Séance du 16 décembre 1998







M. le président. « Art. 22 bis. - L'article L. 4133-4 du code général des collectivités territoriales est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les séances de la commission permanente sont publiques.
« Néanmoins, sur la demande de cinq membres ou du président du conseil régional, la commission peut décider, sans débat, à la majorité absolue des membres présents ou représentés, qu'elle se réunit à huis clos. »
Par amendement n° 31, M. Paul Girod, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. L'article 22 bis prévoit la publicité systématique des délibérations de la commission permanente.
Là encore, il y a beaucoup à dire, même sur le plan constitutionnel. En effet, qu'est-ce que la commission permanente, sinon un organe restreint de l'assemblée qui contrôle l'exécutif dans ses décisions d'exécutif ? Par conséquent, la commission permanente a besoin de sérénité et de confidentialité dans un certain nombre de cas pour pouvoir régler des problèmes particuliers.
Un conseil régional peut bien sûr décider librement que, pour des raisons qui lui sont propres, toutes les séances de la commission permanente seront publiques. Mais il paraît entièrement imprudent d'imposer a priori une telle règle pour toutes les délibérations...
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Paul Girod, rapporteur. ... sauf exceptions, qui, bien évidemment, attireront immédiatement l'attention sur la délibération à l'ordre du jour ! Tout cela ne peut déboucher que sur l'indifférence ou sur l'excès d'attention. Selon le vieil adage, on ne mérite jamais ni cet excès d'honneur ni cet excès d'indignité !
Les commissions permanentes ont donc besoin, pour être efficaces, de préserver la confidentialité de leurs délibérations. J'ajoute que, lors de ces dernières, bien des informations concernant des situations personnelles sont mises au jour. Au nom de quoi ces situations, qui sont même quelquefois couvertes par le secret professionnel, pourraient-elles être mises à la disposition du public n'importe comment ?
Par conséquent, si un conseil régional peut bien sûr décider que les séances de la commission permanente seront publiques, il nous paraît excessif de le lui imposer a priori . Voilà pourquoi l'amendement n° 31 vise à supprimer l'article 22 bis.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Monsieur le rapporteur, la commission permanente n'est pas l'exécutif de l'assemblée.
M. Paul Girod, rapporteur. Elle contrôle l'exécutif !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Elle assure le contrôle de l'exécutif.
M. Paul Girod, rapporteur. C'est ce que j'ai dit !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. C'est une reproduction à la proportionnelle de l'assemblée régionale.
La grande majorité des régions ont introduit la publicité des débats. Or, la publicité qui s'applique à l'assemblée régionale vaut aussi, à mon avis, pour la commission permanente. Je ne vois vraiment pas quelles raisons pourraient conduire à la repousser par principe.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit simplement que, « sur la demande de cinq membres ou du président du conseil régional, la commission peut décider, sans débat, à la majorité absolue des membres présents ou représentés, qu'elle se réunit à huis clos ». Or la commission permanente peut comprendre un nombre très important de membres, et donc ne plus être une formation réduite de l'assemblée régionale mais un organe comptant pratiquement autant de membres.
A ce titre, le fait qu'il y ait publicité des débats ne me semble pas entraver le principe de la bonne administration, d'autant qu'un verrou a été prévu par l'Assemblée nationale.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 31.
M. Guy Allouche. Je demande la parole contre l'amendement.
M. Hilaire Flandre. Contre ? C'est mission impossible !
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le rapporteur, que craignez-vous? Qu'ont à cacher les assemblées élues ?
M. René-Georges Laurin. Ce n'est pas pour cacher, c'est pour travailler !
M. Josselin de Rohan. La transparence, cela vous va bien !
M. Guy Allouche. Monsieur de Rohan, je crois que vous devriez être beaucoup plus prudent dans votre expression ! (Protestations sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Josselin de Rohan. Pas du tout : je persiste !
M. Guy Allouche. Les assemblées élues n'ont rien à cacher ! Vous dites, monsieur le rapporteur, que la commission permanente a, entre autres fonctions, le contrôle de l'exécutif. Raison de plus ! Le contrôle de l'exécutif doit se faire au grand jour quand c'est nécessaire !
