Séance du 20 janvier 1999






LOI D'ORIENTATION AGRICOLE

Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi d'orientation agricole, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Barraux.
M. Bernard Barraux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France rurale est riche de sa culture paysanne et de la diversité de ses territoires. Plus encore, elle est riche de ses femmes et de ses hommes qui constituent le monde paysan dans son infinie diversité. Cet éclectisme est tel qu'il va de l'éleveur de chèvres du Larzac aux prestigieuses productions du Révérend Père Dom Pérignon.
A l'aube du troisième millénaire, voilà le monde rural confronté à une situation duale complexe.
D'un côté, l'agriculture est particulièrement performante. Elle a hissé la France en trente ans au deuxième rang mondial pour les exportations agro-alimentaires, permettant à cette industrie de devenir la première entité économique de France. De l'autre, l'agriculture évolue, hélas ! dans un espace rural terriblement touché par la désertification, au point que certaines zones ont atteint des seuils démographiques alarmants. De plus, une intensification de certains types d'élevage, qui n'ont plus rien de marginal, une concentration excessive de diverses productions provoquent manifestement des nuisances auxquelles personne ne peut être indifférent.
Les agriculteurs, qui ne représentaient plus, en 1990, que 5 % de la population active, connaissent donc aujourd'hui une nouvelle mutation, et c'est l'ensemble de la ruralité qui doit s'efforcer de réagir à cette situation.
Face aux productions régulièrement excédentaires par rapport aux besoins de l'Union européenne et aux mesures restrictives en matière de soutien des prix et des quantités garanties, qui n'ont pas donné les résultats escomptés, l'Union européenne a fait adopter par le conseil des ministres, en 1992, une nouvelle politique agricole commune. Celle-ci déconnecte le revenu agricole des prix garantis et impose une réduction des surfaces cultivées pour limiter l'offre agricole.
L'agriculture, traditionnellement tournée vers la satisfaction des besoins alimentaires, doit regarder autant vers l'agro-industrie qu'elle regarde encore aujourd'hui vers l'agro-alimentaire. La production de diester, d'éthanol, d'emballages pour les produits alimentaires à base de dérivés de l'amidon, plutôt que de dérivés du pétrole, comme c'est le cas aujourd'hui, peut constituer de formidables débouchés. Ne perdons pas non plus de vue que, sur une population mondiale de six milliards d'habitants, 700 millions meurent encore de faim. Combien seront dans cette situation demain, c'est-à-dire dans cinquante ans, quand nous aurons atteint les 9 milliards d'habitants que prévoient les spécialistes ? Loin de considérer la fonction de production de l'agriculture comme secondaire, il nous faut donc nous interroger et nous mobiliser pour maîtriser tous ces excès conjoncturels.
La vocation de l'agriculture doit aussi se tourner vers la défense des valeurs sociétales et la protection de l'équilibre de notre territoire et de l'environnement.
Si, certes, les producteurs de lavande de Bormes-les-Mimosas sont a priori plus séduisants que les éleveurs de porcs bretons, il ne faut tout de même pas oublier que ces derniers permettent à chacun d'entre nous de consommer, à des prix que nous connaissons fort bien, quarante kilogrammes de porc par an ! On n'a, que je sache, jamais cherché à supprimer les roses parce qu'elles avaient des épines ! Ces épines fussent-elles olfactives, nous aurons donc mission de réhabiliter tous les agriculteurs, si impopulaires soient certaines de leurs productions, et nous devrons avoir à coeur de lutter contre ces bruyantes minorités, qui, pratiquant des méthodes qui feraient plus penser à celles qu'utilisait en d'autres temps l'Inquisition, jugent, condamnent et exécutent tout ce qui ne va pas dans le droit-fil de leurs conceptions savamment élaborées dans leurs salons douillets.
C'est l'un des objets de ce projet de loi d'orientation que nous examinons aujourd'hui et pour lequel, comme bien d'autres de mes collègues, je regrette que vous ayez cru devoir déclarer l'urgence, monsieur le ministre.
Si les agriculteurs en général, notamment les éleveurs du bassin allaitant de mon bon département de l'Allier, ne sont pas hostiles a priori au principe du contrat territorial d'exploitation, ils s'inquiètent, comme nombre d'entre nous, sur l'avenir de ce dernier, sur son existence, sur les incertitudes de son financement. Mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même souhaitons donc, monsieur le ministre, que vous le fassiez sortir de la nébuleuse dans laquelle il est actuellement.
Les agriculteurs s'interrogent sur les termes insuffisamment précis de « conditions de production », ainsi que sur l'articulation qui reste à trouver entre les projets collectifs et les projets définis au plan local.
Le financement des CTE, qui doit s'inscrire dans un fonds constitué principalement à cet effet, doit être précisé.
Limiter le contenu à un simple redéploiement de crédits serait, certes, bien trop réducteur et ne donnerait sans doute pas aux CTE l'élan suffisant pour accompagner leur démarrage et pour leur donner leur vitesse de croisière.
