Séance du 23 novembre 1998







M. le président. Par amendement n° I-101, Mme Beaudeau, MM. Loridant, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« A. - L'article 6 du code général des impôts est ainsi modifié :
« I. - Le 1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Cette disposition est applicable, à leur demande, aux foyers fiscaux composés de personnes vivant en vie maritale. »
« II. - Le 3 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« ...° - Le rattachement au foyer fiscal de tout autre contribuable, dès lors que ce contribuable ajoute à ses revenus le montant des revenus perçus pendant l'année entière par cette personne. »
« B. - Les taux des trois plus hautes tranches du barème de l'impôt sur le revenu sont relevées à due concurrence de l'application du A ci-dessus. »
La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Cet amendement porte sur l'une des questions qui demeurent aujourd'hui posées par le devenir de notre système fiscal : le traitement des foyers fiscaux où deux contribuables non mariés cohabitent, sans que cela soit d'ailleurs encore totalement pris en compte.
Les débats récents à l'Assemblée nationale ont montré avec un certain éclat qu'existait encore dans notre pays une certaine réticence, chez certains, à tenir compte des évolutions profondes de notre société.
En l'occurrence, ceux qui, il y a quelques années, ont remis en question le quotient familial des parents célibataires sont ceux qui, aujourd'hui, condamnent toute initiative tendant à justifier l'égal traitement entre couples mariés et non mariés.
Une telle orientation est si éloignée du mouvement réel de notre société qu'on peut même s'étonner qu'elle soit défendue avec tant de conviction et de pugnacité par certains.
Nous devons, à l'appui de cet amendement, revenir sur quelques données fondamentales.
S'agissant du traitement des couples non mariés, seule notre législation fiscale, pour l'essentiel, n'accorde pas encore à ces couples la reconnaissance qu'elle accorde aux couples mariés.
Pour ce qui est des prestations sociales, on ne peut manquer de souligner que l'assurance maladie reconnaît une solidarité naturelle entre membres d'un couple, marié ou non, celui qui ne travaille pas pouvant être l'ayant droit de celui qui exerce une activité professionnelle.
La même observation vaut pour les prestations familiales, singulièrement les aides personnelles au logement, qui sont adaptées non pas à la situation maritale, qui n'est pas appréhendée différemment, mais aux ressources de l'ensemble des membres du foyer.
S'agissant de la plupart des règles tarifaires appliquées pour l'accès aux services publics, communaux ou autres, force est encore de constater que la situation des ménages y est traitée de façon équilibrée, qu'ils soient composés ou non de gens mariés.
Demeure donc posée la question de la législation fiscale.
Observons, en ces matières, certaines données fondamentales.
En matière d'impôt sur le revenu, les personnes à charge sont désormais traitées de la même manière - en l'occurrence, une demi-part de quotient familial - quelle que soit la situation du contribuable qui peut en avoir la charge.
En revanche, s'agissant des droits de succession, on ne sait que trop que le traitement des contribuables est différencié, ce qui ne peut manquer d'ailleurs, entre autres conséquences, de provoquer quelques mariages tardifs, que l'on pourra à bon droit qualifier de mariages de raison pour les contribuables vivant en concubinage.
Pour autant, on ne peut oublier non plus que la faculté de déposer une déclaration commune, qui demeure déniée aux contribuables non mariés, et dont la portée et le coût fiscal seraient simplement limités aux ménages où seul l'un des membres travaille, n'empêche pas les contribuables concernés de se voir appliquer en matière d'impositions locales les mêmes règles que celles qui sont appliquées aux couples mariés, notamment en matière de plafonnement des cotisations de taxe d'habitation.
Nous sommes un peu dans une situation où l'ensemble des « inconvénients » du système fiscal lié à l'imposition commune sont appliqués sans qu'il en aille de même pour les « avantages ».
