Séance du 18 mai 1999







M. le président. La parole est à M. Laffitte, auteur de la question n° 530, adressée à M. le ministre de la défense.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la défense, dans le monde moderne, ne peut désormais être dissociée des capacités techniques et de la puissance économique.
Le Gouvernement a présenté récemment au Sénat un projet de loi sur l'innovation et la recherche, que nous avons voté, visant à renforcer le potentiel technique de la France et l'action en faveur de la recherche et de la création d'entreprises à forte capacité de développement. Cela est directement lié à la défense !
Lors de tous les conflits récents, qu'il s'agisse de la guerre du Golfe ou du Kosovo, nous avons constaté que, par rapport aux Etats-Unis, notre retard est sans commune mesure avec notre puissance économique. Il y a donc là, sur le plan strictement militaire, un déphasage que chacun, et en particulier l'état-major des armées, peut constater et regretter.
Or, en France, depuis près de dix ans, comme l'ont constaté aussi bien le rapporteur général du budget, M. Marini, que les rapporteurs spéciaux MM. Trucy et Blin, les dépenses de recherche et développement ont diminué de 37 % entre 1990 et 1997.
Certes, dans d'autres pays, ces dépenses ont aussi diminué. Ainsi, aux Etats-Unis, elles ont été réduites de 18 %, mais la proportion des dépenses de recherche et de développement a doublé par rapport aux investissements en matière d'infrastructures et de technique. Par conséquent, tandis que les Etats-Unis diminuaient leur effort militaire, ils augmentaient, en proportion, leurs investissements en matière de recherche et développement. C'est une des raisons pour lesquelles nous constatons une telle différence entre le poids de l'Europe et celui des Etats-Unis, le rapport étant de l'ordre de un à cent, ce qui n'est pas normal.
Aussi, il me paraît essentiel, monsieur le ministre, que vous réfléchissiez avec l'état-major des armées et avec M. le Président de la République, qui a en la matière une responsabilité éminente, sur la façon de moderniser notre action. Nous éviterions ainsi des cris d'alarme comme ceux de mon ami Jacques Blamont, membre de l'Académie des sciences, qui, dans Le Monde du 23 avril dernier, se demandait si nous n'étions pas en train de préparer la guerre précédente.
Il y a là un problème de fond, qui intéresse la nation et le Sénat. Il faut considérer que, désormais, la technologie et la logistique constituent les points essentiels sur le plan militaire, comme les récents conflits l'ont montré.
Ainsi, nous sommes dans une situation de totale dépendance en matière de localisation au sol. Certes, des projets existent. J'ai interrogé M. le secrétaire d'Etat à l'industrie sur le projet GMSS 2, projet concurrent du GPS, qui est en cours d'étude à Bruxelles. Le financement n'est, semble-t-il, pas encore totalement assuré, même si, s'agissant des questions spatiales européennes, la Commission prévoit de consacrer 1 milliard d'euros pour financer un programme qui coûte 2 milliards, des contributions nationales et des contributions privées étant prévues.
Il faut bien se rendre compte qu'il y a là, notamment en ce qui concerne les systèmes satellitaires, un retard capital. Le redéploiement d'une petite partie des quelque 200 milliards que représente le budget de votre département ministériel permettait au moins d'amorcer un mouvement dans le bon sens.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le sénateur, comme je le disais à l'instant à votre collègue Bernard Piras, le ministre de la défense, M. Alain Richard, m'a demandé de le représenter ce matin, et c'est donc en son lieu et place que je répondrai à votre question.
Constatant la diminution, depuis quelques années, des dépenses du ministère en faveur de la recherche, des études et du développement, et prenant exemple sur le soutien apporté par le département américain de la défense à des projets de systèmes satellitaires à usage dual tels que le GPS, qui constitue désormais un monopole stratégique mondial préoccupant, vous suggérez de redéployer une part des dépenses militaires sur des applications satellitaires, afin de renforcer les positions française et européenne dans un domaine crucial pour la défense.
L'effort annuel de recherche du ministère de la défense s'élève à environ de 5,5 milliards de francs, ce qui inclut les budgets d'études en amont, les subventions à la direction des applications militaires du CEA, le Commissariat à l'énergie atomique, et aux organismes de recherche tels que l'ONERA, l'Office national d'études et de recherches aérospatiales, et l'Institut de Saint-Louis, ainsi que la contribution de la défense au BCRD, le budget civil de recherche et de développement technologique, qui atteint 900 millions de francs. Cet effort est du même niveau que celui du Royaume-Uni, et il est très supérieur à celui de l'Allemagne.
