Séance du 30 novembre 1998







M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant la décentralisation.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Michel Mercier, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen des incidences fiscales et budgétaires des rapports entre l'Etat et les collectivités locales a largement eu lieu lors du débat sur la première partie du projet de loi de finances. Je n'y reviendrai donc pas. J'émettrai simplement le regret que nous ayons, pendant une journée entière, délibéré sur les finances locales sans que le ministre de l'intérieur soit présent. Certes, le Gouvernement est un, mais il aurait été intéressant que vous puissiez, monsieur le ministre, participer à cette discussion.
Je crois inutile de revenir sur l'ensemble des mesures qui ont occupé nos délibérations. Le Sénat a essayé d'améliorer les textes qui lui étaient proposés, notamment l'article 27 bis, relatif à la TVA sur les terrains à bâtir lorsqu'une collectivité locale est aménageur du terrain loti, et l'article 40, grâce à l'adoption à l'unanimité de deux amendements, l'un portant sur la dotation de compensation de la taxe professionnelle des établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre, l'autre émanant de notre collègue Michel Charasse, amendement sur lequel je reviendrai dans quelques instants.
Je donne acte au Gouvernement de ce qu'il a parfaitement respecté les règles relatives aux différentes dotations créées par l'Etat en faveur des collectivités locales.
Aussi, au nom de la commission des finances, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter les crédits du ministère de l'intérieur consacrés à la décentralisation, sous réserve de l'adoption d'un amendement, qui est plutôt un amendement de coordination et que je vous soumettrai tout à l'heure.
Au demeurant, le fait d'approuver les crédits n'est pas pour nous autre chose que l'autorisation donnée au Gouvernement de payer aux collectivités locales les sommes qui leur sont dues.
Je voudrais plutôt ce matin rechercher quelle philosophie inspire le Gouvernement dans ses relations avec les collectivités locales. Nous avons la chance, cette année, de pouvoir analyser ces relations à travers trois réformes qui vont peser sur les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales : à savoir la sortie du pacte de stabilité, qui débouche sur un contrat de croissance et de solidarité, la réforme de la taxe professionnelle et la réforme des droits de mutation à titre onéreux.
L'analyse de ces trois réformes nous amène à constater qu'en fait le Gouvernement entend reprendre un rôle essentiel dans la détermination de la fiscalité locale, en même temps qu'il compte poursuivre une politique d'encadrement des dotations de l'Etat vers les collectivités locales même s'il propose d'aménager cet encadrement en offrant une vision pluriannuelle de leurs recettes aux mêmes collectivités et s'il accepte de partager, trop chichement à notre goût, la croissance avec elles.
Le contrat de solidarité et de croissance reprend les mécanismes du pacte de stabilité, sans en corriger parfaitement les imperfections : ce sera le premier thème que j'aborderai ce matin.
Ce pacte de solidarité et de croissance entérine tout d'abord définitivement l'entrée dans notre droit du principe d'une enveloppe normée régissant les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales, mêmes s'il envisage un nouvel aménagement de cette enveloppe normée.
C'est sous ces deux aspects que je souhaite analyser les propositions que le Gouvernement nous soumet dans l'article 40 et suivants du projet de loi de finances pour 1999.
J'examinerai d'abord le principe d'une enveloppe normée.
Les dotations de l'Etat aux collectivités locales, la dotation globale de fonctionnement en tête, ont leurs propres règles d'évolution, fixées par le législateur. Ces règles s'imposent au Gouvernement et il est toujours dangereux et délicat de proposer de les modifier, ces modifications ayant forcément pour conséquence de rendre moins évolutives et moins attractives, en quelque sorte, les dotations concernées, qui représentent assez souvent d'anciens impôts locaux supprimés.
Dans la plupart des cas, les taux d'évolution de ces dotations sont favorables aux collectivités locales et, bien entendu, pèsent sur le budget de l'Etat.
Pour limiter ce coût sur le budget de l'Etat, le Gouvernement a imaginé, en 1996, d'échanger en quelque sorte la limitation de l'accroissement de ces dotations - et cela de façon globale - contre une prévision pluri-annuelle garantie aux collectivités locales. C'est l'enveloppe normée avec une variable d'ajustement : la dotation de compensation de la taxe professionnelle, la DCTP.
C'était déjà le principe qui présidait au pacte de stabilité. Il a été fortement critiqué parce qu'il était critiquable. Le contrat de solidarité et de croissance reprend exactement le même mécanisme fondamental, même s'il l'aménage différemment.
Le Gouvernement maintient donc le dispositif, et la DCTP continuera de jouer ce rôle de limitation de l'accroissement de la charge des dotations de l'Etat aux collectivités locales.
Il faut noter que certaines collectivités locales vont voir leur DCTP diminuer de plus de 23 % dès lors qu'elles ne seront éligibles à aucune des dotations de solidarité, la dotation de solidarité urbaine, la dotation de solidarité rurale, première part, et les deux dotations de solidarité attribuées l'une aux départements et l'autre aux régions.
On voit bien que ce mécanisme de plus en plus compliqué, certes intéressant, trouvera un jour ses limites.
Le Gouvernement, comme le gouvernement précédent d'ailleurs, s'en est bien rendu compte, et c'est la raison pour laquelle il nous propose d'aménager cette enveloppe normée et surtout la variable d'ajustement.
Le Gouvernement a envisagé des aménagements de deux ordres : d'abord, une prise en compte de la croissance ; ensuite, une modulation des évolutions négatives de la variable d'ajustement - c'est bien là du langage technocratique : cela signifie une baisse modulée de la DCTP suivant la situation dans laquelle on se trouve.
S'agissant de la prise en compte de la croissance, vous nous avez souvent dit, monsieur le ministre, que, outre les trois réunions que vous aviez organisées avec les élus locaux, elle constituait la grande innovation du contrat de solidarité et de croissance.
Ces réunions ont bien eu lieu, je vous en donne acte. Nous avons été correctement reçus, mais je ne suis pas sûr que nous ayons été entendus puisque, de la première à la dernière réunion, le langage du Gouvernement est resté à peu près le même sur le point essentiel : comment compenser la réforme de la taxe professionnelle ? Les élus locaux réclamaient le dégrèvement. Vous leur répondez par la compensation.
La prise en compte de la croissance s'effectue de manière un peu chiche. Pourquoi déconnecter les ressources des collectivités locales de la croissance du PIB, alors qu'elles coucourent largement, par le rôle essentiel qu'elles jouent dans l'investissement public, à nourrir cette croissance, comme vous l'avez vous-même souligné, monsieur le ministre, lors d'une dernière séance du comité des finances locales ?
Bien entendu, le pacte de stabilité n'intégrait pas la croissance, il n'y en avait pas à l'époque ! Aujourd'hui, vous entendez partager les fruits de cette croissance avec les collectivités locales, mais un peu trop chichement à notre goût, d'autant que - et c'est la principale critique que l'on peut faire au contrat - le problème des dépenses n'est pas abordé. Il est bien d'offrir aux collectivités locales une certaine vision de l'avenir de leurs recettes, mais il serait bon aussi de prendre en compte les dépenses.
A ce propos, je souhaiterais connaître, monsieur le ministre, le sort que vous entendez réserver à l'amendement que le Sénat a adopté à l'unanimité sur l'initiative de notre excellent collègue M. Charasse. Cet amendement n'a en effet d'autre objet que de donner tout son sens au principe de libre administration des collectivités locales, en faisant en sorte qu'une dépense nouvelle obligatoire ne puisse résulter que d'une loi.
Enfin, deuxième aménagement, le Gouvernement envisage une modulation des évolutions négatives de la DCTP en fonction de la situation de la collectivité locale concernée.
Le gouvernement précédent avait décidé de renforcer uniformément de 300 millions par an, hors enveloppe normée, la DCTP versée aux collectivités locales. Vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, de moduler la baisse en fonction de la situation de la collectivité au regard des dotations de solidarité. Nous vous avons suivi sur ce point, puisque le Sénat a adopté à l'unanimité un amendement qui fait entrer les groupements de commune à fiscalité propre dans ce système.