Les réunions seront publiques, aux termes mêmes de la loi. Toutefois - M. le ministre vient de le rappeler - si le président de l'assemblée régionale ou si cinq membres de la commission permanente demandent le huis clos, il sera décidé. (Murmures sur les travées du RPR.)
M. Hilaire Flandre. Il faut voter à la majorité !
M. Paul Girod, rapporteur. Oui, le vote doit se faire à la majorité !
M. Guy Allouche. S'il s'avère qu'une délibération d'une commission permanente porte sur des personnes, les élus régionaux savent ce qu'ils ont à faire ! Ne les prenez pas pour des demeurés ou des débiles !
Mais s'il s'agit, comme c'est le cas dans 99 % des délibérations, de décisions politiques, de subventions à accorder, etc., en quoi est-il gênant que ces délibérations aient lieu en public ?
Par ailleurs, nous savons bien qu'après la réunion de l'exécutif les porte-parole des groupes politiques vont rencontrer la presse pour tout lui relater ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
Au Sénat, nous délibérons en séance publique. Pourquoi n'en irait-il pas de même dans les commissions permanentes ? Pendant quinze ans, j'ai été membre d'une assemblée régionale, au sein de laquelle j'ai exercé certaines responsabilités. Eh bien je puis vous dire qu'il nous est arrivé de décider que nos délibérations se dérouleraient en public ! La loi ne le prévoyait pas et nous aurions pu être sanctionnés, certes, pour vice de forme. Mais nous avions voulu donner un caractère exceptionnel à certaines réunions lorsqu'il s'agissait de contrats de plan, d'infrastructures particulières ou de dossiers importants pour la vie économique et sociale de la région.
En la circonstance, de l'exception qui était la règle jusqu'à ce jour nous voulons faire une règle prévue par la loi. Et, dans des cas précis, si le huis clos s'impose, de grâce ! faisons confiance à nos collègues élus régionaux pour en décider !
Prévoir que le huis clos s'impose en toute circonstance, tout d'abord, ce n'est pas accomplir un effort d'information civique à l'égard de nos concitoyens, qui peuvent s'intéresser à la vie d'une commission permanente ; ensuite, cela peut éveiller la suspicion. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. Hilaire Flandre. Il faut supprimer les assemblées et instaurer le forum permanent !
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je constate que, au fur et à mesure que le débat sur ce texte progresse, apparaît l'intention du Gouvernement de compliquer ce qui, jusqu'à ce jour, a pu fonctionner de manière relativement simple et sans susciter la moindre critique.
M. Allouche vient de nous dire que, certaines fois, nous avons décidé que la commission permanente siègerait en public. Très bien ! Personne n'a trouvé à y redire, et c'était l'affaire de chaque conseil régional.
Maintenant, vous inventez, monsieur le ministre, une procédure supplémentaire qui devra être engagée à la veille de la réunion d'une commission permanente. Il suffira, dites-vous, que cinq membres de la commission permanente demandent le huis clos pour l'obtenir. J'ignore le nombre de membres de la commission permanente de la région d'Ile-de-France...
M. Henri de Raincourt. Quarante-cinq à cinquante membres !
M. Jacques Larché, président de la commission. Avec deux cent neuf conseillers régionaux, une commission permanente de quarante-cinq à cinquante membres me semble en effet dans l'ordre des choses !
Une fois que ces cinq membres de la commission permanente auront demandé le huis clos, la commission permanente devra voter à la majorité absolue, mais la moitié de la séance va être consacrée à l'examen des raisons, bonnes ou mauvaises, pour lesquelles il y a lieu de tenir une séance publique ou bien, au contraire, de siéger à huis clos !
