Séance du 6 décembre 1998







M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant l'équipement, les transports et le logement : III. - Transports : 4. - Transport aérien et météorologie, et budget annexe de l'aviation civile.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme c'est l'habitude, je commencerai par vous exposer le projet de budget annexe de l'aviation civile pour 1999.
Avec une masse de 8,7 milliards de francs, ce projet de budget constitue l'instrument principal d'intervention des pouvoirs publics dans le secteur du transport aérien ; 8,7 milliards de francs, on pourrait dire que c'est peu puisque, par exemple, le chiffre d'affaires des seuls aéroports parisiens s'est élevé, en 1997, à 7,3 milliards de francs ; mais c'est aussi beaucoup puisque, à titre d'illustration, cela représente près de 15 % du chiffre d'affaires de la compagnie Air France.
Il faut donc veiller à ce que le projet de budget annexe de l'aviation civile, qui n'est, au surplus, compte tenu de la décentralisation de la gestion des infrastructures aéroportuaires, qu'un élément des charges supportées par les compagnies aériennes, connaisse une évolution modérée. Tel est-il le cas pour 1999 ? Les apparences pourraient inviter à répondre par l'affirmative à cette question puisque, à la lecture du projet de budget, on constate que les crédits progresseraient, en 1999, de 2,9 %. Mais les changements de périmètre du budget annexe modifient ce point de vue.
En les prenant en compte, on s'aperçoit que les crédits augmentent de 4 %. Mais, aussi et surtout, l'année à venir peut apparaître comme exceptionnellement favorable à l'affichage d'un accroissement modéré des crédits d'un budget annexe qui, en fait, est porteur de dépenses futures très considérables.
Il sera d'abord affecté par le dynamisme prévisible des dépenses de personnel, qui représentent près de la moitié des crédits. Le protocole de novembre 1997 induit une augmentation autonome des charges de personnel de 13 % en trois ans par rappport au niveau initial, à quoi s'ajouteront, bien sûr, les mesures générales concernant la fonction publique.
Les charges de remboursement des emprunts, qui augmentent de plus de 30 % en 1999 et s'élèvent à 446 millions de francs, vont se rapprocher du milliard de francs dans le temps.
Enfin, les investissements physiques qui, cette année, chutent de près de 12 %, ne pourront que s'accroître compte tenu des programmes en cours à moins que, monsieur le ministre, et j'y reviendrai, vous ne songiez à les faire assumer par d'autres.
Face à cette augmentation inéluctable des charges, la destinée du budget annexe est des plus incertaine.
Vous savez, monsieur le ministre, que votre budget souffre d'une infirmité redoutable, puisque ses principales ressources, les redevances aéronautiques, qui représentent 70 % des recettes, ne permettent pas d'assurer un financement fiable de ses dépenses.
C'est d'abord la conséquence de l'inscription, dans ce budget annexe, de crédits qui n'ont rien à y faire et qui, en tout cas, ne sauraient être couverts par des redevances. Le budget annexe de l'aviation civile, je l'ai souvent dit, est un pavillon qui abrite trop de marchandises !
Mais c'est aussi la rançon d'un droit des redevances extrêmement sophistiqué, qui, de fait, interdit de recourir à cette source de financement dès que les prestations de services en contrepartie desquelles elles sont perçues comportent un degré d'investissement significatif. Or, c'est bien le cas des prestations de navigation aérienne.
Le budget annexe de l'aviation civile se trouve ainsi confronté à deux écueils également redoutables : d'abord, l'inconstitutionnalité, rappelée notamment par la décision du Conseil constitutionnel sur la loi de finances pour 1998 ; ensuite, le déséquilibre financier que le niveau d'endettement d'ores et déjà atteint vient illustrer.
Il vous faut donc sortir de ce dilemme et, monsieur le ministre, vous en avez pleinement conscience.
Vous le savez tellement, monsieur le ministre, que vous avez entrepris, cette année, de nous proposer un début de réforme du financement des infrastructures aériennes qui répond, dans des conditions que nous ne pouvons malheureusement approuver, au souci de sortir de cet embarras.
Votre réforme, qui s'articule autour de la création d'une taxe d'aéroport, comporte la création d'un compte d'affectation spéciale auquel serait versée une part de la taxe de sécurité et de sûreté, dénommée désormais « taxe de l'aviation civile ».
Nous pouvons facilement saluer l'idée de loger dans un compte d'affectation spéciale certaines dépenses d'aviation civile. Nous le pouvons d'autant mieux que nous avons fait en vain cette suggestion depuis quatre ans à tous les ministres et que vous-même vous aviez semblé l'écarter dans une de vos réponses ici même l'an dernier.
Nous vous remercions d'avoir évolué sur ce point, monsieur le ministre, mais nous aurions souhaité, vous le savez bien, que vous adoptiez une approche que je qualifierai non pas de révolutionnaire, mais plutôt de réformatrice.
Il aurait fallu, monsieur le ministre, que vous logiez dans ce nouveau compte l'ensemble des crédits par lesquels l'Etat intervient dans les aéroports et que vous adaptiez les financements affectés à ce compte à la nature des dépenses retracées par lui.
Je m'explique. Le produit de la taxe d'aéroport dont vous nous proposez la création pour financer les missions de sécurité et de sûreté mises à la charge des exploitants d'aérodromes serait directement affecté aux exploitants. Cette « taxe-redevance », modulée aéroport par aéroport, financerait de surcroît la quasi-totalité des dépenses essentiellement régaliennes, dont une petite partie serait financée par la taxe de l'aviation civile, qui est également un impôt spécifique.
Ce patchwork manque évidemment d'unité et de lisibilité, et c'est pourquoi l'intégration dans le compte d'affectation spéciale de l'ensemble des crédits d'intervention aéroportuaire est à mon avis souhaitable.
Mais votre dispositif manque aussi de solidité juridique, faute d'être assis sur les sains principes politiques qui sont les nôtres depuis 1789.
Des charges qui incombent par nature à l'Etat ne seraient pas retracées dans le budget, ce qui est entièrement contraire à nos principes constitutionnels.
L'impôt catégoriel spécifique est appelé à financer des missions d'intérêt général aussi essentielles que la préservation de la sûreté publique. Cette conception de l'impôt est fondamentalement pernicieuse. Allez-vous vous en inspirer, monsieur le ministre, pour introduire une taxe sur les usagers de la RATP afin de financer les moyens nécessaires à la sûreté publique dans les autobus de banlieue ?
Monsieur le ministre, faites en sorte que le Gouvernement écoute le Sénat et qu'il dégage les moyens nécessaires pour couvrir les sujétions normales s'imposant à l'Etat du fait de l'exercice des ses missions fondamentales. Alors, nous nous rallierions sans doute au projet de demander au transport aérien de financer les sujétions particulières que son fonctionnement suppose.
Nous le pourrions d'autant mieux qu'une contribution normale du budget général permettrait sans doute de régler les problèmes que paraît poser, si je me réfère à l'excellent rapport de M. Jean-François Le Grand, la taxe d'aéroport au regard de l'aménagement du territoire.
Je sais, monsieur le ministre, que vous réfléchissez sur ce point à des solutions, mais je ne suis pas certain que celles-ci ne reportent pas en fait le problème ailleurs et, pour tout dire, sur les collectivités locales sur le territoire desquelles les petites plates-formes sont localisées.
Monsieur le ministre, nous avons beaucoup apprécié vos efforts mais aussi ceux de vos services pour dégager sereinement des solutions à des problèmes que nous avions ici soulignés à plusieurs reprises.
Malheureusement le dispositif que vous nous proposez ne nous satisfait toujours pas. Peut-être vos interlocuteurs au Gouvernement seront-ils obligés de nous prendre au sérieux à partir du 2 janvier prochain, peut-être pas. En tout cas, il est regrettable que, dans cette affaire, l'Etat ne démontre pas plus de respect pour ses obligations.
Mes chers collègues, la commission des finances vous recommande cependant d'adopter le budget annexe de l'aviation civile pour 1999 en pleine conscience des réformes qu'il ne faudra plus retarder.
Elle vous recommande également d'adopter les crédits du transport aérien et de météorologie auxquels je voudrais rapidement consacrer quelques observations.
La quasi-stabilisation des crédits pour le soutien public à notre industrie aéronautique civile est, dans l'ensemble, le reflet de la poursuite des projets industriels.
Toutefois, deux inquiétudes peuvent être exprimées.
L'une porte sur l'absence de développements nouveaux dans le domaine des moteurs ; mais vous pourrez sans doute nous préciser la contribution des crédits de recherche amont aux indispensables innovations que doit réussir à proposer la SNECMA en la matière.