Toutefois, les collectivités qui n'ont pas droit aux dotations de solidarité vont chèrement payer le mécanisme de l'enveloppe normée, et je ne suis pas très sûr que l'on puisse leur expliquer qu'elles auront affaire à un contrat de croissance.
Telles sont les quelques remarques que je souhaitais formuler sur ce contrat que vous nous proposez, monsieur le ministre, et dans lequel on perçoit une filiation très forte avec le pacte de stabilité : les mécanismes fondamentaux sont les mêmes et, dans les deux cas, le Gouvernement cherche à aménager la variable d'ajustement.
J'insisterai davantage sur les deux réformes fiscales.
Sur ce point, notre analyse conclut à l'émergence d'une situation de « fiscalité octroyée ».
La réforme de la taxe professionnelle et celle des droits de mutation à titre onéreux se traduisent en effet par une prise en charge accrue par l'Etat de parts de fiscalités locales perçues à ce jour à travers l'impôt et que le projet de loi de finances pour 1999 supprime ou diminue.
Le Gouvernement avait la possibilité de respecter le pouvoir budgétaire des collectivités locales, donc leur responsabilité, en utilisant la technique du dégrèvement. Il a choisi de mettre en place des systèmes de compensation qui garantissent aux collectivités locales des évolutions de recettes sans lien avec la réalité économique locale et qui sont déresponsabilisants pour les élus locaux.
Ces compensations évolueront à peu près selon les règles qui gouvernent l'évolution de la dotation globale de fonctionnement. S'agissant de la compenstation principale, celle qui est relative à la taxe professionnelle, il est même prévu qu'elle sera « absorbée » par la DGF en 2004.
De plus, ces compensations sont en partie financées par des augmentations d'impôts qui sont souvent les mêmes impôts locaux ou des impôts similaires mais qui seront dorénavant perçus par l'Etat, celui-ci en fixant lui-même les taux.
Toutes les caractéristiques de ces compensations forment un faisceau convergent qui nous conduit à évoquer la mise en place d'une « fiscalité octroyée ». Les mécanismes techniques des deux réformes, celle de la taxe professionnelle et celle des droits de mutation, ont pour résultat de réduire la responsabilité fiscale des collectivités locales.
Je rappelle brièvement le processus : on diminue un impôt qui est largement contesté, la taxe professionnelle ; le coût apparent est important pour l'Etat ; le financement par l'Etat est réalisé en partie grâce au même impôt ou à un impôt similaire, si bien que le coût net pour l'Etat est beaucoup moins important. Dans l'opération, les collectivités locales perdent leur responsabilité fiscale sur ces impôts.
Les compensations sont alignées sur les dotations de l'Etat aux collectivités locales. Elles perdent ainsi rapidement leur lien avec l'impôt d'origine. Les collectivités locales reçoivent et répartissent une dotation mais n'exercent plus de responsabilité fiscale. L'Etat réalise, quant à lui, la péréquation à partir de la compensation de l'impôt local.
Telles sont les constatations que l'on peut faire à l'examen des deux réformes qui nous sont proposées.
Certes, le Gouvernement ne remet pas ainsi en cause la technique de la décentralisation, qui tend à faire prendre les décisions au plus près des populations et en fonction des besoins exprimés sur le plan local. Mais, de toute évidence, il remet en cause l'esprit de la décentralisation, qui veut que la décision soit prise au plus près par des élus responsables, et au premier chef en matière de fiscalité.
Au moment où le Parlement va aborder l'examen de plusieurs textes relatifs aux collectivités locales, il nous semble nécessaire de savoir dans quel esprit le Gouvernement s'engage dans la discussion de deux textes fondamentaux, et peut-être contradictoires dans leur inspiration.
Les élus locaux et les collectivités qu'ils dirigent auront-ils une marge de manoeuvre, une autonomie et une responsabilité suffisantes leur permettant de répondre de façon spécifique aux problèmes locaux, tout en respectant les orientations politiques du Gouvernement ? Ou bien ne seront-ils plus que des agents répartiteurs de dotations d'Etat ?
Bien plus que celle de savoir si le Gouvernement respecte le principe de la libre administration des collectivités locales, la question qui se pose, monsieur le ministre, est la suivante : le Gouvernement manifeste-t-il, vis-à-vis des collectivités locales et de leurs élus, une confiance telle que la responsabilité de ces derniers sera renforcée, ce qui sauverait notre république unitaire, à laquelle nous sommes attachés et qui ne peut aujourd'hui fonctionner que selon une organisation décentralisée ?
A défaut d'une telle manifestation de confiance, on ne voit pas comment, à terme, notre pays pourra rester en dehors du grand vent de fédéralisme qui souffle sur les démocraties, notamment sur les démocraties européennes. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Daniel Hoeffel, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a décidé de donner un avis favorable quant à l'adoption des crédits de la décentralisation, et les observations qu'elle formulera seront pratiquement identiques à celles qui viennent d'être exposées, d'une manière très complète, par notre collègue Michel Mercier, au nom de la commission des finances.
Nos observations sont regroupées en trois chapitres : d'abord, celles qui ont trait aux aspects financiers et fiscaux ; ensuite, des observations d'ordre plus général ; enfin, des observations relatives à l'administration territoriale de l'Etat.
La première observation de nature financière et fiscale concerne le contrat de croissance et de solidarité, qui prend la relève du pacte de stabilité.
Les deux formules ont deux caractéristiques communes : d'une part, la pluriannualité, élément de stabilité pour les collectivités locales ; d'autre part, le fait que la DCTP reste une variable d'ajustement.
La commission des lois regrette, à propos du contrat de croissance et de solidarité - et elle avait le même regret au sujet du pacte de stabilité - qu'il n'y soit pas tenu compte de l'évolution des charges imposées sans que les collectivités locales soient parties prenantes.
En évoquant l'évolution des charges imposées, je vise notamment celle des traitements de la fonction publique territoriale, que l'Etat négocie seul. Je pense aussi à ces très nombreuses normes de sécurité qui, décidées à l'échelon national, voire au-delà, constituent une charge pour les collectivités locales sans pouvoir être répercutées sur la dotation globale de fonctionnement.
La deuxième observation concerne l'indexation qui est retenue par l'Etat dans le contrat de croissance et de solidarité.
Nous nous félicitons que, en plus de l'indice du coût de la vie, une partie de la croissance soit intégrée dans l'indexation : c'est une bonne chose. La commission des lois regrette cependant que la prise en considération de la croissance ne soit, au cours de la première année, que de l'ordre de 15 %, alors que, chacun le sait, la part que prennent les collectivités locales dans les investissements publics de notre pays est considérable puisqu'elles en assument les trois quarts. Ce fait mériterait d'être, à l'avenir, davantage pris en considération dans l'intégration d'une part de la croissance dans le calcul de la DGF.
Ma troisième observation d'ordre financier et fiscal concerne la réforme fiscale.
S'agissant, d'abord, de la taxe professionnelle, le Gouvernement a décidé que la part des salaires dans les bases de cette taxe professionnelle sera progressivement prise en charge par le budget de l'Etat, avec un étalement sur une période de cinq ans.
Compte tenu des critiques très souvent entendues sur le caractère pénalisant, au regard de l'emploi, du mode de calcul de la taxe professionnelle, c'est une mesure qui peut paraître positive. Cependant, en contrepartie, elle représente incontestablement une atteinte au principe de la libre administration des collectivités locales.
De surcroît, cette réforme intervient au moment même où, dans le cadre du projet de loi sur l'intercommunalité, le Gouvernement propose l'institution de la taxe professionnelle d'agglomération. Quelles seront, en pratique, les répercussions de la présente réforme de la taxe professionnelle sur celles qui percevront, dans le futur, les communautés d'agglomération ?
J'en arrive à mes trois observations d'ordre général.
