Séance du 3 novembre 1998






DÉCENTRALISATION

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la décentralisation.
La parole est à M. le ministre de l'intérieur par intérim.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez souhaité que, dans l'ordre du jour qui lui est réservé, la Haute Assemblée débatte de l'état de la décentralisation. Le Gouvernement saisit ainsi l'occasion qui lui est donnée de rappeler ses orientations.
Celles-ci s'organisent autour de deux réflexions : les collectivités locales sont un atout majeur pour la République, et il faut leur donner les moyens de fonctionner et de progresser.
Tout d'abord, les collectivités locales sont un atout majeur pour la République.
Lancées en 1981 par Pierre Mauroy, puis par Gaston Defferre, les grandes lois de décentralisation ont maintenant plus de quinze ans et, par-delà nos divergences, nous devons rendre hommage aux artisans de cette réforme profonde de nos institutions.
Dans sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997, le Premier ministre s'inscrivait dans cet esprit : « La démocratie doit s'exercer pleinement dans la vie locale. Les collectivités territoriales exercent aujourd'hui des responsabilités essentielles en matière économique et sociale. Par la qualité de leur engagement public, les élus locaux font honneur à notre pays. La contrepartie de ces responsabilités accrues doit être trouvée dans un contrôle mieux assuré, une transparence plus grande des décisions, une évaluation réelle des politiques menées. »
Au-delà même de leur rôle dans les grands équilibres économiques et financiers du pays, les collectivités locales sont des éléments actifs de notre démocratie. Elles font partie intégrante du service public et partagent avec l'Etat la charge de l'administration territoriale de notre pays.
J'entends dire ici que la décentralisation serait au milieu du gué, ailleurs qu'elle serait même revenue sur l'autre berge, comme si, depuis la loi de 1982, le mouvement s'était, en quelque sorte, interrompu.
Je crois au contraire que la décentralisation s'est profondément enracinée dans l'organisation des pouvoirs. Il n'y aura ni recul, ni recentralisation rampante, ni retour du jacobinisme.
La décentralisation est dans une période non pas de rupture, mais de constante amélioration. Pour progresser, il faut rationaliser, simplifier et, surtout, améliorer la démocratie locale.
Le Gouvernement se situe dans cette logique. A ceux qui trouveront qu'elle manque d'ambition, je répondrai que la carte territoriale de notre pays ne se conçoit pas d'en haut, mais qu'elle se forge d'en bas, c'est-à-dire du terrain.
C'est pourquoi le Gouvernement n'envisage de remettre en cause aucun des niveaux de collectivité territoriale consacrés en 1982. Ils ont chacun leur histoire et remplissent chacun un rôle spécifique.
Certes, dans un monde vierge de toute institution territoriale, il y aurait sans doute quelques économies d'échelle à n'avoir que deux niveaux, mais un tel objectif reste utopique, il faut le dire. Je suis d'ailleurs soucieux de connaître sur ce point la position de la Haute Assemblée.
Quant au reproche de retour à l'Etat, il relève d'un faux procès. Il n'y a pas de décentralisation sans un Etat qui assume ses fonctions et qui privilégie la déconcentration. Les élus ont besoin d'un interlocuteur territorial en situation de décider et, bien évidemment, de contrôler.
Le Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, soulignait que la contrepartie de l'exercice par les collectivités locales de responsabilités accrues devait être trouvée dans un contrôle mieux assuré. Dans cette ligne, le ministre de l'intérieur a fixé comme priorité le renforcement de l'exercice du contrôle de légalité.
Le respect de la légalité est à la base de droit qui régit les rapports des citoyens avec l'administration. Dans le contexte français de la décentralisation, il contribue également à garantir l'équilibre constitutionnel des pouvoirs entre l'Etat déconcentré et les collectivités territoriales.
La réforme du mode de scrutin régional et celle du cumul des mandats participent aussi du renforcement de la décentralisation. Dans le premier cas, il s'agit de permettre aux régions de fonctionner alors qu'elles connaissent des perturbations nées d'incertitudes dans la constitution de la majorité de leurs assemblées. Dans le second, il s'agit de bien clarifier ce qui relève de l'intérêt national et de l'intérêt local, car le cumul des fonctions constitue une sorte de poison pour la décentralisation.
Le Gouvernement souhaite que nous sortions - ensemble - du débat traditionnel entre jacobins et girondins.
Je ne crois pas que ce débat structure encore le paysage politique. Si l'Etat doit affirmer ses priorités, prendre ses responsabilités, cela n'empêche en rien les collectivités locales d'être pleinement majeures, bien au contraire, car c'est dans la clarté des conceptions et des compétences de chacun que nous pourrons travailler à la refondation du pacte républicain.
C'est bien cette conception qui guide le Gouvernement dans son action, dans la forme comme au fond, depuis maintenant dix-huit mois. L'Etat et les collectivités locales sont ainsi étroitement associés aux grandes politiques publiques que nos concitoyens appellent de leurs voeux : lutte contre l'exclusion, contre le chômage et l'insécurité.
En matière de lutte contre les exclusions, nous disposons maintenant d'une loi d'orientation qui permet de couvrir tous les domaines : l'accès à l'emploi, au logement, aux soins, la prévention et le traitement du surendettement, l'exercice de la citoyenneté.
Le dispositif institutionnel n'a pas été modifié, mais au contraire renforcé par une plus grande coordination des actions des communes, des départements et de l'Etat, notamment pour l'action sociale d'urgence.
En matière d'emploi, le dispositif de développement des activités pour l'emploi des jeunes est un atout décisif. Mme Martine Aubry a récemment rappelé que l'objectif de 150 000 emplois-jeunes en 1998 serait atteint.
Les collectivités locales prennent, avec les associations, toute leur part à cette réussite. Le premier bilan montre que les emplois créés, définis selon une démarche conventionnelle par l'employeur, satisfont des besoins nouveaux sans effet de substitution aux emplois existants assurés par la fonction publique territoriale. L'effort financier de l'Etat et celui, complémentaire, des collectivités ne sont ainsi pas mobilisés en vain.
Dans le domaine de la sécurité, la démarche des contrats locaux de sécurité associe les collectivités à l'analyse des besoins comme à la mobilisation des moyens. La méthode qui consiste à mobiliser tous les acteurs autour de priorités définies par eux, en concertation avec les habitants, est de nature à progresser sur ce terrain décisif qui est fondamental pour nos concitoyens.
Lors du dernier conseil de sécurité intérieure, nous avons décidé d'associer à l'élaboration ou à l'amélioration des contrats locaux de sécurité de nouveaux partenaires et, tout particulièrement, les conseils généraux, compte tenu de leurs compétences dans le domaine de la prévention et de l'action sociale.
Ce sont là trois priorités nationales où le Gouvernement a souhaité mobiliser les collectivités locales, persuadé que la réussite de ces politiques dépendra pour partie de leur action.
Cela a été fait dans la clarté, l'Etat prenant ses responsabilités tout en constatant la convergence entre ses objectifs et ceux des élus locaux.
L'Association des maires de France tiendra prochainement son congrès. Je rends hommage à son président, votre collègue Jean-Paul Delevoye, de l'avoir placé sous le signe du lien social. J'y vois la parfaite illustration que les maires et le Gouvernement ont le souci commun de la cohésion de la République.
J'en viens maintenant à la deuxième orientation : les collectivités doivent disposer des moyens de fonctionner et de progresser.
Une bonne articulation de l'action de l'Etat et de celle des collectivités locales passe par une amélioration de leurs moyens d'action.
S'agissant des moyens humains, la construction du dispositif statutaire de la fonction publique territoriale est maintenant achevée. Mon collègue Emile Zuccarelli, qui en a la responsabilité, vous fera part des orientations et des priorités de travail envisagées, afin de donner une suite au rapport Schwartz.
S'agissant des moyens financiers, conformément aux engagements pris, la sortie du « pacte de stabilité » a fait l'objet d'une large concertation, qui s'est prolongée pendant cinq mois. Ces discussions ont porté leurs fruits : le Gouvernement a pu tenir compte des attentes des élus et intégrer ce que sont ses préoccupations au niveau national. Cela marque déjà une rupture de méthode par rapport à celle qui a été suivie en 1995, qui avait conduit le gouvernement de l'époque à imposer ce qui avait été appelé le « pacte de stabilité ».
Le Gouvernement a une approche globale des relations financières entre les collectivités locales et l'Etat, avec le souci de garantir une règle du jeu précise et stable.
Sur le plan du diagnostic, nous pouvons, me semble-t-il, dresser trois constats.
Premier constat, une vision pluriannuelle de l'évolution des dotations est nécessaire pour assurer au mieux les efforts de planification et de gestion.
Deuxième constat, il faut prendre en compte la situation respective de l'Etat et des collectivités locales et, de ce point de vue, l'amélioration de la situation financière des collectivités locales est une réalité. Cette amélioration tient notamment à un effort de gestion important, qui a permis de dégager une capacité supplémentaire de financement en 1997. Cette situation devrait perdurer en 1998 et, probablement, en 1999, ce qui sera bénéfique pour l'investissement public, qui, je le rappelle, est supporté par les collectivités locales à plus des deux tiers.
Enfin, troisième constat, même si la situation financière des collectivités locales s'est améliorée, elle reste marquée par de fortes inégalités.
C'est pourquoi le Gouvernement a souhaité passer du pacte de stabilité à un contrat de croissance et de solidarité permettant de tirer parti de la croissance revenue de l'économie française pour renforcer la péréquation.
Le principe d'un engagement triennal est reconduit, mais l'enveloppe des concours ne sera plus seulement indexée sur les prix. Une fraction croissante de l'indice prévisionnel du produit intérieur brut, donc de l'évolution de la richesse nationale, sera prise en compte, soit 15 % en 1999 - taux porté par l'Assemblée nationale à 20 % - puis 25 % en 2000 et 33 % en 2001.
Le Sénat examinera prochainement la loi de finances, et donc ces mesures ; je ne doute pas que l'évolution des dotations nourrira la discussion.
En ce qui concerne la réforme fiscale, dont vous débattrez également, je veux seulement évoquer la suppression de la part salaires de la base de la taxe professionnelle.
La taxe professionnelle a été décrite depuis de très nombreuses années comme un impôt absurde. En fait, la réforme proposée sera favorable à l'emploi puisqu'elle profitera aux entreprises fortement utilisatrices de main-d'oeuvre, notamment aux petites entreprises. En outre, elle simplifiera les formalités puisque le régime de la déclaration sera nettement allégé.
Cette réforme a été contestée au nom du principe de la libre administration des collectivités locales. Pourtant, le Gouvernement propose une compensation qui offre une garantie durable, permettant aux élus locaux d'élaborer leurs budgets sur des bases solides, prévisibles et aussi justes que possible.
La compensation de la part salaires de la taxe professionnelle, intégrale en 1999, sera indexée chaque année selon l'indice de la DGF, c'est-à-dire en fonction des prix et de la moitié du taux d'évolution du PIB. Au terme de la période, cette compensation, qui atteindra environ 60 milliards de francs, sera intégrée dans la DGF. Le Gouvernement répond ainsi à l'inquiétude souvent manifestée par les élus locaux, et dont vous vous êtes fait les interprètes ; l'histoire chaotique de la dotation de compensation de la taxe professionnelle ne se répétera pas.
En fin de période, les dotations de l'Etat aux communes seront passées, en moyenne, de 30 % à 36 % de leurs recettes totales. On ne peut donc pas parler de recentralisation.
Au surplus, la méthode de compensation est favorable aux zones en difficulté économique ou confrontées à des restructurations, puisque celles-ci ne subiront plus le contre-coup des réductions en matière d'effectifs.
Enfin, les collectivités conservent la part la plus dynamique de l'assiette - pratiquement les deux tiers - tandis que la suppression de la réduction de taxe professionnelle pour embauche et investissement redonne aux budgets locaux une marge de manoeuvre fiscale.
Telle est donc cette réforme de la taxe professionnelle, incluse dans la loi de finances, dont vous aurez l'occasion de discuter prochainement.
Par ailleurs, la révision des valeurs locatives sera mise en oeuvre. Vous le savez, les travaux de révision, commencés en 1990, sont achevés depuis sept ans. Le Gouvernement souhaite maintenant proposer au Parlement d'en tirer les conséquences.
C'est une source de plus grande justice entre les contribuables, notamment en matière de taxe d'habitation. Cela permet également d'améliorer la comparaison des situations de richesse relative des collectivités, à partir de laquelle s'opère la péréquation.
Enfin, s'agissant des charges, des décisions ont été prises dans deux domaines qui inquiètent les élus.
En ce qui concerne, d'abord, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, un groupe de travail a été constitué au sein du comité des finances locales afin d'aboutir à une solution à long terme dans le cadre des travaux sur l'avenir des retraites que le Premier ministre a demandés au Commissariat général au plan. D'ici là, en 1999, comme en 1998, toute augmentation de la cotisation des collectivités employeurs à la CNRACL a été écartée.
Quant aux normes, elles représentent un coût sans cesse croissant et mal maîtrisé. L'Etat et les élus locaux doivent trouver une méthodologie qui permette de mesurer et de limiter les conséquences sur les budgets locaux des normes techniques, qu'elles soient d'origine européenne ou nationale. Un groupe de travail sera institué à cette fin.
J'en viens, pour finir, aux grands chantiers d'avenir.
En effet, les lois de décentralisation sont perfectibles. Nous devons nous employer à les aménager en tenant compte des attentes des élus et des citoyens.
En matière de clarification des compétences, le Gouvernement préfère engager une démarche pragmatique sur des dossiers clairement identifiés.
C'est le cas, par exemple, du secteur sanitaire et social, où la concertation avec les départements a permis de faire de grands progrès. Cela vaut pour la réforme de la tarification des établissements pour personnes âgées comme pour la couverture maladie universelle. Le projet de loi qui sera prochainement déposé permet de satisfaire la demande des départements, qui souhaitent que soient recentralisées l'assurance personnelle et l'aide médicale aux plus démunis.
C'est également le cas des interventions économiques des collectivités locales, qui font l'objet d'un projet de loi présenté par Emile Zuccarelli.
Enfin, la concertation sur la réforme du code des marchés publics sera prochainement lancée, avec le double souci de simplification et de sécurité juridique pour les élus locaux.
Si le Gouvernement n'a aucune intention de rupture brutale, il souhaite aussi favoriser de nouveaux équilibres nécessaires à la décentralisation. C'est vrai du projet de loi sur l'aménagement du territoire comme du projet de loi sur l'intercommunalité, qui vient d'être adopté en conseil des ministres.
Vous aurez à débattre de ces deux textes au début de l'année prochaine. Tous deux, chacun dans leur domaine, ont des objectifs ambitieux pour l'action publique, notamment celle des collectivités locales.
Vous le savez, lors du comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire du 15 décembre 1997, le Gouvernement a arrêté les grandes lignes de l'aménagement et du développement durable du territoire qui doivent nous guider dans la préparation d'une nouvelle génération de contrats de plan entre l'Etat et les régions avant le 1er janvier 2000. Cette date est aussi celle de la mise en place des programmes structurels européens, dans lesquels les régions seront partenaires.
Le choix stratégiques en matière de politique nationale d'aménagement du territoire sont les suivants : le renforcement de pôles de développement à vocation européenne et internationale ; l'organisation d'agglomérations participant au développement des bassins de vie et d'emploi qui les entourent ; le développement local au sein des pays présentant une cohésion géographique, culturelle, économique et sociale ; enfin, le soutien aux territoires en difficulté, notamment les territoires ruraux en déclin, les zones de reconversion industrielle, les régions insulaires et les départements d'outre-mer.
Telles sont donc les quatre grandes orientations retenues.
Les schémas de services collectifs remplaceront le schéma national d'aménagement du territoire, resté lettre morte. Ils constitueront également les bases d'une même stratégie de l'Etat en région pour les contrats de plan et pour les programmes européens.
Le projet de loi introduit un volet territorial aux contrats de plan conclus entre l'Etat et les régions, dès lors que les communes ou leurs groupements intéressés auront constitué un syndicat mixte ou un établissement public de coopération intercommunale, en zone urbaine comme en milieu rural, dont la spécificité sera reconnue au sein des projets de pays.
Le projet de loi établit ainsi un équilibre entre monde rural et aires urbaines, tout comme l'élaboration de la prochaine génération de contrats de plan, pour lesquels la concertation sera lancée en janvier prochain, lorsque le Gouvernement aura arrêté les orientations fondamentales de l'Etat.
Ce n'est qu'au terme de cette concertation, qui associera non seulement les régions mais aussi les autres niveaux de collectivités, notamment les départements et les réseaux de villes, que les préfets recevront un mandat de négociation, soit avant le 1er juillet 1999.
S'agissant de la coopération intercommunale, le projet de loi qu'avait préparé Jean-Pierre Chevènement et que j'ai présenté en conseil des ministres constitue une nouvelle étape de la décentralisation en refondant ce processus de coopération qui avait été lancé par la loi du 6 février 1992. La forte identité de l'institution communale dans notre pays, qu'il faut préserver, n'a pas fait obstacle au développement de la coopération. Ainsi, depuis 1992, 1 557 structures de coopération intercommunale à fiscalité propre ont vu le jour.
Ce succès masque toutefois des déséquilibres géographiques, démographiques et fiscaux. Il y a eu très peu de groupements urbains, cinq communautés de villes seulement, et la taxe professionnelle unique, qui permet sur un même périmètre d'unifier les taux de cet impôt, n'a pas rencontré le succès espéré ; un peu plus de quatre-vingts collectivités seulement l'ont adoptée.
C'est pourquoi nous visons, au travers de ce projet de loi, quatre objectifs.
Nous proposons une nouvelle architecture de l'intercommunalité en milieu urbain grâce à une formule juridique nouvelle, la communauté d'agglomération, tout en consolidant l'intercommunalité en milieu rural à travers une rénovation des communautés de communes.
Nous engageons une simplification institutionnelle de l'intercommunalité, en réduisant le nombre de catégories juridiques actuellement existantes, et nous mettons en place un corps de règles unifiées de fonctionnement et d'organisation de l'ensemble des établissements publics de coopération intercommunale.
Nous renforçons la démocratie et la transparence dans le fonctionnement des groupements de coopération intercommunale.
Nous prévoyons, enfin, d'instituer des mesures fiscales et financières incitatives en vue de développer la taxe professionnelle unique dans les agglomérations.
Nous restons dans un mécanisme d'incitation, et non de contrainte.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement marque explicitement son engagement pour le franchissement d'une nouvelle étape de la décentralisation, qui en respecte les principes, notamment celui d'une libre décision des collectivités locales dans l'adhésion à un groupement de communes.
Le Gouvernement a ainsi rejeté l'hypothèse d'un passage forcé à l'intercommunalité, de même qu'il n'a nullement l'intention de faire des « pays » des structures juridiques nouvelles.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement se veut à la fois ambitieux et pragmatique en matière de décentralisation.
Les projets de loi, soumis à la représentation nationale après une large concertation et assez tôt pour que les assemblées puissent en débattre en toute connaissance de cause, feront progresser, j'en suis persuadé, la décentralisation. Ils prolongeront la dernière grande loi en la matière, celle de 1992 sur l'administration territoriale de la République. Je n'oublie pas la loi Hoeffel sur la dotation globale de fonctionnement, en 1993, ni la loi Perben sur la fonction publique, en 1996. J'observe cependant qu'après 1982 et 1992, c'est de nouveau une majorité de gauche qui entend redonner du souffle aux collectivités territoriales,... (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Gournac. Il est dommage que vous terminiez ainsi !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. ... lesquelles sont bien les partenaires naturels du développement local et de la solidarité face aux difficultés que rencontre notre République. (Brouhaha sur les mêmes travées.)
Mesdames, messieurs les sénateurs, il faut tout de même vous souvenir que la décentralisation, pour la mise en place de laquelle vous avez si longtemps piétiné, voire échoué, a été réalisée dans ce pays par un gouvernement de gauche, dirigé par Pierre Mauroy, ici présent. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen. - Vives protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Claude Gaudin. La chute est mauvaise ! Partisan !
M. Charles Revet. C'est dommage !
M. le président. Comme vous pouvez le constater, monsieur le ministre, la décentralisation est un sujet qui passsionne le Sénat !
La parole est à M. le ministre de la fonction publique.
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la Constitution confère à la Haute Assemblée le rôle de représentant des collectivités territoriales de la République.
M. Charles Revet. Vous faites bien de le rappeler !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Votre approbation me va droit au coeur, monsieur le sénateur !
Il est donc naturel que vous ayez souhaité organiser ce débat d'orientation sur la décentralisation et que les membres du Gouvernement en charge de ce dossier vous fassent part des orientations gouvernementales en la matière.
La décentralisation approche précisément de l'âge de sa majorité, qu'elle atteindra en l'an 2000. Ce débat nous donne l'occasion de préciser que l'action gouvernementale découle d'une philosophie politique claire, s'affirmant dans des décisions concrètes et des projets de loi ambitieux.
Depuis seize ans, la République s'est décentralisée, et la démocratie a progressé. En effet, la décentralisation n'est pas seulement une mesure de rationalisation, d'optimatisation de la répartition des compétences entre les différents niveaux territoriaux, dont le découpage, au demeurant, renvoie largement à la Révolution française.
La décentralisation doit d'abord permettre d'améliorer le fonctionnement démocratique, et donc la définition de l'intérêt général. Il nous appartient à tous, mesdames, messieurs les sénateurs, de redonner du sens à l'action publique.
Dans le cadre de notre réflexion, l'Etat n'est pas à opposer aux collectivités, car l'Etat et les collectivités territoriales forment la République, au service de l'intérêt général, en mettant en oeuvre des services publics plus performants, plus accessibles.
Ici ou là - et je reprendrai le propos de mon collègue Jean-Jack Queyranne -, certains ont pu s'inquiéter de l'évolution de la décentralisation. Permettez-moi de vous rassurer, s'il en était besoin. Ne doutez pas de la volonté du Gouvernement de se placer dans le droit-fil du mouvement initié par la loi du 2 mars 1982, présentée en effet par Gaston Defferre sous le gouvernement de Pierre Mauroy.
Les collectivités territoriales sont aujourd'hui des acteurs essentiels de la vie économique et sociale de la France. La décentralisation, en mobilisant les énergies locales, a gagné son pari ; le dynamisme, l'esprit d'initiative et l'engagement au quotidien des élus locaux et de leurs collaborateurs y contribuent.
Le Gouvernement a défini quatre priorités qui guideront son action dans la démarche d'approfondissement de la décentralisation qu'il souhaite conduire, en lien avec la réforme de l'Etat. Il s'agit, premièrement, de préciser les compétences de l'Etat et des collectivités territoriales, deuxièmement, de revivifier la démocratie locale, troisièmement, de renforcer les solidarités locales et, quatrièmement, d'améliorer la transparence de la gestion publique.
