Séance du 6 avril 1999






RENFORCEMENT ET SIMPLIFICATION
DE LA COOPÉRATION INTERCOMMUNALE

Suite de la discussion
d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 220, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale. (Rapport n° 281 [1998-1999] et avis n° 283 [1998-1999]).
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Haut.
M. Claude Haut. Le texte de loi présenté aujourd'hui devant la Haute Assemblée s'inscrit tout à la fois dans la recherche d'une meilleure structuration administrative et territoriale de notre pays, engagée dès 1992 par vos prédécesseurs, monsieur le ministre, et dans la recherche d'une véritable culture intercommunale, qui ne demande qu'à s'épanouir pour peu qu'on lui en donne les moyens.
« Une civilisation de la ville se cherche », déclariez-vous, monsieur le ministre, lors de la présentation, le 4 février dernier, de ce même texte devant l'Assemblée nationale. De fait, on ne peut que se réjouir de retrouver dans vos propos cette exigence d'un plus grand volontarisme dans la lutte contre les inégalités spatiales et contre l'exclusion. En ce sens, votre diagnostic s'avère juste et justifie pleinement la rédaction d'une nouvelle loi réaffirmant les principes de l'intercommunalité dans notre pays en leur donnant une impulsion nouvelle.
Vous avez eu pleinement raison d'inscrire votre démarche dans la droite ligne de la loi du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République, en proposant une loi de dynamisation territoriale et de simplification intercommunale.
L'intercommunalité fonctionne - c'est un fait - et elle se développe rapidement dans nos régions et nos départements. La communauté de communes, créée par la loi de 1992, est aujourd'hui une forme largement privilégiée par les élus, comme l'ont rappelé fort justement les différents orateurs qui se sont déjà exprimés dans la discussion générale.
Vous souhaitez introduire plus de démocratie et de transparence dans le fonctionnement des structures intercommunales. Cela répond à une demande constante des habitants et des élus et s'inscrit dans la voie tracée par le Gouvernement de rénovation de la vie politique et publique. On ne peut que vous approuver chaudement dans cette démarche et vous encourager à y persister.
D'un point de vue plus technique, devant le manque de succès des communautés de villes, ce texte vise à leur suppression et à leur remplacement par des communautés d'agglomération à partir de 50 000 habitants autour d'une ville-centre de plus de 15 000 habitants.
Ce dispositif, s'il apporte effectivement une réponse crédible à l'inefficacité des communautés de villes, se heurte pourtant à la difficulté à déterminer des seuils, qui peuvent toujours - vous vous en doutez, monsieur le ministre - prêter à discussion.
Ainsi, je souhaitais, en tant que maire d'une petite ville, d'un bourg-centre, attirer votre attention sur certains risques contre lesquels il conviendrait de se prémunir.
C'est un fait reconnu et incontestable : la coopération intercommunale s'est beaucoup mieux développée en milieu rural et dans nos petites villes que dans les grandes zones urbaines. Le projet de loi prend acte de cette situation en instituant une forme de « bonus » de 250 francs par habitant de dotation globale de fonctionnement, la DGF, pour les communautés d'agglomération ainsi créées avec un système de taxe professionnelle unique.
Pour autant, monsieur le ministre, avez-vous suffisamment bien analysé les évolutions contrastées de notre territoire ces dernières années ?
Trop souvent encore, ici et là, l'accent est mis sur l'opposition « villes-campagnes ». C'est ignorer, à mon sens, la forte croissance - toutes les enquêtes de l'INSEE le montrent - du territoire périurbain ou rurbain.
De nombreuses petites villes comptant, par exemple, de 8 000 à 15 000 habitants seront exclues de ce dispositif. Pourtant, elles exercent bien souvent aussi des fonctions urbaines et sont, dans bien des cas, des pôles d'animation économique de leur territoire, disposant de charges de centralité plus élevées que les petites communes environnantes.
Vous aviez parlé, monsieur le ministre, lors de votre venue à Saverne, en 1997, en clôture des assises de l'Association des petites villes de France, au sujet de ces mêmes petites villes, de leur « force tranquille ». Mais pour qu'elles conservent cette force, il ne faut pas les oublier ; il faut, tout au contraire, les conforter en tant que pôles de dynamisation et d'équilibre de notre territoire. Il convient donc de favoriser, pour cette strate de villes, le développement de communautés de communes à taxe professionnelle unique, afin d'y renforcer la dimention citoyenne, mais aussi d'y mettre en pratique une véritable intercommunalité de gestion et de projets.
Je sais, monsieur le ministre, que vous avez accepté plusieurs amendements de la majorité de l'Assemblée nationale visant à accorder une première majoration de DGF aux communautés de communes qui opteraient pour la taxe professionnelle unique, et je vous rappelle que ces dernières n'ont, jusqu'à présent, fait que très minoritairement ce choix.
A mes yeux, il n'existe aucune différence de nature entre les communautés de communes et les communautés d'agglomération. Il n'y a donc pas lieu de pénaliser les premières. C'est pourquoi une légère augmentation supplémentaire de la DGF des communautés de communes paraît souhaitable pour maintenir un équilibre avec les communautés d'agglomération.
Monsieur le ministre, comme vous l'avez souhaité dans ce texte, nous avons le désir commun d'aller plus loin pour promouvoir une véritable intercommunalité de projet, notamment dans les villes fortement urbanisées qui concentrent la plupart des déséquilibres. Pour autant, il ne faudrait pas oublier le reste du territoire qu'il importe de continuer à aménager et à dynamiser.
Ce texte va constituer - j'en suis persuadé - une véritable avancée dans l'histoire de la décentralisation, pour autant que le terme d' « organisation urbaine » soit pris dans son acception la plus large possible. C'est là que réside la clé du succès de son application.
Il nous faudra ensuite, monsieur le ministre, aborder la deuxième phase du projet de réorganisation territoriale, en remettant à plat les lois de décentralisation et de transfert de compétences et en achevant ainsi leur processus de développement.
Soyez certain, monsieur le ministre, que nous vous soutiendrons hardiment dans cette entreprise. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Delevoye.
M. Jean-Paul Delevoye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à féliciter MM. Daniel Hoeffel et Michel Mercier de la qualité de leur travail. Je me permettrai de formuler quelques observations que ce texte m'inspire.
Monsieur le ministre, aujourd'hui, personne ne peut contester que l'intercommunalité est une nécessité sur le plan économique et sur le plan de la dynamique de développement des territoires, de même que personne ne peut nier que la commune est une réalité culturelle incontournable. Que nous le regrettions ou non, la mondialisation impose ou exige les deux dimensions, en mettant en compétition les deux territoires et en renforçant les identités locales.
Comment concilier ces deux exigences ? Il faut éviter que l'intercommunalité ne soit un objectif, une finalité, une solution à tous les problèmes et ne pas être tenté, parce qu'elle ne fonctionne pas en milieu urbain, d'apporter des réponses, comme s'il fallait absolument l'intercommunalité pour l'intercommunalité. L'intercommunalité n'est, en effet, que la conclusion d'un raisonnement et le soutien juridique le mieux approprié d'un projet de développement.
Je partage totalement, à cet égard, l'analyse de la commission des lois. Je me suis beaucoup interrogé sur la raison de l'approche démographique adoptée dans le projet de loi en vue de distinguer ce qui est urbain de ce qui ne l'est pas, alors que la dynamique des territoires est fonction non pas forcément du nombre d'habitants, mais plutôt de la localisation d'activités, ce qui constitue une donnée totalement différente.
