Séance du 9 février 1999






LICENCIEMENTS DES SALARIÉS
DE PLUS DE CINQUANTE ANS

Rejet d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 114, 1998-1999), adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de cinquante ans. [Rapport n° 165 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le secrétaire d'Etat.
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la discussion qui va intervenir fait suite à l'inscription par le groupe communiste d'une proposition de loi à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, à l'occasion de la séance mensuelle réservée. Cette proposition, adoptée par l'Assemblée nationale, vous est aujourd'hui soumise pour connaître - c'est en tout cas le souhait du Gouvernement - un vote comparable.
Cette proposition de loi vise à mieux protéger les fins de carrière des plus âgés de nos concitoyens, dont chacun connaît les difficultés à retrouver un emploi.
Comme Martine Aubry a déjà eu l'occasion de le souligner à l'Assemblée nationale, en proposant de telles dispositions, le groupe communiste fait preuve de constance. Cette proposition de loi fait suite, en effet, à celle qui a été votée conforme par les deux assemblées, voilà un an, et qui a permis d'attribuer une allocation spécifique d'attente aux bénéficiaires du RMI ou de l'allocation de solidarité spécifique, l'ASS, qui avaient cotisé quarante ans, mais n'étaient pas pris en charge par l'allocation chômeurs âgés.
Là où le rapporteur, M. Souvet, croit déceler motif à s'opposer au dispositif préconisé, je ne vois pour ma part que continuité dans une démarche que le Gouvernement a toutes les raisons de soutenir.
Cette proposition de loi répond effectivement à des exigences politiques, mais pas nécessairement à celles que décrit le rapporteur. Les licenciements économiques atteignent de plein fouet les salariés de plus de cinquante ans : deux fois et demie plus que la moyenne des actifs. En outre, près des deux tiers de ces salariés deviennent des chômeurs de longue durée.
Ce constat justifie à lui seul le dépôt, la discussion et le vote de la proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise et qui vient compléter la politique du Gouvernement.
Depuis le premier choc pétrolier, aucun gouvernement n'avait obtenu sur dix-huit mois une telle baisse du chômage : entre le mois de juin 1997 et le mois de décembre 1998, notre pays comptabilise 228 000 chômeurs de moins, 272 000 au sens du Bureau international du travail.
Ce premier recul du chômage donne certes quelques motifs de satisfaction. Mais le Gouvernement ne peut cependant - cela va de soi - s'en contenter. Il voit toutefois dans ces premiers résultats un encouragement à suivre dans la voie volontaire choisie depuis le début de cette législature.
Cette politique en faveur des salariés les plus âgés repose sur quatre axes que je me contenterai de rappeler très brièvement.
Tout d'abord, s'agissant des licenciements, la volonté du Gouvernement est d'intervenir le plus en amont possible des plans sociaux pour trouver des solutions alternatives. Chacun sait ici que les plans sociaux ont pour premières victimes les salariés les plus anciens, les directions d'entreprises profitant de ces plans pour améliorer la pyramide des âges.
Tout en m'abstenant de commenter la négociation en cours, je soulignerai simplement le fait que l'enjeu des discussions dans le secteur automobile est bien de cet ordre.
M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Oui !
Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat. La loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail du 13 juin 1998 apporte un nouvel outil en vue de l'élaboration de solutions alternatives aux licenciements. Son volet défensif permet ainsi à des entreprises confrontées à des difficultés économiques de s'engager à réduire la durée du travail et à mieux s'organiser pour sauvegarder des emplois, tout en bénéficiant d'aides sous forme d'exonérations de cotisations patronales.
A la fin janvier, près de 160 accords de ce type avaient été conclus, concernant 26 500 salariés.
Dans le cadre de mes fonctions, je travaille pour ma part à réviser les outils de formation, afin de trouver les moyens d'encourager une meilleure gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. En effet, chacun sait bien que les problèmes soulevés par les licenciements sont d'autant plus insolubles que ceux-ci concernent des salariés peu ou pas formés, dont les compétences et les qualifications n'ont pas été entretenues et adaptées.
Notre deuxième priorité est de veiller à la qualité des plans sociaux, afin de favoriser le reclassement des salariés, tant dans l'entreprise qu'à l'extérieur de celle-ci.
Dès juillet 1997, Martine Aubry a demandé aux préfets et aux services déconcentrés de faire preuve d'une vigilance accrue au regard de la qualité des plans sociaux, qui doivent non pas se résumer aux mesures de préretraites ou au versement d'indemnités aux salariés pour inciter ces derniers à des départs abusivement qualifiés de « volontaires », mais comporter de réelles mesures visant à assurer le reclassement des salariés, au moyen, notamment, d'actions de formation.
Chaque plan social fait l'objet d'un examen particulier de la part de l'inspection du travail. L'initiative du groupe communiste et la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions ont donné la possibilité à l'administration du travail de suivre l'exécution des plans sociaux et le respect par l'employeur de ses engagements.
La contribution de l'Etat au financement des plans sociaux ne doit pas conduire la collectivité à se substituer aux responsabilités des entreprises. Pour cette raison, l'Etat maintient les préretraites à un haut niveau, mais les entreprises qui en ont la possibilité contribueront plus fortement à leur financement.
Troisième axe, le Gouvernement est favorable aux dispositifs en faveur des actifs âgés ayant commencé à travailler tôt.
Les partenaires sociaux ont décidé, le 22 septembre dernier, de proroger pour un an le dispositif de l'allocation de remplacement pour l'emploi, l'ARPE. Cet accord permet le départ à cinquante-huit ans des salariés ayant cotisé quarante ans contre des embauches et, d'autre part et surtout, d'étendre le dispositif aux salariés âgés de plus de cinquante-six ans ayant commencé à travailler à quatorze ou à quinze ans.
Cette nouvelle extension de l'ARPE, dont chacun peut se féliciter, devrait, selon l'UNEDIC, concerner plus de 15 000 personnes, soit une augmentation d'environ 40 % du nombre des bénéficiaires.
Enfin, quatrième axe - et j'en viens là au coeur de la proposition de loi - la dissuasion des licenciements des salariés de plus de cinquante ans est opéré au moyen d'une contribution spécifique des entreprises.
