Séance du 28 janvier 1999






REDÉPLOIEMENT DES FORCES DE SÉCURITÉ

Discussion d'une question orale avec débat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 8 :
M. Paul Masson attire l'attention de M. le Premier ministre sur les décisions du conseil de sécurité intérieure du 27 avril 1998 relatives à une nouvelle répartition géographique des effectifs de la police et de la gendarmerie sur le territoire national.
Ce projet de redéploiement aurait pour conséquence la dissolution de plusieurs dizaines de commissariats et de brigades de gendarmerie dont des listes semblent avoir été établies avant qu'une véritable consultation s'engage.
Le 25 septembre dernier, devant l'opposition, toutes tendances confondues, des élus locaux, le Gouvernement a « demandé que la méthode soit améliorée, la concertation renforcée et l'expertise approfondie ».
Le 17 novembre, devant le congrès de l'Association des maires de France, M. le Premier ministre a lui-même confirmé qu'aucune décision n'avait été arrêtée et qu'une concertation « aussi approfondie que nécessaire » serait conduite.
M. Paul Masson demande à M. le Premier ministre de lui préciser quelles sont les conclusions de la mission de consultation dont M. Guy Fougier, conseiller d'Etat, a été chargé et quels aménagements, à la lumière de ces propositions, le Gouvernement entend apporter au projet de redéploiement de telle sorte que la concertation soit aussi approfondie que nécessaire avec les élus nationaux et locaux.
La parole est à M. Masson, auteur de la question.
M. Paul Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question orale, qui s'adresse à M. le Premier ministre, me paraît étrangement ressembler à une question d'actualité. En effet, elle intervient au lendemain d'un conseil de sécurité intérieure particulièrement important où ont été annoncées de nombreuses et diverses mesures pour lutter contre la violence des jeunes. Parmi ces mesures, figure le redéploiement de 7 000 policiers et gendarmes d'ici à 2001 dans les vingt-six départements considérés comme les plus sensibles.
Donc, le redéploiement continue. Cette précision, que vous nous confirmerez sans doute, tout à l'heure, monsieur le ministre, a tout son prix. En effet, depuis quelques mois, les élus, les fonctionnaires de police et les gendarmes sont, à cet égard, dans l'incertitude.
En effet, le 27 avril 1998, le Gouvernement annonçait une nouvelle répartition géographique des effectifs de la police et de la gendarmerie sur le territoire national. Ce projet de redéploiement faisait suite au rapport Hyest-Carraz, qui soulignait de fortes disparités entre départements dans les activités des brigades de gendarmerie et des commissariats de police. Ce n'était d'ailleurs pas un secret pour ceux qui sont confrontés quotidiennement à ces problèmes dans leur département ou dans leur commune.
Le 19 janvier 1999, devant le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, le Premier ministre déclarait, d'après la presse, qu'il n'y aurait pas « d'application générale du plan de redéploiement des forces de sécurité » et que s'ouvrirait bientôt une phase « d'examen au cas par cas, en concertation avec les élus concernés, de ce qui peut être fait sans que cela suscite des difficultés ».
Hier enfin, M. le Premier ministre annonçait la création de commissariats « territorialisés » - je ne sais pas si le terme est approprié - dans vingt-six départements particulièrement sensibles, avec l'affectation, en trois ans, de 7 000 policiers et gendarmes.
Ces effectifs supplémentaires proviennent non pas d'un recrutement de fonctionnaires supplémentaires, mais d'une réorganisation des services de police et de gendarmerie. Ainsi, 1 900 effectifs devraient être redéployés en 1999. Je ne sais pas s'ils le seront au cas par cas et avec l'accord des élus concernés afin d'éviter toute difficulté, ou si cela se fera d'une autre façon. Vous nous le direz peut-être, monsieur le ministre.
En revanche, aucune précision n'est fournie sur le financement des nombreuses mesures annoncées. « Les choix seront faits le moment venu », a simplement déclaré à cet égard M. le Premier ministre. Il conviendrait de savoir si ces choix amputeront le budget du ministère de la défense dont les crédits sont déjà relativement exigus, ou si, au contraire, des crédits supplémentaires viendront compléter votre budget pour faire face à ce redéploiement.
Vous en conviendrez, mes chers collègues, ma question est opportune, ce qui permet de prendre la mesure de l'attention avec laquelle nous attendons vos réponses, monsieur le ministre.
En neuf mois, que s'est-il passé qui a conduit le Gouvernement à modifier plusieurs fois sa position dans un débat particulièrement sensible pour la population, pour les élus et pour les fonctionnaires directement concernés ?
