Séance du 2 juin 1999
M. le président.
Par amendement n° 129, M. Neuwirth propose d'insérer, avant l'article 32, un
article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 3 de la loi n° du visant à garantir le droit à l'accès aux
soins palliatifs est ainsi rédigé :
«
Art. 3. - L'article L. 712-10 du même code est complété par un alinéa
ainsi rédigé :
« Pour l'application du présent article, les soins palliatifs sont considérés
comme une discipline. »
La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth.
L'article L. 712-10 du code de la santé publique prévoit les conditions dans
lesquelles peuvent être autorisés les projets de structures d'hospitalisation à
domicile - vous n'y êtes d'ailleurs pour rien, monsieur le secrétaire d'Etat
!
Cet article institue un système de troc : l'autorisation est possible à
condition que soit prévue une réduction des capacités d'hospitalisation
relevant de la même discipline.
Bien. Mais il faut préciser que, lorsque cet article a été voté, les soins
palliatifs n'étaient pas ce qu'ils sont aujourd'hui !
Cette disposition constitue en fait un frein considérable au développement de
l'hospitalisation à domicile pour les soins palliatifs, qui ne sont pas
considérés comme une discipline. C'est assez paradoxal quand on sait que 70 %
des Français veulent mourir chez eux et que seulement 26 % d'entre eux y
parviennent.
Je rappelle que la commission des affaires sociales du Sénat, la commission
des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale et le
Sénat en séance publique ont voté à l'unanimité les dispositions visant à faire
les soins palliatifs une discipline de façon à éviter cet espèce de troc, qui
ne concernait absolument pas, lorsque la loi a été votée, les soins
palliatifs.
Malheureusement, à l'Assemblée nationale, sur les conseils de je ne sais qui,
vous avez présenté un amendement qui réduit à néant la portée du texte que nous
avons voté. Il prévoit que « des dispositions particulières peuvent être prises
pour les soins palliatifs ».
Au Sénat, monsieur le secrétaire d'Etat, nous bénéficions des services
d'excellents juristes, qui nous ont fait remarquer que cette phrase était
dépourvue de portée juridique.
Pour répondre à cette objection, vous m'avez expliqué que les ARH, les agences
régionales de l'hospitalisation, régleraient directement les problèmes avec les
établissements à l'échelle régionale ou locale.
On en revient donc à la situation antérieure : dans certains départements,
l'hospitalisation à domicile pour les soins palliatifs se développe alors que
dans d'autres non, et nous nous retrouvons dans une situation analogue à celle
qui existe actuellement, dans laquelle quarante départements n'offrent pas de
soins palliatifs à domicile.
C'est la raison pour laquelle, fort de la même unanimité, j'ai déposé cet
amendement.
Le dispositif que vous défendez, monsieur le ministre, n'est absolument pas
adapté aux besoins dans la période où nous vivons.
D'ailleurs, dans tout le pays, les équipes de soins palliatifs ont réagi.
Elles ne comprennent pas qu'un tel texte ait été adopté, en contradiction avec
la volonté du Parlement et, surtout, avec la volonté de tous ceux qui
participent aux soins palliatifs et qui souhaitent que toutes les personnes qui
voudront terminer leur vie à domicile puissent le faire.
Tout le monde souhaite que se développe l'hospitalisation à domicile et, pour
les malades en fin de vie, c'est une simple mesure de justice. Nous ne pouvons
plus nous en remettre à des décisions locales qui feront que, fatalement, des
parties du territoires seront oubliées.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Claude Huriet,
rapporteur de la commission des affaires sociales. Tout à fait favorable,
monsieur le président.
Je souhaite, à titre personnel, que l'unanimité qui s'est exprimée lors du
vote de la proposition de loi de notre collègue M. Neuwirth se manifeste de la
même façon à l'occasion du vote de cet amendement.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale. Je comprends très
bien les intentions qui animent M. Neuwirth, M. Huriet et l'ensemble du Sénat.
Mais je conteste tout cela pour les mêmes raisons que celles qui les
animent.
En effet, si nous créons une discipline de soins palliatifs et si nous figeons
ces derniers par établissement, nous ne pourrons pas développer des équipes
mobiles. Je vous ai déjà dit, monsieur Neuwirth, et je persiste à penser que ce
troc, que l'on peut juger immoral s'agissant des soins palliatifs - c'est mon
cas - qui consiste à supprimer deux lits à l'hôpital pour la création d'un lit
en hospitalisation à domicile est nécessaire.
Je me trompe peut-être, et j'admire votre conviction.
Je suis conscient des problèmes inhérents au développement de
l'hospitalisation à domicile. J'ai d'ailleurs demandé que ses capacités soient
doublées avant la fin de l'an 2000. Je ne sais pas si j'y parviendrai, mais je
sais que ce que vous dites est vrai concernant l'hospitalisation à domicile et
les soins palliatifs.
C'est la raison pour laquelle j'ai déposé moi-même un amendement visant à
garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs. Cet amendement précisait que
des dispositions particulières pouvaient être prises pour les soins palliatifs.
Cela impliquait que ce fameux troc de deux contre un ne serait pas respecté et
que, localement, en fonction des conditions d'accueil de l'établissement par
rapport aux possibilités d'hospitalisation à domicile, on allait pouvoir
raisonner de façon volontariste.
M. Lucien Neuwirth.
Nous ne nous sommes pas compris !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat. Et c'est ce qui m'étonne !
