Séance du 10 février 1999







M. le président. Par amendement n° 10, Mme Derycke, M. Mahéas et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 2, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article L. 11-6, il est inséré dans le code de la route un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. ... - Les candidats au permis de conduire acquièrent, dans le cadre de leur formation, la connaissance pratique des notions élémentaires de premiers secours dites des cinq gestes qui sauvent. Cet apprentissage est assuré par les associations de secourisme agréées.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités de mise en oeuvre de ces dispositions. »
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Cet amendement vise à rendre obligatoire l'apprentissage par tout candidat au permis de conduire des « cinq gestes qui sauvent », selon la formule habituellement utilisée.
Je les rappelle très brièvement : il s'agit d'alerter, de baliser, de ranimer, de compresser et de sauvegarder.
A l'apprentissage des cinq gestes qui sauvent, il faut aussi, bien sûr, ajouter celui des gestes qu'il ne faut surtout pas faire en cas d'accident.
Cet apprentissage doit être pratique et non pas seulement théorique. Les revues sur le sujet, dont certaines sont d'ailleurs éditées par la sécurité routière, ne manquent pas ; mais les conseils non accompagnés d'un enseignement pratique peuvent s'avérer dangereux !
La question se pose, je dois le dire, depuis bien longtemps. Depuis trente ans, en effet, sur tous les bancs de nos deux assemblées, de nombreux parlementaires l'ont posée et se sont passionnés sur ce sujet. Je citerai entre autres, au Sénat, MM. Poher, Poncelet, Barnier, Peyrefitte, Bonnet et Diligent, et, à l'Assemblée nationale, MM. Delnatte ou Bocquet, mais cette liste est loin d'être exhaustive.
En 1974 d'ailleurs, alors que M. Jacques Chirac était Premier ministre, un conseil interministériel de la sécurité routière, avait décidé de prendre en 1975 les dispositions nécessaires. Mais rien n'a été fait.
Pour expliquer pourquoi rien n'a été fait, on entend toujours les mêmes arguments : ces gestes pourraient être dangereux s'ils étaient mal faits ou faits à un mauvais moment.
J'ai cependant pu constater que, dès 1994, des médecins éminents, notamment le professeur Larcan, qui était alors président de l'Académie nationale de médecine, ont demandé la mise en oeuvre de cet apprentissage pour les candidats au permis de conduire.
J'ai également pu observer que certains services de secours, les SAMU, les SMUR et les sapeurs-pompiers, sont eux aussi favorables à la mise en oeuvre de cet apprentissage.
Je comprends que l'on puisse soulever des objections en raison de la responsabilité d'un sauveteur qui aurait fait un geste malencontreux. Mais, s'il y a véritablement danger, pourquoi autoriser dans les collèges, l'apprentissage de ces cinq gestes qui sauvent non seulement cet apprentissage est pratiqué dans les collèges, mais il y est préconisé et encouragé par des circulaires de l'éducation nationale.
Je ne comprends pas que l'apprentissage de certains gestes de secourisme ne soit pas dangereux s'il s'agit d'enfants de quinze ans à seize ans et soit dangereux pour les futurs titulaires du permis de conduire.
Il me semble au contraire que l'apprentissage de ces gestes au moment où l'on passe son permis de conduire peut avoir une valeur pédagogique. Il renforce en effet l'idée que prendre le volant, c'est aussi prendre une grande responsabilité vis-à-vis de soi et des autres.
Je souhaite que, après trente ans de tergiversations, d'avancées et de reculs, on apporte des réponses à ces questions dans la sérénité. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Lucien Lanier, rapporteur. La commission des lois a très bien compris les nobles sentiments de Mme Derycke, de même que celle-ci a compris notre avis sur son amendement.
Vous avez raison de relever, madame, que, depuis trente ans, on tergiverse sur cette question. Mais, vous, vous ne vous impatientez certainement pas depuis trente ans, étant donné votre jeune âge ! (Sourires.)
Permettez-moi de dire que, si l'on tergiverse, c'est bien parce que les avis sont partagés.
Tout le monde s'accorde bien entendu sur le fait que sauver une personne en danger est non seulement un devoir, mais une obligation de conscience. Le code pénal réprime d'ailleurs la non-assistance à personne en danger.
Le problème que soulèvent certains, notamment au sein du ministère de la santé, c'est que les gestes qui sauvent, mal compris, mal effectués par des gens trop jeunes, risquent de se transformer en gestes dangereux. C'est arrivé, il faut le reconnaître. Un blessé grave qui est atteint à la colonne vertébrale peut être sauvé à condition d'être manipulé avec énormément de précautions. Ainsi, l'un des cinq gestes qui sauvent, qui consiste à mettre sur le côté le blessé pour éviter qu'il ne s'étouffe en restant sur le dos, effectué brusquement, peut provoquer une fracture définitive de la colonne vertébrale, une atteinte de la moelle épinière et une hémiplégie.
Tel est le coeur du débat.
C'est la raison pour laquelle, madame Derycke, je vous demande, au nom de la commission des lois, de bien vouloir retirer cet amendement, sous réserve que M. le ministre s'engage à se concerter avec ses collègues, non seulement de la santé, mais aussi de l'éducation nationale, pour définir les modalités d'enseignement des gestes qui sauvent.
