Séance du 16 février 1999






ENQUÊTES TECHNIQUES SUR LES ACCIDENTS
DANS L'AVIATION CIVILE

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 516, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux enquêtes techniques sur les accidents et les incidents dans l'aviation civile. (Rapport n° 205 [1998-1999].)
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la sécurité est à la fois une exigence de nos concitoyens et une nécessité de l'activité économique.
D'une part, le droit à la sécurité est un droit fondamental auquel aspire le corps social. Tout doit être entrepris pour prévenir les accidents, avec leur cortège de souffrances et de vies gâchées.
C'est une action prioritaire que je me suis assignée dans tous les domaines des transports, comme j'ai souvent eu l'occasion de l'exprimer devant vous. En matière de sécurité routière, un projet de loi vient d'être examiné en deuxième lecture au Sénat - il a été adopté à l'unanimité - afin de diviser par deux le nombre de tués en cinq ans. Dans le domaine maritime, les premières conclusions du Bureau d'enquêtes-accidents mis en place en décembre dernier ont donné lieu à des prescriptions aux armateurs et aux compagnies maritimes.
Grâce aux technologies de pointe et au professionnalisme, la sécurité en aéronautique se situe à un haut niveau : on ne compte en moyenne que vingt-cinq accidents mortels par an pour 1,5 million de départs. C'est encore trop. Il ne faudrait pas, en outre, que la croissance du trafic aérien s'accompagne d'une augmentation du nombre d'accidents ou de catastrophes. Ainsi, un accident très grave a été évité de peu à Montpellier, où un Airbus a heurté un planeur.
D'autre part, la sécurité est un enjeu économique. La France est en effet un carrefour de routes aéronautiques et une destination privilégiée pour le tourisme et les affaires. L'an passé, nous avons encore battu un record dans ce domaine puisque 70 millions de touristes sont venus chez nous, ce qui fait de notre pays la première destination touristique mondiale. Ses compagnies transportent chaque année des millions de passagers.
Par ailleurs, notre pays a aussi la responsabilité première de la sécurité des principaux avions et hélicoptères civils européens - en particulier des Airbus - et des moteurs qui peuvent être montés sur d'autres types d'avions, notamment le CFM 56, qui est produit à parité par General Electric et la SNECMA, et qui est l'un des plus utilisés. Naturellement, cette responsabilité nous crée des devoirs vis-à-vis de nos partenaires européens, mais aussi de tous les pays qui exploitent les aéronefs dont nous garantissons la sécurité. C'est, du reste, la seule politique propre à assurer l'avenir et le développement durable de l'industrie aéronautique civile européenne et à protéger les nombreux emplois de haute qualification qui lui sont associés.
Dans le cadre de cette démarche de sécurité, tous les aspects de l'aviation civile, de la conception des aéronefs au contrôle de la navigation aérienne, sont normalisés, réglementés et contrôlés. Mais, on le sait, aucune organisation humaine n'échappe au risque d'erreurs. Pour une efficacité maximale, il faut donc analyser systématiquement les événements inhabituels et faire part des enseignements que l'on peut en tirer à tous ceux qui sont intéressés au premier chef, c'est-à-dire aux compagnies aériennes et aux constructeurs, bref, mettre en oeuvre le retour d'expérience. Les enquêtes sont ainsi devenues un outil indispensable de la sécurité de l'aviation.
Bien entendu, l'enquête ne peut être menée dans le seul cadre national. En effet, nos avions se rendent à l'étranger, nos concitoyens empruntent des lignes aériennes étrangères et ce sont les mêmes modèles d'avions qui assurent l'essentiel des vols. La directive de novembre 1994 a précisé le cadre juridique des enquêtes accidents, dans le droit-fil de ce que l'OAC, l'Organisation de l'aviation civile internationale, prévoit.
Le présent projet de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, définit un nouveau cadre juridique propre à satisfaire à toutes les exigences que je viens de rappeler. Il tend à insérer dans le code de l'aviation civile un livre VII ayant pour objet l'enquête relative aux accidents et incidents d'aviation civile. Je dis bien « accidents et incidents », car l'analyse des incidents et les leçons que nous pouvons en tirer servent précisément à éviter les accidents.
Le titre Ier du projet de loi comporte, outre une définition de l'accident et de l'incident, des précisions sur l'objet de l'enquête.
L'enquête technique n'a pas pour objet - j'insiste sur ce point parce que c'est parfois mal perçu - de déterminer les fautes et les responsabilités. Il s'agit d'analyser les circonstances de l'accident ou de l'incident, d'en établir les causes certaines ou probables et de proposer, le cas échéant, dans un but de prévention, des recommandations de sécurité.
Ce titre définit aussi la compétence territoriale des autorités françaises et dispose que les accidents et incidents graves doivent faire obligatoirement l'objet d'une enquête dès lors que l'aéronef en cause est muni d'un certificat de navigabilité. Seuls les enquêteurs d'un organisme permanent spécialisé, agissant en toute indépendance, peuvent effectuer des enquêtes.
Le titre II précise les compétences des enquêteurs, notamment en ce qui concerne l'accès à l'aéronef ou à son épave, le contenu des enregisteurs de bord, les documents relatifs à l'aéronef ou à l'équipage et les prélèvements aux fins d'analyse de parties de l'épave.
Il organise aussi les relations entre les enquêteurs techniques et l'autorité judiciaire, laquelle intervient notamment, en cas d'accident, pour déterminer les fautes et les responsabilités.
Ce texte impose de préserver tous les éléments qui peuvent être utiles à l'enquête. Il formalise les procédures en exigeant l'établissement de procès-verbaux pour chaque élément de celle-ci.
Le titre III oblige l'organisme permanent, le Bureau enquêtes-accidents, le BEA, à élaborer et à rendre public un rapport au terme de chaque enquête technique.
