Séance du 23 novembre 1998







M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° I-103, M. Vergès, les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et M. Payet proposent d'insérer, après l'article 4, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le cinquième alinéa du paragraphe I de l'article 217 undecies du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pour ce dernier secteur, les investissements productifs s'entendent également des investissements incorporels constitués par des prises de participation dans des productions audiovisuelles et cinématographiques, à la condition que soient réalisés dans les départements définis ci-dessus les travaux nécessaires à cette production, à concurrence de 100 % des droits ainsi acquis et ayant ouvert droit à déduction. »
« II. - La perte des recettes résultant du paragraphe I ci-dessus est compensée à due concurrence par le relèvement des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Par amendement n° I-211 rectifié, M. Lise et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, après l'article 4, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le cinquième alinéa du paragraphe I de l'article 217 undecies du code général des impôts est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pour ce dernier secteur, les investissements productifs s'entendent également des investissements incorporels constitués par des prises de participation dans des productions audiovisuelles et cinématographiques, à la condition que soient réalisés dans les départements définis ci-dessus les travaux nécessaires à cette production. »
« II. - Les dispositions du paragraphe I s'appliquent aux investissements réalisés à compter du 1er janvier 1999.
« III. - Les pertes de recettes pour l'Etat sont compensées par un relèvement des tarifs mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à Mme Terrade, pour défendre l'amendement n° I-103.
Mme Odette Terrade. Je défends cet amendement à la place de notre collègue Paul Vergès qui est retenu à la Réunion.
Il porte sur la question, d'importance tout à fait réelle, du développement des activités de production audiovisuelle dans les départements d'outre-mer.
En effet, nul n'ignore que notre pays jouit en matière de création et de production audiovisuelles d'une position privilégiée en Europe, reflet, s'il en était besoin, de sa richesse culturelle.
Cependant, développer et assurer la création audiovisuelle implique également que nous soyons en mesure d'exister sur un plan économique sur ce créneau d'activité.
De longue date, la Réunion s'est ainsi positionnée sur cette activité, notamment au travers d'une société d'économie mixte qui est devenue le premier studio européen - même si cela peut surprendre - et qui emploie aujourd'hui deux cents salariés.
Cette initiative commune des collectivités territoriales et d'investisseurs privés souffre toutefois d'une difficulté essentielle : celle de ne pas jouir d'un dispositif fiscal suffisamment attractif, aussi étrange que cela puisse paraître, pour empêcher un certain nombre de producteurs d'être tentés par une délocalisation de leur production dans d'autres pays que le territoire français au sens large.
On ne peut, en cette matière, oublier que la délocalisation d'une activité, quelle qu'elle soit, finit immanquablement par conduire à la dénaturation même de l'activité sur le territoire national.
Evidemment, nous mesurons aisément que la démarche que nous sollicitons pourrait créer une sorte d'appel d'air en direction d'autres secteurs et d'autres types d'activités que celle que nous défendons ici, y compris parce que l'on peut s'interroger sur la pertinence d'un dispositif de soutien uniquement fondé sur la défiscalisation.
Les débats que nous avons eus l'an dernier sur les dispositifs de la loi Pons l'ont abondamment montré.
Pour autant, on ne peut omettre que rien ne permet d'envisager que les investissements que nous avons réalisés en matière de production audiovisuelle puissent bénéficier d'un soutien à la production, tant par le biais des SOFICA que par celui du fonds de soutien, et croyez bien que cette situation n'est pas sans poser quelques problèmes.
Si nous ne souffrons pas, en effet, de la distance en matière de production, nous pouvons craindre d'être quelque peu éloignés des centres de décision et de répartition de ces aides spécifiques.
La pérennité des efforts que nous avons d'ores et déjà accomplis nécessite donc, malgré tout, le geste que nous demandons au travers de l'adoption de cet amendement. Il y va, j'ai eu l'occasion de le souligner, de l'intérêt de l'emploi à la Réunion, mais aussi de la présence française dans le concert international de la création audiovisuelle.
M. le président. La parole est à M. Angels, pour défendre l'amendement n° I-211 rectifié.
M. Bernard Angels. L'amendement que je vous propose, au nom de mon collègue Claude Lise, a pour objectif d'élargir le champ d'application de la défiscalisation pour l'outre-mer, dans le domaine de l'audiovisuel, aux investissements dits incorporels, ce que ne permet pas le dispositif actuel.