De plus, il conviendrait de prévoir l'articulation entre les financements nationaux, régionaux et locaux, en particulier dans le cadre des contrats de plan Etat-région.
J'évoquerai maintenant l'identification des produits.
Le dispositif proposé par l'article 39 du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, tend à considérer l'indication géographique protégée, l'IGP, comme un heureux signe d'identification géré par l'Institut national des appellations d'origine, l'INAO. N'y a-t-il pas là risque d'une certaine confusion pour le consommateur ?
J'y vois tout de même, pour ma part, un intérêt incontestable : celui de sauvegarder sur un lieu géographique bien déterminé certaines productions spécialisées.
Qu'une IGP soit liée à un signe de qualité est, à mon avis, tout à fait souhaitable ; mais nous devons éviter l'inverse, car cela reviendrait à créer un signe de qualité de plus.
Entre les appelations d'origine contrôlées, les AOC, les labels, les produits certifiés, les produits « bio » de toutes espèces, et les IGP, avouez que le consommateur n'aura pas la tâche facile !
L'AOC est un signe de qualité obligatoire et bien déterminé, une sorte de droit à la différence que personne ne conteste.
Le label, quant à lui, est plutôt, dirais-je, le seul véritable critère de qualité supérieure grâce à un rigoureux cahier des charges. Pour les Français, il n'y a pas de qualité sans notion de gastronomie, ce dont tient compte le label. La gastronomie fait en effet véritablement partie de notre patrimoine culturel. Mais pour nos voisins et amis européens, au contraire, la notion de qualité est surtout liée à la qualité nutritionnelle et à la qualité sanitaire du produit. Pour eux, l'aspect a beaucoup plus d'importance que le goût.
Un autre critère de qualité concerne les produits « bio », qui, comme chacun le sait, connaissent actuellement un très important développement. Mais il s'agit beaucoup plus d'une philosophie de production que d'une qualité au sens « label » du terme.
Là encore, il existe une importante différence entre les contraintes françaises et les directives européennes, ces dernières étant nettement moins contraignantes que les nôtres. Cela permet de voir à l'étalage des produits « bio » fabriqués par nos voisins européens à des prix nettement inférieurs aux produits « bio français. Peut-être y aurait-il lieu de trouver un compromis entre l'excès de banalisation des produits « bio » européens et l'excès de rigueur des critères de production français !
Les études consacrées aux attentes du consommateur français mettent en lumière que celui-ci est à la recherche de ses racines, du goût des produits de son enfance, des produits du terroir, des produits de qualité élaborés selon des savoir-faire traditionnels bien déterminés. C'est bien la preuve que la notion de gastronomie fait partie intégrante de la culture française ! Et, en ce domaine, seul le label s'attache à cette notion.
Je voudrais, pour terminer, évoquer le problème spécifique de l'intégration qui, dans le monde de l'élevage, concerne certaines relations entre un producteur et son fournisseur industriel. Elle est à l'origine d'un contentieux trop important et souvent défavorable aux industriels, notamment de la nutrition animale.
Face à la multiplicité des relations contractuelles entre les éleveurs et les industriels, il est nécessaire de revoir la définition actuelle de l'intégration. Les textes qui régissent ces contrats doivent en effet être adaptés et complétés.
Le projet de loi initial ne prévoyant pas de traiter de la question de l'intégration, la commission des affaires économiques a pris l'initiative de déposer un amendement prévoyant que le Gouvernement présentera, d'ici à un an, un rapport sur le phénomène de l'intégration et le pouvoir économique des producteurs.
Il est quelque peu simpliste, voire erroné, de ne voir dans cette relation commerciale que l'exploitation d'un pauvre agriculteur par un riche industriel de l'agroalimentaire.
On oublie trop souvent que, en période de crise, comme actuellement pour le porc, l'éleveur « intégré » est le seul à avoir une garantie de ressources. S'il ne profite pas, certes, de certaines euphories des cours, il est aujourd'hui protégé contre les chutes catastrophiques. Il s'agit donc bien d'un accord clairement et librement établi entre deux parties, l'industriel qui recherche une garantie de débouché et l'éleveur qui recherche une garantie de revenu.
De plus, s'agissant de l'installation de jeunes agriculteurs ne possédant pas suffisamment de fonds de roulement pour financer la totalité de leurs productions, l'intégration est un outil qui, depuis de nombreuses années, a rendu de bons et loyaux services. Il est grand temps que ce style de relations soit clairement défini afin, justement, d'éviter certains abus qui lui ont donné cette mauvaise réputation.
Il est important de noter que la législation actuelle écarte de son champ d'application les relations incluant certaines coopératives qui, pourtant, se comportent très souvent comme de véritables intégrateurs.
Depuis que le monde est monde, chacun sait que ce sont les agriculteurs qui l'ont nourri, souvent difficilement, et nous sommes sans doute la première génération qui n'a pas à souffrir de dramatiques périodes de pénuries. Jamais l'agriculture n'a nourri autant de monde ! Souhaitons que ce texte lui permette de renforcer son pouvoir afin d'aider à son développement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur Barraux, vous êtes un fin gastronome, mais vous vous êtes largement servi sur le temps de parole de votre groupe ! (Sourires.)
