Séance du 12 novembre 1998






ACCORD AVEC L'ALGÉRIE
SUR L'ENCOURAGEMENT ET LA PROTECTION
RÉCIPROQUES DES INVESTISSEMENTS

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 395, 1996-1997) autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un échange de lettres interprétatif). [Rapport n° 14 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, l'accord d'encouragement et de protection réciproques des investissements signé le 13 février 1993 entre la France et l'Algérie a pour objet d'établir un cadre juridique sûr, qui permette de favoriser l'activité de nos entreprises dans ce pays.
Cet accord contient les grands principes qui figurent habituellement dans les accords de ce type et qui constituent la base de la protection des investissements, telle que la conçoivent aujourd'hui les pays de l'OCDE.
Ces grands principes - je me permets ici de les rappeler - sont les suivants : tout d'abord, l'octroi aux investisseurs d'un traitement juste et équitable, conforme au droit international et au moins égal au traitement accordé aux nationaux ou à celui de la nation la plus favorisée, à l'exclusion des avantages consentis à un Etat tiers en raison de l'appartenance à une organisation économique régionale ; par ailleurs, une garantie de libre transfert des revenus et du produit de la liquidation des investissements ainsi que d'une partie des rémunérations des nationaux de l'une des parties contractantes ; ensuite, le versement, en cas de dépossession, d'une indemnisation prompte et adéquate, dont les modalités de calcul sont précisées dans l'accord ; en outre, la faculté de recourir à une procédure d'arbitrage international en cas de différend entre l'investisseur et le pays d'accueil.
Enfin, grâce à cet accord, le Gouvernement français pourra accorder sa garantie aux investissements que réaliseront à l'avenir nos entreprises dans ce pays, conformément aux dispositions de la loi de finances rectificative pour 1971, qui subordonne l'octroi de cette garantie à l'existence d'un tel accord.
Comme vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, l'essentiel des principes auxquels nous sommes attachés et qui fondent la protection des investissements est repris dans le texte que nous avons signé avec l'Algérie. Cet accord s'inscrit dans un processus global destiné à offrir la plus grande sécurité possible à nos investisseurs. Cette démarche, suivie avec constance, a permis de passer des accords de ce type avec plus de cinquante pays.
Je crois également utile de souligner l'intérêt que présente cet accord dans nos rapports avec l'Algérie.
Les autorités algériennes ont annoncé et engagé un programme de réformes structurelles important en vue d'une solution durable de la crise que traverse leur pays. La ratification par l'Algérie, en 1994, de l'accord de protection des investissements soumis à votre approbation s'inscrit dans cette perspective.
Comme l'a souligné la mission d'information des Nations unies qui s'est rendue en Algérie du 22 juillet au 4 août dernier, la poursuite des réformes économiques apparaît essentielle pour résoudre les difficultés économiques et sociales auxquelles est confrontée l'Algérie. Avec ses principaux partenaires de la communauté internationale, notamment les pays membres de l'Union européenne, le Gouvernement français souhaite, sans volonté d'ingérence, encourager l'ouverture et la modernisation de l'économie algérienne. En favorisant le développement de l'investissement étranger et du partenariat économique avec l'Algérie, cet accord de protection des investissements peut y contribuer.
L'ouverture actuelle de l'économie algérienne et les appels des autorités algériennes au renforcement du partenariat économique avec l'étranger accentuent, par ailleurs, la concurrence internationale en Algérie. De nombreux investisseurs étrangers, en particulier nos partenaires européens et américains, sont déjà implantés dans ce pays et s'y développent, parfois de façon plus significative que nos propres opérateurs.
Bref, cet accord aidera les entreprises françaises à renforcer leur présence en Algérie et à prendre part au processus en cours de modernisation de l'économie algérienne.
