Séance du 16 novembre 1998







M. le président. Par amendement n° 49, MM. Arthuis, Lorrain et les membres du groupe de l'Union centriste proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Tout salarié lié par un contrat de travail de droit privé et établi en France ou hors de France peut souscrire dans le cadre de son entreprise ou directement auprès d'un établissement financier un plan d'épargne retraite qui ouvre droit au paiement d'une rente viagère à compter de la date de cessation d'activité, rente soumise au droit commun des pensions.
« A cette date, les adhérents ont également la possibilité d'opter pour un versement unique qui ne peut excéder 20 % de la prévision mathématique représentative des droits de l'adhérent, sans que le montant de ce versement puisse excéder 75 % du plafond annuel de la sécurité sociale.
« La souscription aux plans d'épargne retraite peut s'effectuer en vertu d'un accord collectif d'entreprise, d'un accord de branche professionnel ou interprofessionnel conclu à un échelon national, régional ou départemental.
« Un groupement visé à l'article 41 de la loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle peut également souscrire des plans d'épargne retraite dans les conditions fixées par le présent article, afin de les proposer à l'adhésion de ses membres.
« Les employeurs peuvent abonder les plans d'épargne de leurs propres salariés dans la limite de 30 % du plafond annuel de la sécurité sociale. L'abondement est déductible du bénéfice imposable et il est exonéré de cotisations sociales dans la limite de 85 % du même plafond. Il ne peut excéder le quadruple des versements des salariés.
« Les versements du souscripteur sont déductibles du revenu imposable dans la limite du plafond annuel de la sécurité sociale.
« Les versements de l'adhérent et l'abondement de l'employeur sont facultatifs. Ils peuvent être suspendus ou repris sans pénalité dans des conditions fixées soit par les accords collectifs, s'ils existent, soit, à défaut, par décret.
« Pour la gestion des plans d'épargne et afin d'assurer la couverture des engagements, des fonds d'épargne sont créés sous la forme d'une société anonyme d'assurance, d'une société d'assurance mutuelle, d'une institution de prévoyance régie par le titre III du livre IX du code de la sécurité sociale, ou d'un organisme mutualiste du code de la mutualité.
« Les adhérents et les employeurs sont représentés au sein du conseil d'administration des fonds d'épargne. La présidence du conseil d'administration des fonds d'épargne est assurée alternativement par un représentant des adhérents et par un représentant des employeurs pour une période d'un an.
« La commission des opérations de bourse, la commission bancaire, la commission de contrôle des assurances et la commission de contrôle mentionnée à l'article L. 95-1 du code de la sécurité sociale assurent le contrôle des fonds d'épargne et veillent au respect des règles prudentielles.
« II. - La perte des recettes pour l'Etat est compensée à due concurrence par le relèvement des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et pour les régimes de sécurité sociale par la création de taxes additionnelles sur les droits prévus aux articles 403 et 403 A du CGI. »
La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Comme il n'est jamais trop tard, surtout en période automnale, pour creuser des sillons, je continue, dans le prolongement de mon intervention précédente, à dire que, parmi les pays industrialisés, seule la France ne dispose pas, à ce jour, d'un système de supplément de retraite par capitalisation, si ce n'est sous forme fragmentaire.
Le présent amendement tend à consolider les régimes par répartition, qui font partie de notre pacte social, en les complétant par un système facultatif de retraite supplémentaire constituée sur la base d'une épargne volontaire, tout en renforçant le potentiel de croissance de l'économie.
Le nouveau plan d'épargne retraite, PER, aurait trois spécificités fondamentales.
D'abord, un supplément de retraite pour tous, étant entendu que les compléments de retraite existent déjà au profit de certaines catégories de Français, notamment les fonctionnaires, avec la PREFON et les exploitants agricoles, avec le COREVA.
Il est proposé d'ouvrir l'accès des plans d'épargne retraite à l'ensemble des salariés établis en France et hors de France, ainsi qu'aux non-salariés à travers les groupements constitués par la loi Madelin.
L'adhésion au PER pourrait donc être collective, à travers un contrat de groupe, ou individuelle, auprès d'un établissement financier.