En 1987, afin de dissuader les licenciements de salariés âgés au moment de la suppression de l'autorisation administrative, la majorité de l'époque a institué une contribution des entreprises, dite Delalande, du nom de son auteur. Son montant a été fixé, à l'origine, à trois mois de salaire brut.
Martine Aubry a décidé, en 1992, d'étendre le champ de cette contribution à toute rupture d'un contrat de travail de salarié de plus de cinquante ans, avec un barème progressif allant de un mois pour les salariés âgés de cinquante ans jusqu'à six mois pour les salariés de plus de cinquante-six ans.
Cela a permis, dans un contexte beaucoup moins favorable qu'en 1987, de freiner les entrées au chômage des personnes âgées de plus de cinquante ans.
Depuis 1994, cependant, les licenciements de salariés de plus de cinquante-cinq ans sont repartis à la hausse, malgré une meilleure conjoncture : ils ont atteint 71 000 en 1997, notamment parce que certaines entreprises ont mis en place des stratégies de contournement des préretraites du fonds national pour l'emploi.
Le dispositif juridique régissant l'actuelle contribution Delalande contient, en effet, deux failles qui en réduisent grandement l'efficacité, et c'est bien tout l'intérêt de la proposition de loi défendue par le groupe communiste que de viser précisément à en corriger les imperfections.
Tout d'abord, la loi n'a pas assujetti au versement de cette contribution les ruptures du contrat de travail intervenant dans le cadre des conventions de conversion.
Lorsque le dispositif des conventions de conversion était peu connu, il était admissible que ces cas de rupture aient été exclus du champ de la cotisation. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, d'autant que certaines entreprises, dans les faits, font pression sur leurs salariés pour qu'ils adhèrent à ce dispositif dans le seul but d'échapper au paiement de la cotisation et de ne pas avoir à discuter avec l'Etat de l'éventuelle mise en oeuvre de préretraites.
Ce contournement de la loi explique que la part des salariés de plus de cinquante ans parmi les entrées en conventions de conversion soit passée de 9 % à 19 % entre 1993 et 1998, pour concerner près de 22 000 personnes par an.
La dérive est encore plus importante pour les salariés de plus de cinquante-cinq ans, dont la part relative dans l'ensemble des conventions de conversion est passée de 1 % en 1993 à 5,7 % en 1998, selon les chiffres rapportés par votre commission.
En outre, le taux de reclassement à l'issue d'une convention de conversion se dégrade fortement après cinquante ans, où il est, en moyenne, de 50 % : il n'est plus que de 36 % à cinquante-deux ans et de 18 % à cinquante-six ans et plus.
Aboutir à un tel constat ne conduit nullement à faire le procès d'un dispositif qui a son utilité, mais à en corriger les dévoiements.
La présente proposition de loi tend à corriger une seconde faille : certains employeurs, en effet, après avoir conclu une convention d'allocation spéciale du fonds national de l'emploi, faisant ensuite pression sur leurs salariés pour qu'ils refusent le bénéfice d'une préretraite. Dans pareille hypothèse, les employeurs ne sont pas, en effet, tenus de payer la cotisation.
Comme le souligne votre rapporteur, le nombre de cas à considérer est de l'ordre de quelques dizaines. Aussi minoritaires soient-ils, je ne vois malgré tout pas argument à fermer les yeux sur de pareils contournements de la loi. Je n'y vois pas davantage le signe d'une suspicion généralisée à l'égard des entreprises ! Chaque fois que l'esprit de la loi est malmené, il est loisible au législateur d'en faire respecter le sens originel.
J'ajoute que, bien entendu, ne seront soumises à la contribution Delalande que les conventions ASFNE qui ont fait l'objet d'un refus de la part du salarié.
Cette proposition de loi trouvera son plein rendement par le doublement de la contribution Delalande, qui rendra plus dissuasifs les licenciements « secs ».
Le taux en sera progressif, pour éviter de trop brutaux effets de seuil. Il passera ainsi de deux mois de salaire à cinquante ans à douze mois de salaire à cinquante-six ans et cinquante-sept ans. Il sera ensuite dégressif jusqu'à soixante ans, le coût pour la collectivité étant d'autant moins élevé que se rapproche l'âge de la retraite.
Ce nouveau barème, en vigueur depuis le 31 décembre 1998, ne s'applique pas aux petites entreprises, pour lesquelles le phénomène de contournement est marginal. Ainsi, les entreprises de moins de vingt salariés continueront à être exonérées pour le premier licenciement dans une période de douze mois, et les entreprises comptant entre vingt et cinquante salariés demeureront sur le barème actuel.
Enfin, je répondrai à votre rapporteur, qui s'inquiète d'éventuels effets pervers sur les embauches de salariés âgés.
Les entreprises qui recrutent des personnes de plus de cinquante ans seront toujours exonérées de la contribution Delalande. Cette disposition, instaurée par Martine Aubry en 1992, est donc une incitation à recruter des chômeurs de plus de cinquante ans.
Par cette proposition de loi, le groupe communiste protège la part de la population salariée la plus fragile.
A observer la structure du chômage, il apparaît clairement que la tranche d'âge menacée, selon votre rapporteur, par l'extension de la contribution Delalande, à savoir celle des quarante-cinq - cinquante ans, n'est pas, à proprement parler, la plus touchée par le chômage. J'en veux pour preuve le fait que les quarante-cinq - quarante-neuf ans sont, au contraire, ceux qui connaissent au sens du Bureau international du travail, le taux de chômage le plus faible de la population française, avec 8,4 %.
Pour l'ensemble de ces raisons, le Gouvernement ne peut que regretter la position recommandée par votre rapporteur, qui, en vous suggérant d'adopter trois amendements de suppression, vise purement et simplement à rejeter une proposition de loi d'origine parlementaire. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, adoptée par l'Assemblée nationale le 10 décembre 1998, avec l'accord du Gouvernement, la proposition de loi tendant à limiter les licenciements des salariés de plus de cinquante ans a été déposée par M. Alain Belviso et les membres du groupe communiste et apparentés.
Comprenant trois articles, elle vise à étendre le champ de la contribution Delalande, due pour tout licenciement d'un salarié de plus de cinquante ans.
La proposition de loi soumet ainsi à cette contribution la rupture des contrats de travail des salariés ayant adhéré à des conventions de conversion, selon l'article 1er, et les licenciements des salariés ayant refusé le bénéfice de la préretraite dans le cadre du fonds national de l'emploi, selon l'article 2.