Nous le savons tous, des forces de police et de gendarmerie devront changer d'affectation, dans un grand remue-ménage local qui affectera l'ensemble du territoire national.
Des répartitions doivent se faire entre des fonctionnaires et des militaires qui n'ont pas les mêmes pratiques et qui sont soumis à des règles d'emploi et à des disciplines différentes. Changer les uns par les autres ne peut pas ne pas créer de problèmes, et nous sommes, je crois, quelques-uns, ici, à attendre beaucoup du débat organisé ce soir.
Chacun sait que le projet de déploiement initialement prévu avait pour conséquence la dissolution de plusieurs dizaines de commissariats et de plus de deux cents brigades de gendarmerie. Une certaine émotion s'empara des élus comme de la population lorsque l'information arriva, de façon assez inédite, aux alentours du 15 août- subrepticement, pourrait-on peut-être dire - à une époque peu propice à la circulation de l'information. Aucune information préalable, aucune explication ne nous avaient été données.
Les réactions furent nombreuses. La première, et peut-être, pour certains, la plus inattendue, fut celle de M. Paul Quilès, président de la commission de la défense de l'Assemblée nationale, qui, dès le 7 octobre - c'était tôt - demanda devant le directeur de la gendarmerie entendu sur le sujet le retrait du plan gouvernemental de redéploiement. C'était net, c'était carré, c'était simple, et il n'y allait pas par quatre chemins.
M. Guy Fougier, conseiller d'Etat, fut alors chargé d'une mission de consultation afin d'entendre l'avis des représentants nationaux et locaux dans chaque département. Son rapport a été remis le 31 décembre dernier au Premier ministre. Ce document n'a pas été rendu public. Cependant, un communiqué officiel constate alors « les objections soulevées par le projet » et récense « certaines difficultés pouvant résulter de transferts ou de dévolutions, au regard de la politique d'aménagement du territoire, des problèmes financiers et immobiliers et du reclassement des personnels de police ».
Fait, je crois, dans des conditions d'objectivité totale, ce rapport a été assez exhaustif, puisque, à ma connaissance, M. Fougier est passé dans la plupart des régions et départements du territoire national.
Les déclarations du 19 janvier 1999 de M. LionelJospin devant les élus socialistes de l'Assemblée nationale, comme les conclusions du conseil de sécurité qui s'est tenu hier, conduisent à penser que le projet de redéploiement est aujourd'hui, dans sa globalité, renvoyé, sinon sine die, du moins assez loin dans l'espace et dans le temps, mais que des opérations ponctuelles pourraient être tentées avec l'accord des élus.
Un tel dénouement, mes chers collègues, était prévisible. Il paraissait inscrit dans la méthode choisie par le Gouvernement. N'insistons pas sur les inconvénients de ces hésitations dans la mise en oeuvre de ce plan et prenons acte pour l'avenir que, sur des sujets de cette nature, la décision ne saurait précéder la consultation sans compromettre gravement l'objectif poursuivi.
Dans cette affaire, monsieur le ministre, nous ne voulons pas nous livrer à des exercices polémiques ou démagogiques.
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
M. Paul Masson. Les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ont certes souhaité que la procédure soit substantiellement revue ; ils vous ont fait part de leurs inquiétudes à l'occasion des débats budgétaires et, plus récemment, lorsque vous avez été de nouveau auditionné par elle. Mais ils se sont gardés de déclarations intempestives. Et je déplore, personnellement, des polémiques qui me paraissent déplacées...
M. Hubert Haenel. Tout à fait !
M. Paul Masson. ... sur la comparaison des mérites respectifs de la police et de la gendarmerie, polémiques qui se sont développées dans l'opinion à l'occasion de la mise en route du programme. Cela ne me paraît pas admissible. (Très bien ! sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
Aujourd'hui, quelques questions viennent à l'esprit : je ne pense pas qu'il soit dans l'intention du Gouvernement d'abandonner le principe du redéploiement, dont la nécessité repose sur un double fondement : d'une part, la loi de 1995 et, d'autre part, les disparités fortes existant entre les départements, disparités que souligne le rapport de MM. Hyest et Carraz et qui nuisent à la bonne efficacité des forces de sécurité face au développement insupportable de l'insécurité dans ce pays. Tout le territoire français est d'ailleurs concerné, aussi bien les départements très urbanisés et très exposés que des communes et des bourgs où l'on ne s'attendait pas, jusqu'ici, à rencontrer les perturbations provoquées par des bandes qui, certes, viennent d'ailleurs, mais qui sont de plus en plus nombreuses à s'exercer à ce que l'on peut considérer comme un très grand jeu de piste à la dimension des adultes.
