Séance du 3 décembre 1998







M. le président. « I. - La deuxième phrase du premier alinéa de l'article L. 118-7 du code du travail est ainsi rédigée : "Cette indemnité se compose :
« 1° D'une aide à l'embauche lorsque l'apprenti dispose d'un niveau de formation inférieur à un minimum défini par décret ;
« 2° D'une indemnité de soutien à l'effort de formation réalisé par l'employeur. »
« II. - Les dispositions du présent article entrent en vigueur pour les contrats conclus à compter du 1er janvier 1999. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° II-40 est présenté par M. Ostermann, au nom de la commission des finances.
L'amendement n° II-46 rectifié est déposé par M. Souvet, au nom de la commission des affaires sociales.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur spécial, pour défendre l'amendement n° II-40.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Avant de présenter cet amendement, permettez-moi, madame la ministre, de formuler une remarque préalable.
Vous avez évoqué le département du Bas-Rhin, que vous connaissez bien. Vous avez cité la loi Barrot, disant que vous l'appliquiez en tant que ministre. Vous avez fait voter le projet de loi créant les emplois-jeunes, auquel nous étions opposés, mais nous l'appliquons. Vous n'allez quand même pas nous le reprocher, madame la ministre !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je vous en félicite même !
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. Puisque vous évoquiez le département du Bas-Rhin, je vous engage très vivement à étudier les nombreuses délocalisations d'entreprises, qui sont la conséquence de certaines des décisions qui ont déjà été prises. Je reste à votre disposition pour prolonger cette réflexion.
J'en viens à l'amendement n° II-40. Il vise à supprimer l'article 80. Comme je vous l'ai déjà indiqué, cet article a pour objet, en recentrant à compter du 1er janvier prochain le versement des primes d'apprentissage, d'exclure 50 000 apprentis du bénéfice de celles-ci pour un gain budgétaire de 60 millions de francs.
Rejoignant sur ce point la position déjà défendue à l'Assemblée nationale par sa commission des finances, nous estimons que cette mesure va perturber le bon fonctionnement de l'ensemble de la filière de la formation professionnelle, et cela afin de réaliser 60 millions de francs d'économies.
Cette mesure nous paraît donc particulièrement inopportune ; en effet, si des économies doivent être réalisées, ce n'est certainement pas dans le secteur de la formation professionnelle.
Je suis d'ailleurs certain que nous recueillerons sur cette question un très large consensus.
M. le président. La parole est à Mme Bocandé, rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° II-46 rectifié.
Mme Annick Bocandé, rapporteur pour avis. Mes arguments rejoindront ceux de M. le rapporteur spécial.
L'article 80 vise à réserver le paiement de la prime à l'embauche aux apprentis ayant un faible niveau de qualification. Ce faisant, il réduit l'attractivité de l'apprentissage et remet en cause les efforts de promotion de cette filière professionnelle entrepris depuis plusieurs années.
C'est pourquoi la commission des affaires sociales vous propose d'adopter un amendement de suppression de cet article.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s II-40 et II-46 rectifié ?
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur spécial, j'ai cru comprendre que Mme Aubry vous félicitait d'avoir embauché des emplois-jeunes dans votre mairie.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. J'en prends acte.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. M'étant déjà longuement exprimée tout à l'heure sur le sujet évoqué, je serai brève.
Il est vrai que les contrats de qualification procèdent d'un choix politique : le Gouvernement souhaite recentrer les primes sur les jeunes qui ont besoin de recevoir une qualification complémentaire. Je vous ai communiqué tout à l'heure certains chiffres témoignant de l'évolution intervenue entre 1990 et 1997, période au cours de laquelle le pourcentage des contrats conclus avec les jeunes de niveau V ou inférieur, est passé de 65 % à 43 %.
Nous avons effectivement souhaité concentrer le maximum d'argent public sur ceux qui en ont le plus besoin en termes de qualification.
J'ai bien compris que le contrat d'apprentissage constitue le point le plus sensible. C'est pourquoi je m'étais longuement exprimée tout à l'heure à ce sujet.
Je rappelle que 84 % des contrats d'apprentissage sont signés avec des jeunes ayant un niveau CAP ou inférieur. L'essentiel du monde de l'apprentissage n'est donc pas concerné, loin s'en faut, par le recentrage des primes. Quant aux 16 % restants, qui concernent les jeunes de niveau IV, voire III, j'ai dit tout à l'heure tout l'intérêt que je portais à la filière de l'apprentissage. Je conçois parfaitement que cette forme de pédagogie puisse convenir à certains jeunes. C'est pourquoi j'ai souligné en ce domaine le caractère très incitatif de la prime à la formation et l'ampleur des exonérations de charges.
Je suis donc défavorable à ces deux amendements identiques.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s II-40 et II-46 rectifié.
