Séance du 7 décembre 1998







M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant le ministère de la justice.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, dans le projet de loi de finances pour 1999, les crédits consacrés au ministère de la justice s'élèvent à 26,3 milliards de francs, soit une augmentation, qui mérite d'être soulignée, de 5,6 % par rapport à 1998.
Tous les secteurs sont concernés par cette hausse puisque l'administration centrale voit ses crédits augmenter de 3,4 %, les services judiciaires de 5,7 %, les juridictions administratives de 4,9 % à structure constante, les services pénitentiaires de 5,8 % et les services de la protection judiciaire de la jeunesse de 6,4 %. Du point de vue des crédits, ce budget est un bon budget, comme l'était d'ailleurs déjà celui de l'année dernière.
Dans quelques instants, Mme Derycke, MM. Othily et Gélard analyseront les crédits affectés aux différents services relevant du ministère de la justice. Je n'interviendrai donc pas sur ces sujets.
Je vous renvoie, mes chers collègues, à mon rapport écrit pour plus de détails sur l'évolution des crédits. J'en viens donc d'emblée à mes observations. Celles-ci s'appuient sur une situation bien antérieure à votre arrivée au ministère, madame la ministre. Je suis de ceux qui estiment que la justice mérite mieux qu'une approche partisane ou politicienne.
Contrairement à notre regretté collègue Edgar Faure, qui se plaignait que la discussion budgétaire au Parlement ne soit que litanies, liturgie et léthargie, je me réjouis, madame le garde des sceaux, que vous ayez repris certaines observations que je formule depuis trois ans. Voilà qui prouve que notre travail n'est pas toujours aussi vain que certains pourraient le penser.
Ainsi, toute une série de mesures ont été prises pour lutter contre l'explosion des frais de justice.
De même, la réforme des tribunaux de commerce semble désormais être amorcée, tandis qu'une mission interministérielle chargée de la réforme de la carte judiciaire devrait remettre ses premières conclusions dans quelques mois.
Le projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits répond au souci, que j'avais exprimé dans mon rapport l'année dernière, de distinguer accès au droit et accès à la justice, d'une part, et de favoriser les voies de médiation, de conciliation et de transaction, d'autre part.
Enfin, je tiens à souligner que le renforcement de la troisième voie préconisé dans mon rapport sur le classement sans suite a trouvé tout récemment sa traduction dans un projet de loi.
Il me faut toutefois nuancer mon propos en rappelant que, dans ce rapport, j'avais émis toute une série de recommandations pour améliorer l'outil informatique et statistique, pour renforcer la coopération entre les services faisant partie de la chaîne de prévention, d'enquête, de poursuite, de jugement et d'exécution des décisions de justice, pour augmenter la fluidité des informations, pour renforcer le rôle actif du parquet dans la lutte contre la délinquance, pour rendre l'exécution des peines plus effective, pour lutter contre la délinquance des mineurs et, enfin, pour développer une nouvelle politique pénale.
Quelles suites comptez-vous donner, madame la ministre, à l'ensemble de ces recommandations qui ont été adoptées, je le précise, à l'unanimité par la commission des finances ?
Je souhaite également m'arrêter quelques instants sur l'activité des juridictions. A l'exception des conseils de prud'hommes, elles ont toutes enregistré une baisse du nombre des affaires dont elles ont été saisies. Pour autant, seule la Cour de cassation voit diminuer le stock des affaires qu'elle est amenée à juger.
En outre, les objectifs en matière de délais fixés par la loi de programmation pour le règlement des affaires civiles sont loin d'être atteints. Au contraire, ces délais ont curieusement tendance à s'allonger de nouveau.
Comment expliquez-vous ce phénomène alors même que les moyens prévus par la loi de programmation relative à la justice ont été budgétés, donc mis à la disposition des juridictions ? Le budget de la justice serait-il un puits sans fond ?
A propos des statistiques qui m'ont été fournies par la chancellerie, on peut s'étonner que les seuls chiffres dont disposent vos services, madame la ministre, concernent l'activité des juridictions en 1997, alors que la discussion du budget intervient en décembre 1998. Cela signifie que l'outil informatique ne permet pas d'élaborer des tableaux de bord mensuels sur l'activité des juridictions pourtant indispensables aussi bien pour la chancellerie que pour les chefs de cour afin d'établir des comparaisons en glissement annuel, d'améliorer la gestion des flux et de disposer ainsi, en permanence et en temps réel, d'un véritable tableau de bord de l'activité judiciaire.
Je souhaite également aborder devant vous, madame la ministre, les dysfonctionnements existant dans la gestion des ressources humaines du ministère de la justice. Trop souvent, les chefs de cour nous disent, à l'occasion d'auditions, de rencontres et de contrôles, que les rapports, souvent circonstanciers, qu'ils adressent à la direction des services judiciaires ou à la direction de l'administration générale, voire aux deux, ne servent à rien. Ils ne reçoivent même pas un accusé de réception, ne serait-ce qu'oralement. Il conviendrait, madame la ministre, de rationaliser les relations entre l'administration centrale et les cours d'appel et de faire en sorte que les services du ministère réagissent plus rapidement.
La récente nomination de M. Claude Hanoteau à la tête de l'Ecole nationale de la magistrature m'apparaît comme une volonté de renouveau des méthodes et des pratiques de cette école qui mérite d'être saluée. L'Ecole nationale de la magistrature doit, en effet, devenir à brève échéance le lieu de formation de l'ensemble des magistrats professionnels ou occasionnels, comme les magistrats consulaires ou les conseillers prud'homaux, en un mot une grande école ouverte sur l'international et sur les réalités de la vie. En effet, la qualité des magistrats dépend en grande partie de la qualité du recrutement et de la formation initiale et permanente qu'ils reçoivent.
Je souhaite attirer votre attention, madame la ministre, sur le niveau de recrutement des maîtres de conférences qui doivent disposer d'une grande expérience professionnelle. Il m'a été dit, par exemple, que la cooptation était devenue la règle à partir de réseaux d'amitié mais aussi pour des motifs de convenance personnelle, tels que la volonté de s'installer d'une manière quasi pérenne dans cette belle région du Sud-Ouest. Il serait intéressant que l'inspection générale des services judiciaires vérifie la réalité de ces allégations.
L'Ecole nationale de la magistrature attirera d'autant plus de maîtres de conférences de talent qu'elle servira de tremplin à leur carrière. C'est pourquoi je suis favorable à l'instauration d'un dispositif pouvant s'apparenter à une sorte de contrat de carrière avec les maîtres de conférences afin, bien sûr, d'attirer les meilleurs éléments. Que pensez-vous de ces propositions, madame la ministre ?
Je tiens également à vous faire part de mes plus vives préoccupations quant au nombre très insuffisant des recrutements extérieurs qui résulte sans doute d'un réflexe corporatiste des instances de recrutement, comme si le concours était le seul moyen de recruter des magistrats de qualité.
En ce qui concerne le recrutement par intégration directe, les chiffres parlent d'eux-mêmes. Depuis 1993, le nombre de candidats admis ainsi a fortement chuté puisqu'il est passé de 66 en 1987, à 43 en 1993, à 13 en 1994, à 8 en 1995, à 10 en 1996 et à 15 en 1997. On peut s'interroger. Que se passe-t-il ? Peut-être la carrière n'attire-t-elle pas de bons éléments ?
De même, la loi organique du 19 janvier 1995 a introduit, sur proposition du Sénat, des dispositions permettant le recrutement de magistrats exerçant à titre temporaire. Comme pour les personnes intégrées directement, le nombre de magistrats temporaires est quasiment insignifiant puisqu'il était de huit en 1993, de deux en 1994, de quatre en 1995, de trois en 1996 et de deux en 1997.
De deux choses l'une : soit les candidats sont en nombre insuffisant ou ne présentent pas les qualités requises, soit les services judiciaires s'ingénient à faire en sorte que la réforme voulue par le législateur reste lettre morte.
Or, ce mode de recrutement me paraît de loin préférable à l'organisation au coup par coup de concours exceptionnels, à laquelle, nous le savons, vous êtes souvent contrainte. On constate, depuis vingt ans, une totale imprévision dans la programmation des recrutements. L'incapacité à évaluer les besoins conduit donc à une improvisation regrettable.
A cet égard, madame la ministre, pourriez-vous nous préciser les modalités de recrutement des magistrats nécessaires à la mise en oeuvre de la réforme des tribunaux de commerce et de la détention provisoire ?
Je tiens également à regretter le manque de transparence des effectifs à la disposition du ministère de la justice. En effet, les effectifs budgétaires et leur affectation, juridiction par juridiction, ne constituent qu'un élément d'information. Il faut également tenir compte des vacances de postes et des mises à disposition, mais également des surnombres. Les mises à disposition, me semblent dissimuler les besoins réels de l'administration. En effet, il s'agit de répondre à des besoins structurels qui ne peuvent être comblés par des mesures conjoncturelles.
A cet égard, l'exemple des secrétaires généraux est révélateur. La plupart des premiers présidents et les procureurs généraux ont vu leurs tâches se multiplier, à la suite de la déconcentration des crédits et du transfert des charges de toutes sortes qui en est résulté. Pour pouvoir assumer ces nouvelles fonctions, ils se sont entourés d'un secrétaire général chargé de les assister dans la gestion de leur juridiction.
Or la référence au secrétaire général ne figure dans aucun texte ou circulaire si ce n'est pour les juridictions parisiennes. Il est donc souhaitable d'officialiser ces postes qui sont indispensables au bon fonctionnement des juridictions.
D'une manière plus générale, il me paraît indispensable de recenser les postes occupés par des mises à disposition et de leur donner une traduction budgétaire s'ils répondent, ce qui est le plus souvent le cas, à des besoins permanents et nécessaires. Peut-on en effet, par exemple, nier la nécessité de disposer de magistrats de liaison avec un certain nombre de pays de l'Union européenne, voire de pays extérieurs à l'Europe ? Ces fonctions sont indispensables si l'on veut, comme vous l'avez souhaité au colloque d'Avignon, donner corps à la coopération judiciaire internationale qui est si nécessaire pour lutter efficacement contre le crime organisé et le blanchiment de l'argent sale.
J'en viens maintenant au tribunal de grande instance de Paris, auquel j'ai décidé de consacrer cette année mon étude thématique, et ce pour deux raisons.
D'une part, j'ai voulu montrer que les statistiques devaient être utilisées avec précaution. Dans le cas présent, une analyse de la chancellerie avait révélé une productivité beaucoup plus faible dans le tribunal de grande instance de Paris que dans les autres tribunaux de province. Or, si ces chiffres constituent des éléments d'appréciation du fonctionnement d'une juridiction, ils ne permettent pas de comparer des tribunaux lorsque la structure de leurs contentieux est différente.
C'est le cas du tribunal de grande instance de Paris qui est confronté à des affaires particulièrement complexes en matière de brevet, de propriété littéraire et artistique et qui a une compétence nationale dans de nombreux domaines comme le terrorisme, les affaires à caractère politique ou médiatique et la délinquance économique.
D'autre part, j'ai souhaité me pencher sur les besoins du tribunal de grande instance de Paris pour montrer que, si nous pouvons tous nous réjouir de l'augmentation du budget de la justice, l'effet réel de cette hausse de crédits ne se fait pas toujours sentir à la base, c'est-à-dire dans les juridictions.
Les besoins du tribunal de grande instance de Paris sont considérables, que ce soit en matériel et en logiciel informatiques, en personnels ou en locaux.
S'agissant de l'informatique, outre les modernisations nécessaires, je tiens à rappeler que cette juridiction ne dispose même pas, ce qui est assez curieux, d'un ingénieur en informatique. Cette situation me paraît insensée. Ce poste doit donc être occupé par un magistat. Or, le rôle d'un magistrat est de juger et non de faire de l'informatique, même s'il a vocation à utiliser l'outil informatique. Envisagez-vous, madame la ministre, de remédier à cette situation ?
Par ailleurs, comment ne pas qualifier - n'interprétez pas mal le mot que je vais employer - de fictifs certains emplois ? Leurs titulaires sont en effet affectés à d'autres services et à d'autres administrations sans aucun rapport avec les activités de la juridiction qui les rémunère.
Ainsi, alors que l'effectif budgétaire des magistrats du siège à Paris s'élève à 337 postes, l'effectif réel se réduit à 302. Quant au parquet, 109 magistrats travaillent sur le papier au tribunal alors qu'ils ne sont, en réalité, que 94. Enfin, le tribunal de grande instance dispose officiellement de 778 greffiers, mais seuls 621 y travaillent réellement. Une telle situation n'est pas gérable.
S'agissant des locaux, un chiffre suffit pour révéler l'importance du malaise. Alors que 74 881 mètres carrés, d'après ce qui m'a été dit, seraient nécessaires pour satisfaire les besoins du tribunal de grande instance de Paris, celui-ci ne dispose que de la moitié de cette surface. En outre, les locaux sont dans un état vétuste et parfois même dangereux pour les personnes qui fréquentent le palais de justice.
Quelles sont, madame la ministre, les mesures que vous envisagez de prendre pour remédier à cette situation ? Vos services travaillent-ils sur un projet de construction d'un nouveau bâtiment à la hauteur de la renommée du plus grand tribunal d'Europe ?
Par ailleurs, la loi de programmation arrivant à son terme, je me félicite du bilan globalement positif de son exécution. Vous avez même procédé à certains rattrapages. Je m'inquiète, toutefois, des résultats assez médiocres en ce qui concerne les effectifs de l'administration pénitentiaire, puisque seuls 46 % des emplois prévus ont été créés.
Comment expliquez-vous ce résultat, madame la ministre, dans un domaine où les droits de l'homme sont parfois, et depuis si longtemps, malmenés ?
La commission des finances m'a d'ailleurs mandaté pour effectuer, avec mon collègue Georges Othily, à partir du printemps 1999, une mission de contrôle, sur pièces et sur place, sur l'ensemble des services pénitentiaires.
J'ajoute que, face aux besoins encore importants auxquels est confrontée la justice, il me paraît nécessaire de voter une nouvelle loi de programmation pour la justice afin d'achever l'entreprise de réhabilitation de cette mission régalienne de l'Etat.
Envisagez-vous, madame la ministre, une nouvelle loi de programme pour la justice ou tout autre solution permettant d'améliorer la visibilité et la lisibilité des objectifs recherchés ainsi que de l'effort budgétaire à consentir pour y parvenir ?
Je souhaite maintenant évoquer les études d'impact. Tout projet de loi doit être accompagné d'une étude de l'impact financier d'une réforme. Vous avez fort justement différé l'indispensable réforme des cours d'assises en l'absence des moyens nécessaires pour la mettre en oeuvre. Or, je constate que les études d'impact menées par les services de la chancellerie sur les projets de lois ne sont pas toujours très réalistes et n'associent pas suffisamment - et parfois pas du tout - les cours et les tribunaux à ces travaux d'évaluation.
C'est pourquoi je propose que, chaque fois que le Parlement est saisi d'un texte important dans le domaine de la justice, la commission des finances confie à son rapporteur spécial, l'examen attentif de l'étude d'impact, si elle existe, afin d'éclairer le législateur sur les effets financiers de toute réforme projetée. Cette pratique pourrait d'ailleurs être étendue à tous les textes législatifs d'importance, la chancellerie étant loin d'être le seul ministère à considérer les études d'impact comme une obligation purement formelle.
Il me paraît aussi utile de réaffirmer une fois de plus avec solennité qu'aucune réforme de l'institution judiciaire ne pourra échapper à la question fondamentale de la redéfinition des missions de la justice. En effet, la judiciarisation croissante des questions de société conduit la justice à élargir, au fil de l'eau, si l'on peut dire, le champ de ses missions.
Mais, s'il est indispensable de redéfinir et de recadrer les missions de la justice, il l'est au moins tout autant d'engager des réformes structurelles concernant l'organisation de la justice, sa présence sur les territoires, l'administration de la justice, les méthodes et les procédures.
Pour conclure, je voudrais lancer le débat sur le développement nécessaire d'une coopération organisée et confiante entre les parquets et les maires, particulièrement ceux qui sont à la tête de communes petites et moyennes, puisque le partenariat est prévu pour les maires des plus grandes communes dans le cadre de ce que l'on appelle les contrats locaux de sécurité.
IPSOS et le Courrier des maires ont réalisé une enquête en octobre 1998 sur la difficulté d'être maire. Il apparaît, à travers ce sondage, que la complexité des réglementations et des normes et leur application par les tribunaux constituent la principale difficulté rencontrée par les maires dans l'exercice de leurs fonctions. Viennent ensuite les responsabilités croissantes au niveau juridique.
Le récent congrès de l'Association des maires de France s'est largement fait l'écho de ce que l'on a appelé le « ras-le-bol » des maires. Le ministre de la justice et le ministre de l'intérieur ne peuvent rester indifférents à une telle situation à laquelle ils peuvent pour partie remédier.
Le développement de la mise en cause pénale des maires par la voie de la plainte avec constitution de partie civile, qui conduit quasi mécaniquement à la mise en examen, ainsi que le tapage médiatique qui accompagne ces décisions révoltent, à juste titre, bon nombre d'élus locaux qui ne comprennent pas ce qui leur arrive, estimant - à tort, je crois - que la justice s'acharne sur les élus locaux.
Par ailleurs, les maires et leurs adjoints sont officiers de police judiciaire aux termes des dispositions de l'article 16-1 du code de procédure pénale. Mais quel sens et quelle portée a réellement cette qualification ? Malgré de nombreuses questions écrites posées depuis douze ans, je n'ai jamais pu obtenir de réponse vraiment précise et concrète sur ce point. Madame le garde des sceaux, vous n'êtes pas personnellement en cause, puisque c'est à vos prédécesseurs que je m'étais adressé.
S'agissant de l'organisation de la nécessaire concertation entre les parquets et les maires, ne pourriez-vous, madame la ministre, dans le cadre de directives générales adressées aux procureurs généraux et aux procureurs de la République, encourager ces derniers à se rapprocher des associations départementales de maires ? Mais rassurez les magistrats ou certains d'entre eux : ils ne risquent aucunement d'être taxés de collaboration politique puisque les associations départementales de maires sont depuis toujours les interlocuteurs permanents des pouvoirs publics et qu'elles sont, comme on le dit aujourd'hui, plurielles.