En effet, à ce jour, le régime d'aide fiscale dans ce domaine ne s'applique qu'aux investissements productifs, c'est-à-dire à ceux qui concernent, par exemple, l'équipement technique ou l'aménagement des studios.
Nous proposons donc, à partir du 1er janvier 1999, de permettre la défiscalisation sur la totalité du coût de revient réel des productions cinématographiques et audiovisuelles, dont la partie immatérielle prend une part importante avec, notamment, l'utilisation de la technologie des logiciels.
Par cela, il s'agit surtout de soutenir, dans les départements d'outre-mer, le développement de l'industrie audiovisuelle, qui est bien réel.
Ainsi, la production cinématographique et documentaire aux Antilles, la fabrication de films d'animation à la Réunion, permettent de créer de nouveaux types d'emplois dans des secteurs qui connaissent une forte croissance.
La clé de l'emploi dans ces régions peut donc passer par le soutien aux activités utilisant les nouvelles technologies, surtout depuis que l'on constate le fort déclin des activités traditionnelles.
L'élargissement proposé ne représente qu'un coût très modique pour les finances de l'Etat, et les possibilités du secteur concerné sont très prometteuses pour l'outre-mer.
C'est pourquoi je propose au Sénat d'adopter notre amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s I-103 et I-211 rectifié ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission des finances se réjouit de l'intérêt porté par le groupe communiste républicain et citoyen et par le groupe socialiste à la loi Pons puisque, apparemment, ces deux groupes souhaitent étendre son champ d'application.
La commission ne peut que se réjouir de cette approche s'agissant d'un texte qui nous paraît efficace sur le plan économique et particulièrement favorable à l'emploi puisqu'il incite des épargnants et des acteurs financiers significatifs à investir leurs capitaux outre-mer ; l'objectif est donc légitime.
Il s'agit, comme nos collègues l'ont dit, des investissements productifs dans le domaine de l'audiovisuel et du cinéma.
Les deux amendements ne sont pas strictement identiques : celui dont M. Vergès est le premier signataire prévoit explicitement une déduction à 100 % des droits acquis ; celui de M. Lise spécifie que ces dispositions s'appliquent dès le 1er janvier 1999.
Avant d'émettre un avis, au nom de la commission, je souhaiterais, monsieur le président, connaître l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je le donnerai, monsieur le président, en trois dimensions, comme il est normal en matière audiovisuelle. (Sourires.)
Mme Terrade a fort bien expliqué, au nom de M. Vergès, la qualité de ce qui existe actuellement à la Réunion en matière de production audiovisuelle. Il s'agit donc, non pas d'un projet qu'il faut encourager, mais d'une réalisation qu'il faut conforter.
La loi Pons, dont M. le rapporteur général parle avec quelque ironie, concernant le Gouvernement et les parlementaires qui le soutiennent, est très bonne lorsqu'elle concourt à développer l'emploi dans les départements et les territoires d'outre-mer.
M. Jean Chérioux. C'est son objet !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Elle a parfois été détournée de son objet par certains contribuables qui ont ainsi bénéficié de faveurs excessives ! Nous en avons donc corrigé les mauvais aspects - nous aurons l'occasion d'en débattre - pour en garder les bons.
La loi Pons porte sur les investissements, c'est à dire les bâtiments et les machines. La difficulté à laquelle nous sommes confrontés est due au fait que ce que demande M. Vergès, après M. Hoarau à l'Assemblée nationale, est non pas de prévoir des incitations fiscales s'agissant de bâtiments ou de machines, mais d'en accorder au titre des dépenses exposées pour rémunérer ceux qui travaillent dans ces bâtiments et qui utilisent ces machines, c'est-à-dire aux salariés qui, pour le compte des producteurs, fabriquent des produits d'animation. Or cela n'entre pas dans le champ d'application de la loi Pons, parce qu'il ne s'agit pas d'investissements productifs ; il s'agit, au mieux, de productions immatérielles.
Nous sommes donc confrontés à une difficulté juridique, qui se double d'une autre difficulté : si nous suivions intégralement ce que proposent M. Vergès et M. Lise, nous risquerions - mais ce n'est évidemment pas leur intention - que des producteurs ne se fassent domicilier dans les départements et les territoires d'outre-mer sans que, pour autant, le travail proprement dit y soit accompli.