Le titre IV énumère les sanctions pénales, auxquelles s'exposent les contrevenants aux obligations qu'impose le présent projet de loi.
Enfin, ce texte donne un statut aux enquêteurs aériens français, qui sont des professionnels internationalement reconnus, entièrement dévoués à la sécurité de l'aviation. Ils sont parfois critiqués. J'ai eu l'occasion d'aller voir le travail exceptionnel et extraordinaire qu'ils accomplissent et dont j'ai pu noter la complexité et le sérieux. Ils peuvent même être calomniés par ceux que leurs conclusions dérangent.
En adoptant ce projet de loi, vous ne leur donnerez pas seulement l'outil dont ils ont besoin pour remplir leur mission, vous leur accorderez aussi la reconnaissance qu'ils méritent. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes. M. le rapporteur et M. Hamel applaudissent aussi.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, le projet de loi dont nous sommes saisis vise à transposer en droit interne une directive tendant à harmoniser les règles relatives aux enquêtes techniques sur les accidents de l'aviation civile et à coordonner les procédures d'enquêtes techniques et judiciaires. L'Assemblée nationale n'y a pas apporté de modifications fondamentales.
Ce texte peu paraître au premier abord très technique, voire purement technique, mais il touche, en réalité, à un sujet auquel nos concitoyens sont très sensibles. Si l'avion est un moyen de transport de plus en plus sûr, la sécurité des transports aériens reste néanmoins, pour tous les voyageurs, un motif de préoccupation constant. Les accidents aériens sont assez rares, mais ils ont malheureusement souvent, si ce n'est toujours, des conséquences tragiques.
Je me réjouis, monsieur le ministre, que les dispositions de ce projet de loi soient enfin examinées par le Parlement. Le texte qui nous est soumis reprend, en effet, des dispositions d'un projet de loi présenté par M. Bernard Pons et Mme Anne-Marie Idrac, voilà deux ans, qui n'avait pu être discuté en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale.
De quoi s'agit-il ? Les enquêtes techniques ont pour objet d'analyser les circonstances et les causes des accidents, et d'émettre, sur la base de cette analyse, des recommandations de sécurité à l'adresse des compagnies aériennes et des constructeurs. Autrement dit, pour que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, les enquêtes techniques tirent des leçons de chaque accident ou incident - vous avez eu raison, monsieur le ministre, d'insister sur la différence entre ces deux termes - et font en sorte que ces leçons soient connues de tous - et j'insiste bien sur ce point. Les enquêtes techniques apportent ainsi un retour d'expérience indispensable à l'évolution des aéronefs et à l'amélioration de la formation du personnel navigant.
L'enquête technique peut éventuellement se dérouler parallèlement à une enquête judiciaire. Si ces deux procédures portent sur les mêmes faits, il faut, pour comprendre la logique du projet de loi, garder à l'esprit qu'elles ont cependant des objectifs différents.
L'enquête menée par les autorités judiciaires a pour objet d'apprécier la responsabilité des parties impliquées dans un accident.
L'enquête technique n'a, quant à elle, pour seul objet, je le répète, que de tirer des enseignements des accidents afin d'éviter leur répétition. Ce sont donc deux fonctions ou deux vocations totalement différentes. C'est la raison pour laquelle l'enquête technique ne débouche sur aucune sanction, sur aucune mise en cause ; elle participe d'une politique de prévention des risques.
Ce préalable étant posé, le présent projet de loi tend à définir le statut des enquêtes techniques.
Son premier objet, c'est de transposer en droit interne la directive n° 94/56 du Conseil de l'Union européenne du 21 novembre 1994.
La transposition de cette directive supposait de revoir le régime juridique de l'enquête technique, qui repose actuellement sur une disposition réglementaire très succincte et qui, sur un certain nombre de points, est en contradiction avec la directive. Il convient donc d'ajuster notre dispositif réglementaire et juridique afin que la directive soit effectivement transposée.
L'application en droit interne de ces dispositions conduit ainsi à accroître de façon significative les garanties d'indépendance de l'organisme chargé des enquêtes techniques, à renforcer les pouvoirs d'investigation des enquêteurs et à favoriser la transparence de la procédure. Je m'en félicite. Avec ou sans directive, cette réforme était nécessaire.
Le deuxième objectif du projet de loi est d'assurer une meilleure coordination entre l'enquête technique et l'enquête judiciaire.
Lorsqu'une procédure technique et une procédure judiciaire se déroulent parallèlement, ces deux enquêtes utilisent pour leurs investigations les mêmes matériaux : il s'agit notamment des débris de l'avion à expertiser et des enregistrements faits à bords, les fameuses boîtes noires. Or leur prélèvement et leur exploitation sont une source fréquente de conflit entre les deux catégories d'enquêteurs, et c'est à cet égard que les difficultés se faisaient le plus souvent jour.
En effet, en l'absence d'une définition formelle des objectifs des enquêtes techniques et d'un statut garantissant l'indépendance des enquêteurs, les autorités judiciaires ont, dans certains cas, considéré avec méfiance ces enquêtes techniques, jugées proches des intérêts des administrateurs et des industries de l'aviation civile. Ainsi, parce qu'aucune disposition légale n'autorisait explicitement les enquêteurs techniques à accéder au lieu de l'accident, certains juges ont pu leur refuser l'accès à l'épave, empêchant ou retardant toute investigation technique. Inversement, l'absence de règles de procédure a parfois conduit les enquêteurs techniques à négliger les prérogatives de l'autorité judiciaire.
Bien que la bonne volonté de la plupart des intervenants ait limité le nombre de cas où les difficultés se sont transformées en blocage, les risques de chevauchement ou d'interférence entre les enquêtes judiciaire et technique existent en permanence.
