Séance du 11 mai 1999







M. le président. La parole est à M. Demilly, auteur de la question n° 502, adressée à M. le ministre de la défense.
M. Fernand Demilly. Monsieur le ministre, ma question concerne l'avion de transport militaire du futur, l'ATF.
Sept pays européens - l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, la France, l'Italie, le Royaume-Uni et la Turquie - sont concernés par ce marché de 150 milliards de francs pour près de trois cents appareils ; la France prévoit d'en acquérir une cinquantaine pour remplacer ses Transall dans l'armée de l'air.
Les industriels ont remis trois solutions aux gouvernements concernés : l'achat d'appareils américains déjà existants ; l'appareil ATF construit spécialement par Airbus Industrie, qui a créé, pour participer à l'appel d'offres, une filiale militaire ; un transporteur développé sur la base de l'Antonov russe.
Pour le chef d'état-major de l'armée de l'air, l'ATF constitue la meilleure solution en termes de maîtrise des coûts et de satisfaction des besoins. Mais, précise le délégué général pour l'armement, le lancement de l'ATF ne pourra avoir lieu que si le budget pour 2000 inscrit les 30 milliards de francs d'autorisations de programme nécessaires pour la cinquantaine d'appareils que la France doit acheter.
Plusieurs inconnues subsistent : l'attitude des Allemands dans Airbus à l'égard de la crédibilité de l'Antonov qui poserait des problèmes de maintenance et de fourniture de pièces détachées ; l'attitude de la Grande-Bretagne qui est pressée de moderniser sa flotte aérienne et qui a déjà commandé 25 C-130 J au construteur américain Lockheed, et, enfin, l'attitude du Gouvernement français, qui tarde à prendre position et à indiquer clairement sa position.
Ma question est évidente, monsieur le ministre : quelle est la position actuelle du Gouvernement français ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le sénateur, le gouvernement français a une présentation de la réalité différente de celle qui apparaît dans votre question, qui simplifie quelque peu un certain nombre d'enjeux. Lorsque, dans la collectivité que vous administrez avec beaucoup de maîtrise, vous avez à choisir entre plusieurs fournisseurs, vous jugez sans doute un peu hâtif l'orateur qui vous explique qu'il sait déjà lequel est le bon !
La capacité de projection des forces est essentielle à nos armées pour participer de manière cohérente à la gestion des crises. Et la question est d'actualité !
Comme vous l'avez rappelé, la France doit renouveler à partir de 2005 - l'échéance est proche ! - son parc d'avions de transport Transall construits en coopération avec l'Allemagne dans les années soixante. Cette échéance, que nous partageons avec d'autres partenaires européens malgré des différences de calendrier, nous a amenés à étudier trois options ouvertes d'achat : le développement de l'ATF par la filiale militaire d'Airbus - c'est le projet FLA, Future Large Aircraft , puisque l'on a retenu le sigle correspondant à la dénomination anglaise -, l'achat d'appareils américains de type C 130-J et C 17, qui conviennent à la mission, et, enfin, l'acquisition d'avions qui seraient dérivés de l'appareil russo-ukrainien Antonov 70, lequel ne répond pas, dans sa version actuelle, aux spécifications attendues par les pays européens.
Nous sommes huit pays à participer à cette démarche et l'acquisition de ces avions s'inspire des méthodes commerciales pratiquées par les compagnies aériennes qui, au moment du lancement d'un nouveau programme d'avions civils, s'engagent à commander un certain nombre d'appareils selon un calendrier et un coût bien déterminés. Le respect à la fois des objectifs opérationnels et du bon usage des deniers du contribuable est à ce prix.
Dans le cas de l'ATF, il faudra donc que chacun des huit pays partenaires que vous avez cités passe un contrat, dès le début de l'année prochaine, avec la société qui aura été retenue, soit la filiale militaire de la société Airbus, soit une autre société.
La première évaluation entre les trois solutions est conduite de façon conjointe avec l'ensemble de nos partenaires et nous nous sommes réparti le travail pour évaluer la solution russo-ukrainienne et la solution américaine.
Les réponses à l'appel d'offres m'ont été remises par les industriels le 29 janvier. Elles sont en cours d'analyse et cette phase de comparaison doit durer jusqu'à l'été. Je m'en occupe personnellement.