L'autre inquiétude porte sur les tribulations de l'avion sino-européen et, plus généralement, des avions de petites capacités, parmi lesquels la situation des avions de transport régional nous paraît particulièrement préoccupante.
Nous devons aussi aborder un dossier sur lequel le Gouvernement montre une sérénité que, dans l'ensemble - nous l'avons aussi dit à plusieurs reprises - nous ne partageons pas. Je veux parler de l'intégration européenne de l'industrie aéronautique.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire comment le Gouvernement envisage de réagir face à la constitution éventuelle d'une société européenne dont seule Aérospatiale serait exclue, faute d'avoir modelé suffisamment la capital de cette entreprise, véritable pépite de notre patrimoine industriel mais corsetée par son statut financier ? Vous le savez d'ailleurs puisque vous avez annoncé votre intention de privatiser cette entreprise.
Pourquoi ne pas faire le petit pas supplémentaire qui permettrait à ce joyau industriel de briller de tous ses feux ?
M. Jean-François Le Grand, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour l'aviation civile. Un petit pas pour M. le ministre, un grand pas pour l'humanité !
M. Yvon Collin, rapporteur spécial. Pourquoi prendre le risque de l'isolement et donc de la marginalisation ?
C'est sur cette dernière mais très grave question que j'achèverai cette intervention en vous remerciant, monsieur le ministre, mes chers collègues, de votre attention dominicale. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan, pour l'aviation civile. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour prolonger les plaisirs de l'activité dominicale, je vous donnerai l'avis de la commission des affaires économiques et du Plan sur le budget annexe de l'aviation civile.
Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit de façon remarquable et pertinente, concernant les crédits consacrés à l'aviation civile et au transport aérien, par mon collègue et ami M. Yvon Collin. Je suis en effet d'accord avec les propos qu'il vient de tenir.
Je noterai simplement que, côté dépenses, l'accroissement, cette année encore, des charges liées aux rémunérations, qui représentent près de la moitié du budget annexe, paraît peu cohérente avec la nécessité de maîtriser la dépense publique, de même qu'avec les politiques de gel des salaires que s'imposent les compagnies aériennes.
Sur le projet de réforme des recettes du budget annexe, souvenons-nous, monsieur le ministre, de la séance qui nous avait réunis ici le 10 novembre dernier à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à l'organisation de certains services au transport aérien. J'avais eu l'occasion de faire, à cette tribune, un certain nombre d'observations concernant l'évolution et la réforme de ces recettes. Je vous avais fait part de nos inquiétudes. Je les reprendrai pour l'information de tous.
Nous avons d'abord des inquiétudes quant à la fusion du Fonds de péréquation des transports aériens, le FPTA, dans un nouveau compte d'affectation spéciale, le Fonds d'intervention pour les aéroports et le transport aérien, ou FIATA. J'avais à l'époque attiré l'attention sur les risques liés à la disparition de la taxe de péréquation du Fonds de péréquation des transports aériens, lequel fonds de péréquation avait été mis en place voilà quelques années déjà dans un souci d'aménagement du territoire.
Autant le dire d'emblée, monsieur le ministre, nous craignons, avec la fusion du FPTA dans le FIATA, une dilution de la mission d'aménagement du territoire au profit des missions de sécurité, très évolutives.
Nous avons une autre préoccupation s'agissant de la taxe d'aéroport, dont le taux est très progressif en fonction des aéroports. Permettez-moi de rappeler que la taxe d'aéroport varie de 8 francs pour les aéroports les plus importants, comme celui de Nice, à 99 francs pour les plus petites plates-formes. Je ne néglige ni la vérité des coûts ni la réalité des dépenses. Toutefois, à aggraver une charge qui est déjà importante, on risque d'amplifier une spirale mauvaise qui va accentuer l'isolement des plus petites plates-formes. Cette taxe va donc totalement à l'encontre de la préoccupation d'aménagement du territoire qui est présente à l'esprit de chacune et de chacun d'entre nous ici. Trente petits aéroports risquent, de ce fait, d'être pénalisés.
Le Gouvernement aura l'occasion de nous proposer tout à l'heure des solutions, avec l'amendement n° II-102. La commission des finances fera également de même. Je rappelle que la commission des affaires économiques a été unanime à se soucier de ce point.
J'en viens à la constitution des alliances stratégiques planétaires qui semblent laisser Air France un peu de côté, alors que plus de la moitié du trafic mondial aérien est déjà capté par des partenariats assez gigantesques. En effet, de grands groupes se sont déjà constitués : il s'agit de Oneworld, de Wings, de Star Alliance et de Qualifyer.
On peut donc nourrir quelques inquiétudes sur l'évolution d'Air France car, plus le temps passe, plus la portion disponible se réduit et moins les alliances ont des chances d'être pertinentes. Je pense inutile de nier que la structure juridique d'Air France est probablement l'un des éléments majeurs de cette situation. Un petit pas de votre part serait vraiment bénéfique à l'aviation civile.
Les résultats d'Air France s'améliorent, ce dont on ne peut que se réjouir puisque, pour le premier semestre 1998, dans le cadre budgétaire IATA - l'année IATA commence au 1er avril - Air France semble annoncer un chiffre positif de 2,6 milliards de francs. Cette somme sera cependant amputée de 1,3 milliard de francs, résultat de la grève des pilotes de l'été dernier. Il va de soi qu'un résultat de 2,6 milliards de francs aurait été préférable !
J'aborderai enfin, dans le peu de temps qui m'est imparti, la politique aéroportuaire, et notamment l'évolution des deux plates-formes aéroportuaires d'Orly et de Roissy, sujet qui, je le sais, intéresse bon nombre de nos collègues ici présents. Il faut tout mettre en oeuvre pour une croissance mutuelle et une complémentarité à long terme des deux plates-formes. Je sais que c'est votre préoccupation, monsieur le ministre ; ce sera aussi la mienne, non seulement en tant que rapporteur pour avis pour l'aviation civile, mais aussi comme président du Conseil supérieur de l'aviation marchande, le CSAM, poste auquel vous m'avez fait l'honneur de me nommer.
En 1994, le ministre des transports d'alors avait limité le nombre de mouvements sur Orly en raison des nuisances sonores. Or, d'ici à 2002, les avions inscrits au chapitre 2 vont disparaître du ciel aérien. Ne devrait-on pas considérer ce problème à la lumière non plus du nombre de mouvements mais du volume de nuisances sonores ? Cela nous permettrait de « sortir par le haut » du débat sur la spécialisation des deux plates-formes. Il y aurait là matière à trouver un consensus qui permettrait de satisfaire les uns et les autres. N'oublions pas que 1 000 passagers équivalent à la création d'un emploi. On comprend bien que les communes riveraines soient attachées non seulement au maintien de l'emploi mais aussi à son développement.
Il y a là une réflexion à laquelle le CSAM a contribué, réflexion dont je vous ai transmis les conclusions voilà quelques jours, monsieur le ministre.
M. le président. Je vous prie de bien vouloir conclure, monsieur le rapporteur pour avis.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur pour avis. Je terminerai cette intervention en évoquant la suppression des ventes hors taxes. Les boutiques duty free représentent 250 millions de francs de bénéfices pour Aéroports de Paris. La suppression du duty free prive Aéroports de Paris de capacités d'évolution et d'investissement. Je souhaiterais connaître votre position à ce sujet.
Cela étant, mes chers collègues, la commission des affaires économiques et du Plan vous invite à adopter les crédits du transport aérien inscrits dans le projet de loi de finances pour 1999. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 16 minutes ;
Groupe socialiste, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Robert.
M. Jean-Jacques Robert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'aborderai deux sujets qui n'ont été qu'effleurés par M. le rapporteur pour avis, compte tenu du peu de temps de parole dont il disposait.
Le premier concerne l'ensemble des aéroports, des ports, ainsi que les liaisons ferrées avec la Grande-Bretagne : il s'agit des ventes en duty free .
Ce sujet comporte deux aspects. Tout d'abord, l'aspect commercial et, sur ce point, voilà deux ans déjà, en ma qualité de rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques pour le budget du commerce, de l'artisanat et des petites et moyennes entreprises, j'avais attiré l'attention du ministre concerné ; or, rien n'a bougé.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Qui était-ce ?