L'annonce, hier, de la création dans vingt-six départements de commissariats dont je ne sais s'il faut les appeler « territorialisés » ou « décentralisés » permet de penser que les brigades de gendarmerie qui opèrent en zone de police d'Etat seront, de ce fait, dégagées de leurs obligations dans ces secteurs et seront disponibles pour répondre aux exigences nouvelles de leur propre redéploiement dans les communes de moins de 20 000 habitants. Votre réponse sur ce point, monsieur le ministre - si vous nous la donnez - sera particulièrement intéressante et attendue.
En effet, il existe, me semble-t-il, quelque contradiction, en apparence tout au moins, entre la déclaration du Premier ministre le 19 janvier - comment opérer au cas par cas sans que cela puisse déranger et pour éviter toute difficulté ? - et celle d'hier - comment réorganiser les services de police et de gendarmerie dans le cadre du renforcement des circonscriptions difficiles ?
Qu'est-ce qui est vrai, monsieur le ministre ? Est-ce le cas par cas, le coup par coup, sans déranger, ou est-ce le redéploiement qui s'impose dans un certain nombre de départements et qui implique effectivement que la police de l'Etat prenne sa pleine responsabilité là où elle est compétente en dégageant pour autant les brigades de gendarmerie qui sont installées et qui assument efficacement, elles aussi, des charges nombreuses et importantes ?
La nécessité de ce redéploiement repose sur un double fondement.
Le premier est d'ordre législatif. Je rappelle la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité, adoptée par le Parlement en 1995, loi qui, selon un critère objectif, a partagé les compétences en matière de sécurité : en-dessous de 20 000 habitants, la sécurité relève de la gendarmerie ; au-dessus de ce seuil, elle relève de la police. Voilà qui était simple. La suite l'est moins !
L'adoption, en 1996, d'un décret d'application relatif aux attributions entre gendarmerie et police avait laissé espérer une mise en oeuvre rapide des procédures d'étatisation ou de désétatisation. Pourtant, inertie et résistances ont limité les opérations de cet ordre à un nombre de mesures très parcellaires.
Le second fondement découle, certes, de l'ordre légal, mais il est d'ordre opérationnel.
On l'a dit, les effectifs sont très inégalement répartis sur le territoire, et le rapport de MM. Hyest et Carraz a bien souligné ces disparités. Pour prendre le seul cas de la gendarmerie, il existe de fortes disparités entre les départements, du point de vue tant du ratio gendarmes par habitant que de l'activité. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, dans un rapport préparé par notre ancien collègue Michel Alloncle, s'était d'ailleurs étonnée, en 1997, de la faiblesse des moyens dévolus aux brigades situées en zones périurbaines : ces unités assurent la sécurité du quart de la population habitant en zone de gendarmerie nationale et constatent 33 % des crimes et délits recensés au niveau national. Cependant, elles ne comptent que 19,5 % de la totalité des sous-officiers affectés en brigades territoriales.
On voit bien le déséquilibre qui existe dans la répartition des unités de gendarmerie. Cette inégalité de fait de nos concitoyens devant la loi est insupportable. Il en est de même, d'ailleurs, de la police, comme les mesures annoncées hier le prouvent bien.
Il ne faut en effet jamais oublier ceci : l'égalité de tous les citoyens face au droit à la sécurité constitue un principe intangible qui doit guider les actions et les réformes à conduire, et ce pendant longtemps.
Les interrogations me paraissent porter sur trois points : les critères à prendre en considération dans le choix d'une nouvelle répartition des effectifs de sécurité, les solutions possibles pour favoriser une telle répartition et, enfin, la procédure à retenir pour la prise des décisions.
Vous me permettrez, monsieur le ministre, de proposer sur ces trois points quelques suggestions ou quelques pistes de recherche sur lesquelles nous pourrons débattre.
S'agissant des critères tout d'abord, je suis persuadé que la seule prise en compte des statistiques des crimes et délits commis dans le périmètre de la compétence des commissariats et des brigades est nécessaire, mais insuffisante. De nombreux autres facteurs doivent être pris en considération, facteurs qui permettent de nuancer, sinon de corriger, les résultats obtenus par une analyse brute des statistiques.
Parmi ces facteurs, relevons l'évolution de la démographie. Nous somme à la veille d'un recensement général de la population dont les premiers résultats seront connus d'ici à la fin de l'année. Ne serait-il pas opportun de s'appuyer sur ces premiers résultats pour constater que la population de certains départements - notamment ceux qui sont autour de la grande couronne parisienne, mais aussi certains départements du Midi - évoluent rapidement ? Un mouvement ascendant et continu conduit à enregistrer, d'ici à 2020, des hausses de population de 20 % à 30 %, voire 100 % en Seine-et-Marne.
