Séance du 8 juin 1999






SITUATION AU KOSOVO

Débat sur une déclaration du Gouvernement

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur la situation au Kosovo.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la conférence des présidents a fixé à dix minutes le temps de parole dont disposeront, dans ce débat, les orateurs de chaque groupe ainsi que le président de la commission des affaires étrangères, et à cinq minutes le temps dont disposera la Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous donne lecture de l'allocution de M. Lionel Jospin, Premier ministre :
« Le 26 mars dernier, je vous avais exposé les raisons qui déterminaient l'engagement de la France aux côtés des alliés dans des opérations militaires aériennes contre les forces de répression serbes.
« Je vous avais décrit la logique de la décision prise par les autorités françaises. Il nous fallait rompre le refus obstiné de M. Milosevic de remplir les obligations fixées par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Il nous fallait tirer les conséquences du rejet par Belgrade de l'issue politique proposée à Rambouillet - laquelle dessinait pourtant, après quinze mois de négociations, un avenir pour le Kosovo. Il nous fallait signifier au régime serbe que nous n'accepterions pas qu'il poursuive, impunément, au Kosovo - comme hier en Croatie et en Bosnie - un cycle de violence barbare. Il nous fallait enfin le contraindre à accepter, pour le Kosovo, une solution conforme au droit international et respectueuse des droits fondamentaux de la personne humaine.
« A chacune de mes interventions devant l'Assemblée nationale et le Sénat, comme lors des rencontres que j'ai eues à l'hôtel Matignon avec les présidents des groupes politiques et des commissions concernées, ou encore des nombreuses auditions des ministres des affaires étrangères et de la défense auxquelles ces commissions ont procédé, le Gouvernement a rappelé les objectifs et les modalités de l'intervention de nos forces armées. Chaque fois, ont été exposées les conditions dans lesquelles ce conflit devait prendre fin. J'ai toujours insisté sur le fait que cette crise devait se terminer selon les termes fixés par la communauté internationale, et non ceux voulus par M. Milosevic.
« C'est donc avec satisfaction, mais aussi avec prudence, que nous avons accueilli, la semaine dernière, l'annonce par les autorités de Belgrade qu'elles renonçaient à l'usage de la force au Kosovo et acceptaient les principes et les conditions que le G 8 et le secrétaire général de l'ONU, au nom de la communauté des nations, avaient posés pour trouver une issue à la crise. Il restait à s'assurer que les engagements serbes se concrétiseraient. C'est là l'enjeu des discussions en cours au plan diplomatique comme au plan militaire. Les ministres des affaires étrangères du G 8 viennent de se mettre d'accord, il y a une heure, sur un projet de résolution qui sera soumis au Conseil de sécurité des Nations unies. Les discussions militaires vont reprendre. Je me réjouis avec vous de ce pas décisif accompli sur le chemin de la paix. Je suis heureux que notre diplomatie et en particulier le ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, aient contribué activement à cette dernière avancée.
« La stratégie poursuivie avec constance depuis dix semaines permet donc aujourd'hui d'envisager une sortie de crise.
« Je voudrais vous rappeler les fondements de cette stratégie.
« Parce que M. Milosevic ne laissait pas d'autre issue, nous avons été conduits à exercer une logique de coercition.
« Parce que le régime de Belgrade avait systématiquement opposé une fin de non-recevoir aux efforts des négociateurs de Rambouillet comme à toutes les autres formes d'intervention diplomatiques, notre stratégie devait employer des moyens militaires. Le décalage existant entre les forces de répression serbes et les populations kosovares sans défense exigeait le recours aux capacités militaires de l'OTAN.
« Parce que Belgrade a ensuite persisté dans son refus de composer, nous avons décidé la montée en puissance des bombardements aériens pour imposer à l'adversaire notre résolution. Il a fallu poursuivre pendant plusieurs semaines la même stratégie sur un mode élargi : aux objectifs de la phase 1, touchant des centres de commandement et de défense aérienne, sont venus s'ajouter des objectifs militaires au Kosovo - sur les instruments mêmes de la répression - puis des objectifs de nature politique et économique - c'est-à-dire les instruments de la propagande et du soutien des forces.
« Mais, parce que la perspective politique de cette stratégie était l'arrêt de la répression au Kosovo, il ne s'agissait pas de faire la guerre aux Serbes. La pression sur le pouvoir de Belgrade fut croissante, mais toujours maîtrisée. Nous avons refusé l'emballement et l'escalade.
« Cette stratégie est validée par les faits.
« Elle vient à bout de l'obstination de Milosevic, qui doit aujourd'hui accepter ce qu'il avait toujours refusé, notamment à Rambouillet : le déploiement d'une force alliée au Kosovo, pour assurer le retour des réfugiés et pour garantir l'existence, dans la République fédérale de Yougoslavie, d'un Kosovo autonome et démocratique.
« Frappe après frappe, notre stratégie a déstabilisé le potentiel serbe. Les dégâts infligés aux forces de répression, la désorganisation de leurs approvisionnements et de leurs soutiens logistiques, la coupure des axes de communication ont permis d'atteindre le point de rupture attendu. L'affaiblissement du moral des troupes serbes, les premiers signes de désertion et les premières manifestations de contestation ont montré au régime de M. Milosevic qu'il était dans une impasse.
« Certes, la stratégie suivie a mis du temps à produire tous ses effets. Mais vous savez bien qu'afin de réduire les risques encourus par nos soldats et de minimiser les dommages aux populations civiles, l'action militaire ne pouvait être totale, mais devait être contrôlée et progressive. Malgré toutes les précautions, plusieurs erreurs - graves - sont intervenues. Même si elles sont probablement inévitables dans un conflit de cette nature, nous devons regretter ces victimes civiles.
« Les résultats déjà obtenus montrent combien il convenait d'être constant dans notre stratégie. Je tiens à rendre hommage au courage, à la compétence et au professionnalisme de nos forces armées et je me réjouis, bien sûr, qu'il n'y ait eu aucune victime dans nos rangs.
« Nous avons aujourd'hui l'espoir d'atteindre nos objectifs. Mais nous mesurons les conséquences dramatiques qu'a eues, pour les Balkans, l'obstination de M. Milosevic. Nous savons les souffrances endurées par le peuple kosovar et nous tiendrons nos engagements de voir les réfugiés rentrer dans leur pays. Nous ne voulons pas humilier le peuple serbe, entraîné par ses dirigeants dans une dérive nationaliste et meutrière. Nous souhaitons, au contraire, que cette épreuve libère ce pays d'une politique barbare qui l'a mis au ban de la communauté internationale.
« Le retour de la paix est désormais possible.
« Jeudi dernier, les autorités fédérales yougoslaves ont accepté les bases d'un règlement du conflit dégagées par le président finlandais, M. Ahtisaari, s'exprimant au nom de l'Union européenne, l'émissaire russe, M. Tchernomyrdine, et l'envoyé américain, M. Talbott.
« M. Milosevic s'est ainsi engagé à mettre fin à la violmence au Kosovo, à retirer rapidement l'ensemble de ses forces militaires et de répression, à accepter - sous les auspices des Nations unies - le déploiement de forces de sécurité permettant le retour, chez eux, des réfugiés et des personnes déplacées et, enfin, à accepter qu'une administration provisoire s'assure que le Kosovo bénéficiera d'un statut d'autonomie substantielle au sein de la République fédérale yougoslave.
« Ce matin, en Allemagne, les ministres des affaires étrangères du G 8 ont mis au point un projet de résolution organisant la mise en oeuvre de ces orientations. En attendant l'adoption par le Conseil de sécurité de l'ONU de cette résolution, l'Alliance s'attache à obtenir un début de retrait effectif et véritable des forces serbes, conduisant au déploiement au Kosovo de la force internationale de sécurisation. Les dernières discussions, provoquées par les autorités serbes, n'ont en rien entamé notre détermination d'aboutir au plus vite à une résolution au Conseil de sécurité.
« Nous travaillerons jusqu'au bout pour que la paix revienne au Kosovo et pour que les réfugiés puissent y rentrer. Nous savons que de nombreuses difficultés entraveront leur retour, notamment du fait des terribles destructions auxquelles se sont livrées les forces serbes et des milliers de mines antipersonnel qu'elles ont posées. Il est néanmoins essentiel de s'engager dans cette voie, qui traduira concrètement la victoire du droit sur la force. Tant que l'ensemble des réfugiés ne seront pas rentrés chez eux, nous resterons à leurs côtés, où qu'ils se trouvent.
« Sur le plan humanitaire, vous le savez, la France s'est portée au premier rang des efforts de la communauté internationale pour secourir et protéger les réfugiés dans les camps de Macédoine et d'Albanie. Elle a, par ailleurs, accueilli plus de 10 000 Kosovars sur son sol depuis sept semaines. Elle maintiendra son effort humanitaire, tout en accélérant avec ses partenaires européens la mobilisation de ses ressources en faveur de la reconstruction économique du Kosovo.
« Mesdames, messieurs les sénateurs, dans la crise au Kosovo, la France a joué et continuera de jouer un rôle de premier plan.
« Notre pays a pris toute sa part des actions militaires.
« Au cours des trois derniers mois, la position de la France a été, à tout moment, en cohérence avec la ligne définie au sein de l'OTAN. La France a pleinement participé, au sein de l'Alliance, à toutes les phases des opérations militaires. Elle a été loyale et solidaire. Mais, dans le schéma décisionnel, avant la prise de décision et au moment de son contrôle, la France s'est appliquée à faire valoir, avec une grande fermeté, ses points de vue. Autant notre détermination a été sans faille pour expliquer les décisions prises en commun au sein de l'Alliance, autant il m'apparaît normal que notre pays, étant donné son statut, ses responsabilités internationales et ses capacités militaires, ait toujours voulu peser aux moments décisifs. Les autorités françaises y ont constamment veillé. Je veux ici rendre hommage au ministre de la défense, Alain Richard, et au chef d'état-major des armées, pour la mise en oeuvre de ces orientations.
« Notre souci d'assurer, dans ce qu'il est convenu d'appeler « la phase 2 élargie », des mécanismes de contrôle adaptés, notre vigilance à éviter les risques de déstabilisation du Monténégro, notre exigence de voir les frappes, après les trois premières semaines, se concentrer en priorité sur les forces déployées au Kosovo, notre souci de conserver une logique de maîtrise et de retenue pour ménager les populations civiles : toutes ces orientations ont été prises en compte.
« La France prépare désormais sa participation aux opérations de paix.
« Le Parlement a été informé et associé par le Gouvernement à chaque étape du processus diplomatique en cours.
« Alors que s'ébauche une nouvelle phase de l'engagement français dans les Balkans, je veux informer la représentation nationale des conditions de la participation française aux efforts de paix.
« Ceux-ci reposent, notamment, sur la mise en place d'une force de sécurisation au Kosovo, appelée KFOR. Son état-major central aura une responsabilité de coordination importante. Sa structure est en cours de négociation entre Alliés et Russes. Cette force de près de 52 000 hommes comportera, pour l'essentiel, des contingents de l'OTAN, mais aussi un important détachement russe - dont le volume reste à préciser - et d'autres contributions de pays amis. La France participera à hauteur de 7 000 hommes pour cette seule force. Notre effort devrait reposer sur une brigade, dont en particulier un bataillon blindé mécanisé comprenant des chars Leclerc, deux bataillons de génie pour le déminage et la reconstruction. Das bataillons étrangers pourraient se joindre à cette brigade française.
« Dans l'état actuel des discussions avec nos alliés, nous devrions nous déployer, au sein d'un ensemble découpé en plusieurs zones multinationales, dans la partie septentrionale du Kosovo, autour de Kosovska-Mitrovica. Nos forces devront sécuriser cet espace, aider le retour des personnes réfugiées et déplacées et favoriser le rétablissement d'une vie normale.