La parole est à Mme Bardou.
Mme Janine Bardou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m'associerai tout d'abord aux compliments qui ont été adressés à notre rapporteur.
M. Charles Revet. Ils sont tout à fait justifiés !
Mme Janine Bardou. ... pour le travail tout à fait remarquable qu'il a accompli au sein de notre commission.
Le projet de loi d'orientation agricole que nous examinons aujourd'hui nous donne la mesure des enjeux pour l'avenir rural. De nombreux orateurs ont déjà souligné les espoirs et les craintes suscités par ce texte.
Pour ma part, j'aborderai un sujet qui me tient particulièrement à coeur : la montagne. En effet, ce texte ne me semble pas suffisamment reconnaître la spécificité des zones de montagne, qui représentent 25 % du territoire national.
Faut-il rappeler que la loi montagne, votée à l'unanimité en 1985, reconnaissait cette spécificité ?
Faut-il rappeler que les conditions de production agricole en montagne se caractérisent par des contraintes particulières liées à l'altitude, à la pente, mais aussi au climat, à l'enneigement, aux difficultés de communication qui induisent des surcoûts d'équipement, de transport et réduisent d'autant la productivité ?
Dans ces conditions, comment la politique de la montagne pourrait-elle être banalisée et diluée dans une politique globale ?
Faut-il rappeler aussi l'abandon, au fil des ans, des soutiens à la montagne : aide à la mécanisation, aide pour les bâtiments d'élevage, aide à la qualité et à la collecte des produits ?
Pourtant, les agriculteurs de montagne mettent en oeuvre des capitaux à peu près équivalents à ceux des agriculteurs de plaine. Ils travaillent autant, mais ils réalisent, en moyenne, un chiffre d'affaires moitié moins élevé.
Cependant, conscients que la structure de leurs exploitations ne leur permettait pas de s'insérer dans un contexte de production de masse, les agriculteurs de montagne ont su développer de nombreux créneaux de marché tels que la vente directe, les circuits courts de transformation ou l'agritourisme, et ce grâce à l'image positive de la montagne.
Nous avons d'ailleurs pu le constater lors de la crise de la vache folle où, finalement, les zones de montagne ont mieux résisté que d'autres.
Ainsi, nos agriculteurs ont su avant l'heure répondre à la demande des consommateurs en termes de qualité des produits.
Monsieur le ministre, si j'ai souhaité insister sur l'identité montagnarde, c'est que ses spécificités sont parfois mal comprises - la loi de 1985 est déjà loin - et souvent ressenties, à tort, comme la défense d'intérêts catégoriels.
Je voudrais aborder maintenant deux points particuliers, la pluriactivité développée dans l'article 6 et les contrats territoriaux d'exploitation.
S'agissant de la pluriactivité, nous devons d'abord affirmer avec force que la fonction de production, que ce soit en plaine, en montagne ou en zone défavorisée, est la fonction première et majeure de l'agriculteur, toutes les autres activités ne devant être considérées que comme le prolongement du statut de l'agriculteur.
L'article 6 voté en première lecture à l'Assemblée nationale met l'accent sur le « caractère accessoire » de certaines activités.
Cette disposition irait finalement à l'encontre de l'objectif de la loi d'orientation, qui est de maintenir des agriculteurs sur l'ensemble de notre territoire et de conforter leurs revenus en leur permettant d'avoir une multifonctionnalité, objectif que nous ne pouvons qu'approuver.
Si nous prenons pour exemple l'agritourisme, cet article est, pour les zones qui développent cette activité, totalement inadapté.
Nous pouvons déjà estimer que, en Lozère, une centaine d'exploitations seraient concernées et que le statut agricole serait remis en cause pour une cinquantaine d'entre elles. Et il en est de même dans bien d'autres régions !
La plupart de ces exploitations, très souvent localisées dans les Cevennes, ont un très faible chiffre d'affaires agricole et un revenu complémentaire leur est indispensable.
Il apparaît, d'autre part, qu'elle concernent, pour les deux tiers d'entre elles, des agriculteurs qui ont des systèmes d'exploitation qui valorisent et entretiennent l'espace, et que ce sont les agriculteurs les plus professionnels en matière de diversification agritouristique qui seraient les plus touchés.
Enfin, en termes d'image, les études d'impact et la pratique des salons grand public nous font prendre conscience de l'importance du terme « ferme » dans leur communication. Une remise en cause de l'utilisation de cette terminologie serait catastrophique pour le tourisme rural, bien souvent identifié comme étant un tourisme à la ferme par les clients, pour la Lozère en particulier.
Cela m'amène à dire que, pour ce qui concerne l'agritourisme, quels que soient les revenus de l'exploitation, le tourisme vert s'appuie sur l'activité agricole, même si, parfois, il peut être plus rémunérateur. Les deux activités sont absolument indispensables pour dégager un revenu suffisant.
Le deuxième point que je voudrais évoquer est le contrat territorial d'exploitation.
