes, des parcs naturels régionaux ou, mieux encore, des ententes interdépartementales. D'autres encore sont les légats de l'Europe, aux commandes de puissants leaders.
« Tous fourbissent leurs armes en vue des combats que vont générer les pays, sachant que de sanglantes sélections devront s'opérer...
« Nouveaux châteaux, nouveaux impôts, nouvelles micro-administrations : 1998 nous rappelle qu'un millénaire, dans l'histoire de l'homme, c'est finalement peu de choses.
« Nul doute que nous n'ayons, devant nous, de nouveaux féodalismes, de nouvelles renaissances, de nouvelles révolutions.
« Mais dans quel ordre ? »
Avec cette citation,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. De qui, s'il vous plaît ?
M. André Boyer. ... ma seule ambition était de vous transmettre ce regard particulier.
Au tableau, il manque les occupants des palais nationaux que nous sommes.
Dans le débat qui nous occupe aujourd'hui, comme dans tous les autres, c'est à nous que revient pourtant le devoir d'exprimer les aspirations de nos concitoyens.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Quel est l'auteur de la citation ?
M. André Boyer. Mais nous sommes aussi les garants de l'image d'une assemblée que nous prétendons défendre.
La sagesse voudrait que, dans nos décisions, nous donnions du Sénat un visage de progrès et non de conservatisme. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il ne veut pas donner le nom de l'auteur !
M. le président. La parole est à M. Peyrat.
M. Jacques Peyrat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ayant eu le privilège de participer en tant que député à l'examen en première lecture des deux textes sur la limitation de l'exercice de plusieurs mandats, permettez-moi de vous faire part de ce que j'ai pu ressentir à l'époque, à savoir un profond embarras de tous les acteurs.
Embarras d'un ministre, tout d'abord - celui que vous remplacez, bien sûr, monsieur le ministre - ancien député-maire de Belfort, qui était obligé de défendre un texte auquel il m'a semblé ne pas trop croire du fait, justement, de son expérience.
Embarras d'une majorité ensuite, majorité on ne peut plus plurielle qui allait des radicaux et des communistes, très attachés à la fonction de député-maire, au jeune député apparatchik socialiste tout heureux d'avoir trouvé un coupable : le cumulard, qu'il devait ainsi présenter à l'Etre suprême : l'opinion.
Embarras d'une droite enfin, il faut bien le dire, hésitant à s'opposer à une réforme qu'elle jugeait mauvaise mais que les médias présentaient comme populaire.
Telle fut donc l'atmosphère dominante pendant ces trois jours de débat.
C'est cette atmosphère, cet embarras qui expliquent en partie la si grande différence entre le texte initial du Gouvernement et celui qui fut retenu par l'Assemblée nationale.
Voilà comment nous avons abouti à un texte bâclé, boîteux et sans cohésion, contenant des dispositions adoptées sans réflexion préalable et empilées les unes sur les autres. Il était donc indispensable, comme l'a fait la commission des lois du Sénat, de revenir à l'essentiel : le régime des incompatibilités entre mandats électoraux et fonctions électives.
Pour ma part, je me limiterai à l'examen d'une seule disposition du texte, celle qui est au coeur du conflit et qui vise à interdire l'exercice d'un mandat parlementaire avec des fonctions exécutives locales, notamment celle de maire.
Je vous le dis d'emblée, monsieur le ministre, ce n'est pas ce qui ramènera les députés à l'Assemblée nationale. Pour le Sénat, je ne puis rien dire puisque je n'ai pas encore pratiqué cette assemblée. Mais, pour avoir fréquenté longtemps le Palais-Bourbon, je puis vous dire que j'ai vu, pendant près d'un an, voter des lois fondamentales de la République une cinquantaine de députés étant présents, députés, qui, d'ailleurs, venaient tous de province, car j'ai rarement vu en séance des députés de Paris, qu'ils aient appartenu à votre majorité ou à la nôtre.
Ce n'est pas ce que veulent les électeurs qui, d'ailleurs, confondent en général cumul des mandats avec cumul des indemnités, parce qu'il semblerait que personne ne leur ait parlé des lois récentes concernant notre écrêtement.
Ainsi, les dispositions que vous proposez visent à créer des élus de première classe : les parlementaires et des élus de deuxième classe : les détenteurs d'un petit mandat local.
Et pourtant ce que veulent aujourd'hui les Français, monsieur le ministre, ce sont des élus aussi proches que possible d'eux et de leurs préoccupations, afin qu'ils répercutent dans les hautes assemblées leurs attentes, leur volonté et leur espérance.
Or, ce n'est pas en enfermant les parlementaires dans nos palais nationaux, qui deviendront vite des maisons sans fenêtres, que vous pourrez revivifier le grand principe républicain qui doit faire d'eux l'expression de la volonté du peuple.
