Séance du 17 décembre 1998







M. le président. Par amendement n° 8, Mme Luc, MM. Duffour et Bret, Mmes Beaudeau et Bidard-Reydet, M. Bécart, Mme Borvo, MM. Fischer, Foucaud, Le Cam, Lefebvre, Loridant, Ralite, Renar, Mme Terrade proposent d'insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après le premier alinéa de l'article 3 de la Constitution, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les projets de loi tendant à autoriser la ratification des traités qui auraient pour conséquence de modifier l'exercice de la souveraineté sont soumis à référendum. »
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Comme l'a rappelé voilà un instant ma collègue et amie Marie-Claude Beaudeau, « la souveraineté ne peut être représentée (...), elle consiste essentiellement dans la volonté générale (...), les députés du peuple ne sont que des commissions, ils ne peuvent rien conclure définitivement ». Jean-Jacques Rousseau est l'auteur de ces lignes.
Ces écrits, constitutifs de ce qui allait devenir la République, méritent d'être rappelés alors que, pour certains, l'idée même de souveraineté nationale serait à classer au rang des vieilles idéologies conservatrices.
Bien entendu, nous refusons tout discours nationaliste porteur de repli, alors que notre temps, on le sait, est celui de l'ouverture sur le monde et de l'élargissement de l'espace.
L'idée de souveraineté nationale ne peut être, selon nous, dissociée de celle de souveraineté populaire.
Comment imaginer, en effet, répondre à la volonté d'introduire davantage de démocratie et de contrôle populaire des institutions européennes en mettant en cause le principe de souveraineté nationale, qui permet l'intervention du peuple ?
Il y a, selon nous, une véritable malhonnêteté intellectuelle à caricaturer les propos de ceux qui placent la souveraineté nationale au rang des valeurs essentielles de progrès.
Est-ce une conception progressiste des rapports entre représentants et représentés que de supprimer tout moyen d'intervention réel d'un peuple sur son avenir ? Nous ne le pensons pas.
Le débat sur le projet de loi de révision constitutionnelle ne nous semble pas respecter des règles démocratiques élémentaires.
En effet, comment peut-on accepter d'inscrire dans la Constitution la référence à un traité non encore ratifié, que ce soit par le Parlement ou, surtout, par le peuple ?
Que se passerait-il si, demain, le traité n'était pas ratifié ?
Nous devrions entamer une nouvelle révision de la Constitution pour défaire ce qui est fait aujourd'hui par anticipation.
Nous assistons là, me semble-t-il, à de graves dysfonctionnements de nos institutions. Or, ne l'oublions pas, derrière tout cela, il y a une volonté politique : celle d'une mise en place, à marche forcée, d'une Europe libérale, qui n'est pas l'Europe dont les peuples ont besoin.
Nous l'affirmons clairement : nous sommes partisans de l'Europe, d'une construction européenne.
Toute personne prônant le repli au sein de nos frontières ferait preuve d'une grave irresponsabilité. Mais il existe différentes conceptions de l'Europe et, dans ce domaine-là, comme dans d'autres, il n'y a pas de pensée unique !
Nous estimons qu'il est fondamental d'organiser la consultation du peuple, par voie de référendum, en préalable à la ratification du traité d'Amsterdam.
Il est possible, mes chers collègues, de discuter durant des heures, de se livrer à des joutes juridiques sans fin, mais deux points nous apparaissent d'une grande limpidité.
Premièrement, selon l'article 89 de la Constitution, le principe, en matière de révision constitutionnelle, c'est le référendum ; l'exception, la réunion du Congrès du Parlement.
Que prévoit en effet l'article 89, dont je vous cite l'essentiel : « La révision est définitive après avoir été approuvée par référendum.
« Toutefois, le projet de révision n'est pas présenté au référendum lorsque le Président de la République décide de le soumettre au Parlement convoqué en Congrès ».
A moins de considérer le sujet de notre débat d'aujourd'hui comme une pécadille qui ne mérite pas l'avis du peuple, il apparaît évident, à la lecture de la Constitution, que le débat sur le projet de révision lui-même pourrait être soumis à référendum.
Deuxièmement, et c'est sur ce point que nous insistons tout particulièrement, le référendum s'impose sur l'ensemble du traité d'Amsterdam, et pas seulement sur le projet de révision. Nul ne conteste les atteintes à la souveraineté nationale résultant du traité, le Conseil constitutionnel lui-même en relevant certaines.
Or l'article 3 de la Constitution rappelle que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie de référendum ». Il n'est pas dit par ses représentants « ou » par la voie de référendum.
Nous estimons que le recours au peuple est donc clairement inscrit dans la Constitution.
Pour couper court aux travaux d'interprétation, nous proposons de modifier la Constitution afin d'indiquer, sans ambiguïté, que tout traité mettant en cause la souveraineté nationale devra être soumis à référendum, et c'est l'objet de l'amendement n° 8.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Défavorable, car la commission considère que nous sommes une démocratie parlementaire et qu'il n'y a lieu de recourir au référendum que d'une manière tout à fait exceptionnelle.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Moi non plus, je ne peux souscrire à l'idée de donner au référendum un caractère obligatoire. La Constitution procède d'un équilibre entre la démocratie représentative et son exercice direct par le peuple.
