Séance du 27 novembre 1998






PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons l'examen des dispositions du projet de loi de finances concernant le ministère de l'agriculture et de la pêche.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Emorine.
M. Jean-Paul Emorine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite, en m'exprimant au nom du groupe des Républicains et Indépendants, saluer en premier lieu le travail d'analyse des rapporteurs de nos commissions des finances, des affaires économiques et des affaires culturelles.
Il n'est pas exagéré de dire que notre agriculture est à la croisée des chemins.
Les difficiles crises conjoncturelles que le secteur a récemment traversées dans un environnement international obscurci par les crises asiatique et russe démontrent les problèmes d'adaptation à l'évolution des marchés internationaux.
Les discussions sur les contributions financières des Etats membres de l'Union - elles présentent le risque que la politique agricole commune ne devienne une variable d'ajustement - le montrent également. Or, nous sommes convaincus - mais est-il encore temps ? - qu'il convient de s'opposer fermement à toute « renationalisation » de la PAC.
Le récent conseil agricole du mardi 24 novembre dernier a dégagé une méthode pour avancer d'ici au sommet de Vienne. Le Gouvernement déploie parallèlement une grande énergie pour relancer le dialogue incontournable avec l'Allemagne.
L'axe politique franco-allemand issu des récentes élections peut-il s'équilibrer en notre faveur ? Je crains que les bases sur lesquelles vous engagez la négociation ne traduisent un signe de capitulation avant l'heure. Vous seriez ainsi prêt à accepter une réduction des dépenses agricoles, à condition que ce soit dans un cadre général où chacun ferait des sacrifices : les agriculteurs, mais aussi les bénéficiaires des fonds structurels, les britanniques pour la ristourne.
En ce qui concerne la PAC, je voudrais revenir sur une de mes propositions que la mission sénatoriale d'information avait bien voulu reprendre à son compte et qui porte sur la simplification des dossiers d'aides européennes. Les primes à la vache allaitante et aux bovins mâles pourraient ainsi être globalisées en fonction du nombre d'unités de gros bétail sur l'exploitation, au regard du livre des bovins.
Vous me rétorquerez certainement que tous nos partenaires européens n'ont pas l'équivalent de ce livre des bovins, mais pourquoi ne pas travailler dans ce sens ?
Les agriculteurs, comme l'ensemble des citoyens de ce pays, sont saturés par les complexités administratives. On est en train de fabriquer partout en France des eurosceptiques ! Simplifier est donc une oeuvre d'intérêt général, susceptible de leur redonner confiance en l'Europe.
Au sein de la Haute Assemblée, les quelques légères divergences d'appréciation entre commissions, dues à l'interprétation des orientations stratégiques de notre majorité politique, n'altèrent pas notre unité de vue sur les insuffisances de ce projet de budget.
Notre agriculture doit relever des enjeux qui la placent à un tournant de son développement. Notre collègue M. Gérard César a fort bien décrit les termes et les thèmes du débat. Je n'y reviendrait pas. Nous partageons pleinement son inventaire et ses diagnostics.
Toutes nos formes d'agriculture doivent être soutenues. C'est vrai non seulement des filières les plus exportatrices, mais également des agricultures spécifiques qui ont parfois le sentiment de ne pas avoir suffisamment l'oreille des décideurs.
Ainsi en est-il de l'agriculture de montagne, chère à ma collègue Mme Janine Bardou, qui reste trop souvent le parent pauvre dans la préparation des réformes, notamment européennes.
L'absence de revalorisation des indemnités compensatrices de handicaps naturels pour le cheptel laitier est regrettable. L'insuffisance structurelle des crédits destinés aux bâtiments d'élevage en zone de montagne est également un motif d'inquiétude et d'insatisfaction.
Les choix déterminants que le Gouvernement et la représentation nationale vont devoir faire à court ou à moyen terme méritent tout le temps et toute l'attention nécessaires à un bon dialogue républicain. Nous apprécions, sur nos travées, monsieur le ministre, les efforts qui pourront être faits sur ce plan et, en particulier, que soit évité le recours aux procédures d'urgence, comme sur la loi d'orientation. Nous nous préparons, pour notre part, à un échange constructif.
Nous allons examiner ce projet de loi d'orientation dans les prochaines semaines.
Le présent projet de budget prend en compte les premières conséquences de ce texte, en particulier quant au financement des contrats territoriaux d'exploitation.
J'émettrai à cet égard trois réserves.
Premièrement, sur la méthode : nous avons à nous prononcer sur la traduction budgétaire d'un dispositif législatif alors qu'il n'est pas encore adopté par le Parlement.
Deuxièmement, sur les incertitudes concernant le financement ultérieur : en pratique, pour 1999, les redéploiements se font au détriment d'autres actions indispensables. J'y reviendrai dans un instant concernant l'intallation et l'espace rural.
Troisièmement, sur les risques : des crédits européens sont en effet inclus dans le mode de financement. Ne peut-on y voir le préalable à l'acceptation d'une « renationalisation » de la PAC ?
Il conviendra, au cours du prochain débat, d'éclairer la manière dont le CTE va s'articuler avec les aides compensatoires actuelles. Votre prédécesseur n'avait pas été très clair sur ce point à l'Assemblée nationale, et on peut légitimement craindre in fine un plafonnement de ces aides.
S'agissant du fonds de gestion de l'espace rural, je relève la pertinence des propos de notre collègue M. Henri Revol, rapporteur des crédits de l'aménagement rural, que j'ai présentés à sa place bien volontiers ce matin. Ce fonds a connu, depuis sa création, une évolution fâcheuse. Il a pourtant, sur le terrain, été employé de diverses manières, notamment au profit d'actions conduites par les collectivités territoriales.
Je ne suis pas certain que les CTE permettront la même souplesse sur certains travaux utilitaires d'entretien.
Il ne me semble pas non plus que le fonds de gestion des espaces naturels prévu par le projet de loi d'orientation pour l'aménagement du territoire serve un objectif comparable.
Les collectivités locales, qui pouvaient être antérieurement bénéficiaires du fonds de gestion de l'espace rural, pourraient se retrouver financeurs du CTE, comme vous l'avez laissé récemment entendre, monsieur le ministre, dans un entretien donné à un grand quotidien du soir. Ce n'est pas ce à quoi elles devraient s'attendre.
Ce budget comprend d'autres zones d'ombre. Ainsi en va-t-il du fonds des calamités agricoles, dont la ligne budgétaire est bizarrement vide pour 1999. Je partage entièrement l'analyse du rapporteur, M. Gérard César.
Monsieur le ministre, nous sommes plusieurs à réclamer une réponse précise sur cette absence de respect des obligations de l'Etat.
Je souhaiterais également connaître votre position sur la mise en place dans notre pays d'un mécanisme d'assurance-récolte.
Le projet de loi d'orientation prévoit la présentation d'un rapport du Gouvernement au Parlement dans les six mois suivant la publication de loi. La profession est favorable à un tel dispositif et elle réclame une expérimentation rapide dans les différents secteurs de production. Or, cette suppression de la dotation « calamités » dans le budget augure mal de la volonté du Gouvernement de mettre en place un tel mécanisme. On voit en effet, à travers les expériences étrangères, que la participation de l'Etat est indispensable pour le faire fonctionner.
Comment voyez-vous la préparation de ce futur rapport gouvernemental et considérez-vous que les délais impartis seront tenables ?
En ce qui concerne l'installation des jeunes, l'amputation du fonds d'installation en agriculture, le FIA, à hauteur de 10 % au profit du fonds de financement des CTE est à déplorer. On peut se demander, après notre collègue, M. Joël Bourdin, si l'objectif des 10 000 installations pour 1999 est réalisable. A mon sens, l'abandon du dispositif de préretraite est un facteur d'explication de la baisse récente des installations.
Comme je l'avais exposé à votre prédécesseur, il me semble utile de maintenir l'octroi de la préretraite aux agriculteurs qui s'engagent à céder leur exploitation à des jeunes. C'est réalisable, car il s'agit, à 50 %, de fonds européens.
Je me permets d'insister sur ce dossier. Mais nous aurons l'occasion d'en rediscuter lors de l'examen de la loi d'orientation.
D'autres points méritent d'être évoqués, notamment la taxe générale sur les activités polluantes.
Le Sénat a déjà exprimé son hostilité à cette nouvelle taxe en la supprimant.
Une telle taxe a en effet des conséquences très négatives, à terme, sur le financement de la politique de l'eau et sur sa gestion partenariale. Elle matérialise, en outre, l'application stricte du principe « pollueur-payeur », rompant avec la politique d'incitation, de transparence et de responsabilité précédemment engagée entre les agriculteurs et les pouvoirs publics, ne serait-ce que pour les programmes de maîtrise des pollutions d'origine agricole. Je regrette qu'un tel parti pris militant puisse être inscrit dans la loi.
Enfin, le poids de la fonction publique rapporté au nombre d'agriculteurs nous semble excessif. Cela ne vous étonnera pas venant des libéraux que nous sommes.
A l'heure actuelle, les agriculteurs représentent un peu moins d'un million d'actifs - ils étaient 950 000 en 1997 - et les fonctionnaires sont au nombre de 30 243. Le ratio est donc d'environ 3 %. Comme chacun sait, la tendance est à la baisse du nombre des actifs agricoles.
Parallèlement, de nombreux facteurs - la mise en place de l'euro comme une gestion assainie des finances publiques - plaident en faveur d'un allégement des charges publiques. Est-il dès lors justifiable de conserver une telle fonction publique pour un secteur économique où la productivité est si importante depuis une trentaine d'années ?
Interrogeons-nous sérieusement sur la pertinence de cette situation. Une réflexion mérite d'être menée dans le cadre de la réforme de l'Etat. Dans la lignée de ce qui avait été prévu par le précédent gouvernement, elle pourrait passer, dans un premier temps, par un allégement des effectifs de l'administration centrale. Ainsi, la perception qu'ont les citoyens d'une agriculture suradministrée évoluerait peut-être.
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance des réponses que vous voudrez bien apporter aux observations et aux questions que je viens de formuler. Le groupe des Républicains et Indépendants, fidèle à la stratégie globale suivie par la majorité sénatoriale sur ce budget, suivra les conclusions de la commission des finances. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur l'analyse technique de ce budget, parfaitement conduite par le rapporteur, mon collègue M. Bourdin. Je souhaite inscrire mon propos dans une perspective européenne à l'aune d'échéances essentielles, avant d'examiner les crédits alloués à l'installation et aux retraites.
En effet, ce budget, qui constitue 2,4 % du budget national, n'est en rien comparable aux sommes allouées dans le cadre de la PAC, la moitié du budget communautaire étant consacrée à la première des politiques économiques communes. Les concours communautaires à la France sont estimés à près de 67 milliards de francs pour 1999, soit deux fois votre projet de budget, monsieur le ministre.
Considérant l'enjeu et la difficulté des négociations dans le cadre de l'Agenda 2000, il y a donc de quoi être inquiet, monsieur le ministre, pour le premier pays bénéficiaire de la PAC.
Tout d'abord, l'entrée prochaine dans l'Union de pays essentiellement agricoles, les pays d'Europe centrale et orientale, accentuera vraisemblablement l'aspect redistributif des politiques communautaires, et la France devra faire face soit à une augmentation de sa contribution, soit à une diminution de son taux de retour, voire aux deux à la fois...
Ensuite, les révisions proposées pour la réforme de la PAC sont radicales : la forte baisse des prix d'intervention dans les trois secteurs des céréales, de la viande bovine et du lait, et le cofinancement par les Etats des aides directes ne sont ni acceptables par la France ni tenables pour les agriculteurs français.
Si les baisses et les aides sont appelées à évoluer au cours des discussions, la France ne peut accepter cette tentative de renationalisation, voire de démantèlement accéléré de la PAC.
Monsieur le ministre, je sais votre hostilité à ces propositions, mais nous souhaiterions connaître vos arguments pour convaincre nos partenaires.