Une extension du champ d'application de la loi Pons risquerait d'entraîner la création d'une nouvelle niche fiscale, sans qu'aucune garantie ne soit apportée que le travail - car c'est ce qui vous intéresse - serait effectivement réalisé sur place.
Madame la sénatrice, je vous répondrai donc comme je l'ai fait à M. Hoarau, à l'Assemblée nationale.
Mes collègues chargés de l'outre-mer et de la culture ainsi que moi-même allons, dans les prochaines semaines, essayer de conforter la production audiovisuelle réunionnaise, qui est soumise à une rude concurrence internationale.
Il ne s'agit pas, comme c'était le cas autrefois, de différer la solution à apporter à un problème et le Gouvernement prend un engagement précis.
Vous ayant donné l'assurance que nous allons chercher une autre solution que l'extension de la loi Pons, je pense, madame Terrade, que vous pourriez retirer l'amendement n° I-103, de même que M. Hoarau avait retiré son amendement, à l'Assemblée nationale.
Quant à l'amendement n° I-211 rectifié, je crois devoir répéter que, si l'on veut développer la production audiovisuelle, c'est-à-dire l'emploi salarié dans ce secteur dans les départements et les territoires d'outre-mer, il faut prendre un autre canal que celui de la loi Pons.
Cet amendement témoigne d'une bonne intention qui consiste à dire que, puisqu'il existe déjà un cas à la Réunion, celui-ci pourrait être étendu dans d'autres départements et territoires d'outre-mer, aux Antilles ou en Guyane.
Il faut certes encourager ces productions, mais par d'autres dispositifs que l'extension inconsidérée de la loi Pons. C'est pourquoi je demande à M. Angels de bien vouloir retirer l'amendement n° I-211 rectifié, qui n'est pas le bon levier pour parvenir au résultat souhaité.
M. le président. Quel est dans ces conditions, l'avis de la commission sur les amendements n°s I-103 et I-211 rectifié ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission s'en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Madame Terrade, l'amendement n° I-103 est-il maintenu ?
Mme Odette Terrade. M. le secrétaire d'Etat ayant pris l'engagement de mener une réflexion sur cette question dans un délai aussi bref que possible, je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° I-103 est retiré.
Monsieur Angels, l'amendement n° I-211 rectifié est-il maintenu ?
M. Bernard Angels. Monsieur le président, je suis bien embarrassé car j'ai défendu cet amendement au nom de M. Lise. Or mon collègue souhaite le maintien de cet amendement.
M. le président. Je vais donc mettre aux voix l'amendement n° I-211 rectifié.
M. Michel Charasse. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. J'ai bien entendu ce qu'a indiqué M. le secrétaire d'Etat et, comme l'a dit Mme Terrade, les ouvertures qu'il a présentées et qui ont d'ailleurs justifié le retrait de l'amendement n° I-103.
Je ne sais pas quel sera le sort réservé par le Sénat à l'amendement n° I-211 rectifié, mais je voudrais dire à M. le secrétaire d'Etat que les dispositions fiscales se heurtent quelquefois à des difficultés d'application.
On sent bien la question que l'on veut cerner, mais on a des difficultés pour l'écrire. Ainsi, je ne suis pas certain que MM. Lise et Vergès, qui sont parvenus à des rédactions voisines, aient trouvé la meilleure formule.
Monsieur le secrétaire d'Etat, ne pourrait-on pas, comme pour le crédit d'impôt-recherche, prévoir des éléments de souplesse ? On avait alors admis, sous réserve d'une circulaire d'application très compliquée - les collaborateurs de M. le secrétaire d'Etat doivent s'en souvenir - d'appliquer le dispositif aux recherches en matières de couleurs, de teintes, de tons, de solidité, de résistance au nettoyage et au lavage des tissus.
Quel que soit le sort réservé à l'amendement n° I-211 rectifié, il y a peut-être là une voie à suivre, un précédent à reprendre, monsieur le secrétaire d'Etat.
Cette ouverture, sans aller expressément jusqu'à ce que demande M. Lise et que demandaient, voilà un instant, nos collègues du groupe communiste, permettrait de trouver une solution qui tienne compte d'une réalité qui est apparue au groupe socialiste comme intéressante. C'est la raison pour laquelle nous avons accepté de suivre M. Lise et de soutenir son amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-211 rectifié, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 4.

Article 4 bis