M. Jean-Jacques Robert. Mme Lebranchu, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce et à l'artisanat !
J'ai recommencé cette année. Je vous ai interpellé par le biais d'une question orale sans débat. Effectivement, nous n'arrivons pas à comprendre comment les précédents gouvernements ont pu, lors des négociations à Bruxelles, laisser survenir une pareille catastrophe. En effet, rien que pour les aéroports de la région parisienne, 8 000 emplois sont liés aux boutiques hors taxes, qui constituent, au surplus, une vitrine pour nos produits : on y vend en effet la fabrication noble de nos entreprises. Par conséquent, il faudra d'un seul coup promettre un avenir technique à 8 000 salariés.
Les aéroports qui vivent des redevances vont tous être touchés. C'est ainsi qu'Aéroports de Paris tire les deux tiers de ses recettes commerciales des ventes hors taxes - elles ont représenté 700 millions de francs l'année dernière et elles représenteront vraisemblablement 800 millions de francs cette année - et que la redevance s'élève à 34 % du chiffre d'affaires des boutiques hors taxes, d'un montant de 2,3 milliards de francs, ce qui n'est pas négligeable. Cette redevance est intégralement réinvestie, ainsi que l'a dit M. Le Grand, dans le financement des investissements aéroportuaires.
Si l'aéroport d'Orly dispose de certains moyens, ce n'est pas le cas des plus petits aéroports, comme celui de Tarbes-Lourdes, par exemple, qui a effectué 150 millions de francs de travaux et qui comptait pour rembourser sur 4 ou 5 millions de francs de recettes annuelles. Mais celles-ci vont disparaître !
De plus, j'ai appris hier qu'Eurotunnel s'inquiétait aussi au sujet de la disparition des boutiques duty free. Mais je ne m'étendrai pas davantage sur ce dossier, monsieur le ministre, car je sais que vous partagez mes préoccupations.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Oui !
M. Jean-Jacques Robert. Je souhaite néanmoins que l'on trouve une solution alternative et qu'un moratoire intervienne, d'autant que l'on a oublié de préciser que nos partenaires européens ne sont pas, eux, intéressés par l'origine française des produits de renommée mondiale qui sont mis en vente dans ces magasins.
Les magasins qui vendent des produits dans les aéroports en dehors de la zone hors taxes - végètent, ce qui n'est pas le cas des autres. C'est si vrai, d'ailleurs, que les avions n'hésitent pas à effectuer ce genre de ventes en cours de vol. Supprimer le duty free pénaliserait donc tout un pan de notre économie.
Comme les catastrophes n'arrivent jamais seules, après la disparition du duty free, nous avons également appris qu'on voulait transférer certaines des activités d'Orly à Roissy. Or, depuis des années, les départements de l'Essonne et du Val-de-Marne ont travaillé pour la réussite de cet aéroport : après Orly-Sud, il y a eu Orly-Ouest, avant que Roissy soit créé en plus.
Certes, nous avons eu des inquiétudes pour Orly-Sud, qui, pendant cinq ou six ans, a eu du mal à « prendre son envol », si je puis dire, à cause de cette concurrence. Mais il y est parvenu, grâce au rayonnement d'entreprises dont beaucoup sont internationales. Cependant, si ces dernières ont créé des emplois et ont implanté à Orly leur activité, c'est parce qu'elles savaient pouvoir toucher facilement la clientèle des vols intercontinentaux.
De plus - la phrase n'est pas de moi, mais je la reprends à mon compte - on va plus vite d'Orly à Londres en avion que d'Orly à Roissy par la route et par la Francilienne. Nous sommes donc parvenus au « top » en matière de communications et au « top » en matière d'implantation d'entreprises, et ce succès nous a incités à continuer à développer nos activités économiques dans le cadre du schéma directeur de l'Ile-de-France.
L'actuelle répartition me paraît excellente, monsieur le ministre : nous avons, au nord, la plate-forme de Roissy, qui a parfaitement réussi et qui a développé, alors qu'il n'y avait alentour que des champs, des activités économiques en grand nombre, tandis que nous, dans l'Essonne et le Val-de-Marne, qui sommes des précurseurs par rapport à Roissy en la matière, avons continué de notre côté à développer nos propres activités. Et vous voudriez nous les enlever pour les transférer à Roissy ?
Pourquoi vouloir absolument faire du gigantisme ? Certes, on a trouvé, comme toujours lorsqu'on veut tuer son chien, de bons prétextes : tantôt c'est le nombre de vols - M. Le Grand en a parlé -...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. C'est vous qui l'avez fixé, ce n'est pas moi !
M. Jean-Jacques Robert. Je le sais bien, je ne vous attaque pas ! Je dis simplement tout haut ce que pensent nos concitoyens de l'Essonne et nos voisins du Val-de-Marne.
Quoi qu'il en soit, nous voulons conserver nos activités. J'en appelle à vos qualités humaines, qui sont réelles étant donné la manière dont vous dirigez votre ministère.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Vous allez voir !
M. Jean-Jacques Robert. Pourquoi vouloir détruire ce qui fonctionne ?
Il est vrai que nous ne sommes pas encore en l'an 2005, date d'application de ce plan. Mais, étant donné la situation actuelle, nous pourrions nous satisfaire parfaitement de nos activités actuelles sur l'aéroport d'Orly au cours des dix ou quinze années à venir ! Il suffit donc de les préserver. Ce faisant, nos entreprises évolueront peut-être d'ailleurs vers d'autres disciplines, ce qui rendra nécessaire la création d'autres pôles d'attraction.
Nous comptons sur vous...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Moi aussi, je compte sur vous !
M. Jean-Jacques Robert. ... pour que l'aéroport d'Orly, qui est une réussite, ne soit pas lésé, ce qui serait le cas si seuls y subsistaient les vols de moins de 5 000 kilomètres. Cette solution fait peut-être plaisir aux technocrates, mais elle ne nous satisfait pas.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Vos amis voulaient moins de 3 000 kilomètres, à l'époque !
M. Jean-Jacques Robert. Monsieur le ministre, je dis la même chose depuis des années aux différents ministres, amis politiques ou pas. Je dis la vérité, et j'attache beaucoup d'importance à ce que pensent mes concitoyens du sud de l'Ile-de-France.
Si vous nous affirmez que nous pouvons compter sur vous, monsieur le ministre, je rapporterai un très bon message aux élus et aux habitants du sud de l'Ile-de-France (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'ensemble des crédits alloués au secteur aérien progresse cette année de 2,3 %, avec près de 10,2 milliards de francs en moyens de paiement.
Ce budget est cependant contrasté. Il bénéficie, pour une large part, de la croissance des recettes attendues du budget annexe de l'aviation civile, qui s'élèvent à 8,7 milliards de francs.
En revanche, les concours publics à la construction aéronautique civile connaissent une légère diminution de 1,3 % des crédits de paiement et une stabilisation des autorisations de programme.
Notons, sur ce point, une concentration des crédits sur la recherche en amont, ainsi que les avances remboursables sur les programmes d'avions commerciaux. En outre, les crédits qui sont destinés à la sécurité des aéronefs sont multipliés par quatre.
Enfin, l'analyse du budget annexe de l'aviation civile est complexifiée cette année compte tenu de la réforme fiscale rendue nécessaire après l'arrêt du Conseil d'Etat du 20 mai 1998.
Le Sénat a déjà eu l'occasion de débattre du nouveau dispositif fiscal. Aussi, je m'attarderai davantage, compte tenu du temps qui m'est imparti, sur la situation du transport aérien et de la construction aéronautique.
J'évoquerai, dans un premier temps, le cas d'Airbus Industrie, dont la principale caractéristique est de reposer, jusqu'à aujourd'hui, sur des bases de coopération réciproque et équilibrée entre les Etats européens.
Il s'agit de transformer le consortium Airbus en une société intégrée européenne de droit privé, sans capitaux publics.
Deux problèmes se posent : quelle sera la place de la France dans ce consortium, et quel devenir aura la filière aéronautique publique dans notre pays ?
Dans un objectif de guerre économique avec le géant américain Boeing McDonnel Douglas, l'Europe se prépare à une profonde restructuration du secteur de la construction aéronautique.
Les négociations en cours entre DASA - British Aerospace, d'un côté, et Aérospatiale-Lagardère-Dassault, de l'autre, se déroulent dans le plus grand secret. Ainsi, le Gouvernement français a annoncé, au début de l'été dernier, la fusion entre l'entreprise publique et Matra Hautes Technologies sans que les salariés, concernés au premier chef, aient été consultés ni même informés d'une telle décision.
Ce qu'il convient d'appeler une privatisation programmée d'un fleuron de notre industrie, puisque les capitaux publics ne représenteraient plus que 47 % de l'ensemble, répond, en réalité, à une menace de regroupement exclusif entr les actionnaires anglais et allemand. Le président de DASA pose d'ailleurs la privatisation totale du pôle français comme un préalable à tout rapprochement entre partenaires européens. La France ne doit pas céder à ce chantage. Nous sommes attachés, pour notre part, à ce que l'équilibre actuel au sein d'Airbus, qui a montré son efficacité, soit préservé.
