Séance du 5 mai 1999






ÉPARGNE ET SÉCURITÉ FINANCIÈRE

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 273, 1998-1999), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à l'épargne et à la sécurité financière. [Rapport n° 300 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je viens vous présenter, au nom du Gouvernement, le projet de loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière.
Ce texte est l'aboutissement d'un processus de réflexion auquel le Parlement a été très largement associé, comme en témoignent non seulement le rapport de votre collègue député M. Raymond Douyère mais aussi les très nombreux rapports de grande qualité que le Sénat a produits sur ce sujet ou encore les propositions de loi que votre rapporteur a eu l'occasion de rédiger.
Ce long processus de réflexion au sein des deux assemblées s'inscrit, cela n'aura échappé à personne, dans un environnement financier qui bouge très rapidement, trop rapidement, aux yeux de certains. Quelles que soient les opinions des uns et des autres sur la « globalisation financière » ou « mondialisation », que l'on s'en réjouisse ou que l'on s'en plaigne, de toute façon, il est impossible de l'ignorer. L'adaptation de nos circuits financiers à ces données nouvelles est, à l'évidence, indispensable.
Ce projet de loi s'inscrit aussi dans un ensemble : il est une partie d'un tout, ce tout étant l'action menée par le Gouvernement depuis bientôt deux ans pour renforcer notre secteur financier, afin d'essayer de le mettre au service de la croissance et de l'emploi tout en protégeant les épargnants.
Cette action a comporté plusieurs étapes. Le Gouvernement a ainsi pu refuser de privatiser une entreprise quand il n'y voyait aucun intérêt, ni pour l'entreprise elle-même, ni pour les salariés, ni pour le pays. Je pense ici à la Caisse nationale de prévoyance, dont la mise sur le marché avait été prévue par le précédent gouvernement, mais que nous n'avons pas voulu sortir du secteur public.
En d'autres occasions, le Gouvernement a continué d'avancer. Je pense au CIC et au GAN, dont le capital a été mis sur le marché en raison de contraintes européennes. Chacun appréciera la façon dont cet objectif a été atteint, mais l'idée était claire : redonner une vision d'avenir au CIC, au GAN, à la Société marseillaise de crédit, au CDR et, demain, au Crédit Lyonnais, et renforcer ainsi notre secteur financier.
Quant à la protection de l'épargnant, elle s'est notamment traduite par la réforme du comité des taux réglementés, par le réaménagement des prêts PAP, notamment ceux qui étaient à annuités progressives, par le droit au compte, qui est désormais inscrit dans la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, ainsi que par dispositions nouvelles en matière de surrendettement.
Ce texte comprend deux parties, mais je note avec satisfaction que le Sénat a jugé bon de ne désigner qu'un seul rapporteur, rejoignant ainsi ma propre position sur l'unité profonde de ce texte.
Ces deux parties ne sont pas de nature différente, dont la première serait de nature plus politique, comme je l'ai parfois entendu, et la seconde plus technique. Il n'y a qu'un seul texte dont toutes les conséquences auront beaucoup d'influence sur la vie quotidienne de nos concitoyens, et, nous l'espérons tous, en l'améliorant.
Il n'y a pas non plus deux textes dont le contenu serait différent. Il y a en fait, dans les deux cas, les mêmes choix, faire mouvement - car c'est nécessaire - dans la solidarité en recherchant la plus grande efficacité. Je voudrais rapidement illustrer devant vous ces trois points.
S'agissant d'abord du choix du mouvement, j'examinerai en premier lieu les caisses d'épargne.
Dans notre pays, les caisses d'épargne sont une incontestable réussite. Il s'agit du grand réseau de l'économie sociale qui, depuis très longtemps, a joué un rôle essentiel dans le drainage et la protection de l'épargne populaire, ainsi que dans le financement du logement social.
Mais, selon moi, les caisses d'épargne sont aujourd'hui à un tournant de leur existence. En effet, ce réseau - c'est normal puisqu'il a été conçu ainsi voilà longtemps - doit faire face à d'assez nombreux handicaps, qui sont connus de tous.
Il s'agit tout d'abord d'une forme d'isolement statutaire, d'une sorte de ghetto juridique. Aucun autre établissement de crédit n'a une telle absence de statut. Aussi, ce réseau ne peut nouer quelque forme d'alliance que ce soit, car pour cela il faut avoir un statut juridique que le droit des sociétés ou d'autres droits permettent d'organiser. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. Les caisses d'épargne sont donc isolées.
Ensuite, elles ont des parts de marché trop faibles et des résultats insuffisants, ce qui justement nécessite de pouvoir s'allier avec d'autres. Les résultats ne sont pas très élevés ; la rentabilité sur fonds propres des caisses d'épargne est aujourd'hui inférieure à 3 %, ce qui place les caisses d'épargne loin derrière tous les autres établissements de crédit de notre pays.
Il n'y a aucune raison à cela, si ce n'est le troisième handicap, à savoir une organisation assez déficiente. En particulier, il y a actuellement séparation entre les fonctions décisionnelles et les fonctions opérationnelles dans le fonctionnement du réseau : le CENCEP, le Centre national des caisses d'épargne et de prévoyance, d'un côté, et la caisse centrale, de l'autre. C'est une des nombreuses faiblesses d'organisation du système des caisses d'épargne. Il faut donc bouger.
Dans ce mouvement, le Gouvernement a écarté deux voies possibles. La première aurait consisté à ne changer presque rien, maintenir le statu quo de principe et ajuster à la marge. C'était assurer, hélas ! la marginalisation dans les cinq ou dix ans à venir de ce grand réseau des caisses d'épargne.
La seconde voie aurait été, à l'inverse, la banalisation complète des caisses d'épargne. C'était, me semble-t-il, une voie inacceptable. Elle aurait probablement conduit à l'échec de la réforme. En voulant aller trop loin sans que ce soit nécessaire, sans même que ce soit utile, on aurait sans doute créer les conditions d'une réforme qui n'aurait pas pu aboutir.
Le Gouvernement a fait un choix médian, celui de la coopérative, c'est-à-dire ni le statu quo ni la banalisation. Le choix de la coopérative nous a semblé bien répondre aux faiblesses qu'il fallait tenter de compenser et à l'objectif du réseau des caisses d'épargne, notamment à sa mission d'intérêt général. Il permet de nouer des alliances, françaises ou européennes ; c'est la partie du mouvement. Il est aussi le plus adapté à l'histoire et à la spécificité des caisses d'épargne. Tel a été l'objectif qui a présidé au choix d'un principe coopératif.