M. Jean-Jacques Hyest. Et voilà !
M. Paul Masson. On doit tenir compte, me semble-t-il, de cette évolution. On ne peut pas imaginer un redéploiement tous les dix ans.
M. Xavier de Villepin. Bravo !
M. Paul Masson. L'expérience est suffisamment difficile - nous en vivons tous les jours les péripéties - pour ne pas être répétée. Fonder une restructuration sur les seuls indices des crimes et délits de 1997 paraît insuffisant là où il y a un glissement démographique certain. Prévoir l'évolution démographique sur une longue période me paraît être le premier objectif.
A l'autre bout de la chaîne, le dépeuplement de certaines portions du territoire national ne peut pas être un argument pour supprimer les brigades de gendarmerie qui occupent l'espace. Je rappelle que la première mission historique de la gendarmerie fut, à l'époque révolutionnaire, d'assurer la surveillance du territoire national. C'est une mission constante de la gendarmerie, encore aujourd'hui. Il ne peut y avoir de recoins du pays, si isolés fussent-ils, qui puissent échapper à la surveillance d'une force de proximité. Un canton qui se dépeuple doit toujours pouvoir bénéficier d'une présence assurée de la gendarmerie, à qui incombe la responsabilité fondamentale de veiller à la surveillance du territoire. C'est une tâche de souveraineté qui incombe institutionnellement à la gendarmerie.
Parmi les autres facteurs, relevons aussi la géographie : soit les flux saisonniers provoqués par les saisons touristiques, soit le relief qui rend les communications difficiles, spécialement en mauvaise saison, soit encore la surveillance frontalière et l'application des conventions bilatérales signées en application des traités de Schengen avec nos voisins, cela étant une charge internationale.
En outre, le principe même de l'aménagement du territoire pourrait être en cause. La brigade de gendarmerie est parfois le dernier service public installé dans certaines communes. D'autres disparitions ont été constatées, toujours amèrement ressenties : les perceptions, les bureaux de poste, les écoles. Restent les gendarmes qui, avec leurs familles, constituent souvent le dernier obstacle à la désertification.
La gendarmerie, je le sais, monsieur le ministre, n'est pas faite pour assurer l'aménagement du territoire, et je partage cette vision. Qui ne pourrait la partager, du reste ?
Cependant, pouvons-nous ne pas constater que le déménagement de quelques familles de gendarmes ne passe pas inaperçu là où elles résident lorsque leur présence conforte le service d'un commerce et que leurs enfants assurent le maintien de la dernière classe ? C'est un fait. Nous sommes hors des principes, mais les élus, les hommes politiques que nous sommes les uns et les autres doivent également tenir compte des faits. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.) Dans la réalité quotidienne, il n'est pas possible que ces faits, si ténus, si dérisoires fussent-ils par rapport aux grandes visions de l'Arme et aux obligations de service national, ne soient pas pris en considération.
D'autres facteurs sont à relever. Il en est ainsi des efforts consentis par les collectivités aux infrastructures dévolues à la gendarmerie. La dissolution d'une brigade pourvue de casernements récents et construits avec l'aide de la collectivité présente dans l'opinion, qu'on le veuille ou non, un aspect choquant tant sur le plan des principes que par le gaspillage de fonds publics qu'une telle décision sous-tend.
MM. François Gerbaud et Serge Vinçon. Très bien !
M. Paul Masson. Les solutions possibles, monsieur le ministre, n'apparaissent certes pas évidentes. Comment déshabiller Pierre pour habiller Paul ? La voie est étroite, j'en conviens.
Dans le schéma présenté par le Gouvernement à la suite du Conseil de sécurité intérieure d'avril 1998, les redéploiements entre police et gendarmerie apparaissent étroitement liés aux redéploiements internes à chacune de ces deux forces.
Ainsi, l'intégration en zone de gendarmerie de deux cent vingt-huit communes auparavant placées sous le régime de la police d'Etat supposait d'importants redéploiements au sein de la gendarmerie.
Sans doute la gendarmerie était-elle déjà présente dans les villes dont elle aurait pris la charge, mais cette présence appelait un important renforcement. Les effectifs supplémentaires auraient été procurés de façon marginale par les gendarmes dégagés du transfert des zones de gendarmerie vers la zone relevant de la police, mais le renfort viendrait essentiellement des emplois libérés grâce à la suppression des brigades de gendarmerie en zone de police d'Etat et grâce à la dissolution des brigades de gendarmerie dans les zones rurales les moins peuplées. N'est-ce pas un peu simpliste ?