C'est donc une mesure de justice fiscale, mais aussi de justice sociale, que j'invite le Sénat à adopter, mesure qui - on ne peut manquer de le faire observer, encore une fois - correspond à une évolution profonde de notre société dont il conviendra bien, un jour, de tenir compte.
Devons-nous en effet oublier que le tiers des naissances que connaît notre pays sont le fait de couples non mariés ?
Un dernier mot sur la possibilité offerte par notre amendement de déclaration commune pour des fratries.
Une telle évolution correspond, là encore, à un mouvement de notre société, mouvement que l'on peut d'ailleurs regretter dans la mesure où la précarisation des conditions de vie et parfois la solitude imposent le maintien de solidarités familiales.
La prise en compte de ces réalités doit intervenir pleinement dans notre législation fiscale, même si l'exercice de cette faculté doit évidemment être par nature provisoire.
C'est sous le bénéfice de ces observations que j'invite le Sénat à adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est un avis, bien entendu, défavorable.
La majorité de la commission, qui a beaucoup de respect pour l'institution du mariage, considère que seul le couple marié bénéficie de la stabilité lui permettant, notamment, de mieux faire son devoir vis-à-vis de ses enfants.
J'arrête là mes explications. Le débat rebondira très certainement de façon fertile lorsque nous examinerons le texte relatif au PACS que le Gouvernement a eu l'étrange idée de mettre dans la mécanique législative, et ce dans les conditions que l'on sait.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur Foucaud, cet amendement, qui tend à une imposition commune des concubins, est prématuré.
Comme l'a excellemment dit M. le rapporteur général, ce problème sera réglé au mieux - cela, il ne l'a pas dit ! - par la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.
Vous aurez donc bientôt satisfaction, et c'est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer l'amendement.
M. le président. L'amendement est-il maintenu, monsieur Foucaud ?
M. Thierry Foucaud. Cet amendement visait à corriger une anomalie fiscale. Si le PACS doit répondre à mon attente, je le retire.
M. le président. L'amendement n° I-101 est retiré.
Par amendement n° I-96, Mme Beaudeau, MM. Loridant, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent :
I. - Après l'article 2, d'insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 81 du code général des impôts est complété in fine par un alinéa ainsi rédigé :
« Les primes à la performance attribuées aux joueurs de football membres de l'équipe de France lors de la Coupe du monde de football 1998. »
II. - Les droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts sont relevés à due concurrence.
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° I-265, présenté par M. Charasse, et tendant, dans le texte proposé pour compléter l'article 81 du code général des impôts, après les mots : « de l'équipe de France lors de », à insérer les mots : « la finale de ».
La parole est à M. Foucaud, pour présenter l'amendement n° I-96.
M. Thierry Foucaud. Le 12 juillet dernier, notre pays anticipait quelque peu la date de sa fête nationale, en connaissant, à la suite de la victoire de son équipe de football lors de la Coupe du monde qu'il avait organisée avec succès, une grande soirée de joie et d'émotion collectives.
En effet, un groupe de vingt-deux joueurs, représentatifs de la diversité actuelle de notre pays, de toutes origines sociales, venus de bien des régions de la métropole et de l'outre-mer, battait en finale de cette grande compétition internationale le Brésil et parvenait à faire entrer notre pays dans le cercle très fermé des nations ayant gagné au moins une fois cette coupe prestigieuse.
Au-delà de leurs qualités sportives, athlétiques et techniques, requises par ce type d'épreuve sportive, c'est aussi par leur force morale et leur détermination que nos « footeux » - veuillez me pardonner cette expression - ont su forger un succès historique.
A l'occasion d'autres grands rassemblements sportifs, comme les récents jeux Olympiques d'été de Barcelone et d'Atlanta ou les jeux d'hiver d'Albertville et de Lillehammer, notre législation fiscale a su, en quelque sorte, faire abstraction de sa pleine application en exonérant de tout prélèvement les primes attribuées à nos champions.