Tout d'abord, la commission des lois souhaite voir la complexité croissante des charges qui pèsent sur les élus locaux ainsi que les responsabilités accrues qu'ils doivent assumer prises en compte dans le cadre de leur statut, lequel est indissociable de la mise en oeuvre d'une véritable décentralisation.
Ensuite, la commission des lois appelle de ses voeux une simplification de l'exercice des mandats des élus locaux. Cette simplification lui paraît tout à fait nécessaire.
Elle souhaite également que, après la codification des lois dans le code général des collectivités locales, intervienne la codification de la partie réglementaire. Une grande stabilité des règles juridiques est en effet une aspiration profonde de l'ensemble des élus locaux.
Dernière observation d'ordre général : nous considérons que les deux projets de loi, l'un portant sur l'intercommunalité, l'autre sur l'aménagement du territoire, qui viendront en discussion devant le Parlement au début de l'année 1999 devront respecter la solidarité indispensable entre le milieu urbain et le milieu rural, prendre en compte le souci d'une simplification et d'une souplesse des règles applicables aux groupements de communes et tenir également compte du poids croissant de la DGF intercommunale dans le cadre de la DGF des communes, ce qui devra, le plus rapidement possible, donner lieu à une clarification.
Enfin, nous posons une interrogation sur ce que sera la notion de pays dans l'avenir, car nous avons le sentiment, monsieur le ministre, qu'à cet égard, en l'état actuel des choses, la philosophie qui inspire le projet de loi sur l'intercommunalité n'est pas exactement la même que celle qui inspire le projet de loi sur l'aménagement du territoire. Il est inutile d'ajouter que nous nous sentons plus proches de la philosophie du premier projet que de celle du second.
En conclusion, la commission des lois approuve les préconisations en matière budgétaire, s'agissant de la modernisation des préfectures et de l'indispensable déconcentration des services de l'Etat qui doit être poursuivie et approfondie. La déconcentration est, en effet, plus que jamais un principe qui doit se traduire concrètement dans les faits. Elle est indissociable de la décentralisation, une décentralisation à laquelle la commission des lois est profondément attachée et en laquelle elle exprime de nouveau sa foi. Elle veut qu'elle se poursuive et insiste sur la nécessité d'adapter les structures territoriales de notre pays compte tenu d'un environnement européen qui fait apparaître un sérieux retard en ce domaine.
Plus que jamais, il est nécessaire que l'Etat concentre son effort et ses moyens sur les fonctions fondamentales et fasse confiance aux collectivités territoriales conformément, là aussi, au principe de subsidiarité pour faire face d'une manière concrète, réaliste et pratique aux aspirations de nos concitoyens.
M. Christian Bonnet. Très bien !
M. Daniel Hoeffel, rapporteur pour avis. Tel est l'esprit de l'avis de la commission des lois, un avis positif, je le rappelle, monsieur le ministre, assorti d'un certain nombre de considérations d'ordre général qui, nous le savons, sont également les vôtres. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 18 minutes ;
Groupe socialiste, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on nous parle volontiers d'une décentralisation parvenue, en âge, à la majorité ; mais majorité ne signifie pas maturité. Les collectivités locales ont grandi avec la décentralisation, en acquérant, quant à elles, de la maturité en matière de projets ou de positionnement. Toutefois, cet acquis majeur ne va pas, malheureusement, sans une certaine angoisse qui est regrettable car elle n'engendre pas le contrat de confiance que vous souhaiteriez voir se signer entre les collectivités territoriales et le Gouvernement.
L'actualité nous amène à entendre parler à tout va de « pactes » et de « contrats ». Mais, pour passer un pacte ou un contrat vertueux, il faut être deux et je crains que le projet de loi de finances que vous nous proposez ne fasse pas, en matière de décentralisation, la part belle à la confiance.
Premier investisseur, premier employeur, premier socle du lien social, les collectivités territoriales ont un réel besoin d'autonomie, financière il va sans dire, dans le choix et l'usage des ressources, mais aussi dans la marge de manoeuvre. En tant que représentants des collectivités territoriales, nous savons que, pour mettre en oeuvre les compétences confiées par les lois de décentralisation, ces mêmes collectivités ont consenti, en matière de formation professionnelle, d'apprentissage et d'aménagement scolaire, qu'il s'agisse des collèges ou des lycées, un effort financier que l'Etat était incapable de fournir.
Je suis en effet de ceux qui pensent que la perte d'autonomie fiscale des collectivités locales remet en cause l'esprit même des lois de décentralisation. Chaque jour, ces collectivités déploient un effort prodigieux d'imagination et de créativité pour rééquilibrer leurs comptes. En transférant des tâches qu'il ne pouvait assumer lui-même, l'Etat, à travers les lois de décentralisation, a demandé aux collectivités locales d'opérer, elles-mêmes, certaines opérations fiscales, sociales et économiques. La raison est bien rationnelle : chaque transfert de charge n'a pas été compensé par un transfert équivalent de recettes de la part de l'Etat.
Dans le sondage réalisé dernièrement par l'Association des maires de France et la SOFRES, intitulé « le rôle du maire face à l'insécurité », il ressort que la première préoccupation de 82 % des maires et de 70 % de leurs administrés, c'est l'emploi.
A cela, il faut ajouter que 87 % des personnes interrogées souhaitent un renforcement du rôle des collectivités locales dans le domaine de l'aide sociale. Même si, en la matière, les départements se sont bien acquittés de leur tâche, le succès a son revers. Le poids de la crise, accompagné de nouveaux transferts de responsabilités, en particulier le volet relatif au RMI depuis sa création en 1988, fait désormais de l'aide sociale un poste très lourd pour les budgets départementaux.
Les dépenses d'aide sociale continuent d'augmenter plus vite que les autres, dépassant parfois plus de 60 % des dépenses de fonctionnement. La croissance de ces dépenses, cumulée aux charges de personnels, entrave malheureusement l'investissement. Tous les conseillers généraux sont chaque année confrontés, d'une part, à l'augmentation des dépenses d'aide sociale et, d'autre part, à la diminution de l'investissement.
Nous sommes tenus par l'urgence sociale, par l'urgence de trouver des emplois, à défaut de contribuer à leur créativité, mais nous sommes de moins en moins autonomes face à une crise financière qui oblige à recentrer nos interventions. Pris sous les feux croisés de la crise économique, des besoins sociaux grandissants et d'un cadre législatif confus, les élus locaux se sentent un peu comme les passagers d'un « Titanic financier » : ils savent que la dette guette, ils n'appréhendent pas toujours les risques dictés par le non-respect des normes, qui sont de plus en plus envahissantes, mais ils sont obligés de dépenser, d'investir. A ce rythme-là, le couperet va tomber.
La centralisation déguisée de la ressource publique locale, dont fait état votre budget, monsieur le ministre, marque immanquablement la perte d'autonomie des collectivités territoriales.
Vous ne pouvez nier l'hypocrisie de la taxe générale sur les activités polluantes, hypocrisie qui a été dénoncée ici même par mes collègues la semaine dernière ; cette écotaxe centralisée est affectée au seul budget de l'Etat, alors qu'elle remplace plusieurs taxes prélevées à un échelon déconcentré.
On retrouve cette même hypocrisie quand on nous prépare à la fameuse compensation envisagée de la taxe professionnelle. Quelle autonomie aurons-nous dans le choix et l'usage des ressources s'agissant de cette taxe, qui représente pas moins d'un sixième du pouvoir fiscal des collectivités locales ?
Peut-on encore parler de décentralisation lorsque l'on s'attaque aux rémunérations des agents de la fonction publique territoriale, dont les collectivités locales ne maîtrisent pas l'évolution puisque l'Etat fixe, lui-même, les règles du jeu ? En 1999, pas moins de 4,3 milliards de francs supplémentaires sont grevés par les salaires.
De plus, que vont devenir, dans quelques années, les emplois-jeunes ? Devrons-nous avoir le sale rôle de dire à ces milliers de jeunes : « Au revoir, nous ne voulons pas de vous » ? L'Etat sera-t-il là pour rendre pérennes ces emplois ou, encore une fois, décentralisation oblige, les collectivités locales devront-elles supporter seules les conséquences ?