« Il faut savoir que cette mission sera difficile. Nos forces interviendront dans un environnement dangereux, surtout au début, en raison des mines antipersonnel, des provocations possibles et de la tentation, pour certains, de recourir à la violence. Nous savons que le retour à la normale prendra du temps. Notre objectif est de garantir une solution politique stable au Kosovo. Cette force sera déployée pour une longue durée. Le Gouvernement y est prêt.
« Mesdames, messieurs les sénateurs, pour l'Europe politique, pour l'Europe de la défense, la crise kosovare a constitué un tournant.
« Il nous faudra tirer toutes les leçons de ce conflit. Si l'Europe, dans son action politique, a fait preuve d'une volonté cohérente, en particulier en défendant sa conception des négociations diplomatiques, chacun a pu prendre la mesure du chemin qu'il nous reste à parcourir pour construire l'Europe de la défense.
« L'Europe a fait montre de sa résolution.
« Du conseil européen de Berlin, le 24 mars dernier, à celui de Cologne, les 3 et 4 juin, en passant par le conseil extraordinaire de Bruxelles, le 14 avril dernier, l'Union européenne a toujours pris ses responsabilités dans la gestion de la crise.
« Elle l'a fait au nom des valeurs communes qui fondent précisément la construction de l'Union : le respect des droits de l'homme, la démocratie, la liberté, le droit international. L'Europe ne pouvait accepter sans réagir que ces valeurs soient violées au Kosovo.
« L'inculpation de M. Milosevic, ainsi que celles de quatre autres responsables politiques et militaires serbes, pour crimes contre l'humanité, par Mme le procureur général du tribunal pénal international, a souligné, si besoin était, combien notre réaction à cette barbarie était justifiée. Les termes de l'acte d'inculpation donnent raison aux pays qui se sont coalisés pour arrêter la force par la force, au nom du droit.
« La décision du tribunal nous montre également la voie pour l'avenir de cette région. Il n'y aura pas de paix sans justice. Il n'y aura pas de développement économique et de stabilité politique sans l'établissement préalable d'un Etat de droit qui protège toutes les populations et grâce auquel celles-ci pourront, quelle que soit leur origine ou leur religion, participer à l'épanouissement de la démocratie.
« La solidarité des Quinze s'est traduite par leur engagement commun dans les opérations de l'Alliance, pour ceux qui en sont membres, et par la participation active de tous aux efforts de la diplomatie internationale. La France, par la voix du Président de la République et du Gouvernement, a joué, au sein des pays de l'Union, un rôle moteur.
« Contrairement à ce que certains ont voulu dire, les Européens n'ont pas suivi les Etats-Unis. Ils ont participé pleinement à la prise des décisions militaires et à leur mise en oeuvre. Et ils l'ont fait parce qu'ils étaient convaincus que le recours à la force était devenu inévitable face à l'intransigeance de M. Milosevic.
« S'il est vrai que les Etats-Unis ont fourni la plus grande part des moyens aériens, la participation européenne a été importante. A partir des éléments de la force d'extraction mise en place en Macédoine lors du déploiement des observateurs de l'OSCE, ce sont les Européens qui assurent l'essentiel de la présence de l'Alliance en Macédoine et en Albanie. Ce sont les Européens qui ont organisé la majeure partie de l'effort humanitaire dans ces pays, construisant des camps, protégeant la vie des centaines de milliers de réfugiés qui s'y trouvent. Ce sont les Européens qui fourniront plus de la moitié des forces de paix qui entreront bientôt au Kosovo, pour assurer la mise en oeuvre des décisions du Conseil de sécurité.
« Forte d'une diplomatie active, l'Europe a défendu sa conception de la négociation.
« Après avoir contribué pendant des mois à la recherche d'un accord entre les parties, c'est sous l'impulsion de l'Europe - et plus particulièrement de la France et du Royaume-Uni - que les négociations deRambouillet et de l'avenue Kléber se sont tenues. Les Européens n'ont pas cessé d'agir ensuite pour que, au-delà des opérations militaires, soient dessinées des perspectives de règlement pacifique du conflit. Je veux à cet égard rendre hommage au travail de nos diplomates et, en particulier, à celui du ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine.
« C'est l'Europe - et singulièrement la France - qui a promu le retour de la Russie dans le jeu diplomatique, parce qu'elle était convaincue que ce partenaire majeur pour la paix et la sécurité sur le continent pouvait et devait prendre une part active au processus diplomatique. Nous ne pouvons que nous réjouir du dialogue confiant qui s'est établi entre l'émissaire russe, M. Tchernomyrdine, et M. Ahtisaari, et qui a permis de donner une dynamique nouvelle à la recherche d'une issue politique pour le Kosovo.
« C'est également l'Europe - et je m'en suis fait l'écho ici même il y a plusieurs semaines - qui a la première réclamé que les Nations unies retrouvent leur place dans la recherche d'un règlement du conflit. C'est pourquoi nous avons appuyé sans hésiter la déclaration faite le 9 avril par le secrétaire général de l'ONU pour proposer les conditions d'une solution politique.
« Nous sommes très satisfaits que le Conseil de sécurité soit amené à jouer tout son rôle dans la séquence qui s'est ouverte il y a quelques jours. Cette évolution est en effet conforme à notre conviction que le Conseil de sécurité doit jouer un rôle primordial en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale.
« Dès le 14 avril, à Bruxelles, l'Europe a proposé un ensemble de mesures susceptibles d'aider les pays de la région à surmonter les conséquences de la crise, afin qu'ils puissent progresser ensemble - et dans le dialogue avec l'Union européenne - sur la voie du développement et de la démocratie. En incluant la Yougoslavie dans le projet de "Pacte de stabilité pour l'Europe du Sud-Est" proposé par la présidence allemande, l'Union atteste sa volonté de contribuer activement et positivement à un règlement à long terme des tensions dans les Balkans.
« De la même façon, et sur l'initiative du Président de la République, l'Union européenne a proposé de prendre en charge, dès qu'un accord de paix aura été obtenu, l'administration provisoire du Kosovo. Il y a là, me semble-t-il, le signe de la détermination européenne à agir ensemble, alors que l'Union européenne entre dans une nouvelle phase de sa construction politique.
« Cette construction politique doit désormais faire sa place à la perspective d'une véritable Europe de la défense.
« L'épreuve des Balkans a permis de cristalliser une conscience européenne en matière de défense.
« Nous devons en tirer toutes les conclusions en termes de commandement, de conduite des opérations militaires, de performance comme de compatibilité des matériels et des équipements, de procédures de recueil et d'échange de renseignements, de planification et de suivi des actions militaires.
« Il faut donc se réjouir des résultats positifs du Sommet de Cologne, préparés par la déclaration franco-britannique de Saint-Malo et le communiqué franco-allemand de Toulouse. C'est un accord politique majeur qui a été obtenu à quinze. Il conforme la légitimité de l'Union européenne à traiter les questions de défense et de sécurité.
« Trois points essentiels ont, en effet, été acquis. L'Europe doit se doter de moyens propres pour la préparation et le suivi des décisions, qu'il s'agisse du renseignement, de la planification stratégique ou de l'analyse des situations de crise.
« Elle doit pouvoir librement disposer de capacités militaires, que ce soit au travers du pilier européen de l'OTAN ou grâce à la mobilisation de moyens européens autonomes. Sur ce point, il faut saluer le projet de transformation du corps européen en corps européen de réaction rapide.
« Enfin, l'Europe doit procéder à une réforme institutionnelle qui passe par la création d'instances décisionnelles - le comité politique et de sécurité, le comité militaire, l'état-major européen - et l'intégration prévue, à terme, de l'UEO dans l'Union européenne.
« Mesdames, messieurs les sénateurs, à l'heure où je m'exprime, le processus de paix est en cours. La voie vers la paix est ouverte. Pour les Kosovars, pour tous les peuples des Balkans, pour l'Europe et pour la communauté internationale, nous nous devons de réussir. » (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'acceptation du plan de règlement de la crise au Kosovo par les autorités de Belgrade constitue, malgré les premières difficultés rencontrées, un véritable espoir pour la paix. Il faudra, nous le savons, beaucoup de vigilance et de détermination pour que les engagements pris soient bien confirmés par les faits. Mais il s'agira alors d'un succès majeur dans le combat pour nos valeurs et pour la démocratie sur notre continent.
Nous n'oublions pas que ce résultat, pourtant très proche des propositions qui ont été faites voilà plus de trois mois à Rambouillet puis à Paris, n'aura pu être obtenu qu'après bientôt onze semaines de frappes aériennes ininterrompues. Nous n'oublions pas non plus le coût élevé de ce conflit, y compris en vies humaines. Nous n'oublions pas davantage, surtout, que rien n'est acquis, que M. Milosevic est déjà trop souvent revenu sur ses promesses et que relever les défis du processus de paix qui s'ouvre sera sans doute aussi difficile que mettre un terme au conflit lui-même.
Depuis le début de ce conflit, la France a été au premier rang de ce combat. Je tiens à rendre une nouvelle fois hommage, du haut de cette tribune, aux soldats français, et singulièrement à nos pilotes, qui ont, de manière exemplaire, pris toute leur part dans les opérations militaires conduites par les alliés. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes.) Ils assurent encore aujourd'hui et assureront demain une mission difficile. Une délégation de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a pu constater, sur place, leur dévouement et leur compétence.
Mais, à ce jour, les incertitudes demeurent nombreuses et les questions encore sans réponse importantes.
Les premières de ces interrogations concernent l'avenir immédiat. Nous nous félicitons de la détermination, de la cohérence et de la coordination remarquables qui ont caractérisé l'attitude des alliés, et singulièrement des Européens, depuis le début de cette crise. Nous apprécions aussi la part prise par les Européens dans les efforts diplomatiques incessants qui ont été conduits. Nous estimons, enfin, légitime le rôle majeur que doivent être appelés à jouer les Européens au sein de la force qui devra être déployée au Kosovo. Nous avons trop en mémoire notre impuissance collective lors de la crise bosniaque pour ne pas nous réjouir de cette détermination retrouvée. Mais bien des questions demeurent en suspens, et la paix ne sera que le fruit d'un processus long et difficile, qui exigera, là encore, de la communauté internationale qu'elle reste constamment unie, exigeante et résolue.
La première de nos préoccupations concerne naturellement, monsieur le ministre, la « séquence » des événements en cours qui devraient conduire au déploiement de la force internationale attendue au Kosovo. Où en est-on, à cette heure, quant aux conditions du retrait des forces serbes du Kosovo ? Pouvez-vous aussi préciser le rôle qui reviendrait à la Russie dans ce processus de paix, et notamment au sein de la force de sécurisation : à quelle structure de commandement et à quel mécanisme de coordination répondra le contingent russe ?
Une deuxième série d'interrogations concerne naturellement M. Milosevic lui-même. Je ne reviendrai pas sur le scepticisme qu'engendrent depuis longtemps ses engagements. Je me bornerai, monsieur le ministre, à vous interroger sur la possibilité, pour la communauté internationale, d'avoir pour interlocuteur un homme stigmatisé par la plus terrible des accusations : être un criminel contre l'humanité. Compte tenu de l'inculpation de M. Milosevic par le tribunal pénal international, estimez-vous que cette décision devrait avoir des conséquences concrètes rapides ? En particulier, pouvez-vous nous confirmer que la KFOR aura parmi ses missions d'arrêter les personnes inculpées ? A-t-on clairement écarté l'idée selon laquelle, dans l'intérêt même de la paix, on puisse faire référence, en l'espèce, à la disposition du statut de la future Cour pénale internationale qui permettrait au Conseil de sécurité, dans de telles circonstances, de demander une suspension des poursuites engagées ?