Les abondements effectués par l'employeur, dans le premier cas, seraient exonérés de cotisations sociales dans certaines limites et déductibles des bénéfices imposables. En revanche, ils devraient être assujettis à la CGS et à la CRDS au premier franc.
Quant aux versements de l'ensemble des adhérents, ils seraient déductibles du revenu imposable.
Deuxième spécificité : assurer la sécurité des bénéficiaires. S'agissant d'un placement inscrit, par définition, sur le long terme, il est fondamental que les salariés et les employeurs disposent de garanties particulières. Il s'agit, notamment, de l'application des dispositions prudentielles du code des assurances et du contrôle des fonds de retraite par les organismes compétents en matière bancaire et d'assurance.
Enfin, troisième spécificité : contribuer directement au financement de l'économie.
Les systèmes par répartition n'exercent aucun effet favorable sur l'investissement et sur le renforcement des fonds propres des entreprises puisqu'ils n'exigent aucune épargne préalable.
Come le démontrent les expériences étrangères, l'épargne retraite aurait, au contraire, tendance à se porter prioritairement vers les placements en actions.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Charles Descours, rapporteur. Cet amendement reprend les principaux éléments de la loi du 25 mars 1997 créant les plans d'épargne retraite, dite « loi Thomas ». Il apporte cependant une modification importante au dispositif de cette loi en ouvrant les plans d'épargne retraite à l'ensemble des salariés ainsi qu'aux non-salariés, à travers les groupements constitués par la loi Madelin.
Cet amendement soulève de manière très opportune la question du devenir de la loi Thomas, qui avait déjà été évoqué lors de la discussion à l'Assemblée nationale.
Chacun sait que le Gouvernement s'est refusé à faire paraître les décrets d'application nécessaires à l'entrée en vigueur effective de cette loi. Il a même annoncé, pour faire plaisir à l'aile gauche de sa majorité, à l'Assemblée nationale, à l'occasion du débat sur le présent projet de loi, l'abrogation prochaine de la loi.
Mais, parallèlement, le Gouvernement, uni, a également fait savoir qu'il déposerait en 1999 un projet de loi instituant un nouveau dispositif d'épargne retraite par capitalisation qui semble s'apparenter fortement aux fonds de pension que l'actuelle majorité refusait il y a peu, au vocabulaire près.
Le Gouvernement reconnaît, enfin, aujourd'hui la nécessité d'un complément de retraite par capitalisation, sous la forme de fonds d'épargne retraite. Nous ne pouvons que nous en féliciter, sauf à déplorer que deux années aient d'ores et déjà été perdues. En effet, chacun le sait, la capitalisation exige du temps.
Cet amendement rappelle donc de manière très pertinente qu'existent déjà, grâce à la loi Thomas, les bases législatives d'un dispositif d'épargne retraite susceptible d'apporter une réponse cohérente et crédible aux déséquilibres futurs de nos régimes de retraite.
Si certaines dispositions de la loi Thomas méritaient d'être améliorées, il était possible d'amender la loi, à l'instar de la démarche proposée par cet amendement.
Sur le fond, la commission ne peut donc qu'être très favorable à l'esprit de cet amendement.
Cet amendement soulève cependant deux problèmes de forme.
D'une part, il est incompatible avec le dispositif instauré par la loi Thomas. En effet, même si le Gouvernement en a manifesté l'intention, cette loi n'est pas abolie. Elle existe, et on ne peut donc la réintroduire par le biais d'un amendement.
D'autre part, aux yeux du rapporteur, cet amendement n'a pas sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale dans la mesure où il n'affecte pas l'équilibre des comptes de la sécurité sociale.
Je demande donc aux auteurs de cet amendement, tout en approuvant l'esprit qui les anime, de bien vouloir le retirer, quitte à le présenter à nouveau lorsque nous sera soumis le projet de loi destiné à financer le dispositif d'épargne retraite annoncé à l'Assemblée nationale par M. le ministre de l'économie et des finances.
M. le président. Monsieur Jean-Louis Lorrain, l'amendement est-il maintenu ?
M. Jean-Louis Lorrain. Je n'ai pas beaucoup de chance... Et je n'ai pas un tempérament agressif. Mais, déjà, Mme la ministre ne m'a pas répondu ni même cité dans sa réponse aux orateurs qui sont intervenus sur l'article 2.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vais vous répondre !