Ces quatre grands chantiers donnent lieu - vous m'en donnerez acte - à une concertation étroite et régulière entre l'Etat et les élus locaux.
Il importe, c'est clair, de permettre aux collectivités territoriales de prendre toute leur part à la nécessaire modernisation de l'action publique, et d'être ainsi encore plus performantes au service de nos concitoyens.
L'heure est donc bien à l'approfondissement de la décentralisation, non à sa remise en cause. Cet approfondissement passe par un examen lucide de ce qui a été accompli, des nombreuses réussites qui sont bien identifiées tant par vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que par l'Etat et, surtout, par nos concitoyens, ce qui est essentiel. Mais il faut aborder certains dysfonctionnements ou carences auxquelles il faut remédier.
Surtout, nous savons bien qu'au-delà d'une décennie aucune construction juridique ne saurait être dispensée de quelques retouches. Depuis 1982, la France a connu en effet de considérables mutations : 80 % de nos concitoyens vivent aujourd'hui dans des centres urbains ; la majorité d'entre eux travaillent dans le secteur tertiaire ; les difficultés économiques ont mis à mal les liens sociaux. Tout cela n'est pas sans incidence sur les budgets des collectivités. Approfondir la décentralisation, je le répète, ce n'est pas seulement transférer de nouveaux pouvoirs aux élus locaux, c'est aussi adapter les espaces d'expression politique à la vie de nos contemporains pour renforcer la démocratie locale et pour refonder le pacte républicain, comme l'a rappelé le Premier ministre.
C'est bien dans cet esprit que le Gouvernement prépare un ensemble de réformes cohérentes contenues dans des textes complémentaires qui, bien que placés chacun sous la responsabilité d'un ministre, ont toutefois donné lieu à un travail d'élaboration commun : le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, présenté par Mme Dominique Voynet, le projet de loi relatif à l'organisation urbaine et à la simplification de la coopération intercommunale, préparé par M. Jean-Pierre Chevènement et, enfin, le projet de loi sur l'intervention économique des collectivités locales que je soumettrai prochainement au conseil des ministres.
Ces trois textes et les débats qu'ils occasionneront vont permettre de poursuivre, voire d'amplifier la décentralisation.
Approfondir la décentralisation, cela passe aussi par une adaptation de l'Etat. Je m'y emploie patiemment, de manière déterminée et méthodique, dans le cadre de la réforme de l'Etat, en m'intéressant en priorité aux relations entre l'administration et les citoyens : c'est l'objet du projet de loi DCRA, droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, que vous aurez, mesdames, messieurs les sénateurs, à examiner prochainement.
Réformer l'Etat, c'est aussi moderniser les modes de gestion et d'intervention de ce dernier.
A cet égard, la priorité est d'assurer la poursuite de la déconcentration, condition sine qua non de la réussite de la décentralisation. Tous les élus locaux m'ont exprimé maintes fois leurs attentes et je partage leur avis.
L'enjeu est décisif puisque les services déconcentrés de l'Etat regroupent 96 % des agents de l'Etat et prennent les trois quarts des décisions administratives individuelles. D'ores et déjà, sur mon initiative, un millier d'entre elles ont été transférées à l'échelon départemental en décembre dernier.
Il ne s'agit pas seulement de rapprocher les centres de décision des usagers ; il convient aujourd'hui que les services déconcentrés de l'Etat se donnent des moyens nouveaux de fonctionner ensemble, de façon coordonnée et plus efficace. Il s'agit de réorganiser les services déconcentrés, tâche à laquelle je m'emploie très activement. Je viens d'ailleurs de transmettre récemment des propositions au Premier ministre, qui vont maintenant faire l'objet de concertations.
Dans le domaine de la modernisation administrative, l'Etat est prêt à nouer avec les collectivités locales des relations fécondes de partenariat permettant des solutions innovantes. Cela vous intéresse concrètement, vous qui représentez les collectivités. Les nouvelles technologies ne sont pas l'apanage de l'administration de l'Etat, nous le savons bien ; les maisons de services publics sont des structures qui accueillent toutes les administrations possibles : Etat, collectivités, voire concessionnaires de services publics. Quant à l'évaluation des politiques publiques, nombre de collectivités ont marqué - je les en remercie - leur intérêt pour son développement et sa promotion ; notre pays, malgré les efforts consentis depuis quelques années, connaît un certain retard dans ce domaine. Sur tous ces sujets touchant à la modernisation, je serais heureux que l'Etat puisse bénéficier de vos réflexions.
Concourant directement à l'aménagement du territoire, les collectivités locales sont associées à la plupart des politiques publiques. Mais, pour que les élus responsables des collectivités territoriales soient en mesure de donner le meilleur de leurs capacités d'initiative, encore faut-il que les textes qu'on leur demande d'appliquer soient clairs et cohérents.
Nous en arrivons là à un thème auquel, tout comme moi, vous êtes particulièrement sensibles : celui de la sécurité juridique. Je m'y suis attaché dès ma prise de fonction avec un dossier que j'ai jugé prioritaire : celui de l'intervention économique des collectivités locales et du régime juridique des sociétés d'économie mixte locales. Sans entrer dans les détails d'un projet qui vous sera bientôt soumis, je voudrais en rappeler les principaux axes.
En premier lieu, il s'agit de mieux adapter les aides aux besoins des entreprises, tout d'abord par la suppression de certaines rigidités telles que la distinction entre aides directes et indirectes qui n'a plus de signification, ensuite par la mise en place d'un système d'aides différenciées selon la taille des entreprises.
S'agissant de l'assiette des dépenses éligibles, elle ne pourra comprendre, à l'exception de quelques secteurs particuliers - innovation-recherche, environnement et cinéma - que les dépenses d'investissement, matériel et immatériel.
Quant à l'intensité des aides, elle pourrait s'échelonner de 7,5 % à 25 % du montant de l'investissement selon la taille de l'entreprise et selon qu'elle se situe ou non en zone de prime d'aménagement du territoire.
Sur tous ces sujets, et pour toutes ces interventions, il n'y aura pas subordination d'un niveau de collectivité locale à l'autre : les communes et les départements pourront agir à égalité de droits et de devoirs avec les régions même si, par ailleurs, sont bien prises en compte les responsabilités spécifiques confiées à la région dans le domaine du développement économique et de l'aménagement du territoire.
Au-delà de la sécurisation juridique de l'élu, il convient de prévoir une sécurisation financière. Le nouveau régime instaure donc un plafonnement des aides par entreprise selon les règles européennes - cela a été évoqué - mais également un plafonnement pour les collectivités locales par une série de ratios prudentiels variables selon le type de collectivité et selon qu'elles interviennent en groupement ou isolées.
Le dispositif vise aussi à favoriser l'intermédiation au travers de sociétés de capital-risque ou de sociétés de garantie. Les collectivités pourront loger des fonds dans des structures de ce type sans en être actionnaires.
Enfin, et ce point n'est pas le moindre en matière de sécurisation juridique, un toilettage de la loi de 1982 sur les sociétés d'économie mixte locales est prévu.
Le projet vise deux objectifs. Le premier est de conserver la place des SEM dans le développement local en renforçant le rôle des collectivités actionnaires.
M. Gérard Braun. Très bien !
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation. Le second objectif est de déterminer, dans un souci de protection des finances locales, un régime de relations clarifiées et mieux maîtrisées entre les collectivités et ces sociétés.
Les collectivités seront ainsi mieux armées dans leur lutte en faveur de l'emploi.
Pour terminer, je voudrais aborder la fonction publique territoriale et les suites que j'entends donner au rapport Schwartz.
Je rappelle, tout d'abord, que la mission confiée à M. Schwartz tendait non pas à redéfinir le statut de la fonction publique territoriale dans son ensemble, mais simplement à identifier les points prioritaires sur lesquels des corrections apparaîtraient nécessaires dans le domaine du recrutement, de la formation et du déroulement de carrière des fonctionnaires territoriaux. L'objectif unique, évident, est de faire en sorte que les collectivités territoriales puissent recruter les fonctionnaires en nombre, en qualité et en compétences, dont elles ont besoin.
Le rapport de M. Schwartz m'a été remis en mai dernier ; il a été largement diffusé. J'ai rencontré tous les partenaires : associations d'élus, centres de gestion et syndicats. C'est seulement ensuite que j'ai arrêté mes orientations - tout n'est pas figé, il s'agit d'orientations - dont j'ai fait part au Conseil supérieur de la fonction publique territoriale du 13 octobre dernier. Je profite de l'occasion de ce débat pour vous en présenter les grandes lignes.
Je tiens à vous indiquer d'emblée que je n'ai pas retenu le principe d'une obligation de recrutement sur liste d'aptitude en cas de déclaration de vacance d'emploi. Il n'en demeure pas moins qu'il subsiste de vrais problèmes tels que celui des « reçus-formés-collés » ; chacun d'entre vous est familiarisé avec cette formule. La question, en réalité, se pose souvent en termes d'inadéquation entre les profils des lauréats et les besoins d'emploi des collectivités. La démarche à retenir me semble donc devoir surtout porter sur le « toilettage » des concours et des spécialités. Je suis prêt à examiner toutes les propositions que vous pourriez me faire.
S'agissant de l'organisation des carrières, l'un des thèmes principaux est celui des seuils. Je suis favorable à un certain assouplissement, par exemple en abaissant à 3 500 habitants le seuil aujourd'hui fixé à 5 000 habitants pour le recrutement des secrétaires généraux. Je suis également prêt à ouvrir aux villes de 40 000 habitants le droit de recruter des administrateurs territoriaux, mais je ne suis pas favorable à la suppression des seuils. En effet, leur démantèlement jouerait à l'encontre tant de la valorisation des carrières que des conditions de gestion des ressources humaines par les employeurs locaux.
La question des seuils est surtout sensible compte tenu des exigences croissantes de la gestion locale. Un débat aussi large pourra être abordé qu'autant que l'on aura apporté des garanties supplémentaires en matière de transparence et de régulation. Ce sont là des conditions indispensables au renforcement de la fonction publique territoriale, tant sur le plan de l'attractivité que de la qualité.
S'agissant des quotas, plutôt que de procéder à un élargissement général en matière d'avancement de grade, tel qu'il m'a été parfois suggéré, je préfère emprunter la voie d'aménagement sur des secteurs prioritaires. A cet égard, l'accord salarial du 10 février 1998 a permis une importante évolution pour les emplois de catégorie C. Un assouplissement des règles d'avancement ou de promotion reste possible en cas d'assiette trop étroite.
Tout cela suppose une meilleure coordination des différentes institutions de la fonction publique territoriale : le CNFPT, le Centre national de la fonction publique territoriale, les centres de gestion et les grandes collectivités. A ce stade, je n'ai pas d' a priori sur le support juridique le plus adéquat pour cette coordination. Comme le suggère le rapport Schwartz, il faut cependant retenir une formule « souple, légère et non onéreuse ». Sur ce plan, la création d'un groupement d'intérêt public, suggérée par le rapport, me paraît une réponse tout à fait pertinente.
D'autres chantiers sont ouverts. Comme l'a évoqué Jean-Jack Queyranne à l'instant, sur le devenir de la CNRACL, le Gouvernement a décidé, sur ma proposition, la mise en place d'un groupe de travail au sein du Comité des finances locales. Sur l'action sociale dans les collectivités locales, Mme Escoffier m'a remis son rapport : j'ai immédiatement engagé une concertation avec l'ensemble des parties concernées. Enfin, sur le temps de travail, une importante mission d'expertise sur l'état des lieux dans son immense diversité a été confiée à M. Roché. Je lui ai demandé de rencontrer toutes les associations d'élus. Les rendez-vous sont en cours de fixation. M. Roché poursuit sa mission : nous en tirerons les conclusions avec nos partenaires en temps voulu. Il est prévu que le rapport sera remis avant la fin de cette année et, sur cette base, nous entamerons la concertation en 1999.
Pour conclure sur ce point, je vous ferai part de ma conviction que l'attachement au statut de la fonction publique territoriale constitue un élément fondamental de la réussite de la décentralisation. Mais l'attachement au statut se justifie en ce qu'il exprime un équilibre entre deux préoccupations légitimes : d'une part, les exigences statutaires, qui sont garantes d'une administration de qualité et, d'autre part, les exigences de la libre administration des collectivités locales.
Tels sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais apporter à votre réflexion. Ils n'épuisent certes pas la totalité des préoccupations qui nous animent les uns et les autres.
Aujourd'hui, la décentralisation a plus que l'âge de raison - je disais qu'elle approchait de sa majorité - et elle fait la preuve de son efficacité. Il convient maintenant de poursuivre le mouvement, pour approfondir la démocratie locale et, par là même, conforter l'assise de la République.
A cet égard, les travaux que, comme aujourd'hui, vous conduisez revêtent une importance toute particulière. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen et du RDSE.)
M. le président. Monsieur le ministre, je vous remercie des compliments que vous venez d'adresser au Sénat.
La parole est maintenant à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, nous nous réjouissons tous de participer à ce débat consacré à la décentralisation et que nous vous devons. Nous avons là une illustration du souhait que vous avez émis lors de votre discours d'investiture lorsque vous disiez que le Sénat doit, plus que jamais, être « la maison des collectivités locales » et demeurer le « gardien vigilant » de la décentralisation.
Messieurs les ministres, l'agenda législatif des prochains mois est particulièrement chargé. Dans les prochains jours, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1999, nous étudierons des dispositions très importantes en matière de finances locales. Par ailleurs, dès le début de l'année prochaine, nous nous prononcerons sur le projet de loi relatif à l'intercommunalité, puis sur la réforme de la loi relative à l'aménagement du territoire et, enfin, sur le projet de loi portant sur les interventions économiques des collectivités locales.
Délivrez-nous d'un doute ! De tous ces textes, la recentralisation ne serait-elle pas le dénominateur commun ? Force est en effet de s'interroger quand la réforme de la taxe professionnelle supprime, par exemple, un sixième du pouvoir fiscal des collectivités locales. Peut-on vraiment, dans ces conditions, encore parler d'un renforcement des acquis de la décentralisation ?
Je voudrais insister maintenant sur la nécessaire confiance qui doit entourer les relations entre l'Etat et les collectivités locales. Sans cette confiance, notre pays ne connaîtra pas le vrai développement tant espéré. Sans une telle confiance, il n'y aura pas une vraie décentralisation.
Votre Gouvernement n'a pas remis en cause le « pacte de stabilité » qui devait régir les relations entre l'Etat et les collectivités pendant la période allant de 1996 à 1998, assurant ainsi la nécessaire continuité de l'Etat.
Vous nous proposez aujourd'hui, messieurs les ministres, avec un certain sens de la formule, un « contrat de croissance et de solidarité ». Mais, précisément, peut-on vraiment imaginer qu'il s'agit d'un contrat de confiance ?
Le pacte de stabilité, qui a été critiqué, n'était pas dépourvu de mérites, puisqu'il fixait, pour la première fois, un cadre pluriannuel nécessaire dans les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales.
Ce pacte portait - il ne faut pas le cacher - la marque des difficultés économiques de l'époque. En 1995, une conjoncture défavorable pesait sur les finances de l'Etat et les collectivités locales ont pris leur part dans l'effort de redressement, en acceptant que leurs ressources progressent plus lentement, c'est-à-dire au même rythme que les prix.
Or, aujourd'hui, les perspectives de croissance - en particulier celles sur lesquelles vous fondez le projet de budget pour 1999 - sont meilleures, et permettraient de mieux associer les collectivités locales aux fruits de cette croissance. Dès lors, comment ne pas s'étonner que le nouveau contrat proposé ne soit guère différent du pacte de stabilité, sinon par des qualificatifs ambitieux de croissance et de solidarité ! Les collectivités locales, à mes yeux en tout cas, ne sont, en effet, pas réellement associées à l'amélioration de la conjoncture. Ou si peu !
Vous me direz, sans doute, messieurs les ministres, qu'avec le contrat de croissance le rythme de progression des concours de l'Etat doublera. Certes ! Mais le rythme d'évolution des recettes n'a de signification que s'il est mis en parallèle avec le rythme d'évolution des dépenses et M. Michel Mercier nous en parlera tout à l'heure.
En effet, évoquer l'évolution des recettes est une chose, mais il faut prendre en compte, parallèlement, l'évolution des dépenses.
A cet égard, dans le domaine des dépenses obligatoires, serait-il indélicat de dire que le Gouvernement n'y va pas de main morte ?
Prenons l'exemple des rémunérations des agents de la fonction publique territoriale, dont les collectivités locales ne maîtrisent pas l'évolution puisque l'Etat fixe lui-même les règles applicables en la matière. Les collectivités subiront de plein fouet les conséquences du protocole salarial de la fonction publique du mois de février dernier puisqu'il leur en coûtera, en 1999, 4,3 milliards de francs supplémentaires. Mes chers collègues, quand l'Etat perd toute maîtrise de l'évolution des dépenses de personnel, les collectivités locales et les contribuables locaux en payent le prix.
A cela s'ajoute la « bombe à retardement » des emplois-jeunes dont, à l'évidence, beaucoup se transformeront en emplois publics, au terme des cinq ans.
Mais, au-delà des dépenses de personnel, je voudrais insister, messieurs les ministres, sur les conséquences d'un tel contrat sur l'investissement des collectivités locales.
Je rappelle que la capacité d'investissement des collectivités locales est très directement liée à leur spectaculaire effort d'assainissement de ces dernières années. C'est d'ailleurs ce même effort qui a permis à la France de respecter les critères de convergence de Maastricht. Car, chacun le sait au Sénat, l'investissement public local représente les trois quarts de l'investissement public de la nation.
Les derniers chiffres connus - ils datent de 1996 - font état de 172 milliards de francs pour les collectivités locales et de seulement 27 milliards de francs pour l'Etat alors que son budget est deux fois supérieur à celui des collectivités.
Dois-je également rappeler que les dépenses relatives à certaines infrastructures dépendent non pas des collectivités, mais de l'Etat ou de l'Union européenne ? Il s'agit des investissements obligés : je pense notamment aux mises en conformité avec les nouvelles normes nationales ou communautaires.
Or ces investissements contraints consomment une part importante des capacités financières d'investissement de nos collectivités. Ils sont d'ailleurs sans doute pour partie à l'origine de la reprise de l'investissement local constatée en 1997.
Monsieur le ministre, vous devez bien admettre que l'imposition de charges nouvelles de fonctionnement appellera la suppression de dépenses indispensables d'investissement en faveur du développement local et, ce faisant, vous hypothéquez, le redressement des collectivités et vous compromettez leur développement.
La reprise de l'investissement local contribue à une croissance soutenue bien répartie sur tout l'ensemble du territoire. Par un contrat trop timide, vous mettez en péril vos propres prévisions de croissance et les créations d'emplois tant attendues.
Vous me direz, messieurs les ministres - je le sais -, que les préoccupations que j'exprime, et que partage l'ensemble de mes collègues, ont déjà été entendues du Gouvernement. C'est d'ailleurs le sens du relèvement du taux d'évolution des concours de l'Etat aux collectivités locales en première lecture de la loi de finances pour 1999, à l'Assemblée nationale.
Ce raisonnement est facétieux, car vous gagez immédiatement ce relèvement par une réduction de même montant de la compensation versée dans le cadre de la réforme des droits de mutation à titre onéreux.
Au fond, vous reprenez d'une main ce que vous donnez de l'autre. Ce n'est naturellement pas la meilleure façon de nouer la relation de confiance dont je parlais voilà un instant.
Mes chers collègues, cette démarche illustre la fragilité des compensations à peine créées : elles sont déjà des variables d'ajustement, ce qui augure mal de l'avenir et rend d'autant plus légitimes les inquiétudes suscitées par la méthode que vous avez retenue pour réformer la taxe professionnelle. La confiance ne règne pas non plus s'agissant, en particulier, de la compensation versée aux collectivités locales.
Le Gouvernement a refusé le système du dégrèvement, qui était le meilleur système et qui était d'ailleurs souhaité par tous les élus locaux au motif que les collectivités locales pourraient voter des taux prohibitifs dont l'Etat serait en fin de compte la victime.
Cet argument, permettez-moi de le dire, n'est pas recevable, car il fait fi d'une considération : les hausses de taux s'appliquent également aux investissements des entreprises puisque, jusqu'à nouvel ordre, ils figurent toujours dans l'assiette de la taxe professionnelle. Mais, surtout, il sous-entendrait que les collectivités locales ne seraient pas des acteurs responsables. Or, messieurs les ministres, dans mes fonctions passées de rapporteur général, je m'élevais souvent contre l'accroissement de la pression fiscale et, en tant que maire, comme tous mes collègues sénateurs, je me suis attaché à ne pas contribuer à la hausse des prélèvements obligatoires.
Quand l'Etat cessera-t-il d'instruire le procès des gestionnaires locaux ?
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. De plus, techniquement, rien ne s'opposait à ce que l'on gèle le taux applicable à la base « salaire », ce qui aurait apaisé toutes les angoisses de l'administration des finances.
La réforme de la taxe professionnelle me conduit à évoquer très brièvement la taxe professionnelle d'agglomération et le projet de loi sur l'intercommunalité.
Les communautés d'agglomération sont appelées à faire vivre dans notre pays une intercommunalité de projet. Elles percevront une taxe professionnelle unique. Pourquoi, dès lors, les soupçonner par avance de vouloir voter des taux excessifs dans l'hypothèse d'un système de compensation par dégrèvement ?
L'intercommunalité de projet ne peut être un succès, c'est une évidence, que si les collectivités locales sont des acteurs responsables, conscients qu'une fiscalité excessive brise le dynamisme économique et chasse les entreprises.
La France serait vraiment gagnante à ce que l'Etat considère enfin les collectivités locales comme des partenaires crédibles et responsables. L'exemple des fonds structurels européens permet d'en douter.
Selon la Commission européenne, au mois de février 1998, cinq milliards de francs du FEDER étaient disponibles dans les caisses de l'Etat au titre des objectifs 1 et 2. L'information ne manque pas de surprendre en cette période de ressources publiques rares. Mais cette somme correspond précisément à la différence entre les encaissements de la France et les reversements effectués au titre des programmes. L'Etat ferait-il de la trésorerie au dépens des collectivités locales ?
M. Paul Girod. Très bien !
M. Alain Lambert. président de la commission des finances. Dans la perspective de l'Agenda 2000, l'Etat doit d'urgence réformer les circuits financiers où transitent ces crédits. Il doit associer plus étroitement les collectivités locales à la préparation de la programmation présentée à la Commission par la France, afin de mieux adapter nos demandes aux besoins réels de nos territoires.