Notre organisation rurale a vu l'émergence de bourgs centres ; puis l'industrialisation a entraîné l'apparition de villes minières. On peut donc imaginer - on voit déjà cette inversion des choses - que, demain, l'économie tertiaire ou quaternaire ou s'installera soit à la phériphérie des villes, soit, quelquefois, dans des lieux totalement différents. On voit d'ailleurs bien que le tourisme nécessite parfois des investissements de grande nature, tels Disneyland ou le Futuroscope, qui n'ont pas lieu forcément dans des territoires à caractère urbain.
Voilà pourquoi j'aurais préféré, comme l'a d'ailleurs proposé M. Daniel Hoeffel, qu'il puisse y avoir deux types de structures : des communautés urbaines et des communautés de communes, avec une intégration progressive de compétences, de fiscalité. Vous auriez ainsi évité les effets de seuil entre 250 francs et 150 francs, et des risques, demain, de rivalité, chacun se battant pour un habitant valant 100 francs de plus. Vous auriez pu, en même temps, favoriser la mutualisation des charges et non pas uniquement la mutualisation des ressources ; cette dernière, angle d'attaque de la taxe professionnelle unique, la TPU, ne vaut rien, en effet, s'il n'y a pas en même temps la mutualisation des charges que réclament souvent, à juste raison, les villes, au nom des charges dites de centralité. Si la TPU permet de réduire les concurrences intracommunales - vous avez mille fois raison à cet égard - elle ne sous-entend pas l'unicité des territoires, et vous ne ferez pas disparaître les différences de potientialité de développement des territoires.
Il eût été intéressant de mettre en place, comme le proposait la commission des lois, de formidables efforts d'accompagnement de ces potentialités et, en même temps, de créer des mécanismes de solidarité en partageant les charges et les ressources, avec peut-être de nouvelles compétences non prévues par la loi de décentralisation, telles que le sport, la culture. La DGF aurait pu accompagner cet extraordinaire effort d'intégration et de solidarité.
Nous aurions mis en place un mouvement infra-communal et intercommunal qui aurait pu permettre un accompagnement progressif de cette montée en charge de l'intercommunalité, y compris au niveau urbain, plutôt qu'une approche statique qui aboutit à ce que, notamment depuis les lois de 1992, le vrai problème se posant soit l'intercommunalité de l'intercommunalité. En effet, on a créé dans la précipitation des communautés de communes dont on s'aperçoit aujourd'hui qu'elles ne correspondent pas tout à fait au développement des territoires, et l'on réfléchit donc à une évolution des structures ; nous nous trouvons par conséquent confrontés à des aspects juridiques aujourd'hui insurmontables. Telle est ma première observation.
J'en viens à ma deuxième observation : monsieur le ministre, nous comptons sur vous pour qu'il y ait une cohérence entre les contrats de plan, les fonds européens, l'aménagement du territoire, l'intercommunalité, l'organisation de l'Etat.
J'en donne un seul exemple : le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit que les communautés urbaines pourront participer à l'élaboration des contrats de plan, alors que la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire dispose que les collectivités ne participent en aucun cas à cette élaboration. Il faudra donc une formidable cohérence de tous les dispositifs de l'Etat de façon que la contractualisation, qui est au coeur même de tous nos débats, soit aujourd'hui pleinement réalisée.
Il nous faut enfin - c'est ma troisième observation - réfléchir à la bonne intercommunalité, cette dernière étant celle qui rationalise ses coûts de fonctionnement et qui développe ses capacités d'investissement soit en faisant des économies d'échelle, soit en se dotant d'une ingénierie qui, aujourd'hui, fait quelquefois défaut, notamment en milieu rural.
A ce titre, l'examen des tableaux - je parle sous le contrôle de M. Jean-Pierre Fourcade, président du comité des finances locales - montre que la relation entre les investissements et la TPU est nettement inférieure à la relation entre les investissements et la fiscalité additionnelle, tout simplement parce que le levier fiscal est aujourd'hui plus élevé.
Je ne suis pas d'accord avec l'intervenant précédent pour dire que les communautés de villes sont inefficaces. Elles sont efficaces. Elles ont quelquefois été asphyxiées par des mécaniques de ressources insuffisantes par rapport à leurs objectifs.
Je souhaite attirer votre attention sur les aspects financiers, monsieur le ministre, et vous poser une question à cet égard. On parle aujourd'hui de taxe professionnelle unique. Pouvez-vous prendre l'engagement, ici, qu'elle ne va pas disparaître ? J'ai la conviction, pour ma part, qu'elle va disparaître. En effet, je ne vois pas comment, après avoir fait disparaître la part sur les salaires, vous ne ferez pas disparaître la part sur les investissements. Demain, nous assisterons à la transformation de la taxe professionnelle unique en une dotation unique qui modifiera complètement les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales.
Par ailleurs, en 2004, la DGF va devoir être complètement refondue pour intégrer les 60 milliards de francs de la part salaires de la taxe professionnelle. Quid des relations entre ces nouvelles structures intercommunales, les structures communales et l'Etat ? Vous nous proposez une DGF qui sera financée pour 500 millions de francs par l'Etat et pour 2,2 milliards ou 2,5 milliards de francs, comme le disait M. Michel Mercier, par la dotation de compensation de la taxe professionnelle.
Je suis une fois de plus étonné que l'Etat ne respecte pas ses engagements envers les collectivités locales. L'Etat supprime ou allège la taxe professionnelle lorsque, sur un plan macro-économique, il estime que le poids de la taxe professionnelle sur les entreprises est trop élevé, et il prend l'engagement de rembourser les collectivités locales afin qu'elles n'en subissent pas de préjudice.
Mais, immédiatement après, il ne respecte pas ses engagements et il prélève sur la dotation de compensation de la taxe professionnelle de quoi financer l'intercommunalité ! Cela signifie que, aujourd'hui, compte tenu du financement par la DGF de la solidarité rurale, de la solidarité urbaine, de l'intercommunalité et du fonctionnement de la commune, l'intercommunalité est financée non par l'Etat, mais par les communes !
Nous allons donc non plus vers une intercommunalité d'aubaine, mais vers une intercommunalité de sauvegarde, dans la mesure où les communes, asphyxiées sur le plan financier, chercheront dans l'intercommunalité de quoi, demain, assumer leurs responsabilités. Je crains que, là aussi, cette mise sous tutelle des collectivités territoriales ne serve pas l'intérêt de la dynamique locale.
Enfin, s'agissant de la démocratie, je dis « non » à la désignation des élus des structures intercommunales au suffrage universel. Il serait complètement aberrant d'instituer demain une lutte politique d'opposition entre l'intérêt de la commune et celui de l'intercommunalité.
Par ailleurs, je dis « non » à l'autorité sans contrepartie d'un préfet qui désignerait d'un coup de baguette magique ce qui est bon ou ce qui ne l'est pas. C'est comme si, demain, vous vouliez dessiner le paysage économique en décidant quels sont les GIE qu'il faut mettre en place ou quelles sont les fusions d'entreprises qu'il faut faire. Ce sont les actionnaires du GIE ou les conseils municipaux qui doivent décider et s'exprimer sur leur volonté de réussir ensemble !
En revanche, je dis « oui » aux débats, « oui » aux comptes consolidés, « oui » à l'information de la population sur les réalités intercommunales.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'intercommunalité, c'est une culture, c'est une volonté, cela ne peut pas être une contrainte. C'est une volonté de réunir des atouts, mais aussi de partager le poids des fardeaux. C'est un moyen de développer les territoires, mais cela ne peut pas être le refuge des impasses budgétaires. C'est un moyen d'efficacité, mais aussi de renforcement des identités.
Nous vous y aiderons, monsieur le ministre, si cet esprit est respecté, mais le débat sur l'intercommunalité ne doit pas occulter l'autre débat, celui de la nécessaire réorganisation de l'Etat, de la nécessaire simplification des procédures. Il faut éviter que les impasses budgétaires de l'Etat se retouvent sur les épaules des collectivités territoriales. Les plus belles locomotives ne peuvent plus avancer si on leur supprime le carburant ! (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel. Ou l'électricité !