Certes, les objections à une telle initiative ne vont pas manquer, madame la ministre. Certains vont mettre en avant le principe de la séparation des pouvoirs ou vous reprocher de mettre en place une commission de plus, que sais-je encore ?
Si vous hésitez sur le bien-fondé de ces suggestions et sur la réalité du phénomène, pourquoi ne pas confier à une mission le soin de dresser un état des lieux, en liaison avec l'inspection générale des services judiciaires, et de vous faire des recommandations pour régler cette importante question, source de trop de malentendus ?
Le Sénat pourrait tout aussi bien d'ailleurs, comme il l'a fait pour les chambres régionales des comptes, mettre en place une mission d'information, voire une commission d'enquête, pour savoir si les procureurs et leurs mandataires - agents de police judiciaire et officiers de police judiciaire des forces de police et de gendarmerie -estiment que les maires sont des partenaires dans le domaine de la prévention et de la lutte contre la délinquance. Leurs relations sont-elles organisées ? Si oui, comment ; sinon, pourquoi ?
Prenons un autre exemple : j'ai pu constater que, trop souvent, les maires portant plainte pour des infractions en matière d'urbanisme n'ont jamais de réponse ; comparativement, ils s'étonnent qu'une plainte émanant d'une association donne aussitôt lieu à une enquête et à tout ce qui s'ensuit. Les maires seraient-ils soupçonnables d'enfreindre systématiquement la loi ? Il ne faut donc pas s'étonner qu'ils aient le sentiment qu'il y a parfois deux poids deux mesures.
Ne pensez-vous pas, madame la ministre, que maires et procureurs devraient apprendre à se connaître, découvrir les difficultés inhérentes aux fonctions des uns et des autres ?
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur spécial.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Je conclus, monsieur le président.
Le temps est venu de rappeler que les 36 000 maires de France et les plus de 100 000 adjoints sont des hommes et des femmes de bonne volonté, d'honnêtes gens qui, victimes en quelque sorte de la complexité de la vie administrative, de l'inflation des normes, de la judiciarisation excessive de la société et de la responsabilisation pénale, qui déresponsabilise curieusement l'ensemble du dispositif administratif, ne demandent qu'à comprendre comment fonctionne la justice.
Dans mon rapport sur les infractions sans suite, j'avais cité deux exemples - l'un dans le Haut-Rhin et l'autre dans le Val-d'Oise - où était organisée une coopération entre les maires et les parquets.
M. le président. Je vous prie de conclure, monsieur le rapporteur spécial.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Au bénéfice de ces observations, suggestions et interrogations, mes chers collègues, je vous propose, au nom de la commission des finances, d'adopter les crédits du ministère de la justice. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke, rapporteur pour avis.
Mme Dinah Derycke, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour les services généraux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d'abord rendre hommage à M. Germain Authié, ancien sénateur de l'Ariège, qui, pendant de nombreuses années, a examiné les crédits consacrés aux services généraux du ministère de la justice, au nom de la commission des lois.
Compte tenu de la brièveté du temps de parole qui m'est imparti, je ne reviendrai pas sur la présentation et l'évolution des crédits qui figurent dans mon rapport écrit.
Toutefois, comme l'a fait M. Haenel, rapporteur spécial, au nom de la commission des finances, je tiens à souligner que la commission des lois a porté une appréciation positive sur ce projet de budget dont la progression de 5,6 % est très supérieure à celle de la moyenne de l'ensemble des budgets civils de l'Etat.
La commission des lois voit dans cette progression la concrétisation de la volonté du Gouvernement de faire de la justice une réalité.
L'effort particulier consenti en direction des juridictions administratives dont les crédits augmentent de 9 % a recueilli l'assentiment général.
Par ailleurs, la commission des lois a pris acte, avec satisfaction, du quasi-achèvement de la loi de programme de 1995 au regard des créations de postes pour les services généraux et de l'équipement des juridictions.
C'est pourquoi, compte tenu de ce bilan très positif, elle s'interroge sur l'intérêt qu'il y aurait à mettre en oeuvre une nouvelle loi de programmation pluriannuelle pour les années à venir et voudrait connaître, madame la ministre, votre sentiment sur ce sujet.
La commission des lois s'est félicitée de l'ampleur des recrutements prévus pour 1999, particulièrement pour les magistrats. Je rappelle les chiffres : 140 emplois créés - c'est le nombre le plus élevé des quinze dernières années - sans oublier l'organisation de deux concours exceptionnels.
De même, le renforcement du recours aux assistants de justice, dont le nombre sera porté à 900, lui paraît une mesure utile, tant il semble que ces assistants, dont la création relève d'une initiative de la commission des lois, donnent toute satisfaction aux magistrats concernés.
En revanche, la commission regrette la faiblesse des recrutements de magistrats à titre temporaire et de conseillers de cours d'appel en service extraordinaire, et ce en dépit de l'inscription des crédits correspondants en loi de finances.
Nous souhaiterions connaître les raisons de cette situation, madame la ministre.
Enfin, nous nous étions interrogés, l'an dernier, sur l'utilisation des emplois-jeunes dans le secteur de la justice. Nous avons pu constater que, s'ils restent peu nombreux à ce jour - 489 sur 3 500 prévus - cette mesure n'a pas été dévoyée et paraît avoir été utilisée à bon escient.
Il n'empêche, madame la ministre, que, face aux efforts consentis, qui sont bien réels, la commission des lois veut vous faire part de ses inquiétudes, lesquelles rejoignent - nous n'en doutons pas - vos préoccupations.
Ces inquiétudes ont trait aux délais moyens de jugement qui restent excessifs, voire continuent de s'accroître : 9,1 mois devant les tribunaux de grande instance, 9,5 mois devant les conseils de prud'hommes qui sont également des instances de justice au quotidien, 16,3 mois devant les cours d'appel. Ces inquiétudes concernent également le gonflement des stocks d'affaires en instance devant toutes les juridictions, en particulier devant les juridictions administratives.
Cette situation d'engorgement est extrêmement grave ; même si des mesures d'ordre législatif ou réglementaire, comme le recours accru à la médiation pénale ou la facilitation des compromis, pourront apporter quelques remèdes, il semble que seules des mesures d'ordre structurel pourront guérir le mal.
Vous nous avez indiqué, madame la ministre, votre intention de procéder, au cours de l'année 1999, à la révision de la carte judiciaire des tribunaux de commerce. La commission des lois en a pris acte mais voudrait plus de précisions quant au calendrier que vous vous êtes fixé pour mener à bien l'ensemble de cette réforme nécessaire, dont chacun mesure bien les difficultés.
Au-delà de cette réforme d'ampleur, nous avons cependant apprécié votre volonté de mieux utiliser l'ensemble des ressources dont vous disposez par une rationalisation de l'informatisation, une amélioration de la fiabilité des statistiques, même si les résultats à cet égard sont encore insuffisants, la déconcentration de la gestion des moyens au niveau des cours d'appel avec les services administratifs régionaux, la mise en place d'un dispositif de suivi de l'évolution des frais de justice en vue d'une meilleure maîtrise des dépenses, et le renforcement des effectifs et des missions de l'inspection générale des services.
En conclusion, la commission des lois se félicite de constater que la justice reste, cette année encore, une priorité nationale. Elle a donc donné un avis favorable à l'adoption des crédits des services généraux du ministère de la justice. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Othily, rapporteur pour avis.
M. Georges Othily, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour l'administration pénitentiaire. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi de finances pour 1999 fixe à 7,4 milliards de francs le budget de l'administration pénitentiaire, soit une hausse de près de 6 % par rapport à la loi de finances pour 1998 : 260 millions de francs de mesures nouvelles sont prévus au titre des dépenses ordinaires, et consacrés, en particulier, à la création de 344 emplois. Il s'agit donc d'un budget qui connaît une hausse appréciable.
Dans le temps qui m'est imparti, je souhaite cependant formuler quelques observations sur la situation de l'administration pénitentiaire.
Il faut constater que la surpopulation carcérale demeure un problème sérieux, même si l'on a constaté une très légère amélioration au cours des deux dernières années. On comptait 53 845 personnes détenues au 1er janvier 1998 contre 54 629 au 1er janvier 1997. Le taux d'occupation des établissements atteint 115 % contre 116 % l'année dernière, mais il existe de très fortes disparités.
Il est important de noter que la légère diminution du nombre de personnes incarcérées s'explique par un moindre recours à l'incarcération. En effet, la durée de détention continue pour sa part à croître : elle était de 8,1 mois en moyenne en 1997 contre 4,3 mois en 1975.
Si l'on s'intéresse aux personnes en détention provisoire, on constate, là encore, une très légère diminution de leur nombre, qui est passé de 22 521 au 1er janvier 1997 à 21 591 au 1er janvier 1998.
Comme vous le savez, le Gouvernement a déposé un projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence, qui contient plusieurs dispositions relatives à la détention provisoire, en particulier la création d'un juge de la détention provisoire. Le Sénat examinera sans doute ce texte au cours des prochains mois.
Je souhaite simplement rappeler aujourd'hui que le législateur a déjà, à trois reprises, tenté de confier la détention provisoire à une collégialité, sans que les réformes puissent entrer en vigueur faute de moyens.
Par ailleurs, on s'apprête à discuter d'une nouvelle réforme de la détention provisoire, alors qu'il est encore difficile de connaître les effets de la précédente réforme de 1996.
En ce qui concerne la prise en charge des détenus, vous avez annoncé, madame la ministre, votre intention de généraliser le projet d'exécution de peine, et nous nous en félicitons. Ce projet, mis en place à titre expérimental depuis quelques années, vise à mieux impliquer le détenu dans le déroulement de sa peine afin de donner à celle-ci une dimension plus constructive, dans la perspective de sa réinsertion.
Vous avez également décidé de mettre en oeuvre plusieurs mesures d'amélioration des conditions de vie des détenus, qui recueillent notre approbation.
Le Gouvernement envisage par ailleurs la possibilité de mettre en place des unités de visites familiales dans certains établissements, afin de permettre aux détenus de recevoir leur famille pendant une période de douze à quarante-huit heures. Ce projet a déjà été envisagé à plusieurs reprises sans jamais voir le jour. Il pose un certain nombre de questions délicates et il imposera une association très étroite des personnels de l'administration pénitentiaire. Nous aimerions, madame la ministre, connaître l'état de vos réflexions sur ce sujet.
En ce qui concerne maintenant la prise en charge en milieu ouvert, on constate que le nombre de mesures augmente régulièrement, en particulier le travail d'intérêt général et le sursis avec mise à l'épreuve. En revanche, le recours à la libération conditionnelle continue de diminuer, comme les années précédentes. Cela s'explique notamment par le contexte économique et social qui rend plus difficile le fait d'avoir un projet personnel, condition pour bénéficier de cette mesure.
En outre, on assiste à une augmentation du nombre de personnes condamnées pour viol ou infraction à la législation sur les stupéfiants et la libération conditionnelle est difficile à envisager pour ces personnes. Néanmoins, il serait utile, madame la ministre, de réfléchir aux moyens de relancer une mesure qui peut avoir une grande utilité.
Afin de favoriser l'individualisation des peines privatives de liberté, le Gouvernement a décidé la création, à titre expérimental, de centres pour peines aménagées. Ils auront pour vocation d'accueillir, d'une part, les condamnés détenus à une peine ou à qui il reste un reliquat de peine de moins d'un an et qui n'ont pas de projet d'insertion immédiat et, d'autre part, des détenus bénéficiant de mesures de semi-liberté ou de placement extérieur.
Ces centres ont surtout vocation à être implantés en zone urbaine, le plus près possible des centres-villes. Il s'agit d'une initiative positive susceptible de favoriser la réinsertion des condamnés.
A ce stade, je souhaiterais dire quelques mots de la loi sur le placement sous surveillance électronique. Un an après son adoption, cette loi n'est toujours pas appliquée. Le Gouvernement a souhaité opérer une étude technique des dispositifs offerts sur le marché. Il estime, par ailleurs, qu'une étroite concertation est nécessaire avec les personnels de l'administration pénitentiaire.
Je comprends ces différentes précautions, mais je souhaite, madame la ministre, que l'on puisse rapidement appliquer cette loi, même à titre expérimental. Le placement sous surveillance électronique est un instrument de prévention de la récidive parce qu'il peut permettre d'éviter la rupture des relations familiales ou la perte d'un emploi. Il est, en outre, un instrument moins coûteux que la prison.
J'en viens maintenant aux personnels de l'administration pénitentiaire.
Le projet de budget prévoit la création de 344 emplois, dont 220 de surveillants. C'est important et je me dois de le signaler, mais il faut savoir que la loi de programmation sur la justice de 1995 prévoyait la création de 3 920 emplois en cinq ans et que, au bout de quatre ans, le nombre de créations atteint 1 802. De plus, les personnels observent que les créations d'emplois prennent place dans un contexte marqué par de nombreuses réformes et par l'attribution de nouvelles tâches aux personnels, alors que l'administration pénitentiaire a besoin de recruter à tâches constantes.
Par ailleurs, une des dispositions du projet de budget a beaucoup choqué les personnels : 500 000 francs ont été inscrits pour revaloriser la prime de nuit des surveillants. Cela correspond à une augmentation de 95 centimes par nuit ! Je crois donc qu'il faut prendre en compte la grande sensibilité de personnes qui exercent un métier difficile.
J'évoquerai enfin, en quelques mots, les établissements pénitentiaires pour souligner que l'année 1998 a été marquée par le lancement d'un programme de construction de six établissements pénitentiaires, pour un montant de près de 2 milliards de francs. En outre, un programme de réhabilitation de quelques grands établissements est prévu.
Avant de conclure, je tiens à évoquer rapidement la situation de certains établissements d'outre-mer. La maison d'arrêt de Saint-Denis-de-la-Réunion a actuellement un taux d'occupation de 200 % et n'assure plus des conditions satisfaisantes de sécurité et d'hygiène.
Au contraire, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane ont chacune bénéficié de la création d'un établissement au cours des dernières années, mais des problèmes sérieux de sécurité se posent néanmoins. Le centre pénitentiaire de Baie-Mahault, en Guadeloupe, a par exemple déjà connu six tentatives d'évasion, l'une d'elles s'étant soldée par la mort d'un détenu. Je me permets de vous demander, madame la ministre, qu'il soit remédié rapidement à certaines fragilités architecturales de ces établissements et que des mesures soient prises pour améliorer la situation.
En conclusion, mes chers collègues, je vous indique que, sous réserve de ces observations, la commission des lois a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de l'administration pénitentiaire. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Gélard, rapporteur pour avis.
M. Patrice Gélard, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la protection judiciaire de la jeunesse. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je vais vous présenter, au nom de la commission des lois, le projet de budget de la protection judiciaire de la jeunesse.
C'est la deuxième fois que je remplace à cet effet notre collègue M. Rufin, son état de santé ne lui permettant toujours pas d'être présent parmi nous.
Les crédits du budget de la protection judiciaire de la jeunesse paraissent satisfaisants puisqu'ils augmentent de 6,42 %, bien au-delà de l'augmentation du coût de la vie. Les créations d'emplois - cent cinquante cette année - et l'ouverture assez large de nouvelles places d'accueil pour les jeunes en difficultés vont permettre de boucler la loi de programmation en matière de protection judiciaire de la jeunesse.
Ces remarques étant faites, je veux toutefois prolonger ma réflexion en soulignant tout d'abord qu'il fallait, dans le domaine de la protection judiciaire de la jeunesse, effectuer un rattrapage.
Puisque je parle de la jeunesse, j'en profite pour saluer la présence, dans nos tribunes, des élèves d'une classe qui ont l'air de s'intéresser à nos débats. La discussion de ce budget permettra donc de faire un peu d'instruction civique...
Un rattrapage, je le disais, était donc nécessaire : il fallait augmenter les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse, en particulier face aux charges nouvelles engendrées par une montée en puissance de la délinquance juvénile, laquelle risque, à tout moment, de déborder nos institutions et les moyens dont nous disposons.
En outre, de nouvelles missions ont été créées, notamment dans le domaine de l'accueil des jeunes, de l'orientation et de la prévention, qui nécessitent naturellement des moyens supplémentaires.
Je crains également que l'état actuel du parc immobilier ne se révèle rapidement insuffisant. A cet égard, je reprendrai une idée qui avait déjà été développée dans le passé, à savoir la nécessité d'une contractualisation des relations entre l'Etat et les départements pour aboutir à un programme de rénovation de nos bâtiments de justice, à l'instar de ce qui a été fait par le ministère de l'éducation nationale pour les bâtiments universitaires.
Comme l'a suggéré M. Haenel tout à l'heure, il faut revaloriser les liens entre la justice et les autorités élues locales, notamment avec les maires, comme c'est déjà le cas dans certaines régions : les rapports sont souvent excellents entre procureurs et maires, et il y a là une piste à développer.
Madame la ministre, permettez-moi par ailleurs de formuler quelques suggestions.
Tout d'abord, il me semble nécessaire d'organiser un jour des grandes assises de la protection judiciaire de la jeunesse. De multiples travaux ont été effectués par des juristes, des sociologues et des enseignants sur l'intégration de la jeunesse dans le monde et sur la montée de la délinquance juvénile, mais ces travaux sont disparates et ne sont pas pluridisciplinaires la plupart du temps. Je crois qu'il est temps de faire le point sur les mesures de prévention qui existent et d'examiner si elles sont adaptées aux exigences du monde contemporain.
Par ailleurs, des efforts considérables on été accomplis par le ministère de la justice en direction des établissements d'enseignement. Cependant, je ne suis pas sûr que le ministre de l'éducation nationale ait parfaitement compris le sens de cette démarche. Je pense en tout cas qu'il faudrait revaloriser, dans le cadre de l'instruction civique, toute une série de notions.
