Séance du 23 novembre 1998







M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° I-99 Mme Beaudeau, MM. Loridant, Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Les dispositions des articles 6 et 92 de la loi de finances pour 1997 (loi n° 96-1181 du 30 décembre 1996) sont abrogées.
« II. - Dans le premier alinéa de l'article 199 decies B du code général des impôts, le taux : « 15 % » est remplacé par le taux : « 10 % ».
Par amendement n° I-170, MM. Oudin, Besse, Braun, Cazalet, Chaumont, Delong, Gaillard, Haenel, Joyandet, Ostermann et Trégouët proposent d'insérer, après l'article 2 bis , un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le deuxième alinéa du a du 5 de l'article 158 du code général des impôts est ainsi modifié :
1°) Dans la première phrase, le millésime « 1996 » est remplacé par le millésime « 1998 ».
2°) Les deux dernières phrases sont supprimées.
« II. - La perte de recettes résultant du I ci-dessus est compensée à due concurrence par la majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à Mme Beaudeau, pour défendre l'amendement n° I-99. Mme Marie-Claude Beaudeau. Cet amendement de notre groupe se situe dans un contexte assez particulier.
En effet, nul ne peut ignorer que les retraités et pensionnés de notre pays ont un peu l'impression d'être mis en accusation en matière fiscale et sociale, sous prétexte que leur situation financière serait, de façon générale, plus favorable que celle des actifs et singulièrement des plus jeunes.
On ne peut ainsi oublier que la mise en place d'un plafonnement sans cesse réduit du montant des 10 % accordés aux pensions et retraites s'est accompagnée d'une réforme de la contribution sociale généralisée qui a accru les prélèvements appliqués sur ces mêmes revenus, sans compensation significative, d'ailleurs.
Je rappellerai le déroulement du processus actuel.
Les retraites et pensions ont subi de plein fouet les effets de la réforme de 1993, qui, sous le motif de préserver le système par répartition, a surtout contribué à réduire le pouvoir d'achat des pensions et retraites et à remettre en question le droit à la retraite à taux plein à soixante ans, inscrit pourtant dans notre législatioin depuis 1982.
Elles ont donc également subi les effets de la prétendue réforme de l'impôt sur le revenu qui a tendu à compenser certains effets taux par un effet base, réintégrant d'ailleurs - est-ce vraiment une surprise quand il s'agit d'une réforme de « droite » ? - dans la base de l'impôt des revenus salariaux ou assimilés, le congé maternité, les déductions supplémentaires - je l'ai démontré tout à l'heure - et des revenus de transfert, les retraites et les pensions par baisse du plafond des 10 %.
On ne dira jamais assez que cette réforme n'avait fait qu'esquisser la nature des vrais problèmes posés par l'impôt sur le revenu, notamment ceux de la profonde inégalité de traitement des composantes du revenu des ménages, inégalité défavorable aux salaires et aux revenus du travail et scandaleusement favorable aux revenus du capital et de la propriété.
Son abandon, à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale au printemps 1997 et du résultat des élections en découlant, ne doit cependant pas faire oublier la nécessité d'en faire disparaître toutes les caractéristiques et de reposer à nouveau la question de la réforme nécessaire de cet impôt sur le revenu.
On pourra toujours nous objecter que les pensions et les retraites concernées encore aujourd'hui par l'application de l'abaissement du plafond sont d'un niveau relativement important - on se situe, en effet, à hauteur de 200 000 francs de revenus annuels - mais il n'en demeure pas moins que nous ne sommes pas au bout, si l'on peut dire, de notre réflexion.
Les pensions et les retraites sont, en effet, sous la forme que nous leur connaissons, des salaires différés et sont représentatives, en quelque sorte, des contributions au financement des pensions que les intéressés ont pu effectuer tout au long de leur carrière professionnelle.
Il n'est donc pas scandaleux que soit appliqué à des salaires différés ce que la législation applique aux traitements et aux salaires eux-mêmes.
Il ne faut pas non plus oublier que bien des revenus du capital et de la propriété jouissent d'avantages fiscaux bien plus préoccupants et discutables que ceux qui sont accordés aux revenus salariaux ou assimilés et que, par exemple, l'exonération de taxation des plus-values à concurrence de 50 000 francs pourrait s'apparenter à un avantage consenti à un revenu salarial de 500 000 francs annuels.
Une telle inégalité de traitement nous semble donc devoir être remise en question et tel est l'objet de cet amendement, que je ne peux que vous inviter, mes chers collègues, à adopter.
M. le président. La parole est à M. Oudin, pour présenter l'amendement n° I-170.
M. Jacques Oudin. La diminution du plafond de la déduction de 10 % pour les frais professionnels des retraités était justifiée par la diminution générale pluriannuelle du barème de l'impôt sur le revenu lancée par le précédent gouvernement. Chacun se souvient de cette réforme de l'impôt sur le revenu, qui devait être étalée sur plusieurs années.