A cette occasion, je voudrais vous suggérer, pour les céréales, une formule qui a été bien accueillie par des experts européens. Elle permettrait de concilier la volonté de préserver notre agriculture, de poursuivre sa vocation exportatrice, de ne pas grever le budget agricole européen et de ne pas renationaliser la politique agricole.
D'un côté, les agriculteurs savent qu'ils ne peuvent peser sur le marché mondial et ils ne veulent pas dépendre de la spéculation et des cours fixés par la bourse de Chicago ; de l'autre, ils se considèrent comme des entrepreneurs. Nous pouvons concilier ces deux aspirations.
Garantissons aux agriculteurs le prix de la production consommée à l'intérieur de l'Union européenne, avec une production plafond, par exemple 50 quintaux à l'hectare payés 100 francs pour le blé. Toute production supérieure à ces 50 quintaux serait vendue au prix du marché libre, non subventionnée, et serait mécaniquement destinée à l'exportation. L'agriculteur conserverait sa qualité d'entrepreneur puisqu'il calculerait ses objectifs en fonction de ses marges.
M. Jean-Louis Carrère. Que ne l'avez-vous fait plus tôt !
M. Aymeri de Montesquiou. Le surcoût de la consommation interne pris en charge par le consommateur serait minime, car le prix de la matière première intervient peu dans le prix des produits finis. Par exemple, le blé n'entre que pour 7 % ou 8 % dans le prix d'une baguette. Alors que représentent quelques centièmes d'euro en plus pour la ménagère européenne ?
Cette formule garantirait un revenu à l'agriculteur tout en lui conservant, par ses choix techniques, la liberté de son volume de production. L'Europe n'aurait plus à subventionner des exportations essentiellement françaises, ce qui nous sortirait de l'isolement dans lequel les problèmes agricoles nous ont trop souvent confinés. Les sommes ainsi dégagées pourraient être affectées à l'installation des jeunes et à la ruralité dans son ensemble.
Ce système de double prix est simple dans son principe et économique dans ses applications. Il permettrait de réconcilier les agriculteurs et leurs familles avec l'Europe.
Les agriculteurs sont inquiets, monsieur le ministre. Ils voient les prix de leurs productions baisser, constatent l'érosion des subventions et craignent leur remise en cause. Ils vont se trouver dans des situations financières extrêmement difficiles, sauf peut-être dans les grandes régions céréalières, où les rendements avoisinent ou dépassent les 100 quintaux. La disparition de beaucoup d'entre eux va avoir des conséquences économiques et sociales inacceptables, et va aller à l'encontre d'une politique d'aménagement du territoire voulue par une classe politique unanime.
Cette forte dépendance européenne de l'agriculture française ne doit pas dédouaner le Gouvernement français de ses responsabilités nationales. Vous auriez beau jeu, monsieur le ministre, de vous défausser sur Bruxelles, en accusant l'Europe de tous les maux.
Vous devez constamment vous battre pour défendre l'agriculture française au niveau européen, en ayant une marge de manoeuvre réduite. Alors, utilisez ces 33 milliards de francs de budget, dont vous êtres totalement responsable, pour faire les bons choix !
Le projet de budget que vous soumettez à notre examen paraît dégager quatre priorités : le financement des contrats territoriaux d'exploitation, les crédits consacrés à la sécurité et à la qualité alimentaires, l'installation des jeunes et les retraites.
En ce qui concerne les CTE, permettez-moi de m'étonner à mon tour que le projet de financement de ce nouveau dispositif intervienne avant la présentation du texte qui le crée, le projet de loi d'orientation agricole n'étant soumis au Sénat qu'en janvier 1999. C'est vouloir préjuger le vote des élus de la Chambre haute sur le principe même de cette mesure, et je n'ose y voir un manque de considération. A l'origine, le projet a été plutôt bien accueilli par la profession. Il suscite aujourd'hui des réserves, sans compter le mécontement de ceux qui n'ont pas été associés à son élaboration, notamment les propriétaires agricoles.
Sur le deuxième point, on peut se réjouir de l'augmentation de plus de 10 % des crédits consacrés à la sécurité et à la qualité alimentaires : c'est montrer qu'après la crise de l'ESB l'Etat prend ses responsabilités en matière de sécurité sanitaire.
Permettez-moi ensuite d'attirer votre attention sur deux moments clés de la vie des agriculteurs, à l'entrée et à la sortie de leur vie professionnelle. Souvent séparés par quarante ans de travail, ces deux moments sont en réalité étroitement liés.
D'un côté, les agriculteurs ne transmettront leur exploitation que s'ils bénéficient d'une retraite décente et sont assurés du devenir de leurs terres. De l'autre, et même si ce n'est pas leur motivation première, les jeunes accepteront de prendre la relève à la condition de revenus justes et d'une retraite décente.
Monsieur le ministre, en affichant un objectif volontariste de 10 000 installations aidées de jeunes agriculteurs, vous affirmez que la politique de l'installation est une de vos priorités, et je m'en réjouis.
Cette politique, qui comprend des mesures financières, fiscales et sociales, intervient dans un contexte démographique particulier. Tout d'abord, le nombre de départs diminue avec l'arrivée à l'âge de la retraite de classes d'âge moins nombreuses ; ensuite, le nombre de jeunes ruraux susceptibles de reprendre une exploitation est en diminution, et il s'agit d'élargir le recrutement et de favoriser l'installation de jeunes non issus du milieu agricole.
Je salue donc au passage la progression de 6 % des sommes allouées à l'enseignement agricole. L'étroitesse des marges, la technicité indispensable et la finesse de la gestion nécessitent une très bonne formation.
Cependant, il est évident que les moyens spécifiques que vous avez dégagés sont insuffisants au regard de l'objectif ambitieux que vous souhaitez atteindre, car si la dotation d'installation aux jeunes agriculteurs reste stable, les crédits du fonds pour l'installation en agriculture, que vous avez créé l'an dernier, baissent de 10 %. Ces 10 % sont affectés au contrat territorial d'exploitation, dont la pertinence n'est pas démontrée.
De plus, nuisant directement à l'installation des jeunes, la décision de clore l'an dernier le régime de préretraite tel qu'il avait été modulé par la loi de modernisation de l'agriculture en 1995 est une mauvaise décision, monsieur le ministre, en complète contradiction avec vos objectifs. Ce système avait fait ses preuves en permettant la libération anticipée de terres pour des jeunes qui s'installent. Il permettait aussi à l'exploitant de partir dignement, ce qui n'est plus du tout le cas aujourd'hui.
Vous avez supprimé un système qui fonctionnait et, paradoxalement, vous avez maintenu des mesures qui n'étaient pas parfaitement adaptées. En effet, un rapide bilan des programmes pour l'installation des jeunes en agriculture et le développement des initiatives locales, les PIDIL, financés sur le fonds pour l'installation et le développement des initiatives locales, le FIDIL, montre que le taux de consommation des crédits est faible : 51 millions de francs ont été engagés sur 300 millions de francs inscrits au budget. De même, les effectifs des candidats aux stages de préparation à l'installation restent inférieurs aux prévisions volontaristes.
De plus, comment convaincre un jeune de devenir agriculteur si le montant de ses futurs droits à retraite est très inférieur à celui auquel pourront prétendre les jeunes exerçant une autre profession ? La revalorisation actuelle des retraites est bien un enjeu pour l'avenir.
Ces retraites concernent aujourd'hui plus de 2 millions de personnes qui ont assuré la richesse de notre agriculture, la modernisation de nos campagnes et fait la preuve d'une formidable capacité d'adaptation au monde moderne. Cependant, la moyenne des retraites agricoles est inférieure de 30 % à la retraite des salariés, ce qui limite également la solidarité entre les générations.
Dans ce projet de budget, vous poursuivez une revalorisation engagée en 1994 pour la première fois depuis 1981, mais ce n'est toujours pas suffisant.
Certes, l'effort budgétaire consenti est lourd, mais n'oublions pas que la majoration porte les pensions des différentes catégories à des montants planchers de 2 200 francs à 3 000 francs seulement, pour une carrière complète dans l'agriculture.
Cette revalorisation est ainsi améliorable dans son organisation comme dans son montant.
M. Jean-Louis Carrère. Que ne l'avez-vous fait !
M. le président. Monsieur Carrère, vous interviendrez plus tard !
M. Aymeri de Montesquiou. Nous avions commencé à le faire !
Que penser, en effet, de la retraite du conjoint, bien inférieure à celle des autres catégories, alors qu'il a généralement travaillé autant ? Il y a aujourd'hui une véritable discrimination que vous entretenez, monsieur le ministre, le conjoint étant dans la quasi-totalité des cas une conjointe. L'alignement de la retraite du conjoint sur celle de l'exploitant respectera enfin l'égalité des droits entre les hommes et les femmes dans le monde agricole.
Les propositions que je formulerai sur les montants sont précises.
Dans l'immédiat, il s'agit de porter le niveau minimal des retraites au niveau minimum vieillesse, soit 3 470 francs pour une personne seule et 6 226 francs pour un ménage. Comment accepter en effet que, après toute une vie de labeur, un agriculteur dispose de ressources inférieures au RMI et inférieures à celles de n'importe quel Français n'ayant jamais exercé d'activité professionnelle ? C'est également inacceptable pour les polyretraités dont les revenus cumulés n'atteignent pas le minimum vieillesse.
A brève échéance, les retraites minimales devraient être portées à 75 % du SMIC, comme cela est promis depuis bien longtemps par les plus hauts responsables de notre pays. L'effort budgétaire nécessaire à cette revalorisation représenterait de 4 à 5 milliards de francs.
De manière plus fondamentale, je vous propose l'intégration du système de retraites des agriculteurs dans le système général des retraites. Aujourd'hui, les agriculteurs ne représentent plus que 6 % de la population active et ne souhaitent plus être différenciés dans le domaine des retraites, même s'ils gardent par la MSA une identité forte.
M. René-Pierre Signé. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
M. Aymeri de Montesquiou. Cette mise à plat du système de retraites est nécessaire. Il s'agit de l'adapter pour retrouver un système de retraite juste.
En conclusion, une politique volontariste et efficace de l'installation des jeunes agriculteurs associée à une réforme en profondeur du système de retraite est indispensable.
Je suivrai l'avis de la commission des affaires économiques et je serai très attentif aux réponses que vous voudrez bien nous apporter.
M. le président. Mes chers collègues, je souhaite la bienvenue aux élèves d'un collège d'Ille-et-Vilaine et à leur enseignant qui participent en tant qu'auditeurs à nos travaux. Je tiens à les en féliciter. C'est une magnifique leçon d'éducation civique ! (Applaudissements.)
La parole est à M. Doublet.
M. Michel Doublet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget qui nous est présenté aujourd'hui à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 1999 est en baisse de 6 % par rapport à 1998 ; il ne fait donc plus partie des priorités du Gouvernement. Ce constat intervient à un moment où notre agriculture est confrontée à une double mutation : une nouvelle réforme de la PAC et la perspective d'une nouvelle loi d'orientation agricole.
La seule innovation inscrite dans ce projet de budget vient du financement des CTE, qui sont dotés, pour 1999, de 300 millions de francs, auxquels devraient s'ajouter 150 millions de francs de crédits européens. Je regrette vivement que la dodation de ce fonds se fasse, pour 1999, par un redéploiement total ou partiel des crédits alloués aux divers fonds existants. Je m'étonne, d'ailleurs, que l'on puisse prévoir des crédits pour un dispositif qui n'a pas encore reçu l'approbation du Parlement puisque le projet de loi d'orientation agricole n'est pas encore venu en discussion devant le Sénat. Je trouve par ailleurs très aléatoire de compter sur un financement européen. Il est en effet à craindre que les futures négociations sur la PAC ne rendent très difficile l'obtention d'aides communautaires.
J'apprécie, en revanche, la progression des crédits affectés à l'enseignement agricole, qui reste l'une des priorités de ce projet de budget. Toutefois, nous devons nous garder de lui donner un caractère de « multifonctionnalité », car notre enseignement agricole doit garder sa spécificité et son autonomie.
Deux problèmes restent cependant en suspens.