Au nom du Gouvernement français, monsieur le ministre, nous vous demandons de nous rassurer sur ce point.
Par ailleurs, il y a un an, vous avez décidé, monsieur le ministre, la création de deux pistes supplémentaires à l'aéroport Roissy Charles-de-Gaulle afin de maintenir cette plate-forme dans le circuit international, compte tenu du développement attendu du trafic aérien dans les prochaines années. Aussi est-il aisé de comprendre que l'éventualité émise récemment de la spécialisation d'Orly sur les vols nationaux et internationaux de moins de 5 000 kilomètres, confirmée par certains transferts d'activités vers Roissy, ait suscité chez les salariés et les élus du Val-de-Marne un certain émoi.
Il est à redouter, en effet, que l'aéroport d'Orly, s'il n'était plus aéroport international long-courrier, ne devienne un aéroport de moindre importance alors que Roissy concentrerait sur lui le trafic aérien et marginaliserait les aéroports de province.
Il convient, dans cette affaire, de prendre en compte, avant toute chose, les conséquences qu'une telle décision aurait sur l'emploi et sur l'activité dans le Val-de-Marne et dans l'Essonne.
J'insiste aussi tout particulièrement sur la nécessité impérieuse de maintenir Air France-Industrie à Orly et je vous demande de me confirmer cette décision.
Je sais, monsieur le ministre, que vous avez mis votre décision en attente, de telle sorte que la concertation engagée depuis plusieurs mois aboutisse à une solution équilibrée réconciliant développement économique, fluidité du trafic, aménagement du territoire et respect de l'environnement, bref, à une solution qui soit une véritable sortie vers le haut.
A ce sujet, il faut se féliciter du dépôt au Sénat, conformément à ce qui avait été promis, d'un projet de loi portant création d'une autorité chargée de contrôler les nuisances sonores et de favoriser la transparence des informations, l'ACTESA.
Le troisième et dernier point que je souhaite évoquer est l'avenir d'Air France.
Récemment, un accord a été conclu entre la direction et les représentants des pilotes. Je tiens tout d'abord à observer que les rapports sociaux au sein de l'entreprise ont tendance, depuis le conflit de jui dernier, à se pacifier et à s'orienter sur des bases plus saines. Les mouvements concernant le personnel au sol ou celui des hôtesses de l'air et stewards, plus récemment, montrent cependant qu'il reste encore des progrès à effectuer dans ce domaine.
Je tiens ici à témoigner de l'indignation des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, à la suite des propos de M. le Président de la République sur la limitation de l'exercice du droit de grève dans le service public. Le droit de grève est un acquis fondamental des salariés, inscrit dans la Constitution de notre République.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Oui !
Mme Odette Terrade. Aussi doit-il être garanti par les élus de la République, notamment par le premier d'entre eux. Je me félicite donc, monsieur le ministre, que vous ayez immédiatement réagi à ce qui serait un grave recul de la démocratie sur le lieu de travail.
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Odette Terrade. Pour sa part, notre groupe sera solidaire des salariés des secteurs public et privé, qui protesteront solennellement auprès du Président de la République, comme l'a fait hier M. Robert Hue.
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Odette Terrade. Pour en revenir à Air France, votre engagement, monsieur le ministre, de maintenir la compagnie dans le secteur public est, de toute évidence, un gage de stabilisation des rapports sociaux.
Toutefois, nous souhaiterions connaître plus exactement les termes de l'accord intervenu en octobre dernier. Contient-il des garanties sur les conditions de l'échange salaire contre actions ? Quelles garanties avons-nous, enfin, que les actions détenues par les personnels ne seront pas détournées vers les marchés financiers ?
Connaissant votre attachement au service public dans le domaine aérien, que vous ne manquerez pas de confirmer, monsieur le ministre, le groupe communiste républicain et citoyen soutiendra ce projet de budget, qui préserve les atouts de l'aviation civile et de l'aéronautique. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Bergé-Lavigne.
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux profiter des quelques minutes qui me sont imparties à l'occasion de l'examen de ce projet de budget annexe de l'aviation civile pour évoquer la restructuration de notre industrie aéronautique. Il s'agit d'un sujet d'actualité sensible, tous les intervenants qui m'ont précédé l'ont souligné.
Vous êtes l'un des ministres chargés du dossier, et je suis l'élue d'un département où l'avion évoque davantage l'emploi que le voyage. De plus, il est normal que la représentation nationale se préoccupe du devenir de cette industrie phare de notre pays, au savoir-faire reconnu dans le monde entier et dont les 30 000 à 40 000 emplois irriguent des régions entières.
Afin de tenir tête à Boeing et parce que l'Europe se construit, nous sommes convaincus de la nécessité de l'intégration, au niveau européen, des industries nationales aéronautiques et spatiales, civiles et militaires.
C'est un bel objectif, exaltant mais difficile à atteindre, très nouveau, pour lequel gouvernements et industriels doivent faire preuve d'imagination, que de construire un projet véritablement européen autour d'une logique industrielle forte, avec le souci de préserver les rapports sociaux et l'emploi, et en regardant de l'autre côté de l'Atlantique non pas pour copier en tout, mais pour analyser les difficultés qui se posent à nos concurrents et éviter, de ce fait, de tomber dans les mêmes travers.
Ainsi, un article du Monde daté du 3 décembre soulignait les difficultés qu'il y avait à manoeuvrer les mastodontes nés des mégafusions. Les salariés en sont les premières victimes. J'en veux pour preuve qu'en deux ans Boeing va licencier 48 000 salariés, soit un sur cinq, malgré des bénéfices confortables.
Le rôle des gouvernements est d'agir là où ils le peuvent pour préparer ces restructurations, en réfléchissant d'abord aux conséquences sur les emplois et sur les conditions de travail des personnels.
C'est dans cette perspective, monsieur le ministre, que je ferai quelques remarques et poserai quelques questions.
Le Britannique BAe sera un actionnaire majeur de la future société européenne ; allié ou propriétaire de DASA, il risque fort d'avoir une position dominante dans le futur groupe européen. Or, les dernières déclarations de sir Ralph Robbins, président de Rolls Royce, qui menace de déménager sa compagnie aux Etats-Unis si la Grande-Bretagne adoptait les directives européennes en matière sociale, ne sont pas faites pour nous rassurer. « Les surcoûts associés aux coûts sociaux de l'Europe sont la dernière chose que nous voulons », a déclaré M. Robbins. « Je ne dis pas cela juste pour Rolls Royce, je le dis pour tous les industriels du Royaume-Uni. »
Dans la phase actuelle de négociation entreprise par les industriels, on parle d'évaluation, de périmètre, d'actions, de taux de participation, de fiscalité. Mais comment se prépare le dossier social, monsieur le ministre ? Qui s'en occupe ?
Du compagnon à l'ingénieur, les salariés de l'aéronautique aiment leur métier et en sont fiers. Pour avoir souvent visité les entreprises d'Aérospatiale et rencontré les personnels, je veux en témoigner ici avec force.
Ils ont compris qu'il fallait bouger pour rester les meilleurs et ils veulent que leur industrie conserve son excellence et la place qui est la sienne.
Cela dit, vous le comprendrez comme moi, monsieur le ministre, ils ne veulent pas - passez-moi l'expression ! - « laisser trop de plumes » dans l'opération et sont vigilants sur l'évolution de leurs statuts.
Restructuration, fusion, privatisation, tout cela passe bien et le Gouvernement, en peu de mois, a beaucoup avancé. Cependant, quelques problèmes affleurent que je souhaite évoquer ici, car ils sont parfois la seule traduction concrète, sur le terrain, de la mutation de notre industrie aéronautique non pas vue par le petit bout de la lorgnette, mais telle que la vivent les personnels.
Pour réussir, il faut donc en parler et, en concertation, Gouvernement, élus et syndicats, tenter de résoudre au mieux ces difficultés, inévitables dans ce vaste mouvement.
Alors que la société Airbus n'est pas encore constituée, que l'on retrouve même des vertus au GIE et que BAe va probablement racheter DASA, ce dernier a déclaré, il y a quelques mois, qu'il ne voulait pas des avions régionaux ATR dans le périmètre Airbus. Exit donc ATR, qui se retrouve filialisé, isolé, fragilisé et, le peu de dynamisme du marché des avions à hélices, avec un avenir incertain.