M. Adrien Gouteyron. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gouteyron.
M. Adrien Gouteyron. Je sais qu'un débat s'est déjà engagé dans cet hémicycle sur ce point, mais le sujet me paraît si important que je tiens à exprimer les raisons de mon vote.
Depuis des années, dans notre pays, des efforts sont entrepris pour élever le niveau de l'apprentissage et pour faire en sorte que cette formule ne s'adresse pas uniquement aux jeunes qui échouent dans l'enseignement traditionnel. Ces efforts sont en train d'aboutir.
Vous nous avez cité des pourcentages, madame la ministre : vous avez dit que l'apprentissage concernait 84 % des jeunes de niveau CAP ou inférieur. C'est donc que 16 % des jeunes préparent des diplômes supérieurs par la voie de l'apprentissage. Quand on se rappelle d'où l'on est parti, on peut considérer que c'est un très bon résultat.
Vous ne voulez pas, dites-vous, porter atteinte à l'apprentissage. Soit. Mais je relève tout de même, et ce sont des chiffres officiels, que le nombre de jeunes en apprentissage prévu pour 1999 passerait de 240 000 à 230 000. J'ignore la raison de cette diminution des effectifs mais je ne voudrais pas que la mesure que vous envisagez y contribue.
C'est la raison pour laquelle je voterai ces amendements de suppression de la mesure que vous nous proposez. Je regrette que, avant de prendre cette mesure, vous n'ayez pas engagé une concertation. Les représentants des chambres de métiers de nos différents départements s'en sont plaints auprès de nous et je me fais ici l'écho de leurs doléances.
Enfin, il ne faut pas confondre la lutte contre l'exclusion et la formation. Qu'on ne me fasse pas dire que la formation ne contribue pas à la lutte contre l'exclusion, mais les objectifs des deux actions ne se recouvrent pas complètement. Vous avez raison de lutter contre l'exclusion.
En revanche, vous avez tort de porter atteinte à un dispositif de formation qui a fait ses preuves et dont le niveau s'est élevé. Je regrette que vous agissiez ainsi, et que vous sembliez ainsi oublier que ces apprentis, surtout ceux qui souhaitent accéder à des diplômes supérieurs au CAP ou au BEP, peuvent souvent devenir des chefs d'entreprise. Ces chefs d'entreprise, notamment de petites entreprises, dont nous avons tant besoin dans notre pays, et qui, vous le reconnaissez vous-même, créent des emplois, constituent le tissu économique fécond qui est si nécessaire et permettent à notre pays, en dépit des difficultés auxquelles il est confronté, de tenir le coup.
Dès lors, pourquoi réaliser cette mesure ? Pour 60 millions de francs d'économies ? Bien sûr, toutes les économies sont bonnes à prendre, mais au moins faisons en sorte qu'elles s'appliquent à des actions qui peuvent les supporter et ne donnons pas à un ensemble de professions un signal négatif. Or c'est ce que vous allez faire. Aussi, je vous en supplie - et si notre débat n'avait servi qu'à vous convaincre sur ce point, il aura été utile - ne faites pas cela ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, et de l'Union centriste.)
M. Guy Fischer. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. M. Gouteyron vient de traiter d'un problème qui est certainement l'un des plus complexes auxquels nous sommes actuellement confrontés. Toutes les politiques qui ont été mises en oeuvre, notamment par les régions, ont eu pour objet de prendre en compte les formations, qu'il s'agisse des contrats d'apprentissage ou des formules très spécifiques, telles que celles qui ont été mises en oeuvre dans la région Rhône-Alpes. Or je pense que l'on a eu tendance à former ceux qui sont déjà très qualifiés. Nous avons déjà engagé un débat sur ce point et nous sommes notamment revenus sur l'aide à apporter aux régions qui éprouvent des difficultés pour financer les centres de formation pour apprentis. Une des questions qui avaient été abordées - et je me souviens très bien d'un dialogue avec M. Barrot - portait sur les jeunes en difficulté. Outre les jeunes de niveau V, voire de niveau VI, dont on ne s'occupe pas, les jeunes en très grande difficulté sont laissés sur le bord du chemin. Le rééquilibrage concerne seulement 10 000 personnes environ.
Si le problème des jeunes les moins qualifiés n'est pas véritablement pris en compte, il ne faudra pas s'étonner d'avoir des problèmes, notamment dans les quartiers en difficulté.
Aujourd'hui, ces problèmes-là, nous ne les abordons pas. Je ne dis pas, monsieur Gouteyron, que vous les ignorez, loin de là, mais ils ne sont pas suffisamment pris en compte. En effet, dans les quartiers les plus difficiles, le taux de chômage des jeunes est de l'ordre de 40 % à 50 %, voire 60 %. C'est une situation que la plupart d'entre nous méconnaissent.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s II-40 et II-46 rectifié, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 80 est supprimé.

Article 81