Une troisième question - et non la moindre - concerne naturellement le retour des réfugiés kosovars dans leur province, car nous savons bien qu'il n'y aura pas de véritable succès des alliés, sauf à entériner l'épuration ethnique, tant que nous n'aurons pas créé les conditions de ce retour. Dans quels délais et dans quelles conditions matérielles peut-on aujourd'hui raisonnablement envisager ce rapatriement qui concerne au total près d'un million de personnes qui ont fui le Kosovo depuis mars 1998 ?
Par-delà ces préoccupations immédiates, relever les défis de la paix au Kosovo supposera, de toute façon, de créer les conditions d'une solution durable. Là encore, trois questions me paraissent devoir être posées.
La première a trait, bien entendu, au statut du Kosovo lui-même. Le plan de règlement écarte, une nouvelle fois, toute indépendance de cette province. Et le déploiement attendu de la force internationale ne doit pas non plus favoriser une partition du Kosovo. Mais n'y a-t-il pas là un nouveau risque de désaccord, en particulier entre les Occidentaux et les Russes ? Comment peser sur l'attitude de l'UCK qui s'est vu largement imposer un accord qui prévoit sa démilitarisation pour favoriser sa transformation en une simple force politique ? Comment l'Union européenne, à laquelle pourrait incomber, vraisemblablement pour longtemps, l'administration du Kosovo, pourra-t-elle créer à nouveau, pour les populations serbes et kosovares, la possibilité d'un destin commun après de tels drames ?
La deuxième question majeure concerne la reconstruction économique, indispensable, mais à coup sûr très coûteuse. Il va de soi que nous devrons, dans cette affaire, assumer nos responsabilités. Je me félicite en particulier de l'importance croissante que nos forces attachent désormais aux affaires civilo-militaires. Nous devons, là aussi, tirer toutes les leçons du conflit bosniaque. Nous devons veiller à ce que les Européens, qui ont l'habitude d'être, en de telles circonstances, les principaux bailleurs de fonds, participent plus équitablement à toutes les opérations de reconstruction.
Ma dernière question portera, monsieur le ministre, sur le projet de pacte de stabilité dans les Balkans, qui doit constituer, me semble-t-il, un objectif majeur dans une zone qui aura valu à l'Europe une grande partie de ses malheurs tout au long du XXe siècle. Pouvez-vous nous préciser, à cet égard, les résultats que vous attendez de la conférence ministérielle qui doit se dérouler à Cologne après-demain ? Et faudra-t-il écarter toute représentation de la Yougoslavie dans de telles réunions aussi longtemps que M. Milosevic conservera les rênes du pouvoir à Belgrade ?
Je conclurai en évoquant les enseignements, assurément très importants, que nous devrons tirer, le moment venu, de cette grave crise du Kosovo. L'heure n'est pas, bien entendu, aux conclusions définitives. Il n'est cependant pas trop tôt pour tenter d'apprécier les premières leçons de ce nouveau conflit en Europe, tant sur le plan stratégique que sur le plan militaire. Tel sera l'objet, monsieur le président, mes chers collègues, des auditions auxquelles procédera, dès demain et au cours des prochaines semaines, la commission des affaires étrangères et de la défense.
Elles nous permettront d'abord, je l'espère, d'analyser plus précisément le nouveau concept stratégique de l'OTAN, ainsi que les relations entre l'OTAN et les Nations unies, à la lumière de cette dernière crise.
Nous nous efforcerons de mieux apprécier dans quelle mesure cette nouvelle épreuve aura réellement favorisé une prise de conscience de son partenaire sur la nécessité de bâtir concrètement une véritable défense européenne. La déclaration adoptée par les Quinze à Cologne, venant après les décisions franco-britanniques de Saint-Malo et franco-allemandes de Toulouse, me semble prometteuse. Mais nous avons connu, depuis longtemps, trop de discours et de mesures symboliques en la matière pour nous en satisfaire. Pouvez-vous nous préciser, monsieur le ministre, la portée pratique et le calendrier concret des mesures annoncées, notamment en ce qui concerne la transformation de l'Eurocorps et l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne ? Le moment n'est-il pas également venu de dresser un nouveau bilan de notre position, qui demeure tout de même singulière, au sein de l'OTAN ? Nos militaires devront-ils assumer une part toujours plus importante sur le terrain et toujours aussi réduite à Bruxelles au siège de l'Organisation ?
La grave crise que l'Europe vient de traverser l'a une nouvelle fois démontré : la France a un rôle majeur à jouer au service de la paix sur notre continent. Je suis convaincu, monsieur le ministre, que cette action déterminée et persévérante de la France, conduite sous l'autorité du Président de la République, recueillera la plus large approbation du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Estier, au nom du groupe socialiste.
M. Claude Estier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « Kosovo : la paix se fait attendre », titrait hier un journal du soir. Les dernières informations, que confirme la déclaration du Premier ministre que vous venez de nous lire, monsieur le ministre, permettent heureusement de penser qu'il ne faudra plus attendre très longtemps.
Un grand espoir était né, à la fin de la semaine dernière, avec l'acceptation, par Milosevic puis par le parlement de Belgrade convoqué tout spécialement, du plan de paix qui avait été présenté par l'émissaire russeTchernomyrdine et le président finlandais Ahtisaari.
Ce projet d'accord précisant les principes d'un règlement de la crise du Kosovo représente en lui-même un grand pas en avant, même s'il était sage de ne pas immédiatement crier victoire. Milosevic, que l'on disait à la fin de la semaine dernière déprimé, aux abois, donc prêt à tout accepter, a sans doute cherché encore à gagner un peu de temps en faisant soulever par ses généraux des obstacles à une mise en oeuvre rapide du plan de paix et à l'entrée d'une force internationale au Kosovo.
Le Premier ministre avait d'ailleurs, dès le premier instant, manifesté une certaine prudence en déclarant, vendredi dernier, sur une radio périphérique : « on entrevoit la paix mais elle va être un long processus et n'existera vraiment que si les conditions fixées par la communauté internationale sont mises en oeuvre ».
Beaucoup de problèmes sont encore à résoudre, et d'abord, comme le propose la France, la synchronisation entre le vote d'une résolution au Conseil de sécurité, l'arrêt des frappes et l'entrée au Kosovo de la force internationale prévue dans le plan du G8.
Quelles que soient les difficultés qui, n'en doutons pas, restent à surmonter, il est clair pour nous tous que Milosevic a été mis en échec. Il s'est trompé sur toute la ligne, notamment en escomptant une division parmi les alliés de l'OTAN, division qui ne s'est pas produite, ce qui lui a ôté toute marge de manoeuvre.
Tout au long des semaines qui se sont écoulées depuis le début des frappes aériennes, le 24 mars, on a beaucoup critiqué cette stratégie qui n'était évidemment pas sans défaut, qu'il s'agisse d'une sous-estimation de la capacité de résistance de Milosevic, de sa volonté de pousser le plus loin possible la politique d'épuration ethnique au Kosovo ou encore de bavures qui ont causé la mort d'un nombre important de civils, confirmant ainsi - c'est une leçon que nous devons retenir une fois de plus - qu'il n'y a pas de guerre propre.
M. Jean-Claude Gaudin. Bien sûr !
M. Claude Estier. Cette stratégie, nous l'avons pourtant soutenue dès le premier jour et sans défaillance, comme la majorité de l'opinion française, car c'était la seule possible après le refus des autorités serbes de la solution politique élaborée à la conférence de Rambouillet, puis à la réunion de Paris. Il ne s'agissait aucunement d'une guerre d'intérêts ou de conquête, mais bien d'une guerre au service du droit.
Ici même, le 26 mars, apportant le soutien du groupe socialiste au Gouvernement, j'avais souligné que ne pas intervenir aurait constitué un aveu d'impuissance de la communauté internationale, impuissance qui aurait d'ailleurs été dénoncée par ceux-là mêmes qui critiquaient l'intervention.
Les frappes aériennes n'étaient pas, à nos yeux, une fin en soi. Mais qui peut imaginer que, sans elles et sans, hélas ! les destructions subies par son pays, Milosevic aurait fini par accepter ce qu'il refusait obstinément trois mois plus tôt ?
Il importe maintenant que ces frappes soient arrêtées le plus vite possible, en tout cas dès que le retrait des forces serbes du Kosovo aura pu être vérifié.
J'en viens maintenant au plan de paix qui est sur la table et qui fera l'objet d'une résolution au Conseil de sécurité.
Je veux d'abord souligner le rôle essentiel que les Européens ont joué dans son élaboration. Notre diplomatie en particulier, qui a déjà joué, par l'intermédiaire de notre ami Hubert Védrine, un rôle primordial lors de la conférence de Rambouillet, a multiplié les efforts pour rassembler nos partenaires de l'Union européenne sur les principes de base d'une solution politique et pour réintroduire les Russes dans le jeu diplomatique, ce qui était essentiel.
Aujourd'hui même, à Cologne, le ministre des affaires étrangères poursuit ses inlassables efforts pour surmonter les derniers obstacles.
Pour les Européens, il n'était pas indifférent que le président finlandais, qui, dans quelques jours, assurera la présidence de l'Union européenne, ait pu jouer un rôle décisif pour convaincre Belgrade de jeter l'éponge.
On a beaucoup dit que, dans cette affaire, l'Europe était à la remorque des Américains.
M. Jean-Claude Gaudin. Hélas !
M. Claude Estier. Certes, sur le plan militaire, les Etats-Unis ont pesé sensiblement plus lourd. L'Union européenne doit en tirer les leçons nécessaires ; sans doute a-t-on commencé à le faire au sommet de Cologne.
Il reste que, sur le plan tant politique que diplomatique, l'Europe aura joué un rôle décisif, et c'est sur elle encore que reposera pour une large part la mise en oeuvre du plan de paix.
Ce plan de paix, simple dans son énoncé mais forcément complexe dans sa mise en oeuvre effective, a le grand mérite à nos yeux de remettre au premier rang l'Organisation des Nations unies dont la mise à l'écart - certes tout à fait compréhensible en raison des vetos prévisibles - nous avait quand même inquiétés au début des frappes. C'est sous les auspices de l'ONU que doivent se déployer au Kosovo les forces internationales de sécurité, conformément au chapitre VII de la Charte. C'est sur décision du Conseil de sécurité que sera mise en place une administration intérimaire pour le Kosovo devant conduire à une autonomie substantielle de cette province au sein de la République fédérale yougoslave.
Il est essentiel - nous n'avons cessé de le réclamer - que l'ONU retrouve ainsi sa vocation fondamentale et que le fait que les circonstances aient conduit à se passer de son autorisation expresse avant l'engagement des frappes sur la Serbie ne puisse faire jurisprudence pour l'avenir.
L'avenir, précisément, c'est ce qui doit maintenant nous préoccuper, et cela sur plusieurs plans à la fois.
La priorité - c'était, ne l'oublions pas, l'un des principaux buts de guerre - c'est que les centaines de milliers de réfugiés kosovars qui se trouvent aujourd'hui en Albanie, en Macédoine, au Montenegro ou ailleurs puissent rentrer chez eux le plus rapidement possible.
Pour ceux qui sont dans les camps, les risques, sanitaires notamment, d'une trop longue prolongation de cette situation sont considérables, ainsi que nous avons pu nous en convaincre lors de la visite que la délégation de la commission des affaires étrangères du Sénat, sous la conduite de M. Xavier de Villepin, a effectuée il y a trois semaines en Macédoine et en Albanie.