Elle prévoit que ces dispositions seront applicables pour toutes les ruptures de contrat de travail intervenant à compter du 1er janvier 1999, c'est-à-dire de manière rétroactive, selon l'article 3. Si ce dernier article était appliqué, je crains d'ailleurs qu'il ne soulève nombre de problèmes !
La contribution Delalande a été instituée en 1987, au moment de la suppression de l'autorisation administrative de licenciement. La loi du 10 juillet 1987, modifiant le code du travail et relative à la prévention et à la lutte contre le chômage de longue durée, a instauré cette cotisation supplémentaire. Elle est dite « contribution Delalande », du nom de l'auteur de l'amendement qui l'a créée, M. Jean-Pierre Delalande, député du Val-d'Oise : elle est due par l'employeur pour toute rupture du contrat de travail d'un salarié âgé de plus de cinquante ans.
A l'origine, le montant de cette cotisation versée au régime d'assurance chômage de l'UNEDIC était fixé à trois mois de salaire brut.
En 1992, le Gouvernement décida d'augmenter une première fois cette cotisation et de la moduler selon un barème progressif, en fonction de l'âge du salarié licencié et de la taille de l'entreprise concernée.
Conformément à ce qu'avait annoncé à l'Assemblée nationale Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, le 10 novembre dernier, cette cotisation a de nouveau été augmentée à compter du 31 décembre 1998.
Le nouveau taux de la contribution, fixé par le décret n° 98-1201 du 28 décembre 1998, est progressif. De deux mois de salaire brut à cinquante ans, il passe à douze mois de salaire brut à cinquante-six ans et cinquante-sept ans, et il est ensuite dégressif à partir de cinquante-huit ans.
Le nouveau barème procède, pour l'essentiel, à un doublement - voire, dans certains cas, à un triplement - de la contribution Delalande.
Les entreprises de moins de cinquante salariés restent assujetties au barème antérieur et les entreprises de moins de vingt salariés continuent à être exonérées de la contribution pour la première rupture de contrat de travail d'un salarié âgé d'au moins cinquante ans dans une période de douze mois.
Demeurent, en outre, exclus du champ d'application de la contribution, comme précédemment, les salariés qui, lors de leur embauche intervenue après le 9 juin 1992, étaient âgés de plus de cinquante ans et inscrits depuis plus de trois mois comme demandeurs d'emploi.
La présente proposition de loi soumet à la contribution Delalande la rupture des contrats de travail des salariés ayant adhéré à des conventions de conversion et le licenciement des salariés ayant refusé le bénéfice d'une préretraite FNE. Ces deux cas d'exonération sont, en effet, considérés par le Gouvernement et par les auteurs de la proposition de loi - encore qu'il n'y ait pas de grande différence entre ces derniers et le Gouvernement - comme deux « failles » du dispositif. La proposition de loi est d'ailleurs présentée par le Gouvernement comme le complément indispensable du doublement de la contribution Delalande.
Le doublement et l'extension de la contribution Delalande devraient générer des recettes supplémentaires. Cette contribution a ainsi rapporté, en 1997, 1,7 milliard de francs à l'UNEDIC. Selon les estimations de cet organisme, son doublement et son extension devraient générer 1,4 milliard de francs de recettes supplémentaires.
Le bénéficiaire final de ces recettes supplémentaires n'est cependant pas encore définitivement connu.
D'un strict point de vue juridique, l'UNEDIC est seule bénéficiaire des sommes prélevées au titre de la contribution Delalande. Il n'est cependant pas certain que cet organisme garde effectivement le bénéfice final de ces recettes supplémentaires.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a en effet indiqué, le 18 janvier dernier, que « pour cette année au moins, la majoration du Delalande était affectée au budget de l'Etat ». Et nous l'avons bien vu dans les comptes de l'Etat, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1999.
Le Gouvernement semble, en réalité, décidé à prélever sur les sommes qu'il avance à l'UNEDIC au titre des préretraites FNE - versées par l'UNEDIC pour le compte de l'Etat - une somme équivalente au surcroît de recettes induit par le doublement et l'extension de la contribution Delalande.
L'UNEDIC se verrait ainsi privée d'une somme équivalente à la recette supplémentaire que créeront l'augmentation et l'extension de cette contribution.
L'objectif du Gouvernement est de faire pression sur les partenaires sociaux. Il veut en effet obtenir d'eux une meilleure indemnisation du chômage des salariés précaires, notamment les jeunes, qui, parce qu'ils n'accumulent que des contrats de courte durée, ne parviennent pas à se constituer des droits à indemnisation au titre de l'assurance chômage.
Si les partenaires sociaux acceptaient une meilleure indemnisation du chômage des salariés précaires, l'UNEDIC conserverait alors le bénéfice des recettes supplémentaires au titre de la contribution Delalande.
Si l'on suit la logique du Gouvernement, l'amélioration de la prise en charge du chômage des jeunes dépend donc de recettes assises sur les licenciements des salariés les plus âgés. C'est là un raisonnement quelque peu spécieux.
La commission des affaires sociales a jugé que cette proposition de loi reposait sur des fondements fragiles et contestables.
Pour justifier la nécessité de cette proposition de loi, ses auteurs évoquent en effet la nécessité de « mettre fin aux abus et aux contournements », de « stopper une dérive » - vous l'avez dit il y a un instant, madame le secrétaire d'Etat.
Ils expliquent que les conventions de conversion seraient de plus en plus fréquemment utilisées pour échapper au paiement de la contribution Delalande. Selon M. Gremetz, rapporteur à l'Assemblée nationale, certaines entreprises feraient ainsi pression sur leurs salariés pour qu'ils adhèrent à une convention de conversion à seule fin d'éviter le paiement de la contribution.
De même, toujours selon le rapporteur de l'Assemblée nationale, certains employeurs concluraient une convention d'allocation spéciale de préretraite - l'ASFNE - puis feraient pression sur leurs salariés pour qu'ils renoncent au bénéfice de ce dispositif de retraite. Les employeurs en cause seraient alors exonérés du versement de la contribution Delalande.
A l'appui de ces affirmations, le rapporteur de l'Assemblée nationale et le Gouvernement se fondent sur un argument que nous jugeons, pour notre part, très limité : la part des salariés de plus de cinquante ans dans les conventions de conversion serait ainsi passée de 12 %, en 1994, à 17 % en 1997. Cette progression, selon le rapporteur de l'Assemblée nationale et le Gouvernement, révélerait un phénomène généralisé de contournement.
