Séance du 9 mars 1999






LUTTE CONTRE LE DOPAGE

Adoption des conclusions
d'une commission mixte paritaire

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 193, 1998-1999) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. James Bordas, rapporteur pour le Sénat de la commission paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'adoption par notre assemblée du texte approuvé à l'unanimité par la commission mixte paritaire, qui s'est réunie le 3 février dernier au Sénat, représente la dernière étape de l'examen par le Parlement du projet de loi relatif à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage.
Ce projet de loi a été, je crois pouvoir le dire, un bon exemple de travail commun entre les assemblées et le Gouvernement, travail auquel je suis heureux que la réussite de la commission mixte paritaire ait apporté une conclusion positive.
Bien sûr, madame la ministre, l'accord unanime de la commission mixte paritaire ne signifie pas que nous ayons tous trouvé parfait le texte que nous avons adopté - c'eût d'ailleurs été bien présomptueux - ni que, sur tous les points, le compromis auquel nous sommes parvenus nous ait tous, députés ou sénateurs, également satisfaits.
Mais il manifeste, je crois, notre accord profond sur la nécessité de ce texte, sur les objectifs qu'il poursuit, sur les moyens nouveaux dont il permettra la mise en oeuvre. Nous avons aussi voulu exprimer fortement la volonté commune des deux assemblées de défendre la santé publique, l'éthique du sport et son rôle social contre les atteintes très graves que leur porte le dopage.
Les points les plus importants qui demeuraient en discussion à l'issue de la seconde lecture du projet de loi portaient sur son volet sanitaire. Les solutions retenues nous paraissent équilibrées et elles tiennent largement compte des positions qu'avait prises le Sénat.
Ainsi, je suis heureux, madame la ministre, que la commission mixte paritaire ait consacré la création des antennes médicales de lutte contre le dopage auxquelles pourront s'adresser directement, et anonymement s'ils le souhaitent, tous les sportifs, quel que soit leur âge ou leur niveau, qui ont été victimes du dopage et qui cherchent des conseils et une assistance médicale.
En ce qui concerne l'obligation de déclaration des signes de dopage à l'antenne médicale, j'aurais personnellement préféré, je ne vous le cacherai pas, qu'elle soit limitée aux constatations faites dans le cadre des examens d'aptitude à la pratique sportive ou de suivi médical des sportifs. En effet, comme le souligne le rapport du CNRS, le dopage est le plus souvent indécelable en dehors d'un suivi régulier et approfondi. Mais encore et surtout, la prise en charge médicale du dopage et de ses conséquences dépendra de l'établissement d'un nouveau climat de confiance entre le corps médical et les sportifs dopés, qui ont tendance à considérer les médecins soit comme des pourvoyeurs, soit comme des contrôleurs en puissance. Il leur reste, je crois, à découvrir qu'ils sont d'abord là pour les soigner. Et je ne pense pas que l'absence de déclaration obligatoire aurait fait obstacle à une collaboration entre les médecins et les antennes médicales lorsqu'elle aurait été nécessaire.
J'approuve sans réserve, en revanche, le fait que la commission mixte paritaire ait précisé que le signalement fait au médecin responsable de l'antenne sera couvert - ce qui n'allait nullement de soi - par le secret médical.
Je trouve aussi très positif que la commission mixte paritaire ait entendu les arguments du Sénat et qu'elle ait renoncé à doter les fédérations sportives du pouvoir de prononcer des injonctions thérapeutiques, ce qui aurait constitué une véritable aberration juridique.
Le texte que nous vous proposons prévoit que, lorsqu'un sportif sanctionné pour dopage demandera le renouvellement ou la délivrance d'une licence sportive, la fédération compétente devra subordonner ce renouvellement ou cette délivrance de licence à la production du certificat nominatif prévu à l'article 1er bis A. Cela paraît beaucoup plus raisonnable et sera, sans doute, beaucoup plus efficace.
Je soulignerai aussi que le texte de la commission mixte paritaire organise de façon satisfaisante la veille sanitaire sur le dopage en s'appuyant sur le dispositif de la loi Huriet-Descours du 1er juillet 1998.
Les travaux de la commission mixte paritaire permettent ainsi de compléter le volet sanitaire du projet de loi de manière à former un ensemble cohérent avec les dispositions relatives au contrôle et à la répression du dopage, qui ont fait, dès la première lecture, l'objet d'un large accord.
Je rappellerai en effet que le Sénat avait ratifié, dès le 28 mai dernier, madame la ministre, votre proposition de créer une autorité administrative indépendante chargée de contribuer à la prévention du dopage et d'assurer, dans le respect des prérogatives des fédérations, l'indispensable régulation des actions de lutte contre le dopage. Comme l'avait noté le rapporteur du Sénat en première lecture, ce choix comporte « un élément de pari ». Nous espérons tous, madame la ministre, que ce pari sera gagné.
Nous avions aussi approuvé sans restriction les dispositions du volet pénal du projet de loi, qui précisent et complètent la définition du délit de fourniture de produits dopants et qui en renforcent la sanction.