N'est-il pas frappant, alors que nous vivons dans un Etat de droit, que les juristes ne représentent qu'une infime catégorie de nos concitoyens ? La majorité de la population ignore tout des règles de droit, on ne sait pas, à la sortie du lycée, du collège ou de l'école, ce qu'est une contravention, un délit, un crime, voire un contrat. Nous sommes l'un des rares pays où nous n'enseignons pas ces notions !
M. Pierre Fauchon. C'est vrai !
M. Patrice Gélard, rapporteur pour avis. Il ne s'agit certes pas de faire de tous nos concitoyens des juristes, mais pourquoi ne pas enseigner à nos jeunes les rudiments élémentaires des règles du jeu de la vie en société ? Peut-être un partenariat avec le ministère de l'éducation nationale ou avec les collectivités locales pourrait-il permettre de renforcer l'enseignement juridique dans nos écoles, nos collèges et nos lycées ?
Enfin - ce sera ma dernière observation - nous n'avons toujours pas réglé le problème du recrutement des avocats pour l'année à venir et je crains que nous ne soyons obligés d'adopter une nouvelle loi de validation à cet effet. Il est urgent de régler cette question. Même si elle se situe, je le reconnais, un peu en marge de mon rapport, je tenais cependant à en faire état.
Pour conclure, j'indique que la commission des lois a émis un avis favorable sur ce budget pour 1999 de la protection judiciaire de la jeunesse. (Applaudissements.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 21 minutes ;
Groupe socialiste, 18 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 16 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 15 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 12 minutes.
La parole est à M. Bel.
M. Jean-Pierre Bel. Madame la ministre, permettez-moi de vous dire combien j'apprécie, pour ma première intervention à cette tribune, d'avoir à m'exprimer devant vous : d'abord parce que cela me paraît être une excellente entrée en matière, ensuite parce que je vais le faire à propos d'un budget qui, cela a été souligné, est un bon budget, caractérisé par une progression très significative.
En augmentation de 5,6 %, s'ajoutant à la hausse de 4 % l'année dernière, il illustre parfaitement la priorité que vous aviez annoncée. Cela signifie que vous faites ce que vous dites, que vous tenez parole sur la continuité des efforts en faveur de la justice.
Cette priorité, on s'en souvient, est l'un des grands chantiers voulus par le Premier ministre. Mais, mieux encore, madame la ministre, votre budget, au-delà de l'aridité des pourcentages, apparaît également comme volontaire en termes de créations d'emplois, puisqu'il prévoit la création de 930 emplois.
Par ailleurs - et c'est un autre élément de satisfaction - cette hausse s'applique à l'ensemble des secteurs du ministère : services judiciaires, administration pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse.
Il faut bien dire, cependant, que cet effort n'est pas un luxe tant les attentes sont fortes et les besoins manifestes : chacun sait que la pression du contentieux est de plus en plus lourde - M. le président Larché a insisté plus particulièrement en commission des lois sur la prolifération des recours devant les tribunaux administratifs, cause d'engourdissement de la vie publique - et chacun sait que la délinquance des mineurs est exponentielle, que la surpopulation carcérale est toujours une triste réalité.
En matière d'administration pénitentiaire, votre effort budgétaire permettra d'améliorer les conditions de détention des personnes incarcérées.
Si la courbe de la population carcérale et celle des prévenus est en légère baisse par rapport à l'année précédente, il n'en reste pas moins que le taux d'occupation reste pourtant trop élevé, et donc préoccupant.
La mise en détention confiée au juge des libertés et les mesures tendant à encadrer et à réduire les détentions provisoires qui sont contenues dans votre projet de loi relatif à la présomption d'innocence iront dans le sens d'une baisse de ce taux d'occupation.
Madame la ministre, nous le savons bien, vous n'avez attendu personne pour manifester votre impatience de voir ce texte présenté devant le Parlement. A cet égard, nous vous soutenons, tout comme nous vous soutenons dans votre volonté de réformer le Conseil supérieur de la magistrature.
Quoi qu'il en soit, le nombre de personnes détenues confirme le caractère nécessaire du développement des peines alternatives à l'emprisonnement. Je me félicite de votre détermination à faire évoluer les structures et les modes de prise en charge de l'administration pénitentiaire afin de mieux prévenir la récidive et de proposer aux autorités judiciaires de meilleurs dispositifs alternatifs à l'emprisonnement, allant vers des mesures d'individualisation de la peine.
Il convient de saluer comme il se doit la création de centres pour peine aménagée, qui seront situés en zones urbaines. Ils apporteront une réponse nouvelle pour les personnes condamnées à de courtes peines sous forme d'un aménagement des peines et permettront une meilleure insertion grâce à une organisation de vie plus collective et plus ouverte sur le monde extérieur.
Les crédits nouveaux contribueront à l'amélioration des conditions de vie des détenus, que ce soit par la construction de nouveaux établissements, la rénovation des anciens ou l'augmentation du nombre de personnels de surveillance.
Dix millions de francs consacrés au renouvellement du mobilier des cellules, des produits d'hygiène ou d'entretien des cellules désormais fournis gratuitement aux détenus, le nombre de douches hebdomadaires augmenté, un petit déjeuner chaud, une douche dans chaque cellule pour les nouveaux établissements pénitentiaires : comment ne pas se féliciter de l'attention particulière ainsi portée aux détenus les plus démunis ?
Le projet de budget consacre 2 millions de francs à la lutte contre l'indigence de ceux qui sortent de prison, et il est prévu de développer des actions permettant un accompagnement individualisé à l'emploi, tant en milieu ouvert qu'en milieu fermé. Il est toutefois nécessaire de poursuivre cet effort en faveur des plus démunis en envisageant, notamment, de les faire bénéficier de différentes aides : RMI, allocation de parent isolé, par exemple.
Enfin, il me semble indispensable d'améliorer les conditions de visite des familles pour préserver les liens affectifs, notamment entre les détenus et leurs enfants, car cela contribuera aussi à la réinsertion à la sortie de prison. Pour cela, il faut s'engager résolument dans la réflexion sur la création des unités de vie, même si - M. Othily l'a dit - certaines questions délicates se posent.
L'augmentation des moyens de l'administration pénitentiaire, sous peine de ne pas produire son plein effet et de ne pas être suffisante face à l'accroissement des charges, doit s'accompagner d'une réorganisation des ressources humaines.
Votre projet de budget, madame la ministre, prévoit la création de 344 emplois, dont 220 créations de postes de surveillants, contre 53 en 1998, auxquels pourra certainement s'ajouter une autorisation en surnombre, comme l'année précédente.
Il prévoit aussi diverses mesures statutaires et indemnitaires au travers d'une dotation de 12 millions de francs.
C'est une avancée, même si les gardiens de prison la jugent trop faible au regard des obligations de service qui leur incombent. Nous sommes tous convaincus qu'il y a lieu de poursuivre l'effort dans ce domaine.
Sur le plan de la santé, les détenus constituent la population à risque par excellence. Nous aurions souhaité, madame la ministre, que, dans le projet de budget pour 1999, apparaissent des mesures nouvelles bien nécessaires sur ce point.
La protection judiciaire de la jeunesse - nous nous en félicitons de manière unanime - voit ses crédits progresser de 6,42 % par rapport à 1998, soit plus que chacune des autres administrations de votre ministère. Vous remplissez, de la sorte, votre engagement de faire de la jeunesse une priorité politique qui contraste avec des années de stagnation et de régression.
Ainsi, il a été décidé de mettre en oeuvre une politique ambitieuse de réponse systématique et rapide aux actes de délinquance quelle que soit leur gravité, de développer la réparation et de renforcer les dispositifs d'hébergement et d'éloignement. Les parquets de vingt-six départements prioritaires devront être informés en temps réel par les services de police et de gendarmerie de tous les faits commis par des mineurs. Ils sont encouragés à développer les convocations des mineurs et de leurs parents en vue d'un avertissement, d'un rappel à la loi, d'un classement sous condition ou d'une mesure de réparation. Les procureurs de la République seront assistés, pour ces missions, de délégués, issus de ce que l'on appelle, peut-être à tort, la société civile, qui interviendront notamment dans les maisons de justice et du droit.
Nous le savons tous, dans ce domaine des actes délictueux commis par les mineurs, il faut apporter une réponse, et une réponse qui soit rapide. En effet, le sentiment d'impunité incite à la récidive et peut avoir un effet pédagogique désastreux sur ceux qui n'ont pas encore franchi le pas.
La délinquance des mineurs appelle un travail en profondeur privilégiant l'action sociale et la prévention. Les mesures que vous proposez témoignent d'une première prise en compte du rapport Lazerges-Balduyck qu'il faudra poursuivre résolument dans les prochains budgets.
Madame la ministre, vous aviez défini trois grandes orientations : promouvoir une justice au service des citoyens, une justice au service des libertés, une justice indépendante et impartiale. Le budget pour 1999, dans le prolongement du budget de 1998, donne du poids et du crédit à votre engagement.
L'augmentation très importante des moyens alloués aux services judiciaires permet le renforcement des effectifs, la modernisation du statut des magistrats, du régime indemnitaire des fonctionnaires, l'augmentation des crédits de fonctionnement des juridictions, ainsi que la poursuite des travaux de construction et de rénovation des bâtiments judiciaires.
Nous ne pouvons toutefois nous satisfaire de la situation dans laquelle nous sommes, car ce budget ne permettra pas encore de rattraper le retard accumulé depuis des années, tant ce dernier était grand.
En effet, la lenteur de la justice par manque de moyens reste préoccupante. Les services judiciaires continuent de crouler sous un nombre d'affaires considérable. Même si le nombre d'affaires nouvelles, tant au civil qu'au pénal, est en baisse par rapport à 1996, l'activité judiciaire est maintenue, au vu des affaires restant à juger, à un niveau élevé qui exigerait des moyens de fonctionnement encore plus importants. En revanche, si le nombre d'affaires nouvelles baisse, la durée des procédures civiles s'est allongée pour atteindre, devant les cours d'appel, 16,3 mois en 1997 contre 15,8 mois en 1996.
En matière pénale, le nombre total des infractions signalées a légèrement décru en 1997.
M. Pierre Fauchon. Signalées !
M. Jean-Pierre Bel. Toutefois, comme le rappelle Mme Derycke dans son rapport, excellent au demeurant, la régulation des flux continue à être assurée par de trop nombreux classements sans suite. Ils concernent encore près de 80 % du nombre total des affaires et surtout près de la moitié des procédures dans lesquelles l'auteur des faits a été identifié.
Faut-il le rappeler, l'inflation judiciaire trouve sa cause dans la structure même de notre société, société faite d'iniquités, société de plus en plus déréglementée, de plus en plus déchirée par des conflits de toute nature, notamment familiaux ?
Il est essentiel de favoriser le développement des procédures de médiation et de conciliation. C'est ce que vous proposez déjà dans le projet de loi relatif aux alternatives aux poursuites, mais il sera nécessaire d'approfondir encore ces dispositifs et, là aussi, de faire preuve d'innovation.
Le recours croissant à l'aide juridictionnelle, qui marque un progrès social, découle, bien sûr, de l'augmentation de la demande judiciaire. Il convient de saluer au passage la réelle embellie du chapitre qui y est consacré, dont une partie des crédits est destinée à l'accompagnement de la réforme de l'accès au droit.
Pour ce qui concerne les services judiciaires, votre projet de budget pour 1999, madame la ministre, prévoit la création, sans précédent depuis quinze ans, de 370 emplois, contre 300 en 1998 et 96 en 1997 ; 140 de ces emplois sont des emplois de magistrats qui devraient permettre l'engagement des réformes de la justice, notamment la création de postes de juges de la détention provisoire et l'amélioration du fonctionnement de la justice au quotidien.
Je relève également avec plaisir l'importance des crédits dévolus au recrutement des assistants de justice, qui se révèle être un véritable succès. Le projet de budget prévoit la création de 400 postes, soit une augmentation de 70 % par rapport à 1998 ; cela portera leur nombre à 950.
Les magistrats auront ainsi les moyens de se consacrer aux tâches essentielles de leur fonction en bénéficiant du concours de collaborateurs de haut niveau pour assurer les travaux préparatoires à la décision, effectuer les recherches et rédiger les notes juridiques.
Comme vient de le souligner notre collègue Mme Dinah Derycke, et comme certains de nos collègues l'avaient également signalé en commission, le bilan du recrutement des assistants de justice est très positif ; j'en veux pour preuve la demande de plus en plus forte de la part des juridictions.
Toutefois, une bonne administration de la justice ne pourra se faire sans un renforcement des effectifs des greffes judiciaires. En effet, la pénurie des moyens de secrétariat et de documentation aboutit à un appauvrissement de la motivation des jugements, avec pour corollaire la multiplication des pourvois en cassation.
Le recours aux assistants de justice ne saurait suffire ; il est indispensable de créer de nouveaux postes de greffiers et d'utiliser au mieux leurs compétences. Au-delà des 36 postes prévus en exécution de la loi de programme, 194 postes seront ouverts en 1999. Ces ouvertures font suite au plan exceptionnel de recrutement mis en place en 1998.
Plus de 64 millions de francs de crédits suppplémentaires sont inscrits au titre des crédits de fonctionnement des services judiciaires. Ils favoriseront la modernisation du fonctionnement des juridictions, la mise en service de nouveaux bâtiments et, surtout, la constitution des pôles de lutte contre la délinquance économique, que vous avez annoncée en décembre 1997 et que vous avez confirmée, madame la garde des sceaux, le 25 mai dernier. Le manque de moyens des juges chargés des dossiers économiques et financiers a depuis longtemps été dénoncé.
Ces moyens de fonctionnement supplémentaires permettront la constitution, sur l'ensemble du territoire, de conseils départementaux d'aide juridique et l'amplification de l'effort en faveur des maisons de justice, autant d'actions s'inscrivant dans une meilleure prise en compte de la médiation et de la conciliation.
Telles sont, madame la ministre, les quelques observations que je voulais formuler. Votre budget - pourquoi se priver du plaisir de le redire ? - est un bon budget, qui illustre parfaitement l'attachement du Gouvernement à faire de la justice une de ses priorités.
Vous avez plus de crédits et vous les mettez au service d'une bonne politique de la justice.
Le groupe socialiste émettra un vote positif, tout en restant particulièrement attentif à ce que l'effort engagé depuis deux ans soit poursuivi dans les années qui viennent.
M. le président. La parole est à M. Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Madame la ministre, le budget de la justice présente - cela devient un lieu commun ! - le caractère paradoxal d'être tout à la fois bon, même vraiment bon, et cependant terriblement insuffisant, ce que vous savez, mieux que quiconque. Aussi convient-il de vous complimenter, ainsi que le Gouvernement, pour l'effort consenti, sans pour autant pouvoir considérer que les besoins de la justice seront ainsi satisfaits, au sens originel du terme, puisque ce n'est pas véritablement « assez ».
Si nous replaçons ce budget dans son contexte, qui est celui du plan quinquennal pour la justice lancé par M. Méhaignerie en 1995, et qui avait malencontreusement pris un an de retard, on constate que ce retard est comblé quasiment de manière complète par le présent budget.
Ainsi la loi de programme aura été à peu près réalisée, sous réserve du personnel pénitentiaire - M. Haenel y a fait allusion tout à l'heure. C'était - avouons-le - inespéré.
Nous le devons sans doute à votre action personnelle, madame la ministre, mais aussi à la rapide croissance économique, dont il reste à souhaiter qu'elle se prolonge dans l'année qui vient.
S'il en était autrement, s'il n'y avait pas cette croissance économique - les circonstances actuelles sont de nature à susciter des inquiétudes -, j'ai grand peur que certaines manipulations, celles que l'on appelle « gels des crédits », ne viennent démentir discrètement votre optimisme. C'est le premier point sur lequel je souhaite attirer votre attention.
Il est déplorable, en effet, qu'une augmentation de moyens aussi justifiée que celle dont bénéficie la justice soit, en fait, subordonnée à l'augmentation des moyens de l'Etat résultant de la croissance économique, alors qu'elle devrait découler, d'abord, d'un redéploiement des services votés, et non de l'armure d'acier derrière laquelle s'abritent tant de dépenses qui n'ont d'autre justification que la routine et l'ancienneté, et qui relèvent de cette ankylose adipeuse, pour reprendre l'expression d'un des plus importants ministres actuels, marquant nombre de nos services publics, dont on ne cesse de faire l'éloge le plus sérieusement du monde sans jamais s'interroger sur l'utilité qu'ils présentent pour d'autres que leurs bénéficiaires, et spécialement pour le bien public.
J'en reviens à la justice pour saluer, madame la ministre, l'importance et la qualité de vos initiatives, sans pour autant être persuadé que le calendrier de celles-ci répond toujours à celui des besoins prioritaires dont votre département a la charge.
En effet, ce dont les Français se plaignent avant tout, ce qui discrédite profondément la justice de notre pays - même si cela peut paraître injuste eu égard à ceux qui oeuvrent dans ses rangs -, ce qui fait que les Français n'ont pas le sentiment de vivre dans un Etat de droit au sens plein du terme, ce qui les détourne de faire confiance à leur justice, et donc de faire appel à elle, ce qui fausse complètement nos statistiques - ne nous gargarisons pas de statistiques d'ailleurs car, dans nombre de cas, des plaintes ne sont pas déposées après un délit parce qu'elles seraient « classées sans suite », et des procès civils n'ont pas lieu parce que, dès lors qu'ils doivent durer des années, il n'est pas intéressant de les engager -, ce dont se plaignent les Français donc, c'est de la lenteur insupportable de la justice.
Qu'on ne se réfugie pas dans des statistiques d'une signification fort douteuse ! Chers amis de la chancellerie, j'aimerais que vous nous proposiez non pas des statistiques globales, avec des moyennes dont chacun sait qu'elles ne signifient à peu près rien, mais des statistiques par type de procédure. En effet, si vous comptez ensemble les référés, les procédures courtes, les jugements avant faire droit et les jugements sur le fond, vous aboutissez à un résultat dont les professionnels savent parfaitement qu'il n'a aucune signification.