Les chiffres en ma possession sur les entrées en conventions de conversion montrent, effectivement, une progression de la part des plus de cinquante ans : de 11 % en 1994, elle est passée à 16 % en 1997. En 1998, selon des chiffres encore provisoires, le nombre d'entrées en convention de conversion de salariés de plus de cinquante ans serait en diminution. Mais leur part dans le total des conventions de conversion augmenterait, pour atteindre 19 %, en raison de la forte baisse du total des entrées. Il ne faut pas oublier, en effet, que, dans le calcul d'un pourcentage, il y a un numérateur et un dénominateur et que, même si le numérateur n'augmente pas, le dénominateur, en baissant, peut faire changer le pourcentage !
Il apparaît contradictoire de faire porter la contribution Delalande, qui procède d'une logique de sanction, sur les conventions de conversion, qui ont précisément pour objectif de faciliter le reclassement du salarié dont le licenciement n'a pu être évité.
Ouvertes aux salariés âgés de moins de cinquante-sept ans, les conventions de conversion, instituées en 1986, consistent en une prise en charge individualisée et immédiate, durant une période de six mois, des salariés licenciés pour motif économique. Elles sont souvent plus intéressantes financièrement pour le salarié que l'indemnisation au titre de l'assurance chômage.
Le Gouvernement semble considérer qu'il serait presque anormal que des salariés de plus de cinquante ans entrent en convention de conversion. Si l'on peut éventuellement s'interroger sur l'utilité réelle de ces conventions pour les personnes âgées de plus de cinquante-cinq ans, il apparaît surprenant que l'on condamne ainsi l'usage de ces conventions pour des personnes âgées de cinquante à cinquante-cinq ans. Faudrait-il en conclure que ces salariés n'ont aucune chance de se reclasser ?
La commission des affaires sociales ne peut que refuser une telle logique, qui semble se satisfaire de l'exclusion définitive de ces salariés du marché du travail.
Il apparaît pourtant que 33 % des personnes de plus de cinquante ans parviennent à retrouver un emploi à l'issue de leur convention de conversion. Ce taux est même de 41 % à cinquante ans et de 39 % à cinquante et un ans, contre 49 % pour l'ensemble des bénéficiaires de conventions de conversion.
La commission des affaires sociales considère donc que la simple constatation d'une augmentation de la part des salariés de plus de cinquante ans dans les entrées en convention paraît très insuffisante pour démontrer un contournement massif et un abus généralisé justifiant une nouvelle intervention du législateur.
Votre rapporteur, mes chers collègues, ne nie pas que peuvent se produire ça et là des abus chez certains employeurs peu scrupuleux.
M. Guy Fischer. Ah, tout de même !
M. Louis Souvet, rapporteur. Toutefois, ces abus éventuels ne sauraient justifier une sanction collective qui frapperait la totalité des entreprises.
S'agissant des refus de préretraites FNE, les affirmations du Gouvernement concernant d'éventuels abus ne sont étayées par aucun élément précis. La raison est simple : sur une moyenne de 20 000 entrées en préretraite FNE chaque année, le nombre de refus est extrêmement faible ; il porte sur une soixantaine de salariés seulement.
Lorsque l'on aura précisé que le refus du salarié peut, dans certains cas, être motivé par une indemnisation au titre de l'assurance chômage plus avantageuse que la préretraite, on comprendra que le nombre des refus susceptibles de résulter d'une éventuelle pression de l'employeur est, dans l'hypothèse la plus pessimiste, de l'ordre de quelques dizaines à peine.
Dans ces conditions, votre rapporteur est amené à s'interroger sur l'utilité d'une éventuelle intervention du législateur pour réprimer un nombre effectif d'abus qui doit vraisemblablement être de l'ordre d'epsilon.
Vous me répondrez peut-être, madame le secrétaire d'Etat, qu'on avait bien, à une certaine époque, fait une loi pour la veuve du maréchal Joffre. Mais l'histoire ne se répète pas toujours !
Le procès d'intention fait aux entreprises, globalement considérées par les initiateurs de cette proposition de loi comme ayant un comportement frauduleux, paraît donc inacceptable. Le prétendu contournement de la contribution Delalande par les conventions de conversion et les refus de conventions de préretraite est loin d'être avéré.
La véritable justification des dispositions que comporte cette proposition de loi tient davantage à des nécessités politiques.
M. Guy Fischer. Mais non !
M. Louis Souvet, rapporteur. Mais si, monsieur Fischer, et je vais vous le démontrer !
A l'origine, les trois articles de la proposition de loi constituaient, en réalité, les articles 5, 6 et 7 d'une proposition de loi qui en comportait neuf et qui tendait « à limiter les licenciements et à améliorer la situation au regard de la retraite des salariés de plus de cinquante ans ».
Ce texte prévoyait, outre l'extension de la contribution Delalande, le droit à la retraite à taux plein avec quarante annuités de cotisation sans condition d'âge et la prorogation et l'extension du dispositif d'allocation de remplacement pour l'emploi, l'ARPE.
Or, à la suite de la saisine du Gouvernement, le bureau de la commission des finances de l'Assemblée nationale a décidé d'opposer l'article 40 de la Constitution aux articles 1er, 2, 3, 4 et 9 du texte. La proposition de loi s'est donc trouvée amputée de plus de la moitié de ses articles et, aux yeux de ses auteurs, de ses dispositions essentielles : « Vidée d'une grande partie de sa substance » - je cite le rapporteur de l'Assemblée nationale - « sa portée en est d'autant réduite et sa cohérence affectée ».
L'article 8, qui instituait une contribution sur les revenus financiers affectée à la caisse nationale d'assurance vieillesse, la CNAV, ayant été supprimée par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale, ne subsistent du texte initial que les dispositions que nous examinons aujourd'hui, c'est-à-dire trois articles.
Ces dispositions et l'argumentation qui les sous-tend émanent, en réalité, des services du ministère de l'emploi et de la solidarité. M. Fischer jubile !
M. Guy Fischer. Pas du tout !
M. Louis Souvet, rapporteur. L'extension aux conventions de conversion de la contribution Delalande avait d'ailleurs été annoncée par Mme Aubry dès le début du mois de novembre dernier et l'impact financier de cette extension avait été partiellement intégré dans les prévisions budgétaires de la loi de finances pour 1999.