Les enquêtes sur les accidents du mont Saint-Odile et de Habsheim ont montré combien ces dysfonctionnements pouvaient nuire à la recherche de la vérité. Le projet de loi qui vous est soumis tire les conséquences de ces précédents et organise une coopération entre enquêtes technique et judiciaire.
Permettez-moi de vous dire, mes chers collègues, ouvrant ainsi une forme de parenthèse, que la discussion d'un texte comme celui-ci est toujours technique et froide. Cette froideur est souvent un peu ressentie comme une injure par les familles ou les proches des victimes. Mais la froideur de la discussion - ce sentiment, j'en suis sûr, sera partagé sur l'ensemble de ces travées et par tous les responsables - ne doit pas interdire l'expression d'une solidarité vis-à-vis des victimes de ces accidents. Et ne perdons pas de vue que de telles discussions techniques visent à ce que les morts accidentelles, qui sont toujours injustes, puissent ne pas être complètement inutiles en permettant d'éviter un certain nombre d'autres accidents. C'est dans cet esprit, à mon avis, qu'il nous faut examiner ce texte. Et même si nous discutons de dispositions techniques ou si des oppositions peuvent survenir entre les uns ou les autres sur certains aspects réglementaires ou sur diverses dispositions, personne, j'en suis persuadé, n'oubliera ce type de solidarité à exprimer.
MM. Emmanuel Hamel et Jean-Pierre Plancade. Très bien !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Tels sont donc les objectifs.
J'en viens au dispositif proposé.
Le projet de loi généralise la mise en oeuvre d'une enquête technique pour tout accident ou incident grave. Il confie cette enquête à un organisme permanent doté d'un statut garantissant son indépendance.
La directive dispose, en effet, que l'organisme d'enquête est fonctionnellement indépendant des autorités nationales en charge de l'aviation civile. Cette disposition tend à éviter de recourir à des enquêteurs qui pourraient être impliqués dans les événements faisant l'objet de l'enquête et qui seraient à la fois juge et partie. Pour que les enquêtes techniques puissent être menées en toute objectivité, il importait donc qu'elles soient conduites en toute indépendance.
L'indépendance fonctionnelle à laquelle fait référence la directive pouvait cependant recevoir diverses interprétations. Le choix des moyens juridiques pour assurer l'indépendance de l'organisme chargé des enquêtes a, de ce fait, été laissé à l'appréciation des Etats membres.
Le projet de loi prévoit de confier les enquêtes techniques à un organisme permanent assisté, le cas échéant, par des commissions d'enquête. Il précise que cet organisme et les commissions d'enquête « agissent en toute indépendance et ne reçoivent ni ne sollicitent d'instruction d'aucune autorité ».
La position de l'organisme d'enquête, à l'extérieur de la direction générale de l'aviation civile, les dispositions du projet de loi selon lesquelles cet organisme ne reçoit aucune instruction et gère directement la communication des informations relatives aux enquêtes sont autant de facteurs qui devraient contribuer à son indépendance, même s'il reste rattaché au ministère de l'aviation civile. Ce dispositif est ainsi proche de celui qu'ont adopté l'Irlande, l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou la Belgique.
Il convient d'observer, en outre, que l'existence même de l'enquête judiciaire parallèle, le caractère international de la quasi-totalité des enquêtes et la publication des rapport devraient également garantir la transparence du travail de l'organisme d'enquête.
La commission a estimé que la solution adoptée, compromis entre l'absence d'autonomie et une totale indépendance, était globalement satisfaisante. Elle vous propose néanmoins de renforcer les garanties d'indépendance de l'organisme permanent, des membres des commissions d'enquête et des enquêteurs techniques. Il convient, en effet, de s'assurer que ces personnes soient indépendantes non seulement des autorités en charge de l'aviation civile, comme le projet de loi le prévoit, mais également de toute autre partie dont les intérêts pourraient entrer en conflit avec la mission qui leur a été confiée, notamment les constructeurs et les compagnies aériennes. Cela est évidemment destiné à garantir leur impartialité, mais surtout à asseoir la légitimité des enquêtes techniques.
Le texte du projet de loi attribue également des pouvoirs d'investigation étendus aux enquêteurs techniques. Ces derniers ont accès au lieu de l'accident ou de l'incident, au contenu des enregistreurs de bord ; ils peuvent procéder à des prélèvements aux fins d'examen et d'analyse ou, le cas échéant, exploiter les constatations faites dans le cadre d'expertises judiciaires.
Le projet de loi prévoit des procédures particulières lorsqu'une procédure judiciaire est en cours, afin d'organiser - j'y insiste, parce que c'est un élément important du dispositif - une coopération entre les enquêtes technique et judiciaire.
La concurrence entre les deux catégories d'enquêteurs est donc terminée. Il n'y a pas prédominance de l'une par rapport à l'autre. Cette finalité différente des deux enquêtes est rappelée tout au long du texte, comme nous le verrons au cours de la discussion des articles. Il est donc nécessaire qu'il y ait non pas concurrence mais complémentarité des deux types d'enquête, surtout dans la mesure où les sources d'information sont identiques.
Le projet de loi prévoit des procédures particulières afin d'organiser cette coopération entre les enquêtes techniques et judiciaires. Ces dispositions, fruit d'une concertation entre les services du ministère des transports et de la Chancellerie, devraient mettre fin aux situations de blocage. On ne peut que s'en féliciter.
Le projet de loi accroît enfin la publicité donnée aux rapports issus des enquêtes techniques. Cet élément, qui manquait, a été demandé avec insistance. Le projet de loi prévoit donc une obligation de publication de l'enquête technique lorsque celle-ci a pris fin. (M. le ministre acquiesce.)
Actuellement, seuls les accidents internationaux font systématiquement l'objet d'un rapport. Ces rapports ne sont, en outre, remis qu'aux services, entreprises ou personnes directement concernés, sauf lorsque le ministre décide de leur publication.