M. le président. La parole est à M. Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, dont nous venons d'achever l'examen voilà quelques minutes dans cet hémicycle, affirmait avec force les notions de territoire, de projet, de contrat. Le texte que nous allons examiner vient le compléter utilement, puisqu'il aborde la définition des acteurs et des institutions qui le mettront en oeuvre.
Cependant, je voudrais rappeler que nos 36 000 commune sont l'originalité et la richesse de notre République. Elles sont le garant de notre démocratie. Chaque commune a une histoire, une culture, une authenticité, un enracinement républicain qui forgent l'identité de celles et ceux qui y vivent.
C'est cette identification que, de génération en génération d'élus républicains, nous avons toujours soutenue, pour le plus grand bien de notre pays et de nos concitoyens.
La preuve en est, s'il en était besoin, que, depuis des années, les structures de coopération intercommunale se sont multipliées sans jamais se substituer à la commune, montrant ainsi notre réel attachement à cette cellule de base institutionnelle qui s'administre librement et qui doit rester libre de ses choix.
Ce projet de loi a donc pour ambition de simplifier et de renforcer la coopération intercommunale.
Il fallait la simplifier, parce qu'il est vrai qu'aujourd'hui chacun a beaucoup de mal à se retrouver dans cette forêt qui part des SIVOM en passant par les SIVU pour aboutir aux syndicats mixtes, aux communautés urbaines, aux communes, aux villes, aux districts, aux associations de communes, sans oublier la dernière création, le pays. Et la liste n'est certainement pas exhaustive ! Peut-être les experts s'y retrouvent-ils ?
La démocratie ne peut pas et ne doit pas être uniquement l'affaire de quelques technocrates expérimentés ou de quelques experts avertis. C'est la clarté et la transparence qui nourrissent et entretiennent la démocratie !
Il fallait aussi renforcer la coopération intercommunale, parce que nos collectivités devront bénéficier d'outils et de structures adaptés pour pouvoir réagir aux enjeux du siècle prochain, auxquels elles sont déjà chaque jour confrontées : l'environnement, l'intégration, la lutte contre l'exclusion sociale, la délinquance, la sécurité, le logement, les transports, l'emploi, la gestion de l'eau, des déchets, la culture...
Nous sommes conscients que nos communes ne peuvent plus répondre seules aux défis que nous devrons relever pour assurer une réelle qualité de vie à nos concitoyens et aux générations futures.
Ce projet de loi, monsieur le ministre, est certes le bienvenu, mais il suscite encore des interrogations, voire quelques inquiétudes.
Tout d'abord, des communes sont préoccupées par la disparition des districts ou des communautés de villes, notamment par l'aspect systématique de leur transformation en communautés d'agglomération ou de communes. Elles s'interrogent : est-il possible, juridiquement, de laisser aux seuls membres du conseil de communauté ou de district la possibilité de décider pour les communes, alors même que l'adhésion de celles-ci à un établissement public s'est faite sur des compétences précises, hormis, justement, celle d'autoriser cet établissement à se transformer en une nouvelle structure ?
Ne pensez-vous pas, au contraire, que le district ou la communauté de villes n'a pas vocation à agir de son propre chef, et que la décision finale incombe uniquement aux communes qui sont à l'origine de la définition des délégations ?
Enfin, par ce projet de loi, le Gouvernement propose d'organiser les agglomérations afin de rationaliser, d'optimiser la dépense et la recette publiques pour mieux équilibrer, mieux répartir les richesses, mais aussi les difficultés.
Cependant, il faudra veiller à ne pas construire une machine administrative qui génère de l'anonymat politique, qui éloigne encore plus le citoyen de la décision politique et de la vie démocratique, car nous savons qu'il est impératif de rapprocher le pouvoir de décision des concitoyens pour leur apporter les réponses le plus adaptées possible à leurs besoins.
Ne faudrait-il donc pas envisager de déconcentrer et de décentraliser la gestion des grandes villes de plus de 300 000 habitants en créant des conseils de quartier ou d'arrondissement élus, sans toutefois remettre en cause l'unité territoriale de ces communes ? De tels conseils permettraient d'établir entre les élus et les administrés des liens étroits, nécessaires à la bonne marche d'une vie en communauté.
J'ajoute que cette interrogation fait suite au rapport de M. Jean-Pierre Sueur, qui, lui-même, dans le cadre de la politique de la ville, préconisait la mise en place de conseils de quartier.
Les récents événements du Mirail, à Toulouse, nous ont démontré que la politique municipale ne pouvait pas seulement se décider au centre de la ville, qu'il fallait, de façon urgente, que les populations de ces quartiers prennent elles-mêmes en charge leur destin et que l'on débatte avec elles des projets et de l'avenir de leur quartier, qui doivent s'inscrire dans la politique de leur ville.
N'oublions pas que nous avons affaire à des quartiers où les populations rassemblées sont aussi importantes que celles des grandes villes de ce pays ! Par conséquent, il est nécessaire d'en tenir compte dans toute prise de décision qui concerne l'avenir et la vie de la ville.
Voilà, monsieur le ministre, les interrogations qui sont les nôtres. Mais je vous assure du soutien du groupe socialiste sur ce projet de loi, auquel nous apporterons notre contribution, et qui devrait donner un souffle nouveau à la décentralisation. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici enfin le débat tant attendu sur l'intercommunalité. En son temps, M. Perben l'avait préparé ; aujourd'hui, monsieur le ministre, vous venez nous présenter votre projet.
Incontestablement, ce texte était nécessaire, car il était temps de dresser le bilan des forces et des faiblesses de la première loi sur l'intercommunalité et d'en tirer les conséquences.
Mais pourquoi a-t-il fallu que vous demandiez l'urgence et que ce texte soit d'abord soumis à l'Assemblée nationale, alors que le Sénat, Grand conseil des communes de France, est, sur un texte de cette nature, l'interlocuteur particulièrement légitime et qualifié ?
Mais venons-en à l'essentiel, c'est-à-dire au fond du débat.
Je l'aborde avec la double expérience que me donnent mes fonctions de rapporteur général de la commission de coopération intercommunale du département du Nord et de président d'une communauté de villes, celle de Cambrai, la première créée en France dès décembre 1992, un peu avant celle de La Rochelle, voulue par le regretté Michel Crépeau.
Partons du bilan : il est important quant au nombre des intercommunalités constituées, même si celles-ci sont inégalement réparties sur le territoire national. Il comprend des réussites incontestables, mais il révèle aussi des faiblesses. La raison doit d'abord en être imputée à la loi de 1992.
En édictant l'obligation de se mettre en intercommunalité tout en laissant six mois aux communes pour choisir des formes de coopération avant de pouvoir être contraintes, la loi avait mis la charrue devant les boeufs. On a ainsi favorisé l'intercommunalité de proximité politique - ou simplement amicale - des élus, au détriment de regroupements dictés par la solidarité de vie de la population.
C'est ainsi que l'on trouve actuellement des formes d'intercommunalité non adaptées à la nature de leur territoire, par exemple des districts en zone rurale, des territoires non pertinents ou des holdings de DGF dépourvus de véritables projets ou motivés essentiellement par un réflexe défensif.
Comment corriger ces erreurs ? Il faut faire reprendre le débat sur le terrain et au sein des commissions de coopération intercommunale, et il faut utiliser l'incitation financière.
Il n'y a pas seulement trois catégories d'intercommunalité - les communautés de communes, les communautés d'agglomération et les communautés urbaines -, il y également celles qui sont constituées autour d'un projet et celles qui en sont dépourvues, et elles ne méritent évidemment pas le même traitement.