En acceptant cette proposition de loi et en demandant son inscription à l'ordre du jour prioritaire du Sénat, le Gouvernement poursuit un objectif essentiellement politique : il permet, d'une part, à une composante de sa majorité de revendiquer la paternité d'une disposition dont il est en réalité l'auteur...
M. Guy Fischer. Quelle mauvaise foi !
M. Louis Souvet, rapporteur. ... et qui constitue le seul reliquat d'une proposition de loi embarrassante pour lui ; il apaise, d'autre part, sa majorité, qui souhaitait une réforme plus large du droit de licenciement.
La prochaine étape de cette stratégie pourrait d'ailleurs être la taxation des entreprises qui font un usage jugé, lui aussi, « abusif » des contrats à durée déterminée et de l'intérim.
Relevant d'une logique de soupçon et de sanction, cette proposition de loi n'apporte, en réalité, aucune solution au problème que constitue le chômage des plus de cinquante ans et risque, en outre, de constituer un véritable frein à l'emploi.
La proposition de loi témoigne en effet d'une logique uniquement répressive et se traduit, en définitive, par une nouvelle augmentation des charges des entreprises.
Là où des systèmes positifs, dynamiques et imaginatifs seraient nécessaires, la proposition de loi ne met en place que des mesures pénalisantes et contraignantes pour les entreprises.
Le problème du chômage des personnes âgées de plus de cinquante ans est réel. Même si l'amélioration de la situation de l'emploi profite également aux salariés âgés de plus de cinquante ans - les chiffres de l'ANPE pour l'ensemble de l'année 1998 font état d'une baisse de 17,4 % des licenciements des salariés de plus de cinquante ans, contre une baisse de 20,4 % pour l'ensemble des salariés - la situation des demandeurs d'emploi de cet âge est préoccupante et mérite une attention soutenue.
Le Sénat ne peut que faire sien l'objectif de lutter contre cette forme de chômage particulièrement douloureuse. Toutefois, ce problème aigu nécessite une approche globale, qui n'est pas celle de ce texte, vous en conviendrez, madame le secrétaire d'Etat.
Une action efficace contre le chômage des plus de cinquante ans suppose une réforme d'ampleur reposant à la fois sur des exonérations de charges sociales et une formation professionnelle à même d'offrir aux salariés, quel que soit leur âge, les moyens de s'adapter aux mutations de leur environnement professionnel.
Cette politique gagnerait à s'inscrire dans le cadre des axes définis par « Les lignes directrices de l'emploi pour 1999, » proposées par la Commission européenne, en octobre dernier. La Commission européenne suggère ainsi d'intensifier les efforts « pour développer des stratégies préventives et axées sur la capacité d'insertion professionnelle en se fondant sur l'identification précoce des besoins individuels ». Elle invite les Etats membres à « développer des possibilités d'apprentissage tout au long de la vie, notamment dans les domaines des technologies de l'information et de la communication ». Elle précise que « l'accent sera notamment mis sur la facilité d'accès des travailleurs âgés ».
La présente proposition de loi n'apparaît, à l'évidence, pas à la hauteur de l'enjeu.
Elle conduit également à s'interroger sur la cohérence de la politique que mène aujourd'hui le Gouvernement en matière d'emploi des salariés les plus âgés.
Il y a en effet quelque chose de paradoxal à augmenter la contribution Delalande, afin de sanctionner les entreprises qui licencient des salariés âgés de plus de cinquante ans, tout en encourageant simultanément certaines entreprises à rajeunir leur pyramide des âges par des départs massifs et anticipés de salariés « âgés ». Vous avez fait allusion à l'automobile à l'instant, madame le secrétaire d'Etat.
Le Gouvernement semble, en réalité, disposé à faire preuve de beaucoup de compréhension à l'égard des entreprises qui favorisent, parallèlement aux départs des salariés « âgés », la création d'emplois au titre de la réduction du temps de travail. C'est ainsi que l'on bâtit le « succès » des mesures nouvelles !
Une clarification des objectifs poursuivis par le Gouvernement en ce domaine s'impose à l'évidence.
Cette proposition de loi, qui entend préserver l'emploi, pourrait, en outre, constituer un véritable frein à l'emploi.
On peut craindre, en effet, les effets conjugués de l'extension et du doublement de la contribution Delalande sur les demandeurs d'emplois approchant la cinquantaine : les entreprises hésiteront à embaucher des salariés ayant un peu moins de cinquante ans, craignant d'avoir à supporter le coût d'un éventuel licenciement ultérieur.
En majorant de manière excessive la contribution Delalande et en l'étendant de manière abusive, le Gouvernement prend le risque de dévoyer cette disposition. Je crois d'ailleurs savoir que même M. Delalande n'a pas voté cette mesure à l'Assemblée nationale.
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. C'est exact !
M. Louis Souvet, rapporteur. Afin de protéger les salariés de plus de cinquante ans, il choisit, en définitive, de fragiliser la situation des salariés âgés de quarante-cinq à cinquante ans. Les conséquences humaines et sociales d'un tel choix pourraient bientôt se révéler très douloureuses.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission des affaires sociales propose au Sénat d'adopter trois amendements de suppression des trois articles de cette proposition de loi. Leur adoption entraînerait, bien sûr, le rejet du texte. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)

(M. Gérard Larcher remplace M. Guy Allouche au fauteuil de la présidence.)PRÉSIDENCE DE M. GÉRARD LARCHER
vice-président

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste : 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si les dernières statistiques publiées par le ministère de l'emploi reflètent, une nouvelle fois, une baisse du nombre de demandeurs d'emploi, il n'en demeure pas moins que l'effectif d'une catégorie, celle des chômeurs de plus de cinquante ans, ne parvient pas à décroître. Au contraire, pour ces derniers, le chômage a progressé de 3,7 % en un an.
Principales victimes des licenciements économiques, chassés prématurément de l'entreprise, qui gère avec difficulté et bien souvent grâce aux deniers publics sa pyramide des âges, les quinquagénaires ont, surtout après cinquante-cinq ans, énormément de mal à retrouver un emploi, à trouver leur place au sein d'une société où l'activité professionnelle est de plus en plus circonscrite entre trente et cinquante ans.
