Séance du 21 janvier 1999







M. le président. « Art. 12 bis. - Les revenus provenant des produits de l'activité d'un exploitant agricole sont cessibles et saisissables dans les mêmes conditions et limites que les salaires.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article. »
Par amendement n° 15, M. Souplet, au nom de la commission des affaires économiques, propose de supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Souplet, rapporteur. L'article 12 bis prévoit d'instituer une quotité insaisissable sur les revenus provenant des produits de l'activité de l'exploitant, à l'instar de la fraction du salaire insaisissable instituée, pour les salariés, par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions.
Je souhaite insister sur deux points essentiels.
En premier lieu, ce mécanisme vise à créer, au bénéfice des agriculteurs, une situation tout à fait dérogatoire par rapport à celle des autres professionnels non salariés, qu'il s'agisse des artisans, des commerçants ou des membres des professions libérales. On peut donc s'interroger sur sa constitutionnalité.
En second lieu, ce dispositif, s'il est adopté, se révélera difficilement applicable, car il est ardu de calculer à l'avance le revenu mensuel d'un agriculteur, que l'on ne connaît qu'au terme d'un exercice comptable. Le régime de la saisie sur rémunération est spécifique, en raison des caractéristiques propres aux salaires. Il se traduit par des versements mensuels prélevés par l'employeur, et un tel système ne peut se concevoir que pour des revenus à périodicité et à montants réguliers.
C'est pourquoi la commission propose au Sénat de supprimer cet article.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche. Favorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 15.
Mme Odette Terrade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. L'Assemblée nationale a avantageusement complété le projet de loi que nous examinons par deux dispositions visant à protéger de l'exclusion les exploitants agricoles en situation de faillite.
La première d'entre elles tend à étendre le bénéfice d'une mesure qui existe déjà pour les salariés et qui rend insaisissable une partie de leur revenu.
La seconde mesure, adoptée sur l'initiative des députés communistes, vise à rendre insaisissable le lieu d'habitation principal de l'exploitant agricole en cas de liquidation judiciaire ou de redressement de l'exploitation.
Au-delà des problèmes que ces dispositions posent s'agissant de la périodicité et de la régularité des revenus, d'une part - M. le rapporteur vient de le souligner - et du droit de propriété, d'autre part lesquels ne me paraissent d'ailleurs pas insurmontables, le véritable obstacle est, à n'en pas douter, de nature constitutionnelle.
A cet égard, une question fondamentale et presque philosophique se pose à nous : le principe d'égalité juridique doit-il ignorer les inégalités que l'on constate dans la réalité économique et sociale ?
Il me semble que la finalité de la loi est précisément de protéger les plus faibles. Or, c'est bien de cela dont il s'agit avec les articles 12 bis et 12 ter, qui prolongent la loi d'orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions. C'est pourquoi il serait préférable de parvenir à une réécriture desdits articles, afin d'éviter la sanction ultime du Conseil constitutionnel.
S'agissant plus précisément de l'article 12 bis , peut-on invoquer une rupture d'égalité entre agriculteurs et artisans, alors qu'une mesure semblable existe au bénéfice des seuls salariés ?
En conséquence, notre groupe s'opposera aux amendements n°s 15 et 16 de la commission des affaires économiques, car nous aurions préféré que l'on modifie ces articles afin de les rendre recevables par le Conseil constitutionnel, plutôt que d'anticiper une décision de celui-ci.
M. Marcel Deneux. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Je voterai l'amendement n° 15, parce que, à l'étude, l'article 12 bis se révèle pratiquement inapplicable, et ce pour des raisons techniques.
En effet, nous avons déjà pu constater que, très fréquemment, la maison d'habitation est invendable séparée du fonds agricole. De surcroît, dans bien des cas, s'agissant notamment des exploitants fermiers, la maison d'habitation constitue l'un des rares biens sur lesquels les banquiers peuvent fonder une garantie.
Par conséquent, l'adoption de l'article 12 bis compliquerait la vie de nombreux jeunes fermiers qui ne sont pas en mesure d'offrir de garanties foncières.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 15, accepté par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 12 bis est supprimé.

Article 12 ter