Nul ne conteste le principe de l'allégement des brigades de gendarmerie situées en zones de police d'Etat - j'en ai parlé tout à l'heure - mais je considère que sa mise en oeuvre doit être singulièrement étalée dans le temps.
En revanche, les suppressions envisagées dans les zones rurales suscitent - vous en aurez l'écho dans quelques instants - une vive émotion.
Le maillage territorial de la gendarmerie doit être préservé. Ce principe ne se confond pas avec l'immobilisme, il garantit une action de proximité, dont la priorité a été reconnue par le Gouvernement.
Ainsi, la présence d'une brigade par canton doit demeurer une référence essentielle. Disant cela, je ne systématise pas, mais, en tout état de cause, les délais d'intervention ne sauraient en aucun cas dépasser la demi-heure.
Cette obligation de résultat laisse, me semble-t-il, une certaine marge pour une organisation plus adaptée et plus rationnelle des brigades de gendarmerie.
Une fois posée la garantie d'une intervention rapide, rien n'interdit l'allégement des effectifs de certaines unités. Pour y parvenir, plusieurs pistes sont possibles. Elles sont techniques et il ne nous appartient pas de résoudre cette question, que des spécialistes ont déjà évoquée. On pourrait, par exemple, fixer à cinq les effectifs de base des brigades au lieu de six, imaginer un binôme entre brigades mères et brigades filles...
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Paul Masson. ... envisager un système de veille ou d'alerte allégé qui permette à ce que les militaires appellent des « sonnettes » de fonctionner et d'alerter en temps utile les brigades de proximité.
Il semble par ailleurs, monsieur le ministre - j'évoque là un dossier délicat, mais il est d'actualité -, que des gisements d'effectifs pourraient être recherchés dans l'allégement des charges de police judiciaire dont la gendarmerie supporte le poids, notamment dans les zones de police d'Etat.
A cet égard, la récente loi du 18 novembre 1998 portant extension de la qualification d'officier de police judiciaire aux corps de maîtrise et d'application de la police nationale pourrait être de nature à soulager vos propres effectifs dans leur charge de police judiciaire.
Enfin, autre sujet ô combien difficile mais aussi brûlant, une refonte des différents niveaux de commandement, notamment aux échelons départementaux et régionaux, devrait permettre de prélever - disons-le - sur les états-majors des personnes qui pourraient être réaffectées en brigade territoriale. (M. le ministre sourit.)
Certes, je sais que j'aborde là un sujet brûlant et délicat qui n'est pas en odeur de sainteté au sein de vos états-majors, et combien je les comprends ! Mais je crois aussi que le développement exponentiel des effectifs dans les états-majors doit être contrôlé, ce contrôle pouvant constituer une solution à la pénurie des effectifs de base, ceux qui sont sur le terrain, pénurie que vous vivez, que nous vivons avec vous.
Pourquoi, d'ailleurs - là aussi, ce serait une solution juridique, monsieur le ministre - ne pas utiliser la commission départementale des services publics prévue à l'article 28 de la loi du 4 février 1995 ? Cela me paraît s'imposer à l'égard des services de sécurité comme à l'égard de tous les autres services publics.
Certains, dans les états-majors, contestent cette compétence, mais ce débat pourrait être tranché dans les instances gouvernementales ! Ce serait, en tout état de cause, un centre de concertation qui me paraîtrait particulièrement efficace parce que toutes les structures concernées par le redéploiement sur le terrain pourraient travailler ensemble et trouver des solutions.
Les modalités de la prise de décision impliquent une concertation indispensable. Or c'est l'absence d'une telle concertation qui a condamné la première tentative du Gouvernement.
Peut-on laisser, comme ce fut sans doute le cas l'an passé, militaires et civils élaborer chacun de leur côté une liste des brigades ou des commissariats à supprimer, liste transmise ensuite aux préfets puis présentée aux élus sur le mode du constat et non du dialogue ? Ce n'est pas possible.
Par ailleurs, tout le monde le dit - et je le dis à mon tour - la gendarmerie et la police doivent travailler de conserve et non pas de façon séparée. Ce travail de base doit être ensuite soumis, sous l'autorité du Gouvernement, à l'appréciation des élus. Enfin, la consultation doit être conduite, me semble-t-il, dans un cadre décentralisé et déconcentré autour du préfet de région ou du préfet de département.
Certes, je n'ignore rien du risque de paralysie que soulève une large consultation. C'est le lot de toutes les consultations, car, dans ce domaine, chacun regarde d'abord son intérêt immédiat, c'est évident. Toutefois, les résultats positifs d'un véritable effort de communication ne sauraient être sous-estimés. C'est la seule voie qui est laissée au Gouvernement sur des points aussi difficiles que ceux que nous examinons.