Le gouvernement actuel a mis fin à cette réforme, mais sans remettre en cause les mesures d'accompagnement, dont celle qui touchait les retraités.
Il convient donc de revenir aux conditions antérieures de la déduction, de tirer ainsi toutes les conséquences de l'arrêt de la réforme de l'impôt sur le revenu imposé par la majorité plurielle et de réexaminer le cas de nos retraités.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s I-99 et I-170 ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission est, bien évidemment, très sensible au souci qu'expriment les auteurs de ces deux amendements, et elle le partage : il s'agit de ne pas pénaliser les retraités dont l'avantage fiscal n'avait été diminué, en 1997, qu'en contrepartie - M. Oudin l'a très justement rappelé - d'un relèvement du seuil d'imposition et d'un allègement du barème.
En ce qui concerne l'amendement n° I-99, la nature du gage qui l'affecte lui paraissant inadéquate, la commission a émis, à son grand regret, un avis défavorable.
Pour ce qui est de l'amendement n° I-170, je ferai référence, monsieur le secrétaire d'Etat, au débat que vous avez eu à l'Assemblée nationale sur ce sujet. En effet, si ma mémoire est bonne, le rapporteur générale de la commission des finances de l'Assemblée nationale avait déposé un amendement visant à réaliser cette atténuation de la charge fiscale sur les retraites à compter de l'année 2000. Cet amendement avait été voté en première délibération par l'Assemblée nationale et, comme cela arrive parfois dans les relations entre le Gouvernement et sa majorité - c'est une chose que nous avons connue, nous aussi, en d'autres temps - l'amendement en question a été éliminé en seconde délibération. Il faut bien que le Gouvernement fasse prévaloir une certaine harmonisation des points de vue au sein de sa propre majorité. (M. le secrétaire d'Etat fait un signe d'approbation.) Nous ne saurions lui jeter la pierre à ce sujet puisque, je le répète, c'est arrivé sous toutes les majorités.
Toutefois, m'appuyant sur ce précédent qui est intervenu à l'Assemblée nationale, qui montre que, sur un sujet de cette nature, il peut y avoir parfois un certain trouble, je souhaite proposer à MM. Oudin, Besse et Braun de bien vouloir, comme ils l'ont fait sur le précédent amendement qui concernait les allocations maternité, retirer leur amendement, afin que nous puissions le réexaminer en deuxième partie avec l'ensemble des mesures concernant l'impôt sur le revenu, de manière à avoir une vue coordonnée et globale de ce sujet.
Enfin, je précise que, si cet amendement s'appliquait dès le 1er janvier 1999, il en résulterait une moins-value de ressources pour l'Etat proche de 1 milliard de francs.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur général, je vous ferai remarquer, avec courtoisie, qu'il y a deux débats : d'une part, le débat sur l'abattement dont bénéficient les pensions pour les impôts payés en 1999 sur les revenus de 1998 - c'est ce dont nous parlons actuellement - et, d'autre part, le débat qui a eu lieu à l'Assemblée nationale ; j'y ferai allusion dans quelques instants, simplement pour rectifier un petit point d'histoire.
Cet abattement s'élève à 20 000 francs. Mme Beaudeau propose de le porter à 31 900 francs et M. Oudin à 28 000 francs, sachant que cette diminution de l'abattement avait été instaurée par le gouvernement précédent ; mais je n'insiste pas sur ce point. Je ferai simplement remarquer que cet abattement de 20 000 francs qui s'applique aux impôts payés en 1999 au titre des revenus de 1998 s'adresse, par définition, à des retraités qui disposent d'un revenu imposable supérieur à 200 000 francs par an. Malheureusement, ceux-ci constituent une petite minorité : ils représentent 6 % de la population des retraités.
Par ailleurs, le Gouvernement a fait montre, me semble-t-il, d'une grande sollicitude à l'égard des retraités, surtout de ceux qui en avaient le plus besoin.
Je rappelle la mesure qui a été prise en faveur des retraites agricoles, qui sont très faibles et ne risquent pas d'être concernées par l'abattement dont nous débattons aujourd'hui : le Gouvernement a consacré, à la demande de sa majorité à l'Assemblée nationale, 1,2 milliard de francs pour revaloriser les retraites agricoles, lesquelles se situent plus autour de 2 000 à 3 000 francs par mois que des 15 000 francs à 20 000 francs dont nous parlons aujourd'hui. Cet abattement de 20 000 francs est donc une mesure de sagesse.
Je reviendrai maintenant sur un point d'histoire, à l'adresse de M. Marini. A l'Assemblée nationale, un débat s'est instauré entre le Gouvernement et sa majorité sur le point suivant : la majorité parlementaire souhaitait que le bénéfice de cet abattement de 20 000 francs soit étendu aux revenus de 1999 taxés en l'an 2000. Ce débat a eu lieu lors de l'examen de la deuxième partie du projet de loi de finances.