Quant à ceux qui ont été accueillis dans des familles dans l'un ou l'autre de ces deux pays, ils vivent, comme d'ailleurs ces familles elles-mêmes, dans un état de grande précarité qui ne saurait non plus se prolonger.
Il faut pourtant être conscient que les uns et les autres ne pourront retrouver du jour au lendemain leurs villes ou leurs villages, leurs maisons très souvent détruites, sans que leur sécurité soit totalement assurée. La tâche est évidemment immense. Nous savons que la France qui, par ailleurs, accueille sur son sol les Kosovars désirant y venir est prête à prendre sa part aussi bien par la présence de plusieurs milliers de militaires - 7 000, avez-vous dit, monsieur le ministre - que par les contributions financières nécessaires à la reconstruction.
L'avenir, c'est aussi celui des deux petits pays que sont la Macédoine et l'Albanie qui auront, bon gré mal gré, payé à ce conflit un tribut démesuré par rapport à leurs faibles ressources.
L'aide internationale ne devra pas les oublier, pas plus qu'il ne faut oublier le Montenegro dont les dirigeants ont été particulièrement courageux face aux pressions de Belgrade.
L'avenir, c'est enfin celui de la Serbie elle-même, durement touchée par le délire de ses dirigeants, un pays à reconstruire mais dont la reconstruction elle-même suppose la substitution d'un Etat démocratique au régime totalitaire de Milosevic. Ce dernier point est, bien entendu, d'abord l'affaire des Serbes eux-mêmes ; mais sans doute convient-il d'aider ces derniers à prendre conscience qu'ils sont les victimes d'une dictature sanguinaire dont ils ont tout intérêt à se débarrasser pour prendre la place qui revient à leur pays dans une Europe en paix et dans un ensemble balkanique ayant retrouvé la stabilité.
A l'heure où nous parlons, et même si les dernières informations nous rendent plus optimistes, rien n'est encore définitivement réglé. Il semble cependant que l'essentiel soit acquis depuis que Milosevic a été contraint d'accepter les conditions posées par la communauté internationale. De cette guerre sur le sol même de l'Europe, il conviendra, bien sûr, de tirer toutes les leçons. L'important à nos yeux est que, cette fois-ci, les démocraties, en dépit de leurs faiblesses, ont été capables de donner un coup d'arrêt au nationalisme exacerbé qui a déjà fait tant de ravages. Bien sûr, cela a un coût élevé, mais au moins peut-on espérer que l'ensemble des peuples de notre continent, et d'abord ceux des Balkans, retrouvent bientôt la paix et la sécurité. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen, du RDSE et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Arthuis, au nom du groupe de l'Union centriste.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est d'abord une impression de soulagement qui envahit nos esprits : nous sommes heureux d'apprendre la signature toute récente de ce double accord au sein du G 8 à Cologne. Ainsi, les espoirs de paix prennent enfin corps.
La semaine dernière s'est achevée sur une note d'optimiste et d'espérance, mais la semaine actuelle s'est ouverte sur le doute. Les atermoiements de la partie yougoslave, qui ne faisait pas la même lecture que les Occidentaux des accords entérinés par le président Milosevic et le parlement yougoslave, ont donné en effet l'impression d'un enrayement du processus et nécessité la continuité des frappes aériennes.
Enfin, cet accord est signé. Je tiens à exprimer toute la reconnaissance des membres du groupe de l'Union centriste aux militaires français engagés au sein de l'Alliance pour mettre la force au service du droit, ainsi qu'à nos diplomates.
Sans doute les Serbes n'étaient-ils plus en mesure d'inverser le processus qui doit amener à la cessation totale des hostilités et des violations quotidiennes des droits de l'homme au Kosovo. Le Conseil de sécurité de l'ONU va enfin pouvoir mettre en oeuvre le plan de paix tant attendu.
Ce plan de paix, qui reprend les dispositions du projet d'accords de Rambouillet, a pu être mené à bien en partie grâce à la constance et à la mesure dont la diplomatie française, l'action du Président de la République et du Gouvernement ont témoigné. Lorsque les historiens, dans des décennies, feront le point sur cette crise du Kosovo, ils ne manqueront certainement pas de souligner le rôle majeur joué par Paris dans un règlement général de la question balkanique en cette fin de printemps 1999.
Depuis le début de la crise, la position de la France a été claire, et nous l'avons soutenue sans réserve : oui, à l'action militaire, oui, bien sûr, à l'action diplomatique, cette dernière ne prenant sa pleine signification qu'avec l'aide et l'introduction de la Russie dans les négociations concernant l'avenir des Balkans.
Nous avons tenu le cap fixé. Une fois encore, la France a réussi à être le trait d'union entre le monde de l'Ouest, l'Europe issue de la fin du communisme et la Russie post-communisme. Le lien ancien d'amitié franco-russe a sans doute facilité la présence de la Russie dans la recherche de solutions négociées et pacifiques, lui évitant ainsi le repli sur elle-même dans une attitude de méfiance et peut-être d'hostilité générale à l'encontre des capitales occidentales.
Il s'agissait d'empêcher que les forces spéciales serbes, l'armée yougoslave et les milices de l'UCK profitent d'éventuelles divergences dans les positions des principaux acteurs pour continuer à s'affronter. Cette première et impérieuse nécessité est maintenant acquise ; nous ne pouvons que nous en réjouir.
Nous savons qu'il ne sera pas possible de régler en quelques jours les questions du Kosovo qui, depuis vingt-cinq ans, agitent et déchirent la Yougoslavie, et dont les prémices historiques se retrouvent voilà plus de cent cinquante ans. Le groupe de l'Union centriste n'a cessé de réaffirmer son soutien à la politique jusqu'ici menée. Il s'interroge cependant sur le devenir de ces milliers de réfugiés, chassés de leurs foyers.
Comment l'Europe entend-elle garantir le retour de ces populations ? Quelles sont les mesures envisagées afin de permettre un effort de reconstruction rapide, avant l'arrivée de l'hiver, particulièrement précoce dans cette région ? Quelles sont les dispositions prises pour réinstaller les Kosovars ? Peut-être pourrez-vous nous apporter des précisions sur ces différents points, monsieur le ministre.
Nos remarques dans ce débat n'ont ainsi d'autre objet que de réaffirmer notre soutien à la politique menée par la France dans la voie suivie depuis plusieurs mois, voie de la fermeté qui a permis le retour au dialogue diplomatique.
A défaut d'avoir su anticiper et gérer la situation dans les Balkans au lendemain de la chute du mur de Berlin et de la dislocation de l'empire soviétique, l'Europe semble avoir enfin pris conscience, au prix du drame kosovar, de son rôle et de ses responsabilités. Il lui reste à démontrer son unité et son efficacité dans l'oeuvre de reconstruction économique et politique du Kosovo, et plus globalement des Balkans.
La crise dramatique que nous venons de vivre ouvre, nous l'espérons, une ère nouvelle dans la construction européenne au plan diplomatique, au plan militaire, au plan humanitaire, mais aussi, pour la démocratie, au plan institutionnel. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées des Républicains et Indépendants, du RPR et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Plasait, au nom du groupe des Républicains et Indépendants.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la détermination des démocraties occidentales est en train de payer. La diplomatie européenne est en train de réussir à imposer sa vision du droit. Le groupe des Républicains et Indépendants s'en réjouit, même si rien, aujourd'hui, n'est définitivement réglé. La prudence impose encore silence à tout triomphalisme.
Oui, la détermination des démocraties occidentales, qui s'incarne notamment dans le courage et le dévouement de nos soldats, est en train de payer. Il faut, à cet égard, rappeler fortement la légitimité de notre engagement dans cette guerre du droit.
Si, aujourd'hui, on peut entrevoir la fin du conflit, il faut se féliciter qu'il s'achève sur la victoire du droit des gens sur le droit du plus fort incarné par le dictateur Milosevic.
C'est l'honneur de la démocratie moderne, de la démocratie libérale, que de reconnaître toute leur place aux minorités, de leur faire droit, jusques et y compris à la plus petite d'entre elles, la personne humaine, valeur essentielle qui fonde l'humanisme européen.
Le deuxième motif de satisfaction tient évidemment à l'action du G 8, organisme qui consacre l'éminence du rôle de la diplomatie européenne et française dans la recherche d'une solution politique.
Le groupe des Républicains et Indépendants, je veux le rappeler, a toujours souligné les limites politiques et juridiques de l'OTAN seule, toujours affirmé l'importance capitale du rôle de la Russie dans la recherche de la paix, toujours rappelé que l'ONU, in fine, devrait apporter la consécration légitime du droit international à un accord entre les parties au conflit, qui résulterait de l'action militaire et diplomatique entreprise.
Nous avons maintenant, monsieur le ministre, à vous poser des questions importantes, car les réponses que vous apporterez diront si la paix qui est en vue peut être durable. Elles diront aussi si les 6 000 soldats français engagés dans la future KFOR ont une vraie chance de remplir leur mission efficacement et dignement.
La première interrogation porte sur la chronologie et la rapidité du retour à la paix.
Les ministres des affaires étrangères du G 8 sont parvenus aujourd'hui sur ce point à un accord, que vous venez, monsieur le ministre, de nous confirmer.
Nous ne pouvons que nous réjouir que l'idée française de synchronisation ait été retenue. L'enjeu est maintenant de s'assurer de sa bonne application sur le terrain. Je pense, en particulier, au retrait des forces yougoslaves, qui doit être significatif et vérifiable.
Le mécanisme qui vient d'être adopté est, en effet, complexe et risque de se gripper si l'une des parties ne respecte pas ses engagements. Nous souhaiterions savoir quelles sont les garanties que la France a pu obtenir sur ce point essentiel.
Reste maintenant à soulever deux questions délicates, qui sont, dit-on, l'objet d'intenses discussions.
Sur l'articulation de la KFOR, il est question que le territoire du Kosovo soit subdivisé en plusieurs zones, placées chacune sous la responsabilité d'un officier général d'une nationalité différente. Pouvez-vous nous confirmer que chaque zone rassemblera des soldats de plusieurs nationalités ? (M. le ministre acquiesce.)
C'est, à notre sens, la condition essentielle pour garantir la transparence de l'action de la KFOR, et donc pour établir la confiance des réfugiés et assurer la sécurité de leur retour.
Sur la structure de commandement de la KFOR, pouvez-vous nous dire que le Gouvernement français refusera tout retour au système onusien qui a prévalu en Bosnie pendant plusieurs années, avec pour conséquence l'impuissance meurtrière que nos soldats - et la population bosniaque - ont douloureusement subie ?
J'insiste sur ce point : le Président de la République avait alors inversé la politique de la France quant à l'engagement de ses forces en Bosnie. Le groupe des Républicains et Indépendants veut croire que cette attitude sera tout aussi fermement appliquée au sein de la KFOR.
Nous voudrions, enfin, en savoir plus sur la position de la France quant à la suite des événements.
Une fois la KFOR déployée, il faudra tout à la fois reconstruire le Kosovo et réinstaller les réfugiés chez eux. Comment comptez-vous vous y prendre ? Quelle place tiendra la France dans ce processus essentiel ? On a parlé d'un plan Marshall pour les Balkans tout entiers, et nous pensons qu'il est essentiel pour la paix de conforter l'Albanie - notamment - et plus encore la Macédoine, mais aussi le Monténégro, pour enrayer définitivement toute dérive à la bosniaque ou à la kosovare. En effet, en Bosnie, il est certes évident que la SFOR a rétabli la sécurité, mais il est tout aussi évident que les réfugiés ne sont pas revenus, sauf dans les secteurs de leurs ethnies respectives. L'Europe que nous voulons n'est pas celle d'un apartheid, même pacifique.