Si l'égalité de traitement est ici légitime, c'est qu'il faut persuader, inciter et éviter, si possible, de contraindre, car l'intercommunalité ne trouvera sa véritable légitimité que si elle est comprise et acceptée par la population.
L'information doit circuler, la gestion doit être transparente et la légitimité continue à procéder des communes, dont les conseils sont élus au suffrage universel direct et qui choisissent de déléguer certaines de leurs compétences.
Je voudrais ici faire une observation importante. Si un conseil municipal est dans son rôle en décidant de transferts de compétences au profit d'une intercommunalité, il n'a pas, semble-t-il, le droit de mettre un terme à l'existence même de la commune qu'il a reçu mandat d'administrer en décidant souverainement d'une fusion. Cette décision, qui met un terme à l'existence d'une entité multiséculaire, doit être soumise à l'appréciation des électeurs. Je déposerai un amendement sur ce point.
Permettez-moi maintenant de rendre hommage à une forme d'intercommunalité qui va disparaître : la communauté de villes. J'ai entendu dire ici qu'elle était un échec. Mais non, mes chers collègues ! C'était, en 1992, une formule courageuse et novatrice. Elle était courageusement novatrice car elle obligeait les communes à mettre en commun la taxe professionnelle, souvent leur principale ressource, et à en unifier le taux. Ainsi se trouvaient mutualisés les risques et les profits. Ainsi était-il mis un terme, sur un territoire donné, à la sourde lutte traditionnelle que nous connaissons tous entre la ville-centre et sa périphérie pour l'implantation des entreprises et des grandes surfaces. A la concurrence pouvait succéder la réflexion d'aménagement avec bénéfices partagés.
J'ai expérimenté la taxe professionnelle unique. Je crois pouvoir dire que c'est une bonne formule, une formule d'avenir. Elle a d'ailleurs deux autres vertus souvent ignorées, monsieur le ministre. D'une part, elle protège le contribuable contre le trop facile empilement des lignes de contribution ; d'autre part, elle attire le rural proche, souvent démuni de ressources importantes de taxe professionnelle, et permet alors d'organiser la zone dite « rurbaine », où des urbains vivent dans les villages.
C'est ainsi, par exemple, que, sur les dix-sept communes de la communauté de villes de Cambrai, on compte dix communes rurales de moins de 500 habitants. Nous ne les attendions pas, elles ont tenu à venir parce qu'elles pensaient pouvoir ainsi mieux organiser la « rurbanité ».
Parce que cette forme nouvelle nous semblait pertinente, nous avions, quand il en était temps, renoncé à opter éventuellement pour la constitution en communauté urbaine. Allons-nous maintenant être victimes du choix novateur que nous avions fait en nous voyant, pour des raisons d'ordre démographique, privés du droit de devenir éventuellement une communauté urbaine à taxe professionnelle unique ?
Permettez aux communautés de villes, monsieur le ministre, de pouvoir choisir, sans considération de strate démographique, entre la communauté d'agglomération et la communauté urbaine. Elles ne sont que cinq et elles le méritent bien.
Monsieur le ministre, je terminerai par une interrogation sur ce fameux seuil démographique des communautés urbaines.
Il fallait 20 000 habitants, il en faudra 500 000. Ces deux chiffres sont déraisonnables. Ici, ce n'est plus vous, ce n'est plus nous qui aménageons le territoire, c'est Bercy qui organise la pénurie !
Il vous faut accepter d'abaisser ce seuil bien en dessous, car bien en dessous on est encore dans le monde de l'urbain, avec ses fractures, ses besoins, ses espoirs.
Hier, nous débattions confusément de l'aménagement du territoire, ce grand thème, hélas ! livré aux idéologues abscons.
Aujourd'hui, des élus nationaux, qui sont aussi des élus locaux, cherchent avec passion à sauvegarder nos communes, toutes nos communes, en leur permettant de se rassembler pour répondre aux besoins de l'avenir. Puissions-nous échapper à la passion des théoriciens, mais aussi à la règle à calcul des financiers ! Ni les uns ni les autres ne doivent prendre le pas sur la volonté des élus. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le ministre, vous l'avez vous-même rappelé dans votre discours inaugural à ce débat, la IIIe République a créé, par la loi du 22 mars 1890, les syndicats de communes.
Cette loi, première base de la coopération intercommunale, a ouvert la voie à deux types d'intercommunalité.
La coopération associative s'est déployée la première. Elle l'a fait naturellement, presque par bouturage. Le réseau des SIVU et des SIVOM a peu à peu recouvert le territoire et enserré l'autonomie municipale ; les SIVOM ont assuré la transition, offrant le moule d'où sont sorties les communautés de communes, qui relèvent de la conception fédérative.
La coopération associative répond aux besoins tels qu'ils sont ressentis sur le terrain, et c'est à ce titre que se sont constitués, souvent sur une base départementale, les grands syndicats d'électricité, d'eau et, aujourd'hui, de traitement des déchets. Ces syndicats spécialisés sont en quelque sorte le bruit de fond de la coopération intercommunale.
L'intercommunalité fédérative vers laquelle nous allons, et dont ce projet de loi marque un progrès nouveau, a certes des avantages. Le plus important, c'est, bien sûr, la mutualisation de certaines ressources fiscales sur un territoire qui, en zone urbaine et périurbaine, est souvent une mosaïque. Quand les activités économiques sont sur une commune et les logements des salariés - et, plus encore, des exclus du travail - sur la commune voisine, le budget de cette dernière devient ingérable. Nous vivons une telle situation dans l'agglomération troyenne, entre la Chappelle-Saint-Luc et les Noés. Il y en a bien d'autres exemples en France.
La taxe professionnelle d'agglomération offre une voie pour en sortir.
Cependant, l'intercommunalité de projet ne règle pas tout. Il reste à l'intercommunalité associative, celle des syndicats de communes et des syndicats mixtes, certains mérites propres, ne serait-ce que parce que la base géographique est la plus étendue.
Je signalerai quatre points.
Premier point : la mise en oeuvre d'une véritable solidarité entre urbains et ruraux. Les formules d'intercommunalité actuellement soumises au Parlement, qu'il s'agisse de vos communautés d'agglomération dans ce texte, monsieur le ministre, ou des pays - ou ce qui en reste - dans celui de Mme Voynet, sont relatives soit au milieu urbain, soit au milieu rural.
Malgré ce qu'a dit fort justement notre collègue Jacques Legendre sur l'association des « rurbains » aux communautés de villes, c'est tout de même une base beaucoup plus large qui permet la véritable solidarité entre les urbains, les ruraux et les « rurbains », qui sont un peu entre les deux et qui souhaitent participer aux deux solidarités à la fois.
Deuxième point : l'exploitation des économies d'échelle. Dans des domaines techniques, tels que la distribution d'eau potable ou le traitement des déchets, où il n'est pas rare de devoir consentir des investissements se chiffrant en centaines de milliers de francs, comment atteindre la taille critique ? Il faut, notamment dans les départements moyens, où les agglomérations sont elles-mêmes limitées, pouvoir aller jusqu'à l'échelon départemental. C'est particulièrement vrai pour l'élimination des déchets : ils font l'objet de schémas départementaux ; ils appellent logiquement des syndicats départementaux.
Troisième point : la capacité de négociation avec les entreprises prestataires, qui, pour les marchés publics et les délégations de service public, sont de taille nationale, voire internationale. Pour négocier avec Vivendi ou avec Suez-Lyonnaise, même si ces entités savent se présenter aux opérateurs publics sous l'aspect de filiales à visage humain, il vaut mieux soi-même être bien bordé. Et je salue, au passage, le rôle de la fédération des collectivités concédantes, et des régies et de Service public 2000, qu'elle a créé avec l'Association des maires de France pour aider les communes et les syndicats à négocier.