Cette volonté populaire, déjà si difficile à appréhender, et que l'on confond parfois un peu vite avec l'opinion publique créée artificiellement par les sondages et les médias, croyez-vous, monsieur le ministre, que les parlementaires puissent l'exprimer sans l'avoir préalablement identifiée, interprétée, validée en étant immergés au milieu de leurs concitoyens, à leur écoute et, pour ainsi dire, en osmose avec eux, non seulement par l'exercice de leur profession, ce qui est, soit dit entre nous, hautement souhaitable, mais aussi par l'exercice de leur mandat électoral.
Ce n'est pas en privant les parlementaires d'une expérience gestionnaire et décisionnaire que vous obtiendrez, monsieur le ministre, de meilleurs législateurs.
Les assemblées voulues par la gauche plurielle seraient constituées par des hommes et des femmes - je l'ai entendu à l'Assemblée nationale - jeunes - de dix-huit ans - sans expérience professionnelle, sans expérience familiale, sans expérience territoriale et qui ne verraient jamais le résultat des lois qu'ils voteraient tandis que ceux qui, territorialement, les appliqueraient ne seraient jamais à même d'être à leur origine ou même tout simplement de les modifier ou de les amender.
M. Dominique Braye. Bravo !
M. Jacques Peyrat. Ne vaudrait-il pas mieux, dès lors, que ceux qui auront à appliquer la loi continuent à participer à son élaboration et que, parallèlement, ceux qui participent à son élaboration sachent de quoi ils parlent ?
Permettez-moi, monsieur le ministre, de citer les propos tenus par quelqu'un qui n'est pas de mon camp, le député-maire de La Rochelle, Michel Crépeau, qui a dit :
Premièrement : « Si les Français veulent envoyer des maires au Parlement et qu'ils votent pour des maires, laissons-leur la liberté de choisir. » C'est un principe républicain que cela.
Deuxièmement : « Je crois qu'on légifère mal, quand on le fait au gré des fluctuations de la presse, des sondages ou même de l'opinion. » En entendant cette phrase, maître Balarello, j'ai pensé à notre grand prédécesseur Moro-Giafferi, qui disait : « Ne laissez pas l'opinion publique, cette prostituée, rentrer dans le tribunal et tirer le juge par la robe. » Troisièmement, il déclarait aussi : « En cet instant, mon cas de conscience est cornélien, car je ne veux pas trahir mon camp qui est à gauche, mais je ne veux pas non plus trahir la vérité, qui, malheureusement, dans cette affaire, est sur les autres bancs. »
Monsieur le ministre, que peut-on ajouter après tant de sincérité ?
Oui, Michel Crépeau a raison : votre projet de loi n'est pas acceptable, parce qu'il enlève au peuple la liberté de choisir.
Oui, il a raison, votre projet de loi n'est qu'un texte de circonstance, destiné à s'attirer les bonnes grâces des électeurs et la sympathie des médias.
Oui, il a raison, enfin, car votre projet de loi fait l'erreur de vouloir mettre fin au député-maire ou sénateur-maire sans se rendre compte que l'un sert l'autre et vice versa.
En effet, quand un parlementaire exerce son mandat national et son mandat local, il est en vérité un homme complet.
M. Guy Allouche. Et les autres ?
M. Jacques Peyrat. Le maire est fait pour écouter, ce que vous devriez faire, et le parlementaire pour être entendu, ce que j'essaie de faire.
Le maire, par son pouvoir décisionnel, sert sa commune. Le parlementaire participe collectivement à la loi de la nation. C'est à ces deux défis que ses électeurs l'ont librement convié. Ils sentent avec clairvoyance que, par ses deux fonctions, ils l'appellent à servir la République, car c'est l'addition des pouvoirs locaux, communaux, départementaux et régionaux, mélangés et interdépendants, qui a fait la France depuis des siècles. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en fait, l'Assemblée nationale s'est donné bonne conscience. Elle a voté des dispositions excessives, interdisant désormais aux parlementaires d'exercer la moindre fonctions exécutive locale sous prétexte que le cumul d'une telle fonction et d'un mandat parlementaire serait abominable.
Ensuite, bien entendu, dans nos départements, après avoir voté ces textes, les députés, quelle que soit leur orientation politique, sont venus nous dire leur espoir de voir le Sénat corriger cette folie.
Voilà pourquoi j'affirme que l'Assemblée nationale, dans sa majorité, s'est donné bonne conscience en votant ces textes et en souhaitant que la Haute Assemblée ne la suive pas. On dira alors que le Sénat est conservateur et le tour sera joué ! Et le mal sera fait !
M. Jacques Machet. Et voilà !
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n'est pas acceptable !