En ce qui concerne le choix du mouvement, j'examinerai maintenant la sécurité financière.
Comme pour les caisses d'épargne, la situation en matière de sécurité financière n'est pas satisfaisante aujourd'hui dans notre pays. Mieux qu'un long discours, qui vous lasserait, il suffit de dresser la liste des sinistres que nous avons connus depuis peu de temps et qui ont dû être gérés par l'Etat dans des conditions jamais très bonnes, au coup par coup, toujours un peu pressé par le temps.
Je pense à la Compagnie du BTP, à la banque Pallas-Stern, au Crédit martiniquais, à Finindus et à Europavie. Certains auraient pu ne pas exister si des méthodes préventives avaient été à l'oeuvre, et le présent projet de loi en prévoit. Le traitement de ces sinistres aurait pu être mieux organisé si des méthodes curatives avaient été à l'oeuvre, le projet de loi en prévoit également.
Quant à l'assurance, l'affaire est encore plus simple. L'exemple de Europavie l'a montré. Il n'existe aucun dispositif de garantie en France en matière d'assurance. Si une compagnie d'assurance fait faillite, les épargnants perdent théoriquement tout ce qu'ils ont déposé. C'est bien sûr totalement non satisfaisant. Le projet de loi qui vous est soumis prévoit des mécanismes de garantie qui n'existent pas aujourd'hui dans le domaine de l'assurance.
Quant au domaine des banques, je ne dirai pas qu'il n'existe rien, mais le système en vigueur est à ce point incomplet que, par exemple, pour la Compagnie du BTP, la charge qui a pesé sur les épaules de l'Etat, et donc en fin de compte sur les contribuables, a été de l'ordre de 800 millions de francs. De façon à ne pas léser outre mesure les déposants, la faillite d'une structure bancaire privée a donc coûté finalement à l'Etat, donc aux contribuables, 800 millions de francs. C'est totalement anormal, d'autant que la procédure a été par ailleurs pénible, incertaine et très longue, : puisqu'elle s'est souvent prolongée pendant plus d'un an. Ainsi, les 10 000 clients de Finindus n'ont pu être indemnisés qu'au terme d'un délai qui a largement dépassé une année.
Cela relève d'un système bancaire, d'un système d'assurances ancien, qu'il faut rénover. Là encore, le choix du mouvement est indispensable.
Mais le Gouvernement s'est refusé à initier ce mouvement dans une perspective autre que la solidarité. Donc, le second choix guidant les orientations du texte qui vous est soumis est celui de la solidarité. J'illustrerai de nouveau mon propos pour les caisses d'épargne et pour la sécurité financière.
S'agissant des caisses d'épargne, le projet de loi vise à renforcer le thème central de la mission des caisses d'épargne, à savoir l'intérêt général, d'abord en l'inscrivant dans les textes. En effet, si chacun est ici convaincu, à juste raison, que l'intérêt général est au coeur de la mission des caisses d'épargne, cela n'a paradoxalement jamais été défini nulle part. Lorsque les caisses d'épargne ont été créées au début du xixe siècle, et quand, par la suite, elles ont évolué quelque peu, cette mission n'a jamais été clairement définie. Pour la première fois, les missions d'intérêt général sont précisées, dans le projet de loi en discussion.
L'engagement de non-banalisation pris en matière de livret A témoigne de la même volonté. Le Gouvernement s'est exprimé sur ce sujet. C'est là une spécificité du réseau des caisses d'épargne. Nous avons l'intention de la préserver autant que faire se peut, et je suis sûr que nous y parviendrons. Là encore, c'est le choix de la solidarité qui est fait puisque, on le sait, ces capitaux collectés sur le livret A servent à financer le logement social. On voit donc bien le circuit de solidarité qui est à l'oeuvre.
Il y a solidarité aussi en choisissant d'affecter une partie des résultats des caisses d'épargne à des projets locaux et sociaux. Le circuit court ainsi organisé pour permettre de financer, par une partie des résultats des caisses d'épargne, des projets de proximité ou des projets sociaux est une autre traduction de ce choix de la solidarité.
Sur ces trois aspects - missions d'intérêt général, livret A, projets locaux et sociaux - la discussion à l'Assemblée nationale a permis de faire avancer le débat.
Enfin, il est un quatrième point par lequel se traduit la solidarité : la transformation des caisses d'épargne en coopérative permet de dégager un capital, de l'ordre de 18,8 milliards de francs. Nous aurons l'occasion, au cours du débat, de revenir sur la raison de la fixation de ce chiffre et, éventuellement, sa discussion. Le Gouvernement souhaite - c'est inscrit dans le texte - que ce capital soit versé au fonds de réserve pour les retraites par répartition. Le financement des retraites est, nous le savons, pour notre pays, l'un des grands problèmes de la décennie ou des deux décennies à venir. Qu'est-ce qui exprime mieux la solidarité que d'affecter une ressource provenant d'une activité d'intérêt général à un fonds de retraite, le fonds de réserve pour les retraites par répartition, qui couvre tous les Français ?
S'agissant des caisses d'épargne, le choix de la solidarité est donc clair.
En ce qui concerne la sécurité financière, le dispositif complet qui vise à être mis en oeuvre répond aussi, on le comprend bien, à une logique de solidarité. Lorsque ce texte aura été adopté, si vous voulez bien le voter, la France sera, parmi les pays de la zone euro, le premier à disposer d'un mécanisme de garantie complet en matière d'assurance.
Aujourd'hui, 3 100 milliards de francs d'épargne sont déposés par nos concitoyens dans les circuits d'assurance, ce qui est considérable. Aussi, l'importance même de ce montant conduit à la nécessité de mettre en oeuvre un dispositif de garantie fondé, bien évidemment, sur la solidarité.
Pour les banques, je l'ai dit, le dispositif en vigueur est incomplet. Il sera fortement complété par le texte qui vous est soumis, notamment par la mise en oeuvre d'une garantie des dépôts qui couvrira tous les établissements de crédit de la même manière, quel que soit leur statut. Cela mettra un terme à l'intervention de l'Etat un peu comme parachute - je l'évoquais tout à l'heure à propos de la Compagnie du BTP mais on pourrait trouver bien d'autres exemples.
Enfin, troisième élément, un mécanisme de garantie des investisseurs sera instauré. Il est en effet souhaitable que les épargnants-investisseurs se voient protégés si l'établissement qui tient leur compte et qui, avec leur argent, pratique des investissements était, pour une raison ou pour une autre, dans une situation difficile. Là aussi, l'épargnant doit être protégé. Le texte prévoit des mécanismes de garantie qui vont dans ce sens.
