Séance du 19 novembre 1998






LOI DE FINANCES POUR 1999

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 1999, adopté par l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je serais tenté d'ajouter une petite dose d'humour à celui qui a régné en fin d'après-midi dans cet hémicycle, en disant que je suis navré de ne m'adresser qu'au secrétaire d'Etat au budget, non soutenu dans son effort par le ministre de l'économie. Ne nous a-t-on pas expliqué que le budget était au service de l'économie ? Je sais bien que le Gouvernement est un, mais je suis tout de même navré, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous n'ayez pas, en cet instant, l'appui du ministre de l'économie.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je ferai face !
M. Paul Girod. Je n'en doute pas une seconde ! Il reste que j'aurais été content qu'il puisse écouter aussi mes arguments.
Monsieur le secrétaire d'Etat, voilà un projet de budget où 68 milliards de francs de dépenses de fonctionnement sont couvertes par l'endettement. C'est un fait sur lequel on peut réfléchir, gloser, dont on peut s'indigner ou simplement s'inquiéter. Je suis plûtôt dans le camp des inquiets. Ce gouvernement n'est, certes, pas le premier à procéder ainsi, je vous en donne acte, mais il est le premier à le faire dans une période où la croissance revient. Si j'ai bien entendu tout à l'heure M. le ministre de l'économie, il était heureux de constater que la croissance était au rendez-vous qu'il lui avait fixé.
De quelques souvenirs de mes études d'économie et des lectures que j'ai pu faire depuis, j'ai retenu que l'économie connaissait au moins une constante, une loi quasi physique, qu'on appelle l'hystérèse : ce terme décrit le décalage temporel existant, dans un cycle, entre des phénomènes qui s'enchaînent, entre la cause et l'effet.
Quelqu'un vous a rappelé tout à l'heure que, naguère, l'héritage laissé par vos amis avait été difficile, qu'il avait fallu redresser la situation, que nous avions subi l'hystérèse, c'est-à-dire les effets à retardement de l'exaltation budgétaire, et que vous bénéficiiez, vous, maintenant, de cette hystérèse, mais avec des effets inverses, se traduisant par un retour de la croissance.
Je ne suis malheureusement pas sûr que vous ne soyez pas en train de la détruire dans une nouvelle exaltation budgétaire. Celle-ci est effectivement un peu inquiétante dans la mesure où certaines mesures à venir vont être financées par l'emprunt et où celles qui sont pérennes, par définition, se renouvelleront. Ainsi, nous ne pourrons pas permettre à notre économie de profiter de la reprise, une reprise dont personne ne conteste l'existence, même si l'on peut éventuellement s'interroger sur son origine.
Je crois savoir que le prochain collectif, qui comporte 15 milliards de recettes supplémentaires, sera en partie consacré à régler quelques dettes qui traînent...
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Depuis quand ?
M. Paul Girod. ... mais aussi à financer quelques mesures nouvelles...
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget. Non !
M. Paul Girod. ... dont les effets se feront sentir bien au-delà du collectif.
M. le ministre de l'économie nous a expliqué avec autant d'humour que de conviction qu'il était nécessaire de consacrer une partie du budget de la France à alimenter la consommation, justifiant par là telle augmentation sans frein du traitement des fonctionnaires ou telle augmentation mal maîtrisée des dépenses du RMI.
Je crains que vous n'ayez oublié que ce que vous injectez dans la consommation pour soutenir la croissance, c'est de l'argent qui a d'abord été confisqué à cette même consommation, étant entendu que le fonctionnement de l'Etat est tel que l'influence de ce qui va être distribué n'est pas à la hauteur de l'influence de ce qui a été confisqué. Vous suivez une philosophie que l'on peut comprendre, certes, mais qu'il me paraît difficile d'appliquer trop longtemps.
Mais j'en viens plus particulièrement aux problèmes intéressant les collectivités locales, dont nous sommes ici les représentants. Je vais, bien entendu, vous parler de la réforme de la taxe professionnelle.
Celle-ci a un côté spectaculaire. Mon collègue Jean-Pierre Fourcade a démontré que son incidence sur l'emploi n'était pas aussi nette que vous le pensez et qu'il aurait peut-être mieux valu s'occuper de la modernisation des entreprises. L'investissement d'aujourd'hui étant le profit de demain et le salaire d'après-demain, mieux vaut s'occuper d'abord de l'investissement plutôt que du salaire.
Quoi qu'il en soit, je ne suis pas absolument convaincu que les raisonnements que vous tenez à partir d'une moyenne nationale soient pertinents, d'autant que vous prétendez cibler la mesure et que vous opérez des distinctions entre les industries de main-d'oeuvre, le bâtiment, etc. Dans cette affaire, on fait tout de même disparaître une partie des ressources habituelles des collectivités locales. Mais avez-vous mesuré les effets de cette mesure aux extrêmes ? Dans certaines communes, la taxe professionnelle représente plus de 50 % des recettes - parfois beaucoup plus - et la structure de la taxe professionnelle est telle que la part de main-d'oeuvre y est bien supérieure à 35 %.
Quel va être le devenir des finances de ces communes, qui vont se voir privées d'un système évolutif pour se voir appliquer un système figé ? Cela mérite qu'on y réfléchisse.
On nous a dit aussi que l'indexation était forcément sympathique - l'indexation de la compensation, s'entend, pas celle du dégrèvement : vieux problème ! - mais force m'est de relever quelques contradictions.
Vous allez indexer la compensation, qui sera la dernière marge de manoeuvre des collectivités locales avant la « pressurisation » des ménages, nécessaire si un problème se pose à elles à terme.
Dès lors, il y a bien une contradiction avec l'encouragement apporté à la consommation.
Par ailleurs, pour l'indexation, le taux retenu est 2,8 %. Cependant, dans la loi de financement de la sécurité sociale, il est question de 4,6 % d'augmentation des salaires. Il y a quelque chose qui ne colle pas !
Les collectivités territoriales sont d'autant plus fondées à se méfier qu'elles ont déjà donné ! Ce n'est pas la première fois qu'on les prive d'un impôt et qu'on compense, comme dirait la sagesse populaire, avec des élastiques ; ce n'est pas la première fois que la manière dont on compense ne vaut pas ce dont on a privé les collectivités territoriales : nous avons eu les distorsions de la DGF, le transfert des compétences sur des références biaisées, etc. Les régions, par exemple, se rappellent ce qui s'est passé avec les lycées.
Bref, nous avons l'expérience de ce que l'on appelle l'effet de ciseau, et nous avons donc quelques raisons de craindre un effet du même genre avec ce qui va advenir.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je crois que vous aurez beaucoup de mal à faire admettre aux collectivités territoriales que, une fois le système intégré dans la DGF, il n'y aura pas, sur celle-ci et sur cette compensation, les mêmes manipulations que celles que nous avons connues par le passé.
Et puis la croissance par la consommation, cela signifie l'augmentation de la masse salariale, c'est-à-dire l'évolution très positive de ce dont vous privez les collectivités territoriales, avec, comme par hasard, une référence centrée sur 1997.
De la même manière, vous pensez compenser la diminution des droits de mutation à partir de références anciennes.
Autrement dit, les références sur lesquelles vous vous appuyez sont antérieures au retour à une évolution positive. Puis-je me permettre de vous rappeller que c'est ce que les collectivités territoriales ont connu lorsqu'elles ont reçu, par exemple, la compétence des lycées, après que l'Etat eut arrêté pendant deux ans d'en construire un seul et calculé sa compensation à partir de cette période ? Je me souviens d'avoir commis un rapport sur ce sujet pour le compte de l'observatoire des finances locales.
Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez dit que, de 1992 à 1997, l'évolution de la masse salariale avait été de 10,5 % et que la compensation, telle que vous la calculez, aurait été de 12 %. Je vous ferai remarquer que vous avez choisi, comme par hasard, la plus mauvaise période de référence pour l'évolution de la masse salariale et la meilleure période de référence pour le reste.
Dans le même temps, le Gouvernement auquel vous appartenez fait reposer toute l'évolution des finances locales et toute la perspective de dynamisme sur la notion d'intercommunalité.
Or les zones communautaires n'en sont encore qu'au stade de la mise en place, surtout en milieu rural. Et c'est sur ces zones que vont éventuellement venir s'implanter des entreprises, au bénéfice de tous.
Autrement dit, vous fondez votre intercommunalité sur des entreprises qui s'installeront dans des zones que l'on crée en ce moment. Où est la référence 1997 pour celles-là ? Comment pouvez-vous croire une seule seconde que les collectivités territoriales vont être en mesure de développer une politique intercommunale d'expansion économique quand vous commencez par supprimer d'un trait de plume 35 %, en moyenne, parfois davantage, des retombées fiscales qu'elles sont susceptibles d'attendre ?
Comment cela va-t-il se passer ?
Comment pouvez-vous imaginer que les dispsoitions que vous nous demandez de prendre maintenant seront compatibles avec les textes relatifs à l'aménagement du territoire et à l'intercommunalité que vous allez nous présenter dans quatre ou cinq mois ?
Pour ma part, je suis persuadé qu'il y a une contradiction de fond et que, malheureusement - mais j'ai adressé le même reproche aux gouvernements de droite - vous êtes en train de légiférer au niveau des intentions plus qu'au niveau du réel soutien à l'économie.
Cela me désole profondément parce que j'aimerais qu'un jour nous arrivions à dépasser nos clivages politiques pour mener une vraie politique d'assistance à la croissance. Mais nous n'y parviendrons sûrement pas en décourageant les collectivités locales, qui vont être à la fois, d'une certaine manière, bénéficiaires et victimes des investissements dont elles ont besoin et dont les entreprises ont besoin.
Pour l'heure, je crains de voir une contradiction fondamentale dans la démarche du Gouvernement. C'est une des raisons pour lesquelles j'aurai beaucoup de mal à voter ce projet de budget, à moins que les discussions et les navettes successives ne permettent d'y apporter des modifications substantielles. Malheureusement, je n'y crois qu'à moitié. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tout pays qui renonce à poursuivre son effort pour développer ses investissements et ses infrastructures est un pays qui abandonne ses ambitions et le rôle qu'il entend jouer dans le concert des nations.
Sous cet angle, quel jugement peut-on porter sur le projet de budget pour 1999 ? Il est largement pessimiste, voire totalement négatif.
Ce gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, comme tous les gouvernements socialistes qui l'ont précédé, a d'excellentes dispositions pour ponctionner et redistribuer les richesses, pour revaloriser, réhabiliter et augmenter les dépenses publiques - tout particulièrement les dépenses de fonctionnement - ainsi que pour créer des taxes nouvelles.
Mais, bien entendu, vous avez une faiblesse, qui est la contrepartie de cette tendance à la dérive des dépenses de fonctionnement : vous procédez à l'ajustement des finances publiques par la réduction des dépenses d'investissement qui sont de la compétence de l'Etat.
Du point de vue macro-économique, l'investissement est créateur de richesses et d'emplois futurs. Ce sont des notions simples, que chacun a bien assimilées depuis longtemps, au moins dans notre assemblée.
Dans son excellente étude, notre rapporteur général cite Jacques Méraud, qui, dans son analyse sur les collectivités locales et l'économie nationale, souligne que, « dans le cas des administrations locales, ce sont les variations de l'investissement qui influent le plus sur la croissance nationale, et cela dans un sens positif : plus l'investissement public local augmente, plus le PIB est stimulé ». Il ajoute : « On observe un effet stimulant analogue de l'investissement des administrations locales sur la productivité et l'emploi du secteur privé. Il y a là une manifestation significative de ce que l'on appelle la "croissance endogène" ».
Si je parle d'abord de l'investissement public local, c'est qu'il a désormais dépassé, et de loin, le montant des investissements civils de l'Etat.
Vous avez heureusement préservé, au moins avant la régulation budgétaire - nous verrons après ! - les dépenses militaires en capital, qui s'élèveraient en 1999 à 86 milliards de francs, soit une croissance de 6,2 %. En revanche, les dépenses civiles de l'Etat, à structure budgétaire constante, s'établiraient à 72 milliards de francs, soit une diminution de 0,3 %.
Je ne m'arrêterai pas sur le fait que toutes ces dépenses sont exclusivement financées par l'emprunt - M. le rapporteur général l'a dit - emprunt qui, au passage, finance également des dépenses de fonctionnement : voilà, à nos yeux d'élus locaux, le comble des turpitudes financières, nous qui sommes sous la surveillance constante et sourcilleuse des chambres régionales des comptes... (M. le rapporteur général fait un signe d'assentiment.)
Je tiens tout de même à souligner que votre recours à l'endettement est tel que vous êtes contraint de réduire tous les secteurs de l'investissement.
Si l'on observe votre situation budgétaire au 31 août 1998, les dépenses civiles en capital ont baissé en un an de 13,1 % par rapport au mois d'août 1997, donc après votre arrivée aux affaires, alors que les dépenses ordinaires ont augmenté pendant la même période de 2,4 %.
Comme l'a souligné encore M. le rapporteur général, vos deux véritables priorités budgétaires sont les interventions sociales et les rémunérations publiques, auxquelles s'ajoutera prochainement l'explosion programmée des retraites des fonctionnaires, que vous commencez à camoufler en autorisant la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, la CNRACL, à emprunter pour équilibrer ses comptes, que vous avez auparavant volontairement déséquilibrés.
En tant que rapporteur pour avis de la commission des finances du projet de loi sur le financement de la sécurité sociale pour 1999, j'ai souligné l'étonnante tromperie qui consiste à faire croire que vous maîtrisez l'évolution des dépenses sociales alors que le taux directeur de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, l'ONDAM, qui a été fixé en 1997 à 1,7 %, s'est élevé à 2,2 % en 1998, et à 2,6 % en 1999. Voilà ce que l'on appelle une courbe de maîtrise des dépenses !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce n'est pas vraiment cela !
M. Jacques Oudin. Mais, si le taux de 1997 a été respecté, celui de 1998 sera réalisé à hauteur de 3,4 %, ce qui enlève déjà toute signification au taux directeur prévu pour 1999.
Rapporteur spécial des crédits du ministère de la santé et de la solidarité, je m'étonnerai dans quelques jours, à cette tribune, en concordance avec les observations de la Cour des comptes, de constater la croissance constante de certaines prestations, comme celle du RMI, en dépit de l'évolution positive de la conjoncture et de l'emploi, comme le rappelait voilà quelques instants ici même M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Tout cela pour souligner, monsieur le secrétaire d'Etat, que, non seulement vous n'avez aucune volonté de maîtriser la croissance des dépenses de fonctionnement mais que, de surcroît, vous vous évertuez à les stimuler.