Tout d'abord, les crédits de l'enseignement privé ne sont pas réévalués en fonction de l'inflation, alors qu'ils devraient bénéficier des mêmes dispositions que l'enseignement agricole public.
Ensuite, les crédits de la formation professionnelle continue sont en régression.
En outre, l'effort budgétaire consenti en faveur de l'installation s'essouffle. Ainsi, les crédits affectés à la dotation aux jeunes agriculteurs sont simplement reconduits, et ceux du FIA - le fonds d'installation en agriculture, créé en 1998, qui nous avait été présenté comme un outil moderne destiné à promouvoir l'installation - sont réduits d'à peu près 10 % au profit du financement des CTE. Je me demande si la baisse des crédits du FIA permettra d'atteindre les objectifs prévus. De plus, quel bilan des actions menées grâce à ce fonds peut-on dresser après une année de fonctionnement ?
J'ajouterai que, devant la chute du nombre des installations, on peut s'interroger sur l'efficacité des mesures classiques. Il faut réaffirmer le rôle politique de la bonification des prêts à l'agriculture et fixer les objectifs, en prévoyant notamment la baisse des taux et le perfectionnement de la réglementation, en vue de faciliter le recours à ce dispositif.
Permettez-moi maintenant, mes chers collègues, d'aborder le problème de la revalorisation des retraites. Si je constate que celle-ci est prévue par le projet de loi de finances pour 1999, il n'en reste pas moins que certaines difficultés demeurent. Il faut que - parallèlement à la revalorisation progressive des retraites, échelonnée sur plusieurs années - soit décidée dans les plus brefs délais la revalorisation du minimum vieillesse, car les deux tiers des personnes qui recourrent au fonds social vieillesse sont des retraités agricoles.
De plus, le relèvement rapide du minimum vieillesse à 75 % du SMIC permettrait de répondre à un réel besoin social.
Si ce budget affiche des priorités, il présente aussi des lacunes.
C'est le cas des mesures agri-environnementales pour lesquelles un effort minimum a été consenti. Le budget qui leur est consacré est très nettement insuffisant. On peut ici citer deux exemples : la prime à l'herbe et la conversion à l'agriculture biologique. En ce qui concerne la prime à l'herbe, de nombreuses contraintes n'ont pu être levées telles que, par exemple, le durcissement des conditions d'attribution en 1998.
Il faudrait, en réalité, faire le contraire et élargir le champ de son application à l'ensemble des zones à vocation herbagère pour en faire un véritable outil de l'aménagement du territoire.
De plus, son montant devrait être revalorisé afin de rendre la mesure plus incitative pour le maintien et l'entretien des surfaces en herbe.
Quant aux mesures de conversion à l'agriculture biologique, il conviendrait d'en augmenter les crédits, car il s'agit d'un secteur porteur.
La mise en oeuvre du plan de relance de l'agriculture biologique doit être impérativement poursuivie et améliorée afin de faire face à l'engouement de plus en plus grand qu'elle rencontre.
Ce budget comporte une autre lacune : le refus de l'Etat de verser sa quote-part au fonds national de garantie contre les calamités agricoles. C'est une remise en cause pure et simple du principe de la parité pour le financement de ce fonds.
Ce désengagement de l'Etat, sans précédent, augure mal de la volonté future des pouvoirs publics de mettre en place, dans les années à venir, une assurance récolte. Cette décision sera, je le pense, très mal perçue par nos agriculteurs, et notamment par ceux des régions productrices de fruits et légumes qui sont, malheureusement, souvent soumis aux aléas climatiques.
Je profite de l'occasion qui m'est offerte aujourd'hui pour insister tout particulièrement sur la crise très importante traversée par les viticulteurs charentais producteurs de cognac. La situation a frôlé et pourrait encore frôler prochainement, je peux en témoigner, l'explosion. Elle est en partie due au fort taux d'endettement des exploitations, à l'effondrement du marché asiatique et à des taxations abusives et excessives. Les pouvoirs publics ont annoncé une série de mesures en faveur de la région délimitée Cognac. J'attends avec impatience la mise en place du plan qui vient d'être adopté.
Deux volets de mesures ont été pris par les pouvoirs publics. Je noterai que, sur le volet structurel, les viticulteurs reconnaissent qu'il y a eu des efforts d'ouverture intéressants. Cependant, une concertation approfondie devra avoir lieu sur différents points comme la mise en place de la QNV modulable dans le plan d'adaptation, l'évolution de la fiscalité sociale des stocks de cognac et du revenu du travail, l'amélioration de la participation du ministère au budget de promotion, la reconversion et enfin le dossier des charges patronales.
En revanche, sur le volet conjoncturel, les viticulteurs considèrent - je suis de leur avis - que les mesures proposées sont très nettement insuffisantes.
Ainsi, l'aide à la trésorerie ne correspond pas totalement aux besoins de la région délimitée : le taux pour les viticulteurs non « jeunes agriculteurs » reste inconnu et le critère de 50 % du chiffre d'affaires total est inacceptable.
Par ailleurs, les pouvoirs publics refusent absolument l'attribution d'une aide directe de 1 000 francs à l'hectare pour soutenir les prix.
De plus, aucun crédit supplémentaire au titre des prises en charge des cotisations à la mutualité sociale agricole pour 1998 n'a été accordé alors que les crédits déjà obtenus apparaissent insuffisants.
Enfin, la mise à disposition des 20 millions de francs du FAC n'a pas été évoquée : la région n'a encore rien reçu malgré un accord de principe.
Finalement, ce projet de budget ne fait que traduire le manque de soutien de plus en plus fréquent de l'Etat envers nos agriculteurs. Nous ne sommes plus ici dans une logique économique agricole et de compétitivité ; nous sommes dans une logique administrative.
Pour toutes ces raisons, je suivrai l'avis émis par M. César, au nom de la commission des affaires économiques. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Boyer.
Mme Yolande Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme mon collègue Jean-Marc Pastor l'a annoncé ce matin, mon intervention portera sur le projet de budget consacré à la pêche et aux cultures marines.
Ce budget s'élève à 190 millions de francs. Certes, comparé à l'ensemble du budget que vous avez en charge, on pourrait considérer qu'il est d'une relative faiblesse.
Il correspond au maintien de la dotation de 1998. Mais ce maintien est significatif. En effet, après la grave crise subie par la pêche dans les années 1990, les crédits ont progressé de près de 30 % depuis 1995.
Je souhaite dire l'importance économique de ce secteur en France et notamment dans une région comme la mienne, la Bretagne, première région de production, qui fournit à elle seule la moitié des quantités. Elle est aussi la région la plus concernée par la pêche maritime en nombre de navires puisqu'elle totalise 41 % de la puissance disponible.
Une partie très importante de ce projet de budget - 95,59 millions de francs - est réservée aux actions structurelles de développement menées par l'OFIMER, qui remplace le FIOM, le fonds d'intervention et d'organisation des marchés, dont les dotations depuis 1993 ont été multipliées par quatre.
A travers la création de cet office des produits de la mer et de l'aquaculture, il s'agit de promouvoir une véritable politique de filière. Il doit contribuer au partenariat entre l'amont et l'aval de la filière et favoriser, ce qui me paraît essentiel, la qualité et la promotion des produits. Il s'agit là de la première traduction financière d'un élément majeur de la loi d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines, adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale et au Sénat en 1997.
Puisque j'évoque ce texte, permettez-moi de rappeler une autre avancée, majeure à mes yeux, relative au statut du conjoint ou, le plus souvent, de la conjointe d'exploitant.
Les femmes embarquent rarement, mais sont très présentes dans l'exploitation ; elles veillent à la gestion, aux relations avec les services administratifs, à la commercialisation, à la transformation des produits.
Ce statut reconnaît à la femme un rôle dans le fonctionnement de l'entreprise et lui confère des droits propres, non seulement des droits sociaux, mais aussi le droit à la formation. C'est une des conquêtes des femmes du littoral, dont on connaît le rôle essentiel au moment de la crise de la pêche.
A travers deux de ses aspects majeurs, je viens de souligner l'importance de la loi d'orientation, mais je dois souligner aussi - je le regrette - le retard pris dans la sortie des décrets d'application.
On ne peut aborder le sujet de la pêche française sans parler du contexte international, particulièrement de l'Union européenne.
La réussite du POP IV doit nous permettre une relance maîtrisée de la construction des bateaux pour un équilibre entre les ressources de la pêche et leur exploitation.
Je me fais ici l'écho des légitimes préoccupations des professionnels, notamment des jeunes. Ils veulent avoir l'assurance que, en dépit de la rigueur communautaire, la France va pouvoir relancer la construction de bateaux. Je plaide fortement pour que nous puissions retrouver notre capacité de pêche et garder nos marins. Je sais pouvoir compter sur la fermeté du Gouvernement, comme cela fut le cas avec votre prédécesseur, M. Le Pensec, sur le dossier des filets maillants dérivants. Sur ce dossier, nous sommes solidaires du Gouvernement, qui souhaite se joindre au recours des pêcheurs.
Je souhaite, en dernier lieu, aborder le sujet de la formation.
Il est bien de se battre pour défendre une profession, mais encore faut-il que ses membres aient une bonne formation.
Valoriser la formation maritime est indispensable : pourquoi ne pas créer un baccalauréat professionnel pêche ? Ce serait, à mon avis, un instrument de promotion sociale et un moyen d'aligner l'enseignement maritime sur l'évolution générale de l'enseignement en France. Je sais que la désaffection pour le métier de marin est un phénomène général en Europe lié à deux facteurs : l'image de la profession maritime et les conditions de travail.
Les résultats de l'enseignement maritime sont remarquables mais ils ne doivent pas conduire à différer une modernisation qui s'avère indispensable pour conforter son avenir. Je sais bien que les écoles ne dépendent pas de votre ministère, mais parler de la pêche et de son avenir sans évoquer la formation des jeunes me paraît inconcevable.
Par ailleurs, 90 % des élèves formés dans ces écoles se destinent à la pêche et à l'aquaculture. C'est pourquoi je m'interroge sur la pertinence d'un rattachement des écoles maritimes et aquacoles à votre ministère.
J'insisterai, en conclusion, sur la nécessité d'accélérer la parution des décrets d'application de la loi d'orientation pour la pêche, car le retard risque de compromettre l'efficacité d'une loi novatrice.
Votre budget, monsieur le ministre, traduit la volonté que la France conserve une activité de pêche vivante dans une Communauté qui peut sembler rigoureuse à son égard. C'est pourquoi le groupe socialiste votera ce budget. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais consacrer mon intervention à l'agriculture de montagne, que notre collègue M. Emorine a évoquée voilà quelques instants. Force est, d'abord, de constater que ce budget ne figure pas au rang des priorités fixées par le projet de budget qui est soumis à notre examen.
Cette analyse, monsieur le ministre, est d'ailleurs largement partagée par les membres du groupe « montagne » de la Haute Assemblée, comme par tant et tant d'exploitants agricoles et de responsables professionnels de nos massifs montagneux.
Si l'indemnité compensatoire de handicaps naturels et l'aide à la restauration des terrains en montagne répondent, au moins en partie, aux attentes, les concours spécifiques, comme le fonds de gestion de l'espace rural, et surtout les crédits d'aide à la modernisation des bâtiments d'élevage et à la mécanisation connaissent une évolution très pénalisante.
De fait, l'indemnité compensatoire de handicap naturel constitue un motif de relative satisfaction. Il faut en effet saluer sa progression de 1,5 %, qui correspond à une revendication déjà ancienne des agriculteurs de montagne.
Mais cette augmentation ne vient que partiellement compenser la réduction de 5,5 % dont avait souffert cette ligne de crédits voilà deux ans. Au surplus, cette révision ne concerne que les seuls bovins de la filière viande, à l'exception des autres élevages, et vous comprendrez, monsieur le ministre, que cette mise à l'écart puisse être mal ressentie par les éleveurs ovins et caprins, ainsi que par les producteurs de lait, qui entretiennent bien souvent les territoires les plus difficiles.