S'y ajoute un apport du débat à l'Assemblée nationale, à savoir la création d'un quatrième fonds de garantie, relatif aux cautions.
Ce sujet concerne en effet nombre de nos concitoyens. A l'heure actuelle, les épargnants ne sont pas garantis contre la faillite des constructeurs de maisons individuelles. Lorsqu'ils se sont engagés dans un acte d'épargne important, l'acquisition d'un bien immobilier à construire, par exemple une maison individuelle, il n'existe pas de procédure collective de garantie si, d'aventure, pendant l'opération, avant la livraison du bien, mais alors que l'épargnant a déjà payé tout ou partie des sommes dues, le constructeur fait faillite. Là aussi, un fonds de garantie vous est proposé pour mutualiser ce risque qui n'est pas très important puisque, heureusement, cela ne se produit pas tous les jours, mais qui peut frapper durement certains de nos concitoyens.
Au-delà des garanties strictement financières, il a semblé nécessaire au Gouvernement de garantir, dans la solidarité, le droit des épargnants, dans les procédures de liquidation lorsque, hélas ! elles arrivent. Le thème central est que les clients n'ont pas à être responsables de la défaillance de leur banque. Il faut donc trouver des modalités pour qu'ils puissent retrouver leurs avoirs, non seulement dans la solidarité, mais également dans l'égalité, c'est-à-dire de telle manière qu'il n'y ait pas de différence entre tel ou tel épargnant selon qu'il sera plus capable d'apporter des éléments, de remplir des formulaires, d'attendre.
L'indemnisation doit être rapide et simple. Jusqu'à un plafond qui est celui garantissant l'épargne populaire, et qui est aujourd'hui fixé à 400 000 francs, elle devra être automatique, sans qu'il y ait pour quiconque de délais ou de difficultés administratives.
Nous avons opté pour le mouvement, ai-je dit au début de mon propos, et pour la solidarité. Cela se traduit fortement dans les deux cas. Nous avons aussi fait, et je terminerai ce point, le choix de l'efficacité.
Les caisses d'épargne doivent atteindre par un niveau de rentabilité normal, sans laquelle la solidarité n'aurait d'ailleurs pas de sens. Il faut plus de résultats pour créer plus de solidarité. Certes, on peut organiser tous les mécanismes que l'on veut pour affecter les résultats des caisses d'épargne à la solidarité, notamment dans les projets locaux ou sociaux, mais encore faut-il que ces mécanismes jouent, que des résultats aient été obtenus. Il est clair que la recherche d'une plus grande efficacité, grâce aux mécanismes qui vous sont proposés et qui concernent l'utilisation des résultats des caisses d'épargne, permettra une plus grande solidarité.
A l'issue de la réforme, la solidité financière des caisses d'épargne sera considérablement renforcée. En effet, le ratio de solvabilité des caisses d'épargne sera alors de quelque 11 %, soit environ 50 % supérieur à la moyenne des établissements de crédit français. La réforme a donc bien, entre autres caractéristiques, la particularité d'assurer la solidité du réseau, qui est nécessaire compte tenu de la confiance qu'un très grand nombre d'épargnants, pratiquement tous les Français, ont dans ce réseau.
Efficacité financière, disais-je, efficacité des structures aussi.
A cet égard, il faut passer d'un réseau décentralisé à un groupe décentralisé. La création de la Caisse nationale des caisses d'épargne mettra fin à la séparation que j'évoquais tout à l'heure entre les fonctions décisionnelles et les fonctions opérationnelles. Les fonctions seront regroupées en une seule main : la Caisse nationale des caisses d'épargne. A côté de cette Caisse nationale, comme cela existe dans d'autres réseaux, une Fédération nationale des caisses d'épargne assurera la représentation des intérêts du réseau, comme il est normal, comme nous savons le faire, et ainsi que nous l'avons vécu depuis longtemps dans des réseaux analogues.
Nous avons fait, enfin, le choix de l'efficacité de la stratégie. Aujourd'hui, et demain encore, le réseau des caisses d'épargne continuera de bénéficier du soutien privilégié de la Caisse des dépôts et consignations. Mais après-demain, de nouveaux partenaires, notamment des partenaires européens, peuvent apparaître, et les caisses d'épargne doivent être capables de vivre leur vie, en entretenant avec la Caisse des dépôts et consignations les relations de partenariat qu'elles souhaiteront avoir ni plus ni moins - relations normales fondées sur un pacte d'actionnaires et non plus relations de tutelle, comme cela a souvent été dénoncé par des membres du réseau.
Ce partenariat fort avec la Caisse des dépôts et consignations servira à fonder un pôle financier public, point qui a été longuement discuté à l'Assemblée nationale. En effet, la Caisse des dépôts et consignations, la Caisse nationale de prévoyance, que le Gouvernement, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, a choisi de garder dans le secteur public, les caisses d'épargne, la Banque pour le développement des petites et moyennes entreprises, La Poste, peut-être demain le Crédit foncier, représentent un ensemble de structures publiques diversifiées ayant chacune une activité spécifique et une cible dans le marché et constituant bel et bien le pôle financier public que d'aucuns appellent de leurs voeux.
Par ailleurs, s'agissant de l'efficacité pour la sécurité financière, j'ai souhaité que des moyens forts soient mis en oeuvre visant plus à la prévention qu'à la solution des crises. Si des dispositions telles que le remboursement garanti et les délais raccourcis sont prévues en cas de crise, le mieux est encore, bien évidemment, d'éviter cette dernière. Pour cela, deux mesures principales sont proposées.
La première mesure est la création d'un collège des autorités de contrôle qui regroupera les différentes structures existantes - la Commission bancaire, la Commission de contrôle des assurances, la COB, le Conseil des marchés financiers - et qui aura pour vocation de mieux contrôler les conglomérats. Ces derniers, qui ont, par définition, des structures très diversifiées dépassant éventuellement le cadre national, relèvent en effet tour à tour de chacune de ces institutions, lesquelles, en l'absence de séances de travail formelles en un collège permettant de tirer avantage des informations que chacun peut avoir, ne peuvent effectuer un contrôle correct. Par conséquent, ce collège réunissant les autorités de contrôle doit permettre un bien meilleur suivi, afin de dénoncer à temps des situations qui deviennent dangereuses et d'éviter par là même des sinistres.