Enfin, nous ne voulons pas oublier le peuple serbe. Ce plan Marshall des Balkans s'appliquera-t-il à la Serbie ? La France fait-elle de l'établissement d'une véritable démocratie à Belgrade un préalable à la réintégration de ce pays dans le concert des nations ?
Ces questions, monsieur le ministre, ne sont pas neutres. Nous voulons nous assurer que l'Europe sortira grandie du Kosovo. Nous voulons nous assurer que les droits de l'homme triompheront complètement. Nous voulons, en un mot, nous assurer que l'Europe a retrouvé son âme au Kosovo. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Cabanel, au nom du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.
M. Guy Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 24 mars dernier, le Président de la République, en plein accord avec le Gouvernement, annonçait l'engagement des forces françaises aux côtés de nos alliés de l'OTAN dans un combat pour la défense du droit et de la dignité humaine au Kosovo.
C'était un véritable pari et, avec l'annonce de cette ouverture vers la paix aujourd'hui même, c'est un pari gagné grâce au dévouement et à la compétence de nos soldats, mais aussi à la solidarité nationale constamment affirmée à la tête de l'Etat, au Gouvernement et au Parlement, grâce encore, il faut le dire, à la cohésion de l'Alliance, et grâce enfin, alors même qu'elle est souvent critiquée, à la cohésion de l'Union européenne.
Pourtant, il a fallu plus de dix semaines de frappes aériennes pour qu'enfin se matérialisât l'espoir d'un règlement politique du conflit. Il a fallu des centaines de milliers de familles meurtries, déportées, des destructions massives de villages avant que les autorités de Belgrade ne laissent entrevoir une fragile volonté de paix.
La guerre semble décidément plus facile à faire que la paix : cette dernière se fait attendre. L'échec des pourparlers techniques engagés ces derniers jours entre les représentants de l'état-major yougoslave et la délégation miliaire occidentale conduite par le général Michael Jackson confirme malheureusement cette interrogation de Georges Clemenceau : « La guerre serait-elle plus facile à faire que la paix ? »
La compassion naturelle et la solidarité en faveur des réfugiés du Kosovo a pris le pas, dans l'opinion publique, sur la réflexion politique. Aujourd'hui, le spectacle tragique de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants jetés sur les routes de l'exode ne suffit plus à justifier cette guerre. Comme l'a dit récemment Umberto Eco, « dans la nouvelle guerre, celle du monde moderne, celui qui perd devant l'opinion publique est celui qui a trop tué ». Il fallait donc mettre un terme aux opérations militaires.
Pour imposer définitivement à Milosevic un dénouement que tout le monde attend, il s'agit, tout d'abord, de faire preuve de fermeté.
La France a fait un choix difficile, et la détermination qui a été la sienne tout au long de ce conflit, comme celle de ses alliés et de ses quinze partenaires européens, a été exemplaire.
Lors de notre dernier débat sur la situation au Kosovo, le 15 avril dernier, le doute était encore permis. Nombreux sont ceux qui pensaient que les frappes aériennes ne suffiraient pas. Nombreux sont ceux qui évoquaient déjà la possibilité d'une action terrestre.
L'OTAN a décidé de poursuivre l'action militaire avec les mêmes moyens, mais en les renforçant. Cette stratégie a été la bonne, car elle s'est révélée la seule apte à entamer la volonté de Slobodan Milosevic.
Dès lors, l'Alliance doit se montrer intransigeante sur les conditions mêmes de l'application d'un accord avec les autorités serbes. Elle doit s'attacher à vérifier que Belgrade respectera les engagements pris, sur la base des valeurs et des principes qui sont les nôtres et ceux de la communauté internationale.
La fermeté n'est pas tout, il faut aussi faire preuve de responsabilité.
La France et l'Europe ont d'abord essayé d'éviter la guerre par le processus de Rambouillet, auquel le Gouvernement a largement contribué. Ensuite, elles se sont engagées militairement tout en continuant néanmoins à rechercher l'issue diplomatique. C'était une voie sage. Enfin, demain, il ne fait aucun doute que la France et l'Europe seront prêtes à prendre part à la reconstruction du Kosovo, et même de la République fédérale de Yougoslavie, pour un avenir pacifié et démocratique dans les Balkans.
Faisons preuve de fermeté, de responsabilité, mais aussi de prudence.
Lorsque l'on est sur le point d'aboutir à une solution raisonnable, il est dangereux d'humilier. Nous avons combattu non pas le peuple serbe, mais le nationalisme exacerbé, aveugle et coupable de certains de ses dirigeants, en particulier de Slobodan Milosevic. Sur leurs responsabilités, la justice devra se prononcer.
Il s'agit maintenant de ne pas nier le patriotisme serbe et la réalité de la République fédérale de Yougoslavie à laquelle il s'identifie.
Malgré les terribles affrontements de l'histoire, la coexistence entre les peuples dans les Balkans n'est pas impossible. Elle a fait la force de la Yougoslavie du maréchal Tito. Il faut donc respecter les frontières des Etats et ne pas démembrer la République fédérale de Yougoslavie.
Il importe, en revanche, d'y garantir les libertés individuelles et culturelles des minorités ethniques et le respect absolu de la personne humaine.
Ces conditions indispensables doivent s'accompagner d'un effort de reconstruction et de développement économique, ainsi que de l'instauration d'une démocratie effective.
Cela suppose la présence d'une force internationale au Kosovo chargée par l'ONU, en liaison avec l'OSCE, de mettre en oeuvre le plan de paix.
Dans cette phase nouvelle, la Russie doit jouer pleinement son rôle. En raison de la solidarité slave et de l'influence de la religion orthodoxe, il n'y aura pas, dans cette partie de l'Europe, de paix durable sans la Russie. Celle-ci a su apporter une impulsion déterminante au processus de règlement politique et diplomatique.
Le climat de concertation au G 8 doit se prolonger et permettre le succès des ultimes discussions en vue de l'application des principes retenus à Rambouillet et confirmés par une résolution que le Conseil de sécurité de l'ONU va adopter prochainement.
Une tâche difficile mais exaltante nous attend pour redonner vie au Kosovo sous une tutelle internationale temporaire et impulser un processus de gestion locale démocratique. C'est au prix de tels efforts que la cohabitation des entités ethniques antagonistes pourra être établie.
Le principe, retenu à Rambouillet d'une autonomie substantielle de la province du Kosovo au sein de la République fédérale de Yougoslavie suffira-t-il à effacer le souvenir des violences et de l'exode ? Sans doute faudra-t-il élargir la réflexion en vue de faire de nouvelles propositions. Je souhaite que vous puissiez nous dire aujourd'hui, monsieur le ministre, quelle est la position du Gouvernement français sur ce point, s'il a déjà examiné ces éventualités.
Dans l'attente d'une définition du statut futur de cette province, la délimitation des différentes zones de stationnement de la force internationale d'interposition peut contribuer sinon à la réconciliation générale, du moins au retour des réfugiés kosovars et à leur coexistence pacifique avec la population serbe. Cette dernière, qui sera gravement exposée - ne nous y trompons pas - renoncerait plus facilement à la tentation de fuir pour échapper à la vindicte populaire si elle se trouvait dans une zone de stationnement des forces russes.
Sans préjuger le nombre des secteurs d'implantation de la KFOR et leur partage entre les différentes nationalités, il m'a paru digne d'intérêt de faire cette remarque pour rassurer toutes les populations du Kovoso, car notre devoir est bien de rassurer toutes les populations du Kosovo.
Un sénateur du RPR. Très bien !
M. Guy Cabanel. Il faut savoir terminer une guerre. En dépit des incertitudes actuelles, la paix est à portée de main. Les Européens, à condition qu'ils se montrent fermes, responsables, prudents et respectueux de l'histoire locale, peuvent y contribuer efficacement aux côtés des Américains et des Russes. N'est-ce pas faire exister l'Europe que de la placer dans de telles conditions ?
Il importe donc de saisir cette chance pour qu'enfin les armes se taisent. Il y va de l'intérêt du Kosovo, de la Serbie, de la République fédérale de Yougoslavie, mais aussi de l'Europe tout entière, qui a déjà payé un lourd tribut du fait des désordres nés de la poudrière balkanique. (Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Vinçon, au nom du groupe du Rassemblement pour la République.
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à trois reprises déjà nous nous sommes réunis spécialement pour parler de la crise du Kosovo, la comprendre, expliquer les raisons de notre engagement et envisager l'issue la plus favorable possible, c'est-à-dire un plan de paix accepté par M. Milosevic et qui inclurait des conditions bien spécifiques.
Quelques jours après l'acceptation par le président Milosevic et le Parlement serbe du plan du G 8, quels constats pouvons-nous faire et quelles perspectives pouvons-nous entrevoir pour les jours et les semaines à venir ?
Le premier constat qui nous vient à l'esprit, c'est que les dix semaines d'intervention de l'OTAN n'auront pas été inutiles puisqu'elles auront contribué, à leur façon, à déboucher sur des négociations, certes difficiles, avec les autorités serbes et, finalement, à un accord.
Nous n'avons pas fait la guerre au peuple serbe, nous ne sommes pas les ennemis de la nation serbe, nous avons combattu un appareil militaire répressif ; un régime récusant avec obstination et détermination les règles de la communauté internationale.
La France, en participant au dispositif militaire allié mis en oeuvre par l'OTAN, s'est engagée à faire partie d'un dispositif aérien, tout d'abord, destiné à exercer à l'encontre de la Serbie une action coercitive sur des objectifs militaires et à réduire sa capacité de nuire. Cette action avait aussi pour objet de prévenir le risque d'une extension et d'une exaspération des combats et des troubles qu'ils pouvaient susciter dans la région. Elle visait, enfin, à renouer le dialogue avec le président Milosevic et à conduire à la paix.
Cet engagement recourait également à une force terrestre en Macédoine, déployée pour protéger, dans un premier temps, les vérificateurs de l'OSCE et, depuis, les réfugiés, force dont la présence s'est avérée un élément stabilisateur dans la région.
Cette intervention « militaire » était rendue nécessaire et elle a joué, à côté de la voie diplomatique, un rôle entier et efficace.
Rappelons, monsieur le ministre, que l'opposition nationale et, ici, la majorité sénatoriale vous ont soutenu, depuis le déclenchement du conflit, dans votre démarche aux côtés du Président de la République.
L'Europe ne pouvait pas et ne peut toujours pas accepter d'avoir sur son continent un homme et un régime qui, depuis dix ans, ont déjà engagé en Croatie, en Bosnie et maintenant au Kosovo des opérations d'épuration ethnique, d'assassinats et de massacres, de déstabilisation de l'ensemble de la région, avec pour conséquence des milliers de morts et presque un million de personnes déplacées.
En nous engageant au Kosovo, nous avons voulu montrer quelles valeurs nous défendions : la liberté, la démocratie, le respect de la personne humaine et de sa dignité, le refus de la barbarie et de l'avilissement d'un peuple.
Notre combat était légitime, car il avait pour but la défense des droits de l'homme.
Ces derniers jours, Belgrade semblait accepter toutes les conditions fixées par la communauté internationale, ce qui ouvrait de véritables opportunités pour une réelle dynamique de paix. Aujourd'hui, vous nous annoncez l'accord attendu.
Notre stratégie doit toutefois se confirmer et progresser. Tout d'abord, sur le plan militaire, les forces serbes doivent évacuer la totalité du Kosovo et nous devons pouvoir vérifier ce retrait.
Sur le plan diplomatique, nous devons continuer nos efforts et favoriser le dialogue, notamment avec les émissaires russes, comme l'avait suggéré, dès le départ, le Président de la République.