Cela ne signifie nullement que le débat ne mérite pas d'être ouvert. Mais il doit l'être en des termes mesurés.
Et puis, il ne faudrait pas que certains se déclarent contre le cumul à partir du moment où ils ont échoué à conquérir des mandats qu'ils briguaient...
M. Joseph Ostermann. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui, il existe de tels cas !
Quoi qu'il en soit, sur cette question, il faut savoir se montrer modéré et s'efforcer à l'objectivité.
J'ai relu avec beaucoup d'intérêt les débats qui ont précédé le vote de la loi de 1985. Certains orateurs soutenaient que, si on limitait le nombre des mandats, ce serait épouvantable. En fait, c'était raisonnable parce qu'il y avait manifestement des excès. Au demeurant, de tels excès peuvent éventuellement perdurer ; c'est notamment le cas lorsque des mandats exécutifs locaux sont exercés par délégation, la délégation en question n'étant d'ailleurs pas nécessairement donnée à des élus.
Cela pose le problème de la technocratie qui peut se développer dans les collectivités locales comme elle s'est développée au niveau de l'Etat. Edgar Faure disait que la technocratie, ce sont des techniciens avec lesquels on n'est pas d'accord. C'est surtout quand le politique a abandonné ses responsabilités que la technocratie - parce que les fonctionnaires sont des gens sérieux - prend le pouvoir et remplace le politique.
La question qui peut se poser aujourd'hui est celle de la compatibilité entre l'exercice d'un mandat parlementaire et celui d'une fonction exécutive importante. Mais on peut également se demander si, quand on exerce deux fonctions exécutives, elles ne risquent pas d'être en concurrence.
Je serais presque prêt à voter la loi mais je m'aperçois que, à l'occasion de la réorganisation de la police et de la gendarmerie, par exemple, tel ancien ministre de l'intérieur ou tel ancien ministre de la défense, qui savent donc très bien que l'on doit avoir une vision prospective de ce problème, hurlent à l'Assemblée nationale parce qu'on va supprimer le commissariat ou la gendarmerie de la commune dont ils sont maires. Bien entendu, vous ne voyez pas du tout à qui je fais allusion ! (Sourires.) Cela dit, s'ils étaient seulement députés, ils feraient la même chose : il y a quelques députés qui ne sont pas maires mais qui hurlent autant contre de telles mesures.
Mais enfin, on aura effectivement intérêt à se demander si de grands exécutifs et un mandat parlementaire sont compatibles.
M. Guy Allouche. Bonne question !
M. Jean-Jacques Hyest. Toutefois, il faut y mettre deux conditions, et M. Allouche, justement, m'a presque devancé sur ce point. La première condition, tout à fait indispensable, c'est la définition d'un statut de l'élu local. La seconde condition, c'est l'aboutissement de la décentralisation.
Je ne prétends pas, moi, qu'il faut être député et maire ou président de conseil général et maire ou président de conseil général, maire et parlementaire. Néanmoins, j'affirme que, si l'on veut aller vers une limitation du cumul, il faut que la décentralisation soit menée à son terme.
En effet, pourquoi un maire devient-il parlementaire ? Pourquoi un parlementaire devient-il maire ou président de conseil régional ou général ? C'est parce qu'il a le sentiment qu'il sera ainsi plus utile à sa région, à son département, à sa ville. Notre culture politique centralisatrice est telle qu'on n'a pas encore compris ce que pourrait être une décentralisation véritable, avec d'authentiques pouvoirs locaux. Il faut donc continuer à débattre de ce sujet.
Monsieur le ministre, s'il n'y a pas d'autre volet à votre réforme, je crois que le Sénat aura raison de dire, suivant la commission des lois, que l'exercice d'une fonction exécutive locale n'est pas incompatible avec celui d'un mandat parlementaire. Par la suite, s'il y a une vraie décentralisation, nous pourrons parvenir à un vrai partage des responsabilités dans ce pays, étant entendu aussi - le débat n'est pas nouveau ! - qu'il faudrait que le Parlement ait des pouvoirs tels que les parlementaires s'y sentent véritablement utiles. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les Français souhaitent des élus disponibles, proches d'eux, ayant l'expérience du terrain. La confiance qu'ils leurs manifestent en en faisant leurs représentants, via le suffrage universel, oblige à une exemplarité. Ces paramètres contraignent, au-delà des promesses électorales, à se poser, en conscience, et en corollaire à cette légitimité, la question de la qualité du devoir accompli.
Mon bref propos s'attachera, sur ces textes relatifs à la limitation du cumul des mandats électoraux, à plaider en faveur des deux représentations locales, dont une exécutive, compatible avec un mandat national.