La seconde mesure est l'attribution de moyens importants et nouveaux à ces autorités de contrôle. J'en donnerai un exemple que je crois assez frappant : le projet de loi prévoit que la commission bancaire aura le pouvoir, dans des cas où elle jugerait qu'une banque est en situation de solvabilité délicate et qu'elle risque, si elle continue dans cette voie, de mettre en danger son existence et, par voie de conséquence, les fonds qui lui ont été confiés par les épargnants, d'interdire la distribution de dividendes aux actionnaires de la banque, afin que les ressources en question viennent renforcer les réserves de celle-ci, que l'on aurait justement jugées insuffisantes pour garantir les dépôts. L'interdiction de distribution de dividendes en situation de faiblesse est une mesure très forte, qui ne sera sans doute pas utilisée tous les jours mais qui doit permettre aux autorités de contrôle de mener une véritable action préventive, sans se limiter à de simples discours, à l'endroit d'établissements de crédit dont on estimerait qu'ils ont vraiment « franchi la ligne jaune ».
J'ai cité tout à l'heure une liste qui comprend, entre autres établissements en difficulté, la Compagnie du BTP, la Société marseillaise de crédit et le Crédit martiniquais. On voit bien comment un tel instrument aurait été utile dans ces différents cas. Il aurait permis sinon d'empêcher totalement le sinistre - je n'en sais rien - en tout cas de limiter considérablement les conséquences qui ont découlé de celui-ci.
En conclusion, je résumerai mon propos, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, car nous avons des heures de débat devant nous pour éclaircir chacun des points. Il s'agit d'un texte qui comprend deux parties fortement liées, d'un texte qui traduit la volonté du Gouvernement d'aller de l'avant et d'adapter une large part de notre secteur financier à l'évolution du monde financier qui nous entoure, d'un texte qui doit permettre aux caisses d'épargne de se développer, au système bancaire et aux assureurs d'aller de l'avant d'un pas, justement, plus assuré - lorsque l'on dispose de mécanismes de garantie, il est plus facile de se développer, de prendre des initiatives, car on met infiniment moins en danger les sommes qui vous ont été confiées - il s'agit d'un texte qui vise à préserver la spécificité des caisses d'épargne et leur mission d'intérêt général tout en leur permettant de se développer, ce qui, de mon point de vue, est la condition de la survie de ce réseau à l'échéance d'une dizaine d'années, bref, d'un texte qui sera, j'en suis sûr, encore amélioré par la discussion au sein de la Haute Assemblée et dont la vocation, lorsqu'il sera publié, sera d'avoir largement rénové ce secteur de notre activité financière, conformément au besoin pressant ressenti par nombre de nos concitoyens qui, d'une manière ou d'une autre, s'intéressent à la structure du système financier.
Comme je le disais au début de mon propos, ce secteur, qui a bénéficié de l'attention et de nombreux rapports de la part du Sénat, se trouve aujourd'hui sur le devant de la scène. Beaucoup des idées émises par le Sénat figurent dans ce texte de loi. Sur d'autres points, nous sommes moins d'accord, mais nous aurons l'occasion d'en discuter. En tout cas, je souhaite que, sur un sujet de cette nature - je suis d'ailleurs sûr que ce sera le cas - nous puissions avoir, comme à l'accoutumée, la discussion éclairée et courtoise qui fait toujours le charme des débats dans cet hémicycle. (Applaudissements.)
M. le président. Il ne fait pas de doute, monsieur le ministre, que les sénateurs ont été sensibles au compliment que vous avez cru devoir leur adresser et au fait que vous ayez souligné l'utilité du Sénat ! (Sourires sur les travées socialistes.)
M. Michel Sergent. Ce n'est pas tout à fait ce qu'il a dit !
M. le président. La parole est maintenant à M. le rapporteur, qui ne manquera pas de répondre à vos voeux, monsieur le ministre, en vous suggérant quelques améliorations à apporter au projet de loi. (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le ministre, faire mouvement dans la solidarité et pour renforcer l'efficacité ; comment contesterions-nous, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, les objectifs que vous avez décrits ?
Cela dit, vous avez observé que la commission des finances s'est livrée à un examen très approfondi de ce texte et qu'elle a adopté, sur l'initiative du rapporteur que je suis, environ 120 amendements sur des sujets de portée variable. Toutefois, vous aurez certainement remarqué que notre approche se veut constructive, fondée sur le dialogue,...
M. Jean-Louis Carrère. Libérale !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... et que les améliorations que nous proposons n'ont aucun caractère idéologique. (M. Carrère s'exclame.)
Mon cher collègue, ne manifestez pas trop tôt vos sentiments, car nous aurons certainement l'occasion, sur nombre de sujets et d'amendements, s'agissant en particulier des caisses d'épargne, de nous retrouver sur telle ou telle précision, quelle que soit son origine. Aussi, je vous en prie, ne condamnez pas le travail de la commission avant de l'avoir analysé !
Les membres de la commission des finances souhaitent très posément, très expérimentalement, trouver les meilleures solutions possibles. Ils aimeraient - je ne sais si ce sera possible - trouver un terrain d'accord tant avec l'Assemblée nationale qu'avec le Gouvernement. Nous verrons si ce voeu pourra être exaucé.
Monsieur le ministre, le projet de loi regroupe différents éléments que vous avez exposés de façon très brillante. Pour ma part, j'adopterai dans cette présentation initiale une approche un peu différente : je concentrerai en effet mon intervention sur le premier volet, c'est-à-dire la réforme des caisses d'épargne, me réservant de prendre de nouveau la parole à l'ouverture de la seconde partie traitant des questions de sécurité financière et des fonds de garantie ; de même, lorsque viendra en examen le titre relatif aux obligations foncières et à la création d'un nouveau marché financier, que nous pouvons espérer très large et très prospère dans le cadre européen, je m'efforcerai de soumettre au Sénat des éléments d'appréciation de portée générale. Il s'agit en effet, monsieur le ministre, d'un point non négligeable dans votre texte et dans cette nécessité d'un mouvement, à la suite de la mise en place de la monnaie unique européenne et de la dynamisation que cette dernière produit pour les professions financières et pour l'organisation des marchés.
Monsieur le ministre, le projet de réforme des caisses d'épargne et de prévoyance marque, après les lois de 1983 et de 1991 auxquelles le Sénat a attaché une importance particulière - beaucoup de dispositions d'origine sénatoriale se sont retrouvées dans les textes promulguées en 1983 et en 1991 - un nouveau progrès qu'il nous faut reconnaître et auquel nous espérons pouvoir participer de la même manière.