Confuse, opaque, complexe, votre décentralisation ressemble à un « Gulliver enchaîné » ; les collectivités territoriales sont un géant puissant, un levier de l'économie mais elles se débattent, malheureusement, dans les filets centralisateurs de l'Etat ; elles se démènent - M. le rapporteur spécial et M. le rapporteur pour avis l'ont souligné avant moi - dans des méandres juridico-administratifs qui brouillent leur vision. C'est, selon moi, l'inverse d'une décentralisation réussie. Les collectivités locales ont bien mérité le titre que leur a donné un grand quotidien cette année : elles sont des « bonnes à tout faire » !
Monsieur le ministre, permettons-leur de s'administrer correctement, c'est-à-dire librement ; donnons du souffle à ce qui pourrait être une réussite ; n'attendons pas que l'euro soit mis en place pour réaliser qu'une concurrence sans fard met nos territoires en compétition. Essayons, une fois pour toutes, et alors que la dynamique peut entraîner tous les territoires, de ne pas asphyxier nos chances de réussir la décentralisation. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Duffour.
M. Michel Duffour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits affectés à la décentralisation pour 1999 s'inscrivent bien dans la cohérence des réformes en cours.
La crise financière mondiale, la politique monétaire choisie à l'échelon européen et le carcan du pacte de stabilité amènent nécessairement à faire preuve d'une certaine prudence quant aux perspectives de croissance.
Les compensations prévues au titre de la suppression progressive de la part salariale de l'assiette de la taxe professionnelle ainsi que de la part départementale et régionale des droits de mutation entraînent une augmentation des crédits consacrés aux collectivités locales.
Ainsi, 20 400 millions de francs supplémentaires sont inscrits à ce titre dans le projet de budget. Toutefois, il s'agit non pas de crédits supplémentaires pour les budgets des collectivités territoriales mais plutôt d'une compensation. Si nous nous réjouissons que celle-ci soit quasi intégrale cette année, nous sommes toutefois inquiets des conséquences de la réforme de la taxe professionnelle.
Cette réforme, que nous ne jugeons pas comme étant d'ailleurs a priori un élément incitateur à la création d'emplois, va fortement modifier, à l'avenir, les relations financières entre l'Etat et les collectivités.
L'article 29 de la première partie du projet de loi de finances prévoit que, à terme, en 2004, la suppression de la part salariale sera indexée sur l'évolution de la dotation globale de fonctionnement.
Le produit de la taxe professionnelle représente près de 50 % de la fiscalité locale. C'est donc la principale ressource des collectivités. Mais cette taxe est prise en charge pour 60 % par le budget de l'Etat, c'est-à-dire par les petits contribuables à travers l'impôt. Cette prise en charge nous laisse dubitatifs au regard des principes de décentralisation.
Les lois de 1982 et 1983 ont posé fortement le principe de l'autonomie des collectivités locales. Selon nous, celle-ci ne sera pas effective si les budgets communaux ne sont pas réellement maîtres de l'établissement de leurs ressources propres. Le 3 novembre dernier au Sénat, lors du débat sur la décentralisation, M. Zuccarelli rappelait, à juste raison, que toutes les difficultés économiques qui ont mis à mal les liens sociaux depuis 1982 n'étaient pas sans incidence sur les budgets des collectivités locales.
La décentralisation a étendu le champ des compétences des collectivités, qui jouent désormais un rôle primordial dans toute politique s'attaquant aux problèmes de nos concitoyens.
Plus que jamais, les collectivités territoriales doivent obtenir des moyens accrus pour répondre aux besoins économiques et sociaux de la population et pour faire face à leurs responsabilités nouvelles. D'autant que les réformes, ou les exigences légitimes, en matière de sécurité, de scolarité ou de revalorisation salariale dans la fonction publique induisent des dépenses supplémentaires qui appellent un rattrapage significatif.
Les lois récemment adoptées - celle qui concerne la lutte contre les exclusions, celle qui est relative aux emplois-jeunes ou encore celle qui a trait aux 35 heures, impliquent que les communes puissent traduire concrètement ces avancées et contribuer ainsi à la réussite des réformes engagées. C'est tout le sens de nos appréciations, voire de nos critiques et de nos sollicitations.
Nous réfutons l'idée de laisser les collectivités territoriales seules face au choix fatidique d'augmenter les impôts locaux ou de réduire les services qu'elles rendent à la population.
Quel que soit le choix fait par les municipalités, les répercussions seront subies par la population. C'est pourquoi nous considérons que l'effort financier de l'Etat en faveur des collectivités locales est trop insuffisant, notamment en ce qui concerne la progression de l'enveloppe globale pour 1999.
Le pacte de stabilité mis en place en son temps par le gouvernement Juppé, sans le moindre souci de concertation avec les élus locaux - votre grand mérite est d'avoir rompu avec cette pratique solitaire du pouvoir, monsieur le ministre - a provoqué un manque à gagner important pour les collectivités : 7 milliards de francs par rapport aux règles qui s'appliquaient précédemment ; 19 milliards de francs si les collectivités avaient bénéficié, à égalité avec l'Etat, des fruits de la croissance.
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. Parce qu'il y a eu des fruits de la croissance ?
M. Michel Duffour. Aussi, le groupe communiste républicain et citoyen ne peut que se réjouir de la mise en place du contrat de croissance et de solidarité.
Nous nous félicitons qu'il s'agisse d'un contrat, travaillé, discuté, amélioré, au fil des rencontres et des concertations avec les associations d'élus. Notre groupe est disponible pour poursuivre et approfondir ce dialogue, monsieur le ministre.
Ce contrat contribue effectivement à la solidarité, en modulant la baisse de la dotation de compensation de la taxe professionnelle en fonction des capacités financières des collectivités, mais aussi en abondant de 500 millions de francs la dotation de solidarité urbaine hors enveloppe.
Si nous sommes satisfaits que l'Etat reconnaisse enfin le rôle économique des collectivités locales, nous restons réservés sur les niveaux d'indexation retenus ou sur le maintien du rôle de variable d'ajustement de la DCTP.
La santé des collectivités locales reste fragile. La capacité de financement dégagée cette année est due à des efforts considérables de gestion, à un faible niveau d'investissement, à des hausses successives de la fiscalité locale, au gel de l'indice de la fonction publique en 1997 et à l'abaissement des taux d'intérêt qui ont permis des renégociations avantageuses de prêts.
Autant de conditions qui ne seront plus remplies en 1999 et qui motivent notre point de vue critique quant aux taux de croissance retenu pour l'évolution des dotations sans enveloppe.
Les difficultés des collectivités n'épargnent pas les élus, notamment les maires, leur moral, leurs perspectives en tant que premier magistrat. Nous sommes soucieux de toute fragilisation de ce tissu démocratique indispensable.
La crise de la fonction d'élu n'est pas sans lien avec l'augmentation des charges et des responsabilités des collectivités ni avec l'incessante baisse des moyens dont elles disposent.
Il nous semble urgent d'avancer sur la démocratisation de la vie politique, notamment sur la question du cumul des mandats et du statut de l'élu local.
Le groupe communiste républicain et citoyen a déposé une proposition de loi visant à favoriser l'exercice de la démocratie locale et à renforcer les moyens dont disposent les communes. Nous préconisons, entre autres mesures, une extension des autorisations d'absence et du droit à la formation pour permettre aux élus de mieux assumer leurs mandats. Le problème, nous le savons tous, est plus vaste et complexe, mais menons déjà à leur terme de premières mesures.
Le problème de la fiscalité locale me conduit à évoquer la coopération intercommunale, qui sera au coeur des projets sur l'aménagement du territoire et de l'intercommunalité.
Le débat sur la réforme de l'intercommunalité doit être abordé non pas d'abord à partir des inégalités de ressources entre villes, mais à partir des réels besoins et projets de développement de la coopération intercommunale librement décidée.
Il ne faut pas risquer de nous retrouver dans une loi qui viderait les communes de leur substance, de leurs ressources et leur imposerait un passage en force d'une intercommunalité qui serait alors bien mal nommée.