En conclusion, messieurs les ministres, mes chers collègues, je rappellerai que les concours que verse l'Etat aux collectivités locales sont non pas une dépense morte, mais, au contraire, un levier puissant de l'activité et de l'emploi qui sert pleinement le succès d'un pays et sa réussite économique. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants, du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. En premier lieu, monsieur le président, je voudrais vous remercier d'avoir pris l'initiative de ce débat relatif à la décentralisation, car il répond au souhait que vous avez exprimé, et auquel nous adhérons tous, que, conformément à sa vocation constitutionnelle, notre assemblée débatte régulièrement des grandes questions qui intéressent les collectivités locales.
Parfaire l'information du Sénat, la faire progresser si possible, c'est, en pleine association avec la commission des finances, l'une des préoccupations constantes de la commission des lois. En témoignent, dans la période récente, les groupes de travail que nous avons constitués, l'un sur la responsabilité pénale des élus locaux, l'autre sur la décentralisation, sous la présidence extrêmement efficace du président de l'Association des maires de France, M. Jean-Paul Delevoye.
M. Charles Pasqua. On peut l'applaudir ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Parfois, vous suivez mes idées, monsieur Pasqua ; je vous en remercie.
M. Charles Pasqua. Parfois, pas toujours !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Telle a été également, tout récemment, la finalité du groupe de travail sur les chambres régionales des comptes,...
M. Charles Pasqua. Oh, là là !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... auquel la commission des finances est associée.
M. Charles Pasqua. Là, il y aurait beaucoup à dire, monsieur le président !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Nous avons tout dit, mais vous n'étiez pas dans le groupe de travail !
M. Charles Pasqua. Sans doute, mais vous pourriez vous inspirer de mes travaux !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Ce groupe de travail, commun à la commission des finances et à la commission des lois, a, sous la présidence de Jean-Paul Amoudry, formulé des propositions équilibrées - j'espère que le mot ne vous choque pas, monsieur Pasqua.
M. Charles Pasqua. Pas du tout !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... pour favoriser le nécessaire dialogue entre les élus locaux et les magistrats financiers.
Dominant le problème de la décentralisation, très largement évoqué, trois questions essentielles se posent à nous. Les réponses à y apporter ne sont pas toujours évidentes et, c'est là le paradoxe, elles sont étroitement dépendantes les unes des autres.
La décentralisation, c'est à la fois une aspiration locale et une volonté politique du pouvoir central.
Cette aspiration existe.
La volonté a existé. L'expérience a montré que les lois inspirées par Gaston Defferre constituaient un pari qui pouvait être tenu, mais elles se heurtent à des résistances qu'il n'est pas toujours facile de vaincre.
Les exemples de recentralisation insidieuse ne manquent pas, qu'il s'agisse - cela a été évoqué tout à l'heure - de la redéfinition des zonages nationaux et européens, de l'action sociale, de l'environnement, de la nouvelle taxe sur les activités polluantes ou encore de certains projets concernant le régime des interventions économiques et, singulièrement pour l'Ile-de-France, de ce projet aberrant de taxes nouvelles sur les implantations logicielles.
N'oublions pas non plus que la politique de déconcentration peut aboutir à une volonté de puissance locale de l'autorité de l'Etat, à laquelle seul peut répondre le maintien du lien entre l'échelon national et l'échelon local de représentation.
La décentralisation, c'est ensuite un problème d'autonomie dans le choix et l'usage des ressources.
Mon collègue et ami Alain Lambert a parfaitement démontré les ambiguïtés des décisions qui sont énoncées, notamment en ce qui concerne la taxe professionnelle.
Derrière des idées séduisantes de solidarité apparaît l'inquiétude de ces collectivités locales qui en viennent à se demander à quoi peuvent servir les efforts qu'elles s'imposent pour promouvoir leur propre développement économique.
Oublie-t-on, en cet instant, la part irremplaçable que l'effort des collectivités représente dans l'investissement national ?
A-t-on noté la désinvolture d'un ministre qui, pour résoudre des problèmes qu'il aurait peut-être pu anticiper, impose aux régions dans des délais que nous ne connaissons pas encore le remboursement des prêts dits « à taux zéro », ce qui pèsera bien évidemment sur les ressources de ces collectivités ?
Enfin, la décentralisation posera de plus en plus le problème des structures d'accueil capables d'exercer les pouvoirs qui leur sont théoriquement transférés.
Peut-être connaîtrons-nous la limite du principe sous l'empire duquel nous vivons.
Juridiquement, toutes les collectivités d'une même catégorie ont le même statut et les mêmes droits. A la commune et au département, enracinés dans notre histoire, est venue s'ajouter la région. Et si parfois l'identité régionale apparaît évidente, on peut se demander si la généralisation du système n'a pas conduit de temps à autre à des constructions artificielles.
Alors que l'on devrait s'orienter vers la recherche d'une certaine simplification ou que l'on devrait chercher à renforcer le caractère homogène des structures, le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire ne manque pas de susciter un certain nombre de questions.
M. Charles Pasqua. Ah, certes !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Au-delà du dispositif existant et en dépit des précautions de langage, veut-on renforcer les pays, les agglomérations ? Et comment ?
Depuis l'origine de la décentralisation, on nous explique que nous ne devons pas créer un niveau d'administration supplémentaire parce que nous sommes déjà préoccupés par le coût et la complexité de ce qui existe. Mais ne se propose-t-on pas de créer des entités qui élaboreront une charte, seront dotées d'un conseil de développement et pourraient passer des contrats avec l'Etat et la région pour l'application des contrats de plan ?
C'est au niveau régional et au sein de la conférence régionale de l'aménagement et du développement du territoire que la pertinence des pays, et par là même de l'intercommunalité, sera appréciée.
Les collectivités locales, en particulier les départements, ne peuvent qu'être préoccupées par les perspectives ainsi tracées. J'ajouterai à ces préoccupations succinctement énumérées l'évolution de la fonction publique territoriale, pour laquelle les élus locaux doivent subir des décisions unilatérales,...
M. Charles Pasqua. Très juste !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. ... prises au niveau national sans qu'ils aient été le moins du monde consultés. Monsieur le ministre, qu'en est-il des trente-cinq heures dans la fonction publique territoriale ?
M. Philippe Marini. Bonne question !
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Extrêmement attentive à toutes les évolutions qui peuvent se dessiner, la commission des lois a engagé une réflexion d'ensemble.
Mes chers collègues, voilà autant de sujets sur lesquels, comme les lycéens aujourd'hui, nous devrons être vigilants dans les mois qui viennent et sur lesquels le Sénat est en droit de connaître, de façon la plus claire possible, les intentions du Gouvernement, car je ne sais pas si nous sommes intégralement satisfaits des propos entendus ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 60 minutes ;
Groupe socialiste, 50 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 39 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 36 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 22 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Delevoye. (Applaudissement sur les travées du RPR.)
M. Jean-Paul Delevoye. Tout d'abord, permettez-moi de vous remercier, monsieur le président, d'avoir émis la volonté de tenir ce débat sur la décentralisation, confirmant ainsi le rôle essentiel du Sénat dans la représentation des collectivités locales et dans leur nécessaire articulation avec l'Etat.
La tenue de ce débat est extraordinairement importante pour l'ensemble des acteurs qui, sur le terrain, tous les jours, se consacrent à l'amélioration de la vie de leurs concitoyens, à un moment où la lisibilité de l'avenir est particulièrement préoccupante.
Je vous ai entendu, messieurs les ministres, exposer le calendrier parlementaire et expliquer les textes de lois qui vont régir, modifier les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales.
J'ai apprécié les propos de M. Alain Lambert, président de la commission des finances, qui a insisté, avec raison, sur l'importance des collectivités locales dans la croissance économique nationale, dans l'investissement public. J'ai apprécié également l'intervention de M. Jacques Larché, président de la commission des lois, sur l'esprit même de la décentralisation, avec toute la vigilance qui est la sienne pour éviter d'y déroger.
Vous avez insisté, monsieur Queyranne, sur le maire et le lien social, qui est effectivement le thème, pour les trois prochaines années, du congrès de l'Association des maires de France. Chacun aujourd'hui est en effet très préoccupé par les dérives comportementales dont il convient d'analyser les causes.
Je suis toujours très frappé - peut-être est-ce une maladie française ou est-ce dû au tempérament gaulois qui est le nôtre - de constater que ce genre de débat porte souvent sur le outils et jamais sur les objectifs, sur les effets et jamais sur les causes.
Enfin de compte, qu'est-ce que la décentralisation ? Certains pensent que l'Etat est en trop et qu'il faut le supprimer au profit de l'Europe des régions. D'autres estiment que les régions sont bien trop petites par rapport à ce qui existe en Europe. D'autres encore jugent que les départements sont inutiles par rapport aux agglomérations, que les communes sont trop nombreuses et qu'il faut instaurer une dynamique de regroupement.
Tout cela au nom de la décentralisation, comme si ce mot apportait des réponses à toutes les questions, réglait l'ensemble des problèmes.
Vous l'avez vous-même indiqué, qu'est-ce que la décentralisation si ce n'est la volonté, exprimée en 1982, d'une nouvelle répartition des pouvoirs, des compétences et des moyens pour répondre aux défis auquel notre pays est soumis ?
Après avoir entendu MM. Lambert et Larché parler beaucoup des aspects financiers et juridiques, permettez-moi d'engager avec vous une réflexion sur ce qui, aujourd'hui, semble conforter les effets positifs de la décentralisation et sur ce qui pose problème.
Notre contribution, bien évidemment, n'est qu'une contribution à un débat, et elle peut éventuellement être critiquable.
Les problèmes qui se posent au monde entier et que se posent l'ensemble des classes politiques de tous les pays peuvent se résumer en trois questions : quel est le pouvoir du politique par rapport au financier ?
Quel est le niveau de la dépense publique qu'il convient de ne pas dépasser ou qui est le plus efficace pour l'économie nationale ? Enfin, quelle est l'efficacité de l'action publique et à quel niveau doit-elle se dérouler ?
En effet, dans l'ensemble des pays du monde se pose le problème de l'articulation entre le pouvoir national et le pouvoir local et celui de la participation des citoyens à la démocratie locale. Cette réflexion est donc au coeur même de l'esprit des lois de décentralisation.
Généralement, dans un partenariat, c'est le plus faible qui dicte son rythme. Or il semble bien qu'aujourd'hui les collectivités locales s'interrogent sur les positions de l'Etat par rapport à elles.
Il ne faut pas se cacher non plus qu'aujourd'hui les acteurs locaux éprouvent une lassitude de plus en plus perceptible à l'égard de « phénomènes asphyxiants », tels que l'augmentation des contentieux juridiques ou des exigences réglementaires, qui ont tendance à paralyser leur action.
Il n'y a pas d'école pour former les maires ou les élus locaux, et pourtant on leur demande de régler des problèmes de plus en plus difficiles, de plus en plus contraignants. Nul n'est censé ignorer la loi, mais personne ne la connaît aujourd'hui !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. Par ailleurs, les élus locaux se trouvent en butte à de faux procès. L'Etat serait-il systématiquement vertueux et les collectivités locales nécessairement dispendieuses ? Lorsque l'Etat, dans sa loi de finances, affiche des dizaines de milliards de francs d'augmentation d'impôts, cela semble normal et même de nature à nourrir la croissance économique. Lorsque les collectivités locales lèvent 14 milliards de francs d'impôts, à l'évidence, c'est dû à une gabegie des élus locaux, alors que c'est tout à fait raisonnable.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Oui !
M. Jean-Paul Delevoye. Enfin, il faut bien admettre que, malgré des lois de décentralisation très précises, les frontières qui séparent les pouvoirs, les compétences et les moyens sont aujourd'hui de plus en plus floues et de plus en plus souvent bafouées. Je dois reconnaître que cela tient parfois autant de la volonté des collectivités locales que de celle de l'Etat.
Dans quel contexte nous situons-nous ?
A l'évidence, aujourd'hui, une vraie réflexion s'impose à l'ensemble des acteurs quant à la fiabilité de la croissance. La place que l'Etat entend donner aux collectivités territoriales pour alimenter, amortir ou accélérer la croissance économique doit être la question de fond au coeur de notre réflexion.
C'est un débat de fond, notamment en ce qui concerne le soutien de l'investissement productif, comme le disait M. Lambert.
Nous sentons bien que, quelle que soit la qualité de celles et de ceux qui sont aux commandes, nous entrons dans une période d'aléas conjoncturels où plus personne ne peut garantir la pérennité des taux de croissance.
Dans ce contexte quel rôle pourront ou devront tenir les collectivités territoriales en termes d'amortissement et comment le couple Etat-collectivités territoriales pourra-t-il supporter ces aléas conjoncturels ?
Un autre élément peut jouer dans ce contexte : le passage à l'euro.
A l'évidence, ce passage engendrera un comportement nouveau dans la lecture de la décentralisation puisque la performance des territoires sera immédiatement lisible en termes de comparaison par rapport aux coûts sociaux, aux coûts environnementaux et aux coûts fiscaux. On voit bien que la répartition des dépenses et des recettes aura un rôle tout à fait déterminant sur l'attractivité, le développement ou la performance de nos territoires.
S'agissant de l'harmonisation fiscale, qui semble guider la loi de finances pour 1999 et qui devrait justifier la suppression de la part des salaires dans la taxe professionnelle, le débat me paraît devoir être nourri par une discussion plus approfondie au sein de la commission des finances, puis à l'occasion de l'examen du projet de budget. En effet, nous ne sommes pas d'accord pour qu'une comparaison rapide de la fiscalité locale française et de la fiscalité locale européenne, la première étant légèrement supérieure à la moyenne europénenne, vienne cautionner la réduction des impôts locaux.
En l'occurrence, ce serait comparer des choses qui ne sont pas comparables, les performances des collectivités locales françaises étant, elles, très au-dessus de la moyenne européenne.
Enfin, il faut constater, malheureusement, une carence tant de l'Etat que de l'Europe dans un rôle primordial qu'ils auraient dû tenir l'un et l'autre, ce qui fait qu'après quinze années de décentralisation les inégalités territoriales sont encore plus grandes, les régions les plus dynamiques ayant nourri leur dynamisme, les régions qui l'étaient moins se retrouvant avec un handicap plus important.
Ainsi, conformément à l'esprit de la décentralisation, l'Etat aurait dû renforcer son rôle de péréquation comme l'Europe devrait le faire par rapport aux régions les plus défavorisées.
Je suis surpris de voir, d'une part, qu'en Europe les fonds structurels ne représentent que 0,45 % du PIB des quinze pays, d'autre part, que la péréquation de l'Etat français est restée à un niveau très faible. Son niveau n'a pas été augmenté dans le projet de loi de finances pour 1999 alors que la part des compensations augmente, ce qui dans le rapport Delafosse était relevé comme un des pièges dans lequel l'Etat ne devait pas tomber. Je crois que la péréquation - ou la simili-péréquation -opérée par le remboursement des salaires dans les zones dont la masse salariale diminue n'est pas non plus une bonne réponse.
Nous sommes donc amenés à réfléchir aujourd'hui sur un déséquilibre que n'a pas su corriger l'Etat pendant ces quinze dernières années.
Je le redis : l'Etat et l'Union européenne auraient dû accompagner le dynamisme des territoires par une péréquation en faveur des territoires les plus faibles. Ils ne l'ont pas fait !
J'en viens à un point que le président de la commission des finances et le président de la commission des lois ont également abordé.
On sent bien aujourd'hui que les défis qui se posent à nos pays vont devoir mobiliser des dépenses publiques en faveur de l'investissement.
Les Etats-Unis - ou plus précisément l'industrie américaine - vivent sur les dépenses militaires, alors que l'Europe vit encore sur les dépenses d'Ariane, d'Airbus. Sur ce sujet, M. Strauss-Kahn a participé à un débat très intéressant au Luxembourg concernant le volume des dépenses publiques et, à l'intérieur de celles-ci, la répartition à laquelle devrait procéder l'Etat entre les dépenses publiques passives et les dépenses publiques actives, les premières étant consacrées à l'endettement et aux retraites.
Or par rapport à d'autres pays, le nôtre, messieurs les ministres, est le plus mal placé s'agissant de l'augmentation prévisible des dépenses passives dans les cinq années à venir compte tenu de l'explosion de la dette et de celle des retraites. Il est évident qu'aujourd'hui, dans la masse de l'investissement public, le relais est pris par les collectivités territoriales.
Ainsi, faisant le bilan de la décentralisation, j'attire votre attention sur les chiffres suivants : l'endettement des collectivités locales est resté stable depuis quinze ans, situé entre 8 % et 9 % du PIB français, alors que, dans le même temps, la dette de l'Etat est passée de 5 % à près de 60 % de ce même PIB. Autrement dit, lorsque les collectivités locales lèvent l'impôt local, c'est pour investir, alors que quand l'Etat lève l'impôt, c'est pour rembourser la dette ; ce dernier est donc, à l'évidence, en train de s'asphyxier.
Je poursuis ma comparaison chiffrée : les dépenses des collectivités locales européennes représentent en moyenne 12 % du PIB européen, alors que la moyenne française est de 9,5 % du PIB, la différence correspondant tout simplement à la prise en charge du personnel enseignant.
Le chiffre à retenir plus particulièrement est celui de l'investissement : les collectivités européennes investissent en moyenne 300 écus par an et par habitant ; les collectivités locales françaises investissent 400 écus par an et par habitant, c'est-à-dire 30 % de plus.
Aujourd'hui, alors qu'il faut investir dans l'intelligence, dans le savoir, dans les nouvelles technologies de la communication, il est évident que le potentiel d'investissement des collectivités locales est tellement précieux que l'Etat devrait réfléchir au moyen de le soutenir, voire de le développer et non pas de le restreindre, ainsi que le prévoit la nouvelle loi de finances.
Au-delà de toute polémique, si l'on considère les pays du G 7, qui représentent 50 % de la production mondiale, pour un taux moyen de dépenses publiques de 36 % du PIB, celui de la France atteint 54 %, celui de l'Italie étant passé de 57 % à 50 %.
Nous risquons donc, si nous n'y prenons garde, d'être le plus mauvais élève de la classe en 2001 ou 2002 : à périmètre constant, on s'aperçoit que l'on dépasse de 6 % à 8 % la moyenne européenne.
Je suis de ceux qui pensent que l'on ne pourra pas beaucoup réduire la dépense publique : notre population n'y est pas prête. Cela signifie qu'il faut jouer sur l'autre facteur : l'augmentation des richesses. Nous devrons avoir un taux de croissance supérieur à la moyenne européenne, et les collectivités locales ont un rôle tout à fait déterminant à jouer dans l'augmentation de ce taux de croissance.
Un autre défi nous est posé par la démographie.
L'Europe a besoin d'un renouvellement de population de l'ordre de 1,5 million d'enfants par an.
Y a-t-il adéquation entre le déclin démographique, le déclin économique et le déclin politique, comme l'histoire nous l'a toujours enseigné ? Je pense que non car, dorénavant, il y aura de plus en plus de valeur ajoutée par emploi.
Or cette course au savoir, à l'intelligence, cette mobilisation de toutes les ressources nécessitent à l'évidence un renforcement de la décentralisation et une accélération de l'investissement des collectivités territoriales. A ce propos, je pense au débat sur les universités et les lycées. C'est l'un des atouts majeurs qui permettra de corriger le déclin démographique et de garder à l'Europe sa place dans le monde.
Il en va de même pour le vieillissement, qui va poser un vrai problème de ralentissement de la croissance et d'explosion des dépenses de proximité.
Ainsi, sur le bilan de l'action des collectivités locales, plusieurs lectures peuvent être faites.
Je suis de ceux qui confirment l'opinion générale selon laquelle l'efficacité de l'action des collectivités locales a été tout à fait étonnante, grâce à la mobilisation de leur énergie, de leur intelligence, pour résoudre un certain nombre de problèmes auxquels l'Etat ne pouvait plus trouver de solution.
Donc, sans vouloir être polémique, on peut dire qu'à l'évidence, en 1982, l'Etat a transféré des compétences qu'il ne pouvait plus assumer lui-même, ce qui a entraîné très rapidement un décrochage entre le transfert des recettes et l'augmentation des charges.
Qui plus est, l'Etat très vite n'a plus respecté les règles. Ainsi, lorsqu'il a affiché un objectif politique que chacun peut comprendre et auquel chacun peut - ou non - souscrire, c'est-à-dire l'accès de 80 % d'élèves au niveau du baccalauréat, il a immédiatement imposé la construction de collèges dans les départements et de lycées dans les régions.
Lorsqu'il s'est retrouvé avec une masse d'étudiants dans les universités, il s'est aperçu qu'il ne pouvait pas assumer cette charge et il a demandé aux collectivités locales d'en supporter 50 % alors que les lois de décentralisation ne le prévoyaient pas. Il a fait de même avec les départements pour le RMI.
M. Alain Gournac. Ah oui !
M. Jean-Paul Delevoye. Ainsi, en engageant un débat sur la décentralisation, il faut réfléchir au respect des règles : si on établit des règles, chacun doit s'y tenir, et les collectivités locales comme l'Etat, dans cette affaire, doivent battre leur coulpe. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
J'en viens au contrôle de l'Etat, un domaine qui s'est caractérisé par des avancées extraordinaires, puisqu'on est passé d'un contrôle a priori à un contrôle a posteriori.
Vous avez parlé, monsieur le ministre, de la sécurité juridique liée au contrôle de légalité. Or, ce dernier ne signifie pas sécurité juridique. A l'évidence, il convient aujourd'hui de réfléchir au risque d'une reprise d'une certaine forme de tutelle ou d'un abandon de leur volonté de la part des élus ; je pense - et cela a été évoqué - à la tutelle normative. Le « terrorisme des normes », comme je l'ai appelé, est très grave car, sans que nous y prenions garde, l'application des normes capte une partie de l'investissement des collectivités locales...
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. ... pour le figer dans des secteurs générateurs non de croissance économique, mais d'augmentation du fonctionnement...
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. ... et généralement au service d'intérêts industriels qui ne sont pas toujours français, mais qui savent parfaitement se défendre à l'échelon de Bruxelles.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. S'agissant de la loi de finances, comme M. Lambert, je pense que la perte d'autonomie fiscale des collectivités locales remet en cause l'esprit des lois de décentralisation.
Il convient aussi de réfléchir sur le fait - M. Larché l'a évoqué - que les collectivités locales, qui, tous les jours, opèrent des miracles avec des bouts de chandelle, sont constamment obligées de faire preuve d'imagination, d'initiative ; et tel est, bien sûr, le rôle des acteurs locaux.