Je voudrais donc savoir combien il faut de temps, en moyenne, pour les référés - et je sais que cela requiert quelques semaines - combien il faut de temps, en moyenne, pour les jugements avant faire droit - et là on atteint quatre à cinq mois - et combien il faut de temps pour les décisions au fond, de la date de l'assignation à la remise de la grosse aux parties qui permet l'exécution. Sans doute les résultats seront-ils beaucoup moins brillants : là il faut compter en trimestre, en semestre, voire en année. Je suis donc très réservé sur les statistiques.
Je sais bien que ce retard de la justice est traditionnel ; c'est aujourd'hui un fait de société. Déjà, dans Shakespeare, Hamlet se plaignait des law's delay, dans son fameux monologue. Mais, sérieusement, est-ce une raison, est-ce une excuse quand on voit même les affaires prud'homales se prolonger pendant des années, ce qui est véritablement consternant et insupportable ? Non , c'est tout simplement un mépris de la notion de service public, un mépris des droits de l'homme comme la Cour de justice des Communautés européennes nous le rappelle d'ailleurs régulèrement puisque nous sommes maintenant régulièrement condamnés pour d'excessifs délais de justice.
Le remède est, nous le savons, dans l'augmentation et la diversification des moyens. Encore faudrait-il d'abord que ces moyens soient correctement répartis - c'est le problème de la carte judiciaire - ensuite, que cette augmentation et cette diversification soient massives et non distillées au compte-gouttes ou détournées vers des tâches supplémentaires comme on risque de le voir prochainement.
Que dire de la carte judiciaire, si ce n'est qu'il est aberrant, du moins en période de pénurie, de constater que la charge de travail des magistrats et de leurs auxiliaires peut varier du simple au triple, voire au quintuple, voire davantage, parce que les gouvernements sucessifs - et pas seulement celui-ci, certes - n'osent pas s'attaquer à cette question, si ce n'est, bien sûr, pour les tribunaux de commerce ? Cependant les tribunaux de commerce, il ne s'agit pas d'une meilleure répartition des moyens de l'Etat, mais d'un tout autre problème.
Le besoin de réforme, de rénovation, de remise en question est partout dans notre pays mais, une fois de plus, c'est l'inertie car les gouvernements se considèrent comme satisfaits par leurs rodomontades dominicales qui les dispensent d'agir, parce que c'est difficile d'agir !
La commission des lois a maintes fois demandé que l'on établisse au moins la carte idéale de l'appareil judiciaire, celle qui répartirait les juridictions et les personnels en fonction des besoins. Mais c'est sans doute trop demander, puisque c'est demander la lumière sur une question que l'on préfère laisser dans l'ombre ! Il faudra donc que nous nous occupions d'établir nous-mêmes cette carte, ce qui ne doit pas être si difficile.
On oublie d'ailleurs que l'organisation des greffes locaux et d'audiences « foraines » permettent de ménager ces fameuses traditions locales et que la non-résidence sur place d'un grand nombre de magistrats retire à la présence d'une juridiction le rôle d'animation locale qu'elle pouvait avoir au temps de Balzac ou de Stendhal. Je cite ces deux auteurs pour tenir compte des préférences de mes auditeurs éventuels !
S'agissant de l'augmentation des moyens, je me réjouis de voir que les assistants de justice ont fait la preuve de leur utilité. Je me souviens ici que nous avons été un ou deux à y croire,...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Oui !
M. Pierre Fauchon. ... mais que l'Assemblée nationale avait repoussé cela comme une idée saugrenue.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. C'est vrai !
M. Pierre Fauchon. Tout le monde reconnaît maintenant qu'ils sont très utiles. Ils ont une double utilité, pour la justice et pour ces jeunes qui acquièrent ainsi une expérience concrète qui leur servira toute la vie, à condition toutefois - et cela me paraît important - de ne pas pérenniser leur situation. La mobilité est un élément essentiel du succès de cette expérience.
En revanche, je constate, je m'afflige que le nombre des conseillers en service extraordinaire, et plus encore celui des magistrats à titre temporaire, reste symbolique.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Absolument !
M. Pierre Fauchon. Avec M. Haenel, nous en devinons les raisons et plus clairement encore la difficulté de surmonter le corporatisme, les préventions et les routines. Mais il nous a semblé, madame la ministre, percevoir de votre part une réelle résolution dans ce domaine, à l'occasion de textes que nous avons votés voilà quelques mois.
Souhaitons qu'elle aboutisse à un résultat quantitatif tel que, à l'instar de ce qui s'est passé pour les assistants de justice, l'utilité de ce recrutement complémentaire puisse être expérimenté à un niveau suffisant pour permettre d'en tirer des conclusions.
Peut-être nous apercevrons-nous que, finalement, cela pose des problèmes auxquels nous n'avions pas pensé. Mais il faut qu'au moins une quarantaine de personnes, voire une cinquantaine ou une soixantaine soient recrutées afin que nous puissions apprécier les résultats sinon l'expérience ne sera pas concluante.
Personnellement, je continue de faire le pari que ces résultats seront positifs et qu'il s'agit là d'un moyen très utile de compléter les moyens de la justice, peut-être aussi de diversifier un peu le personnel judiciaire, ce qui ne sera pas tout à fait inutile.
Je dirai maintenant quelques mots sur la diversification des modes de traitement des divers contentieux.
La commission des lois a proposé une approche d'ensemble des contentieux de masse par la transformation et la modernisation des tribunaux d'instance intégrant les procédures de médiation. Seules ces dernières font l'objet actuellement d'un certain effort de généralisation dont nous nous félicitons, sans pour autant perdre de vue un concept plus ambitieux, dont nous continuons de penser qu'il est seul à la hauteur de l'enjeu.
Une autre voie - c'est peut-être l'aspect nouveau de mon propos - mériterait d'être à tout le moins explorée, celle du contentieux familial, lui aussi envahissant, plus spécialement du contentieux conjugal. Je suggère, madame la ministre, que nous y réfléchissions les uns et les autres, non seulement parce que ce type de contentieux constitue l'autre source d'encombrement des juridictions, spécialement des TGI de l'ordre de la moitié, mais aussi, et surtout, parce que le moment me paraît venu de remettre en cause votre système de traitement du contentieux conjugal, compte tenu de la rapide évolution des moeurs depuis la loi de Jean Lecanuet, en 1975.
De très grandes améliorations avaient alors été apportées au contentieux du divorce. Mais celui-ci était resté essentiellement un contentieux judiciaire. Il en résulte que les problèmes du couple, qui sont essentiellement et de plus en plus des problèmes psychologiques, sont transformés en des affrontements judiciaires qui substituent à la complexité et à la délicatesse du réel le manichéisme exacerbé des procédures. Et ce qui n'est souvent qu'une crise de relation conjugale débouche sur l'affrontement et la rupture irrémédiable dont on constate, de plus en plus souvent, qu'elle est regrettée par ceux qui l'ont subie souvent beaucoup plus que réellement voulue.
Est-il besoin de rappeler l'ampleur des dommages ainsi causés en termes de déséquilibre psychologique pour les parents et, plus encore, pour les enfants ? Actuellement, on ne se marie guère que dans la perspective de créer réellement une famille. Il y a donc de plus en plus et presque toujours coïncidence entre une situation de divorce et la présence d'enfants.
Je me permets donc de suggérer, madame la ministre, que nous réfléchissions à ce qui serait une véritable « déjudiciarisation » du divorce, du moins dans une phase initiale, ce qui suppose l'intervention de psychologues qualifiés et de médiateurs avant toute concrétisation écrite du différend conjugal, car c'est cette concrétisation, même sous la forme d'une simple requête motivée, qui engage le couple dans la voie si douloureuse et, trop souvent, absurde de l'affrontement.
Le vote de ce projet de budget me donne, madame la ministre, l'occasion de saluer le mérite qui vous en revient et de saluer, d'une manière générale, l'esprit d'initiative et l'ardeur dont témoigne votre action à la tête de ce ministère. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la justice en France manque dramatiquement de moyens. Son budget annuel est inférieur à celui des anciens combattants.
Etabli depuis de nombreuses années et sans cesse répété, ce constat avait conduit à l'adoption de la loi de programme quinquennale du 6 janvier, relative à la justice.
Mais, pour que cet exercice de programmation ait encore un sens, il fallait le doter annuellement des moyens budgétaires nécessaires. Cela aura, globalement, été fait.
Force est de reconnaître, madame le garde des sceaux, que le projet de budget que vous nous présentez pour 1999 progresse de 5,9 % par rapport à l'an dernier, ce dont nous nous réjouissons, bien évidemment, et ce d'autant que cette augmentation est nettement supérieure à celle de l'ensemble des budgets civils qui n'est, si j'ose dire, que de 2,3 %.
Avec 26,3 milliards de francs, le ministère de la justice disposera ainsi d'un milliard et demi de francs supplémentaire.
On peut donc en déduire que le Gouvernement fait de la justice une priorité nationale, orientation que nous ne pouvons que soutenir.
On peut cependant s'interroger, madame le garde de sceaux. Peut-on vraiment dire qu'avec 1,6 % du budget de l'Etat la justice soit une priorité nationale, alors qu'il a été démontré - je me réfère aux propos avisés de notre éminent collègue Hubert Haenel - qu'il faudrait au moins 35 milliards de francs par an pour que le service public de la justice puisse fonctionner correctement ? Autant dire que nous sommes loin du compte ! Mais je serais de mauvaise foi en faisant semblant de ne pas goûter cette satisfaction de vous voir sur le bon chemin. J'approuve donc les dispositions budgétaires qui nous sont proposées et dont les détails ont été excellemment exposés par les rapporteurs.
Cependant, de sérieux problèmes demeurent. J'en relèverai deux.
Le premier concerne l'engorgement des tribunaux. En 1996, notre collègue Pierre Fauchon, rapporteur de la mission d'information constituée par la commission des lois du Sénat pour évaluer les moyens de la justice, avait particulièrement insisté sur l'asphyxie des juridictions et sur les moyens d'y remédier.
Malgré les efforts entrepris, la durée moyenne de traitement des affaires civiles - 16,3 mois pour les cours d'appel et 9,5 mois pour les conseils de prud'hommes, notamment - reste fort éloignée des objectifs définis par la loi de programme. De plus, les stocks d'affaires en cours continuent à s'accroître dans toutes les catégories de juridictions. La situation des juridictions administratives est, quant à elle, encore plus préoccupante.
Pour ce qui est des juridictions pénales, la régulation est assurée par les classements sans suite, dont je veux souligner les effets pervers. Nos concitoyens y voient un déni de justice, alors que, dans 46 % des cas, l'auteur de l'infraction a été identifié. Cela est très mauvais pour l'image de la justice et pour la confiance que les citoyens ont en elle.
Ce constat met en lumière l'impérieuse nécessité d'accroître les recrutements de magistrats par concours ou par le renfort des conseillers de cours d'appel en service extraordinaire et des magistrats à titre temporaire.
Certes, la création de 140 emplois de magistrats est prévue pour 1999, mais ceux-ci seront en grande partie absorbés par la mise en oeuvre des nouvelles réformes. Cela pose avec une acuité particulière la question des vacances de postes, qui sont beaucoup trop nombreuses et au sujet desquelles je souhaite savoir, madame le garde des sceaux, quelles dispositions nouvelles vous envisagez.
Par ailleurs, si j'approuve sans réserve les mesures qui visent à développer l'assistance des magistrats, tel que le concours des assistants de justice, dont le bilan s'avère excellent, je voudrais rappeler l'urgence qu'il y a à renforcer les compétences techniques des nouveaux pôles économiques et financiers et, surtout, à adapter la carte judiciaire aux nécessités de notre époque.
Le second problème que je voudrais évoquer a trait à la situation des services pénitentiaires.
Si, avec 53 845 personnes au 1er janvier de cette année, le nombre de détenus a légèrement diminué, la durée moyenne de détention ne cesse de s'accroître, et le taux d'occupation des établissements pénitentiaires demeure préoccupant, bien que le nombre des prévenus ait légèrement diminué.
Dans ces conditions, madame le garde des sceaux, je crois utile de redire ici tout l'intérêt, d'une part, de renforcer les moyens de l'administration pénitentiaire - en particulier en personnels, dont les recrutements sont bien éloignés des objectifs de la loi de programmation - et, d'autre part, de développer les mesures alternatives à l'incarcération.
C'était d'ailleurs tout le sens de la loi sur le placement sous surveillance électronique, dont je regrette qu'elle n'ait pas trouvé à ce jour d'application tant elle constitue un instrument de souplesse permettant à la fois de diminuer la population carcérale et d'oeuvrer à la réinsertion sociale des détenus.
A cet égard, les conditions de détention doivent être améliorées. Nous ne pouvons en effet oublier qu'en 1997 1 069 personnes ont injustement fait l'expérience de la prison, une expérience douloureuse qu'elles n'ont pas relatée en chanson, contrairement à d'autres qui, sans aucun doute, auraient été mieux inspirés de s'abstenir.
De plus, il est primordial que les mineurs délinquants, dont 3 600 ont connu la prison en 1997, voient leur sécurité assurée.
Néanmoins, s'il doit être remédié aux situations de promiscuité qui sont d'un autre âge, je crois que la plus grande prudence et, en tout cas, une réflexion approfondie assortie d'une concertation la plus large possible devront présider à l'institution de mesures relatives à la vie carcérale, afin d'éviter de provoquer un trouble dans l'opinion.
Bien entendu, comme vous-même, sans aucun doute, madame le ministre, je partage l'ambition de Saint-Exupéry « d'élever à la dignité d'hommes tous les individus de l'espèce humaine ». Mais veillons d'abord, madame le garde des sceaux, à assurer la sécurité et l'égalité de tous nos concitoyens devant la loi. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Madame le garde des sceaux, votre projet de budget me paraît bon et je crois que point n'est besoin de beaucoup argumenter.
Après une augmentation du budget de votre ministère d'environ 4 % en 1998, vous proposez en effet de poursuivre en 1999 l'effort en faveur de la justice en présentant des crédits dont la hausse atteint globalement 5,6 %.
Cette progression des moyens alloués bénéficie d'une façon sensiblement égale aux quatre secteurs de la justice. Toutefois, en raison de besoins plus urgents, la protection judiciaire de la jeunesse, l'administration pénitentiaire et les services judiciaires sont relativement mieux traités que la justice administrative.
Comme l'ont déjà signalé mes collègues rapporteurs, l'effort porte à la fois sur le fonctionnement et sur l'équipement. En effet, l'équipement reçoit cette année un contingent important de crédits de paiement et d'autorisations de programme nécessaires à la modernisation du réseau des palais de justice et du parc pénitentiaire par des opérations de construction ou de rénovation.
Les budgets volontaristes de 1998 et 1999 ont le mérite d'améliorer les conditions d'exécution de la loi de programme pluriannuel relative à la justice du 6 janvier 1995.
Prévu pour cinq ans, ce plan d'action a été prolongé d'une année en 1997. Cette mesure et, surtout, le rattrapage opéré à partir de 1998 devraient permettre d'atteindre les objectifs fixés en 1995.
Faut-il pour autant, comme le propose le rapporteur spécial de la commission des finances, M. Haenel, mettre à l'étude une nouvelle loi de programmation ?
Il est vrai, madame le garde des sceaux, que votre plan de réforme de la justice est ambitieux et qu'il appellera des moyens budgétaires substantiels dans l'avenir. On verra sans doute plus clair après l'adoption des différentes mesures législatives et un bilan de leurs incidences financières.
Le domaine de la réforme est un vaste chantier destiné à répondre au triple objectif que vous lui avez assigné : rendre la justice plus accessible pour tous, mettre la justice au service des libertés, conforter l'impartialité de la justice.
Le Parlement débat actuellement du projet de loi relatif à l'accès au droit. Il s'agit là d'une première étape, à propos de laquelle je voudrais faire quelques remarques portant sur l'aide juridictionnelle.
Certes, ses crédits budgétaires atteignent cette année le chiffre considérable de 1,444 milliard de francs en augmentation de 215 millions de francs.
Mon interrogation porte sur la place de l'avocat auprès des personnes condamnées. La loi du 10 juillet 1991 dispose que l'aide juridictionnelle peut être accordée aux personnes condamnées. Néanmoins, le décret d'application du 19 décembre 1991 omet de déterminer l'indemnisation de l'avocat intervenant dans le cadre des procédures postsentencielles.
Les dispositions législatives sont pourtant sans ambiguïté : elles prévoient explicitement l'intervention de l'avocat en défense du condamné. De fait, il est pour le moins critiquable que, pour les motifs strictement pécuniaires, l'avocat soit amené à cesser de soutenir les intérêts de son client au moment où celui-ci en a le plus besoin, c'est-à-dire lors de la mise en oeuvre des décisions de justice pour lesquelles des mesures d'individualisation existent.
Il n'est que de rappeler le rôle éminent du conseil en particulier dans le cadre des requêtes après jugement et dans les procédures d'application des peines.
De plus, l'évolution législative récente, avec le suivi sociojudiciaire des délinquants sexuels et l'éventualité du placement sous surveillance électronique, prévoit explicitement la présence de l'avocat.
Les victimes ne doivent pas non plus être négligées. Pour ce qui concerne la partie civile, la loi prévoit l'indemnisation du conseil qui l'assiste devant toute juridiction du premier degré. Mais le juge de l'application des peines n'est pas considéré comme une juridiction. Pourtant, les décisions qu'il rend peuvent avoir des conséquences directes sur les victimes.
Favorable à la judiciarisation des décisions du juge de l'application des peines, je pense que, sans attendre cette évolution, le décret d'application du 19 décembre 1991 mérite d'être complété dès l'adoption du projet de loi relatif à l'accès au droit.
J'aborde, maintenant, les crédits de l'administration pénitentiaire. Sur l'ensemble de ce chapitre budgétaire, je soutiens les conclusions du rapporteur de la commission des lois, mon collègue et ami, Georges Othily.