Le résultat d'une telle politique est donc de freiner, de réduire et de diminuer les crédits d'investissement de l'Etat, et cela dans à peu près tous les domaines et pour tous les budgets que nous aurons à examiner au cours des prochains jours.
Cet hémicycle a déjà retenti des protestations et des récriminations de nos collèges au sujet de la capacité de l'Etat à respecter ses engagements en ce qui concerne les contrats de plan avec les régions. Notre assemblée s'est également émue de votre volonté affichée de modifier à la baisse les investissements dans les secteurs vitaux pour le développement économique futur de notre pays.
Deux commissions d'enquête sénatoriales ont été constituées et ont élaboré des rapports dont la qualité n'a fait l'objet d'aucune critique, tant pour le diagnostic que pour les propositions. Il s'agissait de la commission d'enquête sur l'énergie et de celle sur les grandes infrastructures, c'est-à-dire les autoroutes, le rail et les voies fluviales.
Toutes les études que nous avons effectuées convergent malheureusement sur une analyse pessimiste de l'évolution future de nos investissements structurants et sur la volonté affichée du Gouvernement de limiter, voire de réduire ses efforts dans ces domaines.
Or il s'agit, je le répète, de l'avenir de notre pays et de sa place au coeur de l'Europe, car la géographie en a fait, c'est ainsi, une plaque tournante ou une plaque centrale dans de nombreux secteurs, plus particulièrement dans celui des transports.
De même que, durant les siècles passés, la France s'est bâtie autour de ses infrastructures routières et ferroviaires, de même, au cours des décennies futures, l'Europe se construira autour de son réseau autoroutier, de son réseau ferré à grande vitesse, de son réseau aérien, et, partiellement, de son réseau fluvial et portuaire.
Je laisserai de côté, pour m'en féliciter, la décision prise par votre gouvernement - vous voyez que je suis objectif - de confirmer l'extension de l'aéroport Roissy - Charles-de-Gaulle grâce à l'aménagement de deux pistes supplémentaires, qui permettront d'en faire l'un des principaux centres européens de transit et de répartition de trafics.
En revanche, que dire de la lenteur avec laquelle, faute de moyens financiers adéquats, se développe le réseau ferré à grande vitesse ? L'est, si cher au coeur du président Poncelet, n'est toujours pas desservi ; nos amis espagnols, qui m'ont reçu récemment, attendent que la liaison Perpignan - Figueras soit achevée ; et nos amis bretons ont les mêmes impatiences.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Quant à la liaison Rouen - Alençon...
M. Jacques Oudin. N'en parlons pas ! (Sourires.)
Le projet de canal Rhin-Rhône a été abandonné, et ainsi s'est évanouie une grande ambition nationale. Les autres aménagements prévus tels que les liaisons Seine-Est et Seine-Nord, chères également au coeur de notre rapporteur général,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Tout à fait !
M. Jacques Oudin. ... avancent presque aussi lentement... qu'une péniche à l'arrêt !
Quant à notre réseau fluvial, il est dans un état d'entretien qui nous place en queue des pays européens.
Parmi les autres grandes infrastructures de transport, il y a les autoroutes. J'ai eu la chance, dans ma carrière, monsieur le secrétaire d'Etat, de commencer à travailler auprès d'un des grands aménageurs de notre territoire, Olivier Guichard. Partie très en retard par rapport à ses voisins européens, la France a mis au point un dispositif efficace qui lui a permis d'aménager des milliers de kilomètres d'autoroutes concédés.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Exact !
M. Jacques Oudin. Ce réseau est loin d'être achevé, mais il a un triple objet qui en fait un outil essentiel dans la compétitivité globale de notre économie.
Premièrement, il doit permettre de désenclaver les régions éloignées ou difficiles d'accès, en particulier les zones littorales ou les zones montagneuses.
Deuxièmement, le projet vise à faciliter le développement économique, car les systèmes de production et de stockage ont évolué de telle façon que les pièces ou les produits finis sont davantage sur la route et l'autoroute que dans les hangars ou sur les chaînes de production. Il n'y a plus guère d'entreprises qui acceptent désormais de s'implanter ou de se développer si elles ne sont pas situées à proximité d'un échangeur autoroutier ou d'une voie rapide.
Enfin, troisièmement, ce réseau tend à relier la France à l'Europe, car notre pays a vocation, ai-je dit, à être la plaque tournante autoroutière de l'Europe. C'est une évidence que comprennent bien nos amis espagnols, portugais, anglais, belges, allemands, hollandais ou italiens. Je souhaite que les autorités françaises en soient toujours persuadées.
Car il est évident que, dans un marché unique qui se développe, qui voit les échanges croître plus vite que les richesses nationales et la part de la route s'accroître au détriment de tous les autres modes de transport, il est indispensable d'achever au plus vite notre réseau autoroutier.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Absolument !
M. Jacques Oudin. En 1994, le Gouvernement s'était engagé à l'achever en dix ans, pour 2005 donc. Cet objectif est désormais totalement abandonné.
En effet, nous savons depuis longtemps - cela ne date pas d'aujourd'hui - que les directions de votre ministère, que ce soit celle du budget ou celle du Trésor, ne sont pas favorables aux autoroutes. (M. le secrétaire d'Etat fait un signe de dénégation.) Nous savons aussi, et c'est un comble, que le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement leur est hostile. Nous savons encore que le ministère des transports ne porte d'intérêt qu'au réseau ferroviaire. Nous savons, dans ces conditions, que 1 587 kilomètres d'autoroutes ont été soit reportés, soit retardés, soit annulés. J'ai lu, à cette tribune, le 7 avril dernier, la liste de toutes les sections menacées : personne ne m'a contredit !
Pour justifier son hostilité aux autoroutes, le Gouvernement a avancé toutes sortes d'arguments, qui sont tous indéfendables.
On nous a ainsi expliqué que les autauroutes étaient trop chers, car leur coût au kilomètre avait augmenté de 40 % en cinq ans. C'est exact, mais c'est nous - Gouvernement et Parlement - qui l'avons voulu en votant des contraintes nouvelles issues des lois sur les paysages, sur le bruit et sur l'eau.
On nous a de même expliqué que les sociétés d'autoroutes avaient un déficit de 150 milliards de francs et ne pourraient pas faire face à leurs échéances : on a confondu tout simplement endettement et déficit. Vous savez bien qu'une section d'autoroute atteint le « grand équilibre » financier si son trafic est égal à 20 000 véhicules par jour. Or la moyenne du trafic journalier de tout le réseau concédé est de 25 000 véhicules par jours. Ce réseau est donc rentable.
Certes, certaines sections sont déficitaires et d'autres excédentaires. C'est la raison pour laquelle le gouvernement d'Edouard Balladur avait réformé, le système autoroutier entre 1993 et 1994, en regroupant les sociétés et en aménageant le système de péréquation des péages. Cela a permis de donner une impulsion décisive à la mise en chantier de nouvelles sections autoroutières.
Vous vivez encore sur cet acquis, mais la décroissance des mises en service va apparaître rapidement.
On nous a encore expliqué que le système français était contraire aux règles européennes, mais le rapport de la commission d'enquête du Sénat a fait justice de cette affirmation.
Or, curieusement, on ne nous a jamais parlé de la sécurité renforcée que procurent les autoroutes, alors même que le Gouvernement tient de grands discours généreux sur la sécurité routière.
Pourtant, chacun sait qu'une autoroute est cinq fois plus sûre qu'une route normale et plus sûre qu'une voie rapide traditionnelle. Supportant près de 20 % du trafic national, les autoroutes engendrent moins de 3 % des tués sur les 8 000 que l'on compte annuellement dans les accidents de la route.