Je classerai également dans le registre des propositions relativement satisfaisantes les crédits d'aide à la restauration des terrains en montagne : leur progression, de 6,1 %, est en effet significative. Mais, pour assurer la restauration lourde et urgente de nombreux ouvrages centenaires de protection en haute montagne, il serait nécessaire, de l'avis des élus et des responsables locaux, que les moyens budgétaires soient augmentés de 30 millions de francs, afin d'adapter les possibilités de financement à l'importance des risques pesant sur certains ouvrages du fait de leur ancienneté.
Telles sont, monsieur le ministre, les orientations qui nous paraissent aller dans la bonne direction.
Je voudrais maintenant en venir aux choix que vous nous proposez mais sur lesquels je ne saurais porter la même appréciation.
Je soulignerai, d'abord, que les surcoûts des contrôles et des actions techniques de l'élevage de montagne ne sont aucunement compensés par ce projet de budget puisque l'aide technique à l'élevage a pratiquement atteint un niveau zéro.
Vous me permettrez, ensuite, de regretter la disparition des crédits du fonds de gestion de l'espace rural, de 140 millions de francs en 1998.
Ces crédits devant être intégrés au nouveau fonds de financement des contrats territoriaux d'exploitation, créé dans le projet de budget pour 1999, les collectivités territoriales comme les propriétaires forestiers seront privés de toute possibilité d'accéder à de tels financements, ce qui pénalisera notamment les activités sylvicoles et pastorales, alors même qu'il n'est pas du tout avéré que le dispositif du contrat territorial d'exploitation sera adapté aux vastes secteurs de haute montagne ; seul, en effet, le pastoralisme a, jusque-là, fait la preuve de sa capacité à assurer une gestion convenable de ces espaces.
C'est pourquoi il est important qu'une alternative à l'intégration du fonds de gestion de l'espace rural dans le fonds de financement des contrats territoriaux d'exploitation puisse être proposée tant aux collectivités locales de montagne qu'aux activités forestières.
En effet, si aucune mesure n'était envisagée pour accompagner les transferts des crédits du FGER, ce fonds redeviendrait un pur instrument de la politique agricole, alors que le législateur avait initialement prévu qu'il puisse servir à des opérations relevant de l'aménagement non seulement des territoires agricoles mais aussi des espaces sylvicoles.
Je voudrais maintenant aborder, monsieur le ministre, le chapitre le plus préoccupant de ce projet de budget : celui des crédits d'aide à la modernisation des bâtiments d'élevage et à la mécanisation.
Ces crédits sont notoirement insuffisants pour répondre aux besoins des agriculteurs de montagne !
En effet, alors que les exploitations doivent supporter en permanence d'importants surcoûts dans leurs investissements, en raison de l'altitude, du relief et du climat, et sont contraintes de réaliser leurs travaux sur des périodes très limitées de l'année, l'insuffisance des crédits disponibles oblige de nombreux agriculteurs à renoncer à des subventions pourtant prévues dans le dispositif de la politique agricole de l'Etat !
Cette situation a été dénoncée par l'ensemble des organisations professionnelles agricoles des départements de montagne et a fait l'objet de démarches renouvelées des parlementaires savoyards, en particulier, auprès de votre ministère au cours des derniers mois ; mais ce problème urgent ne reçoit, hélas ! aucune solution dans le projet de budget qui nous est soumis.
En effet, ne sont prévus que 45 millions de francs pour la modernisation des bâtiments d'élevage et 1 million de francs d'aide à la mécanisation, alors que les besoins annuels s'élèvent à 4 millions de francs dans le seul département de la Haute-Savoie.
Il est, par conséquent, primordial qu'une solution à ce problème récurrent puisse être enfin trouvée, d'autant que, par ailleurs, des travaux de modernisation considérables sont imposés aux agriculteurs pour la mise aux normes de leurs installations de fabrication, pour la délivrance par la direction des services vétérinaires de l'agrément au 1er janvier 1999, indispensable à la poursuite de leurs activités.
Pour ce faire, il conviendrait d'augmenter ces deux lignes budgétaires d'environ 40 millions de francs et d'assurer le rattrapage nécessaire pour résorber les files d'attente existantes. Pour citer une fois encore l'exemple de la Haute-Savoie, près de 2 millions de francs de subventions, qui auraient normalement dû être versées à ce titre en 1998, n'ont pu être mandatées jusqu'à présent, faute de crédits.
Une telle mise à niveau des moyens budgétaires s'impose à la fois comme un acte d'application par l'Etat de ses engagements, mais aussi comme une mesure d'équité compte tenu de l'effort consenti par les collectivités territoriales, qui seules financent les aides à la dépollution, imposée par la loi, des exploitations de moins de soixante-dix unités de gros bétail.
En conclusion, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous demander que, au-delà de ce budget et des dispositions financières que j'appelle de mes voeux, le projet de loi d'orientation agricole, que vous présenterez prochainement devant le Sénat, soit l'occasion de donner un signal fort aux agriculteurs de montagne : trop souvent, ceux-ci déplorent que leurs handicaps soient relégués au second plan et qu'ils ne reçoivent pas les légitimes mesures de compensation qu'ils sont en droit d'attendre de la collectivité nationale. (M. le rapporteur spécial applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Le Grand.
M. Jean-François Le Grand. Monsieur le ministre, je ne dirai rien de la partie agricole de votre budget, d'autres avant moi, notamment mes collègues MM. Doublet et Debavelaere, s'étant excellemment exprimés sur ce sujet.
Mon propos concernera la pêche, car je souhaite attirer votre attention sur trois points relatifs à cette activité.
Je l'évoquerai d'abord sous l'angle de la gestion des plans d'orientation pluriannuels, les POP ; ce point touche essentiellement la Basse-Normandie.
Je ne vais pas vous abreuver de chiffres. Je voudrais simplement vous rappeler que la Basse-Normandie est la troisième région française de production en matière de pêche, mais qu'elle est la première, quantitativement et qualitativement, en ce qui concerne le coquillage de pêche.
Le prélèvement global qui est opéré par la flotille de pêche en Basse-Normandie touche moins de 1 % des espèces relevant de la gestion communautaire. Ce prélèvement extrêmement faible nous laisse une grande capacité de pêche pour d'autres espèces, ne faisant donc pas l'objet de quotas, mais à haute valeur ajoutée car ce sont des espèces relativement nobles, notamment la coquille et le coquillage de pêche.
Dans le cadre des POP nous est imposée une réduction du nombre de kilowattheures. Il convient ici de préciser que, en Basse-Normandie, nous n'avons que très peu de bateaux de plus de seize mètres : la plupart sont même des bateaux de moins de douze mètres. Il s'agit donc d'une pêche côtière, journalière : c'est ce qu'on appelle la « petite pêche ». Compte tenu de cette double spécificité - faiblesse du prélèvement d'espèces sous quotas communautaires, taille de la plupart des bateaux pratiquant la pêche en mer - je souhaiterais qu'il vous soit possible, monsieur le ministre, d'aborder la question de l'orientation pluriannuelle pour la Basse-Normandie d'une manière un peu différente et de nous autoriser à disposer d'un peu plus de kilowattheures.
Il ne s'agit pas d'aller au-delà de ce qui est autorisé, de faire un cas particulier de la Basse-Normandie ; il s'agit seulement de tenir compte de la spécificité de la pêche basse-normande, tout en pratiquant une gestion raisonnée.
Le deuxième point que je souhaite aborder est d'ordre moins local.
Le comité interministériel d'exploitation de la mer a institué différentes zones de pêche. Parmi elles, la zone VII constitue un vaste espace de pêche comprenant la mer de la Manche, séparée en deux zones : VII D et VII E pour Manche-Est et Manche-Ouest. C'est au sein de ces deux zones que sont prélevées les espèces hors quotas communautaires.
Il ne serait pas inintéressant de se doter, au sein de la mer de la Manche, d'une sorte de Channel box, comme il existe une Irish box dans une autre région, et de faire en sorte que cette gestion régionalisée associe les riverains de la mer de la Manche, c'est-à-dire les pêcheurs de Grande-Bretagne, de Belgique et tous ceux qui viennent pêcher dans cette zone.
Grâce à ce Channel box, nous pourrions pratiquer une gestion encore plus fine de la ressource. Nous y aurions tout intérêt, afin de valoriser encore mieux ces espèces relativement nobles, qui se vendent d'ailleurs, pour ce qui concerne les ports bas-normands, à 60 % dans les criées.
Le troisième point découle du précédent. En effet, une gestion de type Channel box nous permettrait de régler les différends qui surgissent régulièrement et que vous connaissez. (M. le ministre sourit.) Bien sûr, cela vous fait sourire, monsieur le ministre. Certes, ce n'est pas la guerre des Malouines, mais nous avons tout de même quelques difficultés pour pêcher dans les eaux des îles anglo-normandes.
Sur ce point, je souhaite que l'on en revienne au modus vivendi qui avait été trouvé en 1994, mais pour une durée relativement courte. Cette solution serait susceptible de donner satisfaction à tout le monde. C'est tout le problème des droits historiques : les Britanniques dénient aux Français des droits de pêche historiques que ceux-ci revendiquent. C'est en fait une question d'interprétation, et j'ose espérer que nous arriverons à nous mettre d'accord.
D'ailleurs, monsieur le ministre, nous sommes sur le point de parvenir à un accord avec le bailliage de Jersey. Les pêcheurs jersiais et les pêcheurs français sont à peu près d'accord sur la présence de certains bateaux dans les boxes des environs de Jersey. Ils sont même d'accord sur les Roches Douvres. Bref, nous sommes vraiment tout près d'un accord avec Jersey. Cela nous permettrait probablement d'aller plus vite pour la conclusion de l'accord à venir avec nos amis - parce qu'ils restent néanmoins nos amis - des îles du bailliage de Guernesey.
Je serais très heureux que vous m'apportiez des réponses pertinentes à des questions qui ne le sont pas moins, non pas parce que je les ai posées, mais parce que ce sont les pêcheurs qui les posent. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Piras.
M. Bernard Piras. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour apprécier le projet de budget de l'agriculture qui nous est proposé pour 1999, il convient de situer le contexte, tant international que national, dans lequel celui-ci intervient.
L'agriculture et le monde rural sont actuellement au centre de très nombreuses réformes.
Ainsi, l'Agenda 2000 regroupe, d'une part, la réforme de la PAC et, d'autre part, la réforme des fonds structurels, et ce dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne.
La réforme de la PAC adoptée en 1992 reposait sur les principes suivants : baisse significative des prix garantis, compensation des pertes de revenus par des paiements compensatoires, instauration d'un gel des terres obligatoire.
La nouvelle réforme proposée par la Commission européenne procède d'un double mouvement : un approfondissement de la réforme de 1992, par une nouvelle baisse des prix et un effort pour que la PAC soit mieux perçue par les opinions publiques. Au-delà des vives réactions suscitées par ce projet, se posent deux problèmes principaux : la priorité accordée ou non à l'agriculture dans le développement rural ; la prise en charge par chaque Etat membre d'une partie des aides à l'agriculture.
La réforme des fonds structurels, qui ont pour vocation de compenser les disparités régionales au sein de l'Union européenne, constitue l'autre volet de l'Agenda 2000.
L'objectif 2 regrouperait les zones rurales en difficulté, les zones industrielles en difficulté et les quartiers urbains en difficulté. Il est à noter que ce nouveau système de zonage est moins rassurant pour le monde rural que l'ancien puisque, auparavant, un seul et même objectif le concernait.
Pour ce qui est du contexte national, l'examen du projet de budget pour 1999 intervient entre l'adoption en première lecture à l'Assemblée nationale, en octobre dernier, et l'examen par le Sénat, en janvier prochain, du projet de loi d'orientation agricole. Celui-ci se caractérise avant tout par une volonté, d'une part, de redistribution plus sélective de l'argent public et, d'autre part, de réorientation de l'agriculture française à travers les contrats territoriaux d'exploitation vers des modes de production plus soucieux de l'environnement, de l'emploi, du territoire et de la qualité des produits.
A cela, il faut ajouter le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement dit « durable » du territoire, qui vient d'être déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale et qui doit conduire à un nouvel équilibre entre le développement des villes et celui des campagnes.