En outre, les pouvoirs publics pourraient, me semble-t-il, faire valoir, dans le cadre d'une négociation, certaines contreparties à effet immédiat en faveur des collectivités locales. Ainsi, il doit y avoir, à cet égard, concomitance entre les suppressions et les propositions faites en contrepartie. A ce prix-là seulement, et après des études techniques spécialisées à l'échelle du canton ou du département, l'opération pourrait être rendue crédible.
Telles sont, monsieur le ministre, les quelques observations que je souhaitais formuler en préambule.
J'aurais souhaité que M. le ministre de l'intérieur puisse répondre lui aussi à ma question, dans la mesure où le redéploiement concerne vos deux ministères, intérieur et défense, mais je comprends que les obligations de M. Chevènement le conduisent à réserver aujourd'hui sa présence à d'autres auditoires. Toutefois, je dois dire que la partie civile de ce plan est aussi importante que sa partie militaire.
Rien ne se fera, en tout cas, si les procédures s'engagent dans un esprit de rivalité ouverte, voire de dénigrement public, comme nous en avons eu voilà peu de tristes exemples.
Le Parlement devra pouvoir connaître les conditions dans lesquelles les commissariats de police doivent être réorganisés dans les zones placées sous la responsabilité du ministre de l'intérieur, de telle sorte que la police d'Etat assume seule la responsabilité de l'exécution des missions, comme le prévoit le décret du 19 septembre 1996.
Considérant la nécessité de l'exercice mais aussi sa complexité quant à ses implications psychologiques, politiques, techniques juridiques et financières, je me demande - et ce sera ma conclusion, monsieur le ministre - s'il ne serait pas envisageable d'innover fortement et spectaculairement en cette matière en créant une mission permanente du redéploiement qui serait composée de civils et de militaires de haut rang.
Cette mission aurait pour tâche d'imaginer les étapes du redéploiement, d'organiser les conditions de la concertation département par département, ville par ville, d'en suivre les procédures, d'en évaluer les coûts, d'analyser les compensations, de rendre possible la réalisation immédiate de ces compensations, d'examiner, pour les personnels, les points de chute dans les services juridiques ou techniques et de tirer les premières conclusions des restructurations déjà engagées, aussi bien pour les personnels que pour la sécurité, qui reste l'objectif suprême à atteindre.
Cette mission pourrait organiser avec les collectivités locales les concertations les plus appropriées, dans un esprit d'efficacité et d'imagination.
Où serait-elle située ? Serait-ce auprès du Premier ministre - mais les missions sont déjà nombreuses à ce niveau - ou ailleurs ? Cela relève de l'imagination du Gouvernement et de la responsabilité des ministres.
Ce symbole du rapprochement entre civils et militaires, qui suivent ces dossiers d'une façon permanente et sur une longue durée, dans tous leurs recoins, serait peut-être de nature à rassurer, en tout cas à mieux expliquer le problème, d'une manière moins formelle, moins théorique, moins brutale que celle que nous avons connue l'année dernière, il faut bien l'admettre.
C'est sur cette dernière proposition que je conclurai l'exposé de ma question, étant entendu que nous allons vous entendre avec le plus vif intérêt. Parce que l'enjeu est supérieur - il est national, il touche tous nos concitoyens - il convient d'apporter au débat, dans un esprit d'objectivité totale, notre part de réflexion constructive. C'est tout l'honneur du Sénat de s'exprimer dans cet état d'esprit sur ce programme de redéploiement, dont nous mesurons les exigences, les conséquences et les contradictions. (Applaudissements sur les travées du groupe du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, en application du deuxième alinéa du 1 de l'article 82 du règlement, les temps de parole dont disposent les groupes sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
La parole est à M. Trucy.
M. François Trucy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le disait à l'instant M. Masson, auteur compétent de cette question importante. Ce débat sur le redéploiement des forces de police et de gendarmerie survient opportunément, alors que la sécurité est au coeur de l'actualité, c'est pourquoi, avant d'évoquer le sujet qui préoccupe nombre de nos collègues, parlementaires et élus locaux, j'évoquerai, bien sûr, les mesures annoncées hier soir par le conseil de sécurité intérieure.
Depuis le début de l'année, la polémique alimentée par les arrière-pensées des uns et les outrances verbales des autres ne cesse de s'amplifier, faisant perdre de vue l'essentiel. Or la polémique est l'ennemie intime de la politique.