L'aménagement doit être au service de toute la population.
Si une nouvelle cohérence est souhaitable, la coopération à laquelle nous aspirons doit s'exercer pour des projets librement décidés sur un territoire pertinent qui peut varier selon la nature des projets, et donc ne pas toujours coïncider avec celui de la communauté d'agglomération envisagée par le projet du Gouvernement.
Il faut avancer vers le partenariat effectif. Dynamiser un véritable esprit communautaire, à travers des projets concrets, cela ne signifie pas écraser l'identité de chaque commune.
En tout état de cause, des moyens nouveaux sont nécessaires.
L'intercommunalité ne doit pas être un partage de la pénurie.
C'est pourquoi l'introduction des actifs financiers dans l'assiette de la taxe professionnelle constituerait, selon nous, un progrès réel, contribuant à recentrer les profits des entreprises sur l'investissement et sur l'emploi en France, c'est-à-dire sur une croissance réelle et non financière.
Il y a en effet une sous-fiscalisation évidente de la richesse financière.
Ces recettes permettraient d'abonder le Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle et, par conséquent, d'atténuer les disproportions financières entre collectivités.
Dégager des ressources nouvelles est une condition sine qua non pour la poursuite de la décentralisation.
Voilà, monsieur le ministre, quelques-unes des remarques que je tenais à faire, au nom de mon groupe, mais aussi de très nombreux élus locaux et de leurs associations, sur cette dimension du projet de budget de l'intérieur et de la décentralisation pour 1999. L'année qui vient sera particulièrement importante pour l'avenir des structures communales.
Sachez que nous prendrons toute notre place, cette année encore, de manière constructive et responsable, dans les débats qui s'engagent sur la fiscalité locale et l'intercommunalité. Aujourd'hui, nous voterons le présent projet de budget.
M. le président. La parole est à M. Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon groupe votera, lui aussi, le budget des collectivités locales et de la décentralisation, et en le disant je n'ai pas conscience de mettre fin à un suspense insoutenable.
Cependant, cette approbation ne va pas sans plusieurs réserves, dont certaines portent sur le fond et peuvent sans doute donner lieu à modification avant le vote définitif.
Je noterai d'abord qu'un certain nombre de mesures réformatrices vont dans le bon sens, du moins dans leur principe, sinon dans tous les aspects de leur application. J'en retiendrai trois principales.
La première, c'est la taxe professionnelle. Un effort est consenti pour limiter les conséquences négatives de cet impôt sur l'emploi. On peut en espérer un certain nombre d'emplois, sans doute essentiellement pour les plus petites entreprises, mais ce sont bien celles qui, dans les années récentes, en ont créé le plus.
La deuxième mesure réformatrice concerne la transformation du pacte de stabilité en contrat de croissance et de solidarité, établi après un certain nombre de réunions qui ont eu lieu au printemps dernier entre élus et Gouvernement. Il ne s'agit pas d'une simple évolution sémantique. Indexer les dotations sur une part de la croissance est un bon principe. Après avoir accepté la prise en compte à 20 %, au lieu de 15 %, de cette croissance, on a envie de vous dire : encore un effort, monsieur le ministre !
La troisième mesure, que j'ose à peine qualifier de réforme, concerne la taxe d'habitation. Après l'annonce d'une application rapide de la révision des bases, le Gouvernement a choisi d'établir des simulations. C'est la sagesse même. On peut simplement s'étonner qu'après tant d'années les simulations n'aient pas été réalisées. Les projections étant faites, il est à redouter que l'on ne recule compte tenu des perturbations importantes qu'entraînera, à masse égale, l'application de la révision des bases. En tout cas, on ne peut plus attendre, car les résultats remontent quasiment à une décennie et ils commencent à dater.
Avec des réformes en cours ou annoncées, auxquelles on peut peut légitimement ajouter les projets de loi portant respectivement sur l'intercommunalité, sur l'intervention des collectivités locales ou sur l'aménagement durable du territoire - qui auront nécessairement des répercussions sur les finances des collectivités locales - on peut comprendre que nous soyons plus dans une période de reconduction des ressources affectées attribuées que dans une période d'amélioration de celles-ci, et ce malgré la contribution majeure qu'apportent les collectivités locales à l'effort d'équipement de la nation.
Cette prudence, on peut la comprendre, enfin, par le constat de l'amélioration réelle des finances des collectivités : l'effet de ciseaux entre ressources et dépenses s'est réduit, les investissements ont repris, l'endettement s'est modéré, voire a franchement diminué. Tout cela est dû à la conjoncture et, en particulier, à la baisse des taux.
Je ne saurais passer sous silence un certain nombre de critiques, dont certaines ne manquent pas d'être préoccupantes. Selon le temps dont je disposerai encore, je ferai part d'un ou deux éléments d'inquiétude sur les charges pesant sur le budget des collectivités locales.
J'ai trois critiques à formuler sur ce qui fait le coeur des nouveautés de ce budget particulier, à savoir la réforme de la taxe professionnelle et le mode d'attribution des dotations de l'Etat.
La première critique est connue, elle porte sur la part croissante, et fortement croissante à la suite de la réforme de la taxe professionnelle, des dotations de l'Etat dans les ressources des collectivités locales.
On peut dire tout ce que l'on voudra, on peut faire des comparaisons avec nos voisins, par exemple l'Allemagne, mais dans un pays centralisé comme la France, il y a là sinon risque de tutelle, du moins atteinte à la libre administration des collectivités territoriales. (M. le rapporteur spécial fait un signe d'assentiment et applaudit.) Merci de m'approuver, monsieur le rapporteur spécial, mais c'est trop de m'applaudir.
La situation serait effectivement très différente si les collectivités territoriales étaient bénéficiaires du produit d'un grand impôt national, comme l'impôt sur le revenu ou la TVA - tel est le cas en Allemagne - qui est le reflet direct de la richesse nationale. Cela présenterait des risques, mais ce serait indiscutable et clair. En tout cas, en ce qui concerne la part des dotations de l'Etat dans les ressources des collectivités locales, nous avons atteint un plafond, qu'il convient de ne pas dépasser sauf à créer un réel problème, y compris peut-être sur le plan constitutionnel.
Ma deuxième critique porte sur l'évolution prévisible de la compensation de la TVA. Il est clair que le nouveau dispositif aura pour effet d'exclure des éventuelles augmentations de taux une part significative et croissante de la taxe professionnelle. Ce gel s'étendra progressivement aux bases, au fur et à mesure de l'intégration des abattements sur la part salaires dans la compensation, puis dans la DGF.
Permettez-moi à cet égard d'illustrer mon propos par l'exemple de la Haute-Vienne. Nous avons établi une simulation portant sur les cinq dernières années, selon le mode de calcul qui prévaudra pour les cinq années à venir, et nous avons estimé que dans ces conditions le produit de la taxe professionnelle aurait été inférieur de 4,7 millions de francs en 1998 à ce qu'il est, soit à peu près un point du produit des quatre taxes, et que la perte sur cinq ans aurait atteint 13,6 %, soit l'équivalent d'environ trois points de fiscalité. C'est tout de même beaucoup, même si l'on peut, comme moi, accepter l'idée qu'il s'agit là d'une contribution des collectivités à l'effort national en faveur de l'emploi au travers de l'allégement des charges supportées par les entreprises ; c'est tout de même beaucoup, surtout si l'on note que la réactualisation légale des bases, qui ne touche pas la taxe professionnelle, a pour effet mécanique de faire peser les augmentations de taux plus sur les ménages que sur les entreprises. Cela prouve, encore une fois, qu'il est urgent, pour redonner un semblant de liberté aux collectivités - elles n'en abusent pas, monsieur le ministre - de dissocier l'évolution de la taxe d'habitation et celle de la taxe professionnelle.