Comme on peut le constater, il n'est pas possible d'envisager le budget de l'agriculture sans tenir compte de toutes ces réformes substantielles, lesquelles s'imbriquent les unes dans les autres et ne permettent pas, bien souvent, d'obtenir une vraie lisibilité de la situation de notre agriculture au regard des interventions et des orientations dont elle fait l'objet ainsi que des aides dont elle bénéficie. Le spécialiste s'y perd souvent. Alors, je vous laisse imaginer ce qu'il peut en être du profane. Il serait sans doute judicieux que des dispositions soient prises afin de permettre une meilleure compréhension des mécanismes.
De même que notre agriculture ne peut être envisagée de manière isolée sur le plan européen et mondial, elle ne peut non plus être isolée du reste de la société française, et cela du point de vue tant de l'aménagement du territoire que de l'environnement. L'agriculture ne doit plus être envisagée comme une simple activité économique ; elle est bien plus que cela, comme en témoigne le contenu de la loi d'orientation agricole.
Un rapide état des lieux montre que, depuis dix ans, le nombre d'exploitations est passé de 1 000 000 à 700 000. La taille moyenne des exploitations a quasiment doublé, atteignant 42 hectares, avec de très fortes disparités de surface. Le nombre d'actifs agricoles a diminué d'un quart. Les aides représentent aujourd'hui 40 % du revenu agricole. Ainsi, si la taille des exploitations et l'aide publique dont elles bénéficient sont de plus en plus importantes, le nombre d'exploitations et d'emplois créés est en forte diminution. Une telle évolution doit tous - j'y insiste - nous conduire à préciser le rôle que nous voulons que l'agriculture joue demain au sein du monde rural.
Je formulerai quelques remarques sur les priorités que le Gouvernement a fixées et qui sont, je le rappelle, le contrat territorial d'exploitation, la sécurité alimentaire, l'avenir des jeunes et la revalorisation des retraites.
Je souscris, pour ma part, au principe du contrat territorial d'exploitaton issu de la loi d'orientation agricole. J'y adhère dans la mesure où cela répond à la multifonctionnalité de l'agriculture moderne et à la nécessité d'orienter vers de nouveaux objectifs les aides publiques. Je suis d'ailleurs très satisfait que la profession ait accueilli favorablement cette nouvelle forme d'intervention publique.
L'effort consenti en faveur de la sécurité alimentaire s'impose aussi compte tenu de l'actualité plus ou moins récente ; la crise bovine et la question des plantes transgéniques sont là pour en témoigner. Le consommateur étant à la base d'une agriculture conquérante, il est essentiel que celui-ci s'y retrouve et que la santé publique soit privilégiée.
Lors de mon intervention sur le BAPSA, j'ai souligné que le budget de l'agriculture pour 1999 s'inscrivait tout à la fois dans le passé et dans l'avenir. Ainsi, s'il est indispensable de se préoccuper des générations anciennes par une revalorisation des retraites agricoles, il l'est tout autant de le faire pour les générations actuelles et futures.
Cette démarche passe, bien évidemment, par la mise en oeuvre de dispositions favorisant et pérennisant l'installation des jeunes, volet qui, il faut le rappeler ici, n'a pas été oublié dans cette loi de finances. Mais elle passe également, et bien souvent de manière préalable, par la mise en place d'un enseignement agricole de qualité. C'est sur ce point que portera principalement mon intervention ; je la conclurai sur le budget consacré à notre forêt, ainsi qu'à l'avenir de cette dernière.
Je dresserai un constat : ce secteur d'enseignement rencontre un succès indéniable. Il devient de plus en plus difficile d'intégrer une école de ce genre et les listes d'attente, lors de chaque rentrée scolaire, tendent à s'allonger.
Comment justifier un tel phénomène ? En fait, les raisons identifiées sont multiples. Il est tout d'abord une évidence : un tel enseignement plaît aux jeunes. Sa nature concrète permet bien souvent l'intégration dans le système scolaire d'élèves par ailleurs en difficulté.
En outre, il répond sans aucun doute à une évolution de la société, c'est-à-dire à une attirance de plus en plus marquée pour des métiers proches de la nature.
Par ailleurs, cet enseignement a su rapidement et efficacement s'adapter à l'apprentissage de nouveaux métiers.
Enfin - et ce n'est sans doute pas la moindre des raisons - le succès de l'enseignement agricole en matière d'insertion professionnelle est incontestable : le taux d'insertion est de 60,4 % pour les brevets d'études professionnelles agricoles, les BEPA, 81,7 % pour les brevets de technicien agricole, les BTA, et 91,1 % pour les brevets de technicien supérieur agricole, les BTSA. Les débouchés restent donc nombreux.
Le succès constaté de l'enseignement agricole est justifié, mais il est aussi nécessaire. En effet, le métier d'agriculteur, ainsi que ceux qui tournent autour, exigent et exigeront de plus en plus une connaissance et une formation adaptées et pointues. La loi d'orientation agricole est là pour le confirmer, les missions de notre agriculture sont désormais multiples et diverses. L'agriculture de demain devra permettre de produire suffisamment, sans pour autant altérer l'environnement. De même, elle devra être rentable, sans remettre en cause un aménagement du territoire cohérent et équilibré. L'évolution de notre agriculture, avant tout productiviste, vers la prise en compte de nouvelles exigences, doit aussi être intégrée au sein de l'enseignement agricole.
L'enseignement agricole doit donc préparer l'agriculteur à ces différentes missions. Tout cela est sans compter sur la technicité toujours grandissante de la production agricole, laquelle exige une connaissance technique de plus en plus poussée.
La spécialisation et la diversification des métiers de la terre exigent aussi, en contrepartie, la création de filières toujours plus diverses. Il faut non pas encourager une recentralisation des formations de l'enseignement agricole sur la production, mais, au contraire, favoriser une diversification, garantie d'une revitalisation de l'ensemble de l'économie rurale. L'agriculture se diversifie ; la formation agricole doit aussi le faire.
Enfin, l'évolution rapide des connaissances, liée sans aucun doute à une recherche efficace, exige que les agriculteurs puissent bénéficier d'une formation continue tout au long de leur activité. Cet aspect de l'enseignement mérite sans aucun doute d'être développé.
L'agriculture française tient une place privilégiée sur l'échiquier mondial. Pour la conserver, une formation de qualité des hommes et des femmes qui contribuent à cette position dominante est indispensable.
Face à ce succès mérité et nécessaire de l'enseignement agricole, vous avez souhaité, monsieur le ministre, ainsi que votre prédécesseur M. Louis Le Pensec - et je dois dès à présent vous en féliciter - poursuivre une politique volontariste dans ce domaine. Ainsi, si en 1998 le budget de l'enseignement agricole, de la formation professionnelle et de la recherche avait déjà progressé de 4,8 %, cette année, l'augmentation est encore plus importante puisqu'elle s'élève à 6,2 %, le budget atteignant ainsi plus de 6,8 milliards de francs. Un tel effort dans ce domaine n'avait pas été constaté depuis plus de vingt-cinq ans.
Il me semble opportun de détailler cette augmentation. Si les crédits de l'enseignement supérieur public sont en hausse de 2,2 %, il est à noter que cinq postes d'ingénieur de recherche sont créés. Le budget consacré à l'enseignement technique progresse, quant à lui, de 8,4 %, 115 postes d'enseignants et soixante postes de personnels non enseignants étant créés. Celui de l'enseignement technique privé progresse de 7,5 %. Le volet social n'est, bien entendu, pas oublié. Les dotations consacrées aux bourses augmentent de 4,3 %, alors que le fonds social passe de 7 à 10 millions de francs et que des moyens sont prévus permettant la prise en charge partielle, pour l'instant, des frais de stage des élèves. Quant au budget de recherche, il progresse de 3,9 %.
Tous ces chiffres démontrent, mes chers collègues, que le budget qui nous est présenté marque une prise en compte incontestable et notable de l'intérêt, mais aussi de la nécessité de développer un enseignement agricole de qualité. Telles sont les raisons pour lesquelles nous voterons sans ambiguïté le projet de budget de l'agriculture. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. de Richemont.
M. Henri de Richemont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon seul voeu serait de pouvoir apporter les mêmes encouragements à M. le ministre de l'agriculture.
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Ne vous gênez surtout pas ! (Sourires.)
M. Henri de Richemont. Je ne peux cependant que souscrire aux propos qui ont été tenus par mes collègues de la majorité sénatoriale, partager leur inquiétude et m'interroger, avec eux, sur le projet de budget de l'agriculture.
Vous comprendrez, mes chers collègues, que j'oriente particulièrement mon intervention sur les questions liées à la crise du cognac.
A ce propos, je souhaite vous remercier, monsieur le ministre, d'avoir bien voulu présider l'utile réunion du 12 novembre dernier à laquelle vous nous aviez conviés. Je tiens également à remercier votre directeur de cabinet pour la qualité de cette réunion.
Monsieur le ministre, compte tenu de la gravité de la crise que connaît actuellement la région délimitée du cognac, je voudrais rappeler que ce produit représente aujourd'hui 82 000 hectares de vignes et 9 000 exploitations agricoles et concerne 70 000 personnes.
Il s'agit de la première industrie de la région Poitou-Charentes, et elle apporte 9 milliards de francs à la balance commerciale française, soit l'équivalent de cent rames de TGV ou de vingt-cinq Airbus. En outre, cette production amène chaque année le versement de 400 millions de francs au titre des impôts directs.
Vous comprendrez donc l'intérêt et l'importance de cette économie, que votre directeur de cabinet a bien voulu considérer comme faisant partie du patrimoine de notre pays.
M. Jean-Louis Carrère. Publicité gratuite !
M. le président. Veuillez ne pas interrompre l'orateur, monsieur Carrère !
M. Henri de Richemont. J'ai le droit de choisir ma publicité, mon cher collègue. Il s'agit d'un produit qui devrait également vous être cher !
M. Jean-Louis Carrère. Je préfère l'armagnac, pardonnez-moi ! (Sourires.)
M. Henri de Richemont. Ce que nous voulons, c'est que le cognac ne connaisse pas les mêmes aléas et ne subisse pas le même sort que l'armagnac. Vous vous êtes trompé de propos, mon cher collègue !
Monsieur le ministre, vous savez que, depuis sept ans, la chute des ventes de cognac est due à plusieurs facteurs, notamment à la crise que traverse l'Asie du Sud-Est. En raison d'une baisse des ventes de 40 % et de la surproduction particulièrement grave que nous connaissons, un déséquilibre chronique entre l'offre et la demande est apparu et une augmentation importante des stocks s'est produite.
Il faut rappeler ici avec force que les stocks du négoce n'ont pratiquement jamais été aussi importants, tant en valeur relative qu'en valeur absolue. Dans ces conditions, celui-ci cherche à réduire ses stocks, et ralentit par conséquent ses achats à la viticulture, ce qui entraîne une dégradation des prix et une baisse considérable du chiffre d'affaires, qui devrait atteindre 600 millions de francs.
Si, pour les campagnes précédentes, le chiffre d'affaires de la viticulture avoisinait les 2,5 milliards de francs, soit 30 000 francs par hectare, le chiffre d'affaires prévisible pour les prochaines années s'élève aujourd'hui à 1,8 milliard de francs.
Cette chute considérable des revenus se traduit par des dépôts de bilan, des licenciements, une perte de confiance des banques et une diminution de la valeur des stocks.
Face à cette crise, la profession s'est rassemblée et a réagi. Les professionnels du cognac, réunis au sein du Bureau national interprofessionnel, se sont efforcés de gérer les problèmes de la viticulture régionale.
Un plan d'adaptation du vignoble avait été déposé auprès du ministère de l'agriculture le 24 juin 1997. Ce plan d'urgence nécessitait l'intervention de l'Etat au travers d'aides non seulement conjoncturelles, mais également structurelles. Après de nombreuses tergiversations, que nous regrettons, après avoir également demandé des élections qui ont eu lieu, votre ministère a bien voulu approuver ce plan, et je l'en remercie. Vous vous étiez engagé, monsieur le ministre, à publier prochainement un décret au Journal officiel institutionnalisant ce plan. Ce décret n'est toujours pas publié et nous le déplorons !