Monsieur le ministre, je ne sais pas si vous avez une expérience suffisante des règles de fonctionnement des collectivités territoriales, mais sachez que ces dernières ont besoin de règles simples, et il ne faut pas que les décisions qu'elles prennent déclenchent je ne sais quel soupçon : « Comment ? La commission permanente a délibéré à huis clos ? Mais pourquoi ? Que se passe-t-il ? »
Honnêtement, monsieur le ministre, je me demande où est la cohérence, où est la volonté politique du Gouvernement. Nous avons tous le sentiment que les institutions régionales sont essentielles ! Or vous êtes en train d'en vicier et le fonctionnement à la base et les règles d'élection en donnant - M. le rapporteur l'a parfaitement montré - un pouvoir exorbitant au président du conseil régional.
Vous soumettez cette institution, que nous connaissons bien, à des règles préalables qui n'ont aucune nécessité et qui vont, encore une fois, compliquer son fonctionnement.
Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, faites attention ! En cet instant, peut-être avec un peu plus de force qu'il y a quelques jours, je vous rappellerai en effet les propos de François Mitterrand, qui déclarait en substance qu'une loi électorale mal bâtie, une loi électorale obéissant à des perspectives particulièrement partisanes, risquait de se retourner très certainement et très rapidement contre ceux qui l'avaient instituée.
Nous sommes très attachés au mode de fonctionnement des collectivités territoriales et nous vous mettons en garde une fois encore contre ce que vous êtes en train de faire. Mais vous allez le faire, nous le savons bien, même si nous gardons un espoir avec le Conseil constitutionnel.
Si, par malheur, votre projet de loi est voté sans être modifié, il se traduira par un affaiblissement de la région. Je crois que vous prenez une lourde responsabilité ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. René-Georges Laurin. Ce sera la chienlit !
M. Josselin de Rohan. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Tous ceux qui ont siégé dans une commission permanente comprennent le caractère particulièrement pernicieux de la disposition qui nous est soumise.
Monsieur le ministre, la commission permanente est un lieu où règne, contrairement à ce qui a pu être dit, une certaine sérénité. Si, dans les débats publics d'une assemblée, on échange des arguments - parfois des invectives, parce qu'on parle sous le contrôle du public ou de la presse et qu'on est quelquefois porté à quelque exagération - on a dans l'ensemble le souci de travailler avec objectivité dans les commissions permanentes et il n'y a pas de pression extérieure.
Certains conseils régionaux peuvent prévoir, dans leur règlement intérieur, la possibilité - exceptionnelle - d'associer le public aux délibérations de la commission permanente, mais ce n'est qu'une faculté. C'est d'ailleurs fort sage, car on imagine bien que ces conseils régionaux n'entendent pas que l'exception devienne la règle. Or vous, monsieur le ministre, vous voulez faire de la publicité une règle.
Dès lors, que va-t-il se passer ? Lorsque l'on voudra polémiquer et tirer argument contre la majorité qui gère le conseil régional, eh bien ! on convoquera, sur telle ou telle décision de la commission permanente, tel ou tel groupe de pression, telle ou telle association, devant lesquels on se livrera à la petite comédie à laquelle on se livre souvent en public. On va ainsi transformer en micro parlement ou en micro assemblée une commission qui travaillait sérieusement et qui pouvait échanger un certain nombre d'arguments parce que cela se passait relativement confidentiellement.
Le président de région que je suis a toujours pu donner à des conseillers régionaux d'opposition des précisions sur tel ou tel dossier délicat au sein de la commission permanente, parce qu'il savait que personne n'irait publier à l'extérieur les propos qu'il tenait alors.
Les conseillers régionaux sont responsables, et si des tiers sont présents et se montrent bien décidés à exploiter tout ce qui pourra être dit au sein de la commission permanente pour en tirer argument soit contre la majorité du conseil régional, soit contre son président, le débat aura complètement changé de nature.
Il est extrêmement dangereux de s'engager dans cette voie ! Cela revient en effet à détruire une atmosphère de travail qui existe dans les commissions permanentes, et vous prenez là une lourde responsabilité.
Nous n'avons rien à cacher, c'est évident ! Les décisions que nous prenons sont publiques, elles sont contrôlées par la tutelle et, si nous faisions quoi que ce fût d'illégal, nous serions sanctionnés.
L'important, c'est la liberté des propos tenus au sein de la commission permanente, où certaines choses peuvent être dites et certaines autres tues.