N'oubliez jamais, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'un kilomètre d'autoroute en moins, c'est souvent un mort en plus !
Au nombre des autres grands renoncements de la politique gouvernementale, je citerai l'abandon de notre ambition maritime.
Le Parlement avait voté, en juillet 1996, la loi sur le financement des parts de copropriétés de navires, les fameux quirats. J'avais été modestement un des acteurs de cette réforme présentée par M. Bernard Pons.
En décembre 1997, soit dix-huit mois plus tard, ces dispositions étaient abrogées, faisant ainsi de la France un des champions du « yo-yo fiscal », c'est-à-dire de l'incertitude fiscale.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Par pure idéologie !
M. Jacques Oudin. Pendant sa très brève existence, ce nouveau système fiscal avait suscité un intérêt évident et l'on voyait renaître notre développement maritime. Près de cinquante projets avaient été préparés, dont une vingtaine de navires de commerce. Tout cela a donc été quasiment annulé, quasiment, car il y a un dispositif de remplacement, mais il n'a plus qu'un intérêt limité.
Votre méthode, qui consiste à abroger par un simple article de la loi de finances ce que le Parlement a mis des mois et des semaines à élaborer après de nombreux débats, me paraît particulièrement méprisante à l'égard du travail parlementaire.
Quant aux ambitions que nous avions mises dans le développement de nos programmes portuaires, elles ont également été limitées, au point que la France continuera à être à la remorque des grands ports de la mer du Nord. Limités dans leurs accès autoroutiers et ferroviaires, nos ports font figure de parents pauvres à l'échelon européen.
Un dernier mot sur notre flotte de commerce : la France est la quatrième puissance exportatrice, sa flotte occupe le vingt-huitième rang mondial, je crois, après celle des Chypriotes. Cela se passe de commentaires.
Je conclurai mon propos, monsieur le secrétaire d'Etat, en vous parlant d'histoires d'eau. (Sourires.)
M. Denis Badré. Allons bon !
M. Jacques Oudin. L'article 30 de votre projet de loi de finances créant la TGAP, la taxe générale sur les activités polluantes, suscite des interrogations qui se transforment vite en inquiétudes dès que l'on perce les intentions du Gouvernement. Certes, regrouper des taxes et simplifier un dispositif peut être louable en soi. Mais s'il s'agit, là encore, de modifier par un simple article d'une loi de finances...
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Mais c'est le rôle de la loi de finances !
M. Jacques Oudin. ... les dispositifs débattus et mis en place par cinq lois votées par le Parlement, le procédé nous paraît un peu cavalier.
Quand, de surcroît, il s'agit de centraliser toutes ces ressources auprès du Trésor, alors que le Parlement avait souhaité les affecter à un organisme déterminé, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, pour remplir des missions spécifiques, cela nous paraît tout à la fois dangereux et inadapté au regard des objectifs poursuivis.
Quand, enfin, le Gouvernement annonce qu'il envisage d'étendre ce système, l'an prochain, à toutes les agences de l'eau et de reprendre ainsi, au moins, 12 milliards de francs, cela nous paraît inacceptable.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Recentralisation !
M. Jacques Oudin. Monsieur le secrétaire d'Etat, il existe, dans notre pays, deux secteurs d'investissements publics qui fonctionnent bien car ils s'autofinancent. Le premier, c'est le secteur autoroutier car les dépenses sont gagées par les recettes futures des péages.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Pas toujours !
M. Jacques Oudin. Le second, c'est le secteur de l'eau car les investissements nécessaires et considérables sont largement financés par les redevances perçues par les agences de l'eau.
Pendant la décennie quatre-vingt, les investissements dans le secteur de l'eau ont baissé. Nous nous trouvions, à cette époque, dans une situation difficile. C'est le gouvernement de Michel Rocard qui a redressé la situation avec la loi sur l'eau de 1992 et le Ve programme des agences de l'eau. L'oeuvre engagée a été poursuivie par les gouvernements d'Edouard Balladur et d'Alain Juppé. De 40 milliards de francs de travaux pour le Ve programme, les investissements ont atteint 90 milliards de francs pour le VIe programme et s'élèveront à 105 milliards de francs pour le VIIe programme.
Dans les deux cas, recettes de péages et redevances sur l'eau, vous avez été et vous êtes toujours tentés de centraliser ces ressources au niveau du Trésor. Cela peut se comprendre quand on a la responsabilité de gérer un déficit budgétaire de 236 milliards de francs.
La méthode est toujours la même. Pour le secteur routier, vous aviez envisagé de créer une holding « Routes de France » qui aurait centralisé les recettes de péages et les crédits routiers - qui, au demeurant, baissent de 10 % dans le projet de budget pour 1999 - pour répartir, ensuite, pour partie, ces crédits sur l'ensemble du réseau routier. C'est l'exemple même d'une politique de saupoudrage, opposée à une politique d'équipements structurants.
Pour l'eau, toutes les redevances devraient aller au Trésor mais seule une partie retournerait au financement des investissements destinés à l'eau. Cette fuite, cette perte en ligne due à l'affectation de ces ressources à d'autres usages que l'eau a été baptisée du nom pompeux de « double dividende » : c'est la plus vaste escroquerie intellectuelle qui ait jamais été présentée au Parlement !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Oh !
M. Jacques Oudin. Bref, ne vous étonnez pas, dans ces conditions, monsieur le secrétaire d'Etat, que la commission des finances du Sénat ait décidé de supprimer l'article 30.
Certes, tout dispositif peut être amélioré. Cela est certainement le cas des agences de l'eau. Mais elles ont permis à la France de faire des progrès considérables, de bâtir, avec nos grandes entreprises spécialisées, une « école de l'eau » parmi les plus performantes du monde, de mettre en oeuvre des dispositifs que l'Europe et les autres pays souhaitent transposer avec ces trois principes essentiels : une gestion décentralisée par bassin, une gestion démocratique avec tous les usagers, un autofinancement et une adéquation entre les recettes et les dépenses à l'échelon local.
C'est l'ensemble de ce dispositif que vous détruirez en procédant à une centralisation, source d'évasion financière, au mépris de ce que la nation et son Parlement ont souhaité en votant, à l'unanimité, les lois de 1964 et de 1992.
Enfin, je ne dirai qu'un mot d'une inquiétude à long terme : notre capacité à maintenir notre potentiel électronucléaire. Une des premières décisions du Gouvernement auquel vous appartenez a été d'arrêter Super-Phénix.
A terme, quelle sera votre politique pour le maintien, le renouvellement, voire le développement, de notre parc de centrales nucléaires ? Nous avons un des potentiels les plus performants du monde, des équipes de chercheurs et d'ingénieurs qui font autorité, des capacités d'exportation considérables pour peu que nous puissions mieux nous associer avec nos amis allemands. En maîtrisant et en améliorant davantage les techniques de traitement des déchets, nous avons, nous aurons, avec l'énergie nucléaire une des énergies les plus écologiques qui soit car elle ne produit pas de gaz à effet de serre.
L'avenir de notre pays est largement conditionné par ses capacités à investir.
Nous nous réjouissons que l'investissement des entreprises ait repris une croissance nouvelle.
Nous souhaitons que nos collectivités locales puissent continuer à disposer des ressources suffisantes afin de poursuivre leur politique d'aménagement.