Monsieur le ministre, je souhaite vous poser un certain nombre de questions à propos d'ATR.
A Toulouse, les personnels travaillant soit sur Airbus, soit sur ATR sont côte à côte et interchangeables. Les ateliers sont voisins et tout le monde a le même statut. Que va-t-il se passer avec la filialisation d'Airbus et d'ATR ? Sur le même site, certains vont-ils faire des heures supplémentaires sur Airbus et d'autres chômer sur ATR ? La mobilité sera-t-elle permise entre les différentes filiales ? Les salariés d'ATR pourront-ils revenir sur Airbus en cas de problèmes économiques ?
En outre, pour survivre, ATR pourra difficilement rester sur la seule niche des avions à hélices. Le lancement de l'Airjet 70 apporterait une bouffée d'oxygène à la filiale, et l'on dit que le gouvernement italien serait prêt à débloquer des avances remboursables. Monsieur le ministre, le gouvernement français va-t-il faire de même ?
La semaine passée, une partie du personnel d'Aérospatiale a cessé le travail pour protester contre la décision prise par la direction de céder des activités de production de Systèmes et Services à Sextant Avionique. Si les salariés comprennent la nécessité de créer un pôle de l'électronique civile et militaire, ils souhaitent cependant qu'Aérospatiale conserve les activités essentielles d'un secteur qui lui a donné une avance technologique - on a parlé à cette tribune de « pépite », de « joyau » - face à la concurrence et un savoir-faire sur les commandes de vol électriques, organes essentiels de l'avion, dont rêvent notre partenaire allemand DASA et même notre concurrent Boeing.
Rappelons-nous, monsieur le ministre, que les atouts de la France en matière d'aéronautique résident notamment dans son savoir-faire.
Aussi, je vous demande d'exercer toute votre vigilance pour que cette opération de transfert d'activités soit menée en concertation totale avec l'ensemble des partenaires sociaux et ne nuise pas aux intérêts industriels futurs d'Airbus-Aérospatiale.
J'ai lu récemment dans la presse que le patron de Matra, M. Jean-Luc Lagardère, avait souligné le caractère erratique de l'activité de la SOCATA, Société de construction d'avions de tourisme et d'affaires, qui fait partie du groupe Aérospatiale, et donc que Matra chercherait à se défaire de cette activité.
Monsieur le ministre, est-ce une rumeur infondée ou une véritable information ?
L'un veut l'avionique, l'autre ne veut pas des avions régionaux, le troisième dédaigne les avions de tourisme ! Tout cela crée un climat fâcheux, alors qu'il faudrait se garder, en ce moment sensible pour notre industrie aéronautique, de donner l'impression que chacun fait son marché, prend ce qui lui plaît, jette le reste et qu'Airbus-Aérospatiale, recherchant une meilleure valorisation financière, se trouve ainsi dépouillé de métiers, de savoir-faire et d'activités.
Il faut donner plus de lisibilité aux opérations de restructuration entreprises, éviter les « pas de polka », tels que celui sur les satellites, où l'on a vu Aérospatiale céder ses satellites à Alcatel pour, quelques mois plus tard, récupérer ceux de Matra !
Je ne peux conclure sans évoquer les derniers rebondissements du feuilleton « société Airbus ».
Nous avons subi depuis quelques mois une charge vigoureuse de nos partenaires sur le mode : « Nous ne ferons pas une société Airbus avec comme partenaire l'Etat français ».
Pour citer M. Bischoff, de DASA : « C'est contradictoire avec les exigences de bonne gestion, en particulier lors de suppressions d'emplois ou de sites. » Vous en conviendrez, monsieur le ministre, voilà une déclaration qui a au moins le mérite de la franchise !
Le Gouvernement, avec sagesse, a fait des pas importants en direction de nos partenaires britanniques et allemands. Mais voilà que BAe et DASA annoncent leur fusion, qui donnerait à cet ensemble plus de 60 % d'Airbus ! Avec ses 38 %, comme il a été dit à cette tribune, Aérospatiale va-t-elle se trouver marginalisée et écartée de toute prise de décision, notamment du choix du site d'assemblage de l'A 3XX ?
On dit que l'actionnaire allemand Daimler, choisissant, depuis le rachat de Chrysler, de se concentrer sur son activité automobile, souhaiterait se séparer de l'aéronautique, qui ne représente qu'une très faible partie des activités de son groupe.
La « fusion » BAe-DASA serait donc plutôt le rachat de l'un par l'autre. En l'occurrence 1 + 1 ne ferait donc pas 2 mais 1. Aérospatiale serait, dès lors, en droit de voir remonter sa participation dans la future société Airbus à égalité avec BAe, de manière convenable pour ses intérêts.
Il serait en effet tragique que les manoeuvres financières BAe-DASA détruisent la réussite d'Airbus.
Le Premier ministre, Lionel Jospin, a déclaré avec force, et à juste titre, que la restructuration de notre industrie aéronautique se ferait selon une logique industrielle. Cette industrie, en effet, ne peut vivre sans projets d'avenir, et nous ne sommes pas persuadés qu'une simple approche financière soit compatible avec le lancement de nouveaux programmes. Lancer des projets plutôt que se payer sur la bête !
Ayant dit cela, vous devinez bien, monsieur le ministre, que je ne conclurai pas mon intervention sans évoquer le projet A 3XX.
La décision de lancement de cet avion n'est pas encore prise, mais étant donné le nombre d'emplois - de 2 000 à 3 000 - que représente la chaîne d'assemblage et l'activité qu'elle infusera, le site d'implantation est l'objet d'une compétition acharnée entre plusieurs régions d'Europe.
Le mode de transport des tronçons de l'appareil sera déterminant pour le choix. La France a tout ce qu'il faut, monsieur le ministre : Saint-Nazaire pour le transport par mer, Toulouse pour le transport par air.
Toulousaine, je plaiderai, bien évidemment, pour ma région, mais en développant des arguments objectifs, relatifs d'abord à l'histoire et à la tradition.
« Toulouse, capitale de l'aéronautique », mes chers collègues, n'est pas un titre usurpé. L'inventeur, d'abord, Clément Ader. Les constructeurs ensuite : Latécoère, Bréguet, Dewoitine, qui implantèrent, à Toulouse et autour, leurs premières usines. Puis les pilotes, les pionniers de l'Aérospatiale : Saint-Exupéry, Mermoz, Guillaumet, qui décollaient des pistes de Montaudran pour porter le courrier vers l'Afrique et l'Amérique du Sud. Les avions, enfin : Concorde, Airbus, qui tous ont fait leur vol d'essai dans le ciel de Toulouse.
Mais l'environnement technologique est l'argument le plus fort qui plaide pour une implantation de la chaîne de l'A 3XX à Toulouse. En effet, bureaux d'études, centre d'essais en vol font que « la compétence et l'expérience sont à Toulouse ».
En Midi-Pyrénées, l'A 3XX est en train de devenir l'affaire de tous, non seulement des Toulousains mais de toute la région, où de nombreuses PMI dépendent du programme Airbus.
Vendredi s'est tenue à Toulouse - je tiens le journal à votre disposition, monsieur le ministre - une conférence de presse qui a rassemblé élus et syndicalistes de tous bords, industriels et institutions pour lancer un appel à une mobilisation générale autour de ce projet.
Concernant l'avenir de l'aéronautique française et européenne, « une dynamique est engagée...
M. le président. Ma chère collègue, je vous demande de conclure.
Mme Maryse Bergé-Lavigne. J'en termine, monsieur le président.
... L'objectif ambitieux vers lequel elle tend requiert la mobilisation de toutes les énergies et une pleine adhésion des salariés d'Aérospatiale, dans le cadre d'un dialogue social approfondi au service de l'emploi. »
Les dernières citations que je viens de faire sontextraites d'un communiqué de presse du Premier ministre.
M. le président. Ma chère collègue, cette fois, je vous demande vraiment de conclure.
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Je vais le faire, monsieur le président. Je vous rappelle tout de même que j'ai fait 800 kilomètres pour être ici, aujourd'hui, dimanche ! (Sourires.)
M. Jean-François Le Grand, rapporteur pour avis. C'est méritoire, avec la grève des trains !
M. le président. Certes, ma chère collègue, mais votre groupe a droit à onze minutes et non à dix-sept.
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Ces propos du Premier ministre, j'y souscris totalement, et tout ce que j'ai dit précédemment dans cette intervention s'inscrit tout à fait dans la démarche du Gouvernement, que je soutiens pleinement. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le président, je vais essayer d'être bref, de façon à rattraper le temps supplémentaire que vous avez accordé par galanterie à Mme Bergé-Lavigne. (Sourires.)