Ma troisième critique concerne le mécanisme mis en place traduisant la volonté du Gouvernement, volonté que l'on peut comprendre dans son principe et même approuver, de faire jouer de façon différente, en vue de moins pénaliser les collectivités locales « pauvres » par rapport aux collectivités locales « riches », la variable d'ajustement qu'est devenue la DCTP depuis l'entrée en vigueur du pacte de stabilité : après l'annonce d'une évolution de plus 2,78 %, on est passé à plus 1,67% pour remonter ensuite à plus 1,81 %, soit une baisse de 9,3 % au lieu des 11,1 % annoncés. Tout cela est clair ; ce qui l'est moins, c'est la façon dont la DCTP est devenue non seulement une variable d'ajustement mais encore une variable péréquatrice.
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. Eh oui !
M. Jean-Claude Peyronnet. Jusque-là, la péréquation s'établissait au sein du même type de collectivités, ce qui se justifiait par la pertinence des comparaisons possibles entre collectivités. Ainsi, les communes bénéficiaires de la DSU étaient aidées par les autres communes ; certes, les bourgs-centres avaient été ajoutés ; mais enfin, malgré un empilement d'apparence assez compliqué, le fonctionnement était clair. De même, les vingt-trois départements bénéficiaires de la dotation minimale de fonctionnement étaient aidés par les autres départements, et les quatorze régions bénéficaires du Fonds de correction des déséquilibres régionaux étaient aidées par trois régions, notamment l'Ile-de-France.
Tout cela, si j'ai bien compris, est en passe de changer : toutes les collectivités locales bénéficiaires d'une compensation que je viens de citer et qui ne seraient pénalisées que de la moitié de la pénalité des autres le seraient à partir d'un « pot commun ».
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. Eh oui !
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le ministre, ce n'est pas du tout transparent ! Mieux vaudrait que, comme sous le l'Ancien Régime, chaque collectivité ait ses propres pauvres !
J'ajoute que, à l'aube des temps modernes, donner aux pauvres permettait de faire son salut ! (Sourires.)
M. Michel Mercier, rapporteur spécial. Eh oui !
M. Jean-Claude Peyronnet. Le département de la Haute-Vienne, qui voit son augmentation de DGF réduite à 0,7, aimerait bien savoir à quels pauvres il donne, considérant, par exemple, que le fait de donner à une région dont le président est soutenu par le Front national, comme la région Languedoc-Roussillon, ne lui assure pas nécessairement le salut ! (Nouveaux sourires.)
Je voulais formuler deux interrogations, mais, faute de temps, n'en exposerai qu'une seule : elle concerne les 35 heures.
Je suis de ceux qui pensent qu'il faudrait appliquer les 35 heures, avec création d'emplois, aux collectivités locales. Je suis aussi de ceux qui pensent que, malgré tout, financer les emplois sans autre forme de procès sur simples ressources fiscales n'était pas pleinement satisfaisant, et qu'une telle création d'emplois ne peut se justifier que si elle s'accompagne d'une véritable amélioration négociée du service public.
Je sais qu'une mission est en cours, mais - je me permets d'y insister - il est urgent pour nous d'en obtenir les conclusions.
Il faut en effet reconnaître que nous vivons dans un certain désordre, et le désordre, ce n'est pas la liberté !
C'est d'autant plus vrai que les collectivités, en particulier les départements, ont à gérer l'application des 35 heures dans les établissements sociaux. Si j'ai bien compris, le droit commun est applicable à ces établissements. Or les 35 heures se traduisent par une flambée des prix de journée payés par l'usager ou par les collectivités - départements et par, ricochet, communes.
Monsieur le ministre, les collectivités locales attendent des directives claires. En l'occurrence, la référence à leur liberté est fallacieuse parce que la réduction du temps de travail est une mesure nationale. Or, dans le cas présent, vous les laissez libres de l'application ou pas des 35 heures dans les établissements par l'acceptation ou non du poids accru de la masse salariale dans les prix de journée, et cela, monsieur le ministre, ce n'est pas satisfaisant.
J'évoquerai notre inquiétude qui concerne les services départementaux d'incendie et de secours et leur évolution financière préoccupante à l'occasion de l'examen des crédits consacrés à la sécurité.
Cela étant, ces réserves et ces demandes d'explication n'entacheront pas notre vote, qui, je le répète, sera positif. (Applaudissements sur les travées socialistes. - M. le rapporteur spécial et M. le rapporteur pour avis applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est évidemment à l'occasion de l'examen du projet de budget que se vérifie la réalité de la volonté décentralisatrice d'un gouvernement.
Il s'agit de savoir si les collectivités locales disposent bien des moyens de leur action et si l'origine de ces moyens garantit la liberté et la responsabilité des collectivités ou si, au contraire, elle assujettit ces dernières et donc les déresponsabilise.
Il n'est pas inutile non plus de voir dans quel sens va le mouvement : vers plus de responsabilité, plus de clarté ou, au contraire, vers une certaine forme de recentralisation ?
Constatons tout d'abord que les collectivités locales ont fait preuve d'un sens réel des responsabilités.
Engagées en 1996 par le précédent gouvernement dans un pacte de stabilité qui a survécu à l'alternance politique de 1997, et malgré un contexte macroéconomique difficile, caractérisé par une très faible croissance et par la contribution demandée à l'effort de redressement des finances publiques, les collectivités locales ont été capables de limiter l'augmentation des dépenses de fonctionnement et d'engager leur désendettement en dégageant ainsi une nouvelle capacité de financement. L'Etat doit leur en savoir gré.
Il serait donc injuste qu'elles soient maintenant pénalisées parce que leur situation s'est améliorée d'une manière certes inégale selon les collectivités mais, dans l'ensemble, raisonnable et vertueuse. Il faut au contraire reconnaître, comme le fait M. le rapporteur, que le contrat de croissance et de solidarité, qui aurait été l'occasion d'associer les collectivités locales à un contexte macroéconomique de retour au moins provisoire à la croissance, est en fait peu novateur.
Il faut ensuite se projeter dans l'avenir, un avenir proche, celui de l'approfondissement de la décentralisation, avec les textes annoncés sur la réforme non seulement de l'intercommunalité mais aussi de la taxe professionnelle.
En 1992, j'ai mis sur pied la première communauté de villes de France, dont je suis d'ailleurs toujours le président. Mes collègues maires de dix-sept communes, dont une ville moyenne, Cambrai, et dix communes rurales ou du moins « rurbaines » de moins de 500 habitants, et moi-même avions choisi cette formule à cause de l'importance promise de la DGF mais aussi et surtout parce que la taxe professionnelle unique nous paraissait le choix de l'avenir, favorisant une réelle cohérence de la communauté tout en étant mieux comprise des assujettis.
Nous n'avons pas toujours été récompensés pour ce choix novateur.
Parce qu'il n'en avait pas, en fait, les moyens, le comité des finances locales a amputé la DGF des communautés de villes d'une bonne part de son montant. En outre, ce choix courageux était psychologiquement difficile, car il est pénible pour un maire de s'en remettre à d'autres du soin de lever la taxe professionnelle, qui représente souvent plus de la moitié du produit de l'impôt local.
C'est sûrement de là que vient l'échec de la formule : il n'y a aujourd'hui, en France, que cinq communautés de villes.
Pourtant, tout compte fait, nous avons eu raison de choisir la taxe professionnelle unique. Au congrès des maires de France, voilà quelques jours, j'ai d'ailleurs déclaré qu'il ne fallait pas avoir peur de la taxe professionnelle unique, qui est évidemment le choix de l'avenir.
Mais encore faudra-t-il que la taxe professionnelle reste de la responsabilité des élus locaux et que l'Etat, en en redéfinissant l'assiette et en assurant une part plus grande de son financement, ne se donne pas ainsi le moyen de peser directement sur l'avenir de cet indispensable échelon qu'est l'intercommunalité.
Il faut être objectif. L'inscription dans la loi du montant de la future DGF des communautés d'agglomération est une bonne mesure qui devrait nous éviter la répétition de la calamiteuse déconvenue de 1992 ; mais l'ambiguïté de l'évolution de la taxe professionnelle doit être levée.