Je constate que certains faits demeurent préoccupants, en particulier la persistance d'une population carcérale proche de 58 000 détenus surtout consécutive à l'augmentation de la durée moyenne d'incarcération. Cette situation entretient une certaine tension dans le personnel pénitentiaire en attendant l'amélioration qu'apportera la réalisation de nouvelles maisons d'arrêt. D'autres éléments sont en revanche plus encourageants. Ainsi, je me félicite de la progression de 5 % en deux ans du nombre des peines exécutées en milieu ouvert.
Je suis attaché à l'humanisation de l'exécution des peines. Quand la peine consiste en une privation de liberté, les conditions de son déroulement doivent, en toute circonstance, demeurer conformes à l'impératif de dignité humaine qui prévaut dans notre pays. C'est pourquoi je souligne l'intérêt de certaines innovations annoncées, à l'occasion du débat budgétaire, telles la réforme imminente des services d'insertion et de probation, l'amélioration des conditions d'hygiène et d'alimentation dans les établissements pénitentiaires, les difficiles mais indispensables réflexions en cours sur le maintien des liens familiaux en vue de la réinsertion des détenus. Je reconnais également l'intérêt du projet de création de « centres pour peines aménagées ». Ils éviteront qu'un séjour en prison, si bref soit-il, ne déclenche un inévitable processus de rupture des liens professionnels, sociaux et familiaux.
Au sujet de l'application de la loi du 19 décembre 1997, je comprends parfaitement qu'il convienne de choisir un dispositif technique approprié dont l'étude a été confiée à une entreprise qui déposera son rapport en mai 1999. Parallèlement, une concertation avec les personnels de l'administration pénitentiaire, qui me paraît tout aussi nécessaire, sera conduite. Je souscris à cette approche pragmatique qui devrait permettre de commencer, à la fin de 1999, une expérimentation à la française du placement sous surveillance électronique.
En conclusion, je fais remarquer la qualité du dialogue entre le ministère de la justice et le Sénat. L'adoption définitive du projet de loi constitutionnelle relatif à la composition et au fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature en est une récente illustration.
C'est pourquoi, madame le garde des sceaux, je vote le budget de votre ministère sans hésitation, et j'invite mes collègues du groupe du Rassemblement démocratique et social européen à faire de même.
En effet, les efforts accomplis cette année, s'ils sont prolongés et renouvelés, devraient favoriser la réforme de la justice.
Ainsi pourrait être oublié le paradoxe que vous évoquiez ici même, madame le garde des sceaux, au début de 1998 : « Justice toujours plus critiquée, et chaque jour plus saisie. » Le moment est venu de réconcilier la France avec la justice et de rapprocher les Français de leurs juges. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Ce projet de budget s'inscrit dans le cadre de la loi de programme relative à la justice, dont - je le constate avec satisfaction, madame la garde des sceaux - vous poursuivez l'exécution. Dans ce cadre, les crédits de la justice pour 1999 progresseront de plus de 5 %.
Les moyens accordés à la justice apparaissent donc maintenus avec la création de 930 emplois budgétaires, dont 370 pour les services judiciaires, 61 pour la juridiction administrative, 150 pour la protection judiciaire de la jeunesse et 344 pour les services pénitentiaires.
Ces chiffres masquent malheureusement une réalité qui reste celle de l'encombrement des juridictions, de l'allongement des délais de jugements et, plus généralement, d'une justice perçue par nos concitoyens comme lente, difficilement accessible, et surtout complexe.
Nous sommes en effet amenés à faire face à la demande de justiciables de plus en plus nombreux pour qui le juge tend à devenir non plus un ultime recours, mais un arbitre. Cette attitude est favorisée à la fois par un accès volontairement plus facile à la justice, l'évolution des mentalités, mais aussi l'inflation des normes qui prête également à contentieux. Ce constat posé, quelle devrait être la volonté du Gouvernement ?
Elle doit se traduire évidemment par des moyens, ce à quoi contribue le programme pluriannuel pour la justice, dont vous poursuivez l'exécution lancée par vos prédécesseurs.
Elle se doit surtout d'être une volonté politique forte et de répondre à la demande de nos concitoyens.
Or qu'attendent les justiciables : une justice rapide, efficace, accessible.
Aujourd'hui, cette attente ne peut être satisfaite, notamment en matière civile. En effet, malgré la baisse des affaires nouvelles portées devant les tribunaux de grande instance, les cours d'appel et la Cour de cassation, la durée moyenne des affaires terminées en 1997 augmente par rapport à 1996. Ainsi, les délais de solutions passent à 9,1 mois pour les tribunaux de grande instance et 16,3 mois en appel.
Au pénal, même si quelques améliorations ont pu être constatées du fait du développement des procédures de comparution immédiate, qui sont une bonne chose, il faut souvent attendre plus de trente-cinq mois pour obtenir un jugement en matière criminelle.
La justice administrative est également trop lente. Le délai moyen d'attente est de deux ans en première instance, allant même parfois jusqu'à trois ans en appel.
Eu égard à cette situation, il est à craindre que les moyens mis en place, s'ils sont notables, ne demeurent insuffisants. Les créations de postes que vous annoncez sont en effet largement mobilisées par la mise en place de réformes comme celle portant sur la détention provisoire. On estime que celle-ci absorbera 150 à 200 postes de magistrats, souvent pris sur les effectifs existants, notamment ceux du civil dont les juridictions sont très encombrées.
La réforme des tribunaux de commerce mobiliserait aussi 350 postes de magistrats.
En d'autres termes, ces moyens supplémentaires en effectifs ne contribueront ni à accélérer les délais de jugement ni à réduire les stocks de contentieux en instance. Or, madame la ministre, il y a urgence en cette matière, l'efficacité d'une sanction se mesurant beaucoup plus par sa rapidité que par sa sévérité.
J'évoquerai à cette occasion la réforme de la cour d'assises, très attendue par les Français et actuellement abandonnée. Vous me permettrez de le regretter et d'espérer que vous saurez trouver les moyens nécessaires à l'ensemble des réformes voulues par le Président de la République, réformes que vous avez également l'intention de mettre en oeuvre, si j'en juge par les récentes déclarations du Gouvernement.
J'en viens à un autre dysfonctionnement choquant pour nos concitoyens : l'importance des classements sans suite.
En 1997, les statistiques montrent que les parquets ont reçu près de cinq millions de procès-verbaux : 79 % d'entre eux ont été classés sans suite, dont 22 % auraient eu un auteur connu. Il convient de noter, à cet égard, la répartition très inégale des classements entre la France de l'Ouest et celle du Sud-Est.
Pour nos concitoyens, ces chiffres laissent à penser qu'il y a impunité pour certains auteurs de délits ou de contraventions graves, ce qui génère le sentiment d'une justice inefficace et renforce l'idée d'insécurité.
Comment faire comprendre, par exemple, que l'auteur d'un vol, pour qui l'amende aurait été de 500 francs, voit son affaire classée sans suite en raison des difficultés de recouvrement ? Pour certains procureurs un tel classement d'opportunité peut paraître logique ; pourquoi poursuivre, en effet, quand les frais de procédure et de recouvrement coûtent plus cher que le prix de l'amende à recouvrer ? Cette méthode est cependant dangereuse car elle laisse la porte ouverte à l'impunité pour la petite délinquance et à l'exaspération pour nos concitoyens.
Madame le ministre, il faut donner à la justice les moyens d'agir, quitte à développer d'autres méthodes, pour la plupart déjà existantes. Ainsi, les peines de substitution, notamment auprès des mineurs, ou la compensation judiciaire, sous l'appellation de « classement sous condition de réparation », mériteraient d'être plus souvent employées. L'indemnisation de la victime annule, dans ce cas, la poursuite. Le juge n'est alors pas saisi par le procureur. Cela joue en faveur du désencombrement des juridictions, tout en permettant la réparation.
Notre justice, vous en conviendrez avec moi, madame le garde des sceaux, mérite une réforme globale et cohérente. A cet égard, la révision de la carte judiciaire constitue sans doute la mesure la plus urgente avec son corollaire, à savoir le « redéploiement des effectifs en fonction des besoins objectivement constatés.
La carte judiciaire actuelle comporte, dans son ensemble, de nombreuses incohérences qui ne pourront être corrigées qu'en tirant les leçons des observations faites sur le terrain. Vous venez de nommer une nouvelle commission interministérielle ; nous en attendons les propositions. J'ose espérer qu'elle saura aboutir dans des délais raisonnables à une rationalisation judicieuse et concertée de la carte judiciaire tout en conservant la notion de proximité à laquelle les Français sont attachés.
Il est un autre point sur lequel vous me permettrez quelques remarques : la situation de l'administration pénitentiaire, dont la dotation représente 7,4 milliards de francs pour 1999, soit 28,3 % du budget de la justice. Je note une hausse de 5,79 % par rapport au précédent budget ainsi que la poursuite des constructions et la rénovation du parc existant. Cependant, les moyens en personnels accordés à l'administration pénitentiaire restent très insuffisants.
Malgré la création de 344 emplois inscrite à ce budget, la loi de programme est particulièrement mal suivie. Alors que 3 920 emplois étaient prévus sur cinq ans, aujourd'hui, moins de 46 % ont été créés.
La surpopulation carcérale, malgré une stagnation du nombre des détenus depuis deux ans, reste importante.
Au 1er juillet 1998, le nombre de détenus s'élevait à plus de 57 000 avec un taux d'occupation moyen de 114,8 %, allant jusqu'à 132 % pour les maisons d'arrêt.
Cette surpopulation accroît les risques de conflits entre détenus et rend plus difficile la tâche des personnels de surveillance, généralement trop peu nombreux.
Je me permettrai à cet égard, madame le garde des sceaux, de vous rapporter ce que j'ai pu constater.
A Tours, en raison de la mise en place de la bonification de un cinquième pour les personnels de surveillance, ce qui est une bonne mesure mais que l'on n'a pas su anticiper, cinq départs en retraite sont prévus en janvier 1999. Les personnels manquants ne seront remplacés qu'en mars, ce qui fait un décalage de trois mois. En prenant en compte les congés, nous arrivons à un déficit de sept personnes sur un effectif total de trente surveillants soit plus d'un cinquième des effectifs.
Cette vacance de postes est difficilement gérable. Elle crée un malaise très important chez les personnels de surveillance.
Dans le même temps, alors qu'il leur est demandé un travail accru, est arrivée l'annonce de la revalorisation de la prime de nuit : 95 centimes,... ce qui a été perçu comme un camouflet ! Si l'intention était louable, en l'occurrence, il eût mieux valu ne rien faire.
Madame le ministre vous souhaitez mettre en place pour les détenus des réformes telles que celle de la troisième douche qui sont de bonnes réformes, mais elles nécessiteront des moyens. Dans les établissements du parc classique, une douche supplémentaire signifie des mouvements supplémentaires, donc un besoin en personnels de surveillance, ce qui pose des problèmes dans des établissements déjà en sous-effectif.
La solution serait l'installation de douches dans les cellules. Cette mesure pourrait être envisagée dans le cadre d'une politique globale de rénovation des établissements, notamment du parc classique.
Trop souvent, en effet, les maisons d'arrêt ne sont pas fonctionnelles. Ainsi, à Tours, savez-vous qu'il n'y a ni quartier d'isolement ni quartier des mineurs. Ceux-ci se trouvent ainsi en contact avec le reste des détenus, y compris aux ateliers alors que des activités spécifiques devraient pouvoir leur être proposées. Je vous demande, madame le ministre, d'inclure la réalisation de ces structures dans la politique globale d'aménagement que j'évoquais précédemment.
Concernant le suivi médical des détenus, je tiens à vous témoigner toute ma satisfaction. J'ai pu constater localement les effets très positifs de la continuité des soins. Le succès de cette politique n'est cependant pas, là encore, sans conséquence sur le rôle des surveillants et de la police qui assure les transferts. En effet, il multiplie les mouvements entre le lieu d'incarcération et l'hôpital.
Je reviendrai à cette occasion sur la nouvelle bonification indiciaire ; c'est une bonne mesure. Une mauvaise répartition est cependant à la source d'injustices entre les personnels dans un contexte déjà difficile. Actuellement, pour un même travail, certains bénéficient en effet de la nouvelle bonification indiciaire et d'autre pas. Cela est dû sans doute à un défaut de recensement initial.
Madame le garde des sceaux, nos concitoyens attendent beaucoup de la justice et il reste beaucoup à faire pour adapter une institution qui représente l'un des piliers de notre démocratie. Votre projet de budget, en poursuivant la loi de programme pluriannuelle, se donne des moyens de réponse.
Restent à poursuivre les efforts entrepris concernant l'administration pénitentiaire, notamment, et à lancer une réforme globale de la justice, conformément aux voeux du Président de la République.
Bien que ce projet de budget comporte des imperfections, le Gouvernement semble manifester cettte volonté, et c'est pourquoi, avec le groupe du RPR, je voterai ce texte. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de budget pour 1999 connaît, cette année, une nouvelle progression - ce dont nous nous réjouissons - avec une hausse des crédits de 1,4 milliard de francs par rapport à l'an passé, soit une progression de 5,6 %.
Il traduit ainsi votre volonté constante, madame la garde des sceaux, de faire de la justice une priorité du Gouvernement.
L'enveloppe globale atteindra donc 23,6 milliards de francs, représentant 1,6 % du budget de l'Etat, contre 1,55 % en 1998, et permettra la création de 930 emplois nouveaux, contre 762 en 1998.
Il s'agit là - il convient de le souligner - de la plus forte hausse parmi les ministères civils. Pour autant, tout n'est pas réglé d'avance étant donné le retard accumulé depuis des années en ce domaine.
Toutefois, ce projet de budget marque, pour la seconde année consécutive, une rupture avec la politique judiciaire menée depuis trop longtemps dans notre pays avec, notamment, les gels d'emplois.
Mais le point noir de la justice demeure. Chacun en a conscience : sa lenteur préoccupe légitimement les personnels judiciaires ainsi que les justiciables.
Les délais des contentieux continuent de se détériorer. Ainsi sont-ils passés de 15,8 mois à 16,3 mois pour les cours d'appel et de 8,9 mois à 9,1 mois pour les tribunaux de grande instance.
Nous sommes d'accord avec vous, madame la garde des sceaux, quand vous dites que, pour remédier à cette situation, s'il faut augmenter les effectifs, cette solution ne saurait être efficace sans s'accompagner d'une modernisation de la gestion des tribunaux et d'une simplification des procédures, civiles et pénales.
Pour leur part, les créations d'emplois concernent 140 postes de magistrats - soit le double par rapport à l'an dernier - auxquelles il convient d'ajouter les recrutements exceptionnels que nous avons votés pour 1998 et 1999 : 230 postes de fonctionnaires, dont 122 emplois de greffiers et greffiers en chef, enfin 35 techniciens en informatique.
Il est, par ailleurs, prévu de recruter 400 assistants de justice supplémentaires, portant ainsi leur nombre total à 950.
Je ne peux m'empêcher, madame la garde des sceaux, de me faire l'écho des inquiétudes et des revendications des fonctionnaires des greffes, qu'ils soient en chef ou de catégorie C.
Ceux-ci s'interrogent sur l'opportunité de créer 400 postes d'assistants de justice pour une dépense de plus de 15 millions de francs, correspondant à la création d'une centaine d'emplois de fonctionnaires de catégorie B.
Il est en effet inquiétant de constater, dans les effectifs de la Chancellerie, un nombre important d'auxiliaires et de vacataires, ce qui relève d'une politique de l'emploi précaire, alors que ce dont a besoin l'institution judiciaire pour répondre pleinement à ses missions, qu'elles soient anciennes ou nouvelles, c'est d'une politique de l'emploi d'agents titulaires.
Les greffiers dénoncent, par ailleurs, des inégalités croissantes entre agents de la même administration et demandent, en conséquence, une revalorisation de leur situation indemnitaire et statutaire, ainsi qu'une amélioration de leurs conditions de travail.
Il conviendrait, à la veille de la réforme des métiers de greffes, de reconsidérer ces questions.
J'en viens, à présent, aux crédits de la protection judiciaire de la jeunesse pour 1999, qui connaissent une progression de 6,4 % et prévoient la création de 150 emplois, dont 113 éducateurs. C'est un premier pas devant, précisément, en appeler d'autres, d'autant que la mission Lazerges-Balduick préconisait la création de 500 postes d'éducateurs, d'assistantes sociales et de psychologues par an, pendant six ans.
Nous partageons les principales orientations en matière de lutte contre la délinquance juvénile, arrêtées lors du conseil de sécurité intérieure du 8 juin dernier.
Il s'agit, d'une part, de mettre en place une politique de réponse judiciaire systématique et rapide à tous les actes de délinquance, surtout pour les premiers faits de délinquance des mineurs, évitant ainsi tout sentiment d'impunité.
Il s'agit, d'autre part, de valoriser les solutions alternatives à l'incarcération, comme la réparation, ensuite de développer et de rénover les centres d'hébergement, voire de renforcer les mesures d'éloignement pour les auteurs d'actes les plus graves, enfin, d'associer davantage les familles et l'ensemble des acteurs concernés par la délinquance des mineurs.
Nous estimons primordial, madame la garde des sceaux, d'inscrire l'action du Gouvernement en la matière dans l'esprit de l'ordonnance de 1945 et de sa démarche éducative.
Nous restons très attachés, en effet, à l'importante mission éducative de prévention et de réinsertion dévolue à la protection judiciaire de la jeunesse.
Priorité doit être donnée à une politique de prévention, menée très avant auprès des enfants, afin de lutter contre la délinquance des mineurs, lesquels commettent, de plus en plus jeunes, des actes répréhensibles et sont de plus en plus violents.
En ce qui concerne les crédits des services pénitentiaires, ils bénéficient d'une hausse de 6 % et d'une création de 344 emplois, dont 220 pour le personnel de surveillance. Il s'agit là, il faut le noter, d'un effort important.
Toutefois, le mécontentement des gardiens de prisons, caractérisé par leur mouvement de protestation en septembre dernier, dès l'annonce des mesures contenues dans le projet de budget pour 1999 de la justice, doit attirer notre attention. Leurs revendications portent sur les effectifs et sur les rémunérations.