Il est important que nous gardions cette souplesse du texte constitutionnel qui permet soit de réviser la Constitution par référendum - cela a été le cas pour le traité de Maastricht - soit de donner cette responsabilité au Parlement.
En tout état de cause, c'est une prérogative du Président de la République de choisir la voie du Congrès ou celle du référendum.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 8, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je suis maintenant saisi de deux amendements identiques.
Le premier, n° 4 rectifié, est présenté par MM. Legendre, Darniche, Adnot, Barnier, Bourdin, Mme Brisepierre, MM. Calmejane, Cantegrit, Cazalet, César, Courtois, de Cuttoli, Darcos, Delvoye, DelPicchia, Deneux, Descours, Dulait, Durand-Chastel, Eckenspieller, Ferrand, Fournier, Foy, François, Gournac, Gouteyron, Gruillot, Hamel, Gérard Larcher, Laufoaulu, Lauret, Leclerc, Loueckhote, Maman, Marini, Masson, Mme Michaud-Chevry, MM. Moinard, Mouly,Neuwirth, Mme Olin, MM. d'Ornano, Othily, Oudin, Payet, Pelchat, Peyrefitte, Rausch, Reux, Rufin, Seillier, Souplet, Türk, Ulrich, Valade, Vasselle, Vinçon et de Villepin.
Le second, n° 9, est déposé par MM. Renar et Ralite, Mme Luc et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous deux tendent à insérer, avant l'article 1er, un article additionnel ainsi rédigé :
« Avant l'article 88 de la Constitution, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - La République participe à la construction d'un espace francophone de solidarité et de coopération. »
La parole est à M. Legendre, pour défendre l'amendement n° 4 rectifié.
M. Jacques Legendre. L'objet de cet amendement est d'inscrire enfin la francophonie dans la Constitution pour bien montrer qu'elle est une donnée permanente de la présence de la France dans le monde.
Cette inscription traduit une volonté déjà ancienne. En 1995, un amendement que j'avais cosigné avec Xavier de Villepin et Maurice Schumann avait été adopté par le Sénat. Il tendait déjà à préciser que la République participe à la construction d'un espace francophone de solidarité et de coopération. Malheureusement, l'Assemblée nationale avait estimé que le temps n'était pas venu, que l'amendement était trop éloigné du débat du moment, et ne l'avait donc pas retenu.
Ce même amendement a été repris en 1996 par M. Chevènement à l'Assemblée nationale, tandis que notre regretté collègue Maurice Schumann montait à cette tribune pour défendre à nouveau un amendement très voisin.
Une fois de plus, le Gouvernement avait estimé qu'il s'agissait d'un cavalier, d'un amendement trop éloigné du débat du moment, qui portait sur la sécurité sociale, pour pouvoir le retenir, tout en prenant bien soin d'indiquer que le refus était non pas un refus de fond, mais un refus de forme.
Nous voici donc, à nouveau, en train de débattre de la place de la France dans le monde et nous en discutons à propos de l'Europe, la géographie nous plaçant, bien évidemment, en Europe. Mais il existe d'autres solidarités qui, souvent, sont venues de l'histoire, et le moment, par conséquent, nous paraît venu, et d'une manière incontestable cette fois, de situer la place de la France et de ces solidarités dans le monde. C'est pourquoi nous pensons que cet amendement n'est pas du tout hors sujet.
Parce qu'ils ressentent les choses ainsi, vingt-trois sénateurs issus de tous les groupes de cette assemblée ont, au mois d'octobre, lancé un appel au Gouvernement pour que ce dernier propose lui-même un amendement. Il s'agit de rappeler que la France, si elle participe de la manière que l'on voit à la construction européenne, poursuit aussi la construction d'un ensemble, d'un espace qu'elle doit à son histoire.
Cette démarche avait d'ailleurs été soutenue à l'Assemblée nationale. C'est ainsi que notre collègue Louis Mexandeau avait demandé au Gouvernement de bien vouloir prendre cette initiative ; quant à notre collègue Pierre-André Wiltzer, président de la commission politique de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, il avait déposé un amendement qui n'a pas été accepté par le Gouvernement, mais, là encore, pour un motif non pas de fond, mais d'opportunité.
De nombreuses prises de positions favorables avaient été entendues à l'Assemblée nationale. Je citerai M. de Charette : « J'ai du mal à comprendre comment on peut être opposé à inscrire dans nos textes fondamentaux une disposition qui traduit la force, la détermination, l'intention durable de la France, quelles que soient ses majorités, de donner à la francophonie toute sa dimension et sa priorité. »
M. de Charette ajoutait à l'adresse de Mme le garde des sceaux : « Il me serait agréable qu'une réponse positive soit donnée à la demande du groupe UDF. »
Je ne peux pas non plus taire la réponse qu'avait faite à l'appel des vingt-trois le Président de la République lui-même, rappelant dans une lettre que la défense de la francophonie constitue une priorité de son action diplomatique.
Rappelons également ses propos devant le Haut Conseil de la francophonie. Jacques Chirac disait : « J'avais moi-même souligné qu'il appartenait au Parlement de rassembler sur ce thème une large majorité. »
Mes chers collègues, j'ai espéré que cette large majorité pourrait provenir du Sénat quand j'ai constaté que nous étions capables de nous mettre d'accord, au groupe socialiste, au groupe communiste républicain et citoyen et au sein de la majorité sénatoriale, pour déposer un amendement rédigé en termes identiques. Cela marque bien l'intérêt de l'ensemble du Sénat pour ce sujet.