Le CTE, pièce maîtresse de votre projet de loi, est « l'outil de la nouvelle politique agricole ». L'intention est, certes, louable, mais elle n'est pas tout à fait nouvelle puisqu'elle répond aux mêmes préoccupations que les plans de développement durable mis en oeuvre depuis quelques années.
Ce dispositif vise à inscrire l'exploitation agricole dans une démarche contractuelle et à rétribuer d'autres fonctions que la production.
Mais le CTE inquiète les agriculteurs, notamment dans les zones de montagne qui pratiquent une agriculture extensive, où environnement et agriculture sont très liés. En effet, les contrats territoriaux d'exploitation étant mis à la disposition de tous et non réservés aux agriculteurs des zones fragiles, leur impact risque de s'en trouver diminué.
Vous nous affirmez, monsieur le ministre, que l'équilibre entre production et environnement sera respecté, mais qu'en sera-t-il dans l'avenir ?
A travers le CTE, contrat entre l'Etat et l'agriculteur, l'Etat n'aura-t-il pas la tentation d'orienter sa politique agricole ? N'aura-t-il pas le souci de donner un jour la priorité aux missions environnementales au détriment de la production, surtout dans des zones difficiles comme les nôtres, ce qui, à terme, aurait pour conséquence la disparition de l'agriculture ?
Prévenir les risques naturels, gérer des espaces à haute valeur ajoutée naturelle et lutter contre l'érosion, telles sont les missions que les agriculteurs de montagne assument depuis toujours, même si elles n'ont été jusqu'ici ni reconnues ni rémunérées, alors que l'ensemble de la société en tirait profit. Prendre en compte cette fonction est un aspect positif du CTE.
Mais la fonction de gestion de l'espace et d'entretien des paysages ne doit en aucun cas devenir la fonction dominante de notre agriculture.
De même, il ne peut être question, comme on le laisse parfois entendre dans certaines réunions - mais pas au sein du ministère de l'agriculture, je tiens à le souligner -...
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.
Vous me rassurez ! (Sourires.)
Mme Janine Bardou. ... que le CTE puisse être orienté principalement vers les adhérents du réseau Natura 2000. Ce serait inacceptable !
M. Auguste Cazalet. Très bien !
Mme Janine Bardou. Par ailleurs, nous tenons, monsieur le ministre, à ce que les aides spécifiques telles que l'indemnité spéciale montagne et l'indemnité compensatrice de handicap naturel restent bien identifiées.
Nous ne saurions non plus accepter que ces aides compensatrices de handicap soient fondues dans un contrat territorial d'exploitation destiné à l'ensemble du territoire.
Enfin, je voudrais évoquer un point particulier concernant le financement des contrats territoriaux d'exploitation : à terme, une participation des collectivités locales sera sans doute sollicitée, ce qui me paraît extrêmement dangereux. En effet, c'est logiquement dans les départements les plus fragiles que devraient être souscrits le plus grand nombre de CTE, mais ces départements n'ont pas toujours les moyens financiers de doter fortement cette mesure. Cela ne fera donc qu'accentuer les graves distorsions entre les régions riches et les autres.
En conclusion, monsieur le ministre, cette loi d'orientation agricole ne saurait figer le métier d'agriculteur, qui doit toujours pouvoir exprimer son identité, à savoir la production. Pour les jeunes qui souhaitent s'installer, il faut faciliter les démarches à accomplir, car elles demeurent très complexes et très contraignantes. Nous réduirons ainsi le risque d'abandon de terres en montagne.
Zones d'avenir, les zones de montagne ont sans doute des difficultés, mais aussi beaucoup d'atouts qui ne demandent qu'à être mis en valeur.
L'agriculture restera toujours aussi la condition du maintien de la vie et de l'occupation de l'espace. Je souhaite que vous entendiez ce message, monsieur le ministre.
Même s'ils ne refusent pas d'assurer des fonctions de gestion de l'espace, les agriculteurs veulent être des agriculteurs à part entière, et contribuer ainsi à un aménagement harmonieux du territoire.
En France, comme partout en Europe, les zones de montagne ne sont pas des zones sauvages, contrairement à ce que certains imaginent parfois : ce sont bien des zones façonnées par la main de l'homme et absolument indispensables à l'équilibre de notre territoire national. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu des prochains enjeux auxquels nos secteurs agricole et agroalimentaire auront à faire face, je ne suis pas convaincu que le projet de loi que nous examinons, tel que nous l'a transmis l'Assemblée nationale, soit bien l'outil adéquat.
L'élargissement de l'Union aux pays de l'Europe centrale et orientale correspond à l'arrivée de 100 000 millions de consommateurs supplémentaires. Dans moins de six mois doivent être closes les négociations de la PAC, ce qui permettra d'entamer celles de l'Organisation mondiale du commerce.
Dans cet espace ouvert, l'agriculture ne sera plus l'objet d'un régime particulier. Il convient donc de définir une politique de développement durable, à taille humaine, qui assure un équilibre entre les exigences de la production et les préoccupations environnementales.