Enfin et surtout, quatrième point, l'optimisation de la gestion financière des services publics industriels et commerciaux. Ces services - énergie, eau et déchets, lorsque leur élimination est financée par la redevance - ont un prix et non un coût fiscal. C'est l'usager, et non le contribuable, qui est en première ligne.
Pour les services publics industriels et commerciaux, la mutualisation fiscale n'a donc pas d'effet direct, et le pouvoir fiscal propre reconnu aux communautés ne présente pas d'avantage décisif.
En revanche, les syndicats de communes ou syndicats mixtes, du fait de leur spécialisation, peuvent fournir un cadre adéquat pour la mise en oeuvre et le contrôle du principe du strict équilibre budgétaire que la loi impose. Il existe quatre-vingt cinq syndicats d'électricité à cadre départemental et dix-neufs syndicats d'eau. Cette réalité n'est pas concernée au premier chef par votre projet de loi, monsieur le ministre, mais il convient de ne pas l'ignorer.
A vrai dire, ce qu'il faut préserver, c'est la nécessaire complémentarité entre ces deux types de structures intercommunales. Pour ce faire, je suggère trois précautions.
Première précaution : il faut maintenir la possibilité pour une communauté fédérée, qu'il s'agisse d'une communauté de communes, d'une caumunauté urbaine ou d'une communauté d'agglomération, de s'associer à d'autres collectivités au sein d'un syndicat mixte de plus grande taille et de lui transférer des compétences.
Dans le projet de loi, l'absence de mécanisme de représentation-substitution pour certaines compétences prises par les communautés d'agglomération, et retirées, de ce fait, à des syndicats préexistants, aurait pour conséquence de perturber le bon fonctionnement de la coopération intercommunale associative : les contrats de prestation de services passés par des syndicats et en cours d'exécution seraient fractionnés, des personnels des syndicats affectés aux communautés d'agglomération, des équipements syndicaux transférés aux communautés, ce qui ne manquerait pas de fragiliser les structures préexistantes. La commission des lois du Sénat partage, semble-t-il, cette analyse.
Deuxième précaution : les mécanismes financiers incitatifs pour la constitution d'agglomérations ne doivent pas pénaliser la constitution d'ensembles intercommunaux plus vastes. Le coefficient d'intégration fiscale ne doit pas pouvoir être affecté à la baisse par les participations versées par les communautés aux syndicats mixtes et les services industriels et commerciaux, tels que l'eau et l'assainissement, ne doivent pas être visés par les incitations fiscales prévues en faveur des communautés puisqu'ils ne sont pas concernés par la fiscalité locale. C'est pourquoi je me suis permis de déposer un amendement, à cet égard, à l'article 11.
Troisième précaution : les prestations de services entre EPCI et collectivités de nature à permettre la meilleure utilisation des moyens matériels et humains publics doivent être facilitées. D'où un amendement, à l'article 30, qui tend à autoriser un EPCI faisant des travaux simultanément pour le compte de plusieurs collectivités à passer, dans cette perspective, un seul marché public de travaux, permettant ainsi aux collectivités, de bénéficier d'économies d'échelle et incitant, par le dépassement des seuils d'appels d'offres français mais aussi européens, à développer l'appel à la concurrence pour obtenir des prix avantageux.
Telles sont les observations, j'allais dire latérales et quelque peu techniques, que je souhaitais soumettre à votre attention, monsieur le ministre, au moment où nous étudions ce texte, dont j'approuve l'esprit, même si cet esprit souffle davantage sur les villes que sur les campagnes. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées de RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons que nous réjouir de voir la nécessaire réforme de l'intercommunalité, initiée, en 1995, par Dominique Perben, enfin examinée par la Haute Assemblée.
Le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui était attendu avec impatience par les acteurs intercommunaux et par les représentants des collectivités locales que nous sommes, en particulier ceux d'entre nous qui vivent au quotidien le fait intercommunal, comme plus de 50 % de nos concitoyens.
Pourtant, monsieur le ministre, nous sommes nombreux à penser que la présente réforme, si elle comporte des avancées intéressantes, reste toutefois imparfaite, car elle ne se dote pas des moyens à la hauteur de ses ambitions. C'est ce que soulignent, notamment, les remarquables travaux des rapporteurs de ce texte, nos excellents collègues Daniel Hoeffel et Michel Mercier.
Avant d'en venir au coeur de mon propos, je souhaite faire une remarque préliminaire concernant le changement de l'intitulé du présent projet de loi, très révélateur, à mon sens, de ses objectifs. L'intitulé initial mentionnait en effet l'« organisation urbaine ». Afin de prévenir certaines critiques, cette mention, manifestement jugée trop révélatrice, a été gommée au profit du reste de l'intitulé, certes plus consensuel, mais occultant la partie essentielle de ce projet de loi.
Mais, monsieur le ministre, échappe-t-on aux critiques de fond en ne changeant que la forme ? Suivant une boutade bien connue, la forme n'est que le fond qui remonte à la surface. Ce « maquillage » - car je crois qu'on peut parler de maquillage - est une ficelle un peu grosse, qui ne change rien au fait que ce texte est très axé sur l'intercommunalité urbaine, comme vous l'avez vous-même reconnu, ainsi que l'ensemble des orateurs, et qu'il relègue au second plan l'intercommunalité rurale, qui aurait pourtant largement mérité un effort comparable.
Il serait dangereux de participer, une fois de plus, à la mise en place d'une politique territoriale qui creuserait encore davantage le fossé entre l'espace urbain et l'espace rural.
Ce texte, en reprenant les objectifs essentiels du projet Perben, comporte néanmoins des avancées indéniables, que tous les praticiens de l'intercommunalité attendaient : d'abord, la simplification de l'architecture de l'intercommunalité, qui est trop complexe et trop confuse ; ensuite, la correction de la carte de l'intercommunalité, quelquefois, et même souvent, peu cohérente ; enfin, l'instauration d'incitations fiscales et financières visant à faire progresser l'intercommunalité.
Cette simplification aurait toutefois pu être encore plus audacieuse si l'on avait proposé une seule catégorie d'établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, hors, naturellement, les SAN, les syndicats d'agglomérations nouvelles dont la dotation globale de fonctionnement aurait pu être calculée en fonction du degré réel d'intégration de chaque groupement.
L'explosion de l'intercommunalité au cours de la dernière décennie a pu, sans exagération, être qualifiée de « véritable révolution silencieuse », partie de la base pour s'imposer aux instances étatiques comme une réalité incontournable.
La dernière réforme de l'intercommunalité, celle de la loi ATR de 1992, en instaurant les communautés de villes pour le secteur urbain et les communautés de communes pour le secteur rural, a été sans nul doute une réussite quantitative, avec une augmentation spectaculaire du nombre des EPCI.
Mais, parallèlement, cette loi a aussi été un échec retentissant en ce qui concerne les objectifs que s'étaient fixés ses initiateurs. En effet, seulement cinq communautés de villes ont été créées, comme l'ont rappelé nombre d'orateurs, et la taxe professionnelle unique, prévue pour les secteurs urbains, a été instituée essentiellement dans les secteurs ruraux, et encore, vous le savez bien, de façon très modeste. Le secteur urbain a choisi, quant à lui, la fiscalité additionnelle et souvent la taxe professionnelle de zone, totalement inadaptée à un bon aménagement du territoire en milieu urbain. Les raisons de cet échec sont bien connues et relèvent autant de problèmes politiques que de problèmes techniques.
Alors, comment remédier à cette situation ? Il existe manifestement deux solutions : celle que propose le Gouvernement avec le présent projet de loi et celle que souhaitent les praticiens de l'intercommunalité.