De fait, près des deux tiers des chômeurs de plus de cinquante ans sont des chômeurs de longue durée. Le régime dégressif de l'indemnisation chômage aidant, très vite ils se voient rejetés vers l'allocation de solidarité spécifique (ASS) ou le RMI, tombant ainsi dans la spirale infernale de l'exclusion.
Tous, ici, nous souscrivons à ce terrible diagnostic.
Il y a un an, sur l'initiative du groupe communiste républicain et citoyen, nous adoptions une mesure permettant d'attribuer une allocation spécifique d'attente aux chômeurs en fin de droit, totalisant quarante annuités de cotisations.
Aujourd'hui, poursuivant le même objectif de justice sociale et de réduction du chômage, une proposition de loi, de paternité identique, entend optimiser la protection des salariés en fin de carrière en renforçant le dispositif Delalande. Dispositif juridique destiné à freiner les licenciements des salariés de plus de cinquante ans, cette contribution spécifique des entreprises s'est révélée peu dissuasive et facilement contournable.
Deux fois moins onéreuse pour l'entreprise qu'une préretraite FNE dans le cas d'un salarié de cinquante-sept ans, la contribution est parfois acquittée sans grand mal et se traduit par des licenciements « secs ».
Pour rééquilibrer le coût d'une préretraite et d'un licenciement, prévenir au maximum ces derniers, le Gouvernement a décidé par décret, le 28 décembre dernier, de doubler le montant de la contribution.
Franchement hostile à cet alourdissement des pénalités Delalande dues par les entreprises, préférant au contraire voir assouplir la réglementation, le MEDEF s'est opposé à cette mesure présentée comme un frein à l'embauche.
M. Emmanuel Hamel. Le MEDEF...
M. Guy Fischer. Il rejette de la même façon toute mesure destinée à combattre le travail précaire ou à renforcer la prévention des licenciements économiques.
En revanche, les mêmes chefs d'entreprise se plaignent sans détour du rôle croissant des juges face aux plans sociaux et de l'insécurité juridique qui en découle.
Le groupe communiste républicain et citoyen et moi-même sommes intimement convaincus de l'actualité et de l'opportunité du débat sur des dispositions nécessaires pour mettre un terme aux avalanches de plans sociaux plongeant des familles entières dans la grande détresse tant psychologique que financière.
Plaçant le développement de l'emploi au coeur de ses priorités, le Gouvernement enregistre des résultats et peut afficher une certaine décélération du nombre des licenciements économiques.
Toutefois, depuis la fin du mois de novembre 1998, les annonces de plans sociaux très lourds se sont succédé : les ACH du Havre, Perrier, Cacharel, Levi-Strauss, Thomson, les Grands Moulins de Pantin, Kodak...
Les directions d'entreprises continuent de sacrifier sur l'autel de la sacro-sainte compétitivité de nombreux emplois. Usinor en sacrifierait 2 000 à 2 500, apprend-on aujourd'hui dans la presse.
Dans ce contexte, la présente proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale - sans les voix de droite - est la bienvenue. En effet, elle vient utilement étendre le champ de la cotisation Delalande, d'une part, à toute rupture de contrat de travail intervenant dans le cadre de conventions de conversion et, d'autre part, aux licenciements des salariés ayant refusé le bénéfice d'une préretraite FNE.
Ainsi, les articles 1er et 2 précités comblent deux failles qui limitaient l'efficacité du dispositif Delalande.
Pour illustrer mon propos, je tiens à préciser que des chiffres traduisent une dérive importante constatée dans l'utilisation pour les plus de cinquante-cinq ans des conventions de conversion. De 1994 à 1997, le poids de cette catégorie dans l'ensemble des conventions de conversion a été multiplié par quatre.
Dans les faits, il est indéniable qu'une certaine pression s'exerce sur les salariés afin qu'ils consentent à adhérer à une telle convention, cette adhésion dédouanant du même coup l'entreprise de tout paiement de pénalités ou d'éventuelles discussions avec l'Etat visant à mettre en oeuvre des préretraites.
La majorité de notre commission des affaires sociales, s'obstinant, quant à elle, à considérer que « les prétendus détournements à la contribution Delalande par les conventions de conversion et les refus de convention de préretraite n'étaient pas prouvés », nous propose de supprimer les articles incriminés, réduisant de fait à néant la proposition de loi.
Je condamne, évidemment, cette démarche, au regard de l'impérieuse nécessité d'une intervention législative pour mieux protéger les salariés.
Plus globalement, j'entends réaffirmer devant vous, madame la secrétaire d'Etat, la volonté du groupe communiste républicain et citoyen de voir modifier la législation sur les licenciements économiques, ultimes recours, notamment en intégrant la jurisprudence progressiste de ces dernières années.
Un arrêt de la Cour de cassation - IBM France - semble mettre fin aux avancées de la jurisprudence « Framatome ». Cela renforce l'urgence de notre requête. L'objectif étant de dissuader, de rendre plus risqué le recours aux licenciements économiques, en permettant l'élaboration de solutions alternatives.
Pour en terminer sur le texte dont nous discutons, je tiens à préciser qu'initialement deux autres volets l'enrichissaient : le premier prévoyait la reconduction et l'extension du dispositif d'allocation de remplacement pour l'emploi, l'ARPE, à tout salarié totalisant 160 trimestres de cotisations à l'assurance vieillesse, sans condition d'âge ; le second volet instituait, quand à lui, un droit à la retraite à taux plein avec quarante annuités, sans condition d'âge.
Il s'agissait là de mesures de justice sociale pour les personnes qui, très tôt, ont commencé à travailler, mesures favorables à l'emploi des jeunes et peu coûteuses. Sur ce dernier point, je vous renvoie au chiffrage très intéressant contenu dans le rapport de M. Gremetz.
Pourtant, dès le stade du travail en commission, la commission des finances de l'Assemblée nationale, en opposant l'article 40 à cinq des neuf articles, a fâcheusement réduit la portée du texte.
Comme mon collègue et ami Maxime Gremetz, je déplore que cette amputation ait affecté la cohérence même du texte proposé.
Je regrette que nous ne puissions pas discuter de l'amélioration de la situation des salariés de plus de cinquante ans au regard de la retraite, salariés qui attendent d'un gouvernement de gauche des signes forts quant à l'ouverture des droits à leur retraite.