Je voudrais, enfin, répondre à l'éternelle question : est-ce le bon moment ? J'attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que c'est la dernière occasion, la seule.
On suggère parfois la voie de la proposition de loi constitutionnelle. Va-t-on, sur un sujet comme celui-là, aller jusqu'au référendum ? Vous savez bien que non ! On nous suggère encore de raccrocher cet amendement à un autre débat. Imaginez-vous que nous déposions un amendement sur le texte relatif à la parité hommes-femmes ? On nous dirait encore, bien évidemment, qu'il s'agit d'un cavalier.
J'aimerais que les choses soient bien claires. Cet amendement n'a pas pour objet de fausser le débat, ni de le retarder, ni de repousser l'adoption par notre Parlement de dispositions rendues nécessaires par le traité d'Amsterdam. Il n'est pas un prétexte, il n'est pas incompatible, avec le texte, il n'est pas en contradiction avec celui-ci. Il est simplement l'occasion donnée enfin au Sénat d'inscrire cet autre espace de solidarité dans notre Constitution.
En conclusion, mes chers collègues, j'ai envie de citer un ancien ministre des affaires étrangères, qui ne fut pas le plus exemplaire, Talleyrand : « Il faut vouloir ce que nous pouvons. » Aujourd'hui, nous pouvons dire solennellement que la France considère la francophonie comme un aspect essentiel de sa présence dans le monde. Il appartient au Sénat d'avoir l'honneur de donner ce signal. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, pour défendre l'amendement n° 9.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous souhaiterions user de ce que la révision de notre Constitution a de solennel pour inscrire de manière symbolique, dans cette dernière, l'amendement n° 9 que nous proposons au Sénat d'adopter.
Cet amendement vise à inscrire dans la Constitution la construction d'un espace francophone de solidarité et de coopération.
Notre langue, le français, possession intime dépourvue de titre de propriété, nous l'avons en partage avec d'autres que nous-mêmes, parfois géographiquement très proches, souvent dispersés sur les continents.
A des usagers divers, à des parlers différents répond une tournure qui nous apparente, qui participe de notre construction individuelle et collective autour d'inscriptions symboliques et de valeurs qui nous réunissent presque malgré nous.
C'est à cette façon indicible et profonde d'être ensemble que nous souhaiterions que notre République participe à travers la construction d'un espace francophone de solidarité, de démocratie, de respect des droits de chacun.
Loin d'une quelconque hégémonie culturelle, notre République doit jouer un rôle actif dans la construction d'un espace ayant en partage le français et son horizon symbolique.
Au sein d'un univers rétréci par la communication et les échanges, dans une société mondiale fondée pour l'essentiel sur le mercantilisme et ses effets les plus douloureux pour l'homme, nous pensons qu'il peut y avoir place, qu'il doit y avoir une place, pour une organisation assise sur d'autres fondements.
A de multiples reprises, l'occasion nous a été donnée, voilà peu de temps encore, d'illuster l'originalité de notre République sur des questions relatives à l'ordre international.
Ainsi, le rôle joué par notre pays lors des négociations de l'AMI témoigne d'une prise de position inédite et novatrice dans la construction de cette société.
L'espace francophone que nous pourrions initier doit reposer sur ce partage linguistique librement consenti, dans le respect de nos différences, à l'identique de l'utilisation de notre langue maternelle, toujours originale et différente selon ses locuteurs.
Dans un contexte de prédominance des langues anglo-saxonnes, prédominance liée au mode de construction de cette société que je dirais mondiale, l'espace francophone à construire pourrait être une ouverture vers d'autres possibles, d'autres alternatives au service d'une indépendance et d'une différence de points de vue de ses adhérents.
La langue est cette matière faite d'identités et de différences autour d'un même code qui se doit de conserver une relative unité.
C'est sur ce modèle-là qu'il nous faut construire l'espace francophone défendu par M. Boutros-Ghali.
Certes, comme l'indique M. Boutros-Ghali, « il ne s'agit pas de faire concurrence à l'ONU », il s'agit bien plutôt de permettre échanges et coopérations dans cette nébuleuse ayant en commun une langue et la démocratie.
L'espace francophone que nous voulons construire appelle des efforts de partages, de coopérations et d'échanges sans précédents en matière culturelle, en matière d'éducation et de diplomatie. M. Legendre l'a dit avant moi.
A l'heure où notre pays s'apprête à ratifier la charte des langues régionales, il est bon que la dimension universelle de la langue de notre pays et des valeurs qui s'y rattachent soit clairement réaffirmée par la France, bien sûr, mais aussi par tous ceux qui l'ont en possession.
Adopter notre amendement, c'est manifester notre choix de voir notre pays participer de manière active à la construction d'une communauté de coopération et de solidarité fondée sur une langue et sur des valeurs communes.
Tel est le sens de notre amendement que nous souhaitons voir adopté à l'unanimité. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées du RPR.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission souhaiterait entendre l'avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est donc l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ces amendements ont pour objet d'inscrire la francophonie dans notre Constitution.
Je me suis déjà expliquée sur cette proposition à l'Assemblée nationale, où des amendements comparables avaient été déposés.
Je me suis montrée réservée pour deux raisons tout en soulignant qu'il ne devait y avoir aucune ambiguïté sur la volonté du Gouvernement de mener une politique francophone forte, ce que les actions entreprises par la France sur le terrain démontrent chaque jour.