Or il n'existe pas de syndicat des métiers d'avenir. Aucune loi ne peut prévoir ce qui va se passer dans trois ans. Et pourtant, cinq ans après, des juges se permettent, en ayant oublié le contexte de la prise de décision, de porter un jugement non pas sur ce qui va bien mais sur ce qui va mal. Cela crée une confusion dans l'opinion publique et a tendance à figer, à asphyxier, à tétaniser l'ensemble des acteurs locaux.
L'esprit des lois de décentralisation exige-t-il que, dans une atmosphère de suspicion envers tous ceux qui dépensent de l'argent public, on tende vers le risque zéro, le « zéro défaut », c'est-à-dire, en fait, vers l'immobilisme le plus complet ?
Ne doit-on pas, au contraire, conformément à ce qui a fait la vertu et la force de notre peuple, faire confiance à la capacité d'imagination de nos entreprises, de nos outils bancaires, et réintroduire le droit à l'expérimentation, le droit à l'erreur, et même le droit à l'échec ? Faut-il que, quand une collectivité locale du Territoire-de-Belfort a jugé nécessaire de soutenir un investissement américain concernant l'informatique, un investissement qui peut paraître utopique à d'autres, le président du conseil général se retrouve incarcéré ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
Je suis persuadé qu'un certain nombre d'investissements comme le Futuroscope auraient été condamnés au moment où ils ont été lancés ! Quinze ans après, ils sont loués ! (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Nous devons réfléchir sur ce qui, dans l'esprit, est en train de tuer l'initiative locale et de ralentir la mécanique de la décentralisation et y opposer une libéralisation des énergies, qui suppose l'acceptation d'un droit à l'erreur. Bien sûr, cela ne signifie pas qu'on a tous les droits ; cela signifie simplement qu'il y a des risques mesurables qui méritent d'être pris.
Messieurs les ministres, je crois qu'il convient de passer au crible ces mécanismes qui, notamment au niveau de l'Etat, font que, parfois, la décentralisation, qui aurait dû raccourcir les circuits de décision, les a paradoxalement augmentés. Aujourd'hui, on est en train de s'asphyxier dans des procédures de plus en plus nombreuses. Ainsi, la non-mobilisation des fonds européens est, certes, peut-être liée à un manque d'ingénierie sur le plan local, mais elle est aussi souvent due à des procédures tellement complexes qu'un an et demi, voire deux ans s'écoulent entre la décision du préfet et la mobilisation des fonds.
Autrement dit, aujourd'hui, les procédures de l'Etat ralentissent la décentralisation ; l'attelage va à la vitesse du plus faible.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. La multiplication des politiques sectorielles et des procédures brouillent les messages. Elle a tendance à fabriquer des ghettos. En fin de compte, il y a fusion entre un Etat fort et dépensier et un Etat faible et procédurier.
Messieurs les ministres, quels chantiers devrions-nous donc ouvrir pour retrouver cette dynamique de la décentralisation qui était voulue par Gaston Defferre ?
Il s'agit, premièrement, selon moi, d'une double exigence de performance et de solidarité. Instituons le droit à l'expérimentation ! et que l'Etat soit un accompagnateur des initiatives locales !
Dans la communauté de Lille-Roubaix-Tourcoing, par exemple, un certain nombre d'acteurs locaux estiment qu'il serait judicieux d'ouvrir telle ou telle piste innovante. Or la réponse qu'on leur fait est la suivante : « C'est très intéressant, mais nous ne pouvons pas vous suivre parce que ce n'est pas dans les textes, même si nous savons que c'est efficace. »
Vous nous demandez de nous investir dans le lien social. Mais lorsqu'une famille reçoit treize intervenants différents, comment voulez-vous que l'action de l'Etat et l'action des élus locaux aient, pour cette famille, une quelconque lisibilité ? (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Deuxièmement, il nous faut prendre l'habitude de l'évaluation des politiques publiques. Un bon ministre, un bon maire ou un bon président n'est pas celui qui augmente son budget. C'est celui qui est plus efficace.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. Plutôt que de vérifier uniquement la conformité technique, juridique et comptable des décisions budgétaires, apprenons à évaluer la qualité du service rendu et la pertinence de la dépense.
Essayons aussi de mettre en place ce système, cher à Jean-Pierre Raffarin, de collectivité responsable ou chef de file. Il s'agit de savoir qui est le pilote dans l'avion. Faute d'un responsable clairement désigné, on assiste à une compétition entre les acteurs locaux, telle que, généralement, c'est la minorité qui gouverne la majorité. Finalement, c'est celui qui participe à hauteur de 10 % qui détermine la vitesse d'avancement du dossier, et cela est insupportable au regard de l'esprit dynamique à quoi correspond la décentralisation.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. Mais il faut aussi un « patron » qui représente l'Etat à l'échelon de chaque collectivité territoriale. Lorsque, par exemple sur la politique de l'enfance au sens large, le préfet n'est pas véritablement le responsable des administrations concernées, il avoue la faiblesse de l'Etat.
Un des enjeux, vis-à-vis de nos concitoyens, c'est la restauration du politique, ce qui passe aussi par la restauration de l'autorité républicaine. Et cela est encore tout à fait conforme à l'esprit de décentralisation.
Nous devons intégrer dans les lois de décentralisation une obligation de résultat plus qu'une obligation de moyens, et il faut que la compétence s'exerce là où c'est le plus efficace et où c'est le moins coûteux.
Alain Lambert a évoqué l'autonomie fiscale, la réduction des écarts, le transfert des faiblesses de l'Etat sur le dos des collectivités locales. Dans un élan tout à fait généreux, vous nous avez expliqué que vous nous sollicitiez aujourd'hui sur la sécurité, l'emploi et l'éducation. C'est vrai. Mais on peut également considérer - ne voyez là aucun procès - que les réponses qui sont apportées à l'échelon national font qu'aucune administration ne peut compenser l'absence d'autorité parentale, aucune administration ne peut compenser la désespérance de quelqu'un qui se retrouve au chômage.
A l'évidence, il nous faut inventer d'autres réponses institutionnelles. Il nous faut faire en sorte, selon le mot cruel d'un animateur de rue, que les lieux institutionnels de l'Etat soient, non des lieux de démoralisation institutionnelle, mais au contraire des lieux de reconstruction des individus.
Nous devons également prendre garde à la confusion des textes et des attitudes. Alors que les élus locaux sont amenés à réfléchir sur les contrats de plan, sur l'organisation des services publics, ils ne comprennent pas que l'Etat, au même moment, réforme la police, la gendarmerie, les services postaux, l'administration du Trésor, les écoles, les maternités, les hôpitaux, et révise la loi sur l'aménagement du territoire.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Paul Delevoye. Où est la ligne directrice ? Vers quel objectif devons-nous tendre ? Qu'est-ce qui doit nous mobiliser, à l'heure où nous assistons à une tentative de recentralisation à travers la dotation générale d'aménagement du territoire et la taxe professionnelle ?
S'agissant de l'intercommunalité, monsieur le ministre, il faut tout de même que l'Etat s'efforce de favoriser l'intercommunalité vertueuse, c'est-à-dire celle qui réduit les frais de fonctionnement et augmente les capacités d'investissement.
Or apporter deux cent cinquante francs par an et par habitant à des communautés d'agglomération revient à soutenir le fonctionnement et non pas l'investissement. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
Demandons-nous donc comment mettre en place la notion de la vertu.
J'énumérerai, avant de conclure, quelques exigences.
M. Lambert l'a souligné, nous sommes, messieurs les ministres, demandeurs d'une pause fiscale. Nous ne courons pas après l'augmentation des impôts. Mais, à l'évidence, la pause fiscale passe par la modération des dépenses publiques. Or 70 à 80 % d'entre elles ne relèvent pas de notre autorité.
Ne nous aidez pas à modérer nos recettes : aidez-nous à modérer nos dépenses ! Vous verrez que nous atteindrons ainsi la pause fiscale.
Privilégions aussi l'investissement par rapport au fonctionnement.
Messieurs les ministres, puis-je manquer de courtoisie au point de dire que l'Etat ne devrait pas demander aux collectivités locales plus que ce qu'il s'impose à lui-même ? Lorsque des élus locaux mettent en place des politiques sociales, des politiques de logement, des primes d'intéressement, des systèmes de participation aux frais de retraites et que, au nom de l'exigence de transparence, les chambres régionales des comptes, par médias interposés, le leur reprochent, comment l'élu local ne serait-il pas conduit à se demander pourquoi une telle mesure est légale dès lors que c'est l'Etat qui la prend mais devient illégale si elle a été décidée par les collectivités locales ?
Aujourd'hui, un partenariat équilibré, dans la décentralisation, entre l'Etat et les collectivités locales doit conduire aux mêmes exigences de transparence, de moralité et d'efficacité.
Il nous faut aussi réfléchir sur le fait que l'inégalité des chances passe par l'inégalité des réponses. Je sais à quel point vous êtes attaché, monsieur le ministre, à la situation des départements et territoires d'outre-mer. Or, si les lois de décentralisation permettent aux collectivités locales de « contractualiser » avec l'Etat sur la construction de maisons de retraites en métropole, où nous sommes frappés par le vieillissement, il est en revanche impossible aux départements et territoires d'outre-mer de « contractualiser » avec l'Etat la construction d'écoles alors qu'ils sont, eux, frappés par l'explosion de leur jeunesse.
Il faudra vraisemblablement avoir des contrats de plan à géométrie variable pour tenir compte des spécificités locales, ce qui donnerait plus de portée aux lois de décentralisation.
Enfin, comment, dans les procédures, globaliser les moyens et individualiser les réponses ?
Pour ma part, je reste convaincu qu'aujourd'hui ce ne sont pas les moyens budgétaires qui posent un problème : ce sont les procédures et les détournements de l'esprit des lois de décentralisation.
Nous devrons ouvrir d'autres chantiers sur le statut des élus, sur le statut des fonctionnaires et sur la fiscalité, car celle-ci est inadaptée, notamment sur le plan social.
La décentralisation a été le fruit d'une volonté. Aujourd'hui, les résultats plaident pour que nous retrouvions le chemin de l'efficacité et de la solidarité.
Autre chantier, que je n'avais pas encore ouvert : il n'y a pas de citoyens sans Etat ni d'Etat sans citoyens, et je crois qu'il en va de même pour les collectivités locales. Nous devons donc réfléchir sur la façon dont nous pouvons responsabiliser nos concitoyens, les faire mieux participer à la démocratie locale.
L'année prochaine sera une année clef pour l'Europe. Elle doit nous fournir l'occasion de prouver que, entre un Etat fédéral et un Etat contractuel, c'est la solution à la française qui permet aux citoyens d'avoir un sentiment d'identité nationale et, en même temps, un sentiment d'appartenance locale. Nous devrons prouver que l'efficacité est du côté de la France. (Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Faure remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La parole est M. Adnot.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier le président du Sénat d'avoir organisé ce débat, montrant ainsi que cette enceinte est bien le lieu où s'expriment les problèmes des collectivités locales.
La qualité des interventions précédentes était telle que je pourrai abréger mon propos. Je partage naturellement la plus grande partie de ce qui s'est dit jusqu'à présent, mais je voudrais insister sur quelques points.
Les objectifs initiaux de la décentralisation étaient de rapprocher les centres de décision du citoyen, de responsabiliser les élus, de favoriser une meilleure gestion et de permettre un aménagement du territoire harmonieux.
Quelle est la situation en 1998 ?
J'évoquerai d'abord quelques éléments négatifs mais, rassurez-vous, il existe aussi des points positifs. (Sourires.)
Aujourd'hui, nous assistons à un fort mouvement de recentralisation. Je pense que cela est naturel : quel que soit le gouvernement, il faudra, en permanence, remettre l'ouvrage sur le métier. Nous n'y échapperons pas !
Nous avons connu un accroissement des écarts de richesse, conséquence d'une mauvaise application de la décentralisation sur le plan des participations obligatoires, notamment en matière sociale.
Nous avons également assisté à un accroissement des transferts de charges. Lorsque l'Etat est impécunieux - les actuels déséquilibres budgétaires et l'endettement montrent que c'est le cas - il ne lui reste plus qu'à demander aux collectivités de payer à sa place. En matière de routes, par exemple, les contrats de plan ne sont rien d'autre que le moyen de faire financer les routes nationales par les départements et les régions à la place de l'Etat.
M. Paul Blanc. C'est vrai !
M. Philippe Adnot. Nous constatons également, à travers les différents zonages, l'émergence de véritables usines à gaz : que ce soit l'Europe ou l'Etat, chacun veut définir des zones pour appliquer telle ou telle politique. La simplification, dans ce domaine, devrait nous aider à faire une meilleure décentralisation.
Mais la décentralisation est aussi une véritable réussite. Ce qui ne va pas ne doit pas occulter ce qui va. La gestion de proximité, cela marche ! Avec le recul, il apparaît nettement qu'à partir du moment où nous nous sommes occupés des collèges et des lycées, leur rénovation a considérablement avancé.
Les collectivités locales ont aussi prouvé qu'elles savaient mettre en oeuvre une gestion financière moderne : diminution des frais financiers, utilisation des techniques les plus avancées. Voilà autant d'exemples d'une utilisation judicieuse de l'argent public.
Les initiatives économiques, culturelles, l'aménagement du territoire, cela marche dans le cadre de la décentralisation !
Finalement, aujourd'hui, nous devons seulement nous interroger sur les conditions de la poursuite et de la pérennité de la décentralisation.
L'essentiel, à mes yeux, c'est la liberté d'initiative. C'est bien plus important que la clarification des compétences, surtout si celle-ci devait nous conduire, par exemple, à des blocs fermés.
M. Jean-Pierre Raffarin. Excellent !
M. Philippe Adnot. La liberté de l'action concertée doit rester la règle.
Pour ma part, je n'ai rien contre les financements croisés dès lors qu'ils sont librement consentis. Ce qui est détestable, c'est l'obligation de participer à des financements croisés, car il n'y a alors plus d'autonomie.
Nous devrons également veiller, me semble-t-il, à procéder à un rééquilibrage financier, non pas nécessairement en recourant à des montages complexes affectant les dotations, mais en évitant de transférer à l'échelon local des charges de solidarité qui doivent continuer de relever de l'échelon national. On peut se demander s'il est opportun d'exiger d'un département qui affronte un grand nombre de problèmes sociaux de dépenser, à ce titre, beaucoup plus qu'un département ou une région plus riche, où les cas sociaux à traiter sont moins nombreux. C'est par le biais de la solidarité nationale que l'on doit mettre en place les rééquilibrages financiers, et cela n'impose pas de prendre des mesures très complexes.
Quoi qu'il en soit, maintenir l'autonomie fiscale me paraît extraordinairement important : il s'agit sans doute de l'élément le plus déterminant si nous ne voulons pas remettre en cause la décentralisation. Sur ce point, la dérive actuelle n'est pas bonne.
On a parlé, tout à l'heure, de la taxe professionnelle assise sur les salaires. La méthode qui a été mise en oeuvre est très simple, mais elle conduira à créer des distorsions considérables, au préjudice, surtout, des zones les plus défavorisées.
En effet, le seul atout de celles-ci était jusqu'à présent de bénéficier d'un faible taux de taxe professionnelle. Or le fait de « nationaliser » la part de la taxe professionnelle assise sur les salaires renforcera l'attractivité des zones où les taux de taxe professionnelle sont très élevés, ce qui accroîtra les distorsions de concurrence. De plus, l'aide à l'emploi n'est pas répartie harmonieusement sur le territoire. Vous aurez l'occasion de vérifier ma prédiction dans les faits non pas, naturellement, la première année, mais quand la mesure sera totalement entrée en application.
Par ailleurs, la réforme de la taxe professionnelle entraîne une autre conséquence tout à fait détestable, à savoir qu'elle aboutit à déresponsabiliser les élus. En effet, le fait que l'Etat prenne à sa charge une partie de la taxe professionnelle et se substitue ainsi aux collectivités donne raison aux élus qui ont établi des impôts très lourds, puisque c'est l'Etat qui paiera désormais à la place des contribuables. Il n'est pas bon de récompenser une gestion qui n'était pas nécessairement la meilleure.
Je voudrais maintenant attirer l'attention du Gouvernement sur une petite contradiction : plus nous obtiendrons de dotations de la part de l'Etat, plus l'influence de celui-ci sur nos budgets sera grande et plus il sera difficile aux collectivités d'appliquer la directive M 52. En effet, comme vous le savez, cette directive va nous imposer d'inscrire les amortissements dans nos budgets. Monsieur le ministre, je vous pose donc la question suivante : quand cette obligation d'amortissement sera effective et quand tous nos moyens financiers proviendront de l'Etat, celui-ci augmentera-t-il ses dotations en conséquence ? C'est un point que je soumets à votre réflexion, et dont l'incidence n'est pas pas négligeable.
Pour conclure, je suis très optimiste s'agissant de la décentralisation. Celle-ci constitue un formidable atout. La dynamique est lancée, et la seule chose que nous demandons, c'est que l'on nous laisse autant de liberté et d'initiative que possible. Il faut favoriser la réactivité et les circuits courts, cela est possible ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l'automne de 1981, le Sénat examinait en séance publique le premier projet de loi de décentralisation.
Dix-sept ans après, il n'est pas une réforme de nos institutions locales qui ne soit le prétexte à une modernisation des lois de décentralisation. D'évidence, une mise à plat, une rénovation est nécessaire.
Depuis plusieurs mois, le Gouvernement mène une réflexion, et il a engagé ce que certains appelleront une modernisation de la vie politique. Il nous a soumis ou nous soumettra à cet effet, d'ici à la fin de la session parlementaire, différents textes, par exemple les projets de loi relatifs à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions, le projet de loi relatif à l'aménagement et au développement durable du territoire, ou encore le projet de loi relatif à l'organisation urbaine et à la simplification de la coopération intercommunale. Il est donc sain que notre assemblée tente aujourd'hui de dresser le bilan de l'application des lois de décentralisation, afin de mieux réfléchir sur les perspectives qui s'ouvrent à nous.
Permettez-moi d'abord de citer, mes chers collègues, l'article 1er de la loi du 2 mars 1982 :
« Les communes, les départements et les régions s'administrent librement par des conseils élus.
« Des lois détermineront la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, ainsi que la répartition des ressources publiques résultant des nouvelles règles de la fiscalité locale et des transferts de crédits de l'Etat aux collectivités territoriales, l'organisation des régions, la garantie statutaire accordée aux personnels des collectivités territoriales, le mode d'élection et le statut des élus, ainsi que les modalités de la coopération entre communes, départements et régions et le développement de la participation des citoyens à la vie locale. »
Cet article n'a-t-il pas posé, voilà dix-sept ans, l'ensemble des questions soulevées par la décentralisation ?
En effet, sa portée politique ne peut échapper à personne : la décentralisation permet une gestion moderne, et un découpage opportun des territoires est affirmé avec la commune, le département, la région et l'Etat.
Par ailleurs, une matrice démocratique est mise en place, car chaque espace est administré par un conseil élu au suffrage direct.
Aujourd'hui, personne ne nie l'efficacité d'une gestion décentralisée du territoire, mais force est de constater que les réformes annoncées dans l'article 1er de la loi du 2 mars 1982 n'ont pas complètement abouti.
Affranchis de la tutelle de l'Etat, les communes, les départements puis les régions devenaient des collectivités responsables, des collectivités majeures libres de décider quelles interventions sont nécessaires à leurs populations. L'ensemble du dispositif législatif, au total vingt-cinq lois et près de deux cents décrets, s'était, jusqu'alors, inscrit dans une logique de rapprochement entre les citoyens et les institutions locales.
Mais la loi d'orientation du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, que nous avions rejetée, a grevé d'une hypothèque l'organisation démocratique de notre pays.
En effet, en dessaisissant explicitement les communes de leurs compétences au profit d'un établissement public doté d'un champ d'action large et essentiel et d'une fiscalité propre, cette loi a gravement porté atteinte au principe de « libre administration » des collectivités établi par les articles 34 et 72 de la Constitution. Lors des débats parlementaires, les auteurs du texte affirmaient vouloir renforcer la décentralisation, or c'est le contraire qui s'est produit. Ainsi, les assemblées élues par les citoyens sont dessaisies de leurs prérogatives, et la pertinence des territoires est remise en cause ; les communes, bien sûr, mais plus encore les départements, sont fragilisés, et le processus d'une décentralisation citoyenne et démocratique a été détourné au profit d'une organisation où les territoires doivent être asservis.
C'est la DATAR, la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, qui, en 1974, dans le célèbre « scénario pour les villes moyennes », donne la recette : les territoires y sont définis comme « un lieu de transformation et de régulation du système social ». Dès lors, il faut les structurer dans cette perspective, de gré ou de force, ce qui provoque confusion et incohérence.
En effet, alors que les lois de décentralisation organisaient et prévoyaient des clarifications en matière de répartition des compétences, nous avons assisté, ces dernières années, à des empilements, à des croisements de responsabilités, bref à une confusion et parfois même, disons-le, à une véritable pagaille, à tel point que le ministre de l'intérieur lui-même, lors d'une récente intervention devant le comité des finances locales, a déclaré que « cet empilement de structures, cette offre multiple nous amènent à l'interrogation suivante : le système mis en place répond-il parfaitement aux nouveaux défis de l'aménagement et du développement du territoire ? ».
Aujourd'hui, comme nous le savons, les collectivités territoriales réalisent à elles seules 72 % des investissements, soit 180 milliards de francs par an. C'est dire le rôle essentiel qu'elles jouent. Les institutions locales sont donc indispensables, et ce à plusieurs titres.
Elles sont indispensables, car elles constituent les éléments essentiels de la cohésion sociale. C'est à leur échelon que l'on est au plus près des besoins réels de nos concitoyens.
Elles sont aussi indispensables pour la démocratie, dont elles représentent l'expression la plus réelle.
Par ailleurs, ce sont les communes, particulièrement les plus petites, qui tempèrent la désertification de certaines régions : sans elles, sans l'action de leurs habitants, combien de fermetures d'écoles, de bureaux de poste, de gares et de lignes de chemin de fer aurions-nous eu à déplorer ?
Depuis 1982, depuis l'entrée en vigueur de la première loi de décentralisation, la France a changé, la crise s'est approfondie. L'organisation actuelle de notre société, dont la décentralisation est l'une des clés, a constitué un échec face à cette amplification constante de la crise.
Ainsi, l'aggravation du chômage, les difficultés que rencontrent les gens pour se loger et se soigner, le relâchement du tissu social, le nombre croissant des incivilités sont autant de défis auxquels les collectivités locales sont confrontées au quotidien. Elles mesurent les terribles difficultés qui touchent leurs populations, et la proximité des drames humains impose que des réponses soient apportées d'urgence.