Comme cela a été dit, la France représente plus de 20 % de la production agricole européenne et tient le premier rang pour l'exportation des produits transformés ; son industrie alimentaire prend 10 % du marché mondial. On compte 800 000 exploitations. Toutefois, seulement la moitié sont considérées par l'Union européenne comme pouvant faire vivre une famille. Ce texte inquiète déjà les entreprises rentables ; que dire pour celles qui sont les plus fragiles ?
Pour que notre agriculture reste performante, diversifiée, exportatrice, répartie sur l'ensemble du territoire et en adéquation avec les exigences de protection de l'environnement et de respect des consommateurs, il faut bien favoriser l'arrivée d'une nouvelle compétitivité fondée sur la multifonctionnalité.
Plutôt que d'encourager l'initiative et l'innovation et porter ainsi une démarche incisive, votre projet, monsieur le ministre, encadre trop - et donc entrave, comme dans beaucoup d'autres domaines - et pèche par manque de moyens.
L'outil principal, c'est le contrat territorial d'exploitation, à propos duquel vous nous avez fait, hier, une brillante démonstration oratoire, monsieur le ministre.
Or, je n'avais pas été le seul, lors de l'examen des crédits du budget de l'agriculture, à peu apprécier ce qu'il convient d'appeler pudiquement le redéploiement de crédits destiné à faire figurer 300 millions de francs au chapitre des CTE, sans parler des ajouts européens. Ces fonds manqueront plus particulièrement là où des mesures appropriées commençaient à porter leurs fruits. A ce sujet, comment la charte d'installation signée par Philippe Vasseur sera-t-elle honorée ?
Pour 1999, vous avez prévu, monsieur le ministre, la mise en place de 12 000 CTE pour 800 000 exploitations réparties sur le sol national. Dans mon département, nous avons 3 000 agriculteurs, et une centaine de CTE sont annoncés. Là comme partout ailleurs, il est à prévoir des arbitrages serrés. Que dire à ceux qui ne recevront pas les 25 000 francs ? Quels critères définir ? Sur quelle recevabilité et sur quelle objectivité ?
A partir de cette sélection se créeront des distinctions qui opéreront des catégories. Cela me paraît inutile et dangereux.
Dans l'élaboration du projet, il aurait fallu considérer la dimension du territoire avant que d'organiser la relation entre l'Etat et l'agriculteur.
Déjà, ce dernier estime qu'il va vers une perte de responsabilité ; mais de nombreux autres acteurs estiment que certaines dispositions vont troubler le jeu d'une complémentarité sur laquelle reposent l'équilibre et l'avenir du monde rural.
Au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, à laquelle j'appartiens, notre excellent rapporteur, Michel Souplet, va déposer et soutenir un amendement de suppression de l'article 6, qui ne satisfait personne.
En ce qui concerne les agriculteurs, comme l'a souligné le président Jean François-Poncet, l'imprécision de la notion « accessoire » pour les activités de diversification est telle qu'elle risque d'être préjudiciable à l'exploitant. Cela sera expliqué dans le détail.
D'autres catégories, comme les artisans ou les animateurs du tourisme rural ou vert, redoutent que cette pluriactivité ne se traduise par une concurrence déloyale. Cette perspective est d'autant plus mal vécue que l'adaptation aux marchés n'est pas soutenue de la même façon dans tous les secteurs. Ainsi, de complémentarité on en est arrivé à parler de rivalité.
Michel Souplet, pensant surtout au monde agricole, a souhaité que les différentes parties prenantes négocient afin de parvenir à un texte levant les incertitudes et corrigeant les dérives évoquées. Je souhaite que, dans cette recherche de conciliation, soient associés l'ensemble des acteurs qui constituent la société rurale. Ils sont indissociables tant il résulte de l'interpénétration des secteurs que c'est un tout.
Afin de ne pas alourdir les débats, espérant être entendu et voir la position de notre commission adoptée, je n'ai pas déposé d'amendement visant à préciser des termes et des champs dont les contenus doivent être préalablement explorés.
L'articulation de la diversité doit nécessairement s'ancrer dans le partenariat. Cette forme voulue d'association donne à chacun sa place et sa responsabilité dans la construction de l'avenir.
Ce texte n'atteindra pas son objectif de réconciliation de la société avec le monde agricole, souvent attaqué. Par ailleurs, il ne prend pas assez en compte les dimensions communautaire et internationale dans lesquelles s'inscrit la politique à mener. Ainsi, la dimension exportatrice est gommée au profit de la protection de l'environnement, malgré les effets prévisibles d'une baisse des prix généralisée incluse dans le paquet Santer. A mon tour, je dirai que l'avenir de l'agriculture française ne sera pas assuré par une suradministration. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le ministre, la loi d'orientation agricole que vous nous présentez aujourd'hui est un événement majeur qui va en grande partie conditionner l'agriculture française dans les vingt années à venir.
La première lecture de ce texte, tel qu'il nous est parvenu de l'Assemblée nationale, me donne l'impression d'un projet manquant d'ambition et de prospective, et je crains que le débat qui s'instaure aujourd'hui en cette assemblée ne demeure véritablement qu'un débat franco-français, qui ne prépare pas l'agriculture française aux grands rendez-vous qui l'attendent.