Nous aboutirons à un choix final vers la fin de l'année, après les travaux de sélection qui seront menés par chaque nation, parce qu'il n'a pas été décidé que nous achèterions automatiquement le même appareil : si nous avions suggéré qu'un pays serait contraint d'acheter l'appareil qu'il n'a pas choisi, il n'y aurait pas eu d'entente entre les huit pays pour définir ensemble les spécifications !
Aujourd'hui, aucun des huit pays n'a formalisé, et encore moins annoncé, de choix. L'analyse doit être poursuivie avant de pouvoir prononcer un choix final pleinement éclairé, qui ne peut être guidé uniquement par des considérations d'intérêt industriel local.
Vous avez mentionné la question des ressources budgétaires, des autorisations de programme nécessaires pour pouvoir engager une commande pluriannuelle. C'est un point sur lequel nous travaillons avec le ministère du budget, et il sera résolu en temps utile.
D'autres questions restent à étudier de façon approfondie. Il en est ainsi de l'impact industriel des différentes options, notamment à l'heure où Airbus étudie par ailleurs la possibilité de lancer son projet civil A3XX, mais aussi des compensations à un achat éventuel à l'étranger, qui pourraient également être un élément favorable pour notre industrie.
Il faut aussi s'interroger sur les organisations capables de porter les risques contractuels et mesurer l'apport d'un projet fédérateur européen pour l'optimisation des forces aériennes européennes dans l'organisation de la formation des équipages, de la maintenance, de la logistique, de l'exploitation, enfin, sur une période très importante.
L'ensemble de ces questions fait l'objet de travaux conduits par les équipes du ministère de la défense, en coopération avec nos partenaires européens. La complexité des sujets et le nombre des intervenants permettent de comprendre le calendrier de décisions que je vous ai décrit.
Je tiens à souligner que notre démarche vise à prendre en considération toutes les dimensions du dossier : l'équipement des forces aériennes européennes, les coûts d'acquisition et d'utilisation des appareils sur une durée de vie qui, en l'occurrence, s'étale sur près de quarante ans, la fiabilité de l'organisation pour l'acquisition puis pour la maintenance.
Les trois options sont aujourd'hui en compétition dans l'ensemble de ces domaines. J'attacherai un souci constant, dans les mois qui nous séparent de cette décision, à poursuivre les échanges avec la représentation nationale sur ce projet particulièrement important pour mon département ministériel, mais aussi pour l'industrie aéronautique, dont j'assure la tutelle.
M. Fernand Demilly. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Demilly.
M. Fernand Demilly. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos informations et je comprends vos observations. Je voudrais cependant insister sur l'importance, pour l'aéronautique et pour l'emploi, de la décision du Gouvernement français, qui peut être déterminante en la circonstance.

Voilà quelques jours, le groupe d'études chargé de l'aviation civile au Sénat et à l'Assemblée nationale, dont je suis membre, a reçu M. Yves Michot, président d'Aérospatiale. Je lui ai posé la question de ce que représenterait pour son groupe le programme ATF. La réponse a été claire : outre l'intérêt d'améliorer le rapport défense-civil, c'est un marché énorme qui concernera directement la société Aérospatiale - et, par conséquent, l'emploi dans cette entreprise - ou qui partira ailleurs, chez les Américains probablement.
Dans ces conditions, il est effectivement urgent qu'une décision soit prise par le gouvernement français, faute de quoi les Britanniques risquent de se retirer du projet ATF, et Aérospatiale de perdre une chance exceptionnelle d'exportation, car ce programme peut couvrir les besoins de bien des pays du monde.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le sénateur, comme son nom l'indique, un groupe d'études est fait pour étudier, et pas forcément pour répercuter directement la présentation des dossiers par un industriel intéressé.
Il est sans doute de l'intérêt d'Aérospatiale que ce marché soit décidé par plusieurs gouvernements et non pas par le seul gouvernement français car, si nous prenions cette décision d'attribution sans être compris ni accompagnés par nos partenaires, l'impact industriel serait faible, voire négatif.
Quoi qu'il en soit, votre groupe d'études aura certainement à coeur de s'intéresser aux risques technologiques et financiers auxquels devra faire face la société Aérospatiale !
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures dix est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Jean Faure.)