Séance du 18 décembre 1998







M. le président. Je suis saisi d'une motion n° 1, présentée par M. Marini, au nom de la commission des finances, et tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« Considérant que la stabilisation du poids de la dette publique dans le produit intérieur brut doit être réalisée dès que les conditions économiques et financières le permettent ;
« Considérant que l'assainissement de nos finances publiques ne doit pas reposer uniquement sur des espérances conjoncturelles aléatoires, mais aussi sur d'indispensables réformes de structure destinées à éviter que les charges publiques, et notamment celle de la dette, ne pèsent d'un poids toujours croissant sur l'économie, les citoyens, et l'emploi ;
« Considérant que les engagements européens de la France devraient la conduire à moyen terme à une position budgétaire « proche de l'équilibre ou excédentaire », que cet engagement auquel a souscrit l'actuel gouvernement n'est pas idéologique, mais est dicté par la nécessité de ne pas reporter sur les générations futures les charges de fonctionnement présentes des administrations publiques ;
« Considérant que, pour parvenir à cet objectif, le Sénat avait atténué la progression des dépenses de 27 milliards de francs, diminué les prélèvements de 12 milliards de francs, et ainsi réduit le déficit budgétaire proposé de 15 milliards de francs ;
« Considérant que, dès lors que l'assainissement des finances publiques aurait été réalisé, la priorité devrait ensuite être donnée à la réduction des prélèvements obligatoires, que le Sénat a réaffirmé cette priorité en deuxième partie ;
« Considérant que, malgré des avancées significatives sur un certain nombre d'articles fiscaux, l'Assemblée nationale est revenue en nouvelle lecture pour l'essentiel à son texte de première lecture, rétablissant le déficit à son niveau initialement prévu ;
« Le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 1999, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture (n° 137, 1998-1999).
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le rapporteur général, auteur de la motion.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Les motivations qui ont présidé au dépôt de cette motion ont déjà été exposées. Je me bornerai donc à rappeler, comme vous l'avez fait vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, que la discussion budgétaire est un processus dialectique comportant une thèse, une antithèse et une synthèse : la thèse a été rédigée à l'Assemblée nationale, l'antithèse au Sénat, et la synthèse nous est proposée aujourd'hui. Nous la jugeons globalement insatisfaisante.
On y trouve, comme dans toute synthèse, des choses variables : il y en a d'assez bonnes, il y en a de moyennes, il y en a de médiocres, il y en a de mauvaises, il y en a même d'exécrables.
En tout état de cause, la commission des finances, dans sa majorité, n'a pas accepté cette synthèse, et elle suggère au Sénat de la rejeter par le vote de la motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Quelqu'un demande-t-il la parole contre la motion ?...
Je vais mettre aux voix la motion n° 1.
M. Christian de La Malène. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. de La Malène.
M. Christian de La Malène. Naturellement, mon groupe votera cette motion tendant à opposer la question préalable.
Nous avons approuvé, tout au long de ce débat, la ligne politique définie par la commission des finances, qui a montré que, même avec le système des services votés, qui ne lui permettait d'agir que sur 7 % des crédits, il était cependant possible de faire des économies.
Monsieur le secrétaire d'Etat, elle a fait ce que vous auriez dû faire, avec beaucoup plus de moyens : personne ne peut comparer les moyens de la commission des finances, quelles que soient ses capacités et celles de ses collaborateurs, avec les immenses moyens de l'Etat !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. C'est vrai !
M. Christian de La Malène. Elle a démontré qu'avec ses moyens elle pouvait faire ce que, vous, malheureusement, avec vos immenses moyens, vous n'avez pas fait.
Pourquoi ?
En réalité, il s'agit d'une question de volonté : vous n'avez pas eu suffisamment de volonté ou suffisamment de forces - je ne sais pas - pour réduire les dépenses de l'Etat.
Il y a entre vous et nous un désaccord sur la volonté d'agir, un désaccord grave. En effet, ce n'est pas vous qui devriez proposer des dépenses, c'est nous ; or c'est vous qui le faites, et nous qui disons : « Non, c'est trop ! » Ce n'est pas normal.
J'ai eu le bonheur - ou le malheur - de m'occuper de questions budgétaires dans mes jeunes années, et je sais, monsieur le secrétaire d'Etat au budget, que ce n'est pas chose facile ; mais je sais aussi que le devoir d'un responsable, c'est de penser à l'avenir et non pas de dépenser au maximum.
L'avenir ne sera pas simple pour les finances de la nation, avec la mondialisation avec l'Europe, qui va nous coûter cher, mais aussi avec la politique que vous suivez en matière de retraites ou de durée du temps de travail.
Cette politique est en contradiction fondamentale avec l'équilibre des finances publiques des prochaines années : vous ne préparez pas l'avenir, et c'est bien cela que je vous reproche !
Dans un optimisme - convaincu ? Je n'en sais rien - vous dépensez le plus possible et vous n'économisez pas.
Certes, avant vous, d'autres ont couvert notre pays de dettes. Ne croyez pas que je vous distingue de vos prédécesseurs, mais vous, vous ne faites pas d'efforts pour réduire ces dettes.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Christian de La Malène. C'est cela que je vous reproche, c'est la contradiction entre votre politique et votre budget, c'est l'absence de volonté pour mettre sur pied un budget responsable !
Et je n'entre pas dans la logomachie puérile : dialogue républicain... budget de droite ou budget de gauche... Peu importe ! Il s'agit de faire un budget pour la France. Vouloir déterminer s'il est de gauche ou de droite, c'est de la puérilité, et je suis trop vieux pour être puéril !