Nous nous réjouissons des mesures qui sont prises en ce qui concerne les aides structurelles annoncées. Cependant, même si elles sont significatives, elles ne permettent pas de répondre aux mesures d'urgence que requiert la situation des exploitants.
Monsieur le ministre, l'Etat n'a pas répondu - mon confrère M. Doublet l'a indiqué tout à l'heure - aux demandes d'aides conjoncturelles immédiates exprimées par la profession, sous la forme soit d'une aide à l'hectare, soit d'une aide complémentaire à la distillation préventive, afin de soulager les trésoreries exsangues des viticulteurs.
Ce que l'interprofession, ce que la viticulture, ce qu'une région vous demandent, monsieur le ministre, c'est de les aider à reconquérir les marchés. Votre ministère s'était engagé à abonder à hauteur du double les fonds apportés par la viticulture. Aujourd'hui, les viticulteurs, au travers de l'interprofession, ont promis de mettre sur la table 7 millions de francs. Ce sont donc 14 millions de francs que l'Etat aurait dû apporter ! Or vous ne nous avez promis que 5 millions de francs, encore une fois pour nous implanter sur le marché américain. Monsieur le ministre, laissons les grandes maisons s'occuper du marché américain ! Ce qui est important pour nous, c'est de reconquérir le marché français, c'est de réconcilier la France avec ce produit que nous considérons comme l'un des plus nobles de notre territoire.
M. René-Pierre Signé. Faites des efforts de communication, de promotion !
M. Henri de Richemont. Mais il faut nous aider dans ce sens, mon cher collègue.
M. le président. Ne vous laissez pas interrompre, mon cher collègue !
M. Henri de Richemont. Nous demandons également, monsieur le ministre, que soient revus les droits de consommation sur les alcools, car quelle que soit son origine, l'alcool est toujours de l'alcool.
Nous demandons donc une baisse des droits de consommation sur le cognac au moyen d'une juste répartition des droits indirects sur les boissons alcoolisées en fonction de leur teneur en alcool. Il n'est pas normal, en effet, que seul le cognac doive subir les droits de consommation sur les alcools.
Nous demandons également une révision de la loi Evin sur la publicité.
Cette loi n'a rien apporté. Elle n'a pas permis de lutter efficacement contre l'alcoolisme. D'autres Etats de l'Union européenne ne connaissent pas de loi similaire. Nous subissons donc là une distorsion que nous déplorons aujourd'hui, car elle est aussi responsable de la chute des ventes de cognac en France.
Nous demandons également la révision de la fiscalité sur le cognac et sur le stock. Je sais que des discussions sont en cours avec M. le secrétaire d'Etat au budget. Nous espérons qu'elles seront conduites dans un esprit positif et qu'elles pourront aboutir.
Je vous demande également, monsieur le ministre...
M. René-Pierre Signé. On lui demande beaucoup, au ministre !
M. Henri de Richemont. Moi, je suis là pour ça, et vous, pour m'écouter !
Je vous demande également, monsieur le ministre, de faire en sorte que soit rouvert le dossier des ventes hors taxes. Vous le savez parfaitement, si nous supprimons les ventes hors taxes, cela se traduira, pour le cognac, par une perte de 250 millions de francs de chiffre d'affaires, par la pénalisation de 2 000 hectares de vigne et par la perte de 2 500 emplois.
Enfin, nous vous demandons que, dans le projet de loi d'orientation agricole qui viendra prochainement en discussion au Sénat, que soit envisagée d'une manière très claire la mise en bouteille obligatoire dans la région délimitée.
Nous ne voulons pas, quand d'autres services s'en vont aujourd'hui compte tenu du fait que de grandes maisons sont maintenant contrôlées par des multinationales, qu'il puisse y avoir une mise en bouteille en dehors de la zone délimitée.
M. Jean-Marc Pastor. C'est cela, le libéralisme !
M. Henri de Richemont. Nous demandons également que le cognac bénéficie des mêmes aides de l'Union européenne que le brandy. Il est anormal qu'il existe des aides pour le stockage et la distillation du brandy, et non pas du cognac.
J'ai peut-être été trop long. (« Dénégations ironiques sur les travées socialistes.) Vous voudrez bien m'excuser si je vous ai lassés par mon argumentation, mes chers collègues, mais je suis persuadé que, en fait, vous avez envie d'être convaincus !
Pour conclure, je souhaite, monsieur le ministre, que, dans nos préfectures, dans nos ambassades et même, monsieur le président, au Sénat, l'on trouve plus de bouteilles de cognac que de whisky, car le cognac, au même titre que le champagne, est un grand ambassadeur de notre pays. (Sourires.)
Mes chers collègues, le culte de la tradition n'exclut pas l'amour du progrès. C'est la raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir prendre en considération, dans vos débats, l'aide que notre nation doit apporter au cognac, qui est le plus beau don de Dieu au monde. (Applaudissements.)
M. le président. A consommer avec modération !
La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé. Je tiens à saluer, monsieur le ministre, la qualité du budget que vous nous présentez aujourd'hui et dont la hausse de 3 %, certes raisonnable, est accompagnée d'orientations que j'approuve sans réserves.
Il me semble toutefois opportun, puisque l'occasion m'en est donnée, d'attirer votre attention sur la situation difficile de l'élevage extensif pratiqué dans la zone du grand bassin allaitant.
Je sais, monsieur le ministre, que cette préoccupation est également la vôtre et que vous la défendez face, notamment, aux projets de réforme de la politique agricole commune émanant de la Commission européenne.
Le projet de budget que vous soumettez à nos suffrages comporte un instrument général qui me semble particulièrement pertinent pour la défense de l'agriculture extensive : il s'agit du fonds pour l'installation en agriculture, j'y reviendrai. En quelques mots, je rappellerai tout d'abord en quoi, à mon sens, l'élevage extensif est une composante essentielle de notre agriculture et quelles sont les menaces qui pèsent sur lui.
L'élevage pratiqué dans le bassin allaitant - élevage principalement bovin, bien que des efforts conduisent actuellement à un développement de la production ovine - est c'est une première évidence ; une production de qualité, favorable tant à la diversité de l'offre de viande qu'à la sécurité alimentaire, mais à cette pertinence, en quelque sorte micro-économique, s'ajoute un intérêt très clair en termes d'aménagement du territoire et de respect de l'environnement, sans même évoquer l'entretien du paysage. Les éleveurs de Bourgogne, d'Auvergne, du Limousin et du Morvan sont, chacun à l'échelle de leur commune, des aménageurs ! Chacun sait que leur présence implique celle de multiples services offerts au public et d'activités économiques diverses, bref, de la vie dans nombre de régions fragiles.
Depuis 1992, et en dépit de ce qui a été beaucoup dit, ce secteur d'activité crucial n'est pas encouragé par l'Europe comme il le devrait.
Quant à l'avenir de la PAC, tel que l'envisage la Commission, il est inquiétant. Le Fonds mondial pour la nature n'a-t-il pas fait valoir, voilà quelques jours, que l'Agenda 2000 prévoyait d'allouer 87 % des fonds communautaires au soutien du marché, contre seulement 3 % à des mesures agri-environnementales et 10 % au développement rural ?
Il y a là, à l'évidence, une logique qui va à l'encontre de l'intérêt des hommes. Je sais que vous la combattez au nom de la France. Mais l'élevage bovin, il faut également le reconnaître, souffre de faiblesses propres qui sont connues : il est insuffisamment identifié, notamment sur le plan commercial. Par là même, il est victime d'une forme particulièrement destructrice de restructuration sous la forme d'un agrandissement inconsidéré de la taille des exploitations.
C'est contre cet agrandissement que peuvent agir, entre autres orientations de votre budget, celles qui sont relatives à l'installation et, en particulier le fonds d'installation en agriculture. L'action des pouvoirs publics, dans ce contexte, est marquée par une offensive tous azimuts.
J'ai ainsi noté que le budget de l'agriculture pour 1999 consacre 790 millions de francs à la seule installation, complétés, en outre, par un financement européen de 345 millions de francs. Sur ces crédits, 990 millions de francs serviront à financer 10 000 installations aidées par l'Etat, qui sont à comparer aux 9 300 jeunes agriculteurs qui ont accédé à la profession cette année en bénéficiant d'un soutien public. Le fonds d'installation en agriculture, doté pour 1999 de 145 millions de francs, est destiné à soutenir « des formules innovantes ». Au total, la Cour des comptes a établi que chaque agriculteur désireux de débuter son activité perçevait en moyenne 360 000 francs d'aides publiques, pour un coût d'installation - en constante augmentation - estimé à 1 million de francs.
Crucial, le problème du coût de l'installation en agriculture est rendu encore plus complexe par le « dysfonctionnement de la politique des structures », qu'à dénoncé notamment à l'Assemblée nationale notre collègue François Patriat.
En dépit des outils mis en place par l'Etat et la profession, l'accès aux exploitations existantes est aléatoire pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent reprendre l'exploitation familiale. C'est la seconde justification du fonds d'installation en agriculture. Il s'agit de repérer les exploitations sans successeur avant qu'elles ne soient purement et simplement absorbées par le voisin en place, de parrainer les jeunes et d'aider à leur remplacement pendant leur période de formation.
Beaucoup plus ambitieuse que le fonds d'intervention pour le développement industriel local, le FIDIL, dont elle a pris la succession, cette nouvelle mesure doit permettre à des jeunes non issus du milieu d'accéder en plus grand nombre à la profession agricole. Il restera, pour pérenniser leur implantation, à accompagner la mise en place de leurs projets personnels de façon adaptée à la fois à eux-mêmes et à l'environnement socio-économique fragile qui caractérise le bassin allaitant.
Je note d'ailleurs avec satisfaction à ce propos, que, dans votre projet de budget, monsieur le ministre, vous nous proposez l'inscription des sommes destinées à financer les premiers contrats territoriaux d'exploitation contenus dans le projet de loi d'orientation que vous nous soumettrez bientôt.
Saluant, à travers votre budget, la vision prospective d'une agriculture à visage humain qui est celle que veulent les socialistes et conscient, par ailleurs, du fait que vous prendrez en compte les préoccupations spécifiques que je vous soumets quant à l'avenir du bassin allaitant, c'est sans réserve, monsieur le ministre, que j'approuverai tout à l'heure, avec mon groupe, les crédits que vous soumettez au vote de la Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, élu d'un département en grande partie rural, l'Eure-et-Loir, je suis naturellement très attaché à la défense des campagnes et aux moyens qui sont donnés à nos agriculteurs pour affronter les défis de cette fin de siècle, notamment la mondialisation des activités et des échanges agricoles. Je suis donc, à l'instar de la majorité de mes collègues de la commission des affaires économiques et du Plan, très déçu, il faut bien le dire, de ce que vous nous réservez, monsieur le ministre, dans votre budget.
Notre agriculture dispose de grands atouts qui demandent à être consolidés. Au lieu de cela, vous vous contentez de traduire au plan financier les orientations retenues par le projet de loi d'orientation agricole, dont nous sommes nombreux à regretter - y compris les organisations agricoles, j'insiste sur ce point - les limites et le manque d'ambition. Les lois d'orientation étant rares, en effet, elles prennent une dimension toute particulière pour le secteur agricole. En ne lui permettant pas de s'adapter au XXIe siècle, comme cela aurait dû être son unique finalité, ce texte n'est pas loin de devenir la loi de tous les dangers !
Mais je ne m'écarterai pas plus longtemps du sujet qui nous préoccupe aujourd'hui. Nous aurons, monsieur le ministre, d'autres occasions de vous exprimer notre profond désaccord sur le rôle que vous voulez faire jouer à nos agriculteurs dans le monde de demain.
Vous fondez votre politique budgétaire sur quatre priorités.
La création d'un fonds de financement des contrats territoriaux d'exploitation dans le projet de loi d'orientation agricole est la première d'entre elles.