Son entrée en vigueur devrait favoriser le développement des rapports bilatéraux franco-algériens dans le domaine économique et rappeler la disposition de la France à contribuer à l'entreprise de réforme et de modernisation que souhaite mener l'Algérie.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu'appelle l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements, qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbation.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Claude Estier, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 13 février 1993, la France a signé avec l'Algérie un accord, dont le Sénat connaît désormais bien le dispositif-type, sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements. Ratifié depuis 1994 par le partenaire algérien, il ne l'était pas encore par la France.
Les incertitudes sur la situation politique algérienne ne sont pas levées, loin s'en faut, alors que les attentats terroristes continuent de meurtrir la population. Mais il convient aussi de prendre acte des évolutions positives intervenues dans le pays depuis quatre années : la mise en place progressive des institutions d'une démocratie pluraliste, le lancement de réformes économiques profondes, l'ouverture, enfin, à des instances internationales, soucieuses de lever quelques douloureuses ambiguïtés liées notamment aux droits de l'homme ou à l'efficacité des moyens mis en oeuvre pour lutter contre la guérilla terroriste. Malheureusement, le conflit qui a opposé, ces dernières semaines, le pouvoir à des journaux indépendants est venu alourdir l'atmosphère et accréditer, décidément, l'idée d'une démocratisation encore fragile.
S'il est donc impossible de ne pas évoquer la toile de fond politique qui entoure l'examen du présent accord, celui-ci, il faut le rappeler, n'a qu'une ambition économique. Il convient donc d'avoir à l'esprit l'importance, pour l'Algérie comme pour la France, de la poursuite et de la relance des échanges économiques et commerciaux bilatéraux.
La situation complexe de l'Algérie d'aujourd'hui est en grande partie liée à une situation économique et sociale très difficile, héritière d'un système obsolète et en voie de transformation radicale.
La France se doit, comme ses partenaires européens, de contribuer à ce que cette transition économique se réalise promptement et dans des conditions propices à l'emploi d'une population active très nombreuse et très jeune. A défaut, les extrémistes de tous bords continueraient de trouver dans une jeunesse désoeuvrée et découragée un vivier trop aisément disponible pour entretenir la violence et l'insécurité.
L'Algérie est aujourd'hui dotée d'un cadre institutionnel rénové. Mon rapport écrit rappelle les différentes étapes qui, en trois ans, ont permis de donner à ce pays des instances nationales et locales nouvelles, après des élections dont la régularité, pour certaines d'entre elles, a néanmoins pu être discutée.
Je crois utile d'évoquer également, parmi les législations nouvelles, les difficultés et les malentendus consécutifs à l'adoption de la loi sur l'arabisation.
Désormais, en vertu de cette loi, les administrations, les entreprises et les associations devront, sous peine d'amende, rédiger leurs actes uniquement en arabe. Par ailleurs, obligation est faite de doubler ou de traduire en arabe les films et émissions télévisées en langue étrangère. De même est décidée l'arabisation complète des panneaux publicitaires, enseignes et slogans. La loi ne remet cependant pas en cause l'usage courant des deux langues qui, aux côtés de l'arabe littéraire et dialectal, sont parlées par des millions de personnes : le français et le berbère.
Les implications profondes de cette loi ne sont pas seulement linguistiques, elles correspondent également à des clivages politiques. Cette loi a été perçue, en Algérie même, comme un élément de division supplémentaire.
L'Algérie est, par ailleurs, à nouveau confrontée à de nouvelles échéances politiques. La démission du président Zeroual, annoncée par ce dernier le 11 septembre - conséquence, semble-t-il, d'une perpétuelle lutte de clans au sein même du pouvoir militaire - ouvre à nouveau, jusqu'au mois d'avril 1999, une période de grande incertitude, alors que le peuple algérien demeure préoccupé par le terrorisme persistant et les graves difficultés de la vie quotidienne.
Depuis 1992, les actions des groupes terroristes et les ripostes des forces de sécurité auraient, globalement, selon certaines estimations, occasionné la mort de quelque 60 000 personnes. La stratégie antiterroriste des responsables algériens, dont les résultats concrets ne sont pas toujours évidents, fait l'objet de critiques, en particulier de la communauté internationale. C'est ainsi que le comité des droits de l'homme de l'ONU a sévèrement mis en garde le gouvernement algérien sur le comportement des forces de sécurité dans certains cas de massacres.