Le projet de loi vise à imposer désormais à l'organisme permanent de procéder systématiquement à une enquête en cas d'accident ou d'incident grave, d'établir un rapport à l'issue de chaque enquête et de le rendre public à chaque fois.
Comme c'est le cas actuellement, les rapports d'enquête ne comporteront pas les noms des personnes impliquées. Je sais que cette disposition est critiquée, notamment par les associations de victimes d'accidents aériens. Comment ne pas comprendre la souffrance de ceux qui, ayant perdu un proche dans des conditions aussi brutales qu'un accident aérien, souhaiteraient pouvoir nommer les responsables ? Mais il faut garder à l'esprit qu'il revient exclusivement à l'enquête judiciaire de déterminer les éventuelles responsabilités individuelles. Le procès joue à cet égard, pour les familles des victimes, un rôle irremplaçable de réparation - le mot est bien faible et complètement vain par rapport à l'intensité de la peine - et d'exutoire que l'enquête technique ne peut et ne doit pas jouer.
Il faut, à ce propos, souligner que le projet de loi tend à introduire, dans un souci de transparence, la possibilité pour le responsable de l'organisme permanent de communiquer des informations relatives à l'enquête avant la publication du rapport. Cette mesure offre la possibilité de faire, avant la fin de l'enquête, des recommandations de sécurité. En effet, l'enquête a toujours pour vocation de prévenir de nouveaux accidents ou incidents. Cette mesure permettra également de communiquer aux familles des victimes des informations sur les circonstances de l'accident et, en particulier, de démentir certaines hypothèses que l'état d'avancement de l'enquête a pleinement écartées.
En résumé, la commission a approuvé les grandes orientations de ce projet de loi. Aussi, les amendements qu'elle vous propose d'adopter ont tous pour objet de préciser la portée de certaines dispositions, afin d'assurer leur pleine efficacité. Ces amendements ne tendent pas à modifier la philosophie du texte ; ils concourent, au contraire, à améliorer l'efficacité du dispositif proposé.
J'estime, cependant, que l'adoption de ce projet de loi doit s'inscrire dans le cadre d'une politique globale de prévention des risques. La croissance du trafic aérien comme la libéralisation de ce secteur d'activité posent en effet de nouveaux défis à la politique de sécurité. Il convient de veiller à ce que ces évolutions ne s'accompagnent pas d'un nivellement par le bas du niveau de sécurité. Nous sommes confrontés à une forme de dumping, monsieur le ministre. Il faut éviter que ce nivellement ne se fasse par le bas. C'est bien évidemment au contraire par le haut qu'il doit s'effectuer et, à cet égard, la France donne l'exemple.
M. le président. La parole est à M. Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi vise à transposer dans le droit français une directive européenne qui précise les modalités d'enquêtes techniques relatives aux accidents de l'aviation civile.
Comme M. le rapporteur l'a indiqué, il s'agit là d'un secteur auquel nos concitoyens sont très sensibles. Dès qu'un accident grave se produit, ces derniers cherchent à connaître les circonstances de l'accident, les responsabilités, etc. Bien souvent, ils ont l'impression qu'on leur cache la vérité ou que les sanctions éventuelles sont sans commune mesure avec les faits.
Certes, parmi les modes de transport, le transport aérien demeure l'un des plus sûrs. Cependant, ce haut niveau de sécurité ne peut être maintenu qu'au prix d'un effort constant de l'ensemble des partenaires du transport aérien.
Il est bon de rappeler que les spécialistes prévoient une augmentation du trafic de l'ordre de 5 à 8 % par an pour les années à venir, que le trafic des aéroports est en constante augmentation, que les intervalles entre les atterrissages et les décollages sont de plus en plus courts, que le ciel est encombré, ce qui augmente le risque de collisions. Il est certain que, si rien n'est entrepris, l'augmentation de ce trafic se traduira mécaniquement par une augmentation des accidents.
Par ailleurs, il est bon de rappeler que, si nous voulons maintenir le développement de nos industries aéronautiques, conforter notre position sur le marché, et donc protéger les emplois et les savoir-faire, il nous faudra être d'une rigueur, d'une exigence et d'un professionnalisme sans compromis possible avec la sécurité.
Toutes ces raisons font qu'il est devenu impératif de pouvoir enquêter, analyser, proposer et modifier afin de livrer les enseignements nécessaires pour assurer une sécurité maximale.
Tel est le sens du projet de loi qui nous est soumis. Il devrait donner une base légale aux interventions des enquêteurs techniques et clarifier les rapports entre enquête judiciaire et enquête technique en donnant notamment un véritable statut aux enquêteurs aériens français dont la réputation internationale est largement reconnue.
Ainsi, ce projet de loi vise à rendre obligatoire l'enquête technique, sans préjudice de l'enquête judiciaire. Les enquêteurs auront des pouvoirs d'investigation élargis, ils pourront intervenir immédiatement sur les lieux de l'accident ou de l'incident, utiliser les enregistrements de bord, prélever « toute chose » propre à déterminer les causes de l'accident, exiger la communication des documents de toute nature relatifs aux personnes, aux entreprises et matériels en relation avec l'événement sans que puisse leur être opposé le secret professionnel. Le texte prévoit même d'exonérer de toute sanction disciplinaire les personnes qui signalent spontanément un incident.
Le projet favorise également la transparence, en rendant obligatoire la publication des rapports d'enquête.
L'indépendance fonctionnelle de l'organisme chargé de l'enquête est assurée par le fait qu'il est rattaché à l'inspection générale de l'aviation civile et qu'il ne pourra recevoir d'instructions d'aucune autorité, ni même en solliciter.
La commission des affaires économiques a fait des propositions intéressantes en vue de conforter cette indépendance. Elle propose notamment que les enquêteurs soient nommés par le ministre en charge de l'aviation civile, sur proposition du responsable de l'organisme permanent d'enquête. J'aimerais, monsieur le ministre, connaître votre avis sur cette suggestion.