En effet, la Russie a son rôle à jouer. Depuis plusieurs semaines maintenant, elle affiche une véritable volonté d'aboutir avec nous à un règlement politique de la crise, qui, nous l'avons constaté au G 8, ne peut être élaboré sans elle.
Depuis l'acceptation par le président serbe du plan initial du G 8, un véritable espoir de paix était apparu, espoir qui semble aujourd'hui confirmé. Alors, monsieur le ministre, les frappes aériennes vont-elles cesser, et quand ?
Le sort des réfugiés est loin d'être réglé. Quelles solutions pourraient être envisagées pour toutes les personnes qui sont actuellement dans des camps ? L'été ne dure, là-bas, que quelques semaines ! Les organisations non gouvernementales s'inquiètent de la durée de la crise. Lorsque l'hiver sera là, la gestion des camps deviendra critique. N'est-ce pas là une arme supplémentaire pour M. Milosevic ?
Autant de questions, monsieur le ministre, qui méritent des réponses !
Par ailleurs, on parle beaucoup, actuellement, du coût de la reconstruction de la République fédérale de Yougoslavie. Romano Prodi, le nouveau président de la Commission européenne, a avancé des chiffres compris entre 5 milliards et 6 milliards d'euros par an pendant au moins cinq ans, soit 2 % du budget européen.
Un autre chiffre, à savoir 18 milliards d'euros, a été avancé par M. Yves Thibault de Silguy, le commissaire européen aux affaires monétaires.
Comment va s'organiser cette reconstruction ? On parle déjà d'une agence pour la reconstruction du Kosovo qui serait chargée de mettre en oeuvre les programmes de reconstruction de l'Union européenne.
En outre, s'agissant des Etats-Unis, a-t-on prévu une structure qui coordonnerait l'aide de l'Union européenne à la leur ? Il ne faudrait pas, en effet, que se reproduisent des événements semblables, par exemple, à ceux de l'aéroport de Sarajevo, dont les Américains se sont approprié la réouverture, alors qu'il avait été financé par l'Union européenne. (« Très bien ! » sur les travées du RPR.)
L'une de nos dernières questions, monsieur le ministre, a trait au président Milosevic, condamné, le 27 mai dernier, par le procureur du tribunal pénal international pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Quelle serait notre attitude si nous devions envisager de nouvelles négociations ? M. Milosevic peut-il demeurer notre interlocuteur ?
Quelle place sera réservée à la démocratie au coeur des Balkans ?
Grâce ou, plutôt, à cause de cette crise, l'Europe a pris conscience de son importance. Son existence politique à part entière est une nécessité évidente. C'est unis les uns aux autres que nous pouvons agir efficacement. Nous devons nous donner la chance de construire une Europe solide, et, comme chacun a pu s'en rendre compte, cela passe par une Europe de la défense.
L'intervention au Kosovo oblige les Européens à accélérer leurs initiatives. A Toulouse, la semaine dernière, Français et Allemands ont annoncé la création d'un « corps de réaction rapide européen » adapté au nouvel environnement stratégique. Ainsi, l'Union européenne serait dotée des « moyens autonomes nécessaires pour décider et agir face aux crises ». Il a été, en outre, décidé que l'Eurocorps, oublié durant ces événements, servirait de socle au développement de la politique étrangère et de sécurité commune.
Le sommet de Cologne a, quant à lui, abouti à la nomination d'un « Monsieur PESC », Javier Solana, le 3 juin dernier, ce qui doit permettre à l'Europe d'acquérir une voix sur la scène diplomatique.
D'ici à quelques mois l'« identité européenne de sécurité et de défense » peut devenir une réalité. C'est une idée ambitieuse mais indispensable puisque l'objectif est que l'Union européenne puisse prévenir, gérer et résoudre des crises comme celle du Kosovo.
Il est urgent que les pays d'Europe puissent définir leurs objectifs en matière de système de défense commun mais également la manière dont cette capacité pourrait collaborer avec l'OTAN.
On ne peut traiter ce sujet sans évoquer d'ores et déjà les enseignements que la France doit tirer de ce conflit. Il conviendrait de se poser la question des évolutions souhaitables de nos équipements militaires, et, plus précisément, celles qui ont trait aux moyens de transport, aux satellites et celles qui concernent la mise en oeuvre du groupe aéronaval Charles-de-Gaulle et la construction d'un second porte-avions, indispensable durant la maintenance du Charles-de-Gaulle.
Comment ne pas être préoccupé également, s'agissant de l'avenir de la défense commune, du retrait de l'Allemagne du programme Hélios II et du retrait de la Grande-Bretagne du programme de frégate Horizon, au moment même où les Américains accroissent leurs crédits militaires ?
Force est de considérer que l'Europe de la défense impliquera un effort soutenu en matière d'équipements. Cela risque de poser un problème puisque les budgets de défense sont un peu partout en baisse, y compris en France.
Que sera-t-il envisagé, monsieur le ministre, quant à nos budgets des affaires étrangères et de la défense ? Le Gouvernement va-t-il changer de politique budgétaire ?
On parle d'un plan d'action que la France doit soumettre à ses partenaires pour que l'élan donné à Cologne ne retombe pas. Pouvez-vous nous donner des indications sur ce plan puisqu'il semblerait qu'il englobe une partie de la politique étrangère et de sécurité commune ?
Dans les jours, dans les semaines qui viennent, nous devrons vérifier la mise en oeuvre rapide de l'accord de paix. Nous devrons rester extrêmement vigilants tant que le processus de retrait des troupes serbes « n'aura pas pris une allure irréversible », comme l'a dit le Président de la République, vendredi dernier, à l'issue du sommet européen de Cologne. « Nos démocraties, que l'on décrit parfois comme des régimes faibles et velléitaires, doivent faire preuve de fermeté quand leurs valeurs sont en jeu » nous a-t-il rappelé.
La France a pris toute sa place dans la détermination des nations à faire triompher ces valeurs. Nous nous en félicitons et nous voulons, pour conclure, rendre hommage à tous nos soldats, marins, aviateurs et personnels militaires, participant à l'intervention militaire et humanitaire.
Qu'ils soient remerciés de leur engagement, de leur professionnalisme, de leur fidélité, de leur loyauté envers la République et pour leur mission de défense des droits de l'homme au nom de la France. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Durand-Chastel, au nom de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe.
M. Hubert Durand-Chastel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'intervention militaire de l'OTAN devait durer quelques jours. Nous en sommes au soixante-seizième jour ! Les pourparlers de paix devaient permettre aux forces de la KFOR de rentrer au Kosovo demain ou après-demain. Or, la paix se fait attendre. Quelles leçons de modestie !
Doit-on avoir des regrets de l'action entreprise ? Absolument pas ; elle était devenue inévitable et ne pouvait être différée davantage.
Y avait-il et y a-t-il encore aujourd'hui une alternative aux bombardements militaires ? Il n'y en a pas, car la quasi-totalité des dix-neuf pays de l'OTAN n'étaient pas disposés à une invasion terrestre au Kosovo qui n'était pas préparée et aurait pu être terriblement coûteuse en vies humaines. Peut-être, seulement, n'était-il pas nécessaire d'en informer publiquement Milosevic, car, comme disait Montluc : « Si l'ost savait ce que pense l'ost, l'ost tuerait l'ost » !
Les Etats-Unis d'Amérique, dont l'Union européenne a sollicité l'intervention, constituent la force prédominante des opérations militaires, aidée par les forces anglaises et françaises. L'hyper-puissance des Etats-Unis domine entièrement l'OTAN.
Cependant, l'action entreprise lors du cinquantième anniversaire de la création de l'OTAN, à New York, a permis au président Chirac de rendre à l'ONU la priorité qui lui revient.
Par ailleurs, l'appui russe est indispensable si l'on veut éviter le risque d'une généralisation du conflit ou d'une nouvelle guerre froide. La situation politique qui prévaut à Moscou ne facilite pas les choses.
Le premier essai de paix n'a pas encore abouti. On demande maintenant une résolution de l'ONU et l'arrêt des frappes aériennes ! Si le président Milosevic n'avait pas prouvé son absolue mauvaise foi en organisant et en commençant, avant l'intervention alliée, le nettoyage ethnique du Kosovo, on pourrait penser que ces prétentions présentent une légitimité certaine. Mais il s'agit d'arguments dilatoires. L'arrêt prématuré des opérations militaires en Irak durant la guerre du Koweït n'a-t-il pas permis à Saddam Hussein de conserver son pouvoir ?
Même si l'annonce de la mise en accusation de Slobodan Milosevic au motif de crimes contre l'humanité aurait pu être retardée jusqu'au cessez-le-feu, la poursuite des bombardements est la seule réalité que le président serbe comprenne et qui lui fera accepter les conditions de paix fixées par l'OTAN.
En outre, les circonstances qui vont prévaloir avec le retour des réfugiés au Kosovo vont être particulièrement difficiles. Les exécutions et crimes abominables commis par les troupes serbes ont créé des ressentiments et des haines durables, et des vengeances ne manqueront pas de se produire. Les Serbes vivant au Kosovo ne vont-ils pas être relégués dans la zone russe de contrôle et de maintien de la paix et n'assisterons-nous pas à un exode serbe des autres zones après le retour des Kosovars dans leur pays ? Les Serbes vont-ils retirer les mines qu'ils ont posées ? Les pillages et destructions serbes ne vont-ils pas rendre les Kosovars de retour tributaires de secours et d'aides pendant très longtemps ? Arrivera-t-on à désarmer l'UCK ? Les troupes de la KFOR prévues avec un effectif d'environ 50 000 hommes seront-elles en nombre suffisant pour assurer la police et éviter des affrontements graves ?
Il convient donc que, dès le début, la situation soit claire et que des objections secondaires ne remettent pas en cause les principes des conditions imposées.
Je ne parlerai pas du financement de la présence russe éventuelle ni de la reconstruction de la Yougoslavie, estimée à près de 200 milliards de dollars.
Je terminerai en souhaitant que l'unité d'action des pays de l'OTAN durant la guerre se poursuive durant la paix et l'application des accords adaptés de Rambouillet et que l'Union européenne sache se doter des moyens militaires nécessaires pour pouvoir jouer sur le continent européen le rôle qui lui incombe. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dès jeudi dernier, à l'annonce de l'acceptation du plan de paix par la République fédérale de Yougoslavie, nous avons affirmé notre soulagement.
Enfin, les populations de réfugiés du Kosovo, notamment les femmes et les enfants, qui sont victimes d'une politique criminelle d'épuration ethnique et qui souffrent tant, retrouvent l'espoir d'un retour chez eux.
Enfin, la perspective de l'arrêt des bombardements existe.
Enfin, en effet, la négociation politique prend, ce jour, le pas sur la guerre.
Une solution politique apparaît possible. Je vous exhorte, monsieur le ministre, à tout mettre en oeuvre avec les autorités françaises pour l'établissement de la paix. L'accord qui vient d'être trouvé par le G 8 nous rapproche à nouveau de l'issue pacifique.
La cessation des combats s'impose maintenant.
Les images de ces centaines de milliers de réfugiés chassés de chez eux, les récits d'exactions terribles, l'ampleur des destructions, les ravages écologiques, la violence des bombardements cette nuit encore ne sont plus acceptables, ne sont plus supportables.
Avec beaucoup d'autres, nous avons critiqué le recours à la force le 24 mars dernier. J'ai affirmé à cette tribune que rajouter la guerre à la guerre ne pouvait servir la cause de la paix.
L'intervention de l'OTAN a, de toute évidence, aggravé la situation.
L'exode massif, le déchaînement des troupes serbes, la destruction d'un pays sont à mettre au bilan de cette intervention.