J'ai exprimé alors mon attachement à cette cause tant au nom du Gouvernement qu'à titre personnel. Elle constitue un axe majeur de la politique extérieure de la France.
J'ai souligné devant l'Assemblée nationale, et je le fais de nouveau dans cette enceinte, combien les gouvernements successifs, notamment celui de Lionel Jospin, ont toujours mené une politique volontariste en ce domaine. Je rappelle que la France a consacré, cette année, un budget de 620 millions de francs à la francophonie et que ce budget atteindra 700 millions l'an prochain.
M. Alain Vasselle. Raison de plus pour émettre un vote favorable !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Cet effort budgétaire a permis à notre pays d'agir concrètement et de développer ses relations avec ses partenaires francophones. Le Sénat a adopté ces crédits à l'unanimité.
M. Adrien Gouteyron. Ce n'est pas le sujet !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'ai indiqué que, sur le plan méthodologique, il ne me semblait pas possible, à l'occasion d'une révision constitutionnelle portant sur la construction communautaire, de traiter de la question de la francophonie. Ce sujet trouvera davantage sa place dans le cadre d'une future discussion sur la politique française de coopération internationale.
Est-il vraiment opportun et nécessaire de consacrer la solidarité francophone dans notre loi fondamentale ?
L'action du Gouvernement aura-t-elle plus de portée pour nos partenaires francophones si nous inscrivons la francophonie dans notre Constitution ?
Plusieurs sénateurs du RPR. Oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Pour ma part, je ne le crois pas. De plus, après les différentes interventions que nous avons pu entendre depuis hier soir, à la suite de votre rapporteur et de votre commission des lois, il me semble que la Haute Assemblée pourrait adopter sans modification le texte qui vous est proposé.
M. Josselin de Rohan. Ah voilà !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il s'agirait d'un signal fort de notre engagement européen.
C'est pourquoi, tout en n'étant pas insensible à la démarche engagée dans les deux assemblées, je ne puis m'y rallier.
M. le président. Quel est maintenant l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La commission, qui a examiné avec intérêt ces amendements, a considéré que leur rédaction, un peu vague, n'était pas véritablement au point. (Protestations sur certaines travées du RPR.)
Elle a surtout considéré qu'à partir du moment où elle avait décidé d'opter pour un vote conforme, et donc de renoncer en ce qui la concernait à certaines améliorations qui lui ont paru mineures mais qui auraient pu être apportées, elle ne pouvait pas donner un avis favorable sur ces amendements.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 4 rectifié et 9.
M. Michel Pelchat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat. Mes différents déplacements en Afrique et en Europe centrale et orientale m'ont permis de me rendre compte combien la francophonie reculait d'année en année et combien les pays francophones, mais aussi nos amis francophones vivant dans des pays qui ne le sont plus, notamment en Asie du Sud-Est, ces amis francophones qui se battent quotidiennement dans ces pays, attendent de la France un geste d'amitié symbolique et d'encouragement significatif.
Vous le savez, si le français n'est plus la langue la plus parlée au monde parce qu'elle vient aujourd'hui après l'anglais, le hindi, le chinois, le russe, l'espagnol..., c'est en revanche la langue qui est géographiquement la mieux répartie ; elle est langue officielle de plusieurs régions sur tous les continents.
Si le mot « francophonie » a été créé à la fin du siècle dernier, en 1871, par un géographe français, Onésime Reclus, il a été repris et illustré dans les années soixante par des étrangers, tel M. Léopold Sédar Senghor.
M. Senghor écrivait à propos du français : « Je sais ses ressources pour l'avoir goûté, mâché, enseigné et qu'il est la langue des dieux... Le français, ce sont les grandes orgues qui se prêtent à tous les timbres, à tous les effets, des douceurs les plus suaves aux fulgurances de l'orage. Il est, tour à tour, ou en même temps, flûte, hautbois, trompette, tam-tam, et même canon. » Voilà ce qu'écrivait ce grand poète.
« Français », c'est donc le nom d'un peuple et le nom d'une langue, et cette langue, qui n'est la propriété de personne, s'est implantée sur les cinq continents et constitue une entité que l'on appelle francophonie.
C'est pourquoi la défense de la francophonie doit êre pour nous tous une priorité. Je crois d'ailleurs y avoir modestement contribué en me battant il y a cinq ans, à l'Assemblée nationale, pour l'adoption de l'amendement sur les quotas de 40 % en faveur de la chanson francophone.
La francophonie est non seulement une condition du rayonnement de notre pays dans le monde, mais c'est aussi, et j'ai envie de dire surtout, le symbole de la liberté pour beaucoup de peuples opprimés. La langue française qu'ont su imposer sur l'ensemble de notre territoire les révolutionnaires de 1789 est la langue de la démocratie et des droits de l'homme.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Michel Pelchat. Comment ne pas soutenir par exemple les femmes algériennes qui, notamment par leurs écrits publiés en français, essaient de défendre aujourd'hui leurs droits en luttant contre un code de la famille inique ?
Comment ne pas encourager, par un geste symbolique, ceux qui, en Algérie, se battent pour garder le droit, le simple droit de s'exprimer en français et pour maintenir à cette langue la place qu'elle occupe depuis des décennies ?