La méthode gouvernementale emploie, certes, des mesures incitatives, mais aussi des mesures coercitives, notamment avec un renforcement très important des pouvoirs des préfets et la possibilité d'intégration forcée de certaines communes dans les EPCI.
La méthode voulue par ceux qui vivent l'intercommunalité au quotidien est totalement différente, pour ne pas dire opposée : elle consiste à prendre les mesures adéquates pour lever les freins existant encore au développement de l'intercommunalité et à privilégier la liberté du choix pour les communes, choix qu'elles doivent faire par adhésion et non par contrainte.
Alors que de plus en plus d'élus locaux viennent à l'intercommunalité, ce n'est pas le moment, monsieur le ministre, de casser cette dynamique spontanée par une politique de contrainte.
A cet égard, l'institution d'une procédure dérogatoire permettant aux communautés d'agglomération et aux communautés urbaines d'étendre leur périmètre par la contrainte me semble, comme à nombre de mes collègues, inacceptable. Voilà en effet une mesure apparemment efficace pour corriger la carte de l'intercommunalité, mais qui, en réalité, aura la conséquence inverse de celle qui est recherchée, car elle entraînera inévitablement un blocage du fonctionnement de nombreux établissements publics de coopération intercommunale.
Comment des partenaires regroupés contre leur gré pourraient-ils concevoir et porter efficacement des projets communs ? Cela est impossible, monsieur le ministre ! Seule une intercommunalité librement consentie peut réussir. La preuve en est donnée d'ailleurs par le contraste entre l'échec total de la loi Marcellin de 1971 sur les fusions de communes et le succès de l'intercommunalité volontaire.
Promouvoir l'intercommunalité par la contrainte est un non-sens, car c'est la négation même de l'esprit intercommunal, fait de solidarité locale et de volontés convergentes.
Il nous incombe donc aujourd'hui, à nous, législateurs, de supprimer les obstacles existant à l'adoption de la taxe professionnelle unique, notamment en supprimant le lien entre les taux, sans entraîner pour autant une baisse des dotations pour les EPCI choisissant cette option, comme c'est encore le cas aujourd'hui.
Concernant la suppression du lien entre les taux, les élus locaux sont maintenant suffisamment responsables pour rejeter la solution démagogique consistant à augmenter la taxe professionnelle en préservant les impôts des ménages. Ce lien entre les taux des différentes taxes a pour conséquence de priver les EPCI à taxe professionnelle unique d'une vision financière indispensable à la mise en oeuvre d'une politique de projet territorial, ce qui est pourtant leur vocation principale.
Comment aller de l'avant quand un EPCI à taxe professionnelle unique est tributaire, pour la détermination de son taux de taxe professionnelle et par là même de ses ressources, de décisions relevant de ses communes membres, et qui donc ne lui appartiennent pas ?
J'en veux pour preuve mon expérience de président du district urbain de Mantes, lequel détient déjà toutes les compétences lui permettant de se transformer en communauté d'agglomération. Or il est très probable que nous ne choisirons pas cette option si, d'une part, la déliaison des taux et, d'autre part, une véritable fiscalité mixte ne sont pas entérinées par la présente réforme, et je crains fort que nombreux ne soient les EPCI confrontés au même problème.
L'échec de la présente réforme pourrait alors être comparable à celui de la loi de 1992. Si nous voulons l'éviter, nous devons maintenir le principe de déliaison des taux adopté par l'Assemblée nationale.
Parlons maintenant du problème de la fiscalité mixte : les EPCI à taxe professionnelle unique avaient autrefois des compétences à caractère essentiellement économique et la spécialisation de l'impôt était justifiée. Mais ces groupements ont élargi leurs compétences au fil du temps.
Le financement des réalisations liées à ces nouvelles compétences par la seule taxe professionnelle n'a donc plus de justification, voire de légitimité, et se révèle souvent insuffisant. Il est même un obstacle au développement de l'intercommunalité, dont le but est d'être un échelon pertinent pour des compétences de plus en plus nombreuses, ce qui implique de le doter de moyens suffisants pour les exercer.
Nous devons donc favoriser la possibilité de l'instauration d'une véritable fiscalité mixte. En théorie, le présent projet de loi s'y prête mais cela paraît concrètement impossible, sauf à renoncer à l'instauration de la dotation de solidarité, ce qui n'est pas envisageable pour la quasi-totalité des EPCI prévoyant une transformation.
Mes chers collègues, je voudrais, avant de conclure, tordre le cou à une idée reçue, diffusée par les détracteurs de l'intercommunalité, selon laquelle celle-ci serait une source d'alourdissement des impôts. C'est tout le contraire qui doit être vrai : l'intercommunalité est une source de rationalisation des coûts et, donc, d'économie. S'il en va parfois autrement, c'est que les élus concernés ont cédé à la facilité et ne remplissent plus leur mission fondamentale.
En tant qu'élu de la région d'Ile-de-France, je ne peux enfin passer sous silence le nouveau prélèvement institué au profit du Fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France par l'article 57 du présent projet de loi.
Qu'il soit bien clair, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu'il n'est nullement question pour moi de remettre en cause la nécessaire solidarité des communes les plus favorisées vis-à-vis de celles qui rencontrent de nombreuses difficultés sociales et financières, engendrées d'ailleurs le plus souvent, pour ne pas dire toujours, par des décisions prises à l'époque non pas par les élus locaux eux-mêmes, mais bien par l'Etat.
Je ne peux cependant éviter, monsieur le ministre, de vous poser les questions suivantes :
Est-il normal et équitable que, une fois de plus, une nouvelle mesure fiscale importante touche uniquement la région d'Ile-de-France, alors qu'aucun dispositif équivalent n'est prévu sur le reste de notre territoire, qui connaît pourtant autant, sinon plus de disparités ?
Est-il normal et équitable que le critère proposé soit fondé sur une comparaison avec le niveau national, alors que cette péréquation se fait seulement au niveau de l'Ile-de-France ?
Est-il normal et équitable de soumettre au même régime toutes les communes dites « riches », sans tenir compte des situations particulières de celles qui ont choisi depuis longtemps une véritable et coûteuse solidarité locale, soit par l'intercommunalité, soit par le reversement de dotations à des communes voisines en difficulté ?
M. Emmanuel Hamel. Comme Mantes !
M. Dominique Braye. Pour ma part, monsieur le ministre, je crois que tout cela n'est ni normal ni équitable. Il nous faudra donc amender profondément l'article 57.
Pour conclure mon propos, je pense que ce projet de loi, avec ses avancées et ses imperfections, est une réforme attendue et, pour l'essentiel, bienvenue, mais qui est en même temps beaucoup trop contraignante par certains de ses aspects et trop timide par d'autres. Ce texte n'est donc pour moi qu'une étape dans la marche de l'intercommunalité vers sa totale maturité.
L'intercommunalité ne doit pas devenir, pour l'instant, un nouvel échelon institutionnel. Elle doit rester l'entité souple, imaginative et adaptable qu'elle a su devenir par la libre association de communes désireuses de forger un destin territorial commun.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous devons favoriser cet irremplaçable outil de développement territorial qu'est l'intercommunalité.
C'est pourquoi, comme nous tous ici présents, je soutiendrai, lors de l'examen des articles du projet de loi, toutes les dispositions de ce texte et tous les amendements qui feront réellement progresser et s'épanouir dans notre pays une intercommunalité moderne et dynamique, mais aussi une intercommunalité vivante et libre. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel. Et généreuse pour la France !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d'entamer la discussion des articles que, dans l'ensemble, vous abordez comme le Gouvernement dans un esprit constructif, je veux d'abord vous remercier de l'accueil que vous avez réservé à ce projet de loi. J'ai bien noté que, sur toutes les travées, vous considériez plutôt que le texte va dans la bonne direction et marquera, comme l'a dit le rapporteur, M. Daniel Hoeffel, une nouvelle étape dans la recherche d'une meilleure efficacité de nos structures territoriales. Ce constat est également partagé - je ne l'oublie pas - par le rapporteur pour avis, M. Michel Mercier.