Nous critiquons vivement l'incapacité de l'Etat à maintenir son effort d'investissement pour compenser son laxisme en matière d'augmentation des dépenses de fonctionnement.
Bref, pour toutes ces raisons, vous le pensez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, il nous est impossible de voter un tel projet de budget. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous vous étiez fixé deux objectifs lors de la présentation des orientations budgétaires : le ralentissement de la dette et une progression limitée des dépenses publiques.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Il y en avait d'autres !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous aviez également prévu le redéploiement des crédits existants et de nouvelles sollicitations des comptes du Trésor, avec une pression fiscale ne devant pas s'accroître, des réformes modestes en matière de fiscalité du patrimoine et des réformes plus marquées mais plus contestables en ce qui concerne la fiscalité locale.
Ces objectifs ont été tenus, mais les propositions faites constituent un projet de loi de finances pour 1999 comportant des mesures qui, pour la plupart d'entre elles, sont inspirées par des intentions de progrès, mais qui manquent de détermination dans l'expression et le chiffrage et qui reposent sur un certain nombre d'incertitudes.
Or, monsieur le secrétaire d'Etat, il s'agit du premier projet de budget du gouvernement de la gauche plurielle issu des élections de 1997. On pouvait espérer un budget plus important, comportant des réformes de structures plus vastes, un budget plus généreux en matière d'emploi, de logement et de réponses aux besoins sociaux.
On aurait pu espérer aussi une réforme fiscale avec un renforcement de l'efficacité et de la justice sociale par l'impôt sur le revenu, et par la taxation des revenus financiers par l'extension de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Je ferai donc un certain nombre de remarques.
Première remarque : le périmètre de la loi de finances est élargi de 45,6 milliards de francs, à la suite d'une recommandation de la Cour des comptes. Des fonds de concours ont été réintroduits dans le budget. Il est juste que les crédits de paiement des retraites des postiers, des dépenses relatives au logement, au fonds de soutien aux hydrocarbures soient inscrits au budget général.
Nous approuvons pleinement cette mesure de transparence. Nous souhaiterions que soit revue la possibilité dont le Gouvernement dispose pour annuler des crédits en cours d'exercice, par le jeu de l'article 13 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. Les gouvernements ne devraient pas être autorisés à amputer les crédits par simple arrêté, sans avis du Parlement.
Il est juste que l'allocation de parent isolé soit prise en charge par le budget de l'Etat, et non par la sécurité sociale. Un droit se définit par une reconnaissance budgétaire. A ce propos, envisagez-vous d'inscrire au budget de 1999 l'allocation de rentrée scolaire exceptionnelle de 1 600 francs par enfant perçue par certaines familles ? Il y a certainement encore d'autres dépenses qui doivent être inscrites au budget de l'Etat.
Ma deuxième remarque est plus politique. L'inscription de votre démarche budgétaire dans le respect des critères de convergence de l'Union européenne aura pour conséquence de limiter la portée de mesures nouvelles des titres IV, V et VI de la deuxième partie, mais aussi de marquer la conception générale de la fiscalité dans notre pays et son devenir. Cela sera perceptible en ce qui concerne les droits d'accises sur les produits pétroliers et la fiscalité de l'environnement et du patrimoine.
Ma troisième remarque porte sur l'incertitude de certaines ressources liées à la croissance espérée. Cette incertitude est fondée sur un taux de croissance de 2,7 % en 1999, alors que l'OCDE se montre plus réservée et que la plupart des organismes de prévisions le situent plutôt au niveau de 2,3 %.
Incertitude également, qui a été expliquée clairement par M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur le point de savoir si la France et l'Europe seront capables de maintenir le taux de croissance actuelle pendans les cinq années à venir. Nous pensons qu'une revalorisation du Smic, des pensions, des salaires, des minima sociaux, une baisse de TVA sur les produits de consommation courante seraient autant de moyens efficaces pour garantir cette croissance.
Ma quatrième remarque porte sur les faiblesses des modifications de structures pour faire avancer une politique de gauche.
M. Lionel Jospin a écrit : « Il s'agit d'équilibrer par la politique et l'action de l'Etat les déséquilibres que produit le capitalisme. L'économie de marché oui, une société de marché non. »
M. Philippe Marini, rapporteur général. Belle formule !
Mme Marie-Claude Beaudeau. L'existence d'une fiscalité nouvelle fondée sur l'équité, la sincérité des ressources et la transparence dans l'imposition nous paraît être un élément premier des réformes de structures.
Après ces remarques, je voudrais, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, formuler un certain nombre d'interrogations.
Il est vrai que, jusqu'à ce projet de budget, la tendance consistait plutôt à polariser les fruits de la croissance en direction des plus grandes entreprises, des contribuables les plus aisés et de la spéculation financière.
Nous constatons avec intérêt que la philosophie générale qui sous-tend le projet de loi de finances et que nous soutenons se fonde beaucoup plus sur la recherche d'une croissance économique réelle appuyée sur le développement de la demande intérieure.
Nous observons de manière positive les mesures de réduction de la TVA sur les abonnements EDF et GDF, ou encore l'exonération de TVA sur les terrains à bâtir pour les particuliers.
Pourquoi ne retenez-vous pas notre proposition de réduction de TVA sur d'autres produits, notamment les produits alimentaires courants ? Je pense, entre autres produits, au chocolat.
Pourquoi ne voulez-vous pas réduire la TVA sur les services funéraires, sur l'utilisation des installations sportives, sur l'énergie calorifique fournie par les réseaux de chaleur ? Pourquoi ne voulez-vous pas exonérer de taxe sur les salaires les associations à but non lucratif ? Vous le savez, ces réductions favoriseraient l'emploi.
De la même façon, nous apprécions positivement les mesures concernant l'imposition sur les grandes fortunes.
Pourquoi ne voulez-vous pas aller encore vers plus de justice fiscale en prenant en compte les biens professionnelles et les oeuvres d'art dans l'assiette de l'ISF ? Et pourquoi refuser de modifier le plafond ?
Ces mesures, nous vous les proposerons de nouveau car ce sont des mesures de justice fiscale et elles pourraient rapporter des montants intéressants, comme, d'ailleurs, la taxe sur les opérations d'achat ou de vente des dévises étrangères.
Une autre interrogation forte porte sur la fiscalité locale, Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez relancé le débat sur la réforme de cette fiscalité liée au devenir des relations de l'Etat avec les collectivités locales.
Les principales mesures fiscales que vous proposez, qui génèrent un coût pour l'Etat, portent sur la question de la compensation des allégements de fiscalité locale annoncée : plus de 8 milliards de francs sont consacrés à l'allégement des droits de mutation à titre onéreux perçus par les régions et par les départements, et la réforme engagée de la taxe professionnelle par suppression de la part sur les salaires dans l'assiette de la taxe, représente, en valeur nette, un peu moins que cette somme.
Une question est posée. Vous prétendez que la réduction puis l'extinction de la part sur les salaires auront des répercussions sur l'emploi. Nous vous demandons de préciser votre position, monsieur le secrétaire d'Etat.
Selon le rapport Migaud, cette mesure permettrait de créer environ 25 000 emplois, ce qui est bien peu au regard des besoins. Mais si à l'issue de la première année les collectivités territoriales ne perdront rien, qu'en sera-t-il ensuite ?
Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, les élus sont très inquiets en ce qui concerne la pérennité de la mesure. Les finances locales sortent d'un purgatoire de trois ans dû au pacte de stabilité.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Il faut le dire !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Le bilan est désastreux : 7 milliards de francs ont été perdus sous le gouvernement de M. Juppé, alors que l'on aurait pu récupérer 19 milliards de francs supplémentaires si les collectivités territoriales avaient pu bénéficier des fruits de la croissance.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre proposition visant à faire progresser de 2,75 % la dotation globale de fonctionnenment ne nous satisfait pas. Le taux de la dotation de compensation de la taxe professionnelle baissera de 11,2 %, sauf pour les communes bénéficiant de la dotation de solidarité urbaine ou de la dotation de solidarité rurale. La perte globale sera tout de même de 7,4 %. La dotation de compensation de la taxe professionnelle diminuera plus en un an que durant le pacte de stabilité. Si le maintien en 1999 du taux de cotisation à la CNRACL, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, nous agrée, cela ne devrait pas vous dispenser de remettre en cause compensation et surcompensation.
En fait, monsieur le secrétaire d'Etat, les solutions que vous proposez sont des solutions d'attente.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Vous êtes bien bonne !
Mme Marie-Claude Beaudeau. La suppression pendant cinq ans de la part sur les salaires dans le calcul de la taxe professionnelle se traduira par un transfert de 54 milliards de francs, mais celui-ci ne sera que très partiel.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous regretterez votre bienveillance, madame Beaudeau !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il s'effectuera donc au détriment des finances locales. A terme, la taxe professionnelle sera payée à 60 % par les contribuables.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Oui !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Les collectivités locales perdront un sixième de leur pouvoir fiscal, monsieur le secrétaire d'Etat.
MM. Alain Lambert, président de la commission des finances, et Philippe Marini, rapporteur général. Et voilà !
Mme Marie-Claude Beaudeau. En modifiant la taxe professionnelle, vous soulagez, c'est sûr, les finances patronales. (M. le président de la commission des finances rit.) Vous allez porter un coup sévère à la vie de nos communes, qui perdront le pouvoir de décider d'une partie de leur impôt.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Perdant le pouvoir de percevoir pleinement la taxe professionnelle, les communes perdront une part importante de leur pouvoir de décision. C'est indéniable !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est très juste !
Mme Marie-Claude Beaudeau. La taxe professionnelle, c'est l'âme et l'arme de beaucoup de communes françaises. Je voudrais vous faire une suggestion, monsieur le secrétaire d'Etat : l'ensemble des actifs financiers représentait 26 000 milliards de francs en 1997, soit dix-huit fois le budget de l'Etat. Là, M. le rapporteur général ne dit plus que j'ai raison ! Avec un taux d'imposition de 0,3 % de ces actifs, monsieur le rapporteur général, nous obtiendrions 78 milliards de francs. Nous dépasserions les 54 milliards de francs qui manqueront aux communes.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Les actifs risquent de partir !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous aurons l'occasion de redéfinir nos propositions au cours de la discussion des articles.
A ce propos, je voudrais vous dire, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, que vous êtes mal placés pour faire des critiques. N'est-ce pas vous qui, en 1993, avez enclenché ce processus dévastateur pour les finances locales en votant la réforme de la DGF, en abaissant le niveau de compensation de la TVA, grevant les investissements, en abaissant la dotation de compensation de la taxe professionnelle, en décidant d'un allégement transitoire de 16 % de la taxe professionnelle, en changeant les règles de plafonnement des taxes locales et en décidant la quasi-disparition des exonérations de taxes foncières ?
M. Michel Sergent. Eh bien...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Cela représente un héritage lourd et un relais difficile à assumer. (Ah oui ! sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Notre honnêteté politique nous conduit à dire ici à la majorité de la commission des finances et à son rapporteur général qu'ils ne devraient pas avoir la mémoire aussi courte.
Tout au long du débat, monsieur le secrétaire d'Etat, nous reviendrons, en défendant nos amendements, sur cette réforme fiscale, pour démontrer que celle-ci devrait répondre à trois exigences : la justice dans la répartition du financement de la dépense publique, la redistribution effective des fruits de la croissance, l'efficacité économique et sociale, avec, bien entendu, la satisfaction des besoins sociaux pour objectif.
Je voudrais faire une observation s'agissant de la privatisation du Crédit Lyonnais, monsieur le secrétaire d'Etat.
MM. Alain Lambert, président de la commission des finances, et Philippe Marini, rapporteur général. Ah !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Dans sa note de présentation des comptes spéciaux du Trésor, mon ami Paul Loridant remarque que les recettes affectées au compte d'affectation spéciale pourraient atteindre 58 milliards de francs, contre 28 milliards de francs inscrits au projet de budget. Parmi les postes de recettes, on relève les privatisations d'Air France, du GAN et de France Télécom, mais celle du Crédit Lyonnais n'apparaît pas.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très surprenant !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je vous demande donc de nous confirmer qu'il n'est plus dans votre intention de privatiser le Crédit Lyonnais, la dernière grande banque publique populaire.
La privatisation signifierait que, après sa remise à flots grâce aux deniers publics, la bonne banque serait vendue au privé, alors que, en revanche, la mauvaise banque, celle des actifs compromis gérés par le Consortium de réalisation, resterait à la charge de la collectivité nationale jusqu'en 2014. Ni l'Etat, ni les 5 millions de clients du Crédit Lyonnais, ni les salariés qui souffrent des choix de leurs dirigeants d'hier et d'aujourd'hui, ni les contribuables n'ont intérêt à ce que l'on poursuive dans une voie socialement injuste et économiquement dangereuse.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous confirmer que le Crédit Lyonnais ne sera pas privatisé ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Excellente question !
Mme Marie-Claude Beaudeau. En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, nos propositions visent à faire en sorte que ce projet de budget permette le progrès social et la justice fiscale. Nous ne suivrons pas la commission des finances,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Dommage !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Quelle déception !
Mme Marie-Claude Beaudeau. ... laquelle envisage au contraire de réduire les dépenses de 26 milliards de francs.
Nous combattrons les amendements qui réduisent les dépenses publiques et les dépenses sociales.
Je ne prendrai qu'un seul exemple : dans les charges communes, au chapitre 44-91, vous proposez, monsieur le rapporteur général, une économie de 2,1 milliards de francs sur les crédits d'encouragement à la construction immobilière. Concrètement, cette réduction porterait sur les primes à la construction concernant les habitations à loyer modéré, les logements financés par les prêts spéciaux du Crédit foncier de France, les prêts consentis aux fonctionnaires, l'amélioration de l'habitat rural, les départements d'outre-mer et les prêts locatifs aidés.
Nous ne laisserons pas pervertir un budget, qui présente encore pourtant des faiblesses et des insuffisances, pour en faire un budget d'austérité et de régression sociale. Notre groupe sera là aux côtés du Gouvernement.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ah !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais, pour terminer, vous demander si vous confirmez l'organisation d'un débat sur l'évolution du secteur financier public et le rôle de ce dernier dans l'économie nationale. Une réforme du crédit est indispensable afin d'inciter les entreprises, les PME, à investir dans le développement de l'industrie et des services. Comment l'Etat pourrait-il mettre en oeuvre une telle orientation nationale sans disposer d'établissements publics lui permettant d'impulser ses objectifs ?
Voilà un thème complémentaire du débat. L'acceptez-vous, et ce bien entendu, avant la discussion du projet de loi de modification des statuts de la Caisse d'épargne ?