L'adoption définitive du projet de loi, qui avait été déposé le 5 mai 1998 sur le bureau de notre assemblée, aura pris près d'une année. C'est un peu long, alors que le Sénat - vous me permettrez, madame la ministre, de le souligner - a pour sa part dû se prononcer, en première comme en deuxième lecture, dans des délais très brefs, voire trop brefs.
Cela ne nous a pas empêchés - je le crois du moins - de travailler avec beaucoup de sérieux et dans le souci de parvenir à des solutions réalistes et efficaces.
Ce que nous souhaitons aujourd'hui - et c'est un souhait que vous partagez sûrement - c'est que la nouvelle loi soit très rapidement mise en oeuvre. Cela suppose, bien sûr, une prompte parution des textes d'application. Cela suppose aussi que vous disposiez des moyens nécessaires pour développer les contrôles, généraliser rapidement le suivi médical des sportifs de haut niveau, organiser un réseau opérationnel d'antennes médicales.
Le Sénat porte traditionnellement une grande attention à l'application des lois qu'il a votées : vous pouvez donc, madame la ministre, être assurée de notre vigilance et de notre soutien à cet égard.
Nous vous soutiendrons aussi dans l'action que vous avez entreprise pour promouvoir, à l'échelon européen et international, une véritable prise de conscience du problème du dopage et des moyens à mettre en oeuvre pour le résoudre.
Nous n'avons pas attendu, mes chers collègues, les malheureux événements de l'été dernier pour manifester de manière unanime notre volonté de restaurer les valeurs du sport.
Je vous demande aujourd'hui, mes chers collègues, en adoptant les conclusions de la commission mixte paritaire, de renouveler l'expression de cette volonté. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici arrivés au terme du travail parlementaire, entamé par votre assemblée en mai 1998, sur le projet de loi visant à protéger la santé des sportifs et l'éthique du sport.
Ce travail a été d'une très grande qualité. Il s'est déroulé dans un esprit constructif, responsable et il a véritablement permis d'enrichir les propositions du Gouvernement.
Je tiens à en remercier tout particulièrement les membres de la commission, son rapporteur et son président.
Je veux également relever comme essentiel le fait, que, au-delà de nos différentes sensibilités, un accord profond se soit dégagé autour d'un engagement associant étroitement un enjeu de santé publique et les valeurs dont le sport doit être porteur.
J'ai la conviction que l'unanimité des deux assemblées, qui s'est retrouvée au sein de la commission mixte paritaire, n'est pas simplement de circonstance. Ce rassemblement de la représentation nationale est réellement à l'image de l'attachement des Françaises et des Français à une certaine idée du sport.
Le sport doit être une source d'épanouissement, non d'asservissement, un moyen de liberté, non de dépendance, une porte ouverte sur la citoyenneté, non une école de la tricherie.
J'ajoute que, dans le contexte d'une lutte contre le dopage qui a pris une nouvelle dimension européenne et internationale, le fait que la France parle d'une seule voix compte énormément.
Certes, nous nous garderons bien de donner à la nouvelle loi une valeur de modèle applicable à d'autres pays. Cependant, je crois que nous devons bien mesurer à quel point la démarche de la France a permis d'aboutir à une position commune des quinze pays de l'Union européenne.
C'est avec la même détermination que la France contribue au travail engagé en vue d'aboutir à la mise en place d'une agence internationale contre le dopage indépendante et transparente.
Nous avons soumis aux membres de l'Union européenne des propositions concernant cette agence. Elles sont actuellement examinées. Je pense que nous pourrons ensemble formuler des suggestions auprès du Comité international olympique.
Ce travail complémentaire des Etats et du mouvement sportif est essentiel.
Je veux d'ailleurs souligner le rôle remarquable joué par le mouvement sportif français. Je pense, par exemple, aux relayeurs - et je tiens à leur rendre hommage - qui ont porté la flamme d'un sport net, de Paris jusqu'à la conférence de Lausanne, sur l'initiative du Comité national olympique français et de nombreuses fédérations.
Plus généralement, il faut saluer l'engagement du Comité national olympique français, dont témoigne notamment la mise en place de l'Agence de prévention contre le dopage.
Cette mobilisation, qui est une nouveauté, est significative de la prise de conscience de la gravité du fléau et de la nécessité d'agir ensemble.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, une dynamique s'est créée.
Non, ce mouvement n'isole pas la France.
Non, et j'y insiste, cette lutte contre le dopage ne se traduit pas par un recul des résultats de la France dans les compétitions internationales. C'est le refus d'un combat éthique qui aurait été pénalisant et nous aurait fait reculer.
Nous avons, vous avez fait un autre choix : un choix de société, car le sport est bien un élément constitutif d'une culture, d'une identité, d'un humanisme.
A travers ses principales orientations et innovations, le projet de loi issu de vos travaux s'inscrit dans une vision avant tout humaine du sport.