A propos des effectifs, il est clair que, au regard du retard accumulé depuis des années en la matière, les créations d'emplois, pourtant importantes, prévues par le projet de budget restent éloignées de la réalité des besoins existants. En effet, la loi de programmation sur la justice prévoyait la création de 3 920 emplois en cinq ans. Au bout de quatre ans, on constate que le nombre de ces créations s'élève à 1 802.
Il aurait fallu une hausse d'effectifs au moins deux fois plus importante pour répondre aux difficultés latentes de cette administration.
Quant aux rémunérations, les personnels demandent une revalorisation des primes de nuit, de dimanche et de jours fériés, qu'ils estiment insuffisantes par rapport à leur charge de travail.
Les personnels de surveillance ont à accomplir une mission ardue, dans des conditions de travail très difficiles, liées, notamment, à la violence et à la dangerosité des détenus, à la surpopulation carcérale, à la vétusté des locaux, aux conditions matérielles de détention.
Ils méritent, par conséquent, une véritable reconnaissance de leur travail, qui doit se traduire sur le plan financier et statutaire.
La prise en compte de la situation des détenus fait aussi partie des revendications des surveillants, et n'est pas sans effet sur les conditions de travail des surveillants et la sécurité des établissements.
Nous devons préserver la dignité des détenus au sein des établissements pénitentiaires. C'est ainsi que 22,8 millions de francs seront destinés, cette année, à améliorer les conditions de vie quotidienne des détenus.
A ce sujet, mon ami André Gerin, rapporteur pour avis à l'Assemblée nationale sur ces questions, a émis l'idée, que je reprends, d'une « sorte de revenu minimum d'existence en prison », de manière à respecter la dignité des détenus les plus pauvres, notamment.
Il faut aussi lutter contre l'indigence des sortants de prison et s'attacher au problème de réinsertion. Je pense, par exemple, aux centres pour peines aménagées, qui ont pour objet d'améliorer la réinsertion des détenus condamnés à des peines de moins d'un an.
Pouvez-vous nous donner, madame la garde des sceaux, des précisions concernant la mise en place des « unités de visites familiales », qui inquiètent les syndicats à plusieurs titres ?
Le problème de la surpopulation carcérale rend encore plus difficiles les conditions de détention et doit nous amener à privilégier les réponses alternatives à l'incarcération, ce que prévoit l'un de vos projets de réforme, madame la garde des sceaux.
La question de la mise en détention provisoire est aussi à revoir, quand on sait que sa durée moyenne ne cesse d'augmenter et qu'elle continue, pour une large part, à surpeupler les prisons. Nous aurons bientôt à examiner un projet de loi portant sur ce thème.
Enfin, étant donné l'état des lieux, fort préoccupant, des établissements pénitentiaires, souvent vétustes et encombrés, vous nous faites des propositions en matière de rénovation et de constructions.
Je rappelle brièvement, comme je l'avais évoqué lors de l'examen du projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits, que les plafonds pour l'obtention de l'aide juridictionnelle, totale ou partielle, restent trop faibles et ne permettent pas, en conséquence, de lutter pleinement contre les exclusions.
En conclusion, madame la garde des sceaux, avec un projet de budget pour 1999 qui augmente de 5,6 %, après la progression de 4 % de l'an passé, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen ne peuvent qu'approuver votre attachement à faire de la justice, trop longtemps délaissée, la priorité du Gouvernement.
Nous voterons donc ce projet de budget, tout en veillant, d'une part, à ce que cet effort ne se relâche pas dans les années à venir - nous vous faisons confiance - mais, au contraire, s'intensifie et, d'autre part, à ce que le calendrier des réformes en cours soit respecté et les moyens financiers et humains à leur hauteur.
En tout dernier lieu, je veux évoquer les écrits ignobles d'Alain Terrail, avocat général à la Cour de cassation de Toulon, dans une publication de l'association professionnelle des magistrats.
Nous soutenons votre démarche dans cette affaire, madame la garde des sceaux, et serons très attentifs aux suites qui y seront données, notamment quant aux sanctions disciplinaires.
Un tel dérapage, qui n'est pas isolé, est intolérable et doit être sanctionné. Une enquête est ouverte et nous espérons que cet acte et ses conséquences ne resteront pas impunis. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Othily.
M. Georges Othily. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon ami et président de groupe, Guy Cabanel, nous a fait part, à l'instant, de ses réflexions sur l'ensemble de la réforme présentée par le Gouvernement, ainsi que sur les moyens à consacrer afin de voir celle-ci aboutir. Adhérant pleinement aux propos qu'il a tenus, je n'y reviendrai pas. Je consacrerai donc l'ensemble de mon intervention, ce que vous comprendrez très bien, madame la ministre, à la situation de la justice dans l'outre-mer, et singulièrement, en Guyane.
Nous avons adopté en première lecture, voilà un peu plus d'un mois, un projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits. J'espère très sincèrement que la loi future permettra de remédier à des situations parfois indignes d'une démocratie.
Madame la ministre, vous avez très certainement eu connaissance du rapport d'enquête réalisé pour le conseil départemental de l'aide juridique de la Guyane sur le thème : « L'accès au droit des populations de la Guyane ». Ce document dresse un état des lieux qui se révèle insatisfaisant.
Il convient de relever, en premier lieu, que la Guyane, à l'exception de Cayenne, semble avoir été oubliée de la carte judiciaire. C'est en effet dans cette ville que sont concentrés la quasi-totalité des moyens mis à la disposition des justiciables. Ainsi, à Saint-Laurent-du-Maroni, un seul avocat tient une permanence hebdomadaire.
Ce monopole géographique de la justice dans notre département est lourd de conséquences, surtout pour ce qui concerne la justice au quotidien, à laquelle le Gouvernement a montré tout son attachement.
Comment espérer, en effet, qu'une personne résidant dans le sud du département, c'est-à-dire parfois à presque vingt-quatre heures de trajet de Cayenne, puisse se rendre à une convocation du tribunal ?
En outre, il convient de prendre en compte l'existence de frais moins légaux, mais pourtant difficilement contournables, tels que l'achat de tickets d'attente, vendus de 400 francs à 500 francs au marché noir, et qui permettent d'être sûr de passer et d'attendre un minimum de temps aux guichets des administrations.
Indépendamment des évolutions statutaires rendues nécessaires par l'évolution politique de la Nouvelle-Calédonie, nous avons, lors de notre dernière réunion à Versailles, validé des accords qui reconnaissent très officiellement l'existence d'une coutume et d'un droit coutumier au sein de cette collectivité territoriale.
La situation est exactement identique dans le département de la Guyane où vivent des populations qui, pour certaines d'entre elles, ignorent une grande partie de la législation en vigueur. Cela ne signifie pas pour autant que ces communautés sont dépourvues de règles de vie en société. Néanmoins, le droit français refuse de reconnaître une valeur à ces usages. De nombreux intéressés doivent ainsi faire face à des situations délicates dans la mesure où, pourtant convaincus d'avoir agi selon les règles, ils ne parviennent pas à obtenir satisfaction devant les tribunaux.
Vous avez remarqué, madame la ministre, que les éléments dont je vous ai fait part jusqu'à présent concernent exclusivement le particularisme guyanais.
A cet ensemble de problèmes, et pour conclure sur la question de l'accès au droit, il conviendra, bien évidemment, d'ajouter les difficultés, plus traditionnelles, rencontrées en France métropolitaine, telles que la méconnaissance des procédures, le défaut d'écoute des victimes, ou encore l'excessive lenteur des juridictions.
En ce qui concerne les crédits alloués au ministère de la justice, je tiens à vous faire connaître la position des professionnels du droit en Guyane sur les structures juridiques elles-mêmes.
Il semble en effet nécessaire d'envisager, j'espère à l'occasion du projet de loi de finances pour l'an 2000, la création d'une cour d'appel autonome dans le département de la Guyane.
A l'heure actuelle, les appels des jugements rendus par le tribunal de grande instance de Cayenne sont interjetés devant la cour d'appel de Fort-de-France qui, grâce à une intervention législative de 1990, dont je suis à l'origine, dispose d'une chambre détachée à Cayenne.
Cet aménagement temporaire n'est plus satisfaisant aujourd'hui, tant l'activité de la chambre détachée est importante. Il s'agit, en particulier, de l'activité civile, sociale et commerciale, ainsi que de celle de la chambre d'accusation, qui justifient la création d'une vraie cour d'appel à Cayenne. De son côté, la cour d'assises, également surchargée, mobilise pendant trois mois pleins l'unique salle d'audience de la chambre détachée, ce au détriment des autres activités de la juridiction d'appel.
Si la création d'une cour d'appel est rendue nécessaire en raison de l'activité, elle est également justifiée sur le plan structurel. En effet, la chambre détachée se compose d'un président de chambre et de deux conseillers. L'un de ces conseillers ayant la charge de la cour d'assises, il ne peut donc pas siéger à la chambre d'accusation.
Dans de très nombreux cas de figure, il est donc nécessaire de faire appel à un conseiller de la cour d'appel de Fort-de-France pour compléter la chambre détachée, ce qui entraîne d'importants frais de déplacement qui sont mis à la charge du ministère.
La création d'une cour d'appel de plein exercice est donc l'unique moyen de mettre un terme aux dysfonctionnements actuels.
On retrouve également cette exigence pour ce qui concerne les juridictions du premier degré, où la présence d'un seul tribunal de grande instance à Cayenne n'est plus de nature à faire face à l'ensemble des demandes, sans compter les problèmes de géographie que j'évoquais au début de mon intervention. A cet égard, la tenue d'audiences foraines ne saurait constituer une solution durable.
Il me semble donc indispensable de provoquer la création, à Saint-Laurent-du-Maroni, d'un nouveau tribunal de grande instance ou, si cette hypothèse n'est pas envisageable dans la mesure où Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni appartiennent au même département, à tout le moins la création d'une chambre détachée du tribunal de grande instance de Cayenne.
En tout état de cause, la ville de Saint-Laurent-du-Maroni devra prochainement disposer de son propre tribunal d'instance, de façon que le règlement des litiges les plus simples ne s'accompagne pas systématiquement pour les justiciables d'un déplacement vers Cayenne, soit deux fois deux cent cinquante kilomètres.
Je sais, madame la ministre, que l'ensemble de ces propositions ont un coût. Néanmoins, il est primordial que des mesures financières soient annoncées, afin qu'en Guyane comme ailleurs justice soit rendue. Dans cette attente, et afin de vous témoigner la confiance que je porte à votre action, je voterai le budget de votre ministère. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de défendre devant vous, pour la deuxième année, le projet de budget pour la justice. Je m'en réjouis d'autant plus que mon ministère, vous l'avez tous souligné, déjà favorisé en 1998, bénéficie d'une priorité encore plus marquée pour 1999.
Je rappellerai d'abord brièvement quelles sont les grandes caractéristiques de ce projet de budget. Je répondrai ensuite aux rapporteurs. Enfin, je reviendrai sur les questions qui ont été posées par les orateurs.
Vous avez souligné que les crédits de la justice connaissaient une progression de 5,6 %, soit 1,4 milliard de francs, progression qu'il convient de comparer à l'augmentation du budget général de l'Etat de 2,3 %. Par conséquent, la priorité accordée au budget de la justice est encore plus affirmée cette année.
Il importe surtout de noter que notre ministère bénéficiera de la création de 930 emplois budgétaires, contre 762 l'an dernier, ce qui représentait déjà un effort considérable par rapport aux années précédentes. Cela constitue la plus forte hausse de tous les ministères civils.
Vous avez également bien voulu remarquer, et je vous en remercie, qu'outre les créations d'emplois l'effort concerne également l'équipement. Avec 1,7 milliard de francs d'autorisations de programme nouvelles, la justice se situe, en effet, au premier rang, après le secteur des transports, pour les investissements civils directs de l'Etat. Les crédits de paiement augmentent, pour leur part, de 13 %.
Ces crédits sont destinés, bien entendu, à permettre la mise à niveau des juridictions, c'est-à-dire à rattraper les retards sur lesquels vous avez tous, à juste titre, insisté, et aussi à financer les réformes dont je rappellerai les grandes lignes.
Premier volet de la réforme : une justice au service des citoyens. Il s'agit de deux grands textes législatifs : le projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits, qui a été voté en première lecture à l'Assemblée nationale et au Sénat, et le texte relatif à la simplification des procédures pénales, qui a déjà été examiné par votre assemblée et le sera prochainement par l'Assemblée nationale.
Deuxième volet de la réforme : une justice au service des libertés. Il s'agit du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, qui a été déposé le 16 septembre 1998 sur le bureau de l'Assemblée nationale. Je reviendrai tout à l'heure sur les moyens qui sont affectés à ces mesures dans le projet de budget pour 1999.
Troisième volet de la réforme : une justice indépendante et impartiale. Deux grands textes législatifs sont prévus. Il s'agit, d'abord, du projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature, que votre assemblée a bien voulu voter à une très forte majorité,...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. A une écrasante majorité !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... à une écrasante majorité, en effet, de 274 voix contre 17 voix, le 18 novembre dernier. Je m'en réjouis tout particulièrement parce que le vote des deux assemblées ouvre maintenant la voie à une réforme par le Congrès de l'article 65 de la Constitution.
Le second texte est le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale qui modifiera les relations entre la Chancellerie et le parquet et qui a été déposé au mois de juin sur le bureau de l'Assemblée nationale.
Au-delà des différentes hypothèses évoquées pour le calendrier, j'ai la certitude que notre volonté commune répondra à l'attente de nos concitoyens et nous permettra de poursuivre sereinement dans la voie de la réforme.
J'avais dit que deux à trois ans seraient nécessaires pour mener à bien cette réforme, que j'ai présentée en conseil des ministres en 1997. Lorsque je regarde en arrière, je suis fière du travail que nous avons accompli ensemble et du rythme que nous avons adopté ensemble.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'aborderai maintenant successivement les moyens de la politique judiciaire, la lutte contre la délinquance des jeunes et la politique pénitentiaire.
S'agissant, tout d'abord, des services judiciaires, sur lesquels vous avez beaucoup insisté, à juste titre d'ailleurs, je rappelle que j'ai deux objectifs : d'une part, l'amélioration du fonctionnement quotidien des juridictions et, d'autre part, la mise en oeuvre des réformes.
C'est, à juste titre, que M. le rapporteur spécial s'inquiète de la multiplication des réformes sans que des moyens financiers suffisants les accompagnent. Je tiens de nouveau à le rassurer en réaffirmant, d'une part, que je ne mènerai que les réformes dont j'ai les moyens et, d'autre part, que ces réformes ne se feront pas au détriment de la justice quotidienne. Pour la première fois depuis plusieurs années, ce budget met en oeuvre les engagements du Gouvernement.
S'agissant du fonctionnement quotidien des juridictions, comme certains d'entre vous l'ont souligné, pour la première fois depuis de nombreuses années, le flux global des affaires civiles a diminué, en 1997, de 3,1 %. La baisse est particulièrement sensible dans les tribunaux de grande instance, puisqu'elle est de 4,6 %.
Néanmoins - et c'est un paradoxe - les délais de traitement du contentieux continuent à se détériorer : le nombre des affaires nouvelles demeurent supérieur à celui des affaires traitées dans l'année et le stock des affaires en cours continue d'augmenter. Les délais sont passés dans les cours d'appel de 15,8 à 16,3 mois et dans les tribunaux de grande instance de 8,9 à 9,1 mois.
M. Haenel mais aussi Mme Derycke, que je salue pour sa première intervention sur mon budget, tout en regrettant bien évidemment l'absence de M. Germain Authié, qui conserve toute notre amitié, ont souligné, à juste titre, les difficultés qu'éprouvent les justiciables face à l'augmentation de ces délais, et ce dans toutes les juridictions.
Pour remédier à cette situation, il nous faut jouer sur trois tableaux en même temps. Il faut, d'abord, augmenter les moyens, ce que j'ai fait pour la deuxième année consécutive, ensuite, simplifier les procédures - tel sera l'objet du projet de loi sur la simplification des procédures pénales et du décret inspiré du rapport Coulon sur la simplification des procédures civiles, qui sera publié avant la fin de l'année - et, enfin, procéder à la modernisation de la gestion des juridictions.
En ce domaine, il est indispensable d'entreprendre des efforts supplémentaires, car, ainsi que j'ai pu le constater, à effectifs et à contentieux égaux, les délais sont plus ou moins importants selon les tribunaux. Et ceux dans lesquels ils sont moins importants sont ceux où les magistrats se parlent, parlent aux greffiers et aux avocats et concluent des contrats de procédure. Il n'y a pas de miracle.
M. Pierre Fauchon. Il y a des présidents qui président !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Pourquoi - et la question est importante - n'est-ce pas le cas dans tous les tribunaux ? Tout simplement parce qu'il n'est pas possible d'imposer ce genre de réforme, dont le succès dépend de la volonté des acteurs de la mettre en oeuvre.
J'ai demandé à l'inspection des services judiciaires de rédiger, à partir de l'année prochaine, des rapports non seulement sur ce qui ne fonctionne pas bien - c'est sa mission essentielle - mais aussi sur ce qui fonctionne bien.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ainsi - et je me tourne vers le directeur des services judiciaires qui est au premier chef intéressé par cette nouvelle orientation donnée à l'inspection des services judiciaires - il pourra être fait état, lors des réunions que je tiens très régulièrement mais que lui-même tient encore plus souvent avec les chefs de cour ou de juridiction, de ces pratiques innovantes...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... qui permettront, grâce à des initiatives très concrètes, d'améliorer le fonctionnement des juridictions. Ce travail d'incitation - il ne peut pas être autoritaire - demandera naturellement un certain temps.
Mme Derycke ainsi que MM. Haenel et Fauchon ont insisté sur l'importance de la modification de la carte judiciaire pour améliorer le fonctionnement des juridictions.