Mais ce progrès certain est toutefois insuffisant.
La réforme des caisses d'épargne comporte quatre aspects positifs, dont le premier est l'adoption d'un statut coopératif. Ce projet de loi tend ainsi à clore une très longue période pendant laquelle les caisses d'épargne ont vécu et se sont développées sous un statut sui generis, et à mettre fin aux incertitudes relatives au régime de propriété de leurs fonds propres ; il vise à intégrer les caisses d'épargne à une famille clairement définie, celle de la coopération relevant de la loi, souvent modifiée depuis lors, du 10 septembre 1947.
Cette approche est conforme aux voeux de la commission des finances, déjà maintes fois exprimés, en particulier par la proposition de loi dont notre collègue M. Alain Lambert a été le premier signataire et qui résultait elle-même de nombreux travaux de notre commission.
Le deuxième progrès tient au fait que l'organisation proposée s'inspire de celle de réseaux ayant bien réussi, avec une structure à deux niveaux sur le modèle du Crédit agricole ou du Crédit mutuel : d'une part, un centre d'impulsion stratégique et de gestion des responsabilités du groupe, c'est-à-dire la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance, véritable organe central du réseau susceptible de prévoir, de préparer son avenir, le cas échéant par l'organisation des alliances qui, demain, seront nécessaires, et, d'autre part, la constitution d'une Fédération nationale des caisses d'épargne et de prévoyance qui sera le reflet de la diversité des caisses. Cette fédération traduira bien le principe coopératif à l'échelon national et assurera la légitimité des orientations retenues.
Le troisième facteur de progrès est la suppression des restrictions qui pesaient encore sur l'activité des caisses d'épargne, telle l'impossibilité jusqu'à présent d'accorder des prêts aux entreprises faisant publiquement appel à l'épargne, et donc l'ouverture du marché des grandes entreprises aux caisses d'épargne, qui vont se trouver placées, en tant que réseau bancaire de plein exercice, dans les conditions de la compétition.
Le quatrième facteur de progrès est la contractualisation des liens avec la Caisse des dépôts et consignations. Je considère comme très positif le fait que le présent projet de loi ne traite pas de la Caisse des dépôts et consignations et qu'il laisse le soin aux actionnaires de la future Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance de définir leurs rapports et, avec le temps, l'avenir de ceux-ci.
Pour autant, monsieur le ministre, les choses sont loin d'être parfaites, et la réforme que vous nous proposez est, à mon sens, à la fois ambiguë et inachevée.
En premier lieu, s'agissant du livret A, vous n'êtes pas, me semble-t-il, totalement à l'aise. Vous nous avez parlé tout à l'heure de la non-banalisation du livret A, mais vous avez indiqué dans le même temps : « autant que nous pourrons conserver cette spécificité », ce qui prouve que vous vous posez vous-même des questions à ce sujet.
Au demeurant, nous savons bien que, lorsque la mission du député Raymond Douyère a été définie, l'un des termes de sa lettre de mission était précisément qu'il s'abstienne d'aborder ce sujet et d'étudier l'éventualité de la création d'un livret d'épargne distribué universellement par tous les réseaux et qui présenterait les mêmes caractéristiques que le livret A.
Les caisses d'épargne vont donc être placées dans la compétition. Elles vont néanmoins demeurer, au moins pour un certain temps, les distributeurs exclusifs des livrets A. Les membres de la commission des finances, bien qu'ils n'aient pas présenté d'amendement sur ce point, ils pensent que ce problème se résoudra avec le temps, estiment qu'il s'agit d'une position paradoxale et que le Gouvernement pratique, en quelque sorte, l'autocensure.
En second lieu, nous regrettons l'absence d'évaluation ou de projection financière digne de ce nom.
Sur leurs fonds propres, les caisses d'épargne ont déjà dû subir un prélèvement de 5 milliards de francs résultant de la dernière loi de finances. Elles vont aussi devoir financer la restructuration de leur caisse de retraite et nous savons quelle est l'incertitude vis-à-vis de tels sujets. S'agissant du coût en fonds propres du provisionnement des charges de retraite, les fourchettes se situent entre 13 milliards et 40 milliards de francs selon les hypothèses formulées. En tout état de cause, même si l'on retenait la meilleure des hypothèses, le ratio européen de solvabilité permettant d'appréhender la structure financière du groupe, serait ramené de 16,4 % dans les conditions actuelles à 11,7 %.
Pour autant, monsieur le ministre, pouvez-vous nous apporter des certitudes quant au dénouement technique et financier de ce problème des retraites, qui suscitera inéluctablement bon nombre de difficultés ?
Par ailleurs, monsieur le ministre, l'évaluation des parts sociales que les caisses d'épargne vont mettre sur le marché ne résulte - et c'est un sujet d'étonnement - d'aucun calcul économique, mais se fonde sur une estimation purement forfaitaire reflétant une négociation. On prend simplement la sommation des dotations comptables des différentes caisses d'épargne, et cela aboutit à 18,8 milliards de francs.
Du côté de leurs résultats, les caisses d'épargne, qui, aujourd'hui, il est vrai, sont dépourvues de contraintes, vont subir deux fortes pressions contradictoires : d'une part, la nécessité de rémunérer les fonds propres détenus par les sociétaires et, d'autre part, le nécessité d'affecter une fraction importante de leurs résultats à des actions d'intérêt général.
Nous nous inquiétons de voir que le ratio de solvabilité sera obéré, que la capacité des caisses à renforcer leurs fonds propres pourrait être amputée de moitié alors que les progrès de leur rentabilité ne sont encore qu'à l'état de promesse et que la consolidation financière de leur régime de retraite n'est pas achevée.
Une autre question qui pose véritablement problème est celle des groupements locaux d'épargne, les GLE. Le système que vous préconisez dans ce texte constitue une grave entorse au droit de la coopération et, dans toutes les auditions que j'ai conduites, monsieur le ministre, je n'ai guère entendu que des critiques à l'égard de ces groupements, qui semblent avoir été conçus comme la solution par défaut à un problème qui est en effet un problème technique assez délicat à résoudre.
On nous a présenté les GLE comme s'assimilant aux caisses locales du Crédit agricole, en oubliant que ces dernières ne sont que le résultat d'une évolution qui, progressivement, les a privées de substance économique.
Ces GLE sont critiquables sur quatre points.
En premier lieu, ce sont des organismes sans activité propre, qui ne servent qu'à porter et à céder le capital des caisses d'épargne, ce qui est en contradiction formelle avec les principes de la coopération.