En effet, le texte initial du projet de loi renvoie à un décret, certes pris en Conseil d'Etat, des questions aussi importantes que les conditions de recrutement, de nomination et d'habilitation des enquêteurs techniques. Pouvez-vous nous donner quelques indications sur le contenu du décret d'application ?
Pour conclure, l'obligation d'une enquête technique en cas d'accident ou d'incident, le retour de cette enquête en direction des professionnels, l'indépendance fonctionnelle de l'organisme chargé des enquêtes, la mise en place d'un statut juridique des enquêteurs par la reconnaissance de leur pouvoir d'investigation, la publicité obligatoire du rapport d'enquête sont autant d'éléments qui favoriseront la prévention des accidents ou incidents d'aviation. Ce projet de loi est donc un bon projet, et c'est pourquoi le groupe socialiste en approuvera les orientations. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui vise à intégrer dans notre droit une directive européenne traitant des procédures d'enquêtes techniques et administratives sur les accidents et incidents dans l'aviation civile.
Ce texte ne peut que susciter l'approbation puisqu'il prévoit la mise en place d'un organe indépendant - nous en avions bien besoin ! - chargé de rechercher les causes de l'accident dans le dessein d'améliorer la sécurité, de prévenir d'autres catastrophes ou incidents et, ajouterai-je, de garantir la transparence des procédures et des résultats.
Je me permettrai toutefois de tenir sur ce texte des propos qui, dans leur ensemble, ne seront pas aussi laudatifs que ceux que je viens d'entendre.
En effet, force est de constater que certaines dispositions du projet de loi accentuent le caractère opaque des enquêtes qui seront menées par l'organisme. Ainsi, les associations de défense des victimes, mais également l'opinion publique en général, ne pourront plus obtenir d'informations concernant les circonstances réelles des accidents avant la fin de l'enquête, avant que le dossier soit définitivement bouclé.
Je pense aujourd'hui aux familles des victimes des accidents du mont Sainte-Odile ou d'Habsheim, qui ont eu à souffrir de la discrétion dans laquelle les enquêtes ont été menées. Regroupées au sein d'associations dont le siège est en Alsace, j'ai eu l'occasion de les rencontrer, tout comme j'ai vu certains responsables de l'association des victimes du vol 800 de la TWA.
Ces associations et leurs responsables se rencontrent régulièrement et, au-delà de leur peine, des traumatismes qui les marquent à tout jamais, ils ont été choqués par le manque d'information et de transparence qui caractérise les procédures d'enquêtes en France, alors qu'aux Etats-Unis l'accès à l'information est la règle, sans que l'on soit obligé d'attendre qu'un point final ait été mis à l'enquête.
C'est pourquoi il apparaît aujourd'hui nécessaire d'assurer la transparence au sein de l'organe d'enquête, comme cela se fait outre-Atlantique.
Or, certaines des dispositions prévues dans le projet de loi vont à l'encontre de ce principe : le fait de soumettre désormais expressément au secret professionnel non seulement les enquêteurs mais aussi tout expert entendu dans le cadre de l'enquête, sous peine de sanction pénale, mettra les parents des victimes, les journalistes, dans l'impossibilité d'obtenir autre chose qu'une information pesée et filtrée.
De plus, toute personne entendue dans le cadre d'une telle enquête sera, elle aussi, soumise au secret dans les mêmes conditions.
En outre, si l'enquête devait révéler un défaut qui n'est pas à l'origine de l'accident ou de l'incident, il ne serait pas possible de le divulguer.
Pourtant, rien dans la directive que le projet de loi vise à transposer n'impose un tel secret, contrairement à ce qui a pu parfois être avancé. Bien au contraire, l'objet de cette directive est simplement de mettre en place une autorité indépendante d'enquête censée agir dans la plus totale transparence.
Ainsi, le texte communautaire s'inspire de la législation américaine. Un organisme fédéral, le National transportation safety board, composé de deux cents membres permanents, intervient dans les domaines de l'aviation civile, du rail, de la marine, du ferroviaire et des pipelines, et mène des enquêtes techniques dans une totale transparence. Il diffuse périodiquement des informations sur l'état d'avancement des enquêtes par le biais de son site Internet. Il organise des conférences d'étapes, comme celle de Baltimore à propos du vol 800 de la TWA, au cours desquelles il expose l'ensemble de ses travaux et fait entendre des témoins.
Par ailleurs, la loi l'a récemment chargé de gérer la détresse des victimes. La manière dont cet organisme a traité l'accident du vol 800 illustre parfaitement la méthode transparente utilisée. L'enquête a permis de mettre en évidence un dysfonctionnement grave : l'explosivité excessive des réservoirs des Airbus et des Boeing.
Ce système, qui possède vraisemblablement des défauts, a l'immense mérite de permettre la communication continue des informations tout au long du déroulement de l'enquête.
Pourquoi la France s'attache-t-elle, en matière d'aviation civile, à la loi du silence, aux enquêtes discrètes sinon secrètes ?
Au nom de quoi, au nom de quel principe refuse-t-elle de répondre au souci des victimes de connaître la vérité sur les causes d'un accident ?
Imaginons un instant qu'une telle opacité règne lors d'une enquête ouverte à la suite d'un accident de métro ou de train ! Si les usagers ne peuvent obtenir d'informations pendant des mois sur les causes supposées de l'accident, ils choisiront un autre moyen de transport. Alors, pourquoi réserver au domaine de l'aviation cette religion du secret ?
Le projet de loi, bien que n'étant pas très précis sur la composition du futur organisme d'enquête, fonctionnellement indépendant de la direction générale de l'aviation civile, la DGAC, le calque sur l'actuel bureau d'enquêtes accidents, le BEA. Manifestement, cet organisme aura recours à des fonctionnaires de la DGAC, mis à sa disposition. Jusqu'à présent, les fonctionnaires du BEA n'étaient astreints qu'à une obligation de réserve et de discrétion ; ceux du nouvel organisme seront astreints au secret professionnel. Pourquoi ce passage de l'un à l'autre ?