De la même façon, parallèlement à une condamnation catégorique du terrorisme sous toutes ses formes, le rapport de la mission d'information mandatée par le secrétaire général de l'ONU et dirigée par l'ancien président portugais Mario Suarès, a néanmoins estimé que les forces de police « devraient être tenues d'observer les règles les plus strictes de la légalité ».
Sur le plan économique, mon rapport écrit précise les actions initiées par les responsables algériens, qui ont, malgré les difficultés, permis le rétablissement des grands équilibres sans effacer des fragilités structurelles comme la persistance de la dépendance extrême de l'économie algérienne du secteur des hydrocarbures, qui constitue 95 % de ses recettes d'exportations. La chute actuelle du prix du baril oblige d'ailleurs le gouvernement algérien à revoir son projet de budget pour 1999.
Il faut rappeler que, avec 23 % de parts de marché, la France demeure le premier fournisseur de l'Algérie et n'est que son troisième client, derrière l'Italie et les Etats-Unis. Avec un stock évalué, en 1994 - dernier chiffre connu - à 5 milliards de francs, notre pays est aussi le premier investisseur étranger en Algérie.
On notera que, pour la première fois depuis 1992, une délégation de ce qui était à l'époque le CNPF, le Conseil national du patronat français, et qui est devenu le MEDEF, le Mouvement des entreprises de France, s'est rendue au printemps dernier dans le pays pour y plaider la nécessaire implication d'investisseurs français et pour exprimer sa confiance dans l'avenir de l'économie algérienne et la nécessité de préparer, si l'on ose dire, « l'après-guerre » dans ce pays. On sait aussi combien nos petites et moyennes entreprises sont impliquées dans le commerce avec l'Algérie.
Pour autant, la situation actuelle n'est pas sans nuages. Nos partenaires algériens reprochent à notre pays d'alourdir - via un classement COFACE du « risque Algérie » dans la catégorie la plus élevée - le coût des importations algériennes. Il n'est pas non plus étonnant que, pour notre part, nous attendions de nos partenaires algériens des engagements commerciaux qui seraient autant de signaux positifs à notre endroit. Ainsi, le choix, par Air Algérie, de Boeing de préférence à Airbus pour le renouvellement de sa flotte nous a légitimement déçus.
Je crois superflu de rappeler à notre Haute Assemblée les dispositions tout à fait habituelles de ce type d'accord garantissant les investissements réciproques. Elles figurent dans mon rapport écrit et vous venez de les rappeler excellemment, monsieur le ministre.
Mes chers collègues, la persistance de l'insécurité, l'ouverture d'une nouvelle ère d'incertitudes politiques, les obstacles dressés en ce moment à la liberté de la presse tout comme l'apparente difficulté pour l'Algérie à construire avec notre pays une relation politique bilatérale dépourvue d'arrière-pensées, voilà autant de données qui ne peuvent être ignorées par ceux qui oeuvrent - comme c'est mon cas depuis fort longtemps - pour l'instauration d'un dialogue confiant et ouvert entre nos deux pays. Cela étant, le présent accord est une étape qui témoigne d'une volonté de contribuer au développement d'une relation et d'une coopération économiques bilatérales durables.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter, comme l'a fait la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, le présent projet de loi autorisant l'approbation d'un accord qui, par-delà son dispositif incitatif, est un signal de confiance adressé à nos partenaires.
M. le président. La parole est à Mme Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront ce projet de loi de ratification d'une convention sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements entre la France et l'Algérie.
Sans revenir sur l'ensemble de la question, puisque M. Claude Estier, rapporteur de ce texte, a dressé un tableau complet et érudit de la situation algérienne, je préciserai en quelques mots l'attitude de notre groupe vis-à-vis de la nécessité cruciale pour l'Algérie et son peuple de développer de manière importante la coopération entre nos deux pays, qui sont liés par des liens si forts.