En deuxième lieu, ce sont des structures formant écran entre les sociétaires et leur caisse d'épargne. Comment mobiliser vraiment les détenteurs d'avoirs auprès des caisses d'épargne si on ne leur propose pas d'être sociétaires de la caisse d'épargne elle-même, qui est une entreprise avec ses espérances de résultats et de développement et non une structure écran purement juridique et comptable sans substance et sans activité vraie ?
En troisième lieu, les droits de vote seront pondérés dans les assemblées en fonction du nombre de parts sociales que les détenteurs posséderont, ce qui est en contradiction avec le principe de la coopération, qui est « un homme, une voix ».
Enfin, en quatrième lieu, on fige ainsi la composition du capital des caisses d'épargne, ce qui peut faire obstacle à certaines alliances de caractère régional, voire transfrontières.
Un quatrième point d'insatisfaction nous paraît grave : c'est l'affectation du produit de la cession au fonds de réserve pour les retraites, que nous contestons, monsieur le ministre, car nous considérons que les choses ne sont pas prises dans l'ordre logique. Il y a un rapport Charpin sur les retraites. Il y a des perspectives financières, que l'on doit apprécier en toute liberté. Et, à partir de là, il faut se poser des questions fondamentales, notamment celle de savoir quelle est la responsabilité de l'Etat vis-à-vis des régimes de retraite et comment elle s'exprime.
Une autre question fondamentale consiste à savoir quelle évolution nous acceptons pour les taux de prélèvements obligatoires, notamment sur les éléments salariaux.
Mais nous avons bien d'autres sujets d'inquiétude, en particulier s'agissant des objectifs que l'on peut s'assigner en matière de taux de remplacement des retraites. Et, à mon avis, ce n'est qu'après avoir fait la clarté sur ces questions fondamentales que nous pourrons prendre la décision de doter au bon niveau un éventuel fonds situé à côté de l'Etat. En effet, aujourd'hui, de deux choses l'une : ou ce fonds restera de petite taille - et il ne sera jamais à la hauteur des besoins, il sera épuisé en quelques jours après avoir été actionné - ou il atteindra un volume substantiel et significatif par rapport aux perspectives macroéconomiques à l'échelle de 2005, de 2010 ou de 2015 s'agissant du déséquilibre prévisionnel des régimes de retraite, et, là, à suivre votre raisonnement, il faudrait avoir engrangé des milliers de milliards de francs. Gérés comment ? Placés comment ? Avec quels objectifs ?
Monsieur le ministre, nous contestons une approche qui crée le réceptable avant d'avoir décrit les fonctions à remplir. La commission des finances estime qu'il faut substituer à cette approche une autre méthode, plus claire, tendant à apporter enfin aux Françaises et aux Français non pas par des artifices mais, par une vraie politique, les solutions au problème - qui est réel et que nous ne pouvons nier ni les uns ni les autres - de l'équilibre financier, à terme, des régimes de retraite.
Alors, mes chers collègues, les propositions de la commission des finances se déduisent tout naturellement de ces appréciations. Elles reposent sur deux principes : rapprocher les conditions d'exercice de l'activité des caisses d'épargne du droit commun bancaire, et simplifier leur organisation en la rapprochant des règles du droit de la coopération.
Nous pensons, en premier lieu, que la banalisation du livret A est inéluctable, du fait des règles de la concurrence en Europe.
M. Gérard Delfau. Mais non !
M. Philippe Marini, rapporteur. Mais ce point se réglera assurément de lui-même dans l'avenir.
Nous considérons, en nous situant dans cette perspective de banalisation, qu'il faut mettre fin à l'agrément ministériel pour la nomination du président du directoire de la caisse centrale : si l'on veut créer un groupe de plein exercice dans la compétition, il n'y a aucune raison de le maintenir dans un ensemble administré.
En second lieu, monsieur le ministre, il faut envisager sérieusement de réformer les modes de détermination du taux des livrets A des caisses d'épargne et des autres formes d'épargne administrée. La commission des finances s'est déjà exprimée à de nombreuses reprises sur ce sujet et avait considéré comme positive votre approche de juin 1998, tout en regrettant que les contraintes immédiates de la vie politique, que vous n'avez pas pu surmonter depuis lors, vous aient conduit à maintenir des positions qui, à notre avis, ne sont ni logiques ni techniques. Un jour ou l'autre, il faudra bien sortir de ces contradictions ! Et vous savez que nous avons fait des recommandations en ce sens.
En troisième lieu, nous estimons qu'il faut simplifier la structure du sociétariat et que l'on peut très bien se passer des groupements locaux d'épargne. Les souscripteurs de parts sociales doivent être les sociétaires directs des caisses régionales et, pour animer localement le sociétariat, on peut tout à fait mettre en place, dans les assemblées générales, des sections locales d'épargne.
En quatrième lieu, monsieur le ministre, il faut alléger les contraintes financières qui risquent de placer la barre à un niveau sensiblement trop haut pour assurer toutes les conditions de succès au nouveau groupe des caisses d'épargne.
C'est la raison pour laquelle nous proposons, d'abord, de supprimer la référence aux dotations statutaires pour la fixation du capital social à mettre sur le marché. Cette fraction doit procéder d'une évaluation objective et extérieure qui pourrait être confiée, dans certaines limites, à la commission des participations et des transferts.
Nous estimons, ensuite, que le capital des caisses d'épargne doit être fixé - c'est une limite que nous assignerions au rôle de cette commission - par référence à la proportion moyenne du capital social dans les fonds propres des banques coopératives existantes, ce qui nous conduirait à un chiffre maximal compris entre 13 milliards de francs et 16 milliards de francs, plutôt que fixé à 18,8 milliards de francs.
Nous considérons, par ailleurs, que la contrainte de placement en quatre ans de 18,8 milliards de francs de parts sociales n'est pas raisonnable et nous souhaitons, à ce stade de la discussion, doubler le délai de placement pour le porter à huit ans.
Nous souhaitons également supprimer le plancher et rétablir le plafond pour l'établissement de la fraction du résultat devant être consacrée à des financements d'intérêt général. Vous apprécierez sans doute, monsieur le ministre, qu'en prenant cette position nous nous rallions purement et simplement au texte initial du Gouvernement avant son passage à l'Assemblée nationale !
En cinquième lieu, il convient de faciliter la souscription du capital. Nous sommes favorables à la mise en place à titre gratuit de bons de souscription de certificats coopératifs d'investissement, qui pourront être un levier puissant pour que les caisses d'épargne, simultanément ou après avoir placé les parts sociales, puissent augmenter réellement leurs fonds propres au fur et à mesure que leur développement le nécessitera.