Or répondre à ces besoins relève, pour les collectivités, d'un vrai casse-tête chinois ! La décentralisation supposait que le fonctionnement des collectivités soit animé par une fonction publique territoriale dotée d'un véritable statut, et cela m'amène à évoquer la question de l'application des trente-cinq heures. Quels moyens l'Etat compte-t-il mettre en place pour permettre aux collectivités d'appliquer la loi et de mener une véritable politique de l'emploi ? On ne peut aller plus loin dans la décentralisation sans dégager de réelles ressources en faveur des collectivités locales, car nous ne souhaitons pas que leur seule marge de manoeuvre soit d'opérer un choix fatidique entre l'aggravation de la fiscalité locale et la réduction des services qu'elles rendent, encore aujourd'hui, à la population.
La logique même de la décentralisation voulait que les collectivités disposent de ressources financières adaptées à l'exercice de leurs compétences. Or nous constatons que les contributions de l'Etat se substituent à la fiscalité locale directe, c'est-à-dire que nous assistons à une réduction de l'autonomie des collectivités territoriales.
Parallèlement, celles-ci ont subi, ces dernières années, un véritable pillage de leurs ressources. Un exemple flagrant de ce pillage est le pacte de stabilité instauré par M. Juppé. Il traduit un mépris total de la volonté des élus locaux, et les collectivités se sont trouvées exclues du partage de la croissance.
Par ailleurs, l'utilisation, depuis 1995, de la dotation de compensation de la taxe professionnelle comme variable d'ajustement a fait perdre 14 milliards de francs aux collectivités.
En revanche, dans le projet de loi de finances pour 1999, le Gouvernement nous propose la mise en place d'un pacte de croissance et de solidarité. Les collectivités vont pouvoir bénéficier de la croissance, même si, pour notre part, nous estimons que les taux retenus sont insuffisants. Si le projet de loi de finances pour 1999 a le mérite de marquer le début d'une réforme de la fiscalité locale, la suppression progressive de la part salariale dans l'assiette de la taxe professionnelle soulève quelques interrogations.
Nous doutons, en effet, des répercussions de cette réforme sur l'emploi ; de plus, celle-ci ne permet nullement de dégager des ressources supplémentaires.
Par ailleurs, la taxe professionnelle souffre de défauts, parce qu'elle n'a pas été adaptée à l'évolution de l'économie. M. Jean-Paul Delevoye a récemment estimé, nous rejoignant sur ce point, qu'il y a une sous-fiscalisation de la richesse financière.
C'est parce que nous soutenons le processus de décentralisation que nous réclamons que soient dégagées des ressources nouvelles pour les collectivités, et c'est parce que nous savons que la richesse financière est sous-fiscalisée que nous demandons que soient pris en compte, dans le calcul des bases de la taxe professionnelle, les actifs financiers. Cette dernière mesure permettrait de dégager des ressources supplémentaires à l'échelon national, et ainsi d'établir une péréquation tendant à compenser les déséquilibres financiers existant entre les collectivités locales.
Je ne vais pas, au cours de ce débat, commenter les dispositions du projet de la loi de finances, car nous aurons l'occasion d'y revenir, mais évoquer ces quelques points me semblait nécessaire.
Faut-il revenir sur les lois de décentralisation ?
Oui, car dans un monde en mouvement se pose la question de la pertinence des territoires actuels comme cadre institutionnel pour affronter les différents défis.
Oui, et il y aura, je crois, unanimité pour penser que les politiques économiques, d'aménagement de l'espace - s'agissant notamment des transports urbains et interurbains - de l'habitat ou de l'environnement - je pense au traitement des déchets - ne pourront être mises en oeuvre sur des territoires restreints. Nous sommes tous d'accord sur ce point.
La solution, selon nous, est d'instaurer les structures intercommunales de projets et non de services.
Pour moderniser, adapter nos institutions, faut-il aller vers une autre organisation territoriale ? Les quatre territoires définis par les lois de décentralisation, à savoir la commune, le département, la région et l'Etat, n'ont-ils pas fait preuve de leur pertinence pour la bonne gestion du pays ?
Autant nous sommes tout à fait favorables à une ouverture des territoires et de l'espace, afin de réfléchir en termes de coopération - et nous souhaitons la mise en commun des potentialités et de véritables synergies - autant nous refusons la dissémination de la démocratie.
Autant de nombreux maires communistes participent à différentes formes de coopération intercommunale, autant nous sommes inquiets devant la création de superstructures à qui les communes et les départements délégueraient une grande partie de leurs compétences et de leur fiscalité, sans amélioration du contrôle et de la participation citoyenne, bien au contraire.
Aussi souhaitons-nous que les collectivités puissent s'engager librement, en fonction de leurs intérêts communs, sur la base d'un projet et d'un territoire pertinent. La mise en place de telles structures de coopération doit se faire dans le respect total des objectifs de la décentralisation.
Pour ma part, je réfute le dilemme selon lequel il y aurait, d'un côté, un régionalisme moderne et, de l'autre, un jacobinisme républicain. Tout nous montre que la réponse démocratique aux grands enjeux de demain réside bien dans un approfondissement et une rénovation des lois de décentralisation.
Cette rénovation exige, par exemple, une nouvelle approche institutionnelle de l'échelon départemental. Sa représentation actuelle est issue d'une fragmentation des territoires, quand il devrait assurer un développement cohérent et solidaire d'un espace pertinent.
Ce qui compte pour nous, élus communistes, c'est la volonté de tout mettre en oeuvre pour permettre l'épanouissement des femmes, des hommes, des jeunes qui peuplent notre pays, sur l'ensemble du territoire.
Cet épanouissement doit bien entendu s'appuyer sur les moyens, je l'ai indiqué, mais aussi et surtout sur un essor sans précédent de la démocratie, sur une participation des populations.
Le mouvement social, le bouillonnement que traversent de nombreux secteurs de notre société montrent bien cette aspiration à la prise de parole, à l'intervention citoyenne.
Décentraliser, démocratiser sont des mots inséparables dont l'objet est unique : satisfaire les besoins de la population.
Face à cette exigence que nous ressentons profondément, nous craignons que la réorganisation du territoire ne tende, au nom de la construction européenne, à un dépérissement de l'institution départementale, voire à la disparition des départements.
Nous l'avons dit et répété : nous sommes pour l'Europe, mais une Europe construite avec les peuples et par eux, et non une Europe qui plaque des schémas préconçus pour satisfaire telle ou telle logique marchande.
Il n'est pas possible, dans ce débat qui s'ouvre aujourd'hui et qui va se prolonger pendant l'année 1999, de négliger le poids de la construction européenne sur la réorganisation territoriale des pays qui composent l'Europe. Les enjeux de ce vaste chantier sont considérables. Nous le mesurons.
D'où la question : quelle République, quelle démocratie pour demain dans notre pays, dans une Europe en construction ? Ce sont là des questions essentielles pour l'avenir. Notre ligne de conduite est claire et sera inflexible : placer l'intérêt des populations au coeur de notre débat. N'est-ce pas finalement le meilleur moyen pour la décentralisation et pour les coopérations de se développer harmonieusement ? N'est-ce pas l'intérêt de notre pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Gruillot applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le ministre de l'intérieur, monsieur le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, mes chers collègues, la décentralisation est devenue un mouvement naturel, presque obligatoire, pour une démocratie ancienne qui doit s'adapter au rythme du temps et aux souhaits des citoyens, et plus encore aux formidables changements de notre société. Par quelle aberration de la pensée faudrait-il en effet admettre, alors que tout évolue, que seuls nos institutions et leur fonctionnement devraient rester immobiles ?
Pour la gauche française et pour nombre de sénateurs et de députés, la République était jacobine. J'ai été de ceux-là, élevé dans l'idéal de la révolution de 1789, du service de la République et j'ai été, comme bien d'autres, un jeune élu jacobin.
En France, l'Etat est, de par son histoire et sa nature, centralisé et, dans une république une et indivisible, l'appartenance nationale est toujours apparue liée à l'unité administrative du pouvoir.
C'est pourquoi la loi de 1982 était un formidable pari. Toutefois, je n'ai pas hésité à prendre ce pari, tout simplement parce que lorsque j'ai été appelé à des responsabilités représentatives et plus encore quand je suis devenu Premier ministre du premier gouvernement de François Mitterrand en 1981, j'étais acquis à l'idée de la décentralisation. J'ai appris la décentralisation et son application dans ma ville, dès 1971, en créant dix mairies de quartier et dix conseils de quartier. Cela a été le début d'une grande décentralisation à Lille.
La volonté de promouvoir la réforme était partagée par le Président de la République, qui voulait rendre « le pouvoir aux citoyens », et par Gaston Defferre, qui a été très présent sur ce sujet au Parlement pour défendre notre loi, alors fortement contestée.
M. Paul Loridant. Ceux qui siègent à droite dans cet hémicycle ne disent rien !
Un sénateur du RPR. Parce que c'est la vérité !
M. Pierre Mauroy. Nous avons alors assisté à une bataille d'amendements mémorable. Je pense que quelques-uns en ont gardé le souvenir.
L'idée qui inspirait ma conviction était simple : la liberté elle-même est une valeur qui ne cesse d'évoluer. Hier, le citoyen libre était celui qui vivait en démocratie et était appelé à élire ses représentants au Parlement et dans les collectivités existantes. Depuis quelques décennies, le libre citoyen est celui qui participe aux décisions. La responsabilité devient de plus en plus la forme la plus élaborée de la liberté. La réforme a séduit et le peuple l'a fait sienne.
Pourtant, la décentralisation n'est ni un mouvement continu, ni un processus irréversible. Elle est une dynamique et, comme telle, elle ne peut supporter le moindre immobilisme sans très vite se voir menacée de régression.
En France, il existe en effet, presque mécaniquement, une tendance forte de l'Etat à recentraliser. Aussi, je suis très surpris par le mot d'ordre qui semble avoir été donné dans cette assemblée et qui consiste à dire : l'Etat recentralise. En France, l'Etat recentralise normalement, naturellement, quelle que soit la couleur de ceux qui sont au pouvoir, notamment au Gouvernement.
MM. Charles Revet et Louis de Broissia. C'est exact !
M. Pierre Mauroy. La meilleure façon d'empêcher cette recentralisation, c'est encore de voter les lois de décentralisation que vous propose le Gouvernement ! (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini. Nous devons être vigilants !
M. Louis de Broissia. Le constat est un peu rapide !
M. Pierre Mauroy. Je comprends la préoccupation des élus de vouloir, par exemple, établir des budgets assis sur des recettes clairement définies afin de ne pas être à la merci des dotations d'Etat, trop facilement susceptibles d'être remises en cause. Je suis attentif, moi aussi, aux évolutions et aux adaptations de la taxe professionnelle. Qui ne l'est pas ? A cet égard, on a assisté à toutes les réformes, toutes les adaptations. On a tout dit et son contraire. Une réforme d'ensemble des finances locales nous est promise. Elle sera la bienvenue. Elle doit nécessairement commencer, comme l'a prévu le Gouvernement, par la révision des bases locatives, révision promise par tous mais qui sera réalisée, j'en suis persuadé, par le gouvernement de Lionel Jospin. (Applaudissements sur plusieurs travées socialistes.)
Il existe aujourd'hui un esprit de la décentralisation, un relatif consensus que justifient les succès de la réforme entreprise. Bien des compétences et des ressources sont désormais transférées et les administrations centrales sont en partie déconcentrées. Quand elles ne le sont pas suffisamment, comme c'était le cas pour l'éducation nationale, des dysfonctionnements apparaissent, tout simplement parce que le centre de décision ne peut rester plus longtemps éloigné des réalités du terrain. C'est une des leçons du récent mouvement lycéen et c'est très justement celle qu'en a tirée M. Claude Allègre, que j'approuve sur le fond de sa politique. Avec des hauts et des bas, le bilan de la décentralisation marque ainsi des progrès réels, et personne ne peut les contester ; j'observe d'ailleurs que personne ne les conteste. En effet, les collectivités sont plus autonomes, la démocratie est plus concrète et mieux appliquée, l'essor des villes est étonnant de dynamisme. Libérées de la tutelle des préfets, c'est-à-dire de la tutelle de l'Etat, les villes ont pris leur envol. Elles ont eu des projets. Nombre d'entre elles rayonnent. Cela vaut aussi pour les autres collectivités, en dépit d'une conjoncture économique souvent difficile et de situations sociales très perturbées.
Certes, la décentralisation elle-même a révélé des insuffisances. Les niveaux de pouvoir mériteraient d'être clarifiés, et les ressources fiscales plus clairement réparties. L'enchevêtrement des compétences et des financements suscite une certaine confusion. L'excessive concentration des pouvoirs nuit à la transparence des décisions. L'Etat central ne respecte pas toujours suffisamment le principe de subsidiarité et les interventions européennes restent obscures pour l'opinion.
Ces insuffisances génèrent non pas le renoncement, mais, au contraire, la nécessité d'aller plus loin. Si, en 1998, nous étions confrontés à un pari, nous sommes devant un défi, le défi de l'an 2000, qui consiste à écrire une nouvelle page de la décentralisation.
Comment faire de cette nouvelle page celle du changement attendu et voulu par les Français ?
En premier lieu, il convient d'améliorer les rapports entre les citoyens et la République. Monsieur le ministre de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, je connais votre volonté de moderniser les modes d'intervention de l'Etat pour mieux garantir les droits des citoyens, et je vous approuve.
Nos concitoyens, en particulier les plus jeunes d'entre eux, doivent être convaincus de l'efficacité de nos institutions et de leur capacité de se transformer pour répondre à leurs attentes. Si le Parlement réussissait à conforter son autorité, le député ou le sénateur apparaîtrait aux yeux du citoyen comme un interlocuteur et un recours naturels. Ce serait un bien pour la démocratie.
Il convient, ensuite, de ne pas oublier que la décentralisation doit d'abord toucher l'ensemble de notre système communal ; c'est la base. En effet, s'il existe, en France, un archaïsme respecté - rassurez-vous, je le respecte ! - ce sont bien nos 36 500 communes, dont 27 500 comptent moins de 1 000 habitants.
M. Philippe Marini. Qu'avez-vous contre les communes rurales ?
M. Pierre Mauroy. Rien ! je vous ai dit que je les respectais !
Si nous voulons les garder - et, pour ma part, je veux les garder -...
M. Philippe Marini. Ah !
M. Pierre Mauroy. ... il faut instaurer des règles d'intercommunalité pour créer des ensembles suffisamment forts et représentatifs pour progresser, et non pour reculer.
M. Charles Revet. Cela existe déjà !
M. Pierre Mauroy. Non !
M. Charles Revet. Allez voir !
M. Pierre Mauroy. Regardez les pays européens voisins ! Au fond, les communes doivent apporter quelque chose à la nation, et non pas nécessairement vivre en quelque sorte à ses crochets. A nous de nous organiser pour en faire des ensembles.
Entendons-nous bien, il s'agit non pas d'opposer la ville à la campagne, ce qui traduirait une grande incompréhension de notre histoire et de notre géographie, mais, au contraire, comme le prévoit d'ailleurs l'orientation de la loi préparée par Mme Dominique Voynet,...
M. Charles Revet. Et voilà !
M. Pierre Mauroy. ... de mobiliser tous nos territoires autour d'objectifs de solidarité et de réduction des inégalités. Nous aurons l'occasion d'en reparler.
Reste que, aujourd'hui, 80 % de la population de notre pays vit en zone urbaine.
M. Charles Revet. Est-ce forcément une bonne chose ?
M. Pierre Mauroy. Cette partie de la population n'est d'ailleurs pas suffisamment réprésentée au Sénat. La France, comme tous les pays du monde, a connu un développement urbain considérable, même si nos grandes villes n'ont pas atteint la démesure presque incontrôlable de certaines métropoles étrangères. Nous disposons d'un réseau exceptionnel de villes petites ou moyennes, dont nous pourrions renforcer le rayonnement et le dynamisme. Dans de nombreux départements, le chef-lieu et son agglomération représentent plus de la moitié, et quelquefois les deux tiers, de la population, et la réalité vitale pour un futur développement.
M. Philippe Marini. A moins qu'ils n'écrasent tout le reste !
M. Pierre Mauroy. Dans les grandes villes, le centre a tendance à dépérir au profit d'agglomérations qui prolifèrent dans l'anarchie et la confusion des pouvoirs. Les syndicats intercommunaux à vocation unique, les SIVU, les syndicats intercommunaux à vocation multiples, les SIVOM, les syndicats mixtes et autres syndicats de communes se multiplient sans se coordonner suffisamment, bien qu'ils soient indispensables.
Voilà déjà trente ans, Michel Debré avait institué des communautés urbaines obligatoires. Bien des élus s'étaient montrés réticents, voire hostiles, à la loi. Aujourd'hui, après bien des épisodes souvent encourageants, comme les communautés de communes, quelquefois décevants, comme les communautés de villes, le projet préparé par M. Jean-Pierre Chevènement consacre l'idée selon laquelle les agglomérations constituent une donnée majeure de la vie publique et des pôles structurants indispensables pour l'avenir. Je salue ces projets qui vont dans la bonne voie, celle de l'incitation au développement des communautés urbaines. J'espère d'ailleurs que les élus de ces communautés seront plus tard - sans doute bien plus tard - élus au suffrage universel, pour honorer la démocratie et pour doter enfin la France d'une carte citadine comparable à celle de ses voisins européens. Si vous doutez, mesdames, messieurs les sénateurs, rappelez-vous l'exemple de Michel Debré et approuvez la politique du Gouvernement ! (Sourires.)
Le nouvel axe du changement est l'indispensable essor des régions. La région était la grande espérance de la décentralisation. Si elle a déçu cet espoir, c'est en grande partie à cause d'un mode de scrutin inadapté. Par une sorte de pied-de-nez à la décentralisation, la circonscription départementale est restée la règle jusqu'aux dernières élections, alors que, de toute évidence, les élus d'une collectivité territoriale doivent être identifiés au territoire.
Nous aurons avant la fin de l'année une loi qui corrigera cette anomalie électorale et rendra les régions gouvernables, notamment dans le domaine essentiel de l'adoption de leur budget. Le refus du Sénat d'en débattre reste pour moi un non-sens, alors que, aujourd'hui, dix-neuf conseils régionaux ne disposent pas de majorité absolue et que les élections de mars dernier se sont quelquefois prolongées par ces « troisièmes tours » de la compromission qui insultent le suffrage universel. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Il faut suivre le train de la réforme, mesdames, messieurs les sénateurs, et non actionner le serre-frein !
M. Louis Boyer. C'est une rigolade !
M. Pierre Mauroy. Reste, à l'heure où nous construisons l'Europe, qu'un pays comme le nôtre, démographiquement moyen mais politiquement plus important, devrait s'interroger sur l'opportunité de constituer de grandes régions capables de jouer leur rôle dans la nation et dans l'Union européenne. Le problème se posera un jour de régions trop petites pour être identifiables à l'échelle de l'Europe et incapables de se constituer en ensembles solidaires.
Ma dernière observation portera sur les conseils généraux. Cette collectivité pérenne de la République a fait ses preuves. Mais force est de constater que sa réalité est mieux perçue en zone rurale qu'en zone urbaine, où les élections cantonales atteignent des niveaux records d'abstention.
M. Jean-Marie Poirier. Très juste !
M. Pierre Mauroy. Je laisserai mes collègues socialistes exprimer leur point de vue et leur expérience. Pour ma part, je ne m'associe pas du tout à ceux qui envisagent de supprimer les conseils généraux. Rassurez-vous, le Premier ministre qui voudrait les faire disparaître n'est pas encore né ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Hélas !
M. Pierre Mauroy. Mais je vois mal comment nous pourrons éviter de nous poser, à terme, la question des niveaux de représentation, dans un esprit de simplification et de clarification.
Ne pourrait-on pas imaginer, par exemple, dans les zones urbaines, un système de conventionnement entre les communautés urbaines, les communautés d'agglomérations et les conseils généraux ? Cela permettrait de renforcer les conseils généraux là où ils donnent le meilleur d'eux-mêmes et de les inciter à coopérer avec les communes et les régions lorsqu'il se révèle improductif de multiplier les structures, les compétences et les crédits. Actuellement, en effet, on s'y perd !
Cette idée est entrevue et même commentée dans le projet de loi du ministre de l'intérieur. Il faut la suivre. Elle est une promesse, et elle peut très simplement permettre une plus grande souplesse des conseils généraux à l'égard des zones plus rurales, des villes ou des agglomérations.
Le visage des collectivités locales a changé et changera encore. Mais ce changement ne sera bien sûr durable que si les élus le veulent, car la pratique des élus est au coeur de toute réflexion sur la modernisation de la démocratie, qu'elle soit locale ou nationale.
Une décentralisation réussie est une décentralisation à laquelle les élus se consacreront avec disponibilité et passion. La démocratie doit toujours rechercher plus de transparence. Il est donc important de clarifier les missions des élus, de combattre le phénomène de concentration des pouvoirs auquel une longue pratique du cumul des mandats nous a collectivement conduits.
C'est donc en ayant une claire idée des changements nécessaires et des perspectives inéluctables d'évolution que je me suis prononcé, la semaine dernière, pour une limitation plus stricte du cumul de mandats. Je ne vais pas rouvrir ce débat ici, encore que chacun comprendra la liaison directe existant entre l'esprit de la décentralisation et les principes qui inspirent la limitation de certains cumuls.
J'appartiens à une formation politique qui, pendant des décennies, est restée dans l'opposition. Au cours de ces années, la gauche ne pouvait s'imposer au niveau national qu'en choisissant le candidat ayant le plus de chances de l'emporter, et, de fait, c'était souvent le maire. Cette pratique de la gauche était d'ailleurs aussi utilisée par la droite. Nous avons ainsi contribué à la constitution de ce couple bien français du député-maire ou du sénateur-maire. C'est un couple que, comme nombre de sénateurs ici présents, je connais !
Dans une France centralisée, le cumul répondait à une tradition historique, à une phase de la République, à une nécessité politique. Et je ne comprends pas le terme journalistique de « cumulard », car, lorsque l'on aborde une question aussi essentielle, il faut, à mon avis, connaître l'évolution de la République pour véritablement analyser la situation.
Mais les temps ont changé.
M. Pierre-Yvon Trémel. Eh oui !
M. Pierre Mauroy. Ce qui était impensable avant les années quatre-vingt est devenu naturel. Il en est ainsi, par exemple, de l'alternance : comptez le nombre de fois où, depuis la Révolution française, ou même durant ce siècle, nous sommes venus au pouvoir. Depuis 1981, les temps ont changé, c'est vrai, et bien changé !