Cette obligation de secret tarira, à l'évidence, les maigres sources d'information auxquelles les associations de défense des victimes et les usagers du transport aérien peuvent prétendre.
Déjà, le rapport Monnier, signé par les membres de la commission d'enquête de l'accident du mont Saint-Odile, apparaissait comme un pur exercice de style savant. La rédaction en était si compliquée que seule une poignée d'initiés en saisissaient le sens exact.
Les associations de victimes et d'usagers ne sont considérées, aujourd'hui, ni par le BEA ni par les commissions d'enquête comme des interlocuteurs valables. Aucune communication n'est faite en leur direction.
Il est temps qu'en France, comme aux Etats-Unis, les choses changent, et j'estime que le meilleur moyen de défendre l'industrie aéronautique est de renforcer la confiance du public.

En Alsace, nous avons connu Tchernobyl. On a voulu l'ignorer : la loi du silence, la loi du secret ! Dans beaucoup d'autres domaines, nous avons, en France, l'habitude de considérer qu'il n'est pas bon de divulguer les informations au fur et à mesure de leur collecte.
Le projet de loi qui nous est soumis perd de vue cet objectif majeur de transparence. C'est pourquoi je proposerai dans un instant des amendements visant à écarter les dispositions relatives au secret, qui apparaissent contraires à l'utilité collective, et je serais très heureux si, sur ce point, nous pouvions nous rejoindre. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste ainsi que sur certaines travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l'examen de ce projet de loi relatif aux enquêtes sur les accidents et incidents dans l'aviation civile est rendu nécessaire depuis l'adoption d'une directive européenne de 1994, il permet surtout de donner une assise juridique aux procédures existantes. Autant dire que ce texte ne va pas fondamentalement bouleverser les méthodes d'investigation et les missions du bureau d'enquêtes-accidents, le BEA, chargé de fournir les éléments techniques permettant de renforcer la sécurité du transport aérien.
Pour autant, l'examen d'un tel texte est indispensable pour clarifier les compétences des enquêteurs, leurs prérogatives, mais aussi les obligations auxquelles ils sont soumis, pour définir le champ d'intervention de l'enquête technique de l'accès au lieu de l'accident jusqu'à la diffusion des informations au public. En outre, le renforcement du dispositif législatif ne peut que servir les associations de victimes d'accidents aériens dans la recherche de la vérité.
Le flou juridique, voire l'absence de base juridique, serait le meilleur moyen de favoriser l'opacité des recherches et la manipulation des données issues de l'enquête.
De ce point de vue, ce projet de loi me paraît garantir tout à la fois l'indépendance et la protection juridique des enquêteurs du BEA et la nécessaire transparence de la procédure.
Le chapitre consacré à la diffusion des informations et des rapports d'enquêtes suscite pourtant des inquiétudes ici ou là. Les amendements déposés par notre collègue Philippe Richert et le discours qu'il vient de tenir nous conduisent, nous aussi, à nous interroger.
J'avoue partager pleinement le souci de transparence et la volonté de savoir exprimés par les représentants des victimes d'accidents aériens tels que celui du mont Sainte-Odile.
Cependant, la volonté du Gouvernement, au travers de ce dispositif législatif, de séparer clairement l'enquête technique proprement dite de l'enquête judiciaire destinée à déterminer les responsabilités en cause est de nature, nous semble-t-il, à nous rassurer sur ce point.
Il est à craindre que la remise en question du secret professionnel que devront respecter les enquêteurs n'ait pour effet, si nous n'y prenons pas garde, de détourner l'enquête technique de sa finalité première, qui est bien de prévenir les accidents.
L'enquête technique, M. le ministre l'a rappelé tout à l'heure, a pour objet non pas de pointer les responsables, mais de tirer les enseignements matériels d'un accident aérien pour qu'il ne se reproduise plus.
C'est pourquoi je suis assez sceptique sur les propositions qui tendraient à recréer un lien diffus entre le travail de l'organisme chargé des enquêtes, d'une part, et celui de l'appareil judiciaire, d'autre part. Cela susciterait, semble-t-il, la plus grande confusion dans les attributions des uns et des autres.
C'est précisément ce que, nous semble-t-il, le texte veut éviter. C'est ainsi, du moins, que nous le comprenons.
Par ailleurs, il ne me paraît pas souhaitable d'exposer par ce biais les personnels chargés de l'enquête aux multiples pressions qui font suite à un grave accident, qu'elles soient de nature médiatique ou même industrielle.
Car, ne nous le cachons pas, il y a, d'un côté, la quête de la vérité et de la justice, qu'il faut soutenir, et, de l'autre, une exploitation des catastrophes aériennes qu'il nous faut au contraire juguler.
En outre, deux types de dérogation au secret professionnel des enquêteurs sont prévus : l'un autorise le responsable de l'organisme permanent à transmettre des informations de nature à prévenir un accident ou un incident grave, l'autre vise à empêcher que des rumeurs fallacieuses se répandent. Enfin, il faut se féliciter du fait que, désormais, le rapport d'enquête soit rendu public et rende compte des informations qui relèvent de la seule compétence de l'organisme chargé de l'enquête technique.
Pour conclure, je dirai que le meilleur gage de sécurité du trafic aérien dans les prochaines années repose en particulier sur l'assainissement des modalités de concurrence entre compagnies aériennes. Or, de mon point de vue, nous sommes loin du compte.