N'est-ce pas Kateb Yacine, ce grand écrivain algérien kabyle, qui a dit de la langue française qu'elle n'avait pas été imposée aux Algériens, mais conquise par eux de haute lutte ?
M. Paul Masson. C'est un signe !
M. Michel Pelchat. Mes chers collègues, je crois que l'adoption de cet amendement qui reconnaît enfin à la francophonie la place qui lui échoit parmi nos valeurs fondamentales, est, oserais-je dire, le plus beau cadeau de Noël que le Sénat de la République puisse offrir à la communauté francophone. (Applaudissements sur certaines travées du RPR.)
Et si la majorité du groupe des Républicains et Indépendants a décidé de ne pas voter cet amendement, pour ma part, je maintiens mon adhésion à cette proposition que, bien entendu, j'adopterai et j'appelle le Sénat tout entier à faire de même.
Je forme le voeu que la constitutionnalisation de la francophonie puisse être le sceau de cet espace francophone de solidarité et de coopération qui nécessite notre constante vigilance et dont nous devons parfaire la construction ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Claude Estier. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Estier.
M. Charles Pasqua. Allez, un bon mouvement ! (Sourires.)
M. Claude Estier. Le groupe socialiste avait, lui aussi, déposé un amendement sur la francophonie rédigé en termes presque identiques à ceux de nos collègues.
Nous l'avons retiré car, si l'idée qu'ils expriment nous paraît parfaitement légitime, elle reste toutefois éloignée de l'objet de la révision constitutionnelle qui nous est soumise aujourd'hui.
C'est pourquoi le groupe socialiste, qui est soucieux d'aboutir dès ce soir à un vote conforme, ne votera pas les amendements n°s 4 rectifié et 9. (Et voilà ! sur les travées du RPR.)
M. Philippe Darniche. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Darniche.
M. Philippe Darniche. A la suite des propos fort explicites et de l'analyse très précise formulée par nos collègues Jacques Legendre et Michel Pelchat, je tiens, au nom des six sénateurs non inscrits qui ont cosigné cet amendement fondamental, à prendre la parole pour le soutenir sans faille et souhaiter son vote dans les meilleures conditions.
En effet, il me paraît nécessaire de rappeler que c'est par le consensus politique sur certains sujets très précis que l'on peut faire durablement avancer les choses.
Avec la conviction du maire de terrain que je suis et qui a jumelé, depuis de nombreuses années, sa municipalité vendéenne avec la ville d'Abomey, au Bénin, je constate que, face aux défis que connaît actuellement notre langue française dans le monde, la francophonie est une véritable chance à saisir pour les jeunes générations vivant, étudiant ou travaillant tant en France qu'à l'étranger.
Tel sera d'ailleurs, je vous le rappelle, le thème du huitième sommet des chefs d'Etat et de gouvernement francophones qui se tiendra à Moncton, dans le Nouveau-Brunswick, en septembre 1999.
C'est la raison pour laquelle on peut légitimement se poser la question suivante : n'est-il pas utile, symbolique et - n'hésitons pas à l'affirmer - grand temps, de réaliser la reconnaissance constitutionnelle de la francophonie en affirmant que : « la République participe à la construction d'un espace francophone de solidarité et de coopération » ?
En votant l'intégration de la notion de francophonie dans notre Constitution avant l'article 88, chacun d'entre nous participera à la reconnaissance de tous ceux qui oeuvrent, sur le terrain réel et économique, mais également culturel, à une seule et même mission : celle de l'humanisme, de la démocratie, de l'échange et de la solidarité.
Je souhaite faire ici un bref retour en arrière sur un long processus qui fut laborieux, je le reconnais volontiers, mais qui fut toujours mené avec optimisme et réalisme. Car ce projet de constitutionnalisation de la francophonie, comme l'a dit tout à l'heure Jacques Legendre, n'a de réelle valeur que s'il est marqué par une volonté commune et s'il est porteur d'un message d'ouverture à destination des jeunes générations.
Il y a tout juste trois ans, à l'issue du sommet de Cotonou, le Président Chirac déclarait qu'il n'était pas hostile à une initiative parlementaire en faveur de la reconnaissance de la francophonie dans la Constitution.
Dans son discours prononcé le 2 décembre 1995, à l'occasion du sixième sommet des chefs d'Etat et de gouvernement ayant le français en partage, le Président de la République dressait le constat suivant : « Nul ne conteste les aspects bénéfiques de la révolution de l'information. Mais soyons conscients des dangers qu'elle recèle : celui de voir se creuser encore, et de manière irréversible, l'écart entre pays riches et pays pauvres. Celui aussi de l'uniformisation culturelle. L'enjeu est clair : si, dans les nouveaux médias, notre langue, nos programmes, nos créations ne sont pas fortement présents, nos futures générations seront économiquement et culturellement marginalisées. Sachons, demain, offrir à la jeunesse du monde des rêves francophones, exprimés dans des films, des feuilletons et valorisant la richesse culturelle et la créativité de chacun de nos peuples. Il faut produire et diffuser en français. C'est une question de survie. »
Le Premier ministre a également fait part de son souhait de voir la francophonie se développer.
Compte tenu de cet accord du Président de la République et du Premier ministre sur un sujet qui fait par ailleurs l'objet d'un consensus clair, je crois que nous devons aujourd'hui soutenir cette initiative parlementaire.