J'ai décidé, vous le savez, d'initier une méthode nouvelle pour tenter de remédier aux échecs que nous avons constatés. Cette méthode consiste à ne plus faire référence à la départementalisation qui avait été rejetée, et on en comprend les raisons. En effet, on ne peut pas imposer une méthode unique à tous les départements, car chacun a des particularités qui lui sont propres. Certains sont très peuplés, d'autres sont situés en zone de montagne, d'autres encore, mal irrigués, connaissent des conditions de circulation difficile. Il faut donc « territorialiser » notre approche.
Tel est l'objectif de la mission qui a été créée et qui devra se rendre sur le terrain. Je lui ai demandé de commencer par établir la carte des tribunaux de commerce. Cette réforme me semble en effet la plus urgente, car cette carte n'avait pas été revue en 1958, contrairement à celles des autres juridictions. Par ailleurs, l'amélioration du fonctionnement des tribunaux de commerce et l'impartialité des décisions qu'ils rendent sont directement liées au perfectionnement de cette carte judiciaire.
Cette mission, qui a été installée au mois de mai, parachèvera, en 1999, les propositions sur la réforme de la carte des tribunaux de commerce dans six cours d'appel prioritaires. Nous suivons pas à pas l'avancée de ses travaux. Mon objectif est que, d'ici à la fin de 1999, l'ensemble de la carte des tribunaux de commerce soit redessinée. Cette étude nous permettra d'affiner nos analyses sur les autres juridictions. En effet, nous nous engagerons, après, dans la réforme de la carte des autres juridictions.
J'ai évoqué, pour commencer mon propos, les renforcements en personnel car ce point me semble le plus significatif pour les services judiciaires.
A cet égard, 370 emplois ont été créés. Le nombre d'emplois créés de magistrat qui s'élève à 140 est le plus élevé depuis quinze ans. Il marque un doublement de l'effort réalisé en 1998 qui constituait déjà un record depuis dix ans.
En outre, les recrutements seront accélérés grâce à l'augmentation des postes offerts au concours de l'Ecole nationale de la magistrature, puisqu'ils passent de 40 à 185, et aux deux concours exceptionnels que vous avez bien voulu autoriser en 1998 et en 1999.
Ces créations de postes seront accompagnées de la création de 230 emplois de fonctionnaires - je le souligne particulièrement à l'attention de M. Bret qui a beaucoup insisté sur ce point - dont 122 postes de greffiers et de greffiers en chef et 35 postes de techniciens informatiques.
Enfin, le projet de loi de finances pour 1999 prévoit le recrutement de 400 assistants de justice supplémentaires, ce qui portera leur nombre à 950. Nombre d'entre vous ont formulé des observations à leur sujet. Mme Derycke a souligné que leur concours donne entière satisfaction aux magistrats, et c'est vrai, M. Bret a toutefois souligné que ces postes d'assistants de justice ne devaient pas se substituer à des postes de fonctionnaires. Tel ne sera pas le cas. J'ai indiqué aux représentants des syndicats de greffiers, lorsque je les ai reçus dernièrement, comme je le fais très régulièrement, qu'ils n'étaient nullement en concurrence avec les assistants de justice. En effet, il s'agit de 400 postes provisoires qui ne sont pas comptabilisés dans les créations de postes du ministère de la justice. En effet, vous savez que tout poste créé est pris à d'autres ministères. Cela fait partie d'un équilibre global.
Ces postes seront offerts à de jeunes universitaires qui veulent profiter de la fin de leur thèse pour acquérir une expérience professionnelle. Il ne s'agit en aucun cas de remplacer des fonctionnaires. Il y a donc non pas concurrence, mais complémentarité, et je crois que c'est bien compris ainsi.
Par ailleurs, une enveloppe de 18 millions de francs a été prévue pour engager et financer l'indispensable réforme du statut de la magistrature qui est, comme vous le savez, destinée à fluidifier le déroulement de carrière et à permettre une plus grande mobilité des magistrats. Cette réforme, préparée par mon prédécesseur, n'avait pas, jusqu'à cette année, trouvé de financement. Je suis heureuse de pouvoir, enfin, débloquer les crédits nécessaires. Bien entendu, cette réforme devra être étalée sur plusieurs années.
Je souligne qu'un effort particulier a été consenti dans ce budget pour augmenter de 64,4 millions de francs, soit une hausse de 3,5 %, la dotation de fonctionnement des juridictions.
C'est très important, car ces moyens supplémentaires nous permettront d'assurer le développement des conseils départementaux d'aide juridique, la continuation de la création de maisons de justice, l'informatisation systématique des magistrats engagée en 1998 et la poursuite de la création de pôles spécialisés dans la lutte contre la délinquance économique et financière. Les deux premiers pôles ont été constitués, l'un à Paris, l'autre à Bastia, en 1998.
Les tribunaux bénéficieront d'efforts en matière d'équipement puisque les autorisations de programme, en augmentation par rapport à 1998, atteignent 673 millions de francs. Les travaux de construction et de mise en sécurité des juridictions seront poursuivis, notamment le lancement de la construction des palais de justice de Toulouse, de Besançon et de Rodez et l'achèvement des grands chantiers de Rennes, de Grasse, de Nantes et de Nice. Voilà ce qui sera fait en 1999, mais nous allons également poursuivre les chantiers lancés en 1998.
M. Haenel a insisté, à juste titre, sur le palais de justice de Paris. Il est vrai que les juridictions parisiennes ont un déficit en surface évalué à 50 000 mètres carrés, ce qui oblige à multiplier le recours à des locations hors les murs et entraîne des difficultés de fonctionnement récurrentes.
Alors que les années 1995-1999 ont permis de relancer les constructions judiciaires dans la plupart des grandes villes françaises, comme Aix-en-Provence, Bordeaux, Caen, Lyon, Montpellier, Nantes, Nice, Toulouse et Rennes, je souhaite que les années à venir permettent, par la construction d'un nouveau tribunal de grande instance à Paris, de résoudre les difficultés de la plus grande juridiction de France.
J'en viens maintenant à la mise en oeuvre des politiques judiciaires que va permettre mon budget.
En matière pénale, le projet de loi relatif à la présomption d'innocence exige, à l'évidence, des moyens nouveaux.
Les personnes placées en garde à vue pourront bénéficier, lorsque le projet de loi sera voté, de l'assistance d'un avocat dès la première heure ; 20 millions de francs de provisions sont donc prévus dans le projet de budget pour permettre le financement par l'aide juridictionnelle de cette assistance lorsque cette dernière sera nécessaire.
La création de la fonction de juge de la détention exigera la mise en place de nouveaux magistrats. Le budget de 1999 s'en donne les moyens en créant des postes de juges du siège non spécialisés. Je n'ai pas encore décidé de la répartition précise des 140 postes de magistrats mais, bien entendu, une part non négligeable d'entre eux ira aux postes destinés aux juges de la détention provisoire.
Cette réforme nécessitera une centaine de magistrats et non 150 à 200, comme M. Leclerc l'a indiqué tout à l'heure à cette tribune. Nous commencerons à dégager ces postes sur le budget 1999, et peut-être aurons-nous l'essentiel de la réforme ainsi prévue.
Le chapitre des frais de justice, qui participe directement au fonctionnement quotidien de la justice, permet de financer les mesures liées au projet de loi relatif aux alternatives aux poursuites. Ses crédits sont en hausse de 121 millions de francs.
Le chapitre des frais de justice bénéficie également d'une mesure nouvelle de 42 millions de francs qui permettra, d'une part, d'améliorer la préparation des décisions en développant le contrôle judiciaire socio-éducatif et les enquêtes sociales, et, d'autre part, de développer la médiation pénale et les classements sous conditions qui évitent un classement sans suite pur et simple.
Je citerai enfin la relance de la politique d'aide aux victimes par une circulaire du 13 juillet dernier et la création, la semaine dernière, d'un groupe de travail interministériel dont la présidence a été confiée à la députée Mme Marie-Noëlle Lienemann.
En matière civile, le chapitre de l'aide juridictionnelle, en hausse de 215 millions de francs, bénéficie d'une importante mesure nouvelle de plus de 97 millions de francs, destinée précisément à accompagner la mise en oeuvre des réformes.
Le projet de décret relatif à la procédure civile, qui doit être publié au Journal officiel d'ici à la fin de l'année, a pour principal objectif d'apporter sa contribution à la résorption de la situation d'engorgement des cours et des tribunaux.
J'évoquerai enfin le projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 29 juin 1998. Je crois effectivement que la saisine du juge ne doit plus être la seule voie permettant aux personnes de faire valoir leur droit et de bénéficier de l'aide de l'Etat.
J'ai décidé de renforcer l'inspection générale des services judiciaires, qui a déjà en charge des missions thématiques nombreuses, et qui, en outre, assume une mission permanente de contrôle de fonctionnement des juridictions.
Je souhaite que ce service puisse renforcer sa présence sur le terrain. A cet effet, cinq postes supplémentaires ont été inscrits au projet de budget pour 1999. Par ailleurs, nous allons par redéploiement interne affecter six greffiers en chef à l'inspection générale des services judiciaires pour commencer à réaliser un contrôle plus efficace des greffes des tribunaux de commerce et des mandataires de justice. Vous voyez que je n'attends pas la réforme législative des tribunaux de commerce, programmée pour l'année prochaine, pour commencer à agir, comme je l'ai d'ailleurs déjà fait avec les modifications de tarifs.
En ce qui concerne la justice administrative, il faut, là aussi, répondre à la hausse du contentieux.
A cet égard, je voudrais souligner que le budget du Conseil d'Etat et des juridictions administratives s'élève à 803 millions de francs cette année et que l'augmentation en moyens de paiement est de 4,9 % à structure constante.
Ce projet de budget comprend, comme l'année dernière, la création de 21 emplois de magistrats et de 40 emplois d'agents de greffe, ainsi que les crédits nécessaires à la rémunération de 15 magistrats recrutés à titre temporaire.
Les crédits d'investissement permettront d'assurer la création de la nouvelle cour de Douai, l'installation définitive du tribunal administratif de Melun, la poursuite de la politique de relogement des juridictions ainsi que la modernisation et la restauration du Conseil d'Etat.
Je voudrais maintenant répondre à la question posée par M. Haenel et Mme Derycke, au sujet des moyens consacrés à la réforme des tribunaux de commerce.
Je viens d'indiquer ce que je compte faire sur le plan des moyens internes et réglementaires. La réforme législative, qui prévoit, notamment, la mixité des tribunaux de commerce et qui tend à augmenter le nombre de postes de juges professionnels - ces derniers devront en effet aller dans les tribunaux de commerce - sera élaborée et, j'espère, votée par le Parlement dans le courant de l'année 1999. Par conséquent, les moyens à dégager devront être prévus à partir du budget pour l'an 2000. J'ai naturellement obtenu un accord de mon collègue du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, et j'ai bien dit dans la communication que j'ai faite en conseil des ministres - cela a été acté par le Premier ministre - que cette réforme devait également être financée ; bien entendu, il faudra prévoir un étalement sur plusieurs années, car nous ne pouvons pas envisager d'affecter en une seule année 300, voire 350 magistrats professionnels aux seuls tribunaux de commerce. Toujours est-il que cela ne pèsera pas sur le budget pour 1999.
Vous avez été nombreux, mesdames, messieurs les sénateurs, à insister sur les vacances de postes et le fait que les délais de justice étaient toujours importants. Où en est-on de la balance effective entre les magistrats qui sont recrutés et ceux qui partent ? Je recrute beaucoup, avec votre aide, depuis que je suis en charge de ce ministère, soit par des créations de postes budgétaires, soit par l'augmentation du nombre de postes ouverts aux concours, soit par les concours exceptionnels. Mais enfin, où en sommes-nous vraiment ?
Les départs à la retraite vont être faibles jusqu'en 2004, puisque leur nombre sera de 60 à 80 par an. Parallèlement, les recrutements seront nombreux, du fait des mesures que nous sommes en train de prendre. Il résultera donc de cela un accroissement des effectifs. Voilà déjà une première assurance que je voulais vous donner.
Le Gouvernement n'a pas décidé de retenir la méthode de la loi de programmation. La dernière en date n'a pas été vraiment respectée, sauf la première année, et, si son taux d'exécution n'est pas mauvais, c'est bien en raison des deux derniers budgets que j'ai fait voter ! Il s'agit donc d'un débat qui me paraît un peu abstrait. Je préfère démontrer concrètement, budget après budget, que nous augmentons les moyens, plutôt que de faire voter par le Parlement une loi de programmation alors que les précédentes lois n'ont pas tenu toutes leurs promesses. C'est une méthode différente, mais ce qui compte, c'est le résultat !
Je répondrai maintenant à M. Haenel et à Mme Derycke sur le recrutement des magistrats hors concours, sujet évidemment très important.
Il existe à ce titre plusieurs voies d'intégration directe : le détachement judiciaire, les magistrats affectés à titre temporaire et les conseillers en service extraordinaire. La procédure est la suivante : les dossiers sont constitués dans les cours d'appel. Ils sont soumis à la commission d'intégration, composée, en majorité, de magistrats élus par leurs pairs. En réalité, cette commission ne comporte aucun non-magistrat,...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Eh oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... et ses décisions s'imposent au ministre.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Malheureusement !
M. Pierre Fauchon. Il faut changer cela, madame la ministre !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Justement ! Que pouvons-nous faire pour remédier à cette situation ?
M. Pierre Fauchon. Vous avez plus d'un tour dans votre sac ! (Sourires.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Tout d'abord, nous avons la possibilité, avec la mise en oeuvre de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, de confier l'examen des dossiers au Conseil supérieur de la magistrature rénové,...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Voilà ! Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... qui, grâce à la réforme que vous avez votée ici et que vous confirmerez, je pense, au Congrès, se compose majoritairement de non-magistrats, ce qui devrait permettre d'éviter tout risque de corporatisme.
Cette disposition est susceptible d'être incluse dans la loi organique statutaire qui suivra la réforme constitutionnelle du Conseil supérieur de la magistrature.
Je reviendrai tout à l'heure sur la question des services judiciaires en répondant aux questions plus particulières.
J'en viens maintenant aux crédits affectés à la protection judiciaire de la jeunesse et à la lutte contre la délinquance des mineurs.
Le Gouvernement a arrêté ses orientations en matière de lutte contre la délinquance juvénile lors du conseil de sécurité intérieure du 8 juin 1998. Ces orientations se sont appuyées sur le rapport présenté par Mme Lazerges et M. Balduyck, à la demande de M. le Premier ministre.
Sur cette importante question, j'ai adressé aux parquets une circulaire, le 15 juillet 1998, en précisant les orientations principales retenues par M. le Premier ministre et le conseil de sécurité intérieure.
Tout d'abord, il s'agit d'apporter une réponse à tous les faits de délinquance commis par les mineurs, quelle que soit leur gravité, et d'abord aux premières infractions.
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Voilà qui est très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il est prévu de recruter dans un premier temps 200 délégués du procureur, qui seront spécialisés dans la délinquance des mineurs, pour pouvoir convoquer immédiatement ces derniers dès qu'un acte de délinquance est connu.
Ensuite, il convient de développer les mesures de réparation. En effet, cette mesure est une sanction particulièrement appropriée aux mineurs, car elle permet de leur faire comprendre la portée de leurs actes, d'entendre les victimes et d'associer des collectivités pour sa mise en oeuvre.
Enfin, il est prévu de développer des dispositifs d'accueil de jour et d'hébergement diversifiés pour répondre précisément à la diversité de la délinquance des mineurs, ainsi que pour permettre de prendre en charge sans délai tous les jeunes adressés par les juges et, pour ceux qui ont commis les actes les plus graves, de les éloigner de leur quartier, voire parfois de leur département d'origine.
Pour mettre en oeuvre ces orientations, l'augmentation des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse est tout à fait notable, comme Jean-Pierre Bel, dont je salue ici la première intervention, a bien voulu le noter tout à l'heure.
A juste titre, Patrice Gélard, présentant au titre de la commission des lois un rapport sur les crédits de la protection de la jeunesse, a conclu que « l'augmentation des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse ne se fait pas à charge constante, mais en parallèle avec des missions renouvelées ».
Bien entendu, les crédits permettront à la fois de rattraper certains retards constatés ces dernières années et de mettre en oeuvre ces nouvelles orientations.
Une cellule de coordination de l'accueil d'urgence, associant le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse, le secteur associatif habilité et l'aide sociale à l'enfance, en concertation avec les juridictions, sera mise en place dans les vingt-six départements prioritaires définis par le conseil de sécurité intérieure. Cinq conventions ont d'ores et déjà été signées. Nous en attendons quatre autres dans les semaines à venir.
Enfin, le nombre des dispositifs éducatifs renforcés, qui permettent d'organiser des séjours de rupture pour les mineurs les plus difficiles et de les faire bénéficier d'une présence permanente et individualisée d'éducateurs, passera de treize à vingt d'ici à la fin de 1999.
Avec 150 créations d'emplois - contre 100 en 1998, chiffre presque trois fois supérieur à celui de l'année précédente - dont 113 éducateurs et chefs de service éducatif, la protection judiciaire de la jeunesse connaîtra, en 1999, le plus fort taux annuel d'augmentation de ses effectifs depuis 1982.
Les crédits de fonctionnement des services de la protection judiciaire de la jeunesse augmenteront de 6,8 %.
Les crédits d'investissement permettront la création de nouveaux foyers d'hébergement et la rénovation des foyers existants.
J'en viens aux services pénitentiaires, car il nous faut améliorer les conditions de détention, vous l'avez tous souligné.
J'ai présenté en conseil des ministres, le 8 avril 1998, une communication sur le rôle et la place des services pénitentiaires dans l'amélioration de l'exécution des décisions de justice.
MM. Cabanel et Othily ont souligné tout à l'heure qu'avec 57 458 détenus au 1er juillet 1998 la situation dans nos prisons reste un problème préoccupant, même si la population se stabilise depuis deux ans, car l'allongement de la durée moyenne d'incarcération se poursuit.
C'est à juste titre que M. Georges Othily souligne le paradoxe qui veut que les prévenus « sont incarcérés dans les maisons d'arrêt, c'est-à-dire dans les établissements où la surpopulation est la plus grande et où les conditions sont donc les plus difficiles, alors même qu'ils sont présumés innocents ». J'y reviendrai plus loin.