Une telle démarche nous semble devoir être mise en oeuvre en faveur des vainqueurs de la Coupe du monde de football de 1998, pour montrer ainsi, d'une certaine façon, notre reconnaissance collective pour leur exploit.
Nul doute, en effet, que la performance de nos joueurs va engendrer - je crois que c'est déjà sensible - un engouement nouveau pour la pratique sportive qui, sous certaines conditions et dans le respect d'une éthique de comportement parfois bien oubliée par certains commanditaires, constitue - on ne le dira jamais assez - un formidable vecteur d'intégration sociale et de respect de soi et des autres.
Sous le bénéfice de ces observations, j'invite le Sénat à adopter cet amendement, dont le coût est relativement symbolique et qui nous permet d'aller jusqu'au bout de notre démarche à l'égard de l'équipe de France.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. De prime abord, cet amendement nous inspire, bien entendu, beaucoup de sympathie, tant est encore grande notre communion après ce succès absolument remarquable qui a mis notre pays à l'honneur dans le monde. On ne peut, par ailleurs, que saluer la finalité sociale qui anime les auteurs de l'amendement en ce qui concerne les revenus dont il s'agit, la mesure devant, bien évidemment, s'appliquer tout particulièrement aux titulaires de ces revenus dont le domicile fiscal serait localisé en France.
En commission, il a été rappelé que l'article 100 du code général des impôts permet l'étalement dans le temps de revenus à caractère exceptionnel, cette disposition étant susceptible de s'appliquer à des revenus sportifs d'une ampleur particulière.
La commission souhaite donc entendre le Gouvernement sur ce sujet, réservant l'expression de sa position jusqu'à ce qu'il nous ait dit comment il appréhende cette intéressante question.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je suis très heureux que, pour une fois, le rapporteur général souhaite connaître l'avis du Gouvernement avant de déterminer le sien.
Le Gouvernement s'est, bien évidemment, réjoui de l'euphorie nationale qui a suivi la victoire de l'équipe de France en Coupe du monde de football.
Aujourd'hui, les auteurs de l'amendement invitent la Haute Assemblée à manifester son admiration et sa reconnaissance par un dispositif fiscal consistant en une exonération d'impôt sur le revenu des primes qui ont été reçues par les joueurs de l'équipe de France à cette glorieuse occasion.
Pour ma part, je souhaite faire deux remarques.
La première, c'est que deux types de joueurs sont concernés : ceux qui sont résidents en France et ceux qui jouent dans des clubs étrangers, la répartition se faisant grosso modo moitié moitié.
Les joueurs français qui sont fiscalement domiciliés à l'étranger paieront, sur les fameuses primes à la performance, une retenue à la source de 15 %.
Faut-il, dès lors, réserver un sort particulièrement privilégié aux joueurs de l'équipe qui sont restés en France ? Ce point mérite réflexion.
J'en viens à ma deuxième remarque : nous avons tous présent à l'esprit le fait que le succès de notre pays est évidemment, au premier chef, le succès des joueurs. Mais il est aussi celui des membres de l'équipe technique qui, avec les joueurs, ont été les artisans de cette victoire inoubliable.
Monsieur Foucaud, le Gouvernement est sensible à la préoccupation que vous exprimez par cet amendement. Nous pensons qu'il faut faire un geste en direction des joueurs de l'équipe de France. Mais nous ne devons pas oublier les membres de l'équipe technique.
Appelé a faire un geste par l'amendement que vous avez déposé, le Gouvernement comprend votre préoccupation et entend y réfléchir de façon approfondie.
Dans l'attente de l'aboutissement de cette réflexion, je vous suggère, monsieur le sénateur, de retirer votre amendement dont le sens a été bien compris. Sinon, à ce moment du débat, je serais obligé d'en demander le rejet.
Sachez que le Gouvernement a entendu votre message et que vous pourriez retirer votre amendement sans aucun dommage. Je vous remercie d'ailleurs d'avoir apporté cette contribution très positive à notre débat.