L'affrontement auquel se livrent les transporteurs aériens d'une part, et les constructeurs d'avions européens et américains d'autre part, ne peut qu'accroître les facteurs de risques si les Etats n'imposent pas de règles de concurrence claires.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Pierre Lefebvre. L'organisation du trafic aérien est aussi un moyen de prévention des accidents et un facteur de sécurité des voyageurs. C'est moins le développement du transport aérien qu'il nous faut redouter que la libéralisation et la déréglementation dans ce secteur, comme dans d'autres d'ailleurs.
La stratégie de long terme qui oblige toutes les compagnies aériennes à préserver une image de marque auprès du public, en renforçant la sécurité des avions, s'oppose en effet à une stratégie de court terme qui soumet les transporteurs à la conquête de parts de marché supplémentaires pour augmenter leur marge bénéficiaire.
Cela passe aussi par l'amélioration des conditions de travail des personnels qui concourent à l'entretien du matériel et par un contrôle plus fréquent des avions à mesure de leur temps de vol.
Telles sont les observations que je tenais à formuler au nom du groupe communiste républicain et citoyen. Pour l'heure, nous voterons ce texte qui a pour mérite de compléter notre législation en matière de prévention des accidents aériens et d'en améliorer de nombreuses dispositions. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je veux d'abord me féliciter de la tenue et du niveau des interventions sur un texte de caractère technique, comme vous l'avez souligné, monsieur Le Grand, mais dont les conséquences sont très importantes. La qualité et le caractère constructif des interventions sont, à mon avis, tout à fait significatifs de l'intérêt que porte le Sénat à cette question.
Mes remerciements vont d'abord à M. Le Grand, dont le rapport de grande qualité servira de référence.
Nous examinerons les modifications qu'il propose et qui répondent à l'objectif recherché : être les plus pertinents et les plus efficaces possible.
Vous avez eu raison de mettre l'accent sur deux points fondamentaux.
D'abord, il est nécessaire d'améliorer le niveau de sécurité du transport aérien, comme l'ont dit MM. Lefebvre et Plancade.
En effet, à niveau de sécurité constant, compte tenu du développement du trafic aérien, le nombre d'accidents va augmenter. Nous sommes donc dans l'obligation de travailler à l'amélioration de la sécurité et de mettre en oeuvre tous les moyens pour éviter les accidents.
La froideur des statistiques le prouve, si nous n'améliorions pas le niveau de sécurité du transport aérien, les accidents seront plus nombreux parce que les transports aériens se développent de plus en plus.
Il appartient donc à la communauté aéronautique de tout faire pour éviter ce scénario inacceptable. Cet objectif n'est pas si simple à atteindre puisque la multiplication des vols ne peut qu'accroître l'encombrement de l'espace aérien et que l'organisation actuelle des transports aériens, notamment la déréglementation dont vous avez parlé, a tendance parfois à diluer les responsabilités.
Dans ce travail difficile, une meilleure utilisation doit absolument être faite de l'expérience qui incombe à l'organisme d'enquête ; en particulier l'analyse systématique des incidents, qui sont très souvent porteurs de leçons permettant d'éviter les accidents, doit être faite.
Tout à l'heure, vous avez adopté à l'unanimité le projet de loi portant création de l'autorité de contrôle technique de l'environnement sonore aéroportuaire. S'agissant de l'aéroport de Roissy, si j'ai insisté sur l'enjeu économique et social des pistes de Roissy et les impératifs de l'environnement, j'ai oublié de mentionner, parmi les éléments que nous avons été amenés à prendre en compte concernant la réalisation des deux pistes supplémentaires, l'enjeu de la sécurité, fondamental pour les contrôleurs aériens étant donné le développement du trafic à Roissy.
Vous avez donc eu raison, monsieur le rapporteur, de mettre l'accent sur la nécessité d'améliorer le niveau de sécurité de nos transports aériens et d'assurer l'indépendance de l'organisme chargé des enquêtes techniques.
Il est essentiel que cet organisme, comme le prévoit la directive européenne du 21 novembre 1994, soit fonctionnellement indépendant de toute autorité et, comme vous l'avez souligné, monsieur le sénateur, de tout organisme dont les intérêts pourraient entrer en conflit avec la mission d'enquête.
Dans cette perspective, la structure proposée constituant un compromis est conforme à celle qui a été adoptée. Nous ne nous singularisons pas de manière outrancière. Cette structure de compromis est conforme à celle qui a été adoptée par la plupart des pays européens.
L'organisme d'enquête sera rattaché à l'inspection générale de l'aviation civile placée sous l'autorité du ministre.
Le décret d'application développera les garanties accordées, notamment par le commissionnement des enquêtes techniques.
Cette organisation est de nature, tout en garantissant l'indépendance, à créer des relations de travail optimales avec des structures chargées de mettre en oeuvre les recommandations.
Je comprends tout à fait les préoccupations qui ont été exprimées par MM. Richert et Lefebvre. M. Richert est l'élu d'une région qui a connu, au cours de ces dix dernières années, deux catastrophes aériennes qui ont particulièrement sensibilisé l'opinion, et personne - je le dis après M. le rapporteur - ne peut être indifférent au sort des victimes et de leur famille. Le Gouvernement ne peut que renouveler, comme l'ont fait les gouvernements précédents, toute sa sympathie aux victimes et confirmer la nécessité de posséder le maximum de données, afin que de tels accidents ne se reproduisent pas.
Pour autant, je le dis avec la même franchise, il faut éviter que ne s'instaure un malentendu sur la nature même de l'enquête technique. M. Lefebvre a fortement insisté sur cet aspect de la question. Ce type d'enquête n'a pas pour objet, comme le croient parfois certains, et de bonne foi, de doubler l'enquête judiciaire...
M. Philippe Richert. Tout à fait !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. ... et de déterminer les fautes et les responsabilités.
M. Philippe Richert. Absolument !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. C'est d'ailleurs ce qui donne à la mission du bureau d'enquête des accidents le maximum de chance et d'atouts pour qu'on s'appuie malheureusement sur ce qui est arrivé - incident ou accident - afin que cela ne se reproduise pas.