Le premier de ces rendez-vous est celui des marchés.
L'agriculture française, n'en déplaise à certains, a une vocation exportatrice.
Le nier aujourd'hui, c'est accepter, demain, que nos entreprises de transformation agroalimentaires licencient un ouvrier sur trois ou procèdent à des délocalisations pour conserver leurs parts de marché.
N'oublions pas que la France est le premier pays exportateur de produits agricoles transformés, avec 11 % des échanges internationaux. C'est là le fruit du savoir-faire et du dynamisme de nos 4 200 entreprises spécialisées et de leurs 400 000 salariés.
Le nier aujourd'hui, c'est ne pas se mettre en position de force pour négocier, demain, avec nos partenaires d'Outre-Atlantique dans le cadre des futures négociations OMC, qui débuteront en fin d'année. Cette négociation, chacun la sait difficile, car les Etats-Unis, au travers du Fair Act de 1996, ont clairement affiché leur détermination de reconquérir, voire d'acquérir, de nouvelles parts de marché en Europe, détermination servie par le Codex Alimentarius , organisme européen d'harmonisation des règles sanitaires qu'il importerait - je le dis au passage - de toiletter, mais également par la procédure du Fast-track, qui - je le dis aussi au passage - fait actuellement défaut au président Clinton, et dont nous ne saurons malheureusement peut-être pas profiter.
Nier cette vocation exportatrice, c'est aussi faire fi de l'augmentation de la demande alimentaire mondiale, et ainsi abandonner à d'autres la conquête des parts de marché correspondantes.
Je vous le rappelle, monsieur le ministre, chaque année, notre planète compte 80 millions d'habitants supplémentaires.
Nier cette vocation exportatrice de l'agriculture française, c'est, enfin, évidemment, fragiliser 50 % de l'excédent de notre balance commerciale, en clair entre 60 et 70 milliards de francs tous les ans.
Or, la réponse de cette loi d'orientation agricole, c'est le contrat territorial d'exploitation !
Vous avouerez, monsieur le ministre, que cette réponse est un peu courte, au regard de ce grand rendez-vous. Si quelques rares régions de l'Hexagone se sont laissé entraîner dans une vision trop productiviste, engendrant des dérives environnementales qu'il faut impérativement corriger, n'oublions pas malgré tout que « l'agriculture durable » est et sera celle qui demeurera présente sur les marchés ! Il nous importera donc, au cours de ce débat, de corriger cette dérive environnementaliste des CTE, qui ne peut que refléter une vision passéiste des choses totalement déconnectée de la réalité. (Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Raymond Courrière. Et la protection de la santé !
M. Jean Bizet. Que des régions de montagne, des régions fragiles ou très typées souscrivent avec l'Etat des CTE, pourquoi pas ? Mais tout cela, monsieur le ministre, ce n'est pas la France !
Que l'on fasse de ce concept l'orientation majeure de notre politique agricole du xxie siècle, vous comprendrez que nous ne puissions y souscrire, d'autant que le financement relève d'une opération des plus hypothétiques, quand ce n'est pas des plus dangereuses.
Le deuxième rendez-vous de notre agriculture est celui de la qualité ; je veux parler de la qualité sanitaire et de la qualité organoleptique des produits agricoles.
Sur ces points précis, compte tenu d'une conjoncture récente très particulière, troublée par la crise de l'encéphalopathie spongiforme bovine, nous pouvons considérer que les agriculteurs de ce pays ont déjà, et depuis longtemps, répondu présent à ce rendez-vous. Nous pouvons également considérer que le ministère de l'agriculture et la direction générale de l'alimentation ont, de ce point de vue, démontré pleinement leur efficacité et leur sérieux.
Cette politique de qualité a été fortement développée par l'un de vos prédécesseurs, M. Vasseur (M. René-Pierre Signé s'esclaffe), et j'espère que vous saurez vous inscrire, à votre tour, dans la même démarche, monsieur le ministre.
La traçabilité, l'identification, la certification doivent désormais devenir la règle pour l'ensemble des filières de production. Les signes de qualité et d'identification, qu'ils soient nationaux ou européens, doivent faire l'objet d'une plus grande lisibilité auprès des consommateurs ; c'est ce qui motive le dépôt par notre rapporteur d'un certain nombre d'amendements qui, je l'espère, seront votés par cette assemblée.
La création de l'agence de sécurité sanitaire des aliments est, là aussi, un maillon indispensable à notre politique de qualité, qu'il importe de rendre totalement opérationnelle.
La qualité organoleptique des produits agricoles français contribue largement à la réputation de notre pays et, grâce à l'INAO, fait l'objet depuis de nombreuses années d'une codification qu'il importe de conserver en cohérence avec une codification européenne.
Quant au développement de l'agriculture biologique, si nous pouvons nous en réjouir, il convient malgré tout de considérer qu'il s'agit d'une production dite de « niche », qui ne peut et ne pourra résumer, à elle seule, la politique agricole de notre pays.