M. le président. La parole est à M. Charasse, pour défendre le sous-amendement n° I-265.
M. Michel Charasse. Comme l'ont dit M. le secrétaire d'Etat et M. le rapporteur général, on comprend bien la démarche consistant à demander de faire un geste au-delà de ce qui a déjà été fait pour rendre hommage à notre équipe nationale.
Seulement, je ne sais pas si c'est à dessein ou non, l'amendement de nos collègues communistes accorde un cadeau d'une générosité formidable, qui va bien au-delà du geste.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ils ont bon coeur !
M. Michel Charasse. En effet, si j'ai bien compris votre texte, mes chers amis, vous proposez d'exonérer toutes les primes qui ont été attribuées à tous les joueurs tout au long de la compétition, c'est-à-dire pour tous les matches.
Or, monsieur le secrétaire d'Etat, jusqu'à présent, si le Parlement - c'était d'ailleurs sur ma proposition, dans les années quatre-vingt-dix - avait accepté de faire un geste pour nos médaillés olympiques, cela concernait seulement la prime accordée aux titulaires de médaille olympique et pas toutes les primes accordées à l'occasion de toutes les épreuves précédant la remise de la médaille.
Que l'on veuille faire un geste, je le comprends, mais on ne saurait faire deux poids, deux mesures, d'autant que les primes perçues par les joueurs tout au long des épreuves, c'est-à-dire pour chaque match, sont énormes.
Ce ne sont pas les plus pauvres de la planète que nous allons récompenser là, nous allons faire un cadeau fiscal - sans doute est-ce involontaire de la part des rédacteurs de l'amendement - à des joueurs célèbres et célébrés.
Mes chers collègues, le débat se situe entre le geste et le cadeau. S'il s'agit d'un geste pour rendre hommage, il concerne, comme pour les médaillés olympiques, les primes du dernier match et dans la limite de ce montant. Tel est donc l'objet de mon sous-amendement, qui vise à limiter la portée de l'amendement au seul match de la finale.
Cela ne règle pas pour autant l'objection soulevée par M. le secrétaire d'Etat, et qui est parfaitement fondée, à propos de ceux des joueurs qui ne sont pas imposables en France. Pour eux, il y aurait effectivement lieu de rechercher une compensation qui ne peut pas être, me semble-t-il, législative, mais qui pourrait prendre la forme d'un geste financier et intuitu personae, de la part du ministère de la jeunesse et des sports sans doute. La compensation serait donc sur le plan fiscal pour les joueurs imposés en France et sur un autre plan pour les joueurs ayant leur résidence fiscale à l'étranger.
Mon sous-amendement n'a pour objet que de limiter les dégâts. Si l'amendement auquel il se rattache était retiré, je me sentirais soulagé. Si cet amendement n'était pas retiré et devait être voté par le Sénat, je me sentirais un peu moins soulagé, mais soulagé tout de même si le sous-amendement était adopté, car j'aurais ainsi limité la portée de la mesure uniquement à ce qui a fait la victoire.
Mes chers collègues, certes, c'est l'ensemble des succès accumulés tout au long des épreuves qui mène à la victoire, mais j'ai le sentiment que les Français tremblaient plus le jour de la finale que les autres jours. Comme pour les jeux Olympiques, honorons la médaille, la coupe, et pas les victoires intermédiaires.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission sur l'amendement n° I-96 et sur le sous-amendement n° I-265 ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le président, le débat a été fort utile et fort intéressant, mais M. le secrétaire d'Etat au budget nous a rappelé la relative complexité de ce sujet et la nécessité de prendre un temps raisonnable. Peut-être que d'ici à l'examen de la loi de finances rectificative, les réunions nécessaires auront pu être tenues de sorte que, si le Gouvernement estime devoir faire une proposition, il puisse la formuler.