Tout d'abord, je voudrais lever quelques-unes de vos interrogations sur cinq points principaux : premièrement, les rapports entre ce projet de loi et le projet de loi, que vous venez d'examiner, d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire ; deuxièmement, les compétences transférées ; troisièmement, les pouvoirs du préfet ; quatrièmement, les problèmes posés par l'éventuelle élection au suffrage universel des délégués communautaires dans les communautés urbaines ; enfin, cinquièmement, les questions financières et fiscales puisque vous êtes nombreux à être revenus sur les problèmes que posait telle ou telle disposition du projet de loi.
Je me permettrai cependant d'évoquer, au départ, la procédure d'urgence, dont l'utilisation a été regrettée par plusieurs d'entre vous, et en premier lieu par le président de la commission des lois.
Je tiens à vous dire très sincèrement que, en raison des difficultés liées au calendrier parlementaire - vous êtes aussi bien placés que moi pour l'apprécier - si nous ne pouvons pas adopter ce projet de loi avant l'automne prochain, nous n'aurons pas le temps de procéder aux simulations nécessaires, notamment dans le domaine fiscal, qui conditionnent, pour un certain nombre de groupements, leurs décisions de transformation. Il serait regrettable de ne pas utiliser les sommes qui ont pu être dégagées afin que certaines communautés d'agglomération, communautés de communes ou communautés urbaines puissent être opérationnelles dès le 1er janvier 2000.
J'ajoute, et vous le savez bien, que ce projet de loi a fait l'objet d'une large concertation depuis le milieu de l'année 1998. Je sais que rien ne remplace le débat parlementaire et je compte bien que le Sénat contribue fortement à une amélioration du texte. Je considère que cette discussion est très utile. Elle permettra certainement de parvenir à des formulations plus précises en maints domaines. J'espère que nous pourrons manifester, de part et d'autre, de la bonne volonté.
Certains d'entre vous ont douté qu'il y ait une complémentarité entre le présent projet de loi et le projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire. Je voudrais rassurer en particulier M. Paul Girod, qui s'est exprimé en ce sens : les deux textes ont le même objectif, la même démarche qui privilégie l'action locale sur des territoires cohérents définis dans la concertation par les élus et les préfets.
Faut-il préciser à nouveau que le pays n'est jamais - et l'agglomération n'en est pas une en elle-même - une structure territoriale et qu'aucun des deux projets n'impose une forme d'organisation a priori ? Tout juste faut-il prévoir pour les pays, vous le savez, le support juridique permettant aux communes de contracter avec l'Etat dans le cadre des contrats de plan Etat-région. Il pourra s'agir des groupements existants ou agréés.
Quant aux agglomérations, le projet de loi initial défendu par Mme Voynet prévoyait seulement l'obligation de disposer d'une communauté d'agglomération pour le renouvellement du contrat, c'est-à-dire dans sept ans. En d'autres termes, la contractualisation est possible dans l'immédiat avec les communes concernées, communes appartenant à une même agglomération.
Les deux projets de loi sont donc complémentaires ; nous veillerons, au cours des lectures successives, à ce qu'ils le restent.
Le deuxième sujet que de nombreux intervenants ont abordé concerne le domaine des compétences transférées par les communes aux futures communautés d'agglomération.
M. Larché a trouvé le texte imprécis, craignant qu'on ne vide les structures communales de leur substance. D'autres, comme M. Mauroy ou M. Hoeffel, ont jugé les texte trop contraignant.
Votre commission défend, semble-t-il, l'idée, inspirée sans doute par un grand souci de protéger les communes, d'un transfert progressif des compétences.
Je n'y suis pas favorable, et je voudrais vous dire très franchement pourquoi.
La réunion, à l'échelon de l'agglomération, d'un certain nombre de fonctions communales, est une disposition essentielle de ce texte. C'est le projet de loi lui-même que vous videriez de son sens si vous admettiez une progressivité trop large.
En outre, je vous le rappelle, les communes restent toujours libres du moment de la création de la communauté. La commission des finances n'a pas proposé parallèlement de différer le versement de la DGF ni de la proratiser en fonction des compétences exercées.
Vous risqueriez, en vous orientant vers un transfert progressif des compétences, de déséquilibrer complètement le fragile édifice financier sur lequel repose ce projet de loi.
Par amendement, le Gouvernement cherchera à répondre à vos interrogations, souvent justifiées - on ne peut pas prétendre faire du premier coup un texte parfait - et à préciser les sujets d'intérêt communautaire de façon à bien séparer les compétences du groupement de celles qui restent dévolues aux communes. Nous nous efforcerons du moins de définir les critères qui permettront de préciser ces compétences, dans la mesure du possible.
J'en viens au troisième point qui a été abordé par plusieurs d'entre vous, le rapporteur, M. Hoeffel, et MM. Paul Girod, Courtois et Bret. Tous semblent craindre une trop forte intervention de l'Etat.
M. Legendre a certes fait l'éloge de la communauté de villes. Il est vrai que le projet de loi reconnaît à l'Etat un pouvoir d'appréciation et un pouvoir d'initiative.
M. le sénateur propose la mise en place d'un schéma directeur qui serait élaboré par les commissions départementales de la coopération intercommunale. Je voudrais faire observer que les travaux de ces commissions n'ont pas été concluants partout et que, dans maint département, on en est resté à une esquisse assez vague.
Je crois donc raisonnable de confier au préfet certains pouvoirs pour apprécier si les périmètres sont pertinents et cohérents avec les objectifs d'aménagement du territoire. Le préfet vérifiera également si les communes qui sont défavorables à un projet intercommunal doivent néanmoins être incluses dans un périmètre donné par application des règles de majorité qualifiée au risque de compromettre l'avenir de la coopération.
Ces pouvoirs d'appréciation des préfets constituent des garanties en termes de pertinence et d'applicabilité des projets. Les préfets, croyez-moi, ne recevront pas pour instruction de créer partout des communautés d'agglomération à n'importe quel prix. Il s'agit d'un objectif qualitatif, exigeant une concertation approfondie et véritable, afin de dégager et de mûrir un projet commun, mais je sais aussi que certains élus locaux - il en est d'ailleurs parmi vous, mesdames, messieurs les sénateurs - souhaitent passer très rapidement au stade de la communauté d'agglomération.
Les situations sont donc diverses. Quant au pouvoir d'initiative du préfet à défaut de projet émanant des élus, il ne s'agit que d'un simple pouvoir de proposition, les communes ayant, je vous le rappelle, le dernier mot. Il ne peut pas être reproché à l'Etat de prendre ses responsabilités quand chacun s'accorde à déplorer, y compris sur vos travées, un émiettement communal excessif.
Je pense que l'intérêt général a quelquefois besoin qu'un catalyseur l'exprime si l'on veut qu'un certain nombre d'équilibres puissent se réaliser de manière dynamique.
J'ai noté les réticences exprimées par MM. Peyronnet et Delfau concernant les procédures d'extension des périmètres introduites par l'Assemblée nationale. Nous aurons à en débattre en ayant le souci de trouver le juste équilibre entre le souci de cohérence et celui de respecter les volontés communales. Je ne prétends pas que nous l'ayons trouvé du premier coup.
Je dois rassurer M. Plancade sur ce point, la souplesse vaut aussi pour le cas de l'agglomération toulousaine ! (Sourires.)