A mes yeux, cet amendement a tout à fait sa place dans le présent projet de loi constitutionnelle. J'ajoute qu'il intervient à un moment opportun dans notre calendrier constitutionnel et que, surtout, il est très attendu par la cinquantaine de pays et de partenaires francophones qui nous soutiennent de tout coeur dans cette démarche d'ouverture, de coopération et de solidarité.
Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, à défaut de conjuguer nos talents, conjuguons nos efforts pour faire aboutir maintenant et définitivement cet acte fort et fondateur qu'est la reconnaissance de la francophonie dans la Constitution.
Pour moi, la francophonie n'est pas un sujet de polémique : c'est un domaine de conviction, qui requiert à la fois une détermination sans faille dans la pensée et une volonté affirmée dans l'action.
Pour tous les francophones, pour chacun des parlementaires, sénateurs et députés, sensibles aux problèmes de francophonie, le moment est historique, décisif, car il est celui d'une grande chance mais aussi d'une chance ultime.
J'entends dire que cet amendement pourrait provoquer un bouleversement majeur du calendrier parlementaire. Je m'inscris en faux contre cette assertion, car il est prévu que l'Assemblée nationale examinera à nouveau ce texte le mardi 22 décembre, puis que le Sénat s'en saisira le mercredi 23 décembre, son adoption définitive pouvant ainsi intervenir avant la ratification du traité d'Amsterdam, le 18 janvier 1999.
C'est pour nous une chance ultime dès lors que le prochain projet de loi constitutionnelle sera consacré à la parité homme-femme et que tout effort de constitutionnalisation de la francophonie sera ainsi, une nouvelle fois, reporté aux calendes grecques !
C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je souhaite que cet amendement soit voté à l'unamité. (Applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la cause de la francophonie est une cause tout à fait essentielle, notamment dans le domaine du droit où, disons-le très franchement, à l'heure actuelle, nous assistons - je pourrais parler d'OPA, mais le terme serait malvenu - à une véritable mainmise des Anglo-Saxons, et plus particulièrement à une offensive de la culture juridique américaine sur l'ensemble du monde.
Il s'agit là d'une question difficile. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai demandé et obtenu l'accord de M. le Président de la République et de M. le Premier ministre, à l'occasion de la commémoration de la Déclaration universelle des droits de l'homme, pour que soit créé un site Internet sur lequel on pourra consulter, aussi bien en français qu'en espagnol et en anglais, la totalité des documents, articles et arrêts des cours internationales et constitutionnelles, concernant les droits de l'homme.
Ainsi, partout dans le monde, et à tout moment, tout chercheur ou tout militant des droits de l'homme sera en mesure de se connecter sur ce site qui portera d'ailleurs un très beau nom, et aura surtout une très belle adresse : cette Encyclopédie universelle des droits de l'homme sera en effet, grâce à l'acquisition du château de Ferney par le ministère de la culture, domiciliée à Ferney-Voltaire. Je me réjouis de penser que, en matière des droits de l'homme lorsqu'on s'exprimera de manière raccourcie, on consultera « Voltaire » !
Je reviens à la question plus générale de la francophonie. Elle est bien un enjeu essentiel, qu'il faudra un jour inscrire dans la Constitution. Mais je pense que l'amendement, tel qu'il est rédigé, pose un problème.
Bien sûr, il est intéressant et il mérite d'être étudié. Mais nous devrions n'y revenir que lorsque nous aurons tous mesuré très exactement la portée de ce qui est énoncé. Selon moi, le moment n'est pas encore venu, et je veux m'en expliquer.
Je m'en étais ouvert à Maurice Schumann, dont vous vous rappelez la dernière intervention sur ce sujet, qui était absolument admirable.
Que nous propose-t-on d'écrire dans la Constitution ? « La République participe à la construction d'un espace francophone de solidarité et de coopération. »
Je ferai d'abord remarquer, à titre subsidiaire, qu'il me paraît difficile de « construire » un espace. Mieux vaudrait, me semble-t-il, en l'occurrence, parler de « création d'un espace francophone ».
Mais ce n'est pas ce qui suscite principalement mes réserves. Le problème essentiel tient à ce que cette rédaction donne à penser que tout ce qui est francophone appelle solidarité et coopération. Or nous savons, hélas ! qu'il existe de par le monde des Etats où l'on parle français mais qui ne sont pas tout à fait respectueux des droits de l'homme, et j'utilise là une litote !
Je ne voudrais pas que l'on établisse, dans notre texte le plus solennel, une relation nécessaire entre francophonie, d'une part, solidarité et coopération, d'autre part.
Je souhaite vivement que la prise en compte de la francophonie dans la Constitution intervienne très vite, mais il convient que l'on mesure bien ici la portée de ce que nous y écrivons.
Mieux vaudrait peut-être lier à la francophonie les notions de culture et de démocratie. C'est un débat que je me permets d'ouvrir.
Je l'ai dit, je m'étais entretenu de ce problème avec Maurice Schumann. Je lui avais dit qu'il existait, selon moi, une relation fondamentale, pour le Parlement français, entre la langue française, la francophonie et les droits de l'homme. Je ne voudrais pas que nous perdrions de vue cette exigence qui me paraît vraiment essentielle. (Applaudissements.)
M. Michel Barnier. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Barnier.
M. Michel Barnier. Au fond, tout le monde est d'accord, mais tout le monde ne votera pas cet amendement, si j'entends bien les uns et les autres.