Les déséquilibres dans la région sont accentués. Les pays limitrophes sont durement touchés par la destruction minutieuse des voies de communication dans ce pays carrefour qu'est la Serbie.
Comment oublier que, lors des discussions de Rambouillet, marquées du sceau de la diplomatie européenne, notamment française, la pression diplomatique, l'intervention intéressante et efficace de l'OSCE sur le terrain même commençaient à payer ?
C'est la prédominance de l'OTAN qui est contestée. Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Tout ce déchaînement de violence était-il nécessaire pour revenir à une situation de négociation qui aurait pu ne jamais être abandonnée, sans renier notre détermination face au régime serbe ?
Le président Milosevic avait commencé à céder à la forte pression internationale. Nous regrettons que tous les efforts diplomatiques n'aient pas été poursuivis jusqu'au bout. Nombreux sont les observateurs qui ont fait avec nous ce constat.
L'ONU a été rabaissée, l'OTAN se veut la puissance globale qui n'a plus besoin de l'aval de la société internationale pour agir. Pour Washington, l'objectif demeure d'assurer la pérennité du contrôle américain sur les Balkans.
Ce qui se passe depuis quarante-huit heures confirme ce constat. L'OTAN n'a pas voulu attendre la mise en place du commandement de l'ONU sur la force internationale d'intervention au Kosovo, la KFOR, le commandement décidé jeudi dernier à Belgrade. L'OTAN veut garder la main, au risque de gâcher les chances de paix. Aujourd'hui, le G8 a adopté un projet de résolution qui doit mener à la paix.
Tout doit être fait aujourd'hui pour conduire jusqu'à son terme le règlement politique. Nous insistons sur le rôle premier qui doit être rendu à l'ONU dans le règlement des conflits et sur la nécessité de veiller à la pleine intégration de la Russie dans le processus en cours.
Pour permettre cette victoire de la diplomatie, les bombardements doivent cesser immédiatement...
M. Alain Gournac. Non !
Mme Hélène Luc. ... pourquoi pas ce soir ? - et les forces militaires serbes doivent quitter immédiatement le Kosovo.
Je vous demande, monsieur le ministre, que la France agisse de tout son poids pour obtenir cette sage décision.
La paix est à portée de main. Il reste à chacun de la saisir fermement pour que cette paix soit juste et durable dans cette région meurtrie si durement pendant ce siècle qui s'achève.
Malgré les blocages, malgré ce sentiment d'hésitation terrible entre la guerre et la paix, il faut organiser l'avenir, permettre de bannir de notre contingent l'horreur des armes.
L'économie jouera un rôle primordial.
C'est en effet sur le terreau de la misère que se nourrissent les haines, le nationalisme, la xénophobie qui déchirent les Balkans.
L'établissement d'un partenariat économique constitue donc un élément déterminant pour la consolidation de la paix. Il s'agit d'un engagement de grande envergure car la guerre coûte très cher. Ce sont des dizaines et des dizaines de milliards de dollars de destructions qui sont aujourd'hui comptabilisés. La reconstruction sera donc longue et nécessitera beaucoup de persévérance de la part de l'Union européenne et de l'ensemble des pays riches.
La reconstruction de la région sera le prix à payer pour garantir sa sécurité et sa stabilité.
Cet élan économique doit être, selon nous, accompagné d'un objectif politique, celui de l'ouverture d'une perspective européenne aux Etats de la région des Balkans.
Nous proposons la tenue d'une conférence internationale des Balkans.
Il est évident que la Russie a un rôle de premier plan à jouer dans l'établissement de l'équilibre politique de la région.
M. Alain Gournac. Ah !
Mme Hélène Luc. La mise à l'écart de la Russie, au moment de la décision des frappes et dans les jours qui ont suivi, a constitué une grave erreur, et beaucoup l'ont reconnue.
Nous constatons bien à quel point la Russie constitue un partenaire incontournable pour toute solution politique dans la région.
L'après-guerre que nous appelons si fortement de nos voeux posera inévitablement la question de l'indépendance de l'Union européenne par rapport aux Etats-Unis : indépendance politique, diplomatique, bien entendu, mais aussi indépendance militaire.
Qui peut contester le fait que les Etats-Unis dictent leur loi au sein de l'OTAN ?
Nous estimons nécessaire de mettre en place, au sein de l'Europe, une structure de sécurité préventive, organisme de coopération entre les défenses, examinant en amont les crises potentielles.
La naissance d'une telle coopération exige sans nul doute une rupture claire avec la logique des Etats-Unis, avec la logique de l'OTAN.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de ne pas noter comme un signe positif, dans cet esprit, la nomination du secrétaire général de l'OTAN comme « M. politique extérieure » de l'Europe.
De grands chantiers attendent l'Europe dans les Balkans. La première étape, décisive, est la fin de cette guerre. Les armes doivent se taire sur ce continent qui fut le terrain de tant de violences.
Nous comptons, monsieur le ministre, sur la détermination des autorités françaises pour participer à l'édification, dans les heures qui viennent, de cet état si fragile, mais source de progrès et de bonheur : la paix pour l'Europe et la paix pour le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Alain Richard, ministre de la défense. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, compte tenu de l'intensité et de la richesse du débat, j'espère que vous voudrez bien m'excuser de ne répondre qu'allusivement ou partiellement aux très nombreuses observations et recommandations de grande valeur qui ont été présentées.
Je note d'abord, pour m'en réjouir, la convergence des orateurs pour exprimer leur soutien moral aux militaires français qui se sont engagés, et qui vont continuer à le faire, dans la gestion de cette crise difficile et aussi, comme a bien voulu le souligner M. Arthuis, pour souligner le rôle important de la diplomatie française dans toute cette crise.
J'ai également noté chez nombre d'orateurs, avec une insistance particulière de la part de M. Claude Estier, le rappel de la justesse de la stratégie qui a été choisie par notre pays, qui a prévalu sur d'autres options, et les attitudes de fermeté et de constance manifestées pendant cette période. Un débat s'est ouvert, un peu hâtivement résumé, me semble-t-il, par M. Durand-Chastel, quant à la durée possible du conflit. Le débat est normal en démocratie mais les autorités de ce pays n'ont pas cédé à l'impatience.
En outre, la solidité de notre opinion publique, sa résolution, le refus de la faiblesse qu'ont exprimé de façon fréquente nos concitoyens - et les parlementaires ici présents le savent bien - ont fortement aidé à l'émergence de la situation que nous avons su créer aujourd'hui.
Je continue à penser qu'il n'y avait pas d'option plus rapide et plus économe en vies humaines que la démarche maîtrisée qui a été employée pour mettre hors de combat le maximun de forces serbes en train de terroriser la population du Kosovo.
Plusieurs questions ou observations ont porté sur le rôle des Européens dans cette crise.
Sur le plan politique, je rejoins pleinement les observations de M. de Villepin, en particulier quand il a fait la comparaison avec la crise bosniaque survenue voilà cinq ans ; l'un des grands changements, c'est la convergence entre Européens qu'ils se sont employés à organiser et à maintenir. Face à chaque événement, face à chaque évolution de la situation, la liberté de réflexion et d'appréciation retrouvée laissait à chacun la latitude de diverger. La volonté politique a donc été en permanence au rendez-vous européen pour maintenir notre action commune.
Il est vrai aussi que l'Europe politique a eu un rôle dans la conduite politique de cette crise. La situation de l'Europe et des forces militaires dont elle dispose en 1999 conduit à constater qu'il n'existe pas aujourd'hui d'outils de coopération militaire, lorsqu'il faut employer la force en coalition, autre que l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord.
Si, depuis cinquante ans que nous poursuivons la construction européenne, nous avions eu ensemble - la France et ses autres partenaires européens - la volonté, au cours des étapes politiques antérieures, de construire un autre outil, la question ne se poserait plus.
Dans cette analyse du poids relatif des uns et des autres, il faut se rappeler que la nature a horreur du vide et que si l'on décide le recours à la force - et je crois que nous reconnaissons aujourd'hui qu'il était opportun de le faire - on prend l'outil qui existe.
Dans le texte que j'ai lu tout à l'heure, M. le Premier ministre insistait sur le fait que cela n'empêche pas que notre pays, en raison à la fois de l'importance des moyens qu'il a consacrés à l'action dans cette crise - plus du tiers de l'ensemble des moyens européens - et de la détermination et de la bonne préparation de ses forces, sur laquelle je reviendrai, a pu exercer une influence réelle et sur la planification de l'opération et sur sa conduite au jour le jour, ce qui a sans doute contribué à éviter quelques erreurs ou quelques dérapages que nous avions craints. Mais cela s'est fait par dialogue et par persuasion mutuels au sein de l'Alliance.
Je n'oublie pas non plus de mentionner que nous pouvons regretter et que nous regrettons le poids important des Etats-Unis lorsqu'il a fallu employer la force.
J'y insiste : ce n'est pas le fait de la France si ce poids a été aussi élevé. Notre pays a en effet apporté sa part, et même un peu plus.
Si nous nous transportons dans l'avenir en postulant que nous aurons progressé dans la capacité commune de défense des Européens, il faut bien envisager que nous aurons des décisions difficiles à prendre. Quand on est la puissance ou le groupe de puissances qui prend les décisions, qui fait face aux situations, il n'y a jamais de solution qui présente tous les avantages.
M. Jacques Peyrat. C'est évident !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Quand nous voudrons jouer à la grande puissance, comme nous en avons l'intention et comme nous espérons entraîner nos amis européens à le faire, il faut savoir - cela se débattra devant chacun de nos parlements - qu'il y aura à ce moment-là, collectivement, des décisions difficiles à prendre.
En tout cas, depuis le début de cette crise, nous avons fait tout notre possible pour que l'Organisation des Nations unies joue son rôle, tout son rôle. La présentation, aujourd'hui même, du projet de résolution qui vient d'être agréé par les pays du G 8 devant le Conseil de sécurité, et qui a naturellement les plus grandes chances d'être adopté tel quel, est un succès de l'insistance rationnelle qui a été la nôtre.
Il s'agit non pas d'une manie, mais simplement du constat que la loi internationale, facteur de reconnaissance mutuelle d'une règle, de stabilité et de plus de justice dans l'ordre international, est fondée sur la charte des Nations unies, texte internationalement supérieur aux autres. La seule instance légitime de régulation des conflits, c'est le Conseil de sécurité, qui aura donc le dernier mot.
Il est vrai que cela aura été le résultat de l'insistance de nombre d'Européens, parmi lesquels nous avons joué un rôle, et d'un rapprochement des positions russes par rapport à celles des alliés européens.
Nous avons travaillé à ce rapprochement, mais il faut aussi rendre hommage à l'esprit de responsabilité des gouvernants russes, dont chacun peut se rappeler qu'ils ont été soumis, dans la jeune et encore peu stable démocratie russe, à bien d'autres pressions pour prendre des options différentes.
Quant à la séquence, depuis des semaines, avec nos amis diplomates des principaux pays engagés, nous en parlons. Il s'agit de l'organisation du déroulement des différentes actions concrétisant le passage à la paix.
Le moment clé - bien entendu après la fixation du cadre politique, ce qui vient d'être fait - c'est l'organisation, par accord technique entre les militaires représentatifs, d'une part, de l'armée serbe, de l'armée yougoslave et, d'autre part, de l'Alliance, d'un retrait étalé dans le temps. Nous allons conclure sur un calendrier de retrait en quelques jours des forces serbes, qui sont tout de même fortes de 40 000 hommes sur un territoire étendu et qui disposent souvent de possibilités de camouflage et de dispositifs de stockage d'armements.
Il faut que les premières phases de ce retrait soient véritables.