M. René-Georges Laurin. C'est exact !
M. Josselin de Rohan. Et c'est cela que vous voulez changer !
Enfin, expliquez-moi pourquoi les seuls conseils régionaux seraient astreints à ce type de publicité. Pourquoi n'étendez-vous pas cette règle aux conseils généraux, voire aux conseils municipaux ?
M. Guy Allouche. Nous le ferons après !
M. Josselin de Rohan. Après tout, le raisonnement est le même ! Appliquez-le partout !
M. Hilaire Flandre. Et même au conseil des ministres !
M. Josselin de Rohan. Je n'irai pas jusque-là,...
M. Henri de Raincourt. Et pourquoi pas ?
M. Josselin de Rohan. ... mais, si vous voulez être transparents, soyez-le jusqu'au bout ! Mais soyez surtout un peu sérieux ! (Très bien ! et applaudissements sur les travaées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Henri de Raincourt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Raincourt.
M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne suis pas sûr de pouvoir ajouter grand-chose à ce que vient d'exprimer excellemment mon ami Josselin de Rohan, mais il est quand même des moments où le bon sens et la politique ne font pas forcément bon ménage.
Nous avons vraiment le sentiment, alors que nous discutons de ce texte depuis déjà un certain nombre d'heures, que nous sommes dans une telle circonstance et c'est, au fond, assez grave, parce qu'il va y avoir dans cette affaire deux victimes : la première sera l'institution régionale, que certains prétendent vouloir faire monter en puissance dans le fonctionnement de nos institutions nationales, et la seconde sera tout simplement - et sans forcer le trait - la démocratie elle-même.
M. René-Georges Laurin. Très juste !
M. Henri de Raincourt. Les éléments que nous a livrés Josselin de Rohan sont tout à fait fondés. J'y ajouterai simplement cette interrogation : que se passera-t-il, en pratique, si, par hypothèse, les commissions permanentes des conseils régionaux deviennent systématiquement publiques ? S'il y a encore des gens suffisamment raisonnables dans les conseils régionaux - ce que je crois - ils se réuniront sous une forme informelle, entre eux, pour préparer la réunion de la commission permanente.
Cette dernière perdra, de ce fait, sa mission de contrôle de l'exécutif, elle se bornera à entériner, au cours d'une séance purement formelle, ce sur quoi on se sera préalablement mis d'accord. La démocratie n'y gagnera ni efficacité, ni transparence, ni progrès.
Par ailleurs, si, effectivement, on procède ainsi pour les conseils régionaux, pourquoi n'étendrait-on pas le dispositif aux assemblées territoriales ?
En tant que président de conseil général, je dois, à chaque réunion de la commission permanente, évoquer devant mes collègues des sujets personnels.
M. René-Georges Laurin. Bien sûr !
M. Henri de Raincourt. Lorsque le conseil général aura à protéger des enfants contres des agissements d'adultes et à défendre leurs intérêts, devrons-nous, au titre de la publicité des débats, jeter le nom des uns et des autres en pâture à l'opinion publique ?
De même, lorsqu'on nous demandera, tout à fait normalement d'ailleurs, de remettre des dettes sociales contractées par un certain nombre de personnes auprès du département, devrons-nous humilier encore davantage lesdites personnes en citant leur nom, qui sera ainsi publié dans le journal ?
M. René-Georges Laurin. Très bien !
M. Henri de Raincourt. La non-publicité systématique des débats des commissions permanentes, c'est le respect de la démocratie, c'est le respect des personnes, avec, naturellement, au titre de la transparence - je présume que c'est quasiment partout la même chose - un relevé des décisions publié à l'issue des travaux.
Franchement, ce sur quoi on nous demande notre avis est quasiment indigne d'un pays qui, sur le plan démocratique, a la prétention d'être civilisé ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Raffarin.
M. Jean-Pierre Raffarin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris aux propos que viennent de tenir MM. de Raincourt et de Rohan.