L'article ainsi modifié permet en effet, dans le cadre du régime actuel des
autorisations, de favoriser le développement de l'hospitalisation à domicile
pour les soins palliatifs liés à l'hôpital sans interdire l'existence d'équipes
mobiles et sans imposer de manière uniforme aux établissements de santé une
réduction du nombre de lits. Je sais que si nous prenons des dispositions
dérogatoires en faveur des soins palliatifs, il n'y aura pas de troc. Et c'est
ce que je souhaite.
Je veux éviter tout malentendu entre nous. Aussi, je demande qu'on s'en
remette à une expertise et qu'on fasse le point lors d'une lecture ultérieure.
J'ai le sentiment que si le texte n'est pas modifié, localement, il sera plus
facile pour les établissements de dévélopper le nombre de lits en soins
palliatifs à domicile sans gager les lits hospitaliers. Tel est mon sentiment.
Il me paraît donc judicieux d'en rester là pour ne pas nourrir de fausse
querelle.
Je suis donc défavorable à cet amendement, mais je veux bien réfléchir à cette
question et y revenir en nouvelle lecture.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 129.
M. Lucien Neuwirth.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Neuwirth.
M. Lucien Neuwirth.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous disons exactement la même chose. Aussi, je
suis surpris que nous ne parvenions pas à nous entendre.
Avec le système que nous proposons, le troc n'existe plus. En effet, grâce au
texte que vous avez fait voter à l'Assemblée nationale et que nous avons voté
conforme, texte dans lequel vous faites des soins palliatifs et de
l'accompagnement un droit, et avec le dispositif que nous proposons, aucun troc
n'est plus possible. M. le rapporteur vous le confirmera.
M. Claude Huriet,
rapporteur. Me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Lucien Neuwirth.
Je vous en prie, monsieur le rapporteur.
M. le président.
La parole est à M. Huriet, rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Claude Huriet,
rapporteur. En me référant à la rédaction actuelle, il m'apparaît d'une
façon assez évidente que, si les soins palliatifs ne sont pas considérés comme
une discipline, le système de troc qui découle de l'article considéré
s'appliquera toujours pour les soins palliatifs, c'est-à-dire que, pour obtenir
le développement de l'hospitalisation à domicile pour les soins palliatifs, il
faudra restreindre les possibilités de soins palliatifs d'une autre discipline
excédentaire.
L'amendement de notre collègue M. Neuwirth répond à cette inquiétude : à
partir du moment où les soins palliatifs seront considérés comme une
discipline, la création de soins palliatifs à domicile sera de plein droit.
M. le président.
Monsieur Neuwirth, veuillez poursuivre.
M. Lucien Neuwirth.
En outre, nous irons vers ce que nous souhaitons tous : le développement des
équipes mobiles de soins palliatifs. Il faut faire vivre les réseaux
ville-hôpital, qui ne sont pas suffisamment développés. C'est la raison pour
laquelle nous pensons que cette disposition est essentielle.
M. Joseph Ostermann.
Très bien !
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat. Je crains, mesdames, messieurs les sénateurs, d'avoir
raison.
(Rires.) En tout cas, nous poursuivons le même but et notre
désaccord est étonnant.
A la cinquième ligne de l'article L. 712-10 du code de la santé publique, on
peut lire : « les projets des disciplines en cause peuvent être autorisés à
condition d'être assortis d'une réduction des moyens d'hospitalisation relevant
de cette ou de ces disciplines au sein de la zone considérée. »
Je crains, monsieur Neuwirth, que, même si nous créons la discipline, la
notion de lit ne soit pas abolie pour autant. On supprimera alors des lits de
médecine - ce qui n'est pas forcément pour me gêner, mais il faudra compter
avec les influences locales !
M. Lucien Neuwirth.
C'est bien ce que je dis.
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat. Sans créer de nouvelle discipline, je crée donc les
conditions nouvelles d'un échange qui ne serait pas fondé sur le troc.
Ce que je propose permet d'eviter de prendre des dispositions qui
reviendraient à faire l'échange avec des lits qui n'existaient pas avant,
puisqu'il s'agirait d'échanger des lits d'hospitalisation à domicile contre des
lits hospitaliers de soins palliatifs, ce qui serait impossible puisqu'il n'en
existe pas.
En tout cas, j'ai le sentiment que le troc persistera avec la rédaction que
nous propose M. Neuwirth.
Cela étant nous devrions, chacun de notre côté, essayer d'approfondir la
question. Je suis sûr de moi à 95 % - mais pas à 100 % !
M. le président.
Si je comprends bien, monsieur le secrétaire d'Etat, vous vous en remettez, en
vertu du doute que vous éprouvez, à la sagesse du Sénat...
M. Bernard Kouchner,
secrétaire d'Etat. Je souhaite, monsieur le président, que nous puissions
revenir sur cette question en nouvelle lecture. J'apporterai alors au Sénat des
informations complémentaires.
M. le président.
Monsieur le secrétaire d'Etat, c'est bien pourquoi je m'efforce de vous tendre
cette perche...
La suite du processus législatif permettra d'approfondir le sujet.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 129.
M. François Autain.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Autain.
M. François Autain.
Dans l'attente de cet approfondissement, le groupe socialiste se réfugiera
dans l'abstention.
(Sourires.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 129, accepté par la commission et pour lequel
le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet
de loi, avant l'article 32.
Article 32