Vous avez fait le choix de la priorité absolue accordée à la prévention. La place de la santé et de la médecine est revalorisée, dans le respect du secret médical et des rapports de confiance entre un sportif et son médecin ; je suis convaincue que l'application du dispositif permettra de dissiper toutes craintes à ce sujet.
Vous avez fait le choix d'une lutte sans concession contre ceux qui organisent le dopage, qui en tirent profit, et qui sont restés trop longtemps impunis.
Vous avez fait le choix de la transparence et de l'efficacité en donnant au Conseil national de lutte contre le dopage un statut d'autorité indépendante et de véritables pouvoirs.
Cette loi, nous devons en effet, monsieur le rapporteur, la mettre en oeuvre sans tarder. Soyez persuadé que le ministère de la jeunesse et des sports y consacrera des moyens budgétaires supplémentaires, prendra très rapidement les décrets d'application et mettra en place le conseil indépendant ; je souhaite d'ailleurs que celui-ci soit installé avant les vacances d'été.
Je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, pouvoir compter sur votre vigilance mais également sur votre soutien.
Nous savons cependant que, si cette nouvelle loi est indispensable, elle ne suffira évidemment pas.
Les dérives qui guettent l'éthique du sport ne se résument pas, hélas ! au dopage. Les menaces qui pèsent sur cette humanité du sport que j'évoquais sont multiples.
Il y a réellement de quoi être inquiet et alarmé quand s'organise un commerce sur des jeunes sportifs professionnels de dix à quinze ans, quand certains clubs, parmi les plus prestigieux du patrimoine sportif européen, sont à la merci d'une opération boursière, quand se dessine peut-être la perspective d'un match entre deux filiales d'un même groupe, quand les clubs les plus riches du moment espèrent trouver leur salut dans la disparition des clubs moins fortunés, ou quand certains transferts atteignent des montants qui ne correspondent à aucune réalité économique.
Ces menaces sont autant de défis que le Gouvernement a la volonté de relever, avec les acteurs et les actrices du sport, y compris à l'échelon de l'Union européenne, comme en a décidé le Conseil des ministres du 3 mars dernier.
Le projet de loi sur le sport que je souhaite vous présenter dans les mois qui viennent portera cette ambition. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. La France, avec ce projet de loi, et grâce à votre opiniâtreté, madame la ministre, à votre sens de l'écoute et de la décision, se dote d'une législation hautement nécessaire pour développer la protection de la santé des sportifs et lutter contre le dopage.
Ce texte place notre pays en pointe sur un sujet qui, par essence, est international.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen se réjouissent de cette indéniable avancée.
Il restera à transcrire cette nouvelle loi dans les actes, et cela le plus rapidement possible, tant sont grands les dégâts constatés dans le monde sportif, mais aussi dans la perception du sport par l'opinion publique.
Cette action rapide et pugnace, en même temps que concertée, doit bien entendu être respectueuse de la présomption d'innocence et des droits de la défense.
S'agissant de l'application de ce texte, nous souhaitons que l'examen médical préalable à la délivrance de la licence sportive soit pris en charge par la caisse d'assurance maladie, et ce dès le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.
A l'avenir, il sera également nécessaire de veiller à l'augmentation des moyens consacrés à la médecine du sport ; je pense notamment à son développement au sein des centres de santé.
L'intervention de l'éducation nationale doit être également sollicitée. L'information et la prévention doivent se développer au sein de l'école.
Je l'ai indiqué d'emblée, la question du dopage est internationale. Nous comptons sur vous, madame la ministre, pour impulser cette prise de conscience au-delà de nos frontières.
Nous approuvons pleinement votre action, qui a abouti à la conférence mondiale de Lausanne réunie le 2 février dernier. Il s'agit d'un pas important dans la prise de conscience internationale.
Le chemin est encore long et j'espère que, dès la prochaine conférence internationale prévue au printemps, les gouvernements européens pourront engager une harmonisation des législations nationales.
Nous espérons que cette concertation internationale aboutira notamment à la création d'une antenne internationale de lutte contre le dopage.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront donc le texte de la commission mixte paritaire, qui fait suite à un travail parlementaire d'une rare qualité, que mon amie Hélène Luc, qui intervient habituellement au nom de notre groupe sur cette question, se serait certainement plu à souligner. Le travail accompli sur ce texte a été nourri par un échange permanent et productif avec le Gouvernement ; cela méritait d'être souligné. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Avant que nous abordions l'examen des articles, je voudrais faire observer que c'est sur le bureau du Sénat que ce texte a d'abord été déposé et que, depuis le début de cette session, c'est la première fois qu'une commission mixte paritaire parvient à un accord.
Madame le ministre, ne faut-il pas voir là un signe ? Peut-être devriez-vous inciter vos collègues à soumettre plus souvent les projets de loi d'abord au Sénat ? (Sourires.) Ils seront ainsi mieux à même d'apprécier la qualité de l'apport de notre assemblée dans l'élaboration des textes de loi.
Nous passons maintenant à la discussion des articles.
Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu'il examine après l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
Je donne lecture du texte de la commission mixte paritaire :