Vous avez parfaitement raison, monsieur le sénateur, de souligner que les technologies civiles de l'information et des communications sont de même nature que les technologies militaires. Le phénomène est d'ailleurs tel, aujourd'hui, que ce secteur fortement dual possède sa dynamique propre et que les investissements industriels et commerciaux civils y sont désormais sans commune mesure avec les investissements d'origine militaire.
La France consacre en outre une part significative de son budget militaire, de l'ordre de 3 milliards de francs par an, à la recherche et au développement de systèmes satellitaires, notamment en matière d'observation et de télécommunications. La recherche de la convergence des technologies développées pour les usages militaires avec les besoins du secteur commercial est une préoccupation constante du ministère de la défense.
Par ailleurs il est certain que l'usage par les militaires de services satellitaires de communication ou d'observation proposés par le secteur commercial est appelé à se développer à l'avenir, notamment pour des raisons économiques. De même, le ministère de la défense suit avec intérêt les travaux menés par l'Union européenne dans le cadre du projet de système satellitaire de navigation Galileo, qui permettrait de s'affranchir du monopole du GPS américain.
Vous avez parlé du rôle du Pentagone dans le déploiement de ce système GPS. A cet égard, il paraît utile de rappeler ici quelques ordres de grandeur.
Le budget du Pentagone est équivalent à l'ensemble du budget de l'Etat français. La part de ce budget destinée à la recherche et au développement de nouveaux équipements dépasse à elle seule le budget d'investissement du département de la défense français. Enfin, la structure de financement de la recherche développement outre-Atlantique est radicalement différente de celle que nous connaissons en France, puisque le Pentagone est responsable de plus de 55 % du financement public américain de la recherche.
Ce n'est donc pas par une modification, nécessairement à la marge, de la répartition budgétaire au sein de mon département ministériel que nous parviendrons à combler le déséquilibre avec les Etats-Unis, d'autant que, comme l'a souligné le rapport Guillaume, l'effort de recherche développement par habitant consenti en France est tout à fait similaire aux dépenses américaines.
Trois axes d'amélioration me semblent toutefois nécessaires pour améliorer l'efficacité de la dépense publique et éviter la création d'un fossé technologique, que vous avez dénoncé, à juste titre.
Le premier, c'est un renforcement de l'effort de recherche développement civil et militaire des différents partenaires européens pour permettre à l'Europe d'acquérir un niveau globalement équilibré par rapport aux autres grandes nations comme les Etats-Unis ou le Japon.
Le deuxième axe, c'est une politique de coopération et de coordination des programmes de recherche développement européens qui permettent d'augmenter les synergies et de limiter les doublons. J'ai notamment donné comme directive à mon département ministériel d'atteindre un niveau de 25 % d'études en amont réalisées sur des projets en coopération.
Enfin, le troisième axe, c'est une meilleure concertation des politiques de recherche entre les ministères pour en améliorer les synergies : mes collègues Claude Allègre et Alain Richard ont demandé à leurs administrations respectives de mettre en place une coordination entre la direction de la technologie et la délégation générale pour l'armement. Cette action sera étendue ultérieurement au ministère de l'industrie.
Les services du ministère de la défense étudient et anticipent ces perspectives d'évolution du contexte, en coordination avec les ministères et organismes civils compétents et aussi dans le cadre des instances de coordination internationales. C'est, en effet, dans un cadre international et européen que des possibilités de trouver un certain équilibre face aux capacités américaines pourront et doivent être recherchées.
M. Pierre Laffitte. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Je me réjouis de constater que, sur l'essentiel des questions que j'ai évoquées, M. le ministre de la défense partage mes préoccupations.
Je me félicite également du renforcement de la coopération européenne en matière de financement de défense qui devrait, à l'évidence, s'opérer. En effet, je ne pourrais me satisfaire d'une situation dans laquelle le plus important pays européen du point de vue économique n'a pas à supporter de charges financières quant à l'essentiel d'une stratégie d'avenir : je veux parler de l'Allemagne, qui ne remplit pas actuellement le devoir de prospective stratégique qui devrait être le sien. C'est là, à mon avis, un problème politique majeur.
Il conviendra donc, me semble-t-il, à l'occasion des prochaines échéances électorales, de veiller à aller dans le sens des dispositions du traité d'Amsterdam, c'est-à-dire à prévoir des opérations dont la part tant militaire que diplomatique sera importante dans le rôle de la nouvelle Europe.
Il y a là, à mon avis, une volonté d'échapper à une hégémonie qui, même si elle est exercée par des puissances amies, n'est cependant pas admissible au regard du rapport des forces actuel. C'est d'autant plus nécessaire que, au-delà de la défense nationale au sens strict, une guerre économique fait d'une certaine façon rage dans toute une série de domaines dans lesquels nous devons certainement renforcer notre position.

CRÉATION D'UNE CITÉ SCIENTIFIQUE
DANS LE VAL DE SEINE