Pour faciliter la souscription du capital, nous proposons, en outre, d'accorder des conditions préférentielles de souscription des parts aux anciens salariés du réseau, selon une formule qui a déjà été utilisée dans les lois de privatisation.
En sixième lieu, vous ne serez pas surpris si je vous dis que nous souhaitons supprimer l'affectation du produit des parts au fonds de réserve du fonds de solidarité vieillesse. Nous souhaitons que l'affectation soit opérée dans le projet de loi de finances pour 2000, car nous espérons que, d'ici là, de rapport en concertation ou en débat, nous y verrons plus clair dans la question économique et sociale tout à fait centrale et stratégique du devenir de nos retraites, sujet sur lequel pèsent, nous le savons tous, de nombreuses et très compréhensibles angoisses.
Nous achèverons la liste de nos amendements avec notre souhait de voir le texte se référer au droit commun du travail en ce qui concerne la dénonciation des accords nationaux.
Enfin, pour parachever votre édifice et permettre à la Caisse nationale de disposer de la liberté d'impulsion nécessaire pour dessiner un avenir librement établi entre partenaires financiers majeurs, nous estimons qu'il suffit de prévoir dans le texte que la Caisse nationale est détenue majoritairement par les caisses d'épargne et non pas à plus de 60 %. Cette exigence ne nous semble en effet pas nécessaire. Dès lors que l'on n'atteint pas la majorité statutaire, la majorité qualifiée des deux tiers, pourquoi choisir ce chiffre intermédiaire de 60 % ? Il est plus logique d'en rester à un contrôle majoritaire à plus de 50 %.
Monsieur le ministre, j'arrête là ces considérations. Je vous ai présenté les observations essentielles de la commission des finances sur la partie du texte que vous nous proposez relative aux caisses d'épargne. Nous reviendrons, si vous le voulez bien, sur la partie relative à la sécurité financière et aux obligations foncières dans la suite de la discussion. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la qualité et le caractère très complet des exposés qui ont été faits tant par M. le ministre que par M. le rapporteur m'invitent à n'aborder que quelques aspects essentiels du texte qui nous est soumis, et plus spécialement, d''ailleurs, le volet relatif à la réforme des caisses d'épargne.
Tout d'abord, pour tirer un motif réel de satisfaction, nous sommes, sur l'essentiel, tous d'accord pour conférer aux caisses d'épargne un statut qui leur permette d'ouvrir une nouvelle phase de leur développement, d'engager une dynamique nouvelle pour prétendre jouer un rôle de premier plan dans le monde bancaire et financier.
La commission des finances ne peut que se réjouir que le projet du Gouvernement s'inspire de nombre de ses propositions faites depuis plusieurs années, issues notamment du rapport « Banques » ou de la proposition de loi de juillet 1997.
Mes chers collègues, lorsque l'on garde en mémoire les critiques qui, à l'époque, les avaient accueillies, on mesure le chemin parcouru par tous depuis cette date !
Néanmoins, monsieur le ministre, le projet que vous soumettez à notre examen, même s'il vient à son heure, ne tire pas, selon moi et selon la majorité de notre commission, toutes les conséquences des bouleversements considérables - vous les avez évoqués - qui traversent les systèmes bancaires et financiers en Europe et dans le monde.
On sent que le texte est le fruit d'un compromis évident et qu'il est privé de l'étincelle d'audace dont tout projet d'avenir a besoin. En effet, dans le monde de la finance tel qu'il est aujourd'hui, qu'on l'apprécie ou non, l'audace est sans doute un élément nécessaire de la réussite sur le long terme.
Disant cela, mes chers collègues, je souhaite vraiment vous convaincre que je ne veux pas céder à la tentation de la provocation. Je ne cherche pas non plus à justifier les excès auxquels s'abandonnent parfois les marchés financiers ni ne souhaite refuser ou ignorer la spécificité du réseau des caisses d'épargne. Mon propos est simple, et je vous demande de croire qu'il est même tout à fait modeste : sommes-nous, au fond de nous-mêmes, vraiment persuadés que le statut que nous allons adopter garantira les meilleures chances d'avenir aux caisses d'épargne pour les dix ou quinze années à venir ? Leur dessinerons-nous un cadre d'action pour le xxe ou pour le xxie siècle ? C'est la question qu'il nous faudra nous poser tout au long de ce débat.
Bien entendu, ce texte comporte des éléments novateurs et positifs que M. le rapporteur a parfaitement décrits dans son rapport et, tout à l'heure encore, à cette tribune : l'adoption d'un statut coopératif - nous l'avions proposé dès 1996 - une organisation inspirée de celle du Crédit agricole - c'était l'objet de notre proposition de loi - le statut de banque de plein exercice et la contractualisation des liens avec la Caisse des dépôts et consignations.
Mais, à côté de ces éléments judicieux, je redoute à mon tour, après M. le rapporteur, que d'autres composantes du statut ne viennent freiner le dynamisme des caisses et ne leur permettent pas, comme elles le souhaitent, d'enclencher un nouvel élan, de réussir un développement ambitieux dans les dix ou quinze années qui viennent.
Prenons quelques exemples de contraintes susceptibles d'entraver la croissance qui est voulue par le réseau et qui lui est nécessaire.
Même si la notion d'établissement sans but lucratif a été heureusement écartée, il demeure que les missions disparates dévolues aux caisses régionales et la consécration juridique du « dividende social » ne seront pas durablement compatibles avec un statut de banque généraliste de plein exercice, soumise aux exigeantes lois de la concurrence.
Comme vous tous, mes chers collègues, je suis naturellement tenté de me laisser bercer par cette douce et envoûtante idée de banque « citoyenne », luttant contre toutes les formes d'exclusion, favorisant l'aménagement du territoire et défendant l'environnement. Mais regardons la réalité en face : dans l'univers de concurrence dure, que certains qualifient même d'impitoyable, où les caisses sont désormais placées, qu'on s'en réjouisse ou qu'on le regrette, demandons-nous si ce ne sont pas les concurrents des caisses d'épargne qui se réjouiront les premiers et le plus fort de toutes ces contraintes.
Si j'osais une comparaison, bien audacieuse, je le reconnais, je dirais que nous lançons les caisses d'épargne dans le grand bain ligotées de bouées qui leur permettront de flotter, mais qui pourraient les empêcher d'avancer et de progresser.