Il ne faut pas non plus oublier que cette production doit répondre aux mêmes exigences de sécurité sanitaire que les produits agricoles dits « conventionnels ». Ne pas en prendre totalement conscience aujourd'hui, c'est condamner, demain, son évolution.
Enfin, monsieur le ministre, le troisième rendez-vous est celui de la modernité. Il est le plus méconnu ; il s'avérera le plus déterminant pour l'avenir.
La modernité de l'agriculture, c'est l'avènement des biotechnologies. Sur ce point, la France est « frileuse » tout comme l'Europe, alors que les Etats-Unis se sont engagés dans cette démarche avec une forte détermination ces cinq dernières années.
Aux Etats-Unis, les biotechnologies ont créé à ce jour 120 000 emplois au sein de 1 300 entreprises représentant 83 milliards de dollars de capitalisation boursière. Dans notre pays, ces emplois sont au nombre de 3 000 et les entreprises spécialisées atteignent à peine 90 unités, représentant 0,6 milliard de dollars de capitalisation boursière.
La France totalise à peine 2 000 hectares de cultures OGM, organismes génétiquement modifiés, à comparer aux 40 millions d'hectares sur l'ensemble du monde ! Pourtant les OGM se développeront, monsieur le ministre, avec ou sans l'Europe, avec ou sans la France.
M. Gérard César. Très bien !
M. Jean Bizet. Je suis très inquiet de l'attitude de la France face à cette réalité.
M. Raymond Courrière. C'est de la prudence !
M. Jean Bizet. Si je salue la décision de votre prédécesseur, M. Le Pensec, autorisant la mise en culture du maïs BT en septembre 1997, ce n'est que pour mieux déplorer l'orientation parallèle et immédiate du ministère en faveur de l'agriculture biologique, destinée à masquer les vrais enjeux. Tout se passe comme si le Gouvernement refusait d'aborder clairement cette question, car, c'est vrai, elle heurte l'opinion publique, inquiète de l'irruption de cette modernité dans son alimentation. Mais le Gouvernement ne pourra longtemps fuir ses responsabilités.
Je partage les analyses de l'ancien président de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, notre collègue Jean-Yves Le Déaut, dans ses conclusions de la conférence du consensus. Je n'évoquerai qu'en passant la décision du Conseil d'Etat, prise en décembre 1998, de surseoir à exécution pour l'utilisation d'autres variétés de maïs génétiquement modifiés, mettant ainsi notre pays en totale incohérence avec la législation européenne.
La France, dans ce contexte de mondialisation des échanges, ne pourra rester à l'écart des biotechnologies.
Et pendant que le Gouvernement tarde à prendre une décision claire, les Etats-Unis, eux, au travers de la brevetabilité du vivant, prennent des positions dominantes dans les multinationales de l'agrochimie. Cette orientation transformera nos agriculteurs en « ouvriers à façon » de ces mêmes multinationales américaines, qui capteront ainsi toute la valeur ajoutée.
A la demande de la commission des affaires économiques et du Plan du Sénat, j'avais rendu un rapport d'information sur ce sujet en juin 1997 et je m'étais déplacé à Washington, rencontrant de nombreux responsables agricoles ainsi que Mickey Kantor, ancien négociateur du GATT pour le président Clinton.
Monsieur le ministre, regardons la réalité en face, les OGM seront au centre des futures négociations de l'OMC en fin d'année et ce n'est pas l'utilisation du « principe de précaution » qui résoudra ce problème.
Au sein de ce projet de loi d'orientation agricole, le chapitre consacré à la biovigilance, monsieur le ministre, est davantage un message adressé au lobby écologique qu'aux consommateurs ou aux industriels de ce pays.
J'aurais souhaité un texte plus ambitieux et surtout plus cohérent avec la directive européenne 90/220 en cours de révision, c'est-à-dire un vrai projet de loi sur les OGM. Je ne comprends pas pourquoi les dispositions relatives à la biovigilance ne se rattacheraient pas tout simplement aux dispositions générales de la loi du 1er juillet 1998 relative à la sécurité sanitaire. Le consommateur, l'industriel, le chercheur ont sur ce point besoin de transparence, de sécurité, et de netteté ; je crains que ce texte ne réponde pas clairement à ces objectifs, donc à leur attente.
On ne peut rester longtemps dans l'ambiguïté à son avantage et « l'on en sort assurément qu'à son détriment », monsieur le ministre. Ces propos de Talleyrand sont encore aujourd'hui d'une cruelle réalité.
Au terme de cette intervention, monsieur le ministre, je tiens à vous dire que j'aborderai cette loi d'orientation avec un esprit constructif, certes, (Rires sur les travées socialistes)...
M. Raymond Courrière. C'est mal parti !
M. Jean Bizet. ... mais je n'accepterai pas de laisser fragiliser l'agriculture de mon pays. Je tiens à lui donner la place qui lui revient dans le contexte international. C'est la raison pour laquelle, avec mes collègues du groupe du RPR et en parfaite cohérence avec M. le rapporteur, nous essaierons au travers d'un certain nombre d'amendements de lui donner davantage d'ambition. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Boyer.