M. Jean-Louis Lorrain. Peut-être est-elle d'accord avec moi. Ou peut-être est-ce justement en raison de mon manque d'agressivité...
Notre approche nous paraît cependant très importante.
Je vais dans le sens de M. Descours : le dispositif que nous proposons n'a pas d'effet sur l'équilibre des comptes de la sécurité sociale.
Notre groupe est prêt, si le Gouvernement tarde trop, à déposer une proposition de loi reprenant le dispositif que nous préconisons, qui est très différent de celui de la loi Thomas. Je suis d'ailleurs prêt à accepter l'abrogation de cette dernière : la majorité a changé, je respecte la souveraineté du législateur.
En revanche, ce que je comprends moins bien, c'est que, pour ne pas appliquer cette loi, en attendant son abrogation, le Gouvernement ne publie pas les décrets. Cette façon de faire n'est d'ailleurs pas propre à ce gouvernement, d'autres l'ont fait avant lui. Pour le législateur, cette méthode est insupportable.
J'en reviens à l'amendement. J'insiste sur le bien-fondé de nos propositions, qui préconisent une approche collective, englobant aussi les non-salariés.
Cela étant dit, monsieur le président, je retire l'amendement n° 49.
M. le président. L'amendement n° 49 est retiré.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je ne voudrais surtout pas laisser croire à M. Lorrain que je boycotte ses interventions. Je ne l'avais effectivement pas cité, tout en essayant de répondre à son interrogation tout à l'heure. Alors, même s'il a retiré son amendement, je ferai quelques commentaires sur ses propositions, en précisant par là même la position du Gouvernement.
Vous avez raison, monsieur le sénateur, lorsqu'on n'est pas d'accord avec un texte, mieux vaut l'abroger plutôt que, comme vous le dites, ne pas sortir les décrets. C'est la raison pour laquelle nous avons annoncé l'abrogation de la loi Thomas.
En effet, si nous croyons nécessaire une épargne-retraite à long terme, nous considérons qu'elle ne peut être qu'un complément et non pas un dispositif concurrent du régime de retraite par répartition. Or le risque, avec la loi Thomas, est que le système de retraite par capitalisation ne remplace à terme le régime par répartition.
C'est pourquoi le Gouvernement souhaite d'abord conforter le régime de retraite par répartition, avant de mettre en place un système d'épargne ouvert à tous à long terme.
Sur ce terrain, le texte que vous aviez déposé avec M. Arthuis constituait, certes, une amélioration par rapport à la loi Thomas puisqu'il était très clairement indiqué que le chef d'entreprise ne pouvait plus mettre en place unilatéralement les fonds de pension.
Il subsistait cependant, à mon avis, un certain nombre de difficultés.
Vous savez que les plans d'épargne-retraite sur lesquels nous sommes en train de travailler s'inspirent de trois principes.
Premièrement, ces plans devraient s'effectuer dans un cadre collectif et être rendus réellement accessibles à l'ensemble des salariés et non pas uniquement à ceux qui en ont les moyens.
Deuxièmement, les avantages dont ils bénéficieraient devraient profiter aussi à l'ensemble des salariés sans fragiliser les comptes de la sécurité sociale. Or nous savons qu'avec un système réservé aux cadres nous courrions le risque d'un transfert d'une partie des salaires vers ces fonds de retraite et, donc, d'une ponction sur la sécurité sociale.
Troisièmement, nous pensons que, comme je l'ai déjà dit, les partenaires sociaux devront être étroitement associés à la mise en oeuvre et à la gestion de ces fonds.
Tous ces points ne sont pas traités - et je le comprends - dans un amendement qui ne saurait constituer à lui tout seul un projet de loi.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le sénateur, votre proposition, qui constituait, j'en conviens, une avancée par rapport à la loi Thomas, ne va cependant pas assez loin. Mieux vaut abroger un texte qui ne va pas dans le sens que nous souhaitons et, comme vous l'avez dit, élaborer un nouveau texte qui ne générera en aucun cas un système de substitution, mais constituera le troisième étage de notre système de retraite.

Article 2 bis