Cette année, notre débat budgétaire, en plein coeur du mouvement social, sera inédit et conquérant. Certaines de nos propositions ont déjà été retenues à l'Assemblée nationale. Nous poursuivrons ici, au Sénat, un débat que nous voulons franc et positif.
Un budget tenant les engagements, c'est possible, monsieur le secrétaire d'Etat ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen du projet de loi de finances donne l'occasion de faire le point sur la politique fiscale que mène le Gouvernement et permet également aux parlementaires de préciser leurs choix.
Pour quelques instants, je voudrais revenir sur les propos tenus par M. le rapporteur général à l'ouverture de notre débat, propos confirmés, si je puis dire, par M. le président de la commission des finances.
Vos arguments contre le projet de budget du Gouvernement et l'esprit qui préside à votre contre-proposition ne sont pas nouveaux. Ils ont été maintes fois réaffirmés dans cette enceinte - martelés, oserai-je même dire - par la majorité sénatoriale, et par la droite dans son ensemble. Je ne vous en fais pas grief, bien sûr, car je pense que ces propos s'inscrivent au coeur même de vos convictions, et il est clair que celles-ci restent invariables en matière fiscale.
Pour vous et vos amis, il faut que régresse de manière impérieuse et sans relâche le niveau des dépenses de l'Etat.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Des dépenses de fonctionnement !
M. Marc Massion. C'est un leitmotiv permanent dont vous ne vous fatiguez pas mais qui a lassé les Français !
En effet, vous êtes intimement convaincu que l'Etat est à l'origine, sinon de tous les maux de notre société, en tout cas d'un bon nombre.
Cette idée est effectivement ancrée au coeur de la doctrine libérale. Cette école préfère laisser totalement libre cours à l'intervention du marché, à l'initiative individuelle et aux modes de financements privés plutôt que de déveloper des mécanismes de solidarité et d'offrir des services publics répondant aux besoins de la population.
Mais - faut-il vous le rappeler ? - ce type de choix libéral ne se retrouve pas dans l'histoire de notre pays, dans l'histoire de la République ! En revanche, on a une parfaite illustration des effets dévastateurs de cette politique dans les pays qui ont toujours laissé, tout au long de leur histoire, le champ libre à ces thèses ; je pense ici, en particulier, aux Etats-Unis.
Je ne peux m'empêcher de rappeler un chiffre publié voilà quelques mois dans un quotidien : 40 % des Américains qui se situent en dessous du seuil de pauvreté sont des personnes travaillant ou ayant, dans leur cellule familiale, quelqu'un qui travaille.
Le fameux Struggle for life ne crée pas que des Bill Gates ! La réalité est bien plus complexe. Il n'y a pas que des créations d'emplois qualifiés ou suffisamment rémunérateurs pour vivre décemment dans ce pays. Robert Reich souligne lui-même que les créations d'emplois qualifiés profitent essentiellement à ceux qui possèdent déjà un haut niveau d'éducation, et il revendique l'intervention de l'Etat afin de donner à chacun un bagage éducatif suffisant.
Aujourd'hui, aux Etats-Unis, les écarts de richesse se sont creusés. Ainsi, la part du PIB perçue par les 5 % les plus riches de la population est effectivement passée, dans ce pays, de 16,5 % en 1974 à 21,1 % en 1994. Quant à la part des plus pauvres, elle a, elle, diminué, passant de 4,8 % à 3,6 % !
Qu'il n'y ait pas, toutefois, d'ambiguïté : il ne s'agit pas dans mon esprit de lancer un quelconque anathème. Tous les choix politiques se respectent en tout cas, presque tous.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais nous, nous n'avons pas parlé des Etats-Unis !
M. Marc Massion. Je souhaite seulement que certains de ces choix ne soient pas des exemples pour notre pays.
Il s'agit, en effet, de savoir ce que l'on veut. Il ne suffit pas de dire qu'il y a trop de dépenses publiques. En fait, les tenants du libéralisme critiquent non pas tellement les dépenses en elles-mêmes, mais bien plutôt le fait qu'elles soient publiques, c'est-à-dire payées, au travers du budget de l'Etat ou des autres administrations publiques, par l'impôt des contribuables. Il est important de le souligner parce que les dépenses dont il est question correspondent à des besoins indispensables pour la quasi-intégralité de nos concitoyens.
N'oublions pas que le budget de l'Etat est donné comme incompressible pour une part substantielle de ses dotations.
M. Alain Lambert, président de la commission de finances. C'est bien son drame !
M. Marc Massion. Le taux de 90 % est souvent cité. Quel que soit le niveau où l'on mettra le curseur, et sans entrer dans des débats d'experts, qui ira dire que notre pays a trop d'instituteurs, d'infirmières, de juges, ou de policiers ? J'oserai dire personne ! D'ailleurs, l'opposition elle-même est fort peu prolixe lorsqu'on l'interroge pour savoir où elle souhaite réaliser des coupes budgétaires, ...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous le disons !
M. Marc Massion. ... d'autant que nos collègues tenants de cette politique au Parlement se gardent bien, le plus souvent, de l'appliquer dans les collectivités territoriales qu'ils dirigent. Mieux même, et évidemment quand le Gouvernement est de gauche, on voit ici et là des voeux émis et des motions votées pour demander, à la suite de telle ou telle difficulté locale, plus de policiers, plus d'infirmières, plus d'enseignants.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. C'est vrai !
M. Marc Massion. Et pourtant, j'entends depuis toujours déclarer par la majorité sénatoriale, surtout d'ailleurs quand elle est dans l'opposition, qu'il convient de « s'attaquer aux composantes les plus rigides de la dépense publique, en particulier les dépenses de la fonction publique ».
Qui ira dire que les remboursements de sécurité sociale sont trop élévés ou que l'on pourrait se passer de bon nombre de services publics municipaux ou encore qu'il convient de diminuer les interventions économiques de l'Etat dont le rôle est d'être contracyclique et donc bénéfique en terme de croissance ?
En France, personne n'est réellement jamais passé aux actes en s'attaquant à de prétendus « gisements » où l'argent public serait affecté à des missions stériles, voire néfastes, improductives au niveau tant social qu'économique. Pour ma part, je pense que la raison en est qu'une telle entreprise n'est possible qu'à l'extrême marge.
Nous croyons, en revanche, à la nécessité d'améliorer l'efficacité de la dépense publique. Cela relève d'une tout autre démarche qui consiste à redonner encore plus de poids et d'effet à l'action publique : en clair et en tout cas, faire mieux et non pas faire moins.
Malheureusement pour elle mais heureusement pour le pays, à chaque fois que la droite est au pouvoir, ses discours ne sont pas suivis d'actes. Non seulement le niveau des prélèvements obligatoires s'accroît - la période 1993-1997 en est un exemple criant - mais le volume des dépenses n'est nullement maîtrisé à la baisse.
Je ne reviendrai pas sur le détail de l'audit réalisé voilà un an et demi lors du retour de la gauche au pouvoir.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il faisait de bonnes préconisations.
M. Marc Massion. Cet audit illustrait bien ces dérapages, ce dont tout le monde se souvient encore.
C'est comme si, d'une certaine manière, vous n'osiez pas aller jusqu'au bout de vos convictions, qui sont sincères, j'en suis sûr, mais qui sont très difficiles à mettre en oeuvre dans notre pays où chacun a une bonne conscience des atouts dont il dispose, en matière de service public en particulier, et qu'il souhaite préserver. Dès lors, quel jugement convient-il d'apporter ?