Au fond, monsieur le ministre, si l'on ne voit pas exactement quelle est votre vision de l'institution régionale, on voit bien quelle est votre vision du comportement des élus régionaux : toujours plus de politisation !
M. Josselin de Rohan. Exactement !
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est cela qui est très important, et c'est cela qui va donner lieu à de profondes divergences.
En effet, l'assemblée régionale est-elle un parlement régional, avec des débats politiques au niveau régional, comme on le voit dans un certain nombre de pays fédéraux ? La région est-elle une portion de nation ? Je ne le crois pas.
Ce qui est intéressant, dans la région, c'est sa différence. Dans un système républicain où l'Etat joue un rôle important, il faut que ledit Etat écoute la différence régionale par rapport à sa politique nationale, qu'il écoute l'Alsace, qu'il écoute la Franche-Comté, qu'il écoute l'Aquitaine, qu'il tienne compte de leur avis et qu'après l'on discute, l'on assume des coresponsabilités.
Mais si nous voulons que la Bretagne, le Poitou-Charentes ou l'Aquitaine puissent faire passer leur message à l'Etat, encore faut-il que nous dépassions certains clivages. Je n'ai jamais été aussi fort, dans une négociation, que lorsque, avec le maire socialiste de La Rochelle, avec le maire de Poitiers ou celui de Châtellerault, avec le président du conseil général, nous avons, dépassant les uns et les autres nos clivages, élaboré ensemble des dossiers pour défendre un intérêt supérieur de notre territoire auprès de l'Etat.
M. Claude Estier. Qu'est-ce qui l'empêchera ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Cela passe forcément par la négociation, par l'explication et par la décrispation.
Que se produit-il, avec cette publicité systématique ? Pour la première fois, les élus régionaux se regroupent en associations - associations de droite, associations de gauche - et les ordres viennent maintenant des partis, des appareils nationaux pour que l'on transfère au niveau local les débats nationaux. Autrement dit, avec la politisation, on fait de la recentralisation. C'est préoccupant !
Ce qui compte vraiment pour le débat régional, c'est cette musique spécifique qui ne peut se faire entendre que dans la discussion. C'est à cela que sert la commission permanente !
La commission permanente, comme le disait M. de Raincourt, c'est ce dialogue direct, et non pas un dialogue sur écran de télévision. Ce n'est pas du cinéma, du marketing, de la publicité ou de la propagande, c'est de l'écoute, de l'authenticité, de la sincérité.
Ce dont le fait régional a besoin, c'est de sincérité. Or, dès lors que seront suspects tous les débats qui se tiendront à huis clos, parce qu'ils auraient pu être publics, en raison même de cette suspicion, on perdra cet atout de la sincérité. Voilà pourquoi je rejoins ceux qui viennent de me précéder à la tribune dans leur vote. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Guy Allouche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Je me réjouis déjà à l'idée que l'Assemblée nationale rétablira ce que le Sénat s'apprête à supprimer. (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux. Alors, ce n'est pas la peine de prendre la parole ! On gagnera du temps !
M. Guy Allouche. Cher Henri de Raincourt, je vous ai écouté, comme toujours, avec attention et intérêt.
M. Henri de Raincourt. Mes propos étaient modérés !
M. Guy Allouche. Voilà neuf ans, vous-même, Gérard Larcher et moi-même, nous avons beaucoup oeuvré pour que les réunions des commissions permanentes du Sénat soient de temps en temps ouvertes au public. Nous avons fait un rapport, unanimes.
Après quoi, nous avons dû, d'abord avec nos groupes respectifs, ensuite dans les commissions et, enfin, en séance plénière, convaincre l'ensemble de nos collègues qu'à l'approche de cette fin de siècle il fallait changer les méthodes, s'ouvrir sur l'extérieur. Déjà à l'époque, on nous avait accusés de « jeunisme » parce que nous faisions montre d'une certaine modernité !
Puis, la mesure a été décidée. Notre pouvoir de conviction a été tel que nous avons réussi à convaincre l'ensemble de nos collègues.
Mais l'ouverture au public n'était pas systématique.