M. Jean-Pierre Raffarin. Hélas !
M. Pierre Mauroy. Vous dites « hélas ! », mais vous soupirerez souvent, hélas pour vous !
M. Louis de Broissia. Le Front populaire !
M. Pierre Mauroy. Ne parlez pas du Front populaire ! C'était une période extraordinaire et, dans la mémoire des Français, le Front populaire reste le gouvernement le plus aimé. Telle est la réalité ! (Applaudissements sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Il s'est terminé par Vichy !
M. Philippe Marini. Seuls quatre-vingts parlementaires n'ont pas voté les pleins pouvoirs à Pétain !
M. Pierre Mauroy. Jamais vous ne devriez dire cela !
Alors que j'étais Premier ministre, j'ai répondu à l'un des vôtres qui expliquait que, finalement, la défaite de 1940 était due à l'arrivée du gouvernement du Front populaire.
C'est une ignominie ! Et vous oubliez sans doute que Léo Lagrange, ministre de la jeunesse sous le Front populaire, dont le nom reste dans les mémoires, a montré, face aux dictatures d'alors, qu'une République était capable d'exalter sa jeunesse et de promouvoir véritablement une grande politique de la jeunesse, des sports et des loisirs !
M. Philippe Marini. On a vu avec quels résultats !
M. Pierre Mauroy. Alors que, dans l'ambiance de l'époque, beaucoup étaient pacifistes - et l'on peut les comprendre après ce qui s'était passé en 1914-1918 - le député Léo Lagrange souhaitait, avec le général de Gaulle, avec Malraux, un autre dispositif militaire - la réalité du désastre est en effet là ! N'ayant pas été écouté, il est parti sur le front de l'Est, aux avant-postes, et il est mort dans les premiers jours de juin, lorsque l'armée allemande a déferlé sur la France.
M. Pierre-Yvon Trémel. Voilà ! C'est la vérité !
M. Pierre Mauroy. Vous ne devriez donc jamais reprendre cette formule ignominieuse pour un gouvernement qui honore le siècle et a marqué ce dernier par des réformes sociales absolument indispensables. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Je disais que les temps ont changé. Ils ont changé en 1936, et fort heureusement ! S'il reste encore des nostalgiques des temps antérieurs à 1936, je les laisse à leur nostalgie !
Je pense d'ailleurs que, après 1936, de 1940 à 1945, on a assisté à une revanche de certains !
M. Jean Chérioux. Pas pour les gaullistes, en tout cas !
M. Pierre Mauroy. En effet, vous avez raison ! Mais, pour ma part, je préfère la France de ma jeunesse, celle que j'ai connue lors de mon engagement politique, la France qui retrouvait l'honneur, la dignité avec le général de Gaulle, certes, mais aussi avec le premier gouvernement composé de communistes, de socialistes et de catholiques progressistes. Telle est la réalité, car cela fut le premier gouvernement français ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Les temps ont donc changé : l'alternance, la décentralisation, la participation citoyenne, autant d'évolutions qui sont maintenant la respiration de notre démocratie.
Pourquoi ne pas admettre d'exercer alternativement, si on le souhaite, des mandats parlementaires et territoriaux, à condition - et l'on y veillera - de ne pas créer artificiellement une hiérarchie entre les élus d'en haut et ceux d'en bas, entre les élus de Paris et ceux de province ? Tout mandat est honorable dès lors qu'il procède du choix des citoyens et qu'il est exercé avec l'ambition de servir la démocratie, la modernité et l'avenir.
En tout cas, mes chers collègues, prenez tout de même garde à cette question du cumul des mandats. Dans l'esprit du peuple, pour la jeunesse, pour les médias aussi, bien sûr - et cela compte ! - l'avenir de la décentralisation est désormais fortement lié à une nouvelle répartition des mandats locaux et nationaux.
Nous voulons tous renforcer l'autorité et la responsabilité du Parlement dans ses fonctions législatives, dans ses fonctions de suivi des lois, de contrôle de la politique gouvernementale, d'initiateur des grands débats de la société.
M. le président du Sénat a indiqué, à juste raison, que la Haute Assemblée assure la représentation des collectivités territoriales de la République, et il a eu la bonne idée de provoquer ce débat, ce dont nous pouvons le remercier.
Lors de l'ouverture de cette session, il a avancé une proposition intéressante sur la décentralisation. Je poserai néanmoins la question suivante : avons-nous suffisamment cherché, dans le passé, à donner une réalité à ce particularisme sénatorial qu'est la représentation des collectivités locales ?
Il me semble que l'on nous ressort maintenant un argument qui avait été oublié pendant bien des années. Peut-être aurait-il fallu y penser davantage ?
M. le président du Sénat nous dit en tout cas qu'il nous faut être « offensifs ». Je le comprends, et les membres du groupe socialiste sont décidés à adopter une telle attitude. Mais il faut d'abord être offensif pour réformer le Sénat, qui sombrera dans le discrédit s'il n'accepte pas cette perspective de la réforme. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean Chérioux. La menace !
M. Pierre Mauroy. Cela, c'est votre grande responsabilité devant la République,...
M. Philippe Marini. C'est une manoeuvre politicienne, vous le savez très bien !
M. Pierre Mauroy. ... et vous n'en sortirez pas si vous ne répondez pas positivement à cette question ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
Il faut être offensif sur le non-cumul pour aller au-devant du peuple et de la jeunesse qui le réclame.
Il faut être offensif pour généraliser la décentralisation, qui est la nouvelle respiration de notre démocratie. MM. Queyranne et Zuccarelli l'ont d'ailleurs été dans la présentation de leurs propositions. Nous approuvons leur démarche, ainsi que la politique du Gouvernement.
Monsieur le président, mes chers collègues, l'approfondissement de la décentralisation, tel que le Gouvernement le propose dans ses projets, est indissociable de cette modernisation démocratique que nous voulons tous, pour rendre les élus et les citoyens plus proches, la République plus vivante et l'Europe plus présente. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Loridant applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais à mon tour remercier M. Poncelet, président du Sénat, d'avoir suscité ce débat sur la décentralisation.
Voilà une semaine, nous avons examiné un projet de loi relatif aux compatibilités entre les mandats parlementaires nationaux et les fonctions exécutives territoriales. Notre volonté était de faire vivre la navette avec l'Assemblée nationale et d'éclairer ce débat par une mise en perspective de la décentralisation, en adaptant au mieux les coopérations intercommunales au sein d'un bon aménagement du territoire.
Nous avons pu, aujourd'hui, entendre les propos de M. le ministre de l'intérieur par intérim et de M. le ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, et sans doute Mme Voynet nous présentera-t-elle bientôt son projet de loi sur l'aménagement durable du territoire. Nous entendons veiller à la cohérence de ces textes.
J'ai écouté M. Mauroy voilà un instant et je voudrais rendre hommage au courage qu'il a eu en lançant, en 1982, la décentralisation. C'était véritablement une révolution dans nos pratiques administratives et politiques et si, à l'époque, nous avons pu exprimer des points de vue parfois divergents, force est de reconnaître aujourd'hui que, l'avenir, c'est en effet la décentralisation.
M. Jean-Marie Poirier. Très bien !
M. Jean Arthuis. Cela étant, il faut du souffle aux collectivités territoriales pour exercer les responsabilités qui sont les leurs, mais il faut aussi répondre à une exigence de proximité. Pour cela, je ne suis pas sûr que le Gouvernement nous apporte les réponses les plus convaincantes.
Ainsi, M. Queyranne nous a dit les vertus de la réforme de la taxe professionnelle : l'assiette constituée par la masse salariale va disparaître, ce qui, bien sûr, constituera un allégement de charges. Il faut s'en réjouir ! Les entreprises seront plus compétitives et moins freinées dans leur volonté de créer des emplois si les circonstances s'y prêtent.
Mais ne va-t-on pas, progressivement, mettre en jeu exclusivement l'investissement et susciter des délocalisations ? N'y a-t-il pas non plus un risque de duperie, puisque le Gouvernement veut instituer un taux minimal de taxe professionnelle fondé sur la valeur ajoutée ? Ainsi, selon les premières observations qu'ont pu faire des acteurs économiques, certaines entreprises dont la taxe professionnelle est aujourd'hui plafonnée seront demain contribuables du fait de cette taxation de la valeur ajoutée. On ira donc vers un taux national, en contradiction totale avec la responsabilité fiscale locale.
Quant à l'emploi, il me semble que l'on eût été mieux inspiré en allégeant les charges sociales sur l'ensemble des salaires versés par les employeurs français.
Monsieur Mauroy, vous avez insisté sur la nécessaire subsidiarité. Or force est de constater que, aujourd'hui, la décentralisation lancée en 1982 patine et qu'en effet l'Etat pratique une sorte de reconcentration des responsabilités.
L'autorité de l'Etat est mise à rude épreuve, ses missions sont trop nombreuses. Il n'est pas capable, il n'est plus capable de les assumer correctement, c'est-à-dire avec efficacité.
Permettez-moi à ce sujet de prendre deux exemples : dans mon département, dans certaines résidences collectives comme dans de nombreuses cités, les relations sociales se sont détériorées. Les relations interpersonnelles sont devenues extrêmement difficiles, laissant place à l'incivilité et, parfois, à la délinquance. Lorsque l'on interroge les différents acteurs publics, on constate que chacun d'entre eux a remarquablement assumé sa mission. C'est vrai pour les travailleurs sociaux qui dépendent du conseil général, c'est vrai pour ceux qui dépendent de la municipalité, c'est vrai aussi de ceux qui dépendent de l'Etat, des représentants des forces de police ou des agents des services de santé, de psychologie, de psychiatrie. Mais il n'y a pas de coordination, il n'y a pas de responsabilité, il n'y a pas de chef de file.
Par ailleurs, en matière d'éducation, les conseils généraux et régionaux ont assumé courageusement et efficacement leurs responsabilités en matière de collèges et de lycées. Mais, comme le personnel d'entretien relève de la responsabilité de l'Etat, lorsque la collectivité territoriale procède aux travaux de modernisation nécessaires, elle engage des deniers publics et donc lève des impôts locaux, l'Etat en tirant alors profit pour supprimer des emplois. Ce sont là des zones de compétence et de responsabilité qui sont restées floues et que nous devons nous efforcer de clarifier jusqu'au bout.
L'Etat, aujourd'hui, est soumis à une épreuve sans précédent : chacun aperçoit les avancées et les partages de souveraineté qui s'opèrent au plan européen, mais chacun constate aussi que les collectivités territoriales sont à l'oeuvre pour tenter d'assumer la plénitude de leurs responsabilités. Comment, dans ces conditions, construire une architecture institutionnelle cohérente entre l'Europe, l'Etat-nation et des collectivités locales qui s'impatientent devant le gâchis des enchevêtrements de compétences ?
Au total, l'Etat cumule des fonctions de régulateur et d'opérateur. Il me semble que nous devrions convenir d'un principe simple qui consisterait à placer l'opérationnel local sous la responsabilité des collectivités territoriales. En effet, il est urgent de libérer l'Etat et de permettre aux collectivités territoriales de s'administrer librement et efficacement.
Mais que vont alors devenir les subdivisions des directions départementales de l'équipement ? Que vont devenir les services extérieurs du ministère de l'agriculture ou du ministère de l'équipement, qui exercent des fonctions de régulation tout en assumant des missions de maîtrise d'oeuvre pour les collectivités territoriales ?
Nous devons nous poser les mêmes questions à l'égard d'un certain nombre de services : est-il normal que l'Etat garde, au plan départemental, des compétences en matière sociale, sportive, de protection de la jeunesse, de culture ? La réponse à ces questions conditionne la nature et l'étendue des fonctions exécutives locales !
C'est bien évidemment un juste transfert de compétences qui doit s'effectuer, une fois qu'auront été clarifiés le rôle de l'Etat et celui de chaque collectivité locale.
C'est en apportant avec soin - par exemple au travers d'un débat comme celui qui s'est ouvert aujourd'hui - les bonnes réponses à ces questions de partage des responsabilités que nous mènerons à bien l'achèvement de la décentralisation.
C'est, au-delà de chacun d'entre nous, le rôle du Parlement. C'est pourquoi je souhaite la constitution d'une mission d'information commune aux commissions des lois et des finances du Sénat.
C'est ainsi, j'en suis persuadé, que naîtront presque naturellement les incompatibilités entre les différents mandats et fonctions électifs : lorsque la décentralisation aura été poussée à son terme, lorsque nous diposerons d'une vision claire et cohérente des structures intercommunales qui fédèrent l'exercice des responsabilités au plus près des citoyens, alors nous pourrons débattre des incompatibilités entre mandats parlementaires nationaux et fonctions exécutives territoriales. En effet, dans une décentralisation réussie, mes chers collègues, le ministre de la ville, c'est le maire de la ville. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le ministre, j'ai été suffisamment sévère sur le mauvais texte que vous nous avez présenté au sujet de l'élection des conseillers régionaux pour tenter, dans ce débat très ouvert qui a lieu sur l'initiative du Sénat, d'être le plus objectif possible.
Je crois vraiment, monsieur le président, mes chers collègues - notre débat le montre - que la décentralisation n'est pas un débat d'experts ni une approche administrative : c'est un vrai projet politique. Or, aujourd'hui, on peut mesurer que, dans notre pays, c'est un projet qui marche et que, globalement, la décentralisation a réussi.
Il est clair qu'il y a beaucoup d'imperfections ; il est clair également qu'il s'agit là d'une longue démarche. Il serait cependant négatif de vouloir considérer aujourd'hui que ces dysfonctionnements sont essentiels. La décentralisation, cela marche !
La décentralisation a été source de progrès pour l'Etat comme pour le citoyen : au-delà des sujets qui ont été abordés tout à l'heure, si l'on prend l'exemple de l'éducation, qui est un problème d'avenir pour notre pays, on se rend compte que, globalement, la décentralisation a permis d'apporter des réponses positives. Les conseils généraux pour les collèges et les conseils régionaux pour les lycées ont ainsi accompli des efforts importants et le principe de l'éducation nationale républicaine a été respecté, l'Etat gardant la responsabilité de la pédagogie et du respect de l'égalité des chances. Chaque jeune doit en effet recevoir une éducation de qualité, et on ne peut imaginer qu'à petite région correspondrait petite éducation et à grande région grande éducation. Globalement, il y a donc eu cohérence nationale, même si l'on a fait en sorte que, en même temps, des dynamiques locales puissent participer à l'oeuvre éducative.
Certes, dans ce domaine, beaucoup de choses doivent être améliorées - les lycéens l'ont dit récemment - mais, globalement, quand on compare ce qui se passe aujourd'hui avec la situation précédente, on constate que la décentralisation a été une bonne réponse.
Des progrès pour l'Etat, nous en avons vu beaucoup. Je me souviens ainsi de cette inquiétude du corps préfectoral, au début de la mise en oeuvre de la décentralisation, et de ces sous-préfets désoeuvrés dans les arrondissements ruraux qui se demandaient à quoi ils allaient servir. Eh bien, grâce aux initiatives qui ont été prises, notamment avec le fonds structurel européen, nous avons vu des compétences locales s'affirmer, l'Etat continuant à agir dans son domaine.
Nous avons vu aussi les préfets changer d'attitude : certes, ils n'avaient plus de subventions à distribuer, ils n'avaient pas toujours une autorité à imposer, mais ils étaient ceux qui mettaient tout le monde autour de la table et, s'ils avaient des capacités de rayonnement, ils étaient au centre du dispositif. Ils ont su, ainsi, affirmer la présence de l'Etat.
Le citoyen a lui aussi bénéficié des progrès dus à la décentralisation : au sein de cette maison, vous avez tous été informés du succès du Futuroscope, par exemple. Et je n'évoquerai pas tous ces projets qui sont sortis de terre, comme l'Agropôle d'Agen ! Dans tous les départements, dans toutes les régions, nous avons vu une nouvelle fertilité apparaître. Ces projets, sources de l'énergie locale, provenaient non pas des rapports bleus, rouges ou verts de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale ou de quelque expert parisien, mais ils étaient le fruit de l'énergie locale. Ils jaillissaient du territoire et ils créaient des activités.
Il nous faut aussi souligner les progrès récents qui ont été accomplis en matière de gestion publique. Les chambres régionales des comptes ont ainsi permis de répondre aux préoccupations des citoyens et de l'Etat en la matière, même si, évidemment, nous souhaiterions être mieux aidés dans le domaine de la prévention et disposer de contrôles plus pédagogiques, afin de pouvoir, les uns et les autres, améliorer constamment notre gestion : si nous voulons plus de responsabilités, nous devons accepter plus d'évaluations ! Quoi qu'il en soit, je crois que, là encore, nous sommes sur la bonne voie.
Malgré le succès de la décentralisation, il est évident qu'un certain nombre de dysfonctionnements demeurent et que nous devons les souligner. Nous devons ainsi être conscients d'un certain nombre de dérives qui pourraient se révéler préoccupantes.
Ce qui me frappe, d'abord, c'est de voir qu'à cette décentralisation que vous avez lancée, monsieur Mauroy, et qui était le fruit d'une volonté publique, se substitue aujourd'hui une décentralisation de crise, souvent faite d'improvisation.
Y a-t-il une crise du financement du système de santé ? On crée des agences régionales ! Y-a-t-il une crise du financement de la SNCF, empêtrée dans ses difficultés financières ? On se dirige vers la régionalisation des transports en essayant de résoudre cette crise par plus de décentralisation ! Le ministre de l'éducation n'arrive pas à boucler le budget des universités ? On crée Université 2000, Université 3000, probablement Université 4000, car il semble que nous soyons engagés dans une procédure longue !
Finalement, on fait ainsi de la décentralisation, une sorte de mistigri : j'ai des problèmes, je te les passe, essaie de les régler, mais surtout donne-moi ton argent, de telle façon que je puisse annoncer des milliards de francs de prêts bonifiés en ne payant que quelques millions d'intérêts ! Il y a là un certain nombre d'imperfections qu'il nous faut souligner.
Ce qui m'apparaît, ensuite, c'est que la décentralisation doit être maîtrisée : ainsi, la régionalisation des transports ne doit pas simplement servir à puiser des moyens dans les régions pour payer les emprunts de Réseau ferré de France.
Il nous faut donc être vigilants contre cette forme de décentralisation de crise - je viens d'en traiter - mais aussi contre un virus mortel que la décentralisation porte en elle et qui est l'esprit féodal.
Il est clair que, si l'on fait de la région ou du département un espace de féodalité, la décentralisation est condamnée. (MM. Louis de Broissia et Jean Chérioux applaudissent). Les décentralisateurs, au même titre qu'ils acceptent l'évaluation, doivent donc combattre l'esprit féodal.
Considérer que la région est une portion de nation, avec son identité, avec son drapeau qu'il faut mettre en avant pour résoudre tous les problèmes du pays, c'est être archaïque. La modernité, c'est être un échelon de décision et non pas une portion de nation.
MM. Louis de Broissia et Jacques Peyrat. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin. Il nous faut donc développer une ligne politique très claire pour combattre l'esprit féodal.
Si l'on estime que le bien, c'est ce qui est à l'intérieur de nos frontières et le mal ce qui est à l'intérieur des frontières de l'autre, on s'achemine, évidemment, vers la paralysie, au détriment de l'efficacité.
Par ailleurs, la guerre des collectivités territoriales ne doit pas avoir lieu - et elle n'aura pas lieu !
Messieurs les ministres, j'ai parfois vu des sourires sur les lèvres de vos collaborateurs lorsque l'on a parlé des départements et des régions. Nous ne ferons pas le plaisir au Gouvernement de présenter des divisions entre départements et régions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
Les décentralisateurs sont, par définition, unis !
En tant que président de conseil régional, je ne vois pas, dans le mode électoral que vous avez proposé, monsieur le ministre, ce qu'il y aurait de choquant à avoir une institution régionale avec une circonscription départementale, puisque nous sommes faits pour travailler ensemble !
Ceux qui pensent qu'ils réussiront en affaiblissant, voire en détruisant les autres, pensent avec des années de retard. Le département a insufflé une véritable dynamique économique. Quand je vois, dans ma propre région, les initiatives prises dans les départements, en matière d'action pour l'emploi en Charente-Maritime, par exemple, ou s'agissant du Futuroscope dans la Vienne, je me dis que l'initiative, quand elle est à taille humaine, est très efficace.
Ce qu'il faut, c'est organiser le rôle des uns et des autres et veiller à ce que la décentralisation ne soit pas une recentralisation. En effet, si la région peut être acteur de décentralisation, en accompagnant le processus, elle peut aussi parfois, si elle pose mal les problèmes, être acteur de centralisation.
C'est en luttant ensemble contre l'esprit féodal que nous ferons de la décentralisation une politique largement positive.
Les effets de la recentralisation, nous les voyons dans certaines régions, mais aussi, naturellement, au niveau de l'Etat, et je veux, à cet égard, inviter les représentants de l'Etat ici présents à essayer de toujours rechercher le maximum de simplicité dans les procédures.
S'il y a un ministère formidable pour rendre les choses complexes et illisibles, c'est bien le ministère du travail ! Annonce-t-on un certain nombre d'initiatives, dans la loi quinquennale, par exemple, pour faire en sorte qu'au niveau des bassins d'emploi le courant passe mieux entre emploi et formation ? Voilà que, pour une mesure qui fait dix lignes, on pond une circulaire de cinquante pages, ce qui décourage tout le monde !
Comment les patrons de PME, comment les artisans peuvent-ils accepter, en effet, de s'engager dans des processus de décentralisation destinés à rapprocher l'emploi de la formation au niveau du bassin d'emploi, alors que les circulaires sont d'une complexité telle qu'on se demande si, parfois, ceux qui les ont écrites n'ont pas cherché, d'abord, à garder leur pouvoir en rendant leurs propos incompréhensibles ? (Très bien ! Et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Pour conclure, je souhaite faire trois propositions.
La première concerne les grands acteurs de l'action publique. J'ai eu le bonheur d'exercer pendant deux ans des responsabilités à la tête du ministère des PME, dont le budget était le tiers de celui que le président de la région Poitou-Charentes administre. Une bonne dizaine de fois par jour, je me disais que, si le problème qui m'était posé l'avait été dans la région, il aurait été réglé dans l'heure.
Très souvent, je me suis trouvé avec à ma disposition un budget extraordinairement limité et des fonctionnaires qui, n'ayant pas les moyens financiers d'intervenir, cherchaient le décret, l'arrêté ou la loi leur permettant de le faire, moyennant quoi, souvent, ils recherchaient la complexité plutôt que l'efficacité. En fait, il s'agissait d'un pouvoir qui n'avait pas les moyens de sa propre politique.
Monsieur le ministre, dans ce pays, on devrait supprimer tous les ministères qui ont un budget de moins d'un milliard de francs !