En vous interrogeant, monsieur le ministre, je n'ai pas l'intention de nourrir le discours de quiconque. Je souhaite exprimer, comme c'est le devoir de la représentation nationale, le sentiment de la majorité des Français préoccupés par la montée de la violence et de la délinquance. J'exprimerai également l'opinion du groupe des Républicains et Indépendants du Sénat.
Je le ferai parce que la sécurité constitue la première des libertés, et la condition essentielle à l'épanouissement de toutes les autres libertés, parce qu'il n'y a pas de droits sans devoirs, pas de liberté sans responsabilité, parce que le premier des devoirs de l'Etat est de garantir sur tout le territoire, sans exception, la sécurité physique des personnes ainsi que la protection et la conservation de leurs droits et de leurs biens.
S'agissant du service public cher aux Français, notons que la poste, le téléphone, l'électricité sont assurés partout. Mais, aujourd'hui, le service de la sûreté n'est plus assuré partout, comme en témoignent la progression constante de la délinquance et de la criminalité, et plus encore la gravité des délits constatés. C'est le cas, en particulier, des mineurs mis en cause dans les actes de délinquance, dont le nombre a progressé de 12 % en un an.
Le ministre de l'intérieur affirme que nous avons retrouvé le niveau de délinquance de 1996, qui fut, selon lui, la deuxième « meilleure année » depuis 1990, mais l'essentiel n'est pas dans les statistiques, d'autant moins, nous le savons tous, qu'une part importante des crimes et délits n'est même pas enregistrée.
En réalité, le sentiment d'insécurité vaut beaucoup par le sentiment d'angoisse et de peur qui habite nos concitoyens, avec tout ce que cela comporte d'irrationnel dans bien des cas.
Ici, les parents dont l'enfant a été racketté à l'école ; là, des policiers ou des médecins qui n'osent plus s'aventurer dans un quartier ; ailleurs, une bande organisée qui obéit à des règles claniques et fait régner la terreur dans une agglomération ; ou encore tout simplement les vols ou dégradations multiples sur les biens.
Avec les Français, comment ne pas s'interroger, en effet, lorsque l'on voit les auteurs d'actes de délinquance évoluer souvent en toute impunité ? Comment ne pas s'inquiéter devant la difficulté de l'Etat à faire respecter l'ordre public dans des parties du territoire national définies comme étant des zones de non-droit ?
Derrière tout cela, n'est-ce pas la perspective d'une société éclatée qui se dessine pour nous ?
Aujourd'hui, c'est donc bien l'autorité de l'Etat qui est en cause. Et je dois avouer, au nom de mon groupe, que les divergences internes au Gouvernement et les mesures annoncées par M. le Premier ministre hier, ne sont pas de nature à dissiper nos doutes.
Calcul politique ou indécision ? Le problème de la conviction réelle du Gouvernement persiste à nos yeux.
Concernant, tout d'abord, les priorités, nous avons l'impression que le Gouvernement a du mal à s'exprimer d'une seule voix, entre M. Chevènement, partisan d'une approche répressive, et Mme Guigou, défenseur d'une approche préventive et éducative.
Pourtant, la sécurité pour tous est un principe républicain. Protéger la majorité des citoyens paisibles contre une minorité de délinquants violents est même la raison d'être de l'Etat. Cela suppose, à la base, que la loi s'applique à tous avec équité et fermeté, et que ceux qui l'enfreignent soient punis et dissuadés de récidiver.
La délinquance au quotidien est bien la preuve qu'il ne faut pas confondre prévention et sanction, notions qu'il faut non pas opposer, mais additionner : la sanction sert l'éducation en fixant les limites entre ce qui est permis et ce qui est interdit.
Pour nous, un mineur qui tue quelqu'un pour de l'argent, de la drogue ou toute autre chose relève de la prison et non pas d'un simple centre d'éloignement ou de rétention.
Les mesures annoncées hier, lors du conseil de sécurité intérieur, montrent bien, à cet égard, comment le Premier ministre a dû ménager les susceptibilités de chacun. Le jugement de Salomon qu'il a rendu, nous ne le désaprouvons certes pas par principe. Nous demandons à voir pour juger de son efficacité.
Que devient, par exemple, l'idée de suppression ou d'attribution sous condition des allocations familiales aux familles de délinquants ? Conscient de l'intérêt d'une telle proposition, qui n'est pas la sienne au départ, le groupe des Républicains et Indépendants a même réfléchi au principe - ne riez pas ! - d'allocations familiales à points. L'objectif est de responsabiliser les familles, qui ont la charge d'éduquer leurs enfants. Or, il y a famille et famille. Si, pour certaines, le rappel des devoirs serait sans doute suffisant, pour d'autres, désorganisées, éclatées, sans gouvernail, il faut peser davantage.