Obtenu, en réalité, par redéploiement de crédits nationaux à hauteur de 300 millions de francs pour 1999, ce fonds va vider les chapitres réservés notamment au fonds de gestion de l'espace rural et aux opérations groupées d'aménagement foncier, les OGAF. Or, en basculant entièrement le FGER - 140 millions de francs - sur le contrat territorial d'exploitation, vous empêchez les acteurs du monde rural de mettre en place des actions efficaces. Quant aux OGAF qui, rappelons-le, ont vu le jour en 1970 afin de compléter, notamment pour la montagne et les zones défavorisées, les dispositions prévues en matière d'aménagement des structures des exploitations par les lois d'orientation agricole de 1960 et 1962, vous les faites disparaître également. Les 45 millions de francs dont elles étaient dotées sont transférés au fonds de financement des contrats territoriaux d'exploitation. Il est regrettable de supprimer totalement les crédits réservés à ces opérations, quand on sait que les contrats territoriaux d'exploitation ne seront vraisemblablement pas opérationnels avant le dernier trimestre de 1999.
En outre, si, comme nous l'avons vu, les ressources affectées au financement des contrats territoriaux d'exploitation sont, pour l'année prochaine, prélevées sur d'autres affectations, ce qui, soit dit en passant, pourrait défavoriser les agriculteurs qui ne souscriront pas de contrat de ce type - leur signature, je le rappelle quand même, doit se faire sur la base du volontariat - qu'en sera-t-il des années suivantes ? A combien s'élèvera le coût des contrats territoriaux d'exploitation en année pleine ? La technique du redéploiement risque très vite de montrer ses limites. Où prendrez-vous, alors, l'argent nécessaire, monsieur le ministre ? Les agriculteurs ont le droit de savoir.
Par ailleurs, vous ne pouvez l'ignorer, les contributions des OGAF à l'émergence de dynamiques de développement local sont reconnues et appréciées. Certes, vous avez précisé que les opérations engagées à ce titre seraient poursuivies puis soldées en 1999, de même que pour les projets en cours au titre du FGER. Permettez-moi toutefois de reconnaître que cela n'est qu'une maigre consolation pour les parties concernées, notamment pour les collectivités locales.
Vous évoquez, par ailleurs, pour abonder ce fonds, un financement communautaire d'environ 150 millions de francs au titre des mesures agri-environnementales. Compte tenu de l'évolution actuelle des négociations communautaires, une telle annonce m'apparaît quelque peu prématurée.
Enfin, n'oublions pas le transfert d'une partie des crédits du fonds pour l'installation en agriculture, de l'ordre de 15 millions de francs, mais j'y reviendrai un peu plus tard.
Avant de clore ce chapitre sur les CTE, permettez-moi d'ajouter que si ces contrats masquent les carences économiques du projet de loi d'orientation agricole, rien dans votre projet de budget ne permet de combler l'absence notable de toute mesure fiscale. Il aurait été essentiel pour l'avenir de notre agriculture de favoriser l'installation des jeunes par un aménagement des régimes d'imposition et la mise en place d'outils propres à faciliter l'investissement et la transmission. Au lieu de cela, nous sommes confrontés au risque de suradministration du secteur et de la profession, transformant en fait nos agriculteurs en jardiniers de l'espace fonctionnarisés, et les préfets en notaires.
Je ne m'appesantirai pas sur la deuxième priorité annoncée de votre projet budget, le renforcement de la sécurité sanitaire, sur laquelle nous ne pouvons que tous vous rejoindre ; les crédits augmentent de 10,5 %.
La crise de la « vache folle » a profondément modifié le comportement des consommateurs. Comment ne pas les comprendre ? Les exigences liées à la qualité des produits alimentaires se faisant toujours plus fortes, il importe de dégager les moyens adaptés et suffisants en matière de sécurité sanitaire. A l'heure où apparaissent sur les marchés les premières variétés d'OGM, les organismes génétiquement modifiés, je salue votre votre prise de position dans Le Monde du 19 novembre dernier, où, questionné sur le futur système de biovigilance sur les OGM, vous avez déclaré avec la plus grande clarté que s'il fallait prendre un risque, vous prendriez celui de la trop grande précaution plutôt que celui de l'aveuglement ou de l'insouciance. Je souscris totalement à cette déclaration.
J'en viens à l'avenir des jeunes. Il paraît pour le moins difficile de concilier promotion de l'installation des jeunes et diminution des moyens financiers ! En matière d'installation des jeunes, l'objectif affiché est de dix mille nouvelles installations aidées, alors que les crédits de la dotation aux jeunes agriculteurs sont simplement reconduits et que ceux du fonds d'installation en agriculture sont, je l'ai déjà évoqué, amputés de 10 % au profit du fonds de financement des CTE !
Point n'est besoin de s'éterniser sur les difficultés auxquelles sont confrontés les jeunes qui veulent aujourd'hui s'installer en agriculture. Or, de notre capacité à résoudre ces difficultés dépendra la pérennité de notre agriculture et l'occupation - donc l'aménagement - de notre territoire national.
Faire perdre 15 millions de francs au fonds d'installation en agriculture qui répond à la nécessité d'installer de nouveaux candidats sur les exploitations libérées par les agriculteurs sans successeur est, à cet égard, me semble-t-il, tout à fait regrettable et contraire à l'attention qu'il conviendrait de porter à ces situations.
Il est, par ailleurs, une certitude : ce n'est pas en régentant, en encadrant et en administrant la profession que l'on attirera et encouragera les jeunes. Il faut, au contraire, privilégier une politique qui vise à développer les initiatives et à susciter les vocations, afin de saisir les opportunités des marchés qui se présentent à nous. L'opposition a son idée sur la question, mais, là encore, il nous sera donné de la développer prochainement lors de l'examen du projet de loi d'orientation agricole.
La revalorisation des retraites agricoles, enfin, est votre dernière priorité inscrite au titre du BAPSA, le budget annexe des prestations sociales agricoles. Les prestations vieillesse constituent le principal poste de dépenses du BAPSA.
Le projet de loi d'orientation agricole prévoit, certes, la revalorisation des petites retraites. C'et ainsi que le montant minimal de la pension devrait être porté à 3 300 francs par mois pour les chefs d'exploitation et à 2 200 francs pour les conjoints. L'effort consenti n'est toutefois pas suffisant dès lors qu'il laisse les ressources des agriculteurs retraités en deçà du minimum vieillesse.
Permettez-moi, avant de conclure, de dire un mot du F.N.G.A., Fonds national de garantie des calamités agricoles, auquel, et pour cause, nos agriculteurs sont très attachés.
Nombreux ont été, et j'en suis, ceux qui ont été étonnés que ce fonds ne fasse l'objet d'aucune dotation pour 1999. Il est vrai que vous avez déclaré que, en raison d'une trésorerie de 1,4 milliard de francs, il ne paraissait pas nécessaire de prévoir un ligne budgétaire pour l'année à venir. Ce fonds est normalement financé à parité par les agriculteurs et les pouvoirs publics. Or il semblerait que l'Etat soit déjà en retard de 850 millions de francs dans sa participation au FNGCA. Une nouvelle défection n'est sans doute pas souhaitable si l'on veut que cet instrument demeure le pilier de la protection contre les risques en agriculture, notamment contre ceux qui, aujourd'hui, ne peuvent pas faire l'objet d'une assurance.
En bref, monsieur le ministre, j'ai le sentiment que vous faites passer notre agriculture d'une logique d'entreprise à une logique de guichet. Vous ne lui donnez pas agriculture les moyens d'être compétitive sur les marchés extérieurs. Je relève, pour finir, que les crédits de votre ministère constituent moins de 20 % de l'ensemble des concours publics à l'agriculture ; cela pourrait fort bien être interprété comme un désengagement.
A tous ces égards, je crains que votre pari sur l'avenir ne soit bien risqué ! (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heure trente-cinq, est reprise à seize heure quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Flandre.
M. Hilaire Flandre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quatre priorités sont affichées dans le projet de budget de l'agriculture pour 1999 : le financement des contrats territoriaux d'exploitation, la formation et l'installation des jeunes agriculteurs, la sécurité et la qualité alimentaires, enfin, la revalorisation des retraites agricoles.
Bien qu'elles anticipent sur le vote de la future loi d'orientation agricole non encore examinée par la Haute Assemblée, tout au moins en ce qui concerne le CTE, ces priorités demeurent classiques et poursuivent celles qui ont été précédemment annoncées : préparer et faciliter l'installation des jeunes agriculteurs, accompagner l'agriculture dans ses activités de production et ses efforts de modernisation et d'adaptation, corriger les situations difficiles des actuelles générations de retraités de l'agriculture. Nous pouvons souscrire à ces priorités.
Je reprendrai brièvement chacune d'entre elles pour montrer que les moyens ne correspondent en rien aux ambitions affichées et que derrière le rideau des paroles se situe le néant de la réalité.
J'évoquerai tout d'abord l'installation des jeunes. La volonté affichée de 10 000 installations aidées en 1999 ne résiste pas à l'examen. Outre que cet objectif représenterait une croissance de 10 % par rapport à la réalité des installations pour 1997, les crédits affectés à la dotation aux jeunes agriculteurs ne permettraient de financer que 8 000 installations environ au taux moyen des installations en zone de plaine.
De qui se moque-t-on ? Monsieur le ministre, si l'on souhaite augmenter le nombre d'installations en agriculture et assurer le renouvellement nécessaire des générations, il faut tout simplement donner aux candidats des perspectives d'avenir et ne pas les contraindre dans des mesures administratives de plus en plus complexes et tatillonnes, ou alors il conviendrait d'adapter notre enseignement agricole à cette réalité en apprenant aux jeunes les façons les plus efficaces de présenter des dossiers de demande de subvention.
Ne conviendrait-il pas aussi de s'interroger sur le nombre d'installations non aidées qui se font chaque année et qui représentent environ 30 % du total des installations ? Elles sont le fait de jeunes très motivés, qui sont écartés des aides par une législation inadaptée et, face à cette situation, comme on le disait dans une émission de télévision, il y a sûrement quelque chose à faire.
Donner aux jeunes des perspectives d'avenir, disais-je, serait le meilleur encouragement à l'installation. Or, qu'en est-il ?
La vocation de l'agriculture a toujours été et reste de produire des biens alimentaires ou des biens matières premières pour l'industrie de transformation, pour assurer à la fois notre autosuffisance, pour contribuer à l'alimentation du monde et pour participer à l'équilibre de notre commerce extérieur.
Devenue exportatrice, l'agriculture française a besoin de l'exportation pour assurer son développement. Or, les prises de position de votre prédécesseur à ce sujet nous inquiètent, même et surtout parce qu'elles ont réjoui certains de nos partenaires et concurrents.
Je sais, monsieur le ministre, qu'en matière agricole la politique d'exportation dépend de l'Union européenne, mais plus de fermeté de notre Gouvernement auprès de la Commission européenne doit permettre d'obtenir une politique d'exportation plus vigoureuse, pour ne pas dire plus agressive, et aurait permis d'éviter le retour des jachères aussi néfastes qu'inutiles.
De plus, la Commission européenne, dans un souci, certes louable, de bonne gestion des fonds communautaires, rend plus difficile la délivrance des certificats d'exportation et des restitutions et, en conséquence, plus difficiles les exportations, à la plus grande satisfaction de nos principaux concurrents sur le marché mondial.
En poursuivant dans cette voie, nous pourrons chaque année réduire de 5 % la surface cultivée de l'Europe et développer dans les mêmes proportions les friches, avec les conséquences qui pourraient en résulter.
Devant cette inquiétante perspective, monsieur le ministre, vos services, jamais à court d'imagination, ont inventé l'arme absolue : le contrat territorial d'exploitation, outil de la future loi d'orientation agricole qu'il me semble un peu prématuré de considérer comme acquis dans la mesure où le texte n'a pas encore été examiné dans cet hémicycle. Mais enfin, passons !
Le contrat territorial d'exploitation part sans doute d'une bonne idée et pourrait être un bon outil prenant en compte la multifonctionnalité de l'agriculture. Mais de nombreuses questions demeurent : comment ces contrats seront-ils financés ? A quel niveau et avec quels crédits ? Qu'adviendra-t-il des agriculteurs qui ne seront pas retenus dans un contrat territorial d'exploitation ? Tous y auront-ils droit ? N'est-on pas en train de lâcher la proie pour l'ombre ?