S'agissant du tourisme, qu'ont ait une bonne agence qui s'occupe de l'image de la France à l'extérieur et qu'on laisse les départements et les régions s'occuper de la politique touristique ! A quoi cela sert-il d'avoir un délégué de l'Etat dans la région, à côté du comité régional du tourisme, à côté du comité départemental du tourisme, pour mener une politique ? (Très bien ! sur les travées des Républicains et Indépendants.) Ce délégué n'a pas de moyens, le pauvre ! On l'invite à nos réunions, on le consulte, mais, franchement, dans un pays moderne, on devrait dépasser ce type de courtoisie pour rechercher un peu l'efficacité !
La fonction législative d'un certain nombre de départements ministériels pourrait être assumée par les grands ministères. On n'a pas besoin de toutes ces administrations structurées, dotées de budgets minimaux et qui, en fait, sont source de complexité et donc d'asphyxie pour notre pays.
Ma deuxième proposition, déjà formulée par MM. Delevoye et Arthuis, concerne la transparence fiscale, tant il est vrai que nous aurons des chances d'avoir une décentralisation lisible le jour où, pour une action identifiée, il y aura une fiscalité identifiée.
Aujourd'hui, ces fiscalités croisées, ces taxes d'habitation où se conjugent les effets de la politique des uns et des autres et où, quelle que soit la collectivité qui augmente l'impôt, c'est toujours le maire qui est en première ligne, tout cela n'est pas sain ! Quand on lève l'impôt, il faut le faire de manière lisible, afin que chaque niveau de collectivité territoriale ait un impôt clairement identifié, son impôt spécifique. Des propositions ont été faites, pour les régions, par M. Olivier Guichard sur l'énergie, qui paraissent tout à fait dignes d'intérêt.
Ce qu'il faut, c'est une véritable transparence fiscale pour que le citoyen ait une parfaite lisibilité de l'action de l'élu.
Ma dernière proposition a trait aux différents niveaux de collectivités territoriales.
Je suis convaincu que le contrat est une bonne solution. Face à un système complexe, il n'est d'autre moyen que de mettre tout le monde autour de la table pour essayer de dégager un partenariat. C'est d'ailleurs ce qui s'est fait dans les entreprises. Il n'y a pas d'alternative : comme les collectivités sont là, et qu'elles sont là pour un certain temps, la question est de savoir comment organiser entre elles le partenariat.
Le malheur, c'est que le contrat a été abîmé dans le temps parce qu'on n'a pas tenu ses promesses, parce qu'il a été souvent déséquilibré, parce qu'il n'a pas répondu à l'exigence de lisibilité démocratique demandée par les citoyens.
Il nous faut donc réfléchir, comme le disait M. Delevoye, à une nouvelle forme de contractualisation.
Cela suppose, premièrement, qu'il y ait, pour chaque projet, un responsable. Le citoyen doit, certes, savoir quels sont les partenaires du projet, mais, surtout, qui assume, au nom des autres, le rôle de chef de file.
Cela suppose aussi, deuxièmement, que les engagements pris soient respectés. Dans les contrats de plan, initialement, on faisait appel à la loi pour surmonter les difficultés budgétaires et respecter les financements.
Aujourd'hui, comment voulez-vous que, dans une région comme la mienne, par exemple, on prenne au sérieux la contractualisation pour les routes alors qu'il y a plus d'un milliard de francs de retard de paiement ? Au fond, l'on se dit que tout ce qui est annoncé pour l'avenir est tellement virtuel que ce n'est plus crédible !
Il faut que le Parlement soit le garant des engagements, afin que les financements contractualisés soient des financements exécutés.
Il faut également penser à des possibilités nouvelles, monsieur le ministre. Que l'Etat manque parfois de moyens, nous pouvons le comprendre, car nous sommes parmi ceux qui militent pour la maîtrise des dépenses publiques.
Les collectivités territoriales ne demandent pas toujours plus de moyens. Quelquefois, plus de liberté dans un contrat peut leur suffire ! Que l'on fase des expérimentations !
Soit une route que l'Etat n'arrive pas à financer complètement. Si les collectivités territoriales veulent une maîtrise d'ouvrage déléguée, qu'on la leur accorde !
M. Charles Revet. Voilà !
M. Jean-Pierre Raffarin. Nous demandons une seule chose : que l'on nous rembourse la TVA et que l'on fasse un certain nombre de chantiers de cette nature sur notre propre initiative !
Cela ne coûtera pas beaucoup d'argent à l'Etat. Quand vous ne pouvez pas nous donner d'argent, donnez-nous des libertés. Au titre de la contractualisation, mettons, face à l'argent, un certain nombre de libertés ! Faisons également en sorte, dans cette réforme de la contractualisation, qu'il y ait une évaluation collective des contrats, car il n'y aura pas de progrès de la décentralisation sans progrès de l'évaluation.
Il est clair que l'intérêt de ce pays, aujourd'hui, est de pousser la décentralisation en avant. Il y a trop de blocages dans un Etat centralisé qui ne réussit pas à résoudre ses crises. Ces crises, on pourra les résoudre en rapprochant la solution du citoyen. Là est l'avenir de notre pays !
Voilà pourquoi la décentralisation devrait dépasser les clivages politiques et rassembler l'ensemble des républicains, qui veulent, au fond, que les politiques publiques soient réalisées au plus près du citoyen. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est avec satisfaction que j'aborde, ce soir, ce débat tant attendu, et je remercie le président Poncelet de l'avoir permis.
Parce que nous sommes, pour la plupart d'entre nous, des élus locaux, la décentralisation figure parmi nos premières préoccupations. Elle focalise d'ailleurs l'attention de certains au point qu'ils en surveillent les moindres évolutions pour mieux mesurer les intentions de l'Etat.
Depuis quelque temps, cette vigilance a pris l'allure d'un procès d'intention. On soupçonne le Gouvernement d'engager un fort mouvement de recentralisation.
Pour ma part, je ne pense pas que la décentralisation fasse l'objet d'une quelconque remise en cause. Tout d'abord, parce que je sais le ministre en charge de ce secteur être un fervent partisan de la décentralisation. Ensuite, parce qu'il faut tout de même rappeler une évidence : c'est bien une majorité de gauche qui a adopté les lois de décentralisation et un gouvernement issu des rangs de cette même majorité qui a pris l'initiative en la matière.
Par ailleurs, vous l'avez rappelé, messieurs les ministres, le Gouvernement a préparé un ensemble de réformes cohérentes, toutes inscrites dans l'esprit de la décentralisation. La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, la loi relative à l'organisation urbaine et à la simplification de la coopération intercommunale ainsi que la loi sur l'intervention économique des collectivités locales témoignent, à l'évidence, plus d'un souci d'amplifier la décentralisation que d'une envie de la contenir.
Les quelques mesures fiscales intéressant les collectivités locales contenues dans la loi de finances pour 1999 viendraient, selon ses détracteurs, tempérer cette volonté affichée par les textes.
Il est vrai que la part de l'Etat dans la totalité des recettes fiscales des collectivités locales a varié, de 1993 à 1997, entre 23,3 % et 24 %, alors même que les collectivités ont dû faire face, pendant cette même période, à un accroissement de leurs missions, tout particulièrement dans le domaine social.
Toutefois, astreint à la rigueur budgétaire durant cette période et contraint d'accentuer, de son côté, les efforts financiers pour soutenir l'emploi, l'Etat pouvait-il faire preuve de largesses ? Nous savons très bien que ce n'est pas de gaieté de coeur que l'Etat a modéré ses concours financiers aux collectivités.
S'agissant des décisions d'allégement des droits de mutation et de la réforme de la taxe professionnelle, vous l'avez également rappelé, monsieur le ministre, les mécanismes de compensation retenus garantiront les ressources des collectivités locales. Ils garantiront aussi, il faut le dire, leur autonomie.
On accuse très souvent l'Etat français d'être jacobin. Sachez qu'en Grande-Bretagne 80 % des dépenses nettes des collectivités locales sont financées par l'Etat. En Allemagne, pays fédéral, l'essentiel des concours provient des transferts de l'Etat. Tout est donc une question de confiance et, quand bien même, l'Etat aurait des intentions centralisatrices cachées, ce que l'on ne croit pas, le Parlement vote la loi et rien ne nous interdit de fixer des bornes.
Par ailleurs, le remplacement du pacte de stabilité par un contrat de croissance et de solidarité, applicable de 1999 à 2001, apportera des améliorations sensibles en prévoyant de partager les fruits de la croissance avec les collectivités locales et de moduler la baisse de la dotation de compensation de la taxe professionelle en faveur des collectivités les plus démunies.
En dehors des questions fiscales, je voudrais m'arrêter quelques instants sur les évolutions souhaitables des lois de 1982 et de 1983.
Au regard de notre histoire institutionnelle, les lois précitées sont très récentes mais la durée de leur application nous permet déjà de faire un bilan utile. Que l'on soit un décentralisateur convaincu ou non, il faut bien le reconnaître, en favorisant l'initiative locale, la décentralisation a permis de maintenir la cohésion sociale sur notre territoire et d'accroître les équipements dans des proportions qu'un Etat centralisé n'aurait pas permises.
Sans la décentralisation, la crise économique, vecteur de déséquilibres, se serait posée, j'en suis sûr, avec une autre acuité. Les politiques conventionnelles et contractuelles menées avec tous les acteurs de la vie locale ont permis à notre pays de contenir au mieux les difficultés sociales. La vigilance des départements à l'égard des solidarités entre l'urbain, le rural et le périurbain est presque partout exemplaire. A des degrés divers, les collectivités ont toutes atteint l'objectif d'aménagement et d'animation du territoire.
Par ailleurs, par le biais de la décentralisation, l'Etat ne s'est pas seulement déchargé de compétences au profit des différentes collectivités, il a aussi introduit une nouvelle forme de citoyenneté en assurant indirectement au citoyen la maîtrise des politiques qui concernent la vie quotidienne, sans altérer pour autant l'esprit démocratique ni fragiliser nos institutions.
Toutefois, si le bilan est positif, il est permis d'aller au-delà des lois de 1982 et 1983 afin d'optimiser davantage les facultés qu'elles ont ouvertes.
Pour ma part, je pense que le préalable à des modifications institutionnelles est une clarification des règles et des structures déjà existantes. Il faut que les compétences entre les régions et les départements soient clairement respectées et que les tentatives de tutelle d'une collectivité sur une autre soient rendues impossibles. Une fois les clarifications abouties, les transferts de compétence devront s'accélérer, notamment en ce qui concerne les régions, dont le rôle est le moins bien perçu. Alors que la nécessité de déléguer fortement l'action économique apparaît de moins en moins incontestable, l'échelon régional souffre d'un cadre de compétences relativement rigide. Certes, encouragées par les évolutions jurisprudentielles et la bienveillance de la Commission européenne, les régions ont pris quelques libertés avec ce cadre. Toutefois, un accroissement réglementé de ses missions forgerait bien mieux son identité et, par là même, augmenterait sans nul doute son efficacité.
Le renforcement de la solidarité entre les collectivités est un autre point essentiel sur lequel je souhaite insister.
Les instruments de péréquation entre les collectivités doivent être mis en oeuvre. L'exception française, qui est si souvent évoquée, c'est aussi ce souci permanent d'assurer à tous les citoyens où qu'ils se situent les mêmes services et de leur garantir les mêmes soutiens. La décentralisation doit jouer un rôle redistributeur.
Je veux enfin aborder la question de l'intercommunalité, car, là encore, des clarifications sont nécessaires.
Compte tenu de la proximité de l'examen du projet de loi relatif à l'organisation urbaine et à la simplification de la coopération intercommunale, je ne m'étendrai pas sur ce point. Bien entendu, compte tenu du très grand nombre de communes qui composent notre pays, l'intercommunalité se révèle être un outil formidable qu'il convient de favoriser.
Puisque nous avons choisi de conserver l'identité de nos communes, sources de richesse démocratique et de diversité, nous devons aussi tout mettre en oeuvre pour que le regroupement s'opère de façon plus limpide. A terme, il me semble souhaitable que la coopération intercommunale s'oriente vers une forme unique sur l'ensemble du territoire.
Le texte relatif à l'intercommunalité s'engage dans cette voie, notamment en supprimant les districts et les communautés de ville. C'est un premier pas, mais il faudra aller plus loin car il subsiste encore un foisonnement d'options intercommunales qui ne me paraissent pas toutes justifiées. De la cohérence de l'architecture intercommunale dépendra l'intérêt des citoyens pour cette nouvelle entité territoriale.
Cette remarque m'amène d'ailleurs à poser le problème de leur légitimité démocratique. Les avis divergent sur la façon d'impliquer davantage les citoyens. Au regard des compétences croissantes exercées par les groupements, on pourrait effectivement trouver normal de rendre directement responsables les élus intercommunaux devant les électeurs. Pour ma part, je ne suis pas certain, compte tenu des taux d'abstention déjà constatés pour certaines élections, que l'addition d'un nouveau scrutin enthousiasme les électeurs.
Quoi qu'il en soit, le risque de politisation des instances de décision intercommunales est aussi de nature à déplaire - il ne faut pas l'oublier - aux élus qui se sont engagés dans l'intercommunalité avec pour unique souci de développer et de rationaliser des moyens. En conséquence, cette question mérite réflexion et concertation.
Telles sont, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais vous livrer pour nourrir ce débat. Nous sommes tous conscients du fait que la décentralisation a apporté des bienfaits qui nous interdisent de reculer. Aujourd'hui, l'essentiel est de simplifier les structures intercommunales pour promouvoir une meilleure lisibilité. L'essentiel est d'achever les transferts de compétences prévus par les lois Defferre pour garantir une meilleure efficacité. L'essentiel est d'afficher à tous les niveaux un certain volontarisme pour mieux mobiliser les citoyens autour de nos fédérations locales. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la réflexion globale sur la décentralisation qui s'ouvre cet après-midi nous offre la chance de dépasser les textes techniques successifs qui peuvent nous faire perdre de vue l'essentiel.
Qu'est-ce que la décentralisation ? C'est essentiellement, me semble-t-il, la liberté de décision des élus locaux dans le cadre fixé par la loi de la République.
A différentes reprises, on a, à juste titre, au cours de ce débat, évoqué les lois de 1982 et de 1983. Peut-être faudrait-il aussi revenir aux origines de la Ve République et, tout simplement, mes chers collègues, à notre Constitution !
En effet, c'est son article 72 qui prévoit que les collectivités locales « s'administrent librement », et son article 34 qui dispose qu'il revient au législateur de déterminer « les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ».
La décentralisation, c'est assurément - en t (M. Jean Chérioux applaudit.)
Or, nous pouvons le constater aujourd'hui, la décentralisation est menacée.
La décentralisation est menacée par une certaine prolifération administrative que M. Delevoye a utilement évoquée.
La décentralisation est menacée insidieusement ou directement par de nombreux transferts de charges qui amputent pour l'avenir la marge de manoeuvre des collectivités.
La décentralisation est menacée par la démotivation, la lassitude de nombre d'élus locaux, notamment en milieu rural, compte tenu de l'amoncellement et de l'aggravation des risques juridiques.
Enfin, me semble-t-il, la décentralisation est menacée par tout un climat quelque peu délétère qui s'établit et qui se développe autour de nos collectivités locales que l'on accuse volontiers, que ce soient les régions, les départements, les communes, les structures intercommunales, de beaucoup de maux.
Or, mes chers collègues, à connaître la manière dont nombre d'élus locaux s'acquittent de leurs responsabilités, à étudier les règles du jeu réel auquel ils sont confrontés, nous arrivons au contraire à la conclusion que les collectivités territoriales apportent aujourd'hui beaucoup à notre pays. J'en prendrai un simple exemple en matière budgétaire : le solde global de financement des collectivités territoriales est un surplus qui contribue utilement à la position de notre pays en Europe.
Si les collectivités territoriales ne dégageaient pas un excédent significatif, si, par ailleurs, la situation financière des régimes sociaux ne s'était pas bien améliorée au cours des années passées, il est certain que nous ne nous trouverions pas, sur le plan européen et au regard des exigences de la monnaie unique, dans la situation où nous sommes et qui va nous permettre, au 1er janvier 1999, d'entrer sur ce nouveau terrain et de jouer ce nouveau jeu.
Mes chers collègues, les élus locaux, nous le savons bien, ont besoin d'être remotivés ; ils ont besoin d'être placés dans une situation qui leur permette de mieux exercer leurs responsabilités.
Si les élus locaux éprouvent ce besoin, c'est certainement, dans une large mesure, parce que notre pays a besoin, aujourd'hui, de plus de décentralisation, ce pour deux raisons au moins.
En premier lieu, notre tissu social est confronté à beaucoup d'oppositions, de tensions. Or le réducteur de tension par excellence, c'est l'élu local. En effet, c'est d'abord le maire qui a la charge de tout ce qui ne va pas ; il en est comptable, responsable vis-à-vis de la population. J'ai entendu Jean Arthuis souhaiter que le maire soit le vrai ministre de la ville ; je ne fais en quelque sorte que reprendre son propos en demandant plus de décentralisation. Notre pays est confronté à des questions sociales, de sécurité, à un mal-vivre dans nombre d'endroits nécessitant de la part des élus locaux beaucoup de temps et d'énergie, ainsi que la mise en oeuvre de moyens importants.
Notre pays a besoin de plus de décentralisation, car il lui faut être efficace. Il lui faut investir mieux et M. Lambert, président de la commission des finances, a rappelé quels étaient les ordres de grandeur dans ce domaine, ainsi que la place de nos collectivités territoriales en tant qu'investisseurs dans une série de domaines essentiels pour nos concitoyens et l'avenir de notre pays.
Dans ce cadre général de démotivations de bien des acteurs de la décentralisation, dans ce cadre où l'opinion n'apprécie pas toujours, comme il le faudrait, l'énergie déployée par les élus locaux, dans ce cadre trop caractérisé par des structures enchevêtrées, par une lisibilité très insuffisante des systèmes fiscaux, dans ce cadre général, quelles sont les avancées que nous pouvons réaliser ? Quelle est la place de la Haute Assemblée ? Quel rôle le Sénat peut-il se donner ? Quelles fonctions peut-il exercer pour contribuer aux avancées de la décentralisation ?
Mes chers collègues, je pense qu'à cet égard notre responsabilité est grande et que le Sénat peut être l'élément moteur d'une nouvelle avancée de la décentralisation. Il peut en effet jouer ce rôle comme lieu de débats, de débats sans exclusive et sans parti pris, sur la stratégie et les structures des collectivités territoriales.
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C'est bien le Sénat, maison des collectivités locales, qui doit être le lieu essentiel de cette réflexion.
Mais réfléchir pour quoi faire ? Réfléchir pour proposer, pour prendre position. A cet égard, mes chers collègues, je me bornerai à un exemple très actuel, que nous aurons l'occasion d'approfondir lors des débats sur la loi de finances initiale pour 1999. Je veux, bien sûr, faire allusion à la réforme qui nous est proposée en matière de taxe professionnelle.
La taxe professionnelle est un impôt qui a toujours été controversé : bon pour ceux qui le perçoivent, mauvais pour ceux qui le paient. Telle qu'elle est définie dans les mesures annoncées par le Gouvernement, elle peut susciter, à bon droit, nos inquiétudes.
En effet, c'est une grande partie de notre autonomie fiscale qui disparaît. C'est un système d'impôt fictif qui va se mettre en place et dont les anomalies ne feront qu'être plus perceptibles au fil du temps. C'est une nouvelle taxe qui déconnectera, qu'on le veuille ou non, les élus territoriaux du tissu économique. C'est, enfin, une taxe professionnelle qui risque de dépérir.
La réforme qui nous est proposée est assurément insuffisante, car elle devrait conduire à une vision beaucoup plus globale des ressources des collectivités territoriales dans le respect du principe de l'autonomie fiscale. Si j'avais le temps d'évoquer ce sujet de manière plus approfondie - cela viendra dans quelques semaines - je parlerai aussi des aspects relatifs à l'avenir.
En effet, le Gouvernement se place, pour 1999, dans un contexte de croissance de l'économie. Il établit son projet de loi de finances sur des prévisions économiques dont nous espérons tous qu'elles seront réalisées, mais il n'en reste pas moins que, lorsqu'il débat avec les collectivités territoriales, il ne leur promet qu'une toute petite partie de cette croissance et, lorsqu'il met en place les dispositions relatives à la taxe professionnelle, il s'apprête tout simplement à confisquer l'effet croissance.
Messieurs les ministres, je pense que nous pourrons en faire la démonstration lors de la discussion du projet de loi de finances : le système de compensation que vous avez mis au point et que vous nous proposez conduit à raisonner sur un tissu économique figé au 1er janvier 1999.
Vous nous dites que nous connaîtrons 3,8 % de croissance nominale en valeur en 1999 et que l'on peut considérer que les perspectives de l'année 2000 seront également des perspectives de croissance. Or, dans le débat entre l'Etat et les collectivités territoriales, les marges dégagées par la croissance ne me semblent pas être réparties comme il conviendrait entre les collectivités territoriales, qui auraient perçu l'impôt selon sa dynamique économique dans la précédente définition, et l'Etat, qui va se faire l'intermédiaire entre les entreprises et les collectivités bénéficiaires de la compensation et non pas, comme nous le voudrions, comme le Comité des finances locales, sous la présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, le souhaiterait, sous forme d'un véritable dégrèvement maintenant la réalité du lien avec l'évolution de l'entreprise, notamment l'évolution de l'emploi dans l'entreprise.
Mes chers collègues, le débat est très avancé et beaucoup de choses essentielles ont été dites. Sachons être particulièrement attentifs à toutes les idées qui seront utiles pour assurer le devenir de nos collectivités territoriales. Sachons parfaire cette oeuvre de décentralisation. Mais ne nous laissons pas abuser par certains mirages ou certaines réformes en trompe-l'oeil. Gardons notre esprit critique et faisons du Sénat, comme le suggérait M. le président du Sénat récemment, le veilleur de la décentralisation ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à l'origine, la décentralisation, ou plutôt, comme on disait à l'époque, le développement des responsabilités des collectivités locales, avait deux objectifs avoués.
Le premier objectif partait d'un constat lucide : l'Etat s'occupait de trop de choses touchant à la vie quotidienne des citoyens. Il apparaissait évident que cette surcharge d'activités, dont l'Etat ne s'acquittait pas toujours bien, pouvait être beaucoup mieux exercée par les collectivités locales. De plus, cela permettait à l'Etat de se recentrer sur des domaines essentiels pour le développement et pour son autorité régalienne.
Le deuxième ressort de la décentralisation était la satisfaction des revendications croissantes des élus locaux, en particulier des maires des grandes villes, qui supportaient de moins en moins la tutelle préfectorale et ses différentes manifestations.