Je dois dire, mes chers collèges, que j'adhère bien volontiers aux motivations générales qui ont été indiquées au début de son intervention par M. Michel Charasse, et je n'en dis pas plus long sur ce sujet.
Comment peut-on transposer la jurisprudence des jeux Olympiques à la Coupe du monde ? Il serait raisonnable que l'amendement soit retiré et que les consultations nécessaires puissent avoir lieu de telle sorte que des dispositions nous soient proposées en temps utile.
Si l'amendement n'était pas retiré, pour ma part, au nom de la commission, j'émettrais, comme le Gouvernement, un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Foucaud, avez-vous entendu l'appel de la commission et du Gouvernement ?
M. Thierry Foucaud. Monsieur le secrétaire d'Etat, votre proposition me paraît claire et elle me convient. Je vous en remercie et je retire donc l'amendement.
M. le président. L'amendement n° I-96 est retiré et le sous-amendement n° I-265 n'a donc plus d'objet.
Par amendement, n° I-100, Mme Beaudeau, MM. Loridant, Foucaud, les membres du groupe communiste, républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Après le sixième alinéa, il est inséré dans l'article 83 du code général des impôts un alinéa additionné ainsi rédigé :
« ... les cotisations versées aux sociétés mutualistes. »
II. - Dans le premier alinéa de l'article 980 bis du code général des impôts, la mention : « n'est pas » est remplacée par la mention : « est ».
La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Cet amendement, auquel nous attachons beaucoup d'importance, a pour objet la prise en compte des cotisations mutualistes volontaires dans le cadre des éléments déductibles du revenu imposable des salariés.
Je me dois de présenter une observation liminaire : cet amendement a un coût évidemment variable selon l'analyse que l'on fait de sa portée.
L'ensemble des cotisations sociales des non-salariés bénéficie d'une exonération totale d'imposition qui s'impute sur les revenus déclarés en bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles ou bénéfices non commerciaux. Donc, ces personnes qui cotisent à une mutuelle peuvent déduire leurs cotisations de leur revenu imposable.
Sous certaines conditions, les salariés peuvent bénéficier de cette exonération, dès lors que des contrats collectifs de couverture mutualiste sont signés dans leur entreprise.
La question de la couverture mutualiste se pose également dans un contexte particulier : l'augmentation du nombre de salariés, de ménages dans l'incapacité de souscrire des contrats, ce qui aboutit, de fait, à une remise en cause du droit à la santé.
L'absence de couverture mutualiste complémentaire est en effet bien souvent un facteur d'inégalité devant l'accès aux soins, et donc, très concrètement, un vecteur de l'exclusion sociale, même si elle est parfois compensée par l'appel à l'aide sociale attribuée par les collectivités locales et leurs centres communaux d'action sociale.
L'existence du ticket modérateur, du forfait hospitalier, dont nous avons pu parler à l'occasion de la discussion de la loi relative au financement de la protection sociale, sont en effet des éléments de pression sur les budgets locaux, singulièrement lorsqu'il y a absence de couverture complémentaire.
Par cet amendement, monsieur le secrétaire d'Etat, nous proposons de remédier à cet état de fait.
S'agissant du coût de la mesure, nous sommes contraints de souligner de façon liminaire qu'elle est certes coûteuse sur le plan fiscal, mais qu'elle est porteuse aussi d'économies sensibles, tant pour le budget de l'Etat que pour le budget de la sécurité sociale et des collectivités territoriales.
Nous concevons en effet la déductibilité comme un élément d'amélioration de la couverture des assurés sociaux, des salariés, mais aussi des chômeurs, qui, dans de nombreuses mutuelles, bénéficient d'une réduction de leur cotisation ce qui permet de réduire la pression sur les budgets locaux, sur les budgets sociaux et sur le budget de l'Etat.