M. Paul Girod, rapporteur. Ah !
M. Guy Allouche. Sur décision des commissions...
M. Jean Chérioux. C'est toute la différence !
M. Guy Allouche. Laissez-moi terminer, prenez patience, monsieur Chérioux. Vous me faites penser à une bouilloire, sur votre siège !
M. Jean Chérioux. C'est de vous entendre qui me fait bouillir !
M. Guy Allouche. Entendu, c'est l'heure du thé, mais prenez patience. Vous êtes toujours là, prêt à bondir !
Un sénateur du RPR. Il y a de quoi !
M. Guy Allouche. Aujourd'hui, je suppose que Henri de Raincourt et Gérard Larcher sont, comme moi-même, heureux de constater que, lorsque les sujets le nécessitent, lorsque nous avons à montrer à l'opinion publique comment le Sénat travaille, de quelle façon s'échangent les idées dans la courtoisie, la sérénité, (M. Hilaine Flandre rit.) Oui, vous pouvez rire, monsieur Flandre !
M. Hilaire Flandre. Je ris pour la « sérénité » !
M. Guy Allouche. Le public vient effectivement voir comment nous débattons entre nous et comment se confectionne la loi.
Aujourd'hui donc, c'est sinon courant, du moins accepté par tous, Il en sera de même, demain, dans les régions.
Nous sommes des hommes et des femmes élus, libres de nos propos, et nous n'avons rien à cacher. Encore une fois, mes chers collègues, faisons confiance à l'esprit de responsabilité de nos collègues présidents de région et membres de commissions permanentes : si certains sujets exigent la discrétion, ils seront unanimes à demander un huit clos.
Mais, dans la majeure partie des cas, je suis persuadé que les exécutifs régionaux seront fiers de l'ouverture au public, et notamment à la presse, de ces commissions permanentes, car cela leur permettra de mettre en avant les mesures qu'ils préconisent pour leur région.
Je le répète, mes chers collègues, le Sénat va supprimer cette disposition, l'Assemblée nationale la rétablira...
M. René Ballayer. A quoi servons-nous, alors ?
M. Guy Allouche. ... et, dans quelques années, vous serez bien contents qu'elle existe !
M. Christian Bonnet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Bonnet.
M. Christian Bonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, M. de Raincourt a évoqué les risques qu'il pouvait y avoir à donner trop de publicité à des affaires concernant des personnes physiques. Cette soif de publicité est intrinsèquement malsaine.
M. Hilaire Flandre. C'est vrai !
M. Christian Bonnet. Malsaine, elle l'est aussi pour les personnes morales. Soit, en effet, une entreprise en difficulté qui ne souhaite pas en faire état, notamment auprès des établissements de crédit auxquels elle fait appel ; au moment où l'on débattra du soutien à lui apporter pour lui permettre de survivre, ne sera-t-il pas souhaitable de garder la confidentialité ?
M. Josselin de Rohan. Naturellement !
M. Christian Bonnet. S'agissant non plus du soutien à une entreprise en difficulté, mais d'une implantation d'entreprise, la révélation du choix d'un site ne risquera-t-elle pas de susciter la surenchère dans une autre collectivité ?
Votre loi, monsieur le ministre est, une loi de circonstance...
M. Henri de Raincourt. Exactement !
M. Christian Bonnet. ... au bénéfice des affidés d'un pouvoir en place. Elle aboutit à une parcellisation de la politique régionale génératrice de confusion, d'incohérence, de compromissions, et là, c'est la cerise sur le gâteau ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. Hilaire Flandre. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Flandre.
M. Hilaire Flandre. J'ai été pendant douze ans conseiller régional de la région Champagne-Ardenne et, si je ne le suis plus, c'est pour respecter la limitation du cumul des mandats.
Je m'interroge sur la motivation qui sous-tend à la présente disposition. On semble vouloir soumettre les décisions de la commission permanente à la pression des porteurs de pancartes...
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Hilaire Flandre. C'est un véritable danger.