Au nom de la démocratie locale et du respect du suffrage universel, ils souhaitaient une libre administration de leur collectivité. De là s'est développée l'exigence de la « nouvelle citoyenneté ». C'est l'idée que la décentralisation allait rapprocher le pouvoir du citoyen et, par conséquent, permettre au citoyen de peser sur tout ce qui fait sa vie quotidienne.
Un troisième ressort de la décentralisation relevait peut-être d'un non-dit de la part des pouvoirs publics. Il s'agissait de faire partager la « gestion de la crise » et de ses retombées sociales et financières par les collectivités locales.
Plus de quinze ans après le vote des grandes lois de décentralisation, les lois Defferre, il paraît nécessaire de dresser un premier bilan avant la mise en oeuvre de nouveaux chantiers.
Sur le plan de la proximité et du renforcement de la démocratie représentative ou de la délégation, le pari a été gagné. Les collectivités territoriales, en particulier les communes, au plus près des réalités locales et des citoyens, sont devenues l'épine dorsale de la République.
De même, les pouvoirs de gestion et de libre administration accordés aux élus locaux ont favorisé avec bonheur l'apprentissage des responsabilités et de la gestion efficace. De belles initiatives et de belles réussites sont à mettre au crédit des collectivités territoriales, même si cela peut parfois irriter certaines administrations centrales. Je ne pense pas à vous, messieurs les ministres, je pense plutôt à vos collègues de Bercy.
Néanmoins, le tableau n'est pas aussi positif qu'il y paraît.
Conçue à l'origine comme un instrument de liberté et de démocratie locale, la décentralisation a souligné les inégalités entre les collectivités et a parfois favorisé l'émergence de féodalités locales qui ont occupé la place laissée vacante par l'Etat.
Des régions et, surtout, des départements ont considérablement augmenté leur pouvoir sur les communes de petites tailles en usant et abusant d'un clientélisme prégnant. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Voyez l'Essonne !
Que dire des conséquences de ces moeurs politiques d'un autre âge sur l'utilisation des fonds publics, sur l'aménagement du territoire soumis à des intérêts pas toujours clairement identifiés ?
Le pouvoir qu'exercent parfois les grandes collectivités sur les petites est tel que nombre d'entre elles en appellent aujourd'hui à l'Etat, plus spécialement en la personne du sous-préfet, pour les conseiller et, dans certains cas, pour faire respecter l'égalité entre toutes les collectivités. Je salue donc le rôle du sous-préfet nouveau, corollaire de la décentralisation, qui a compris son rôle de rempart contre l'éventuel arbitraire.
Le développement des inégalités entre les collectivités locales est allé en s'amplifiant à mesure que la crise produisait ses effets, notamment sur les charges financières des communes. Les différents mécanismes de solidarité mis au point par l'Etat pour réduire cette véritable fracture territoriale ont, hélas ! messieurs les ministres, montré leurs limites.
Il nous faut aujourd'hui sortir de ces égoïsmes locaux que la décentralisation a quelquefois exacerbés et repenser la coopération intercommunale. La volonté du Gouvernement de donner à l'intercommunalité un nouveau souffle, dans le respect de l'esprit des lois de décentralisation, me semble une bonne chose.
Encore faudra-t-il convaincre nos concitoyens, et d'abord les élus, que la mise en commun de leurs ressources fiscales et une certaine mixité sociale comportent beaucoup moins d'inconvénients qu'une ségrégation urbaine, mère de toutes les violences.
Enfin, pour conclure, j'aimerais rappeler mon attachement à une décentralisation qui s'appuie sur des collectivités locales et sur le dévouement des élus locaux, dès lors qu'ils pratiquent sur le terrain une démocratie vivante et stimulante, qu'ils interpellent leurs concitoyens, qu'ils sont pétris de l'esprit de la République et, en particulier, disons-le franchement, de vertu.
La décentralisation ne saurait sortir du cadre de l'administration territoriale de la République, pas plus qu'elle ne saurait évoluer vers une république des régions, et encore moins vers une république fédérale. D'où mes plus vives réserves quant à la notion de pays, qui a quelquefois animé les débats dans cet hémicyle et qui n'a aucune existence au niveau administratif, ni aucune légitimité démocratique pour prendre en charge le développement local.
La décentralisation ne doit pas servir d'alibi à ceux qui souhaitent enterrer le modèle républicain au profit des modèles politiques dominants en Europe, la région et le fédéralisme. C'est un débat éminemment politique et idéologique.
Je vous demande, messieurs les ministres, de souffler sur l'esprit de la République ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'ai choisi d'évoquer la décentralisation dans ses relations avec l'aménagement du territoire. Il est en effet, me semble-t-il, peu de pays où la relation entre aménagement du territoire et organisation des pouvoirs est aussi évidente qu'en France.
Il n'en a pas toujours été ainsi, tant il est vrai que la préoccupation de l'aménagement est assez récente - elle date d'une quarantaine d'années - et qu'elle s'est finalement affirmée parallèlement à la prise de conscience de la nécessité d'une déconcentration des lieux de décision et de gestion dans un pays centralisé à l'extrême et même à l'excès. Car - banalité qui a été répétée encore aujourd'hui avant moi - la France est un Etat centralisé.
Même après les grandes lois Defferre, soit plus de quinze ans d'une réforme dont personne ne conteste plus le principe, seule la volonté de l'Etat central peut sans doute impulser une action décentralisatrice plus soutenue, s'il le souhaite et si nous savons l'en convaincre !
En simplifiant, on peut ainsi déterminer deux phases dans l'histoire administrative de la France.
L'une est d'abord politique, elle a consisté en la mise en place d'un système cohérent destiné à servir le seul Etat central ; l'autre, qui s'emboîte dans la précédente, procède de l'acquisition d'une confiance en soi enfin suffisante pour accepter de déléguer une partie de ses pouvoirs gestionnaires à des administrations décentralisées élues et de la prise de conscience du fait que la centralisation administrative dans la capitale avait, au fil du temps, rendu le pays de plus en plus lourd à gérer, mais aussi que cette concentration excessive frisant l'apoplexie était à la fois économique et humaine ; on est d'un côté dans l'administratif, de l'autre côté dans l'aménagement du territoire.
De la première phase multiséculaire viennent les communes puis les départements, les unes et les autres sous tutelle pendant longtemps mais, malgré tout, lieux de démocratie et lieux de formation des élites politiques du pays.
De la deuxième phase, récente, sont nés les départements rénovés, devenus assemblées à part entière, dégagées de la tutelle de l'Etat, s'administrant librement grâce à des moyens importants correspondant aux compétences nouvelles transférées.
De cette deuxième phase datent également les régions, devenues elles aussi des assemblées de plein exercice, ce qu'elles n'étaient pas encore depuis leur création quelque quinze ans auparavant.
Y a-t-il une originalité française dans cet empilement de niveaux de compétence ? Non, il faut le redire : non !
S'il y a une originalité, elle réside ailleurs et, à mon sens, principalement dans trois domaines.
Le premier a trait au nombre très élevé des communes, issues des paroisses, fruits de l'Histoire, nombre élevé qu'il faut mettre en relation avec l'espace et la densité des populations.
Une question se pose : ce nombre est-il trop élevé ?
M. Charles Revet. Très bien !
M. Jean-Claude Peyronnet. Je ne le crois pas. Ces lieux de réelle démocratie sont aussi des zones bien administrées pour un coût extrêmement modique,...
M. Charles Revet. Vous avez raison.
M. Jean-Claude Peyronnet. ... et l'on ne remplacera pas facilement le dévouement des 600 000 élus municipaux.
Le fait que les communes se regroupent pour la gestion de l'eau, des routes, des transports notamment, qu'elles imaginent ensemble des projets économiques, culturels, sportifs doit être encouragé. L'Etat, mais aussi les départements et les régions s'y sont employés dans la période récente.
J'adhère pleinement à ces perspectives et à tout ce qui permettra de favoriser ces coopérations.
De ce point de vue, monsieur le ministre de l'intérieur, ce que vous avez rappelé sur le projet de loi dit « projet de loi Chevènement » me satisfait, notamment ce que vous avez énoncé et qui, pour moi, doit être une condition, à savoir que l'intercommunalité ne doit pas s'opérer sous la contrainte, qu'elle doit être souple et ne doit pas mettre en cause l'intégrité et l'identité communales.
M. Charles Revet. Parfait !
M. Jean-Claude Peyronnet. La deuxième originalité tient à la faiblesse des régions. C'est là encore le fruit de l'Histoire, et non pas du tout le résultat d'un mauvais découpage ou d'un découpage excessif.
Il y a bien longtemps que le grand géographe Pierre George a dit : « La ville fait la région ».
Or, en France - à cet égard je nuancerai le propos de mon ami Pierre Mauroy en précisant qu'il s'agit non pas d'une divergence politique, mais sans doute d'une différence de poste d'observation - le nombre de villes est insuffisant. A toutes les époques - toutes choses étant égales par ailleurs - cette insuffisance a constitué un handicap par rapport à nos voisins européens.
Paris a, d'une certaine façon, « vampirisé » le phénomène urbain et, hors Paris, il n'y a de puissantes villes que des confins ou de la périphérie, en quelque sorte. Dans ces conditions, je ne crois absolument pas que leur simple regroupement suffise à renforcer les régions.
La troisième originalité - et peut-être la plus importante - c'est l'amalgame que l'on doit faire entre l'omnipotence de l'Etat centralisé et le gigantisme de la région parisienne, qui n'a cessé de croître depuis des siècles et qui se perpétue encore, selon l'INSEE : toujours plus de concentration de richesses, toujours plus de concentration des hommes, mais aussi de plus en plus de difficultés, et de plus en plus graves. Etat, régions, départements, structures de coopération, communes : pour ne pas être aussi exceptionnel qu'on le dit souvent, le schéma administratif est assez élaboré !
On est pourtant en passe de mettre en place deux inventions récentes à propos desquelles certains avaient caressé l'idée qu'elles pourraient venir s'intercaler à un endroit ou à un autre ou se substituer à d'autres structures.
J'ai bien noté, monsieur le ministre, que le choix du Gouvernement serait de refuser à ces entités la qualité de structures juridiques nouvelles. Il n'empêche : il convient sûrement d'y regarder de plus près.
Les « pays », tout d'abord.
De quoi s'agit-il ? S'il n'est question que de ce qui existe déjà - c'est-à-dire de ce que les départements et les régions ont mis en place quelquefois depuis vingt ans sous des noms divers : plans d'aménagement, comités de développement, chartes intercommunales - il n'est nul besoin de faire tout ce bruit, ni de faire une nouvelle loi.
Mais s'agit-il vraiment de cela ? Le fait que seuls les pays - à l'exclusion des départements - pourront contractualiser avec l'Etat et les régions - donc, en fait, avec l'Europe puisqu'une part de l'argent de l'Etat vient de l'Europe - est difficilement compréhensible, non seulement sur le principe mais aussi dans les faits : d'une part, les petits pays se bercent d'illusions s'ils croient avoir les capacités techniques et politiques de négocier réellement ; d'autre part, seule une entité territoriale assez vaste - peu importe laquelle - est apte à donner une cohérence aux politiques locales.
Messieurs les ministres, je vous demande d'user de votre influence pour que l'on revienne à la raison et que l'on n'oublie pas que, outre l'aménagement du territoire, il y a l'aménagement des territoires. Or c'est un domaine dans lequel les conseils généraux revendiquent toute leur place aux côtés des régions, au titre des sommes qu'ils y consacrent comme à celui de leur savoir-faire en matière de mise en cohérence des politiques d'aménagement.
Quant aux agglomérations, comment ignorer leur poids, lorsqu'on se plaît à souligner avec raison que 20 % du territoire abritent 80 % de la population ?
En fait, on peut répartir les agglomérations en trois groupes : les petites ou moyennes, qui comptent entre 50 000 et 100 000 ou 150 000 habitants ; les grosses, entre 200 000, 300 000 à 1 million d'habitants ou un peu plus ; et puis, une fois encore, Paris ou plutôt la conurbation parisienne.
Si l'on y regarde de près, ce projet de loi prend acte de l'échec de quarante ans de politique d'aménagement du territoire.
Quels étaient les objectifs de cette politique, dont le discours officiel est resté le même jusqu'à une date très récente ?
Il s'agissait de réduire les coûts en contrecarrant le mouvement naturel de l'économie, qui entraîne de façon mécanique la concentration, et par voie de conséquence, de rééquilibrer l'activité en favorisant l'implantation en province, sinon en milieu rural.
Or, sur ces deux points majeurs, c'est l'échec. Les économistes estiment que, dans une ville de plus de 250 000 habitants, le coût de l'arrivée d'un nouvel habitant s'élève, pour la collectivité, au double de ce qu'il est dans une ville de 10 000 à 50 000 habitants.
La région parisienne, qui continue à s'accroître, est dramatiquement caricaturale de ce point de vue : le coût du kilomètre d'autoroute y est de 400 millions à 700 millions de francs, contre 30 millions à 40 millions en province. Et plus on en construit, plus on attire d'activités et d'habitants.
Je sais bien ce que Paris apporte au pays. Cela dépasse largement sa part de population ! Mais combien cela coûte-t-il en transport, en temps perdu, en mal-être, et je ne parle pas seulement des banlieues !
A regarder ce gâchis humain que nous tolérons, je me dis que la vision linéraire de l'Histoire qui voudrait qu'en Occident, de l'Empire romain au XVIIIe siècle et au-delà, la ville soit source de lumière et de civilisation est en train d'être sévèrement battue en brèche. Sans doute à cause des banlieues, dès maintenant, les inconvénients ne l'emportent-ils pas sur les avantages ? Et ce au moment où, grâce aux nouvelles techniques d'information et de communication, la ruralité peut cesser d'être synonyme d'isolement et de retard intellectuel.
Je ne suis pas un soixante-huitard attardé ni un éleveur de chèvres. Je ne conteste pas du tout le rôle essentiel de la ville dans l'accumulation des richesses. Je plaide seulement pour le développement, à côté des grandes métropoles, de villes moyennes travaillant en réseau, en synergie avec leur plat pays, évitant les graves inconvénients humains de l'excessive concentration.
Bien sûr, je ne crois pas du tout qu'une ou plusieurs lois puissent régler ce problème, qui est avant tout une question de volonté politique. Voilà pourquoi je dis que, dans ce pays, l'aménagement du territoire et la répartition des compétences selon les niveaux d'administration sont intimement liés.
Faut-il donc faire les pays, faut-il légiférer sur les agglomérations ?
Pour les premiers, je doute de leur intérêt réel, encore plus de leur avenir. C'est dire que les créer par la loi est de peu d'importance, mais probablement aussi de peu d'inconvénients.
Pour les secondes, j'acquiesce à leur renforcement si, parallèlement, le pouvoir central se lance avec l'Europe dans une vigoureuse action de rééquilibrage du territoire.
Autant dire que, selon moi, il est peu probable que le paysage institutionnel de la France soit bouleversé à court terme. D'ailleurs, je le crois assez équilibré et, sous réserve de quelques clarifications, notamment dans le domaine de la notion de pilote, les choses ne marchent pas mal.
Les communes doivent garder leur identité et se regrouper volontairement selon les schémas souples. Les départements doivent assurer la cohérence des politiques intradépartementales dans les domaines de compétences qui sont les leurs ou dans les domaines où ils se sont acquis un savoir-faire. Leur crédibilité pour l'avenir passe cependant par un mode de désignation qui prenne mieux en compte la population des villes et par une réorientation de leur politique en direction de la ville.
Les régions ont un rôle important à jouer, en particulier dans les grandes orientations stratégiques d'aménagement, qu'elles soient économiques ou d'équipements structurants, en concertation avec l'Etat et l'Europe certes, mais aussi avec les villes et les conseils généraux, car ces trois niveaux de collectivités doivent d'abord se parler et très bien se comprendre. Je pense en la matière à la fronde des villes à l'égard des départements lorsque, n'ayant aucunement participé à la définition des politiques en matière d'action sociale, il leur est simplement demandé de payer leur part au travers du contingent d'aide sociale.
Reste le rôle de l'Etat, qui doit, dans notre pays, dont on connaît l'histoire, garder un rôle majeur et pour longtemps dans l'aménagement du territoire, qui doit être relancé, comme dans la renaissance de la politique de décentralisation. En effet, comme l'écrit un bon auteur, ce que la centralisation a fait, elle seule peut le défaire. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Hoeffel. M. Daniel Hoeffel. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'heure est aux messages brefs.
A quatre reprises, depuis l'entrée en vigueur de la décentralisation, le Sénat a, au travers de missions d'information, mis l'accent sur les difficultés de sa mise en oeuvre, tout en marquant toujours son attachement profond à l'idée de décentralisation. Dans son rapport, la première mission d'information, dont l'un des principaux responsables était le président Christian Poncelet, mettait ainsi en garde, dès 1983 : « Nous courons le risque d'un rejet de l'idée même de décentralisation, les élus locaux ayant le sentiment d'être les jouets d'une décentralisation de l'impopularité politique et fiscale, et les citoyens ressentant annuellement le coût financier de la réforme. C'est ce dévoiement de l'idée de la décentralisation qu'il faut éviter. »
Evité, ce dévoiement l'a été, je crois, en partie, mais quelques doutes subsistent et l'on peut parfois se demander si le Sénat n'a pas prêché dans le désert.
En effet, la décentralisation fait l'objet d'un certain nombre de menaces, qui transcendent les alternances politiques. D'ailleurs, le retour de la décentralisation n'est pas, au premier chef, le fait des politiques.
Ces menaces sont d'abord d'ordre politique. Lorsqu'on lit, sous une plume autorisée : « la décentralisation, qui est une bonne chose, est une cause majeure de corruption »,...
M. Charles Revet. C'est scandaleux !
M. Daniel Hoeffel. ... on ne peut manquer d'être surpris.
Certains essaient de jeter le discrédit sur la décentralisation, alors qu'elle est incontestablement, malgré les difficultés conjoncturelles, économiques et sociales, une réussite, n'ayons pas peur de le dire haut et fort !
Les menaces sont également d'ordre financier. Tout a été dit sur l'insuffisante compensation des compétences transférées, sur l'émergence de nouvelles contraintes, sur les appels incessants de l'Etat - à travers le partenariat, avec les vertus et les risques qu'il comporte - aux collectivités locales afin qu'elles l'aident à assumer ses propres compétences.
Et comment ne pas mentionner ici les atteintes à la libre administration des collectivités locales ?
J'ai été très attentif, monsieur le ministre, aux propos que vous avez tenus tout à l'heure au sujet de la réforme de la taxe professionnelle. Cette menace de renationalisation des impôts locaux laisse planer un doute, malgré votre volonté de le dissiper.
Pourtant, la décentralisation va dans le sens de l'histoire ! Nous touchons là l'éternelle question de la France comparée à ses voisins. L'exception française doit-elle être éternelle sur le plan de la décentralisation ? L'exception française est-elle vraiment nécessaire ?
Je crois que nous sommes en retard par rapport à nos voisins, bien que nos structures étatiques ne soient pas comparables.
Tous nos voisins accentuent le mouvement en direction de la décentralisation et de la régionalisation. Tous estiment - et vous en êtes vous-mêmes convaincus, messieurs les ministres - que beaucoup de compétences sont mieux exercées dès lors qu'elles le sont au plus près de là où les problèmes se posent. Tous estiment que c'est la décentralisation qui permet à l'Etat de mieux assumer ses compétences régaliennes, de leur consacrer les moyens adéquats et d'être ainsi plus efficace.
Décentralisation et efficacité de l'Etat sont non pas antinomiques mais parfaitement complémentaires.
J'énoncerai rapidement six facteurs d'un progrès dans ce sens.
Premièrement, je pense qu'il faut aller vers de nouveaux transferts de compétences. Par exemple, la construction et l'entretien des bâtiments universitaires pourraient parfaitement être transférés à la région.
Deuxièmement, les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales doivent être mieux clarifiées, à travers le pacte de stabilité des ressources et des charges.
Troisièmement, il convient de conforter la fonction publique territoriale. Messieurs les ministres, nous avons eu l'occasion d'évoquer ce problème vendredi dernier, au congrès national des centres de gestion. La fonction publique territoriale ne doit pas être une fonction publique de seconde zone. Il doit y avoir davantage de mobilité véritable entre fonction publique d'Etat et fonction publique territoriale.
M. Pierre Mauroy. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. C'est un élément d'efficacité dans la mise en oeuvre de la décentralisation.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Quatrièmement, une adaptation de nos structures territoriales est nécessaire. Pour ma part, j'estime que nos structures sont trop nombreuses et trop complexes. Non seulement nos concitoyens mais même les élus locaux n'y voient pas toujours clair, et on les comprend !
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel. Pourquoi ne pas accepter l'expérimentation de certaines simplifications dans tel ou tel secteur géographique ? J'ai risqué une proposition dans ma propre région : ce n'est certes pas l'idée qui m'a conféré le plus de popularité (Sourires), mais j'ai tendance à persévérer, car je crois que l'expérimentation permet de tirer un certain nombre d'enseignements avant de généraliser une réforme.
Cinquièmement, la déconcentration, véritable corollaire de la décentralisation, doit être accentuée dans les faits, en évitant - combien d'exemples n'a-t-on pas cités ! - les doubles emplois - le président Arthuis l'a rappelé - et les structures inutiles, qui n'existent que parce qu'elles existaient dans le passé et qui ont beaucoup de mal à mourir alors que rien ne justifie plus leur existence.
Enfin, sixièmement, il faut une politique d'aménagement du territoire davantage imprégnée de l'esprit de décentralisation. Nous aurons à cet égard un débat particulièrement intéressant et, je l'espère, utile, au printemps prochain.
Vous me permettrez simplement de regretter que la loi d'aménagement du territoire de février 1995 soit laissée dans une sorte de léthargie et qu'on n'ait pas manifesté plus de vigueur à la mettre en oeuvre, quand les besoins de notre pays en ce domaine sont immenses.
Je terminerai en disant que l'Etat central omnipotent n'est plus en mesure de réduire les fractures de toute nature qui affligent notre pays et que celui-ci ne peut pas se permettre d'être allergique au mouvement de décentralisation qui est la règle en Europe.
Je voudrais, en guise de conclusion, rendre hommage à ceux qui ont eu à coeur de lancer la décentralisation dans les faits et à tous les élus locaux, à quelque échelon qu'ils se trouvent, qui, dans la pratique quotidienne, avec beaucoup de courage et d'abnégation, ont mis en oeuvre les lois de décentralisation.
Puisse le Sénat, restant fidèle à sa vocation et demeurant un aiguillon, faire en sorte que, demain, la décentralisation franchisse de nouvelles étapes pour permettre à notre pays de tenir son rang en Europe. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.)

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