Pour toutes ces raisons, mon groupe votera la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la commission des finances. (Applaudissements sur les travées du RPR et sur le banc de la commission.)
M. Jean-Philippe Lachenaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Au terme de ce débat budgétaire, je tiens d'abord à me féliciter du dialogue très constructif, du dialogue républicain, qui s'est instauré tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale et qui a abouti à un texte modifié, même s'il ne l'est pas suffisamment à notre gré.
Ce dialogue a été rendu possible par le travail extrêmement important et de très grande qualité qu'ont tout particulièrement mené le rapporteur général et le président de la commission des finances et je veux leur en rendre hommage.
En ces dernières minutes et au moment où mon groupe s'apprête à voter la motion, je crois qu'il est souhaitable de se tourner délibérément vers l'avenir en se livrant à trois réflexions.
La première réflexion porte sur la question de savoir comment vous allez appliquer cette loi de finances, qui deviendra définitive aujourd'hui même.
Je dis, moi, que cette loi de finances est en quelque sorte une image virtuelle de votre politique budgétaire. Vous allez être obligé, dans le courant de l'année 1999, d'adapter votre politique budgétaire et de jouer de l'instrument qu'est la politique budgétaire par rapport à l'instrument qu'est la politique monétaire pour tenir compte de la conjoncture.
Nous déplorons le ralentissement de la croissance, mais force est de constater que nos interrogations rejoignent à ce propos celles des instituts de conjoncture. Peut-être se sont-elles parfois heurtées à trop de certitude de votre part ?
De grandes incertitudes pèsent sur la conjoncture économique, qui tiennent à l'évolution des prix, à l'évolution du dollar, à l'évolution de la croissance mondiale. Vous devrez nécessairement en tenir compte. Nous comprenons que le Gouvernement ait une vision volontariste de la croissance. Nous comprenons aussi que le moteur de la consommation doive être soutenu. Mais nous ne pouvons admettre que vous serez contraints d'adapter l'instrument budgétaire, et cela, sans doute, dès le début de l'année 1999.
Nous aurions vivement souhaité que, sur ce point, le débat ne soit pas escamoté.
Ma deuxième réflexion porte sur votre engagement de réfléchir, comme les institutions européennes vous y conduisent, au programme de stabilité. Mais c'est dès la préparation du budget de 2000, - pour ne rien dire des suivants -, que vous allez devoir songer aux moyens de freiner les dépenses.
En effet, faute d'un freinage des dépenses, il n'y aura ni réduction des prélèvements ni réduction des déficits. Le freinage des dépenses est bel et bien la clef !
Nous avons cru comprendre, à la lecture d'un journal du soir, avait qu'il y avait déjà un débat au sein du Gouvernement sur l'éventualité d'un tel freinage des dépenses.
Un budget de progrès n'est pas nécessairement un budget de progression des dépenses. Il va bien vous falloir, au cours des années 1999, 2000, 2001, vous livrer à cet examen critique des services votés et des mesures acquises, auquel M. le président de la commission des finances vous a invité à procéder. Dans certains pays, s'appliquent systématiquement des procédures annuelles permettant de réexaminer les services votés. Pourquoi ne ferions-nous pas de même pour certains budgets, par exemple celui de l'emploi, de manière à aboutir à des réformes structurelles ? En insistant, notamment, sur la nécessité de freiner les dépenses, la motion déposée par le rapporteur général montre que la commission des finances du Sénat souhaite participer aux réflexions à mener en vue de procéder à des réformes structurelles assurant véritablement ce freinage.
Ma troisième réflexion porte sur la méthode utilisée pour procéder à la réforme fiscale.
A cet égard, de nombreuses dispositions du texte initial étaient très imparfaites. Certaines ont été améliorées, et c'est heureux. Il est toutefois des modifications qui risquent fort d'accroître et le volume et la complexité des contentieux fiscaux ; l'administration fiscale aura fort à faire pour les dénouer.
Je me permets donc, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous suggérer de modifier votre méthode en matière de réforme fiscale.
Ainsi, dans le courant de l'année 1999, si vous avez de nouvelles idées, qu'il s'agisse de la taxe générale sur les activités polluantes, de la taxe professionnelle, de l'imposition des bureaux ou de celle des stock options, ou si vous envisagez des mesures fiscales favorables à la France, la vraie, celle qui gagne, qui exporte, qui investit, pourquoi ne réuniriez-vous pas un groupe de travail, auquel seraient associés des députés et des sénateurs, en particulier des membres des commissions concernées, pour étudier vos projets de réforme, tester leur fiabilité juridique et technique ? Cela nous éviterait sans doute les difficultés que nous avons rencontrées au cours de l'examen de ce projet de loi de finances.
Telles sont les trois réflexions que je voulais présenter pour l'avenir : nécessité d'une adaptation conjoncturelle d'un budget qui est franchement décalé ; nécessité de freiner les dépenses et d'envisager les réformes structurelles permettant de satisfaire à cet impératif absolu ; enfin, proposition d'associer, de manière en quelque sorte préventive, le Parlement à la préparation de la réforme fiscale, de façon que celle-ci soit mieux ajustée.
Bien entendu, le groupe des Républicains et Indépendants votera la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du RPR et sur le banc de la commission.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable, repoussée par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption aurait pour effet d'entraîner le rejet du projet de loi.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public est de droit.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 66 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 61:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 314
Majorité absolue des suffrages 158215
Contre 99

En conséquence, le projet de loi de finances pour 1999 est rejeté.

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