Mieux couverts, les salariés sans emploi ou retraités, ainsi que leurs familles, auront moins l'appréhension de solliciter l'avis d'un médecin pour telle ou telle affection dont ils pourront souffrir, ce qui permettra de mettre en oeuvre une politique de prévention sanitaire source d'économies.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous constatons de plus en plus souvent, hélas ! dans certaines villes de banlieue mais aussi dans certaines zones rurales, que des familles ne veulent plus faire appel à un médecin parce qu'elles n'ont pas les moyens de payer le ticket modérateur.
On ne doit pas oublier également qu'une partie importante des salariés de notre pays est aujourd'hui non imposable et que la déductibilité fiscale des cotisations mutualistes n'aura donc pas d'effet complémentaire sur le montant de son imposition.
Quant aux autres salariés, ceux qui paient des impôts, cela aura comme effet de mettre un terme à l'inégalité de traitement, dont j'ai déjà parlé au début de mon intervention, entre les salariés et les non-salariés.
Mes chers collègues, je vous invite à adopter cet amendement auquel notre groupe attache une attention particulière. Je souhaiterais vivement qu'il fût adopté.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Le sujet abordé est vaste mais je ne pense pas qu'il ait été analysé de façon suffisamment méthodique par les auteurs de l'amendement. En effet, le champ d'application de la mesure proposée paraît absolument considérable, et il me semble qu'entreraient dans les limites de cette exclusion du revenu imposable aussi bien des cotisations que des primes versées à des régimes de type assuranciel, gérés par des mutuelles, que ce soit d'ailleurs des mutuelles ayant statut de compagnie d'assurances ou des mutuelles régies par le code de la mutualité de 1945.
De ce fait, des distorsions de concurrence pourraient apparaître entre des intervenants dont les métiers sont identiques mais qui ne seraient pas soumis aux mêmes règles juridiques et, surtout, fiscales.
Enfin, le gage proposé est strictement inadmissible, et même anti-économique.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission des finances a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. J'ai écouté avec beaucoup d'attention l'exposé de M. Loridant, qui a évoqué deux questions qui sont au coeur de notre modèle social, tout au moins du modèle social qu'il défend, ainsi que le Gouvernement et la majorité de l'Assemblée nationale.
La première question touche à l'importance du secteur mutualiste, lequel permet une véritable solidarité, à la différence du « tout-assurances privées » préconisé par certains.
La seconde question concerne la situation de personnes en difficulté, en particulier de chômeurs ou de jeunes, qui pourraient être incités à verser davantage de cotisations à des mutuelles.
Il me semble que, en la matière, deux catégories distinctes coexistent dans la population française : environ 12 % de celle-ci, c'est-à-dire près de 7 millions de personnes, notamment des jeunes et des chômeurs, ne bénéficient pas d'une protection sociale complémentaire. Le projet de loi relatif à la couverture maladie universelle, qui s'inspire des travaux conduits par un député, M. Jean-Claude Boulard, lesquels donnent lieu actuellement à une concertation approfondie, sera soumis au Parlement dans les premiers mois de l'année prochaine.
La mise en place de cette couverture maladie universelle répond bien, à mon avis, à l'objectif principal visé par M. Loridant, à savoir éviter que la précarité sanitaire ne s'ajoute à la précarité sociale.
Cependant, il s'agit de 12 % de la population française. C'est évidemment trop, mais, pour les 88 % qui cotisent volontairement à une assurance maladie complémentaire, votre proposition s'analyserait en un avantage fiscal relevant de l'« aubaine », si vous me permettez cette expression, pour un coût budgétaire très important.
Pour répondre à M. Loridant, je crois qu'il est impératif que le Gouvernement et la majorité qui le soutient focalisent les moyens de l'Etat sur les personnes qui en ont le plus besoin, c'est-à-dire les jeunes, les chômeurs, les personnes en situation précaire ; à cet égard, je pense que le projet de loi sur la couverture maladie universelle, monsieur Loridant, madame Beaudeau, vous apportera satisfaction.