Afin de répondre au voeu justifié de Mme Derycke et de M. Mahéas, je vous demande donc, monsieur le ministre, de prendre très rapidement ces contacts. Nous pourrons ainsi mettre un terme au débat qui dure depuis trente ans.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le rapporteur, je partage votre sentiment sur cette question très complexe sur laquelle, j'en ai conscience, il faut progresser.
Certains éléments ont été introduits dans le programme national de formation des conducteurs, notamment les gestes qu'il faut faire pour signaler un accident et donner l'alerte. Un débat, voire une controverse, s'est engagé sur la nécessité de prendre des mesures supplémentaires. Il ne s'agit pas de le nier, et d'ailleurs personne ne le fait.
Cependant, pour l'instant, prenant l'engagement d'organiser le débat de telle sorte que ces connaissances supplémentaires puissent être introduites, avec toutes les garanties nécessaires, dans le programme national de formation, je demande, moi aussi, le retrait de l'amendement n° 10.
M. le président. L'amendement n° 10 est-il maintenu ?
M. Jacques Mahéas. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Mahéas.
M. Jacques Mahéas. Monsieur le ministre, je pense qu'il faut aller plus avant.
En effet, on veut toujours une solution parfaite. Il est vrai que, lors d'un accident, on peut faire le geste qui sauve mais aussi le geste malencontreux.
Sur les cinq gestes qui sauvent, un seul soulève difficulté...
M. Emmanuel Hamel. Quels sont ces cinq gestes ?
M. Jacques Mahéas. Comme Mme Derycke l'a indiqué, il faut tout d'abord baliser, puis alerter, ce qui me paraît facile.
Evidemment, le geste suivant pose problème : lorsqu'un blessé se trouve allongé sur le dos, faut-il le basculer sur le côté pour éviter qu'il ne s'étouffe ? En effet, il y a un risque pour la colonne vertébrale.
Ensuite, il convient de procéder à la réanimation, c'est-à-dire au bouche-à-bouche. Ce geste est appris dans les cours de secourisme et le sera bientôt à l'école.
Le dernier geste concerne plutôt ce qu'il ne faut pas faire, c'est-à-dire garotter ; à la place, il faut faire des points de compression.
Nous savons que tout ne sera pas parfait bien évidemment, mais ce sera beaucoup mieux. Lorsque l'on suit des cours de secourisme - et nombre d'entre nous les avons suivis - la première chose qu'on apprend, c'est de ne pas intervenir si on ne se sent pas apte ; si l'on n'a pas pratiqué plusieurs fois la réanimation, il faut s'abstenir. Cela me paraît être une éducation tout à fait bonne, monsieur le ministre.
Nous sommes prêts à réfléchir avec vous. Si la solution que nous proposons n'est pas parfaite, il faut cependant prendre le problème à bras-le-corps. Les partisans de ces cinq gestes qui sauvent sont extrêmement nombreux et leur attente est grande dans ce domaine.
Alors que de nombreux efforts sont fait pour enseigner aux élèves, notamment dans les collèges, des rudiments du code de la route et des rudiments de secourisme, je ne vois pas pourquoi on ne généraliserait pas cette formation.
Nous sommes bien évidemment dans l'attente d'une proposition de votre part, monsieur le ministre.
M. le président. Autrement dit, l'amendement est maintenu.
M. Jacques Mahéas. Oui, monsieur le président.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 10...
M. Jacques Mahéas. Mais M. le ministre ne m'a pas répondu.
M. le président. Mon cher collègue, M. le ministre n'est pas forcé de répondre à votre injonction. Il n'a pas demandé la parole et le vote est commencé.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. Je suis désolé, monsieur le ministre, je ne peux vous la donner : le vote est commencé, il doit aller jusqu'à son terme.
Je mets donc aux voix l'amendement n° 10, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. Jacques Mahéas. Monsieur le président, je proteste : M. le ministre a levé la main en temps et en heure. Vous ne l'avez pas vu.
M. le président. Monsieur Mahéas, je vous ferai remarquer que j'ai appliqué le règlement : une fois qu'un vote est commencé, personne ne peut plus intervenir.
Je suis navré, monsieur le ministre. Cela étant, si vous demandez la parole maintenant, je vous la donne très volontiers.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande effectivement la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le président, si je n'ai pas levé la main plus tôt tout à l'heure, c'est que je croyais que Mme Derycke allait intervenir après M. Mahéas. Je ne peux voir ce qui se passe dans les travées derrière moi !
Aussi, dès que j'ai vu que vous alliez mettre l'amendement aux voix, j'ai demandé la parole.
L'amendement n'a pas été retenu, mais je veux confirmer ce que j'ai dit à M. le rapporteur, à savoir, monsieur Mahéas, que je prends l'engagement de travailler en concertation, avec le souci de la plus grande efficacité, pour qu'une avancée notable ait lieu dans la formation des conducteurs.
M. le président. Monsieur le ministre, je voudrais que les choses soient bien claires. J'ai demandé si l'amendement était maintenu, on m'a répondu que oui. J'ai demandé s'il y avait des explications de vote, personne n'a bougé. C'est la raison pour laquelle je suis passé au vote.
Cela étant, M. le ministre a pris un engagement ; je pense que nous pouvons poursuivre la discussion.


Article 2