Cela aurait pu être l'occasion de dresser le bilan des conséquences des mesures d'ajustement prises, notamment pour le régime général, à la suite de la publication, en 1991, du Livre blanc sur les retraites.
Je pense, bien sûr, à l'indexation sur les prix des pensions de retraite et non plus sur les salaires, au passage aux 25 meilleures années pour le calcul des pensions, ou à l'allongement progressif à 160 trimestres de la durée d'assurance requise pour obtenir une pension à taux plein.
Je suis conscient qu'après la remise du rapport Charpin nous aurons à prendre des mesures pour assurer l'avenir de notre système de retraite...
M. Jean Chérioux. Quand même !
M. Guy Fischer. ... et pour améliorer cet acquis collectif.
Toutefois, nous pouvions commencer à débattre sur les solutions envisageables pour pérenniser les mécanismes de répartition, gages de solidarité, et désamorcer ainsi l'inquiétude ambiante chez les retraités et futurs retraités. Dès à présent, nous pouvions dénoncer les tentatives de recours aux fonds de pension, solution récurrente présentée à tort comme la seule à pouvoir résister au choc démographique.
Sur l'autre solution proposée, le recul de l'âge de départ à la retraite, nous pouvions nous positionner. Le taux de chômage persistant nous en empêche. Les deux tiers des demandeurs de pension à la CNAV ne sont plus actifs à la date où ils déposent leur demande. Les gains réalisés d'un côté seraient équivalents aux dépenses induites par le financement du chômage. Socialement, ce choix serait néfaste.
De plus, ces mêmes personnes, chefs d'entreprise qui demandent le report de l'âge de la retraite, sollicitent toujours plus le bénéfice du panel de mesures d'âge permettant le retrait anticipé avant soixante ans des salariés. Où est la cohérence ?
Enfin, il faut arrêter de réduire la question du problème de nos retraites à la seule variable démographique. Le contexte économique, le taux de chômage et le niveau des salaires sont tout aussi déterminants.
Pour combler le décalage entre le niveau de cotisations des salariés et celui des cotisations patronales, nous proposons d'instituer un prélèvement sur les revenus financiers du capital. De surcroît, nous attendons qu'intervienne une réforme des cotisations patronales qui ne pénalise pas l'emploi et permette l'extension de notre protection sociale (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel. Pour le progrès social, votez contre Maastricht !
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui appréhendait dans sa version initiale, de façon globale, le sort souvent préoccupant et complexe des salariés âgés de cinquante à soixante ans.
Les incertitudes planant sur l'avenir de l'ARPE avaient amené certains de nos collègues à proposer la consécration législative de ce dispositif efficace qui, sous certaines conditions, a permis le départ en retraite de plus de 126 000 salariés ayant totalisé leur quarante annuités de cotisations en contrepartie de l'embauche de près de 115 000 personnes.
Depuis, les partenaires de l'UNEDIC se sont accordés pour proroger d'un an l'accord signé en 1998. Les modalités de financement ont toutefois été modifiées. En dépit de la proposition du Gouvernement de participer à concurrence de 40 000 francs au financement de chaque départ, les représentants patronaux ont tenu à instaurer une contribution financière à la charge de l'employeur. On estime que cette participation permettrait d'abonder les fonds de l'UNEDIC à concurrence de 1,5 milliard de francs.
Chacun le sait, les salariés âgés de cinquante à soixante ans sont devenus l'objet privilégié des mesures de sortie de l'entreprise adoptées dans le cadre des plans sociaux. A partir de quarante-cinq ans, ils se savent assis sur un siège éjectable qui, à tout moment, peut les propulser hors de l'entreprise.
Leur maintien dans les entreprises est jugé inutile, voire pénalisant. On met en avant le poids de leurs rémunérations dans la masse salariale ; on stigmatise leurs difficultés, voire leur incapacité à s'adapter aux évolutions technologiques et, en tout cas, leur manque de rendement.
Ces jugements définitifs et fatalistes contournent les vrais questionnements de fond. Ainsi, les salariés qui acquièrent une expérience, qui gravissent les échelons, devraient-ils être condamnés à voir leurs salaires plafonnés pour préserver leurs chances de demeurer au sein de l'entreprise au-delà de cinquante ans.
Ceux qui invoquent le coût - mot terrible - de ces salariés ont-ils pris la mesure du coût financier, mais surtout social, d'un chômeur qui, à plus de cinquante ans, n'a guère d'espoir de retrouver un travail ? En effet, les deux tiers des chômeurs de longue durée appartiennent à cette tranche d'âge.
A qui revient donc la responsabilité de mettre en place et de gérer les plans de formation continue susceptibles de maintenir la performance des salariés et la compétitivité des équipes ?
Ainsi, le centre de recherches et d'études sur l'âge et les populations au travail relève que bon nombre d'entreprises ont affecté leurs jeunes salariés aux équipements récents, afin de faire l'économie d'une formation à l'informatique ou aux machines à commandes numériques. En conséquence, ceux qui abordent la cinquantaine continuent à travailler sur des postes éprouvants physiquement. Cela peut expliquer certains chiffres impressionnants quant aux inaptitudes au travail constatées, dans l'industrie automobile par exemple.
Espérons que les négociations portant sur les 35 heures seront l'occasion de prendre en compte cette réalité dans la réorganisation du travail.
Par ailleurs, qui détermine la politique de recrutement et qui est chargé de la gestion de la pyramide des âges au sein de l'entreprise ?
Comment peut-on prétendre équilibrer cette pyramide des âges quand les recrutements, y compris en période de reprise, se font sous forme de contrats précaires, qui sont devenus un mode structurel de la gestion des ressources humaines.
Ainsi, entre le mois de juillet 1997 et le mois de juillet 1998, le travail intérimaire a augmenté de 38 % non seulement dans l'industrie, mais aussi dans le tertiaire où, selon la direction des relations du travail, 37 % des missions n'excèdent pas une journée.
L'INSEE constate en fait que la reprise du marché du travail, loin de résorber la précarité existante, accentue la poussée de cette dernière.
Si ces questionnements ne peuvent concerner les seules entreprises, on ne peut que déplorer la dérive qui a consisté, pour certaines d'entre elles, à ne chercher de réponse que dans des dispositifs financièrement pris en charge par la collectivité.