Pour les autres, la mesure aurait un coût très important pour une dépense qui a, certes, une utilité sociale, mais qui n'est pas, me semble-t-il, la plus prioritaire parmi les interventions sociales du Gouvernement.
Je vous demande donc, ayant entendu votre appel pour que ceux qui sont dans les situations les plus difficiles bénéficient, à l'avenir - ce qui n'était pas le cas dans le passé - d'une couverture maladie complémentaire, solide, correcte, et puisque vous allez obtenir bientôt satisfaction avec l'ensemble de la majorité qui soutient le Gouvernement, de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. Monsieur Loridant, maintenez-vous l'amendement n° I-100 ?
M. Paul Loridant. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je vais donc le mettre aux voix.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, je vais être obligé de solliciter votre indulgence. Je crois pouvoir pronostiquer qu'elle m'est acquise vous connaissant.
J'en demande pardon à mon collègue Paul Loridant, mais je ne voudrais pas que notre précédent débat s'achève en donnant le sentiment que le Sénat serait unanime à demander au Gouvernement, pour marquer notre joie et notre assentiment à la victoire en Coupe du monde de footall, de faire un geste car, pour ma part - et je crois exprimer l'opinion de nombreux sénateurs - je ne vous demande rien du tout, monsieur le secrétaire d'Etat !
Je suis même hostile à ce que la valeur emblématique de cette victoire, du point de vue qui nous intéresse dans cette assemblée - et qui n'est pas le côté sportif - du point de vue de l'image qu'elle a donnée de notre nation, avec ses valeurs d'intégration, de courage, d'allant, soit en quelque sorte affaiblie par une décision de cette nature.
Si intégration il y a, s'il y a valeur emblématique, il faut que tout le monde entende le message : dans ce pays, tout le monde doit payer l'impôt sur le revenu. C'est la contribution de chacun au bien commun. Plus on a d'occasions de le démontrer, de le rappeler, plus on a de chance de faire oeuvre utile, pédagogique.
J'ajoute que j'appartiens à cette catégorie particulière d'esprits qui considèrent que les jeux ont certes leur valeur, mais qu'ils n'en ont pas dans les registres qui nous intéressent.
Pour le reste - et je crois que d'autres pensent comme moi - les tarifs auxquels s'opèrent les transferts et les paies qui sont accordées à ce type d'activité m'apparaissent très souvent moralement choquants. Je ne voudrais pas qu'à cette occasion on vienne ajouter à ce qu'ils peuvent avoir de choquant ! (Applaudissements sur les travées socialistes. - MM. Jean Chérioux et Jean-Philippe Lachenaud applaudissent également.)
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Sur l'amendement n° I-100 que vient de présenter notre collègue M. Loridant, je rappelle qu'il s'agit de déduire de l'imposition sur le revenu les sommes versées par les salariés qui souhaitent obtenir une couverture complémentaire des sommes non remboursées par la sécurité sociale. C'est fondamental, monsieur le secrétaire d'Etat !
Je suis tout à fait d'accord sur le fait que la couverture maladie universelle sera très importante pour tous ces jeunes, ces chômeurs et ces familles qui n'ont effectivement pas de couverture sociale. Mais nous attirions votre attention sur la mutuelle que paient un grand nombre de salariés ; je pense principalement à ceux qui ne perçoivent que le SMIC et qui doivent bien souvent payer une cotisation de 400 à 500 francs par mois pour avoir une couverture sociale.
Ce sont ces personnes-là, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous retrouvons dans les bureaux d'aide sociale et les commissions cantonales, et qui viennent demander la couverture du ticket modérateur. Je pense notamment au forfait hospitalier, qui n'est, bien souvent, pris en charge que par les mutuelles. Les familles qui n'ont pas payé ou qui n'ont pas de mutuelle se retournent automatiquement vers les bureaux d'aide sociale du conseil général ou de la collectivité.