Je suis allé sur place, j'ai rencontré ces enquêteurs. Je vous assure qu'ils accomplissent dans leur mission un véritable travail pour comprendre et connaître les causes des accidents et éviter qu'ils ne se reproduisent. Voilà comment je ressens la situation.
M. Philippe Richert. Il faut informer !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. L'enquête technique a pour vocation d'analyser les causes d'accidents ou d'incidents dans un objectif de prévention et d'établir des réglementations de sécurité.
Cet objectif unique, j'insiste sur ce point, conditionne trois principes.
Le premier, vous l'avez évoqué, est le secret professionnel. Cette règle existe notamment aux Etats-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne et en Allemagne.
Vous avez également évoqué des enquêtes qui se sont déroulées aux Etats-Unis, monsieur Richert.
M. Philippe Richert. Oui !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Je pourrais vous rappeler, à propos de l'accident de l'ATR 72, qui a eu lieu en 1994 près de Chicago, que certains des éléments qui avaient été avancés ont été contestés grâce au travail du bureau français d'enquête des accidents. Le prestige de notre bureau d'enquête était tel que des informations, fort discutables, furent neutralisées. Mais je ne veux pas développer ce point.
Je pourrais également vous parler d'accidents plus récents qui se sont produits aux Etats-Unis. Certaines informations qui ont été données n'étaient pas toujours de nature à satisfaire le souhait des familles des victimes de connaître la vérité.
Ces règles donc, qui existent dans plusieurs pays, ne sont au demeurant que la traduction des règles d'enquêtes édictées par l'Organisation de l'aviation civile internationale, l'OACI, à l'annexe 13 à la convention relative à l'aviation civile internationale.
Je vous sens interrogatifs sur ce point, mais je vous précise qu'au chapitre 5 de cette annexe il est prévu que l'Etat qui mène l'enquête ne doit pas divulger, sauf décision de l'autorité judiciaire, des éléments tels que les déclarations obtenues des personnes par les services d'enquête dans le cours de leurs investigations, les communications entre personnes qui ont participé à l'exploitation de l'aéronef, l'enregistrement des conversations dans le poste de pilotage et leur transcription, les opinions exprimées au cours de l'analyse des enregistrements. Telles sont les dispositions explicitement prévues au chapitre 5 de cette annexe.
La conduite d'une enquête nécessite en effet un large accès des enquêteurs à toutes sortes d'informations et l'association de nombreux experts. Or elle doit se concilier avec le respect d'un certain nombre de principes et de libertés fondamentales : le respect de la vie privée, le secret médical, le secret de l'instruction.
M. Philippe Richert. Et l'information des familles !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. J'ai parlé du secret professionnel, mais je veux aussi parler de l'information. C'est en ce sens que j'affirme l'existence d'un équilibre et d'un compromis, car vous savez aussi bien que moi que l'information constitue le pendant de la règle du secret professionnel.
Allant au-delà des dispositions de la directive, nous prévoyons que le rapport établi au terme de l'enquête sera systématiquement rendu public, même s'il porte sur un incident. Cela n'est pas laissé au bon vouloir des personnes chargées de l'enquête. Voilà le principe que nous posons.
Par ailleurs, le responsable de l'organisme d'enquête pourra communiquer toute information qu'il estime de nature à accroître la sécurité de l'aviation.
M. Philippe Richert. Cela doit être une obligation !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Il sera habilité à rendre publiques les constatations et les conclusions provisoires de l'enquête et à informer sur le déroulement de celle-ci. Tout doit donc être public, mais dans le cadre strict de la mission d'enquête, c'est-à-dire l'explication des circonstances de l'accident ou de l'incident, l'analyse des causes et la compréhension des recommandations, puisque tel est l'objet même du texe dont nous débattons.
L'enquête technique et l'enquête judiciaire, qui visent des objectifs différents, sont bien évidemment menées à partir des mêmes éléments. Le projet de loi établit là encore un équilibre, que je crois satisfaisant, entre les pouvoirs respectifs des deux types d'enquêtes.
Il est difficile d'aller plus loin, et il est exclu que le dossier de l'enquête technique soit livré entièrement au public, alors que l'enquête judiciaire est soumise au secret de l'instruction et au principe de la présomption d'innocence que le Gouvernement, avec, je pense, l'appui de la représentation nationale, entend maintenir, et même renforcer.
Enfin, je tiens à préciser que l'accès à l'information en cours d'enquête est possible à la demande, mais que ces informations ne peuvent être fournies que pour des faits avérés et prouvés. C'est aussi un élément de garantie.
En réponse à M. Plancade, que je remercie d'ailleurs de son intervention, je précise que les enquêteurs techniques devront être commissionnés pour exercer leur travail et que seul le ministre aura ce pouvoir.
De façon générale, le décret s'attachera à organiser l'indépendance de l'organisme d'enquête, notamment par l'intervention du chef de l'organisme permanent ou du chef de l'inspection générale de l'aviation civile dans les procédures d'affectation des personnels.
Je précise également que je suis tout à fait d'accord pour que les enquêteurs soient nommés par le ministre chargé de l'aviation civile. Ce point sera abordé à l'occasion de la discussion des amendements.
Je remercie M. Lefebvre de son intervention et du soutien qu'il apporte à ce projet de loi.
Monsieur le sénateur, vous avez souligné le risque que ferait courir un développement en quelque sorte anarchique de la concurrence. Il est vrai que son développement nécessite de la part des services de contrôle une vigilance accrue et un accroissement des vérifications concernant la construction des aéronefs, leur entretien et les modalités d'exploitation des compagnies aériennes. Cette tâche, à mes yeux, prioritaire, ne doit souffrir d'aucune faiblesse, et je m'attache à dégager chaque année les moyens permettant de la mener à bien. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

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