Je tiens tout d'abord - et ce n'est pas une simple formule de politesse - à remercier les rapporteurs, MM. Collin et Le Grand, ainsi que les divers intervenants, M. Robert, Mmes Terrade et Bergé-Lavigne, de leurs propos et de leurs réflexions, mais aussi des propositions qu'ils ont avancées.
MM. Collin et Le Grand ont décrit de manière pertinente les différents éléments du budget de l'aviation civile. Cela me permettra de ne pas y revenir longuement. Je serai donc bref en cette fin d'après-midi dominical. (Sourires.) Mais ce sont tout de même des questions importantes.
Le budget annexe de l'aviation civile représente un peu plus de 8,7 milliards de francs. Il est en très légère augmentation, d'environ 250 millions de francs, soit une progression de moins de 3 % par rapport à 1998. Je vous trouve d'ailleurs sévère sur cette évolution, monsieur le rapporteur spécial. Elle est fort modeste, comparée à la croissance du transport aérien, qui est de 7 % par an. Je vous trouve donc quelque peu pessimiste pour l'avenir, puisque vous semblez dire que cette croissance induit des dépenses futures très importantes. Mais si l'on considère les perspectives - même si chacun sait qu'il y a des fluctuations - on peut penser que le développement des échanges va aller croissant et que notre situation est donc plutôt favorable.
Ce budget est marqué par des gains importants de productivité - 5 % environ - réalisés par les services de l'aviation civile. « Productivité » c'est un mot que vous affectionnez, monsieur Collin, et pas seulement vous, mais également toute la Haute Assemblée !
J'en viens aux choses concrètes, les recettes.
Elles sont bien entendu en augmentation, du seul fait de l'évolution du trafic aérien - 4,7 % pour la principale redevance - mais les compagnies aériennes bénéficieront néanmoins en 1999 d'une baisse des taux unitaires de 3 % à 4 % environ, selon la nature des redevances.
Quant aux passagers, ils ne subiront pas non plus de relèvement des taux unitaires de la partie de la taxe d'aviation civile qui sera affectée à ce budget en remplacement de la taxe de sécurité et de sûreté : nous aurons l'occasion d'y revenir.
Compte tenu de ces évolutions et de ces besoins de financement moins élevés, le recours à l'emprunt diminuera, pour tomber à 830 millions de francs. Mesdames, messieurs les sénateurs, j'espère que vous noterez, à ce propos, le côté sérieux et responsable de ces évolutions.
S'agissant des modalités techniques de l'établissement de l'assiette des redevances, vous avez fait référence, monsieur le rapporteur spécial, à 1789.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial. Belle date !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je vous en félicite. Cette année compte effectivement dans l'histoire de notre pays, en raison de la Révolution française, même si vous êtes enclin à parler plutôt de « réformes » que de « révolution »...
Vous avez relevé que le Gouvernement avait amélioré le dispositif. Des progrès doivent encore être réalisés, j'en conviens. Je ferai analyser en détail les suggestions contenues dans votre rapport avant l'établissement du projet de loi de finances pour l'an 2000.
J'en ai terminé avec les recettes.
Les dépenses n'appelleront pas non plus de longs développements de ma part.
Les dépenses de fonctionnement des services connaissent une hausse modérée de 1,9 %. La progression est plus importante - un peu plus de 5 % - pour les seules dépenses de personnel.
Je sais que la réflexion récurrente au Sénat à propos de ce budget consiste à dire que ce sont encore des dépenses de fonctionnement. J'appelle votre attention sur le fait que cette augmentation des dépenses correspond à la création de 227 emplois pour faire face au développement de l'activité. Nous devrions être unanimes à nous réjouir de cette situation : créer des emplois parce que l'activité se développe n'est-ce pas là notre mission, à nous tous, femmes et hommes politiques ?
Mme Hélène Luc. Voilà bien longtemps que ce n'était pas arrivé !
M. le président. Madame Luc, n'interrompez pas M. le ministre !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Certes, monsieur le président, mais cette interruption était tout à fait pertinente ! (Sourires.)
Il s'agit, me direz-vous, de compenser les départs à la retraite, qui seront plus nombreux dès l'an 2000, c'est vrai ! Mais je vous réponds qu'il me faut aussi tenir compte des délais de formation. Je ne veux pas - je vais passer du ciel à la terre - retrouver une situation comparable à celle de la SNCF aujourd'hui, où, faute d'avoir anticipé la croissance du trafic et les délais nécessaires de formation, les difficultés sont patentes.
Non ! je ne veux pas me trouver devant cette situation.
Je préfère, dans une perspective de croissance du transport aérien, anticiper. Je connais le nombre des départs à la retraite ; je connais les délais de formation ; je crée donc 227 emplois supplémentaires pour y faire face. Franchement, qui peut, sur telle ou telle travée, considérer qu'il ne s'agit pas là d'une bonne politique ?
Je relève au passage que le coût du seul protocole social ne représente pas une augmentation des charges de personnels de 13 % sur trois ans, monsieur Colin, mais très exactement de 5,4 % sur trois ans.
Dans le domaine de la sûreté, qui est l'une des priorités de ce budget, les subventions en faveur des exploitants d'aéroports augmenteront de manière significative, pour atteindre près de 80 millions de francs. Sur un certain nombre de plates-formes en effet, ainsi que vous l'avez dit, il conviendra de suppléer, en 1999, le départ de la DICCILEC en matière d'inspection-filtrage des passagers.
Avec un peu moins de 1,7 milliard de francs, les dépenses d'investissement du budget annexe diminuent de plus de 10 %. Vous avez d'ailleurs cité un taux plus élevé, monsieur Collin.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial. J'ai dit 12 % !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Aux yeux du Gouvernement, il ne s'agit pas de restreindre l'effort d'investissement, qui, j'en suis d'accord avec vous, reste indispensable, compte tenu de la croissance du transport aérien, comme je viens de le souligner. Mais, honnêtement, des ajustements semblaient possibles pour l'année 1999, notamment en matière de navigation aérienne, dès lors que de nombreuses opérations de modernisation sont d'ores et déjà partiellement réalisées !
S'agissant maintenant des crédits ouverts sur le BCRD, le budget civil de recherche développement, pour aider la construction aéronautique, qui a été évoquée par plusieurs d'entre vous, le projet de budget maintient le même niveau d'effort que l'an passé, avec 1,8 milliard de francs, ce qui confirme une continuité en matière d'autorisations de programmes. L'Etat se sera ainsi donné les moyens de poursuivre sa politique de soutien aux programmes aéronautiques.
Il s'agit d'abord des programmes en cours de réalisation, comme l'Airbus A 340-500 et l'Airbus A 340-600.
Il s'agit ensuite de la préparation des programmes futurs, au premier rang desquels le très gros porteur A 3XX - Mme Bergé-Lavigne en a parlé.
Le Gouvernement, je vous le confirme, a marqué et marque tout son intérêt pour ce programme, et je vous assure que, lors de chaque réunion des « ministres Airbus » - d'ailleurs, à l'instar de ce qui se fait à l'Assemblée nationale et au Sénat, un compte rendu un peu officiel serait le bienvenu ; ainsi, tout le monde saurait ce qui se dit - j'interviens pour affirmer ma détermination et celle du Gouvernement pour ce qui est de la réalisation de ce programme.
Je suis bien sûr très attentif, avec le Gouvernement, aux discussions concernant le choix du site de la chaîne d'assemblage. Je considère, comme vous, que le projet industriel élaboré par Aérospatiale à partir du site toulousain est assez convaincant pour être retenu par l'ensemble des industriels européens. Evidemment, cela reste à concrétiser. Mais cette bataille-là, nous sommes décidés à la mener et à la gagner.
Il s'agit également de trouver un successeur aux avions de transports régionaux, ATR, et ses moteurs associés. Le Gouvernement est prêt à s'engager dans une politique de soutien dès le budget pour 1999.
En ce qui concerne les crédits de recherche dont a besoin la SNECMA pour étudier les indispensables innovations techniques, je tiens à rassurer M. Collin : le budget contient une part significative au bénéfice de notre motoriste.
Je me suis rendu aux Etats-Unis. J'ai discuté avec les responsables de General Electric, société qui, vous le savez, travaille en partenariat pour 50 % avec une importante entreprise américaine et pour 50 % avec une entreprise publique française. La question qui est posée est la suivante : comment poursuivre et développer, notammeent intégrer les innovations nécessaires dans le domaine de la motorisation ? C'est cette évolution qui est aujourd'hui à l'ordre du jour.