M. Delevoye s'est inquiété de la fixation des seuils dans le projet de loi. Ce choix n'a rien d'arbitraire. Les seuils des 15 000 habitants pour la ville centre et de 50 000 habitants pour l'aire urbaine correspondent aux cent quarante et une aires urbaines, concentrant 75 % de la taxe professionnelle et plus de 70 % de la taxe d'habitation.
Pour autant, je le rappelle, les frontières entre les catégories n'ont rien d'étanche, et il sera possible de créer une communauté de communes en zone urbaine. Inversement, l'Assemblée nationale a majoré la DGF pour les communautés de communes qui auront un rôle structurant avec taxe professionnelle unique.
J'en viens à l'élection au suffrage universel des délégués communautaires aux communautés urbaines. Cette élection ne recueille l'assentiment ni de M. le rapporteur ni de M. Bret. Je veux redire que son introduction dans le seul cas des communautés urbaines opérée par l'Assemblée nationale, et d'ailleurs qualifiée d'ingénieuse par M. le rapporteur, ne préjuge nullement l'avenir. Cette disposition ne vise qu'à une plus grande transparence.
Je reconnais que le texte suscite des difficultés pratiques, vous l'avez d'ailleurs observé avec beaucoup de sagacité et de perspicacité. Il faut évidemment corriger un certain nombre de rédactions, et c'est le sens d'un amendement du Gouvernement que je vous proposerai, et dont nous pourrons discuter.
J'en viens enfin aux questions financières et fiscales.
Le rapporteur de la commission des finances, M. Michel Mercier, ainsi que MM. Joël Bourdin et Louis Souvet ont voulu voir une contradiction entre la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle et la promotion de la taxe professionnelle unique. Celle-ci reste tout aussi nécessaire tant pour les communes que pour les entreprises, puisqu'elle concerne les deux tiers restant de la taxe professionnelle.
M. Delevoye a agité le mythe de la suppression de la taxe professionnelle. Franchement, compte tenu de ce qu'elle rapporte, je ne vois pas par quoi nous pourrions la remplacer, en tout cas pas très facilement par une dotation d'Etat. N'agitons pas de peurs « millénaristes » !
M. Philippe Nogrix. On fera les comptes !
M. Dominique Braye. C'est pourtant le moment !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. C'est pourtant le moment en effet, mais ne soyons pas dupes du calendrier ! Travaillons pour le temps à venir sans nous arrêter à ce qui finalement n'est que convention.
Les deux tiers restant de la taxe professionnelle sont assis sur des investissements, c'est la partie la plus dynamique de cet impôt. Ce sont les groupements qui bénéficieront, en cas d'unification de la taxe professionnelle, de la dotation de compensation indexée sur la DGF, comme vous le savez. La réduction des bases sera donc, elle aussi, mutualisée.
D'ailleurs M. Legendre a, en quelque sorte, apporté la contradiction à M. Delevoye bien qu'il fasse partie du même groupe puisqu'il s'est déclaré tout a fait partisan de la mutualisation des ressources. Il en a vanté les avantages dans la communauté de ville de Cambrai.
M. Dominique Braye. Il n'y a pas de rapport !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'ai bien noté par ailleurs la demande principale exprimée par nombre d'entre vous dont M. Haut, outre le rapporteur de la commission des finances, M. Michel Mercier, de parvenir à une attribution de DGF encore plus incitative pour les communautés de communes à taxe professionnelle unique.
M. Yann Gaillard, quant à lui, a senti souffler l'esprit, mais plutôt, a-t-il dit, sur les villes que sur les campagnes ; et le même son de cloche a été exprimé par M. Dominique Braye.
Le Gouvernement a accepté de porter cette dotation globale de fonctionnement à 150 francs dans les communautés de plus de 3 500 habitants qui, sans atteindre les seuils prévus pour les communautés d'agglomération assurent néanmoins des compétences structurantes en milieu rural pour leur espace environnant et qui peuvent offrir des services importants aux citoyens.
Il me semble que c'est absolument essentiel, car une incitation doit pouvoir être justifiée par un progrès dans l'organisation ; il ne faut pas perdre de vue ce qui est, tout de même, l'intérêt général.
Vous souhaitez, dans l'ensemble, si j'ai bien écouté les principaux intervenants, réduire encore les écarts. Le projet de loi y contribue déjà puisque, avec 250 francs par habitant attribués en moyenne aux communautés d'agglomération, il resserre la fourchette entre la dotation jusque-là attribuée aux communautés de communes, rurales ou urbaines, et les communautés urbaines qui bénéficent, M. Pierre Mauroy me pardonnera de le rappeler, d'un avantage considérable, acquis au fil de l'histoire.
Vos amendements visent une dotation de 175 francs. Mais j'observe que, parallèlement, vous souhaitez encore réduire les compétences exigées. Prenez garde, mesdames, messieurs les sénateurs, que les équilibres fragiles de la répartition de la DGF n'en soient pas ébranlés. Ce n'est pas une question de politique politicienne, c'est une question d'équilibre financier, tout simplement. Comme je l'ai déjà dit, il ne faut pas, pour habiller Pierre, déshabiller Paul.
Tout cela, M. le président du comité des finances locales l'a à l'esprit, aussi bien que moi, si ce n'est encore mieux que moi.
Nous perdrions l'avantage d'avoir organisé un financement autonome pour les communautés d'agglomération si nous allions trop loin dans le sens que vous souhaitez. Les communautés de communes seraient financées aux dépens de la DSU et de la DSR et, finalement, nous n'aurions pas atteint un résultat optimal.
Je fais confiance au débat qui va s'instaurer, qui peut être franc et direct car, en fait, je ne défends que des considérations d'intérêt général, auxquelles ceux d'entre vous qui ont des responsabilités locales peuvent être sensibles. Nous trouverons, je l'espère, les points d'équilibre justes, et nous mettrons, autant que nous le pourrons, le curseur au bon endroit.
M. Braye a évoqué, au titre des dispositions fiscales, les problèmes de l'Ile-de-France. Je lui ferai observer que nul ne peut nier que l'Ile-de-France a une spécificité : c'est une immense agglomération où l'intercommunalité urbaine a peu progressé, encore moins qu'ailleurs.
Ailleurs aussi toutefois - je réponds ainsi notamment à M. Gaillard - vous savez bien que l'intercommunalité a fait du sur-place depuis quelques années déjà.
M. Michel Mercier, dans son excellent rapport, le remarque également, puisqu'il écrit que les écarts restent justifiés par le fait que les villes sont confrontées à des problèmes tout à fait spécifiques. Le dire suffit, en quelque sorte, c'est l'évidence même, pour éteindre toute contestation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi s'inscrit dans la continuité des textes qui régissent la décentralisation depuis de longues années, mais aussi dans la suite du projet de loi déposé par M. Perben en 1997. Il vise, de surcroît, à apporter des réponses cohérentes aux problèmes nés de l'extrême émiettement de nos structures communales. Il vise aussi à une simplification que chacun s'est accordé à considérer comme souhaitable.
En même temps, c'est un pari. C'est un pari sur le bon sens, allais-je dire, sur les vertus de la décentralisation, sur la capacité des élus de se mettre à la hauteur des défis que pose une fracture sociale grandissante dans notre pays.
En fait, des outils seront mis à la disposition des élus. Notre projet vise, en quelque sorte, à fournir une boîte à outils opérationnelle pour les élus locaux que très souvent vous êtes.
Je crois pouvoir dire que c'est avec confiance que j'aborde la discussion des articles, parce que vous êtes très experts en la matière. Dès lors, je l'espère, nous pourrons arriver à trouver de bons équilibres. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE. - MM. Machet et Braye applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

DISPOSITIONS INSTITUTIONNELLES

Chapitre Ier

Communauté d'agglomération

Article 1er