En milieu ouvert, les publics suivis augmentent de manière significative : 123 000 personnes ont été suivies en 1997, soit une augmentation de 5 % par rapport à 1996.
Pour les services pénitentiaires, les crédits vont bénéficier d'une hausse de près de 6 % et 344 emplois nouveaux seront créés, dont 220 de personnel de surveillance. Cet effort, qui est loin d'être négligeable, doit être noté.
Je m'attache aussi à l'amélioration de la prise en charge des détenus, qui est indispensable : elle a une incidence fondamentale non seulement sur la situation des détenus, mais aussi sur les conditions de travail des personnels.
La généralisation progressive du « projet d'exécution des peines », destiné à impliquer et à responsabiliser davantage les détenus dans l'exécution de leur peine, et l'amélioration de la prise en charge des prévenus constituent une priorité.
J'ai également décidé d'affecter 22,8 millions de francs de crédits de fonctionnement à l'amélioration des conditions d'hygiène, avec notamment l'augmentation du nombre de douches hebdomadaires de deux à trois et l'amélioration de la qualité des petits déjeuners. Une attention particulière sera portée aux indigents, notamment dans le cadre de la préparation à la sortie.
Je voudrais, à cet égard, ouvrir une parenthèse, puisque M. Bret a évoqué cette question tout à l'heure et que M. Gerin l'avait abordée avant lui à l'Assemblée nationale.
Au sein de cette enveloppe de 22,8 millions de francs prévue au titre de l'amélioration des conditions de vie des détenus, 2 millions de francs seront consacrés à l'aide aux personnes qui sortent de prison sans ressources.
Nous avons également décidé de fournir régulièrement aux détenus indigents des produits d'hygiène ainsi que d'améliorer les prestations qui leur sont servies.
S'agissant du RMI, il est vrai que son versement n'est pas prévu pour les détenus, mais il est tout de même maintenu pendant les soixante premiers jours de l'incarcération. D'autre part, les détenus susceptibles d'être pris en charge dans le cadre du RMI ont la possibilité d'établir avant leur sortie un dossier pour bénéficier dès leur libération d'une avance de droits afin de leur permettre d'attendre l'aboutissement de la procédure administrative.
L'administration pénitentiaire favorise de plus en plus - c'est une bonne chose - l'accès des détenus à une activité qui leur procure un minimum de ressources pendant la détention, par le développement des activités de travail et des actions d'enseignement et de formation, notamment dans le cadre de la lutte contre l'illettrisme.
Je voudrais également, sur la question de l'administration pénitentiaire, revenir sur le maintien des liens familiaux, qui constitue un facteur essentiel de réinsertion des détenus, surtout de ceux qui effectuent une longue peine.
Des initiatives sont prises pour simplifier l'accès aux parloirs et généraliser les structures spécifiques qui permettent l'accueil des familles. Nous soutenons, vous le savez, les associations qui travaillent dans ce domaine.
MM. Othily et Bret ont évoqué la réflexion en cours sur le sujet des unités de vie familiale. Je voudrais, à ce titre, vous apporter quelques précisions.
Le principe de la création de ces unités de vie familiale est connu, je l'avais annoncé dans ma communication au conseil des ministres le 8 avril dernier. C'est un principe ancien, d'ailleurs, puisqu'une première étape a été lancée en 1985 et qu'un rapport à été réalisé par la direction de l'administration pénitentiaire, en 1995, à la demande de mon prédécesseur, et communiqué aux organisations syndicales en janvier 1998.
Je crois utile de préciser ce qui est envisagé, parce qu'on lit trop souvent, ici ou là, une caricature de ces unités de vie familiale.
D'abord, ce projet s'inscrit dans le cadre du maintien des liens familiaux des détenus. Quels sont les membres de la famille concernés par ce projet ? Il s'agit des parents des détenus, de leurs enfants, de leurs frères et soeurs et de leur conjoint, époux ou concubin.
Ce projet vise à permettre à certains détenus de recevoir des membres de leur famille pendant une durée plus longue que celle d'un parloir classique : il s'agira de douze, voire de vingt-quatre heures.
Quels sont les détenus concernés ? Ce sont les condamnés à une longue peine et qui ne peuvent pas bénéficier de permission de sortir, car il y en a.
Quel est l'état d'avancement du dossier ? Des études ont été réalisées, et une expérimentation est possible dès 1999. Des sites ont été étudiés par la direction de l'administration pénitentiaire, en concertation avec les directeurs régionaux.
La presse a cité certains noms d'établissements. Je n'ai pas encore fait de choix sur ces sites. Il n'existe encore que des études techniques, la concertation syndicale n'est pas achevée et je souhaite qu'elle se poursuive. La direction de l'administration pénitentiaire la poursuit et l'intensifiera au cours de l'année 1999.
Je voudrais également souligner l'effort particulier que nous mettons en oeuvre en faveur des mineurs détenus.
Le plan que j'avais défini est en cours de réalisation. Il repose sur l'adaptation de l'action éducative et l'amélioration des conditions d'hébergement, l'affectation de personnels mieux formés et spécialisés et la restructuration des quartiers réservés aux mineurs.
Je précise également que la modernisation du parc pénitentiaire se poursuit. Un programme d'équipement a été lancé dès 1998, en vue de la construction de trois nouveaux établissements à Lille, Toulouse et Le Pontet, près d'Avignon. En 1999, 696 millions de francs d'autorisations de programme permettront d'engager la deuxième tranche de ce programme, dont les localisations définitives ne sont pas encore arrêtées.
Je tiens à souligner que les normes sanitaires des nouveaux établissements seront très nettement améliorées : les toilettes seront cloisonnées, des douches individuelles seront installées dans les cellules. Les crédits de paiement sont en hausse sensible, pour atteindre 438 millions de francs contre 278 millions de francs en 1998.
Bien sûr, j'ai pleinement conscience de l'acuité et de l'ampleur des besoins de rénovation du parc ancien. C'est pourquoi j'engage un programme de rénovation ambitieux sur cinq grands établissements particulièrement vétustes, et surencombrés par surcroît : Fresnes, Fleury, La Santé, Loos et les Baumettes.
Je veux aussi, vous le savez, développer les alternatives à l'incarcération, qui passent par la mise en oeuvre d'une politique permettant aux autorités judiciaires de limiter le recours à l'emprisonnement et de prévenir la récidive.
La réforme des services pénitentiaires d'insertion et de probation sera opérationnelle à la fin de l'année 1999.
Les moyens des services socio-éducatifs des établissements pénitentiaires et des comités de probation et d'assistance aux libérés seront mutualisés, par la création d'un « service pénitentiaire d'insertion et de probation », organisation unique à compétence départementale.
A cette fin, 78 emplois seront créés en 1999.
Par ailleurs, dans le cadre du programme de construction de places de semi-liberté, vont être réalisés d'ici à la fin de l'année, sur deux sites pilotes, des « centres pour peines aménagées » visant à améliorer la prise en charge des détenus condamnés à de courtes peines.
A terme, je souhaiterais ainsi que, grâce à la création de ces centres réservés aux détenus condamnés à de courtes peines, les maisons d'arrêt soient réservées aux prévenus et que ceux-ci, par conséquent, soient mieux traités qu'ils ne le sont aujourd'hui.
M. Cabanel a été l'instigateur devant la Haute Assemblée du projet de loi sur la surveillance électronique. Je lui précise que les études techniques pour déterminer la nature du dispositif sont en cours. Un audit a été confié à ce titre à une société et les concertations syndicales sont en train d'être effectuées, notamment sur le choix des établissements pénitentiaires de rattachement.
Le calendrier prévu est le suivant : à la fin de 1998, nous devrions avoir terminé les consultations syndicales ; en mai 1999, nous devrions avoir terminé les études techniques et, à la fin de 1999, nous devrions pouvoir débuter l'expérimentation.
Je voudrais maintenant répondre aussi brièvement que possible aux nombreuses et très intéressantes questions qui m'ont été posées par les différents intervenants.
S'agissant de l'Ecole nationale de la magistrature, à laquelle s'intéresse de très près M. Haenel, votre rapporteur spécial, la question du recrutement des maîtres de conférences est particulièrement importante. Elle a donné lieu récemment, avant le changement de directeur, à de vifs débats au sein du conseil d'administration, sur l'initiative du Premier président de la Cour de cassation, qui préside ce conseil.
Il me semble que, pour enseigner, par exemple, la justice des mineurs, il peut être utile de faire appel à quelqu'un qui a une expérience dans l'un des vingt-six départements prioritaires en la matière plutôt qu'à quelqu'un qui est issu d'un département rural du Sud-Ouest.
Le nouveau directeur de l'Ecole nationale de la magistrature et le nouveau directeur des services judiciaires s'attachent à donner une vraie publicité aux postes vacants, à prospecter auprès des chefs de cour les talents d'expérience et d'animation propres à enseigner les auditeurs de justice, et veillent à une répartition équilibrée de la géographie des juridictions dont sont originaires les maîtres de conférences.
La réforme de l'Ecole nationale de la magistrature ne fait que commencer. Nous allons moderniser les programmes, ouvrir le conseil d'administration et faire de cette école - c'est mon objectif - une grande école au service de la justice.
MM. Haenel et Gélard ont, l'un et l'autre, insisté sur la nécessaire amélioration des relations entre les procureurs et les élus, en particulier avec les maires des petites communes...
M. Hubert Haenel, rapporteur spécial. Surtout avec les maires !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... qui, il est vrai, sont soumis de plus en plus à des contraintes et à la mise en jeu de leur responsabilité.
J'aurai l'occasion prochainement de rappeler, comme je l'ai déjà fait, aux chefs de cour, premiers présidents et procureurs généraux, que, sans compromettre en rien l'indépendance de leurs fonctions juridictionnelles, les parquets peuvent utilement participer à des commissions, à des réunions d'associations départementales de maires, et réunir régulièrement quelques-uns de ceux qui s'intéressent aux sujets de politique judiciaire, en organisant, au niveau du tribunal ou de la cour, des réunions thématiques sur tel ou tel aspect de la politique pénale - urbanisme, chasse, baux ruraux, délinquance des mineurs, les sujets ne manquent pas - et en diffusant les statistiques et les documents qui permettent de mesurer l'activité, les stocks et les délais nécessaires compte tenu des nouvelles saisines des tribunaux.
Il doit être possible de s'inspirer des contrats locaux de sécurité, qui peuvent nous ouvrir de nouvelles pistes. Je vais d'ailleurs en signer deux cet après-midi, à Gennevilliers et à La Courneuve, pour bien marquer l'importance que j'attache à cette nouvelle méthode.
M. Gélard a évoqué la formation des avocats. Sur cet important sujet, je tiens à vous dire, monsieur le sénateur, où nous en sommes : nous avons progressé, puisque le Conseil national des barreaux a opéré une synthèse des réflexions en cours, dans un rapport publié le 15 novembre 1997.
Nous avons sollicité l'avis de la conférence des bâtonniers du barreau de Paris sur ces orientations. Un premier avant-projet de loi vient d'être adressé aux trois organismes : le conseil national des barreaux, bien entendu, qui a, en ce domaine, une responsabilité particulière, la conférence des bâtonniers et le barreau de Paris. Cet avant-projet de loi est construit autour de plusieurs orientations qui devraient permettre d'améliorer la qualité de la formation des magistrats. J'espère que nous aurons un retour très rapidement.
S'agissant de la formation, il nous faut à la fois renforcer la formation théorique et pratique en alternance sur dix-huit mois dans un centre régional de formation professionnelle auquel on accède après un concours d'entrée.
Il faut aussi resserrer le nombre des formations et financer, bien entendu, mieux que ce n'est le cas aujourd'hui, la formation des avocats eux-mêmes, par des droits d'inscription qu'il faut revoir, et par la participation de l'Etat.
Il faut, enfin, s'assurer de la perception de la répartition du financement par le conseil national des barreaux.
Vous avez insisté, monsieur Gélard, sur la protection judiciaire de la jeunesse - vous étiez, d'ailleurs, le rapporteur du projet - notamment sur l'idée de la tenue d'assises pour la jeunesse.
La direction de la protection judiciaire de la jeunesse prépare pour 1999 trois séminaires sur les questions que posent les jeunes en difficulté. Ces séminaires réuniront tous les professionnels concernés et des intellectuels français mais aussi européens.
Nous avons également pris d'autres initiatives, notamment le développement d'un partenariat entre la protection judiciaire de la jeunesse et les conseils généraux, à travers l'association des présidents de conseils généraux, pour essayer de parvenir à une meilleure synergie entre les attributions et les efforts respectifs de l'Etat et des départements.
Par ailleurs, pour la première fois, mon ministère participera à l'exercice des contrats de plan Etat-région. J'espère que plusieurs régions accepteront, à ce titre, de participer au financement de la protection judiciaire de la jeunesse.
MM. Bel et Gélard ont insisté sur la nécessité d'améliorer la santé en détention. Depuis la réforme de 1994, c'est, bien entendu, le ministère de la santé qui définit les axes de la politique de santé publique à conduire en milieu carcéral. C'est un progrès, car cela signifie que les détenus qui sont malades sont traités comme ceux qui le sont à l'extérieur.
MM. Bel, Plasait et Leclerc ont évoqué la question des classements sans suite.
Sur 4 900 000 procès-verbaux, 3 100 000 font état d'un auteur inconnu. Ce qui fait que le pourcentage de classements sans suite réels, lorsque les auteurs sont connus - quand l'auteur est inconnu, on ne peut évidemment que classer sans suite ! - est de 17 %. Convenez que c'est tout de même moins que ce que l'on entend d'habitude !
En outre, sont comptabilisées dans les classements sans suite un nombre important d'affaires pour lesquelles les faits sont prescrits ou non qualifiés pénalement.
Enfin, le recours aux mesures de troisième voie - classement sous condition, rappel à la loi - est également considéré comme un classement sans suite en raison de je ne sais quelle aberration statistique à laquelle, je l'espère, nous allons mettre fin rapidement. Je compte, pour ce faire, sur le directeur de l'administration générale de l'équipement.
Tout cela devrait nous permettre de ramener cette affaire des classements sans suite à des proportions plus raisonnables et, en tout cas, plus conformes à la réalité.
S'agissant de la carte judiciaire, il reste, bien entendu, beaucoup à faire. Mais j'ai déjà répondu à M. Fauchon sur ce point.
M. Fauchon a également évoqué l'importante question du contentieux familial. Je partage son analyse. Les traumatismes sont évidemment considérables. J'ai demandé à un groupe de travail, présidé par Mme Dekeuwer-Desfossez, de mener une réflexion sur ces sujets. Le rapport qui me sera rendu en juillet 1999 fera l'objet d'une très large concertation.
Monsieur Leclerc, le système du « un cinquième », qui accélère le départ en retraite des surveillants de l'administration pénitentiaire, a été mis en place par une loi de 1996, présentée par mon prédécesseur M. Toubon. Mais aucun financement n'était prévu. En 1998, j'ai obtenu, pour permettre de compenser les départs en retraite anticipée, 450 postes en surnombre. Pour 1999, j'ai obtenu cinq cents postes en surnombre, qui s'ajoutent aux recrutements supplémentaires que j'ai effectués l'an dernier et cette année. Il m'apparaît que 727 recrutements en deux ans est tout de même un résultat non négligeable !
Pour ce qui est des indemnités, vous avez de nouveau cité la somme de 95 centimes, comme tous ceux qui veulent montrer à quel point cette somme est faible.
Permettez-moi de vous dire que le total des indemnités atteint 3,9 millions de francs dans le projet de loi de finances pour 1999, que, sur six primes versées aux surveillants d'administration pénitentiaire, trois ont vu leur montant relevé et surtout que, pour chaque surveillant, en 1999, l'augmentation nette par an sera, pour le premier échelon, de 1 753 francs et, pour le deuxième échelon, de 2 221 francs. On est loin des 95 centimes, voire des 9,50 francs, voire des 950 francs, puisque c'est deux fois plus que cette somme pour le premier échelon et trois fois plus pour le deuxième. Il faut, en fait, ajouter des zéros à ces 95 centimes que l'on avance ici de façon polémique.
Monsieur Leclerc, je suis d'accord pour réformer la cour d'assises, mais pas n'importe comment ! Actuellement, je fais procéder à une analyse fine. Par ailleurs, je ne lancerai la réforme que lorsque je saurai que je peux la financer.
Depuis plusieurs semaines, mes services expertisent d'autres solutions moins coûteuses, notamment le système tournant. Lorsque le bilan sera prêt, avec les avantages, les inconvénients des divers systèmes et les diverses options, je lancerai une très large consultation et j'en informerai, naturellement, le Parlement d'abord. La réforme devrait pouvoir aboutir d'ici à la fin de la législature.
Pour ce qui est des prisons dans les départements d'outre-mer, monsieur Othily, le ministère de la justice a fait un effort considérable qui s'est traduit par trois établissements neufs en cinq ans - Baie-Mahault, en Guadeloupe, Ducos, en Martinique, et Remiré-Montjoly, en Guyane - pour un coût total de 780 millions de francs. C'est vrai, il y a encore beaucoup à faire, mais convenez tout de même que nous n'oublions pas les départements d'outre-mer !
En conclusion, je veux remercier tous les rapporteurs, sans exception, d'avoir souligné que ce budget était un bon budget et tous les groupes d'avoir préconisé son adoption.
Si donc vous suivez les recommandations des porte-parole de vos groupes, mesdames, messieurs les sénateurs, ce budget sera, une nouvelle fois, adopté à l'unanimité. Sans anticiper sur votre vote, je vous en remercie à l'avance. Cela étant, je partage, bien entendu, votre sentiment : ces efforts consentis depuis deux ans, nous ne devons pas nous dispenser de continuer à les soutenir dans les années qui viennent pour que les retards considérables qui ont été pris puissent effectivement être rattrapés. (Applaudissements.)
M. le président. Nous allons procéder à l'examen et au vote des crédits concernant le ministère de la justice et figurant aux états B et C.

ÉTAT B

M. le président. « Titre III : 698 817 436 francs. »