Pour sa part, le groupe du Rassemblement pour la République l'approuvera sans hésitation, car il résulte d'un travail considérable. Cette position, nous l'adoptons non seulement par fidélité au combat de Maurice Schumann, mais aussi parce qu'elle s'inscrit dans la droite ligne de notre action.
Des sénateurs de toutes sensibilités - et j'en suis - ont travaillé pour aboutir à cette proposition. Celle-ci est en cohérence avec l'action que le chef de l'Etat mène, de même que le Premier ministre, ainsi que vous l'avez rappelé, madame le garde des sceaux.
Sur l'objectif, sur l'ambition, sur l'exigence de cette communauté francophone, tout le monde est d'accord.
La divergence porte sur les mots « solidarité » et « coopération ». Monsieur Badinter, cette solidarité et cette coopération visent les peuples qui parlent français et dont on voudrait qu'ils parlent toujours français. Il ne s'agit nullement d'une quelconque solidarité politique avec des Etats, dont certains, nous le savons bien, qu'ils soient francophones ou non, ne sont pas toujours respectueux des droits de l'homme.
Ne cherchez donc pas derrière ce texte, je vous le dis avec beaucoup de respect et d'humilité, un argument qui n'est pas fondé. Nous nous adressons aux gens, aux citoyens de ces Etats. Et quand bien même vivraient-ils aujourd'hui sous un régime totalitaire, ce serait un geste de plus que nous accomplirions en leur disant que, grâce à la langue qu'ils parlent ils peuvent plus facilement avancer sur le chemin qui mène à la démocratie et aux droits de l'homme.
Madame le garde des sceaux, tout à l'heure, vous avez repris l'argument que vous aviez déjà employé ce matin, expliquant en substance : « Ne faisons pas les choses à moitié, par petits bouts. C'est un grand sujet, il faut un grand débat. » Mais, s'il faut toujours renvoyer à plus tard, à de grands débats, à de grandes occasions, nous ne ferons jamais de progrès !
Là, nous avons l'occasion, tous ensemble, sur un sujet qui fait l'unanimité, d'accomplir un progrès qui n'est pas négligeable.
Un autre de vos arguments, qu'a d'ailleurs repris Claude Estier, m'a déçu, je vous l'avoue. Vous nous avez dit : « Ce n'est pas le sujet aujourd'hui parce que nous parlons de l'Europe ». Eh bien si, justement, c'est le sujet !
Nous sommes nombreux à penser ici que l'influence de la France doit passer par l'Europe. Quand on parle d'influence de la France, on parle aussi de notre langue, et l'on pense autant à ceux qui sont déjà dans l'Union qu'à ceux qui veulent la rejoindre, parmi lesquels il y a la Roumanie, la Bulgarie : des pays qui font partie de la communauté francophone.
A l'instant, monsieur Badinter, vous avez reconnu qu'il y avait urgence. Il y a « alerte rouge », en effet, par rapport à la tendance hégémonique de l'anglais et de la culture anglo-saxonne dans toutes les négociations, qu'il s'agisse des discussions ou même des documents de travail.
C'est donc précisément parce que nous parlons de l'Europe, parce qu'il s'agit de l'influence de la France au sein de l'Europe, qu'il y a, ici et maintenant, dans ce débat, urgence à réaffirmer notre attachement à la francophonie. (Applaudissements sur les travées du RPR, ainsi que sur certaines travées des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Arthuis. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Arthuis.
M. Jean Arthuis. Le groupe de l'Union centriste a longuement délibéré sur cette question.
Comme l'indiquait à l'instant Michel Barnier, nous sommes tous profondément attachés à la francophonie.
Mais le débat qui vient de s'ouvrir sur cet amendement ne doit pas nous faire courir le risque d'accréditer l'idée d'une divergence de vues.
Mes chers collègues, peut-on a contrario donner à penser que, au motif que la Constitution n'aurait pas prévu de promouvoir la francophonie, tout ce qui s'est accompli jusqu'à aujourd'hui au titre de celle-ci serait inconstitutionnel ?
Ce que je souhaite, c'est que nous puissions mener le véritable débat qu'exige ce thème.
La francophonie, c'est d'abord le rayonnement de la France, c'est sa réussite économique, c'est la part qu'elle prend dans les grandes actions de développement, ce sont les travaux de nos chercheurs, de nos intellectuels, de nos artistes. C'est tout ce qui contribue à faire connaître la France. C'est aussi le support logistique que notre pays peut apporter concrètement à ceux qui souffrent et qui ont besoin de son aide.
Nous sommes profondément désireux de contribuer à l'élaboration d'un texte, mais celui qui nous est proposé aujourd'hui nous paraît perfectible, parce qu'il suscite des interrogations et laisse planer quelque ambiguïté.
Nous souhaitons qu'un débat s'engage, ai-je dit, et le sujet est si fondamental qu'il justifie que nous soyons saisis d'un projet portant réforme constitutionnelle et introduisant explicitement la francophonie dans notre Constitution.
Les membres du groupe de l'Union centriste, à l'exception de ceux des siens qui représentent les Français de l'étranger - je pense à Xavier de Villepin, à Robert Cantegrit, à André Maman - et de M. Louis Moinard, voteront contre cet amendement.