Ainsi, le rapport de la Cour des comptes de 1997 concernant les plans sociaux indique que plus des deux tiers des allocations spéciales FNE ont été accordées par l'administration à douze entreprises qui se sont adressées au moins trois fois, en six ans, au fonds. Ces entreprises ont ainsi couvert à 41 % ce qu'elles considéraient comme des sureffectifs par des préretraites totales.
Tous ces problèmes doivent relever d'une gestion prévisionnelle et adaptée de l'emploi à long terme. Les données démographiques sont connues ; on sait ainsi que l'âge moyen de la population active, qui était de quarante ans entre 1975 et 1995, va s'élever progressivement, pour atteindre quarante-deux ans en 2015.
Il serait souhaitable, madame la secrétaire d'Etat, que le service public de l'emploi soit particulièrement attentif aux petites et moyennes entreprises en termes d'aide et de conseil quant à la gestion prévisionnelle de l'emploi.
J'en viens à l'examen des articles adoptés par nos collègues de l'Assemblée nationale.
Au mois de décembre dernier, le Gouvernement a souhaité renforcer les modalités d'application de la contribution Delalande. Des modulations sont désormais prévues selon l'âge du salarié licencié, et le nouveau barème renchérit la cotisation, qui pourra atteindre douze mois de salaires à cinquante-sept ans.
Cette modulation tient également compte de la taille des entreprises, puisque les entreprises de moins de vingt salariés en sont exonérées.
La proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale prévoit d'étendre la contribution à deux dispositifs d'accompagnement de licenciements : les conventions de conversion et les allocations spéciales FNE, lorsqu'il y a refus du salarié.
Ces deux mécanismes sont présentés comme une alternative au licenciement sec. Ils s'adressent aux salariés de plus de cinquante ans et ils s'inscrivent dans des logiques différentes.
En effet, si les conventions de conversion ont pour objet un reclassement du salarié grâce à des actions de formation, les allocations spéciales FNE s'adressent aux salariés de cinquante-sept ans, voire de cinquante-six ans, qui sont proches de la retraite et dont l'espoir de retrouver un emploi est très faible.
Les auteurs de la proposition de loi ont voulu éviter que ces deux mécanismes, jusqu'ici exonérés de la contribution Delalande, ne soient anormalement sollicités par les employeurs afin d'échapper au versement de cette contribution.
Le nombre des entrées en conventions de conversion à compter de cinquante ans a augmenté de façon significative depuis 1993-1994 : leur pourcentage est en effet passé de 11 % à 16 %.
Ainsi, le nombre des personnes âgées de cinquante ans et plus adhérant à une convention de conversion sont passées, de 1994 à 1998, de plus de 16 000 à plus de 20 000.
Les chiffres pour les personnes âgées de cinquante-cinq ans et plus sont encore plus impressionnants, puisque le nombre des entrants a été multiplié par six, pour atteindre plus de 6 000 personnes en 1998.
Cette augmentation est d'autant plus insolite que les espoirs de reclassement s'amenuisent au fil des années. Ainsi, selon M. le rapporteur, le taux de reclassement stagne aux alentours de 36 % pour les hommes de cinquante-quatre ans et chute à 24 % pour les femmes du même âge. Enfin, après cinquante-six ans, le taux de reclassement n'atteint que 18 %.
La commission des affaires sociales, dans sa majorité, a estimé que la progression de ces adhésions n'était pas suffisamment significative et ne pouvait s'expliquer par la volonté d'éviter le paiement de la cotisation Delalande.
Les sénateurs socialistes ne partagent pas cette analyse et estiment que l'évolution, en particulier celle qui affecte les plus de cinquante-cinq ans, révèle une utilisation contraire aux objectifs affichés par les conventions de conversion.
Par ailleurs, s'il est vrai, comme le souligne M. le rapporteur, que les adhérents aux conventions de conversion sont, dans un premier temps, considérés comme des stagiaires de la formation professionnelle et non comme des chômeurs, l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation depuis 1992 a tendu à rapprocher le contentieux attaché à ces conventions au droit commun des licenciements économiques.
Ainsi, la Cour contrôle la cause réelle et sérieuse de la rupture du contrat de travail. Selon elle, l'employeur prend seul l'initiative de rompre ce contrat.
L'extension de la contribution Delalande aux ruptures de contrat de travail après l'adhésion à une convention de conversion ne me semble donc pas présenter d'incohérence juridique.
M. le rapporteur reproche aux mesures envisagées dans cette proposition de loi de provoquer un effet dissuasif sur l'embauche de chômeurs proches de cinquante ans.
Doit-on en déduire que les employeurs élaborent leur stratégie d'embauche en fonction des facilités de licenciements, et ce d'autant plus facilement que la solidarité nationale et les partenaires sociaux ont mis en place, ces derniers mois, des filets de sécurité tels que l'allocation chômeurs âgés, l'ACA, et l'allocation supplémentaire d'attente, l'ASA, qui permettent d'assurer un revenu de remplacement aux chômeurs âgés jusqu'à la liquidation de leur retraite ?
Nous savons bien qu'il s'agit là d'une réalité. Ainsi, le directeur de Pont-à-Mousson déclarait, en 1993, que « la variable "effectifs" est un des seuls paramètres sur lesquels les industriels peuvent jouer » pour redresser les comptes d'un entreprise.
En tout cas, les socialistes refusent de cautionner cette démarche.
Rappelons enfin que les employeurs qui ont embauché des chômeurs de plus de cinquante ans, et ce depuis 1992, sont dispensés du paiement de cette cotisation.
Par ailleurs, la proposition de loi étend l'application de la contribution aux licenciements consécutifs à un refus du salarié d'adhérer à un dispositif qui, par la suite, est refusé par les salariés concernés.
M. le rapporteur a cité des estimations faisant état d'un faible taux de refus. Il y a toutefois des refus, quelles qu'en soient les motivations.
Dès lors, nous ne voyons par les raisons pour lesquelles le droit commun des licenciements économiques, qui prévoit le versement de la contribution Delalande, ne s'appliquerait pas.
Le coût des préretraites, le renchérissement de la cotisation Delalande et son extension devraient permettre un cadrage plus strict de ces mesures et contribuer à orienter les partenaires davantage vers l'ARPE, que porte une véritable dynamique de lutte pour l'emploi.
Voilà pourquoi les sénateurs socialistes adhèrent aux propositions adoptées à l'Assemblée nationale. Bien entendu, ils voteront contre les propositions de la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

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