J'ai fait remarquer que nous aurions le temps, sans aucun préjudice pour les retraités, de traiter de cette question dans le budget de l'an 2000, c'est-à-dire dans un an à peu près jour pour jour et que, d'ici là, nous aurions connaissance du résultat d'une consultation très vaste lancée par le Commissariat général du Plan sur le meilleur dispositif à adopter pour pérenniser le système de retraite par répartition auquel le Gouvernement et la majorité qui le soutient sont particulièrement attachés.
Donc, vous le voyez, le débat portait non pas sur 1999, mais sur la meilleure façon de traiter de l'imposition des retraités en l'an 2000 au titre des revenus perçus en 1999.
En conclusion, je suggère que nous en restions à 20 000 francs d'abattement sur les pensions et, partant, je demande le retrait des amendements n°s I-99 et I-170, ou, à défaut, leur rejet.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-99.
M. Michel Charasse. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Je suis contre l'amendement n° I-99 et contre également l'amendement n° I-170, car je me pose la question : dans cette affaire, comment traite-t-on d'une façon égale les salariés et les retraités ?
On a voulu autrefois étendre aux retraités ce qu'on appellera les 10 % de frais professionnels et forfaitaires des salariés. Mais, mes chers collègues, quels sont les frais professionnels - je dis bien « professionnels » - des retraités ? Les repas à l'extérieur ? Les transports ? La voiture ? L'habillement ? Le téléphone ? Rien de tout cela, puisqu'ils ne travaillent pas. (Sourires.)
Et si l'on considère qu'il faut absolument donner aux retraités le même avantage qu'aux salariés, on doit alors accorder 20 % d'abattement aux salariés, puisque, à la fois, ils restent chez eux et ils travaillent. Si on donne 10 % à ceux qui restent chez eux et qui ne travaillent pas, la logique veut qu'on donne 20 % à ceux qui restent chez eux et qui travaillent quand même.
De surcroît, on tape très haut dans le niveau des pensions, si j'en juge par les amendements de Mme Beaudeau et de M. Oudin, puisque, sauf erreur de ma part, il s'agit de 319 000 francs de pension annuelle dans l'amendement de Mme Beaudeau et de 280 000 francs dans l'amendement de M. Oudin. Le texte du Gouvernement vise, quant à lui, les pensions de 200 000 francs ce qui, comme l'a dit M. le secrétaire d'Etat, représente à peine 10 % des retraités, c'est-à-dire les plus favorisés.
Pour ma part, je pense qu'il ne faut pas continuer indéfiniment à se moquer des salariés ! Il y a tout de même aussi un principe d'égalité ! Autant les 10 % sont destinés à couvrir de vrais frais professionnels, autant les 10 % accordés aux retraités sont simplement un geste. C'est donc, au fond, une réduction d'impôt qui s'applique aux retraités, mais qui n'a rien à voir avec les 10 % dont bénéficient les salariés.
J'ajoute que, dans ce cas, monsieur le secrétaire d'Etat, mieux vaudrait carrément modifier le barème général de l'impôt sur le revenu en le réduisant de 10 % pour tout le monde, et ce serait plus clair !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Réduire le barème de l'impôt, c'est toujours une bonne idée !
M. Michel Charasse. Je m'excuse, mais puisqu'on doit en arriver là...
En tout cas, favoriser 10 % des retraités, c'est-à-dire les plus favorisés dans notre pays - même si l'on peut déplorer que le système de retraite fait qu'ils sont beaucoup en dessous de 200 000 francs - en leur accordant un avantage par rapport aux salariés, c'est une démarche à laquelle je ne souscris pas.
Je suis donc défavorable - à mon grand regret - aux amendements n°s I-99 et I-170, qu'ils figurent en première partie ou en deuxième partie du projet de loi de finances.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-99, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-170.
M. Jacques Oudin. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Les débats qui viennent d'avoir lieu montrent bien qu'il est profondément nécessaire de revoir l'ensemble du dispositif de l'impôt sur le revenu. On parle d'un abattement de 10 % pour frais professionnels. En fait, s'agit-il vraiment de frais professionnels ? Les véritables frais professionnels sont pris en charge, dans la vie active, par les entreprises qui, la plupart du temps, les remboursent à leurs salariés ! Non, il s'agit purement et simplement d'un abattement.
M. le rapporteur général a parfaitement expliqué l'intérêt et l'importance qu'il y a à ouvrir le vaste chantier de la réforme générale de l'impôt sur le revenu. Aussi, soucieux de me ranger à son avis, je retire l'amendement, mais je maintiens qu'il est indispensable de poursuivre notre réflexion sur une réforme de notre impôt sur le revenu qui, effectivement, joue peut-être au détriment de certaines catégories. Encore faudrait-il tout remettre à plat pour nous faire une opinion fondée sur le sujet.
M. le président. L'amendement n° I-170 est retiré.

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