Nous reprendrons toutes ces questions, et bien d'autres encore, lors du débat sur le projet de loi d'orientation agricole, au printemps prochain.
Dans l'immédiat, il nous faut bien constater que, pour alimenter cet éventuel contrat territorial d'exploitation, disparaît le fonds de gestion de l'espace rural et s'amenuisent les crédits des opérations groupées d'aménagement foncier, du fonds d'installation en agriculture et des offices agricoles. Déshabiller Pierre pour habiller Paul n'a jamais constitué une bonne politique !
Non, monsieur le ministre, encourager l'installation, ce n'est pas confiner les agriculteurs à quelques tâches d'entretien de l'espace ou d'environnement ; c'est leur donner, je le répète, des perspectives d'avenir, de développement et de progrès.
Nous sommes loin du souffle enthousiaste des lois de 1960-1962 ; et même si nous devons nous adapter aux nouvelles contraintes du marché et aux aspirations de nos sociétés modernes, la vision étriquée de l'agriculture de demain que vous nous proposez ne saurait entraîner notre adhésion ni celle des candidats à l'installation.
Avant de jeter aux orties ou d'affaiblir les outils qui ont permis à notre agriculture de parcourir le chemin qu'elle a fait depuis les années soixante, ne conviendrait-il pas de s'interroger ?
Cela vaut pour l'organisation économique de l'agriculture, constituée d'une puissante industrie de transformation, premier secteur industriel de France, avec 793 milliards de francs de chiffre d'affaires, grand pourvoyeur d'emplois dans le milieu rural et qui contribue en outre très vigoureusement à l'aménagement du territoire.
Or, comme je l'ai déjà dit précédemment, la tiédeur, pour ne pas dire l'hostilité, des instances européennes en matière d'exportation et de délivrance de restitutions menace ce secteur et risque de provoquer certaines délocalisations d'activités. Nous attendons du gouvernement français plus de fermeté dans ce domaine.
Cela vaut également pour les outils d'aménagement des structures agricoles. Ainsi, les crédits alloués aux opérations groupées d'aménagement foncier diminuent, les préretraites des agriculteurs sont supprimées, alors que cette mesure permettait d'accélérer le renouvellement des générations et de favoriser des installations plus précoces, le fonds de gestion de l'espace rural est supprimé de fait, alors qu'aucune critique, bien au contraire, ne s'élevait contre son action et le Fonds d'installation en agriculture est pour ainsi dire mort-né !
Je voudrais également, dans ce chapitre consacré aux outils menacés, dire deux mots des conséquences que pourrait avoir, sur l'activité des SAFER, la baisse des droits d'enregistrement.
J'approuve cet alignement de notre fiscalité sur ce qui se pratique dans les pays voisins, mais j'attire votre attention, monsieur le ministre, sur les conséquences qu'une telle mesure pourrait entraîner pour l'activité des SAFER, dont chacun s'accorde à reconnaître l'utilité en matière de répartition des sols disponibles, de transparence des transactions et de contribution à la réalisation des projets de l'agriculture, mais aussi des collectivités.
Je crois, monsieur le ministre, qu'il conviendra que les responsables des SAFER se rapprochent de vos services pour étudier quelles mesures alternatives pourraient être mises en place.
Je pourrais poursuivre l'énumération des outils menacés ou condamnés, comme si l'ambition de chaque gouvernement se limitait à prendre le contrepied de ses prédécesseurs, alors que l'agriculture, pour se développer, a besoin de durée et de constance.
Mais je m'arrêterai là, pour évoquer brièvement un dernier aspect, celui de la nécessaire revalorisation des retraites agricoles. Ceux qui m'ont précédé à cette tribune ont abordé clairement ce sujet, sur lequel je n'aurai donc pas à m'étendre trop longuement.
Je voudrais néanmoins dénoncer l'hypocrisie qui consiste à donner un supplément de retraite à grand renfort d'effets d'annonce et à en reprendre l'équivalent ou presque par le biais de la CSG.
Pour que les choses soient bien claires, je prendrai l'exemple d'une veuve d'exploitant de 92 ans ayant élevé quatre enfants. En 1997, avant la revalorisation des retraites par conséquent, elle percevait 2 000 francs par mois au titre de la retraite vieillesse agricole, incluant la majoration pour enfants, la réversion de la part de son conjoint et l'indemnité viagère de départ majorée ; elle touchait également 2 000 francs de revenus fonciers provenant de la location d'une exploitation agricole de dimension modeste conquise sur les friches et terrains abandonnés à la suite de la guerre 1914-1918 dans notre région ; elle disposait enfin de quelque 1 000 francs de revenus d'épargne représentant l'ensemble des ressources économisées sou à sou par un couple d'agriculteurs qui n'était pas dans une situation extrêmement florissante.
Compte tenu du montant de ces différentes ressources, cette veuve, en 1997, était non imposable au titre tant de l'impôt sur le revenu que de la CSG.
En 1998, alors que les revenus fonciers et les revenus d'épargne de cette personne n'ont connu aucun changement, le montant de sa retraite a augmenté de 5 000 francs annuels, conformément à l'engagement pris par M. Le Pensec, en réponse à l'une de mes questions à cette tribune. Sa situation fiscale s'en est trouvée quelque peu modifiée : alors qu'elle restait non imposable au titre de l'impôt sur le revenu, elle est devenue redevable de la CSG et du RDS, sur les revenus fonciers et les revenus d'épargne - 10 % d'imposition au total - soit 3 600 francs à payer !
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. C'est moins que l'augmentation de la retraite !
M. Hilaire Flandre. Je dois vous dire, monsieur le ministre, que si cette personne n'était pas décédée préalablement à l'appel de cotisations de CSG, elle aurait été sérieusement ébranlée en constatant ce que l'Etat lui reprenait après lui avoir annoncé une majoration de 5 000 francs de retraite !
Alors, monsieur le ministre, arrêtons de nous gargariser du relèvement des retraites agricoles ! Regardons la situation telle qu'elle est et attelons-nous tous ensemble à y porter remède ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon propos portera brièvement sur la forêt.
M. René-Pierre Signé. Brièvement !
M. Yann Gaillard. Oui, brièvement au regard du temps forestier, qui, lui, est infini !
L'an dernier, à l'occasion de cette discussion budgétaire, j'avais passé en revue un certain nombre des préoccupatons qu'éprouvent les milieux forestiers, et notamment nos 11 000 collègues maires de communes forestières.
Je suis d'ailleurs heureux de pouvoir faire cet exposé sous l'oeil vigilant du président du conseil général du plus grand département forestier de France.
M. Jean-Louis Carrère. D'un des plus grands !
M. Yann Gaillard. M. Le Pensec, ministre de l'agriculture d'alors, devenu notre collègue, avait bien voulu me répondre par une lettre d'intentions du 22 décembre 1997 que la fédération nationale des communes forestières de France avait jugée assez intéressante pour la porter à la connaissance de ses adhérents dans sa revue.
Nous avons également été fort heureux de pouvoir juger des mérites d'un document d'un intérêt exceptionnel, le rapport Bianco, remis le 25 août dernier à M. le Premier ministre. L'auteur, monsieur le ministre, ne vous est pas inconnu, semble-t-il, et l'autorité qui s'attache à la position d'un parlementaire, ancien ministre, ancien secrétaire général de l'Elysée et ancien président de l'Office national des forêts, l'ONF, ne devrait pas vous laisser indifférent, d'autant que c'est le Premier ministre lui-même qui l'avait chargé fort opportunément, en décembre 1997, d'une mission de réflexion sur la forêt.
Le rapport Bianco comportait nombre d'excellentes choses : des déclarations d'intention, qui ont été reprises dans votre communication au dernier conseil des ministres, et des mesures concrètes, qui, elles, hélas ! en sont absentes.
En effet, le rapport Bianco ne se contentait pas de célébrer les 500 000 emplois de la filière bois ni même de stigmatiser la relative indifférence de la France pour sa forêt par rapport à d'autres pays. « La France », écrit M. Bianco, « investit quatre fois moins d'argent public dans la forêt que ses voisins ».
C'est pourquoi il préconisait une mise à niveau budgétaire, passant par le renforcement des deux principales charnières qui articulent le budget de l'ONF sur celui de l'Etat : le versement compensateur, et le Fonds forestier national.
En ce qui concerne le versement compensateur, qui comble la différence entre les dépenses et les recettes occasionnées par les interventions de l'ONF dans les forêts des collectivités, l'insuffisance est chiffrée par le rapport Bianco à 130 millions de francs, le vrai chiffre étant, paraît-il, de 104 millions de francs ; mais, peu importe ! Le présent projet de budget ne prévoit, monsieur le ministre, que 25 millions de francs de revalorisation.
Quant au Fonds forestier national, qui est le principal instrument d'intervention de l'Etat en matière forestière, nul n'ignore dans cette assemblée qu'il a été sinistré depuis la réforme de la taxe forestière de 1991, réforme imposée, comme chacun le sait, par la Communauté européenne. Chaque année, nous nous battons - principalement dans cette assemblée, dois-je dire - pour rattraper un peu de terrain perdu. Le rapport Bianco, lui, tranchait dans le vif et préconisait - je dois, hélas ! employer l'imparfait - une réévaluation de 350 millions de francs. Le projet de budget pour 1999 pour le Fonds forestier national se contente d'enregistrer, en recettes et en dépenses, une baisse de 1 %.
M. Le Pensec lui-même, dans la lettre qu'il m'avait adressée le 22 décembre de l'an dernier, s'inquiétait de l'évasion fiscale dont est victime la taxe forestière de la part, notamment, des importateurs de panneaux, à commencer par les grandes surfaces. Une enquête, me disait le ministre, avait été demandée à son collègue des finances.
Où en est-on aujourd'hui, monsieur le ministre ? Pouvez-vous nous répondre à ce sujet ? Cette enquête a-t-elle même commencé ?
M. Le Pensec proposait aussi de mettre à l'étude une ressource complémentaire assise sur l'artificialisation des espaces sous forme d'un complément à la taxe locale de l'équipement, qui aurait été affectée à la fois à l'Office national des forêts et au Fonds forestier national.
Nos collègues ici présents pourront reconnaître là une idée chère à la fédération des communes forestières et à son président, le sénateur Jacques Delong. Etes-vous toujours sur la même ligne, monsieur le ministre ?
Après avoir disjoint la partie forestière de la loi d'orientation agricole, nous n'avions plus droit qu'à une loi de modernisation. M. Le Pensec nous avait annoncé que ce texte serait discuté en 1999. Votre communication semble faire état d'un dépôt avant la fin de 1999. Devrons-nous attendre l'an 2000 ou l'an 2001 ?
Enfin, par anticipation sur le débat de la seconde partie, je vous indique tout de suite, un peu à chaud, monsieur le ministre, que le projet d'article 69 bis , permettant aux collectivités de ne pas appliquer la prescription trentenaire pour les parcelles plantées en bois, laisse la fédération nationale des communes forestières perplexe. L'émotion suscitée par ce projet chez nos amis de la forêt privée nous semble naturelle et nous craignons qu'il n'y ait là une tentation pour certaines collectivités, au détriment de l'avenir.
En tout état de cause, sur un sujet aussi complexe, il aurait fallu une concertation et non pas simplement une initiative parlementaire plus ou moins améliorée par un sous-amendement du Gouvernement.
Pour me résumer, monsieur le ministre, je dirai que vos débuts, en matière forestière, sont en demi-teinte par rapport aux espoirs qui avaient été suscités au cours de ces derniers mois. Mais enfin, vous ne faites qu'arriver. « Peut mieux faire », pourrait-on dire, à quoi j'ajouterai, à notre intention à tous : « Les forêts sont infiniment patientes ; mais n'abusons pas, monsieur le ministre, de la patience des forestiers ! » (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Hilaire Flandre. Bravo ! La forêt vous est reconnaissante, mon cher collègue !
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)