S'agissant des entreprises aéronautiques, le Gouvernement et les entreprises sont engagés dans une négociation de haute portée stratégique.
La concurrence internationale est très vive dans ce domaine. Vous connaissez, comme moi, les difficultés que connaît le groupe Boeing-McDonnell-Douglas. Nous devons à tout prix resserrer les liens qui nous unissent à nos partenaires et construire un groupe européen capable d'affronter la concurrence, bien sûr, mais aussi et surtout de se développer et de moderniser son activité. C'est un facteur de développement pour chacun de nos pays, un facteur d'emploi et un facteur de progrès technologique et industriel.
Le Gouvernement, vous le savez, s'est prononcé en faveur de la transformation du GIE Airbus en société de plein exercice et pour la création d'une entreprise européenne compétente pour toutes les activités aérospatiales.
Cette réforme implique - j'insiste sur ce point - que les pouvoirs soient répartis de manière à respecter les équilibres actuels issus des capacités et des compétences de chacun dans les nouvelles structures, sans donner à un acteur ou à un groupe d'acteurs la possibilité d'être dominant dans le nouvel ensemble.
C'est une position raisonnable, que le Gouvernement est décidé à maintenir fermement et dont on ne le fera pas changer.
La France est pour cette raison attachée à ce que cette société soit réalisée avec l'ensemble des industriels européens du secteur.
Mme Bergé-Lavigne, vous connaissez la préférence du Gouvernement pour un rapprochement et une négociation à trois ou, plus exactement, à quatre puisque il ne faut pas l'oublier, l'espagnol CASA est partie prenante d'Airbus Industrie.
Les trois grands partenaires sont l'allemand DASA, British Aerospace et Aérospatiale.
Toutefois, le contexte évolue.
S'il y a fusion de BAe et de DASA, le Gouvernement, comme M. Lionel Jospin l'a déclaré en marge du sommet franco-britannique, devra négocier avec un interlocuteur et non plus avec deux pour maintenir les équilibres entre les nations, les potentiels industriels, les savoir-faire, les emplois et les localisations.
Sur cette question, madame Terrade, le Gouvernement a déjà montré des signes forts, comme vous l'avez souligné, avec le rapprochement d'Aérospatiale, Lagardère et Dassault.
Je tiens à dire devant la représentation nationale que la part du capital public ne peut être perçue comme un obstacle à la constitution de la société européenne. D'ailleurs, sachez que cette question ne vient jamais dans les discussions que les industriels ont entre eux.
Je fais cette remarque en raison de tout ce qui peut se dire en la matière et de l'agitation politicienne qui existe autour de ces problèmes. Quand les industriels parlent entre eux, ils n'évoquent jamais la nature du capital.
Madame Bergé-Lavigne, les « compétences systèmes » sont un des fleurons de l'industrie française. Les discussions que mènent Aérospatiale et Sextant visent à favoriser le développement de cette activité, cela dans un contexte de croissance de Sextant et de l'implantation de cette entreprise à Toulouse, ce qui renforcerait encore le pôle aéronautique toulousain. J'y suis particulièrement attaché.
J'apporterai à présent quelques éléments sur les plates-formes aéroportuaires, puisque plusieurs d'entre vous ont évoqué cette question.
A la suite de la décision prise en 1997 de construire deux nouvelles pistes à Roissy, décision que je crois...
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Très bonne décision, monsieur le ministre.
M. Yvon Collin, rapporteur spécial. Excellente.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. J'attendais cette remarque.
Cette décision a été d'autant plus remarquable que nous avons su, à l'enjeu économique, à celui de l'emploi, ajouter l'enjeu de l'environnement. Quand nous avons pris cette décision, j'ai pris l'engagement de plafonner les nuisances sonores à Roissy.
Cet engagement a été tenu dès cette année. Malgré une augmentation du trafic aérien de 7 %, le volume d'énergie sonore est en effet demeuré constant.
J'ai également pris l'engagement de mettre en place une autorité indépendante chargée d'assurer le contrôle des nuisances sonores et la transparence de l'information relative au bruit.
Cet engagement est tenu, puisque le conseil des ministres du 7 octobre dernier a adopté un projet de loi portant création d'une autorité de contrôle technique de l'environnement sonore aéroportuaire, l'ACTESA.
Mme Hélène Luc. C'est bien ! Il y a tant d'années que nous le demandions !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. J'ai tenu à évoquer cette question des pistes de Roissy parce que son traitement est exemplaire de la méthode du Gouvernement, à la fois par le respect des engagements et de la parole donnée, et par la concertation qui a été menée et qui est encore menée avec tous les partenaires concernés. Ainsi, je réunis régulièrement des tables rondes auxquelles participent toutes les personnes intéressées.
J'ai bien entendu votre impatience, monsieur Le Grand, de voir le projet de loi portant création de l'autorité indépendante venir en discussion devant le Parlement. Je vous assure que je partage votre souci.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur pour avis. Le texte sera-t-il inscrit à l'ordre du jour ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je ne suis pas encore en mesure aujourd'hui de vous annoncer le calendrier précis, mais sachez que je souhaite autant que vous voir cette discussion s'engager rapidement devant le Parlement.
S'agissant de Roissy, l'extension de la capacité d'accueil de trafic sera assurée grâce à la création de deux nouvelles pistes le doublet sud, qui comprend une des anciennes pistes, entrera en service en avril prochain, ou au plus tard au mois de mai ; il permettra, je l'espère, d'accroître de 15 % le trafic sur Roissy.
Cela doit nous conduire à mieux organiser et réguler la croissance du trafic aérien, de manière à satisfaire le plus grand nombre possible de demandes de créneaux, sans, je le répète, accroître le niveau des nuisances sonores subies par les riverains.
C'est un véritable défi que nous avons publiquement choisi de relever, et c'est dans cette perspective, avec les difficultés que vous avez soulignées, madame Terrade, et que je ne sous-estime pas plus que vous, que se poursuit l'examen du projet visant à optimiser l'utilisation des aéroports d'Orly et de Roissy.
J'entends ce que l'on me dit, tout ce que l'on me dit, et j'y suis très attentif. M. Robert a évoqué le sujet, vous-même, madame Terrade, et d'autres encore.
Soyez assurés que l'objectif qui est le mien, et celui du Gouvernement, est de créer les conditions pour que l'on sorte d'une situation qui, malheureusement, s'est traduite pendant trop longtemps par une vision déséquilibrée du développement des aéroports en région parisienne.
Je le répète, je suis favorable à ce que nous allions vers une vision positive des deux aéroports. Cela implique que l'on accepte la synergie entre Roissy et Orly sur laquelle le Gouvernement s'engage.
Si cette synergie est acceptée, je puis vous assurer que le premier des deux objectifs que je fixe, avec des garanties, c'est non pas simplement de mettre fin au déclin d'Orly, monsieur Robert, ni même de maintenir l'activité, mais de...
Mme Odette Terrade. ... développer !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Exactement ! Mon objectif, c'est le développement.
Je ne veux ni stagnation ni déclin de cet aéroport. J'ai, au contraire, l'ambition de le développer, alors que ce n'était pas le cas, malheureusement, depuis plusieurs années, quand certains voulaient réserver Orly à l'espace Schengen.
Quand je parle de vols à 5 000 kilomètres, je suis dans l'intercontinental ! Ne faites pas comme si ce n'était pas le cas.
Et quand je parle de répondre aux besoins à la fois intérieurs et européens, des besoins en dessertes de point en point, c'est pour répondre à une demande des chambres de commerce et d'industrie françaises.
Nombreux sont ceux qui se plaignent, tant en France qu'à l'étranger, de ne pouvoir atterrir à Orly du fait d'un nombre de crénau limité.
Ne faisons pas comme s'il s'agissait d'un débat ou d'un conflit entre telle ou telle compagnie internationale et telle ou telle compagnie nationale.
Il s'agit de jouer la carte de deux grands aéroports en région parisienne, aéroports qui ont tous deux vocation à se développer.
Et je n'oublie pas que, derrière la question du développement de ces deux aéroports, se profilent aussi la question de l'activité économique et donc de l'emploi dans le Val-de-Marne et dans l'Essonne, en même temps que celle des moyens de communication entre Orly et Roissy.
C'est tout cela qui est en jeu, et il faut se dégager de toute vision, de toute perception de l'évolution sous l'influence de tel groupe de pression ou de tel lobby.
Si je m'exprime de façon directe, c'est parce qu'il s'agit d'un enjeu important, et j'espère que nous saurons le relever. Sans la volonté des partenaires intéressés, on n'y parviendra pas.