En conclusion, je voudrais répéter ici quelques évidences. Il faut garder à la France ses communes, car elles assurent le maillage humain ainsi que la vitalité du territoire et de la démocratie. Mais nous ne sauvegarderons nos communes qu'en développant une réelle intercommunalité disposant de ses ressources propres clairement identifiées, et donc de ses responsabilités. C'est à cette condition que se réalisera, à la base, la décentralisation. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais souligner, après les interventions de M. le rapporteur spécial et de M. le rapporteur pour avis, combien ce projet de budget est fondé sur le principe contractuel de relations entre l'Etat et les collectivités territoriales. Ce principe était celui du pacte de stabilité, en vigueur jusqu'à la fin de l'année 1998, qui avait été imposé aux collectivités locales plutôt que véritablement négocié.
Le Gouvernement a pris le temps d'une large concertation non seulement avec les associations mais également avec le président et le rapporteur général de la commission des finances, qui ont été longuement interrogés sur les propositions pouvant être faites. Il fallait évidemment concilier les attentes des élus avec la situation économique générale.
Cela étant, nous nous sommes accordés sur la démarche de la programmation pluriannuelle, ce dont MM. Mercier et Hoeffel se sont félicités. En effet, la programmation sur trois ans de l'évolution des concours financiers des collectivités locales permet aux gestionnaires locaux d'établir des prévisions et de bâtir des budgets sur des bases stables.
Cela étant, il fallait ensuite trouver des critères permettant de gager cette enveloppe. Le Gouvernement a souhaité introduire un élément de croissance. Comme l'a indiqué M. le rapporteur spécial, le périmètre de l'enveloppe normée et les règles de progression des différentes dotations ne sont pas modifiés. C'est ainsi que la dotation globale de fonctionnement connaîtra, en 1999, une progression de 2,78 %.
Le Gouvernement a souhaité que les collectivités locales soient intéressées à la croissance, au retour de croissance, ce dont M. Duffour s'est félicité. Alors que le projet de loi de finances initial prévoyait la prise en compte de 15 % en 1999, de 25 % en 2000 et de 33 % en 2001 du taux prévisionnel du produit intérieur brut, l'Assemblée nationale a souhaité porter ces taux respectivement à 20 %, à 25 % et à 33 %. Quant au Sénat, il a préféré un taux de 33 % en 1999.
Quel que soit le chiffre retenu en définitive, il montre bien l'intérêt pour les collectivités locales de bénéficier pour partie de l'évolution de la croissance, mesurée par l'indice du PIB.
En ce qui concerne l'objectif de solidarité, le Premier ministre a proposé qu'un groupe de travail se penche, en 1999, sur la péréquation, notamment dans la dotation globale de fonctionnement.
D'ores et déjà, le Gouvernement propose de renforcer la péréquation. En ce qui concerne la dotation de compensation de la taxe professionnelle, qui reste évidemment, comme dans le pacte de stabilité, la variable d'ajustement, la progression de la dotation globale de fonctionnement va conduire à une baisse de 9 % globalement. Cela pourra affecter certaines collectivités jusqu'à concurrence de 23 %, comme l'a indiqué M. le rapporteur spécial.
Comment éviter que cette évolution de la DCTP frappe les communes qui ont des difficultés, les communes défavorisées ?
Les communes qui sont éligibles à la DSU ou à la dotation de solidarité rurale bourg-centre ne connaîtront aucune perte de DCTP grâce à un versement du fonds national de taxe professionnelle.
Il en ira de même, et je m'en réjouis, des communautés urbaines et des districts qui comportent des communes membres éligibles à la DSU ou à la dotation de solidarité rurale, grâce à un amendement proposé sur la première partie du projet de loi de finances par M. Mercier et adopté à l'unanimité par le Sénat. Cette unanimité est un gage pour la deuxième lecture à l'Assemblée nationale ! Cette mesure permettra en tout cas d'éviter que certaines grandes communautés ou certains districts qui ont fait un effort de regroupement soient pénalisés par cette baisse.
Par ailleurs, la DSU sera abondée en 1999 par un apport budgétaire de 500 millions de francs. Il s'ajoutera à la croissance naturelle de la DGF, qui devrait apporter environ 500 millions de francs à la DSU. Cela signifie que le dispositif de dotation de solidarité urbaine devrait augmenter d'un milliard de francs. Il sera reconduit en 2000 et en 2001.
M. Peyronnet m'a interrogé sur la modulation de la baisse de la dotation de compensation de taxe professionnelle.
Cette modulation doit être comprise par catégories. C'est au sein de la DCTP des départements que seront appliqués les 50 % de modulation au profit des départements bénéficiaires de la dotation de fonctionnement minimale.
Sur ce point, le texte issu des discussions en première lecture dans les deux assemblées n'est peut-être pas suffisamment précis et nous devrons essayer de l'améliorer en deuxième lecture. Mais l'esprit de la disposition est bien celui-ci, je veux le confirmer.
Avec cet abondement de la DSU d'un milliard de francs et compte tenu de la progression de diverses dotations, l'effort financier de l'Etat en 1999 envers les collectivités locales progressera de 4 %. Cette progression réelle est sans précédent depuis 1993 ! Si l'on tient compte de l'effet positif de la reprise de la croissance sur les bases d'investissement en matière de taxe professionnelle, les budgets locaux pourront faire face à leurs charges et renouer avec l'investissement.
Au demeurant, les chiffres qui ont été recensés par le Crédit local de France nous permettent de dire, monsieur Legendre, que la situation financière globale des collectivités locales est saine, grâce aux efforts réalisés au cours de ces deux dernières années en matière d'économie de gestion. On peut donc s'attendre, pour les prochaines années comme en 1998, à une progression de l'investissement qui profitera à l'activité économique. M. Hoeffel a d'ailleurs rappelé, à juste titre, que les collectivités locales réalisent les trois quarts des investissements publics sur le territoire national.
Je ne m'attarderai pas sur l'évolution de chacune des dotations dont les règles n'ont pas été modifiées, sauf en ce qui concerne le fonds de compensation de la TVA. En effet, vous savez que le Gouvernement a accepté d'étendre le bénéfice de ce fonds aux travaux d'intérêt général ou aux travaux d'urgence. C'est une mesure qui était attendue.
Vous avez évoqué également, en dehors des transferts financiers, la question des charges. Nous en avons débattu voilà trois semaines dans cette enceinte, lors du débat consacré à la décentralisation, sur l'initiative du président Poncelet.
S'agissant de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, un groupe a été constitué au sein du comité des finances locales, et il s'est déjà réuni. Il doit proposer une solution de long terme, dans le cadre des travaux difficiles, tout le monde le sait bien, que le Commissariat au Plan a déjà entrepris sur l'avenir des retraites. Pour 1999, il n'y aura pas d'augmentation de la cotisation employeur de la CNRACL.
Les normes, sujet fréquemment évoqué, ont un coût qui semble à beaucoup d'élus à la fois croissant et non maîtrisé.
Nous devons rechercher une méthode qui permette de mesurer et de limiter les conséquences sur les budgets locaux des normes techniques, qu'elles soient d'origine européenne ou nationale. Un groupe de travail, présidé par votre collègue M. Adnot, président du conseil général de l'Aube, a été constitué sur ce sujet et travaillera en concertation avec les élus locaux, pour faire progresser ce dossier. La récente circulaire du Premier ministre sur la préparation des directives européennes et leur transposition impose d'ailleurs à l'Etat des règles nouvelles qui devraient contribuer à une meilleure maîtrise des normes.
M. Peyronnet m'a interrogé sur l'application des 35 heures aux associations qui sont placées sous convention avec des collectivités locales - les départements, par exemple - et qui relèvent du droit privé. Je comprends sa préoccupation financière, mais Mme Aubry a déjà eu l'occasion de lui apporter une réponse. S'il est vrai que l'on ne peut s'exonérer de l'application d'une loi générale qui régit le secteur privé, la discussion se révèle nécessaire avec les services du ministère de l'emploi et de la solidarité.