Vous allez, dites-vous, examiner cette question. Il est très important, monsieur le secrétaire d'Etat, de permettre à certaines familles, pour qui la dépense peut parfois représenter de 5 % à 10 % du salaire, de bénéficier d'une réduction de l'impôt sur le revenu si elles cotisent à une mutuelle.
Très souvent, les bureaux d'aide sociale et les commissions cantonales refusent de prendre en charge les tickets modérateurs des forfaits hospitaliers au motif - cela figure sur la notification de la décision - que les familles ne cotisent pas à une mutuelle. Mais c'est parce qu'elles ne le peuvent pas !
M. Paul Loridant. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le secrétaire d'Etat, en dépit de nos relations amicales, je ne vous suivrai pas sur la demande de retrait de cet amendement, parce que nous touchons là au coeur de la situation sociale.
J'ai bien entendu le rapporteur général, qui, pour donner un avis défavorable sur cet amendement, a invoqué le respect des règles de concurrence en mettant en avant, évidemment, le secteur des assurances, plus précisément des assurances privées.
Cet amendement, qui a été bien réfléchi, vise à favoriser le mouvement mutualiste. Nous considérons en effet que, dans notre type de société aujoud'hui, le mouvement mutualiste est encore un lieu où se cultive l'esprit de solidarité et d'entraide, esprit qu'il est nécessaire non seulement de préserver, mais d'encourager quand les salariés font cet effort. Il faut le faire au même titre que l'on encourage, en les rendant déductibles du revenu imposable, les cotisations aux syndicats, les dons aux partis politiques ou aux oeuvres altruistes.
Il s'agit donc bien, de notre part, d'une volonté de prendre en compte le mouvement mutualiste et d'inscrire les cotisations dans la détermination du revenu net imposable afin que les personnes bénéficient de déductions fiscales.
Je me permets d'insister d'autant plus, monsieur le secrétaire d'Etat, que beaucoup de familles, que nous retrouvons, hélas ! dans nos centres communaux d'action sociale, et j'en préside un, ne peuvent pas payer les sommes qui leur incombent, sommes qui, finalement, sont prises sur les fonds soit du département, soit des communes.
Il me semble que si vous répondiez favorablement à notre amendement, non seulement nous obtiendrions un degré d'efficacité supplémentaire, mais nous répartirions vraisemblablement mieux une charge qui devient de plus en plus lourde. De plus, dans nos communes, aujourd'hui, de plus en plus de familles hésitent à se faire soigner en raison du coût beaucoup trop élevé qui reste à leur charge.
Je me suis permis de dire tout à l'heure que nous attachions beaucoup d'importance à cet amendement. Je vous invite, par conséquent, mes chers collègues, à l'adopter.
M. Thierry Foucaud. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Je voudrais revenir sur l'intervention de notre collègue M. Mélenchon, de façon positive et sans malice.
La question soulevée était simple. Je me suis rallié à la proposition de M. le secrétaire d'Etat, estimant qu'elle était sage.
En revanche, que l'on ne me donne pas de leçon d'éthique sportive !
Je suis maire d'une ville de 13 000 habitants, dont plus de 25 % de la population est licenciée dans une activité sportive, sans compter ceux qui pratiquent le sport sans pour autant avoir pris une licence. Comme la quasi-totalité des communes de France, ma ville a souffert des budgets de misère alloués par les gouvernements précédents en matière d'éducation sportive, de sport. Je tenais à dire cela.
J'en viens aux transferts des joueurs de football.
Certaine personne, voilà quelques années seulement, alors secrétaire d'Etat ou ministre, a fait de la surenchère.
Pour ne pas envenimer le débat, j'en resterai simplement là, mais j'insiste : il n'y avait pas de malice dans cette proposition. Elle était à la fois sportive, bien sûr, et financière. Il ne s'agissait pas d'un coup politique. Comme tout le monde, comme vous, nous avons soutenu l'équipe de France ; je continue à la soutenir, ainsi que tous les sportifs français.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-100, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Demande de priorité