La cellule première de toute vie publique est constituée par la commune. Dans ce groupe, au sens sociologique du terme, toutes les composantes sont présentes, offrant un large panorama de situations. Les relations individuelles y sont irremplaçables. A mon sens, il convient de privilégier la possibilité, pour un élu national, d'être également le maire d'une commune de moyenne importance, le seuil du nombre d'habitants restant à fixer.
Plus de la moitié des parlementaires sont également des premiers magistrats municipaux ; je fus moi-même l'un d'eux pendant deux décennies. Qui d'entre nous n'a entendu parler de Paris et de ses décisions comme s'il s'agissait de la planète Mars ? Il y a donc nécessité de placer dans la représentation nationale la continuité liée à un enracinement qui valide les conduites induites.
Cette entité se place tout naturellement dans le cadre spatial du canton. Celui-ci, bien que relevant d'un découpage administratif, recouvre souvent un terroir pourvu d'une identité. Il intègre ce terroir dans l'ensemble plus vaste du département. L'exercice de globalisation des politiques à partir de situations particulières, rompu à la pratique d'un mouvement pendulaire, ne doit connaître de cesse. Toute conceptualisation doit s'ancrer dans un pragmatisme entretenu tant pour alimenter la source que pour vérifier les applications.
Le mandat national finalise ce schéma. Pour les raisons que je viens d'exposer, il doit être fondé sur le montage décrit. Il n'est pas imaginable qu'un parlementaire puisse être en lévitation par rapport au terrain.
C'est, notamment, la raison pour laquelle je suis hostile au principe : « un homme, un mandat ». Ce maximalisme déguisé sous un vêtement de probité mène à une distanciation préjudiciable en amont comme en aval.
Par ailleurs, il serait vain d'y voir un gage de renouvellement des élus. Lors des dernières élections des maires, des conseillers généraux et régionaux, des députés et des sénateurs, un taux moyen de 50 % de nouveaux venus a été atteint, tous échelons confondus.
Enfin, il serait malhonnête de soutenir que cette règle serait un remède contre l'absentéisme des parlementaires en séance publique. Nous savons tous qu'il faut revoir l'organisation des débats et le rythme des travaux à l'intérieur des assemblées. Tant que les réunions internes se superposeront, il y aura des choix de présence à faire. Tous les textes étant examinés au moins par une commission, doivent-ils être tous, à nouveau, réétudiés en séance publique ? Là n'est pas le débat, mais cette critique de l'hémicycle déserté sous-tend néanmoins certains argumentaires favorables au non-cumul à l'extrême ; il faut donc y songer.
A l'opposé, je ne suis pas favorable à ce qu'un parlementaire soit également président d'un exécutif local. A mon sens, il n'est pas possible d'assumer les deux charges pleinement. Soit les deux sont mal remplies, soit l'une pâtit de l'attention portée à l'autre. C'est ainsi que le pouvoir politique passe aux mains de l'administration ou des cabinets.
La compétence des fonctionnaires territoriaux ou des collaborateurs n'est pas en cause, mais la frontière est mince entre délégation et substitution. Si la présence de l'élu n'est pas suffisante, une dérive s'installe. La tentation de cette substitution tient à la pérennité de la présence des administrations par rapport à la classe politique. On voit certains projets proposés inlassablement, même au niveau de l'exécutif national. On voit aussi - et nous allons bientôt être confrontés à cette situations - certains amendements rejetés sur l'avis des conseillers techniques, alors qu'une volonté politique permettrait de les accueillir.
La confusion des niveaux de responsabilité est dommageable. Finalement, qui le verdict des urnes sanctionne-t-il avec ce mode de fonctionnement ? Les engagements et les réalisations d'un homme qui a reçu un mandat représentatif ou les manifestations d'une administration à qui on laisse le champ libre ?
A contrario, pour celui qui dirige vraiment son département ou sa région, quel temps lui reste-t-il pour légiférer ? L'incroyable enchevêtrement de l'agenda parlementaire rend déjà difficile le parcours hebdomadaire pour qui n'a pas d'autre charge exécutive. Je ne vois pas comment tout concilier.
Une défiance savamment orchestrée vis-à-vis du politique a certainement creusé le fossé entre le pays et sa représentation. La société se reconnaît-elle dans ceux qu'elle élit ? Si, pour une meilleure qualité des tâches accomplies, j'estime qu'une limite de cumul est nécessaire, elle ne m'apparaît pas comme ayant une portée significative par rapport au dysfonctionnement incriminé : elle n'est qu'un des volets.
Un élu est avant tout un homme au service de ses concitoyens, qui veulent tout à la fois qu'il soit à leur inauguration et en séance, à leur côté et à Paris. La prise en compte de ces désirs ne peut se codifier ; ils sont pourtant essentiels. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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