Comme chacun ici, nous souhaitons que l'Algérie trouve la voie de l'apaisement, afin de sortir de ce cycle terrible affrontement-répression qui fait des dizaines et des dizaines de milliers de victimes.
La solidarité des sénateurs de notre groupe avec l'Algérie est profonde. Enfin, nous l'espérons, l'intégrisme, le terrorisme - d'une violence aux limites sans cesse dépassées - vont être vaincus.
Le rejet de l'intégrisme, de l'intolérance, passe sans nul doute par une amélioration décisive de la situation économique et sociale du pays et par un fonctionnement démocratique des institutions. Le développement de la coopération est donc indispensable.
La question centrale sur laquelle il nous appartient de nous pencher, en France et en Europe, se pose en ces termes : que pouvons-nous faire pour aider l'Algérie, dans le respect de sa souveraineté, à se frayer un chemin vers une perspective positive ?
Ce sera le moyen essentiel d'attaquer le mal à la racine. Ce mal, c'est celui du chômage massif, de la misère. Ce mal, c'est celui qui laisse une jeunesse dans l'expectative, dans l'inquiétude face à l'avenir.
Le chômage touche plus de 28 % de la population active, dont 80 % des moins de trente ans ; les salaires ont baissé de 35 % entre 1993 et 1996.
C'est cette situation qui fait dire au secrétaire général de l'UGTA que son pays connaît « une dégradation sociale effarante ».
Le plan drastique du FMI et la chute du cours du pétrole n'éclaircissent pas vraiment l'horizon pour le peuple algérien. L'industrie, frappée de plein fouet par la crise actuelle, a supprimé depuis 1994 près de 300 000 emplois salariés.
Face à cette évolution, il faut, selon nous, permettre à l'Algérie de retrouver le chemin d'un développement global, nationalement maîtrisé.
Au-delà de cette convention, qui, malgré son fort caractère libéral, marque l'enclenchement d'un processus que nous approuvons, nous proposons d'entamer une négociation qui porterait sur l'allégement de la dette et sur l'assistance technique pour moderniser et compléter les infrastructures.
Le rôle des entreprises publiques françaises pourrait être majeur en la matière : nous avançons ainsi l'idée d'une association des entreprises françaises et algériennes. La coopération doit faire de l'aide à la formation un axe essentiel. Pourquoi ne pas s'appuyer sur les jeunes bilingues, sur les jeunes diplômés français, qui pourraient être ainsi les artisans d'une telle coopération ?
Nous estimons que, dans l'immédiat, une coopération humaine doit être mise en place sans plus tarder.
L'octroi des visas doit être également facilité pour éviter aux ressortissants algériens d'innombrables tracasseries. Dans le même esprit, les consulats doivent être rouverts.
Développer cette coopération humaine nécessite de rouvrir les lignes d'Air France, dans le respect, bien entendu, des garanties de sécurité.
La coopération peut également porter sur une question cruciale pour l'Algérie, qui souffre d'un déficit de 1,5 million de logements sociaux : la construction massive de tels logements.
La coopération industrielle - je rappelle à cette occasion le rôle de la COFACE, qui doit sortir l'Algérie de sa liste noire - doit non pas se limiter à la création d'une zone de libre échange entre l'Algérie et l'Union européenne, mais s'inscrire dans un véritable partenariat économique et commercial respectant, dans une stricte équité, les intérêts de chacun.
Voilà donc exposées brièvement les pistes que je tenais à tracer devant vous pour permettre de donner à la coopération entre la France et l'Algérie, entre l'Union européenne et l'Algérie, un contenu réel de réciprocité, une perspective d'épanouissement pour un pays et un peuple qui ont tant souffert, qui souffrent tant encore et avec lequel nous avons tant de liens.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un échange de lettres interprétatif), signé à Alger le 13 février 1993, et dont le texte est annexé à la présente loi. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

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