Séance du 10 mars 1999






RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Hubert Haenel. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, mes chers collègues, au sein de la Cour de justice de la République, les juges parlementaires sont soumis, comme tous les magistrats professionnels et les jurés de cour d'assises, au strict respect du secret absolu du délibéré.
En application de l'article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993, les juges parlementaires prêtent serment devant l'assemblée qui les a désignés : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes, et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »
Le président de la Cour l'a solennellement rappelé lors de la dernière audience, le 26 février dernier : « Les quinze juges qui participent au délibéré sont tenus au secret le plus rigoureux, y compris les greffiers et les fonctionnaires assistant les juges. »
Les seules mentions concernant la majorité qui s'est prononcée en faveur de l'arrêt rendu hier, et figurant à la page 12 de la décision sont les suivantes : « Il a été voté par bulletin secret à la majorité absolue. » Puis, plus loin : « A la majorité absolue de huit voix au moins, il a été répondu négativement pour deux des prévenus » et « A la majorité de huit voix au moins, il a été répondu par l'affirmative pour le troisième prévenu ».
Depuis hier onze heures, parfois avant même que l'arrêt ne soit rendu public, à la suite d'indiscrétions, sans doute pour se disculper, se désolidariser, sous le couvert de l'anonymat, certains membres de la Cour ont, si l'on en croit la presse, révélé des parties entières du délibéré et du vote couverts par le secret absolu.
Les commentaires de la presse, tant audiovisuelle qu'écrite, indiquent dans quel sens tel ou tel membre de la Cour a voté. L'un ou l'autre membre de la Cour a même commenté et justifié publiquement l'arrêt rendu.
Monsieur le président, mes chers collègues, les juges sont ainsi, et de plus en plus, pesés, répertoriés, catalogués, soupçonnés et, bien sûr, déconsidérés.
On peut s'étonner et s'inquiéter de ces graves manquements, s'étonner et s'inquiéter que des membres d'une des plus hautes juridictions de la République aient pu ainsi trahir le secret des délibérés, alors que, à ma connaissance, de simples citoyens tirés au sort comme jurés d'assises ont depuis des décennies, à une ou deux exceptions près, respecté systématiquement le serment prêté et le secret absolu auquel ils sont tenus.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Hubert Haenel. La décision rendue dans cette ambiance par la Cour de justice de la République prouve à quel point cette juridiction est politique et qu'elle est devenue, de fait, une juridiction d'exception.
Dorénavant, mes chers collègues, nous serons très mal placés et malvenus de nous étonner, de dénoncer même la violation du secret de l'instruction lorsqu'elle concerne un personnage politique, violation imputée, le plus souvent à tort d'ailleurs, à certains juges d'instruction, alors même que le secret de l'instruction, chacun le sait, n'est pas opposable à tout le monde, notamment pas au prévenu et à son avocat.
En conclusion, monsieur le président, dans cette affaire, le discrédit qui pèse sur la classe politique rejoint celui qui pèse déjà sur la justice et l'amplifie.
Tristes temps ! Pauvre République ! Pauvres prévenus ! Pauvres victimes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je suis d'accord avec le début !
M. le président. Monsieur Haenel, acte vous est donné de ce rappel au règlement.

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