En effet, nous souhaitons que le texte sur lequel nous délibérons soit voté conforme, car nous sommes impatients de voir la France ratifier le traité d'Amsterdam. Notre pays sera parmi les derniers, sinon le dernier, à le faire.
Mes chers collègues, que ce vote ne nous divise pas puisque, sur le fond, nous sommes tous profondément attachés au rayonnement et à la diffusion la plus large possible de la francophonie.
Le vocabulaire nous trahit parfois : M. Darniche a ainsi évoqué tout à l'heure une rencontre internationale réunissant des francophones qui se tiendrait un « week-end ». (M. Bernard Darniche fait un signe de dénégation.) Vous voyez, mes chers collègues, que les choses ne sont pas si simples ! (Sourires.)
Nous voterons donc contre cet amendement, tout en souhaitant que le Parlement soit prochainement saisi d'un projet de réforme de la Constitution visant à y introduire la francophonie, dans une rédaction qui sera consensuelle. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et sur les travées socialistes.)
M. Josselin de Rohan. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan. Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été excellemment dit par M. Barnier. Simplement, monsieur Arthuis, nous avons un moyen très simple pour sortir de la situation : que l'Assemblée nationale vote notre amendement conforme (applaudissements sur les travées du RPR) et la francophonie sera introduite dans la Constitution. Que l'Assemblée nationale fasse preuve de bonne volonté, si le sujet est important !
Ce n'est pas pour un terme, que l'on peut du reste aisément changer, que l'on s'oppose à notre amendement. Non ! C'est parce que, nous dit-on, cela retarderait l'adoption de la réforme constitutionnelle et la ratification. Allons donc, nous ne sommes pas à vingt-quatre heures près ! La navette est possible et, si chacun y met du sien, eh bien ! il y aura un vote conforme. Je ne crois pas que cet argument soit très sérieux. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jacques Pelletier. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pelletier.
M. Jacques Pelletier. Les sénateurs du Rassemblement démocratique et social européen sont de farouches partisans de la francophonie, mais ils estiment qu'il n'est pas l'heure de discuter de son introduction dans la Constitution.
Un sénateur du RPR. Ben voyons !
M. Jacques Pelletier. Nous avons à discuter d'une réforme constitutionnelle qui a pour but, et pour but unique, de nous permettre la ratification, ultérieurement, du traité d'Amsterdam.
Si un projet de loi était déposé, comme le suggérait tout à l'heure notre ami Jean Arthuis, ou si le Président de la République nous invitait à une réforme constitutionnelle plus large, à un toilettage de la Constitution - elle en a bien besoin, du reste - je crois que ce même amendement, que les membres du RDSE ne voteront pas aujourd'hui, serait alors adopté à l'unanimité.
Encore une fois, aujourd'hui, ce n'est pas l'heure, et les membres du RDSE voteront contre cet amendement.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Mes chers collègues, quand on s'adresse maintenant à Turin pour se porter candidat à un programme TACIS, un programme PHARE ou un programme SOCRATES, on nous écrit en anglais et, si on ne répond pas en anglais, la demande n'est même pas prise en compte.
Le français n'est déjà plus une langue européenne. On l'a éliminée !
Dans ces conditions, il est peut être temps de s'en émouvoir : avec la francophonie, nous n'avons plus de retard à prendre. Mais nous avons déjà débattu de la francophonie. M. Badinter l'a rappelé lui-même, en citant le merveilleux discours prononcé par Maurice Schumann, l'année dernière, dans cet hémicycle. Oui, à plusieurs reprises, nous avons parlé de la francophonie. Alors, faisons ce geste. Il est temps.
La semaine dernière, j'étais à l'étranger, et j'ai pu constater que l'on nous reprochait amèrement notre absence, alors que les Allemands, les Italiens, les Néerlandais, eux, étaient là. Donc, le français ne sert évidemment plus à rien, faute pour les Français d'occuper ce terrain-là et de prendre soin du rayonnement de leur langue.
Je me tourne maintenant vers notre collègue M. Arthuis ; d'autres que moi l'ont dit, les ouvriers de la onzième heure sont payés comme les premiers, mais les derniers sont parfois les premiers ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Jacques Legendre. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Nous sommes ici devant un amendement de bonne foi, qui a rassemblé des hommes venus d'horizon très différents.
Certes, il n'a pas la prétention de la perfection mais, après avoir écouté attentivement et le grand discours prononcé ce matin par M. Badinter et les propos qu'il vient de tenir, j'aimerais qu'il sache que nous avions, bien sûr, pris la précaution de consulter un certain nombre de professeurs, dont je suis autorisé à divulguer les noms, éminents spécialistes en ce domaine. Or, à leur avis, ce texte ne pose pas de problème.
Je voudrais surtout que nous ne laissions pas passer cette occasion au nom de l'obsession du vote conforme mais que, au contraire, nous en profitions pour envoyer ce message très simple : nous sommes dans l'Europe, nous contribuons à bâtir l'Europe, mais nous sommes, et depuis longtemps, aussi présents au monde, car c'est notre histoire. Voilà l'enjeu aujourd'hui. Que le Sénat et, demain, l'Assemblée nationale lancent ce message, et je crois que nous aurons fait du bon travail. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 4 rectifié et 9, repoussés par la commission et par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe de l'Union centriste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 57:

Nombre de votants 316
Nombre de suffrages exprimés 314
Majorité absolue des suffrages 158
Pour l'adoption 127
Contre 187

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