Je souhaite, à ce sujet, exprimer mon regret que n'ait pu être ouvert un débat serein, apaisé, responsable sur une banalisation progressive et adaptée de la distribution du livret A. Le Gouvernement souhaite maintenir cet avantage concurrentiel au profit du réseau, sans doute pour légitimer ses missions d'intérêt général, et l'agrément ministériel à la nomination du président du directoire de la Caisse nationale.
Mais, là encore, mes chers collègues, regardons bien la réalité en face. Comme l'a démontré M. le rapporteur, cette banalisation, même si elle prend du temps, est néanmois inéluctable.
Même les propos de M. le ministre étaient, me semble-t-il, empreints d'un certain doute quant au caractère inéluctable de la banalisation.
M. Jean-Louis Carrère. C'est bien, les obsessions ; cela permet d'y croire !
M. le président. Souhaitez-vous interrompre l'orateur, monsieur Carrère ?
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. M. Carrère nous livrera son message tout à l'heure, et je l'écouterai avec l'attention qu'il mérite.
La paradoxe est sans doute que, plus les caisses d'épargne seront dynamiques - tous ensemble, nous le leur souhaitons - plus la fin de l'avantage concurrentiel sera proche pour elles. Dès lors, pourquoi ne pas les préparer dès à présent, par exemple sur cinq ans, à se priver de cet avantage concurrentiel ?
Je ne souhaite pas que le Gouvernement recommence avec les caisses d'épargne ce qui a été fait avec le Crédit foncier (M. Delfau s'exclame) ,... lors de la suppression des prêts aidés pour l'accession à la propriété, les PAP. Il fallait me laisser finir ma phrase, monsieur Delfau !
M. Gérard Delfau. Dont acte !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Soyons également conscients, mes chers collègues, de la faible utilisation des fonds d'épargne pour leur légitime destination, c'est-à-dire le financement du logement social. Cette situation sera-t-elle tenable longtemps ? Pour ces raisons, je regrette que des motifs largement idéologiques nous retiennent d'ouvrir ce débat de fond.
A titre personnel, j'estime que le renvoi du débat à plus tard ne sert pas la cause des caisses d'épargne. Au contraire, nous risquons de les fragiliser pour l'avenir.
Au fond, monsieur le ministre, le texte que vous nous proposez est sans doute provisoire ; il n'est qu'une étape, certes utile, mais qui en annonce d'autres, plus audacieuses et sans doute plus fécondes pour l'avenir des caisses.
Une autre question essentielle me paraît devoir être évoquée, celle du gouvernement d'entreprise des caisses. Au fond, qui les gouvernera : la technostructure, les porteurs de parts, la Caisse des dépôts et consignations, les représentants des collectivités locales, voire l'Etat, par le biais de l'agrément du président du directoire ?
Derrière ce débat s'en profile un autre : le réseau des caisses d'épargne est-il appelé à devenir une pièce essentielle du « pôle financier public » évoqué ici ou là, ou est-il destiné à passer des alliances avec des banques commerciales privées ? Le texte soumis à notre examen semble un peu louvoyer entre ces deux approches, qui ne sont pas aisément conciliables.
Mes chers collègues, qui déterminera la stratégie du groupe ? Pour ma part, j'avoue ne pas en avoir une perception claire et évidente. Je le regrette, car le réseau, lui, devra, dans les temps à venir, se déterminer sur le sujet.
Pour arrêter sa stratégie, le réseau devra avoir les coudées franches, ce qui justifie une simple détention majoritaire de la Caisse nationale par les caisses régionales, et disposer des ressources nécessaires pour financer sa croissance. Or, le texte, tel qu'il nous est transmis, laisse peser des incertitudes lourdes : les caisses risquent de rencontrer des difficultés financières sérieuses pour, dans le même temps, apurer leur régime de retraite, subir la ponction de 5 milliards de francs, rétribuer suffisamment les porteurs de parts, sans doute au-delà de la rémunération du livret A, distribuer un dividende social très important, dans des conditions opaques que nous regrettons, et porter en réserve les sommes nécessaires au financement de leur croissance et à la modernisation de leur réseau.
En esquivant un choix clair des priorités, sans doute d'ailleurs afin de maintenir l'harmonie d'une majorité très plurielle, le Gouvernement laisse peser une menace non négligeable sur l'avenir des caisses d'épargne.
C'est la raison pour laquelle la commission des finances proposera tout un ensemble cohérent d'amendements - M. le rapporteur les a évoqués - qui viseront à garantir l'avenir des caisses, qu'il s'agisse du montant du capital appelé, de la libération de ce capital ou du plafonnement des financements d'intérêt général.
Avant de conclure mon propos, je souhaite, monsieur le ministre, vous interroger sur deux dossiers étroitement liés à l'avenir du réseau.
Le premier, c'est celui des modalités de fixation de la rémunération de l'épargne administrée. Vous ne direz que cela semble être une obsession du Sénat puisque M. le rapporteur en a déjà parlé ! Ce à quoi je répondrai que le gouvernement précédent était, lui aussi, harcelé par le Sénat sur cette question.
Le second dossier, c'est celui de l'avenir du Crédit foncier.
Les caisses d'épargne, dès lors qu'elles auront des porteurs de parts à rémunérer, et ce d'autant plus significativement que lesdites parts ne sont pas réévaluables, seront les premières concernées par la fixation des taux du livret A pour arrêter leur stratégie financière.
S'agissant de l'avenir du Crédit foncier, le Sénat aimerait connaître avec précision, monsieur le ministre, l'état d'avancement du dossier au regard des nombreux articles de presse qui paraissent presque chaque jour sur le sujet, sans que le Parlement reçoive, lui, la moindre information.
En terminant, mes chers collègues, je veux vous dire que, tout au long de la discussion des articles, tout au long, donc, de l'élaboration du statut des caisses d'épargne, une préoccupation, et une seule, devra occuper nos esprits, celle de l'avenir de ce réseau, celle des règles qui lui offriront les meilleures chances de son avenir, celles qui lui ouvriront la voie du développement.
Ceux qui veulent le bien des caisses d'épargne, ses meilleurs défenseurs seront non pas ceux qui les enfermeront dans un noeud de contraintes, mais ceux qui leur feront confiance pour devenir une banque de plein exercice, capable, dans cet univers de concurrence, d'affirmer sa place et de construire un grand destin. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 45 minutes ;
Groupe socialiste, 38 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 29 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 27 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.
A la demande du Gouvernement, le Sénat va maintenant interrompre ses travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à douze heures trente-cinq.)