Le deuxième objectif pour optimiser l'utilisation des aéroports d'Orly et de Roissy est de mieux satisfaire la demande des compagnies aériennes.
Vous le savez, ce sont des dizaines de milliers de créneaux supplémentaires qui sont demandés à Orly et qui, en l'état actuel des choses, ne peuvent être accordés.
Monsieur Robert, ce n'est pas seulement le problème des liaisons avec les Etats-Unis qui se pose, mais celui de toutes les liaisons avec les villes de province, ou des liaisons intercommunautaires et au-delà, comme je viens de le dire.
D'ailleurs, je vous encourage franchement à demander à toutes les chambres de commerce et d'industrie, y compris européennes, d'écrire une lettre à tous les sénateurs, à tous les députés et au Gouvernement pour leur faire savoir leur volonté d'établir une liaison avec Orly.
Je n'ai pas encouragé ce genre d'attitude, mais je veux que vous sachiez que la demande existe.
C'est un dossier difficile, j'en conviens. Les premières réunions que j'ai organisées l'ont bien montré.
En effet, la crainte de la poursuite du déclin, de la perte d'activités et de suppression d'emplois prédomine. Pour ma part, ce que je veux, c'est justement le contraire.
C'est un dossier difficile, disais-je, comme l'ont montré les récentes réunions des conseils d'administration d'Aéroports de Paris et du Conseil supérieur de l'aviation marchande, que préside M. Le Grand.
Les élus, les compagnies aériennes, les syndicats sont inquiets, en raison des tendances lourdes et négatives du passé. Le développement de l'emploi et l'animation économique du pôle de développement que constitue la zone d'Orly-Massy-Saclay sont en jeu.
Aucun dossier n'est facile au départ. Pensez à la décision d'augmenter le nombre des pistes à Roissy, au début.
Je dois très prochainement - le 14 décembre - réunir une nouvelle table ronde avec tous les partenaires, représentants des élus, des syndicats, des riverains, des compagnies aériennes, des chambres de commerce, du CSAM, d'Aéroports de Paris et du conseil économique et social régional pour confronter les points de vue et faire, je l'espère, émerger des rapprochements et des solutions.
S'agissant enfin d'Air France, je me réjouis des résultats semestriels qui viennent d'être publiés par la compagnie : un excédent de 1,3 milliard de francs. Ce chiffre, qui, avez-vous dit, est inférieur à ce qu'il aurait dû être s'il n'y avait pas eu la grève du printemps dernier, montre bien la poursuite du redressement de l'entreprise.
A l'issue de ce conflit - bien sûr, j'aurais préféré qu'il n'ait pas lieu - la direction d'Air France, plus précisément M. Spinetta, le syndicat des pilotes pour une part et moi-même - disons-le modestement - nous sommes beaucoup investis, ce qui débouche, mesdames, messieurs les sénateurs, sur une situation nouvelle plus favorable.
Le redressement d'Air France est plus solide et repose désormais sur des bases plus saines, y compris en termes de rapports sociaux, en tout cas entre les pilotes et la compagnie.
Air France peut maintenant aller plus loin et entreprendre le programme de renouvellement de sa flotte de l'ordre de 40 milliards de francs que l'entreprise s'est fixé, renouvellement qui est indispensable au maintien de son développement et à l'amélioration de ses résultats.
Sa stratégie s'appuie sur un certain nombre d'accords, dont celui qui vient d'être passé avec les pilotes bien sûr, mais aussi un accord passé avec M. Alain Richard, ministre de la défense, pour une meilleure utilisation de l'espace aérien. Ce dernier accord n'était pas acquis. Il entrera en vigueur dès le mois de février 1999, notamment pour les parties est et nord de la France, ce qui va libérer des potentialités plus importantes pour la navigation aérienne civile.
Notons aussi le nouvel accord franco-américain. Depuis 1992, il y avait rupture. On m'avait prédit, y compris dans cet hémicycle mais je ne citerai pas de nom qu'à cause du Gouvernement, à cause du ministre, il serait très difficile de parvenir à un accord avec les Américains.
Eh bien, le nouvel accord franco-américain a été signé. Et, je vous l'assure, ce n'est pas un accord de libéralisation totale, puisqu'il ne porte pas sur les sixième et septième libertés. C'est, au contraire, un accord réciproquement avantageux. Chaque fois que les Américains gagnent une fréquence, nous en gagnons également une. Cela nous permettra d'augmenter notre trafic de 15 % en direction des Etats-Unis dès 1999. C'est donc positif.
Enfin, il y a l'accord, dont je viens de parler, intervenu entre la direction d'Air France et le syndicat national des pilotes de ligne. Les pilotes vont, eux aussi, après d'autres catégories de salariés, contribuer à la dynamique de développement de l'entreprise. Ils vont permettre à celle-ci de remplir ses objectifs d'amélioration de l'autofinancement par la limitation de leur salaire, en contrepartie notamment de l'échange volontaire salaire-actions et de l'abandon de la double échelle des salaires, qu'ils exigeaient.
Sur ce point, madame Terrade, je peux vous rassurer et vous préciser que, dans le cadre de cet accord, il est proposé à chaque pilote volontaire de souscrire à un mécanisme lui permettant de se couvrir contre les fluctuations de la valeur de l'action Air France.
L'accord d'octobre dernier contient également une disposition qui impose aux pilotes de garder 100 % de leurs actions pendant les deux premières années et 80 % de leurs actions pendant les trois années suivantes.
Tous ces accords sont équilibrés. Ils permettent de rétablir un climat de confiance dans l'ensemble de l'entreprise, ce qui, nécessairement, aura un effet favorable sur la valorisation de l'entreprise.
Les modalités techniques de l'ouverture du capital de la société sont en cours de mise au point pour une introduction en bourse de 20 % du capital qui devrait avoir lieu au premier trimestre de 1999.
Je voudrais vous redire enfin mon attachement au statut public d'Air France. Dans les conditions qui étaient celles d'Air France en 1994, une entreprise privée aurait sûrement disparu, avec un coût social très important pour la collectivité.
Grâce à la recapitalisation et aux efforts de l'Etat actionnaire - 20 milliards de francs, je vous le rappelle - cette entreprise a aujourd'hui un avenir. Elle a fait la preuve qu'une entreprise publique ouverte pouvait se redresser, se situer au rang des très grandes entreprises, tout en innovant en matière de rapports sociaux et en répondant aux attentes de sa clientèle par des produits de qualité.
En se redressant, Air France a su nouer des liens très forts de coopération avec nombre de compagnies étrangères.
Certains me disent qu'Air France n'aurait pas la possibilité de conclure d'alliances à cause de son statut. Je leur demande simplement de constater qu'avec 28 alliances, Air France est la compagnie qui a le plus grand nombre d'accords au monde.
Je partage toutefois le point de vue de M. Le Grand quand il dit qu'il faut aller plus loin et renforcer les alliances stratégiques. Je sais que cette compagnie est très courtisée et que nous devons saisir l'opportunité que nous offrent, dans le concert international, à la fois la place de la France, la place de la compagnie elle-même et la place de nos aéroports parisiens, avec Roissy et ses nouvelles pistes, pour jouer cette carte du développement des alliances.
M. le président. Monsieur le ministre, je suis très gêné de vous interrompre parce que ce n'est pas la tradition de limiter le temps de parole du Gouvernement. Mais les débats budgétaires sont plus encadrés que les autres et nous sommes en train de dépasser un peu trop les limites fixées.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je ne savais pas que mon temps de parole était si limité. Je vais donc en terminer.
Comme l'a rappelé récemment M. le président Spinetta, il conviendra de construire une alliance globale et de clarifier la stratégie d'Air France par rapport à ses partenaires, notamment ses partenaires américains : elle devra choisir entre Delta et Continental Airlines. Ce devra être un des objectifs de 1999.
M. Robert à évoqué la question des ventes hors taxes. J'y reviendrai à propos du budget de la mer, puisque cette question se pose également dans ce domaine.
Enfin, messieurs les rapporteurs, vous avez évoqué un dossier connexe à notre débat budgétaire, celui des redevances aéroportuaires. Permettez-moi de ne pas vous répondre en l'instant, sinon je dépasserais mon temps de parole. Renvoyons le débat, que je tiens à faire progresser, à la discussion de l'article 85 du projet de loi de finances, qui va être appelé dans quelques instants. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes. - MM. Fourcade et Robert applaudissement également.)
M. le président. Je rappelle au Sénat que les crédits concernant le transport aérien et la météorologie, inscrits à la ligne « Equipement, transports et logement », seront mis aux voix aujourd'hui, à la suite de l'examen des crédits affectés à la mer.