J'ajoute que, si telle n'est pas la motivation, c'en est une autre qui est malsaine, comme le disait M. Bonnet, et qui ressemble à de l'exhibitionnisme ou à du voyeurisme ; je n'ai de penchant ni pour l'un ni pour l'autre ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Patrice Gélard. Je demande la parole, pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le ministre, cette disposition va vous contraindre à faire travailler un peu plus les renseignements généraux et les préfets, car il faudra, naturellement, se renseigner pour savoir qui sera présent lors des réunions de la commission permanente publique !
Depuis quelques mois, ma région et mon département connaissent des difficultés économiques. Il n'est pas une seule réunion publique du conseil régional, du conseil général ou du conseil municipal des villes importantes où ne surgissent une délégation ou des porteurs de pancartes !
M. René-Georges Laurin. Bien sûr !
M. Patrice Gélard. Il n'est pas une seule fois où nous ne soyons obligés de suspendre la séance pour auditionner lesdites délégations !
La commission permanente se réunit souvent : une fois par mois au minimum. Si, chaque fois, nous sommes obligés de suspendre les séances pour écouter telle délégation, telle autre, puis telle autre encore - car telle sera bien la conséquence ! - eh bien, je crains que la commission permanente ne puisse plus travailler, alors que c'est là, précisément, son rôle !
M. Jean Chérioux. C'est évident !
M. Patrice Gélard. M. Allouche a fait une très bonne comparaison, tout à l'heure. C'est vrai, certaines réunions de nos commissions sont publiques, mais on les choisit soigneusement, on en discute avant.
M. Josselin de Rohan. C'est une faculté et non pas une obligation !
M. Patrice Gélard. C'est effectivement une faculté. Pourquoi ne pas avoir simplement laissé la faculté, en l'espèce ?
En réalité, on va rendre impossible le fonctionnement des commissions permanentes. Et, quand un organe ne peut pas fonctionner correctement, il y en a un autre, clandestin, lui, qui se met en place ! (Applaudissements sur certaines travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Guy Allouche. Il y aura la loi !
M. Paul Girod, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Paul Girod, rapporteur. M. Gélard, il y a un instant, a repris au vol ce qu'avait dit M. Allouche. A cet égard, je veux, au nom de la commission des lois, apporter une précision.
Une commission permanente du Parlement est une commission d'étude et d'élaboration des textes. La commission permanente d'une collectivité territoriale, ce n'est pas du tout cela. S'il y a homothétie de vocabulaire, la signification est différente.
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Paul Girod, rapporteur. C'est l'endroit où l'on autorise le président du conseil général, du conseil régional ou le maire à prendre des décisions individuelles concernant parfois des personnes physiques, des personnes morales, ou d'autres décisions d'exécution. Tel n'est pas le cas, je le répète, des commissions permanentes des assemblées. En l'espèce, la comparaison n'est donc vraiment pas raison.
Je souhaite également verser au dossier un extrait d'un rapport public de 1995 émanant du Conseil d'Etat, qui n'est pas spécialement considéré comme une assemblée de plaisantins : « Certes, la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration, mais ce n'est pas pour cela qu'il faut condamner les responsables publics à une surveillance de tous les instants et au renoncement de l'indépendance d'esprit et de la liberté de manoeuvre, qui sont au nombre des conditions d'exercice de la fonction. » Mes chers collègues, je vous renvoie à ce rapport. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux. C'est un abus de politisation !
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, ministre de l'intérieur par intérim. Je veux rappeler à la Haute Assemblée le rôle de la commission permanente tel que le définit le code : « Le conseil régional peut déléguer une partie de ses attributions à sa commission permanente, à l'exception de celles relatives au vote du budget, à l'approbation du compte administratif et aux mesures de même nature que celles visées à l'article L. 1612-15. »
La commission permanente est donc non pas l'exécutif de l'assemblée, mais un modèle réduit de l'assemblée. Et comme il n'est pas fixé de limite numérique à la composition de la commission permanente, le conseil régional peut fort bien décider que cette commission permanente comprend tous ses membres. C'est d'ailleurs, je le signale, ce qui se passe dans une région. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Guy Vissac. Ce n'est pas un modèle !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 31, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 22 bis est supprimé.

Article 22 ter