Faut-il considérer que ce que vous dites est critiquable en soi, ou bien que c'est critiquable parce que vous ne faites pas ce que vous dites ?
J'ai envie de répondre doublement de façon positive. Cela ne signifie pas que votre démarche soit paradoxale. Mais je crois seulement que votre discours, qui est bien sûr l'expression de votre pensée, ne peut être transformé en actes contre la volonté de la population.
Concernant le niveau des prélèvements obligatoires, je pense qu'il serait enfin temps que les responsables politiques de droite dans notre pays arrêtent de nous faire le reproche d'augmenter systématiquement les impôts. D'une part, parce que cela fait maintenant près de quinze ans que nous nous appliquons à les réduire et que nous y réussissons, d'autre part, parce que, bien qu'elle souhaite les baisser, la droite les augmente quand elle est au pouvoir.
Je ne reviendrai pas sur les chiffres, que personne ne peut objectivement, voire honnêtement, contester.
Je sais bien, chers collègues de la majorité sénatoriale, que vous vous efforcez toujours d'expliquer que si la gauche peut baisser les impôts, c'est grâce à la gestion passée de la droite et que si la droite augmente les impôts, c'est à cause des prétendues erreurs de la gauche.
M. Philippe Marini, rapporteur général. La tendance est pourtant là !
M. Marc Massion. Je dirai seulement que ce raisonnement requiert beaucoup d'acrobaties intellectuelles qui ne trompent pas - ou en tout cas plus - les Français.
Pour notre part, nous assumons notre politique, qu'elle offre de bons ou de moins bons résultats et, pour l'instant, force est de constater que cela va plutôt dans le bon sens.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il y a des hauts et des bas !
M. Marc Massion. Vouloir baisser les prélèvements obligatoires est une orientation qu'il est souhaitable d'envisager non par principe mais parce que c'est un choix politique possible.
Les comparaisons internationales des recettes publiques des différents pays dans le monde sont toujours à prendre avec beaucoup de circonspection, parce que, en regard de ces recettes, les systèmes de dépenses publiques ne sont pas homogènes entre ces pays. Il est donc illusoire de vouloir séparer ces deux volets - les recettes et les dépenses - qui n'ont de sens que reliés l'un à l'autre.
Les impôts servent une politique et, partant, un choix de société. Certes, les contribuables les plus aisés ne reçoivent jamais autant que ce qu'ils donnent. Mais est-ce critiquable ? Je ne le pense pas. C'est le principe même de la solidarité !
La question est moins de baisser l'impôt que de se demander quel impôt doit être baissé. Certes, si l'on choisit, comme le fait en général l'opposition, de baisser l'impôt pour les plus riches, ces derniers étant moins nombreux que les autres, il est possible d'envisager des baisses d'impôt individuelles et substantielles. Cela a été le cas de la dernière réforme du barème de l'impôt sur le revenu en 1996, qui a bien profité à ceux qui en ont bénéficié. Sauf qu'au total la moitié de la population - ceux de nos concitoyens qui sont les plus modestes - en a été écartée.
En revanche, si l'on souhaite abaisser l'impôt pour le plus grand nombre, une telle politique a un coût élevé - c'est vrai - et ne passe pas forcément par des baisses d'impôt substantielles pour chacun. C'est pourtant cette politique qu'il convient de mettre en oeuvre, pour des raisons de justice mais aussi d'efficacité économique : l'orientation de la présente loi de finances est là pour le démontrer.
La croissance d'un pays n'est pas uniquement alimentée par les couches les plus aisées de la société. Au contraire, même, la demande intérieure dépend essentiellement des couches modestes et moyennes de la population : le nombre compense la moindre ampleur du pouvoir d'achat individuel.
L'efficacité économique peut aller de pair avec la justice sociale, et donc avec la cohésion sociale.
Il convient d'abaisser des impôts qui, d'une part, sont appliqués au plus grand nombre et, d'autre part, reposent sur des fondements injustes.
Le choix s'impose de lui-même : il s'agit en effet de diminuer les prélèvements indirects, et ce d'autant que ces derniers occupent une place trop importante dans la structure de nos prélèvements. C'est ce qu'a amorcé le Gouvernement dans cette loi de finances et qu'il faudra, bien entendu, poursuivre.
Il est possible - et même souhaitable - de réfléchir également à une baisse d'impôt opérée sur la taxe d'habitation. Trop d'injustices se concentrent encore sur cet impôt, souvent très lourd pour nombre d'assujettis. Nous souhaitons qu'un travail conjoint du Gouvernement et de sa majorité sur ce sujet puisse se concrétiser dans les mois à venir.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Cela a l'air difficile !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faut prendre tout le temps nécessaire !
M. Marc Massion. Le Gouvernement affronte les difficultés les unes après les autres et les résout les unes après les autres, contre votre volonté mais avec l'assentiment du peuple.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ne nous pressons pas !
M. Marc Massion. Toutes ces réformes coûtent cher. Mais nous avons, pour y faire face, la ressource des plus-values de recettes fiscales apportées par la croissance ainsi que celle qui est dégagée par notre politique de justice fiscale visant les plus gros patrimoines.
Je ne voudrais pas clore mon propos sans parler de la fraude fiscale. Ce fléau, qui résulte du comportement incivique de certains de nos concitoyens, est absolument révoltant, non pas uniquement pour des raisons de morale mais parce que cette fraude ne peut qu'amener en chaîne un sentiment d'injustice et, à l'extrême, d'intolérance fiscale chez les autres contribuables, qui s'acquittent, eux, honnêtement de leur dû.
Tout cela est détestable et mérite d'être combattu, comme le font déjà les services de l'administration fiscale avec opiniâtreté et efficacité. Ainsi, 70 milliards de francs ont été récupérés en 1997, mais il reste encore une fraude estimée entre 200 milliards et 400 milliards de francs.
Je me félicite des résultats importants enregistrés par le Gouvernement en quelques mois et, surtout, de son souci d'aller plus encore de l'avant, comme le montre l'important volet consacré à ce sujet dans le texte du projet de loi de finances.
Je ne doute pas que la majorité sénatoriale sera d'accord avec le Gouvernement pour donner encore plus de moyens humains aux services spécialisés dans cette tâche difficile et pourtant indispensable.
En revanche, nous sommes plus que dubitatifs sur certains effets pervers que risque d'impliquer le dispositif nouveau sur les micro-entreprises,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Dans le bâtiment en particulier !
M. Marc Massion. ... mais nous aurons l'occasion de nous exprimer plus en détail à l'occasion de la discussion de l'article en cause.
Pour revenir à des considérations plus extra-territoriales, je voudrais ajouter que rien ne pourra être entrepris chez nous , si, dans le même temps, des initiatives similaires ne sont pas également engagées par Bruxelles sur le même sujet.
C'est pourquoi, en ce qui concerne la TVA intracommunautaire, sur laquelle il reste beaucoup à faire, j'aimerais connaître l'état d'avancement des mesures qui sont envisagées en liaison avec nos partenaires européens.
Si l'on ne se donne pas les moyens, dans le cadre de la zone euro, d'établir un code de bonne conduite fiscale, toute volonté de justice risquera d'en rester au stade des bonnes intentions.
En conclusion, je dirai que, selon nous, le Gouvernement est sur la bonne voie. Son action allie ambition et rigueur et il peut être sûr de trouver auprès de nous soutien sans faille et disponibilité pour travailler ensemble aux actions à mener à l'avenir pour conforter une politique de réforme déjà bien engagée. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

10