En matière de fiscalité, je ne reviendrai pas sur les grands thèmes que nous avons abordés au Sénat lors du récent débat sur la décentralisation. Je ne crois cependant pas que nous soyons, comme l'a dit votre rapporteur spécial, M. Mercier, dans le cadre d'une fiscalité octroyée. Le Gouvernement s'est simplement attaqué à l'irritante question de la taxe professionnelle, qui, il faut bien le reconnaître, est posée depuis vingt ans - depuis la dernière réforme entreprise par M. Fourcade - par tous les élus locaux de même que par les chefs d'entreprise.
La réforme proposée privilégie la compensation plutôt que le dégrèvement des pertes de ressources des collectivités locales sur la part salariale.
Le Sénat, pour sa part, souhaite l'application d'une règle de dégrèvement, mais cette dernière présenterait deux inconvénients : le premier est que toutes les entreprises, en particulier les PME, devraient établir une déclaration fiscale et seraient donc soumises à des obligations administratives inchangées ; le second est que les communes qui font face à des fermetures d'entreprises subiraient des difficultés financières supplémentaires, même s'il est vrai qu'à l'inverse les communes dans lesquelles la part salariale de la taxe professionnelle augmente en auraient bénéficié. Le mécanisme de compensation offre, de ce point de vue, certaines garanties pour les collectivités locales.
Je ne pense pas non plus que le mécanisme de compensation de l'élément salarial de la taxe professionnelle, qui représente 35 % de l'assiette de la taxe professionnelle, constitue un véritable obstacle à la coopération intercommunale ni, je le dis au passage, à la taxe professionnelle unique, qu'a évoquée M. Legendre en nous rappelant le bien-fondé de l'action qu'il a menée à Cambrai.
Pour ma part, je suis persuadé qu'au début du siècle prochain il faudra s'orienter vers le développement d'agglomérations et que, à cet échelon, nous ne pouvons plus admettre la concurrence entre différentes taxes professionnelles. Le progrès d'une agglomération passe par la ressource que lui apporte la taxe professionnelle.
Jusqu'à présent, la taxe professionnelle unique, même progressive, n'a été adoptée que par un peu plus de 80 communautés ou districts, ce qui est faible par rapport à l'objectif de la loi de 1992. L'an prochain, la discussion du projet de loi sur l'intercommunalité - le projet de loi Chevènement - devrait nous permettre de progresser plus rapidement vers cet objectif en fondant la fiscalité des groupements et des agglomérations sur une base solide qui est la référence économique.
Resterait évidemment, comme l'a dit M. Peyronnet, à établir un autre partage des recettes fiscales, ce qui est difficile en raison des problèmes d'équilibre posés. Je reste quand même persuadé que, sur le plan local, l'activité économique doit constituer l'une des assiettes de la fiscalité. Certes, ensuite, il faudra définir les critères, mais on imaginerait mal un financement des activités locales qui ne tiendrait pas compte de la richesse économique, quitte à ce que celle-ci soit péréquée sur le plan national par des mécanismes qui pallient les déséquilibres.
Cette assise sur l'activité économique me paraît essentielle afin que la fiscalité repose sur des réalités locales, et en tout cas qu'elle associe, d'une façon ou d'une autre, les entreprises - qui sont consommatrices de services publics - au financement des activités locales.
J'évoquerai maintenant la question de la déconcentration.
M. Hoeffel a souligné le rôle que joue l'administration territoriale, en particulier l'administration préfectorale, dont le ministère de l'intérieur est responsable. En effet, la décentralisation doit aller de pair avec une déconcentration des services de l'Etat.
Cette année 1999 sera pour l'administration territoriale celle du lancement de la réforme de l'Etat, à la suite des travaux qui ont été menés par mon collègue M. Zuccarelli. Ce mouvement de déconcentration est nécessaire pour permettre à l'administration d'être à la fois plus proche des citoyens, au service des usagers, à l'écoute des collectivités locales.
Nous nous sommes beaucoup préoccupés de décentralisation ce matin et lors d'un précédent débat, mais je veux aussi rendre hommage au travail qu'accomplissent les services préfectoraux et les agents de préfecture. Au cours de cette année 1998, ils ont été beaucoup sollicités, à la fois sur les dossiers de régularisation des étrangers, sur la mise en place de la pastille verte, sur la distribution de la carte nationale d'identité - l'annonce de sa gratuité au mois de septembre a suscité de nombreuses demandes - et en ce moment encore sur les missions d'urgence sociale. Or il est paradoxal que ces fonctionnaires, qui sont constamment sur la brèche, travaillent dans le cadre d'une organisation administrative dont l'architecture n'a guère évolué depuis deux siècles.
Le Gouvernement a donc entrepris une réforme en profondeur de ces structures, fondée sur le principe de la déconcentration.
Cette réforme ne peut, bien sûr, s'élaborer dans le secret de l'administration centrale. C'est pourquoi chaque préfet - je l'ai souligné jeudi devant l'association du corps préfectoral - devra élaborer un projet territorial de l'Etat dans son département, avec de réelles marges de manoeuvre et d'innovation. De cette manière, il pourra, en concertation avec ses chefs de service et avec ceux des différents services de l'Etat, adapter l'action de l'Etat au niveau de son propre département.
J'ai d'ailleurs pu constater que de nombreuses propositions ont été mises en oeuvre, notamment outre-mer, pour améliorer la capacité d'adaptation et de réaction aux évolutions de la société locale et à la diversité des situations. C'est ainsi que les départements de la Martinique et de La Guyane ont innové sur le plan de la gestion.
Le chapitre Fonctionnement des préfectures est maintenu à son niveau de 1998, c'est-à-dire 1,7 milliard de francs, avec des transformations d'emplois et une mesure indemnitaire de 7,5 millions de francs qui permettent de poursuivre le mouvement de requalification des personnels.
Les effectifs globaux restent stables, même si le ministère de l'intérieur contribue à l'équilibre général de la balance des emplois au plan national ; mais ce budget pour 1999 de l'administration territoriale permettra de prendre en compte, notamment, les besoins existants dans les préfectures.
Je souhaitais, à travers cette intervention devant le Sénat, saluer, au nom de l'Etat, le travail accompli par les agents des services préfectoraux. Ils ont notamment souvent entrepris une modernisation portant sur les conditions d'accueil.
A cet égard, j'ai pu observer récemment à Alençon, à l'occasion des journées des communautés urbaines, les réalisations accomplies à la préfecture de l'Orne ; j'ai pu constater qu'aujourd'hui la qualité de l'accueil du public, la sécurité des agents et les conditions de fonctionnement sont mieux prises en compte, ce qui me paraît essentiel s'agissant de services rendus aux usagers.
Telles sont, monsieur le président, les précisions que je souhaitais apporter sur ces crédits budgétaires qui nous ont déjà retenus à plusieurs reprises.
Je pense que l'annonce du pacte de croissance et de solidarité entre l'Etat et les collectivités locales permet de tracer un avenir pour les trois prochaines années avec une bonne connaissance des dotations. Je pense également que les évolutions positives de la DGF permettront aux élus locaux de préparer leur budget dans de bonnes conditions. Nous connaissons tous les difficultés auxquelles notre société est confrontée. L'Etat et les collectivités locales y travaillent en partenariat, qu'il s'agisse des problèmes du chômage, de la sécurité - que nous aborderons tout à l'heure - des difficiles questions sociales, de la réhabilitation des quartiers ou du maintien de l'activité dans le secteur rural. Il n'y a pas de recul de la décentralisation. Il y a au contraire la volonté de l'Etat de travailler - c'est le choix du Gouvernement - avec les élus locaux dans des relations de confiance qui permettent d'améliorer le sort de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. J'indique au Sénat que les crédits concernant la décentralisation inscrits à la ligne « Intérieur et décentralisation » seront mis aux voix aujourd'hui, à la suite de l'examen des crédits affectés à la sécurité.
Mais j'appellerai en discussion l'amendement présenté par la commission des finances au titre IV.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 651 788 454 francs. »
Personne ne demande la parole ?...
Le vote sur les crédits figurant au titre III est réservé.