S'agissant des moyens humains et financiers, nous souhaitons savoir comment le Gouvernement entend financer le catalogue de mesures annoncées hier, et selon quel calendrier, compte tenu des urgences auxquelles doivent faire face les maires des villes et des villages.
Hier, pas moins de huit ministres entouraient M. Jospin, ce qui montre bien la gravité de la situation. Or, par le passé, on a vu souvent les administrations se chevaucher, les responsabilités se diluer et les crédits être gaspillés. La politique de la ville est un excellent et malheureux exemple de cet échec et des progrès qui restent à réaliser dans ce domaine.
Nous aimerions donc savoir, monsieur le ministre, le moment venu, de quelle manière le Gouvernement entend coordonner l'action des administrations en matière de sécurité. Nous savons tous, par expérience, que, si annoncer des crédits supplémentaires est relativement aisé, les utiliser efficacement est autrement difficile.
Enfin, s'agissant du territoire, des incertitudes notables demeurent concernant le redéploiement des forces de police et de gendarmerie.
Il s'agissait initialement de fermer 94 commissariats couvrant 193 communes de moins de 20 000 habitants et de confier à la police la sécurité de 38 communes urbaines dépendant actuellement de la gendarmerie.
Ces derniers jours, il a beaucoup été question de sécurité dans les grands ensembles urbains. Nous ne voudrions pas que l'on oublie la sécurité sur le reste du territoire, singulièrement dans les communes de petite et moyenne taille et dans les communes rurales, dont tous les maires nous rappellent à chaque instant que la violence n'est plus, depuis longtemps, l'apanage des villes.
Cela revient à placer sous l'angle de l'aménagement du territoire et du service public de proximité la question que se posent les maires, élus mais aussi, dès lors, officiers de police judiciaire et chargés à ce titre, - vis-à-vis de la population, en tout cas - de garantir tranquillité, sécurité et salubrité publiques.
S'il est aujourd'hui nécessaire d'adapter la répartition des forces de sécurité aux exigences de la lutte contre la délinquance urbaine, un tel redéploiement de la carte de sécurité ne peut se passer d'un débat approfondi avec tous les acteurs concernés, à commencer par les maires.
Jusqu'à présent, la méthode employée par le Gouvernement n'a permis ni d'instaurer un climat serein pour étudier les objectifs ni de garantir concrètement aux maires des petites villes ou des communes rurales la permanence d'un service public de sécurité.
En réponse aux critiques émanant de toutes parts, y compris des rangs de sa propre majorité, le Premier ministre a annoncé récemment que le redéploiement ne s'appliquerait pas de manière générale, qu'il ferait « l'objet d'un examen au cas par cas de ce qui peut être fait sans que cela suscite des difficultés ».
Est-ce à dire que le Gouvernement renonce définitivement au plan de redéploiement ? Ne serait-ce pas donner un habillage différent au même projet ?
Du cas par cas au coup par coup, pour reprendre les termes de M. Masson, pourquoi pas ?
Visitant récemment la brigade de gendarmerie d'Aubagne, je me suis aperçu que cette brigade, historiquement en charge du village d'Aubagne, couvrait maintenant une véritable ville et, pis encore, surtout pendant le week-end, un centre commercial qui est plus grand que la ville. Incontestablement, il y a des efforts d'adaptation à consentir dans ce domaine !
Donc, du cas par cas au coup par coup, pourquoi pas ? Mais à la condition - vous le savez bien, monsieur le ministre, vous qui êtes un homme de dialogue - qu'il y ait un réel dialogue avec les élus locaux.
Cela signifie-t-il ; par exemple, que le Gouvernement envisage un renforcement du nombre des gendarmes dans les communes touchées, voire l'extension des missions de la gendarmerie ? Ce serait très bien.
Ne peut-on, enfin, concevoir à budget constant, puisque vous y êtes contraint pour l'instant, une réorganisation interne de la police nationale qui permette de dégager des effectifs plus importants consacrés aux missions de sécurité publique sur le terrain plutôt qu'à des tâches administratives ?
Vous qui êtes ministre de la défense, vous savez bien que, si l'on appliquait à la gendarmerie les règles de disponibilité qui prévalent dans la police nationale, c'est au moins 100 000 gendarmes de plus qu'il faudrait engager pour des missions identiques.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a fait, comme à son habitude, montre d'une certaine habilité à manier les effets d'annonce. Pour leur part, les membres du groupe des Républicains et Indépendants veilleront attentivement à ce que le Gouvernement réserve un bon sort aux problèmes de sécurité. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
(M. Christian Poncelet remplace M. Jacques Valade au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
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