M. Alain Gournac. Le délai sera-t-il long ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. Non, de quelques jours !
La suspension des frappes interviendra dès la première étape vérifiable de ce retrait, c'est-à-dire, nous l'espérons, dans un délai extrêmement bref.
C'est compliqué à décider politiquement, mais ensuite, à partir du moment où un contact, un accord technique intervient entre militaires, la vérification n'est pas très difficile. Ce qui est très compliqué, c'est la succession du déploiement de la KFOR sur un terrain qui est nouveau pour elle et qui ne sera pas entièrement pacifié et du retrait des forces serbes, avec les risques d'exactions ou d'explosions locales de violence dans les espaces libérés du fait de cette sorte de vide de sécurité.
Cela me conduit à parler de la structure de la KFOR et, à ce sujet, je voudrais répondre aux questions précises de M. de Villepin, mais aussi de M. Plasait. Il ne peut y avoir qu'une structure de commandement unifiée. C'est un point sur lequel nous ne pouvons pas transiger. Ce n'est pas une question de manie de tel ou tel partenaire de l'Alliance ou de la coalition.
Nous avons fait l'expérience - vous êtes nombreux ici à vous en souvenir - d'une chaîne de commandement incohérente confrontée à des montées de violence imprévues en Bosnie. Cela s'est traduit à la fois par une perte de crédibilité de cette force de sécurité et par des drames pour les victimes de ces violences. Nous ne reprendrons pas ce risque.
Il faut donc associer la Russie qui, je crois, évolue rationnellement vers cette idée, à la fois à l'échelon politique de contrôle de cette force, qui sera placée sous l'autorité des Nations unies, bien entendu, et à l'état-major de la KFOR.
Les militaires russes en ont la capacité. Ils ont d'ailleurs déjà coopéré avec les forces de l'Alliance dans d'autres circonstances. Mais il est impératif que la division en zones qui a été prévue lors de la préparation du sommet de Rambouillet, et que nous pensons reprendre sur les mêmes bases, ne corresponde pas à des zones nationales. Cette question a été évoquée par plusieurs orateurs. Chacune des zones doit être surveillée par un contingent multinational.
M. Alain Gournac. Oui !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Ce sera le cas de la nôtre. Par ailleurs, les commandants responsables de ces zones devront répondre à un commandant d'opérations responsable de l'ensemble du territoire du Kosovo.
Le retour des réfugiés, nous le savons, prendra beaucoup de temps, et ce pour trois raisons.
La première, qu'il ne faut pas oublier, est qu'il s'agit de réfugiés européens en Europe. Ils sont certes dans le dénuement et dans la détresse, mais ils sont moins privés de libertés que d'autres cohortes de réfugiés dont nous avons le souvenir.
Nombre de ces réfugiés bénéficient, heureusement, d'un soutien humanitaire convenable et ont souvent des appuis familiaux ou des relations dans d'autres pays d'Europe. S'ils ont le sentiment que les conditions de sécurité qui leur seront faites à leur retour ne sont pas suffisantes, ils préféreront attendre. Ils ne repartiront pas vers leur pays sous la contrainte. Ils feront une appréciation lucide, assortie d'un choix sur les conditions acceptables ou non de leur retour. Nous le savons. Cela fait partie de l'exercice de la solidarité européenne.
Nous devons donc veiller à ce que la situation de sécurité qui sera faite au Kosovo soit pleinement crédible, et ce sur tout le territoire du Kosovo.
Par ailleurs, les questions d'accompagnement matériel sont tout à fait primordiales. Plusieurs orateurs ont mentionné les 900 000 réfugiés à l'extérieur du Kosovo, mais il y a aussi les 300 000 à 400 000 personnes - nous ne savons pas - déplacées à l'intérieur du Kosovo et dont les villages sont tout aussi déstructurés, les maisons tout autant détruites.
Par conséquent, le grand défi qu'il faut relever est maintenant celui du temps. En effet, plusieurs orateurs ont rappelé que, parmi d'autres facteurs de « malchance », ce conflit se déroule dans une région où le climat n'est pas particulièrement avenant. Il va donc nous falloir prévoir des conditions de soutien matériel. J'ai indiqué à plusieurs reprises ces derniers jours que c'était l'une de nos urgences.
Il faut que le soutien matériel aux réfugiés, là où ils sont aujourd'hui et dans l'endroit le plus proche possible de leur ancien domicile où il leur sera proposé de se réinstaller, soit adapté aux conditions climatiques. Il faut que ce soutien soit accompagné de premiers moyens de reconstruction faisant que les plus entreprenants, les plus industrieux des Kosovars - et nous avons vu qu'ils étaient nombreux - puissent faire reprendre la vie, notamment la vie économique et la production dans leur territoire dès qu'ils s'y seront réinstallés.
Il convient donc que, nous, Européens, avec nos autres partenaires, nous nous attendions à devoir supporter un effort matériel particulièrement important cette année, parce que nous aurons, au cours des trois, quatre ou cinq prochains mois - je prends un pari pour une fois quelque peu imprudemment sur des délais - au cours de cette seconde moitié de l'année 1999, à la fois à continuer à soutenir des personnes déplacées dans les pays où elles se sont réfugiées et à aider certaines d'entre elles à se réinstaller sur le territoire du Kosovo.
Il faudra, et plusieurs orateurs ont évoqué cette question en termes souvent très justes, vivre ensemble, et je rejoins tout à fait M. Cabanel à cet égard : des communautés différentes peuvent coexister dans les Balkans. D'ailleurs, l'une des raisons majeures qui justifient l'action que nous avons entreprise est d'apporter un encouragement à tous les leaders politiques qui, depuis dix ans, en différents points de l'Europe centrale et orientale, ont contribué à résoudre des problèmes, ont cherché des solutions pacifiques et négociées à d'autres conflits intercommuantaires qui existaient dans les Balkans et qui ont été surmontés.
Je crois que cela pourra se réaliser au Kosovo, avec du temps, naturellement, et des efforts adaptés. Nous sommes par ailleurs pleinement conscients du fait qu'il faudra veiller au respect des droits de la minorité serbe.
De nombreux orateurs ont également souligné la nécessité de maintenir la stabilité de la Macédoine et de l'Albanie. Il est encore trop tôt pour dresser un bilan, mais la situation actuelle montre que la façon dont les partenaires de l'Alliance, notamment les Européens, ont organisé la coopération avec les autorités albanaises et macédoniennes a au moins permis le début de cette stabilisation. Nous avons empêché que ces pays, qui étaient pourtant fragiles, soient déstabilisés, et il est tout à fait exact que nous avons maintenant une dette morale à leur égard, car ils ont été des alliés et des partenaires particulièrement exposés dans cette crise, et ils ont su faire face. Ils seront en effet, dans le travail de reconstruction régionale, des partenaires auxquels on doit accorder une attention particulière.
Nous l'avons dit, et tous les Européens ainsi que nos partenaires américains avec nous : la Serbie démocratique a sa place dans l'Europe réorganisée, notamment dans le contexte balkanique que nous voulons pacifier et stabiliser.
Ensuite, nous sommes face à ce dilemme : soutenir la démocratie sans nous substituer au peuple serbe. Donc, ce sera forcément par des démarches indirectes, diplomatiques et économiques, que tous nos pays devront essayer de contribuer à soutenir le processus démocratique en Serbie. Nous ne pourrons pas l'imposer par la force, ce n'est pas légitime.
La résolution des Nations unies qui va être examinée dans les prochaines heures fera mention du rôle de la KFOR pour aider le Tribunal pénal international dans ses différentes missions. Son procureur, Mme Arbour, que nous avons rencontrée, M. Hubert Védrine et moi-même, il y a quelques semaines, avait sollicité en particulier la possibilité pour des représentants du TPI de se porter le plus vite possible dans les zones libérées afin de recueillir des informations et des preuves et y faire des constats.
Quant au droit d'interpeller ou d'intercepter les personnes recherchées, le projet de résolution fait état de la conclusion d'un accord, sous l'égide des Nations unies, entre la KFOR et le Tribunal pénal international. Cependant, naturellement, dans l'étape immédiate dont nous parlons, c'est-à-dire la mise en route de la KFOR, ce rôle au service du TPI ne pourra s'exercer que sur le territoire du Kosovo.
S'agissant de la relation de la communauté internationale, en particulier de nos pays européens, avec M. Milosevic, le meilleur exemple que je pourrais prendre est celui de l'action du président Ahtisaari, la semaine dernière. Il est allé à Belgrade une fois et, sur la base d'un mandat clairement fixé par les Européens, il arrivait vraiment en représentant de l'Union. Il a présenté à l'autorité yougoslave les impératifs auxquels elle devait satisfaire. Des discussions d'explication ont eu lieu, mais il n'y a pas eu de négociations, et il nous semble que, si l'autorité serbe devait rester détenue par les mêmes dirigeants dans les semaines ou les mois qui viennent, c'est cette même attitude qu'il faudrait conserver.
Plusieurs orateurs ont également mentionné parmi les impératifs les tâches de reconstruction et la place importante que les Européens vont jouer à cet égard.
Je veux leur signaler que c'est dès après-demain que sera convoquée par la présidence allemande en première réunion organisée à la suite du sommet de Cologne, pour préparer la conférence ministérielle sur les Balkans avec l'ensemble des pays intéressés. Nous sommes tous convaincus que c'est là un rôle majeur d'une Union européenne consciente de ses responsabilités mais pas totalement oublieuse pour autant de ses intérêts, qui, étant donné le potentiel de développement de cette zone, ne doivent pas être négligés.
C'est donc en effet à l'Union européenne d'exercer le leadership en matière de soutien à la reconstruction.
Plusieurs orateurs se sont exprimés enfin sur les perspectives de l'Europe de la défense. Je ne souhaite pas prolonger le débat en ouvrant toute une série de nouvelles perspectives, mais je veux confirmer que M. le ministre des affaires étrangères et moi-même sommes au travail pour présenter, d'ici à quelques jours, un schéma de plan d'action français afin d'établir de façon graduelle les moyens concrets de capacité de défense dont les Européens pourraient librement se doter, en faisant d'abord appel à la collaboration volontaire des pays les plus déterminés, car il faut admettre que nos quinze pays ne seront pas forcément décidés à aller au même rythme.
Enfin, pour répondre à une série de questions de M. Vinçon, quand on examine les moyens engagés dans ce conflit, on constate que ceux qui ont été développés par la France sont, je crois, substantiels. Ce faisant, elle a pu vérifier que sa réforme de la défense s'accomplit en bon ordre et dans la cohérence budgétaire.
Les quelques brèves réponses que je viens d'énoncer montrent, comme M. le président de Villepin l'indiquait dans sa première intervention, les multiples tâches qui nous attendent et les problèmes encore nombreux qui restent à régler. Mais, inutile de vous le dire, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement préfère avoir à résoudre ces problèmes-là - avec, bien sûr, les incertitudes que cela comporte, avec, bien sûr, des difficultés - pour compléter la réalisation des objectifs politiques que nous avions choisis et que le Parlement avait approuvés plutôt que d'avoir le pénible devoir de s'adapter en désordre à la destruction de nos engagements communs !
Si une leçon est à tirer des progrès encore imparfaits que nous faisons, c'est que nos démocraties, quelque peu vieillissantes certes, mais prospères et bien éloignées de l'esprit belliqueux, ont malgré tout - et il faut en rendre hommage d'abord à nos concitoyens, mais aussi à ceux qui les représentent - la force de caractère de lutter contre la violence politique en sachant employer la force, cela pour finalement dégager des solutions politiques équitables et durables. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement qui sera imprimée sous le numéro 406, distribuée et, par ailleurs, mise en ligne sur le site Internet du Sénat.

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