Mme Yolande Boyer. Le projet de loi d'orientation agricole que vous nous proposez, monsieur le ministre, après votre prédécesseur, M. Louis Le Pensec, devenu notre collègue et que je salue ici amicalement, est une nécessité pour les agriculteurs, certes, mais aussi pour l'ensemble de la population.
Notre agriculture a connu des mutations impressionnantes. La société évolue, les besoins, les habitudes, les demandes des consommateurs aussi. Il est donc essentiel de renforcer les liens entre les agriculteurs et la société.
Ce projet de loi s'inscrit non seulement dans l'évolution de la société française mais aussi, et beaucoup plus largement, dans le cadre de la réforme de la PAC et de la mondialisation des échanges.
Pour ma part, je souhaite insister sur le mot : « orientation », car ce projet de loi a pour objectif de non pas tout régler, mais de donner de grandes directions en fonction de choix clairement annoncés.
Mon intervention portera sur certains de ces choix exprimés dans le titre II, consacré aux « exploitations et personnes ».
En effet, l'agriculture, ce sont des hommes et des femmes qui font vivre nos territoires par la production, certes, mais aussi par toutes les autres activités qui vont bien au-delà de l'action de produire, la multifonctionnalité étant clairement affirmée et reconnue.
L'agriculture, c'est aussi le savoir-faire de ces hommes et de ces femmes qui font vivre nos territoires dans leur diversité et qui créent de l'emploi ; je rappelle d'ailleurs, au passage, qu'un emploi agricole entraîne quatre emplois induits.
Cette loi a pour objectif de favoriser l'emploi, en particulier par l'installation de jeunes issus ou non du milieu agricole, et, à ce sujet, la possibilité d'installation progressive est favorisée, ce qui est une bonne chose.
De cette volonté découle une réorganisation du contrôle des structures qui doit aboutir, d'une part, à limiter la concentration, et d'autre part, à éviter le démantèlement des exploitations.
Le monde agricole, ce sont des hommes, mais ce sont aussi des femmes.
Il a fallu attendre 1980 pour que l'activité professionnelle des conjointes soit reconnue.
M. Raymond Courrière. Très bien !
Mme Yolande Boyer. Actuellement, celles qui ne sont ni co-exploitantes ni associées sont « présumées » participer aux travaux. Elles ont donc un statut par défaut. Le vocabulaire traduit bien, malheureusement, le manque de reconnaissance de la situation réelle de ces femmes.
La proposition de statut de « conjoint collaborateur d'exploitation » - de conjointe, devrais-je dire, car il s'agit majoritairement de femmes - est un progrès certain. Il se traduit par des avancées sociales en matière de cotisations et de retraites ; ce n'est pas négligeable quand on sait qu'aujourd'hui, après une vie de travail non reconnue sur l'exploitation, une femme perçoit une retraite d'environ 17 000 francs par an, mais ce statut constitue aussi une reconnaissance du travail de tous les jours de la femme sur l'exploitation.
Vos propositions concernant la prise en charge du remplacement pendant les congés maternité, dans un souci d'égalité entre les agricultrices et les autres femmes sont également un progrès. Mais je pense que votre projet peut aller plus loin ; nous en reparlerons lors de la discussion d'un amendement déposé par le groupe socialiste.
Enfin, pour terminer sur ce thème qui, comme vous l'aurez remarqué, me tient particulièrement à coeur, nous constatons aujourd'hui que les agricultrices ont choisi d'exercer un métier et non d'être simplement femme d'agriculteur. Il s'agit là d'une évolution significative du monde agricole.
Cette volonté de lutter contre les inégalités se confirme par d'autres mesures ; je me bornerai à en citer quelques-unes.
Il s'agit, notamment, de règles plus claires fixant les droits et les devoirs du bailleur et du preneur.
Concernant les salariés agricoles, nous souhaitons qu'ils bénéficient d'une meilleure protection, mais aussi que les conditions d'embauche soient simplifiées grâce aux TESA.
Un effort de revalorisation des retraites, notamment les plus petites, me paraît significatif.
Enfin, sans y insister, j'ajouterai une caractéristique qui me paraît essentielle dans ce projet de loi, la volonté de transparence, qui se traduit, entre autres, dans la répartition des aides publiques et le contrôle des structures.
Ma conclusion sera brève. Vous avez commencé votre intervention, monsieur le ministre, en évoquant l'actualité européenne et les négociations que vous menez. Nous vivons actuellement une très grave crise porcine, ressentie durement dans ma région, la Bretagne, d'autant qu'à celle-ci s'ajoutent de très fortes inquiétudes concernant la filière avicole. J'espère que ce projet de loi, amélioré, je n'en doute pas, par nos travaux, nous permettra de concilier développement agricole et attentes de la société et constituera une force de proposition auprès de nos partenaires européens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Mes chers collègues, afin de pouvoir répondre à l'aimable invitation de M. le président du Sénat, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Paul Girod.)