Séance du 8 juin 1999






RÉFÉRÉ DEVANT LES
JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 269, 1998-1999) relatif au référé devant les juridictions administratives. [Rapport n° 380 (1998-1999).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous le savons, les juridictions administratives constituent l'un des deux piliers de notre système juridictionnel. Le Conseil constitutionnel a donné une valeur constitutionnelle à leur mission dans ses décisions des 22 juillet 1980 et 23 janvier 1987.
Si les juridictions administratives ont su rendre une justice de qualité et ont fait preuve depuis longtemps de leur indépendance, elles sont victimes, depuis de nombreuses années, de leur succès et, par conséquent, d'un afflux de recours qui allongent les délais de jugement. En 1998, ceux-ci s'élevaient devant les tribunaux administratifs à un an onze mois et vingt et un jours et devant les cours administratives d'appel à trois ans deux mois et sept jours. Ces délais peuvent conduire, dans le cas des demandes les plus urgentes, à un véritable déni de justice.
Quelle est, en effet, la portée d'un jugement qui annule un permis de construire deux ans après sa délivrance alors que la construction est achevée ? Quelle satisfaction peut retirer un requérant de l'annulation d'un refus d'inscription à un concours qui lui avait été opposé, alors que les épreuves du concours ont eu lieu plusieurs mois auparavant ?
Pourtant, des réformes ont été entreprises pour accélérer l'instruction et le jugement des affaires. On peut d'abord citer les innovations procédurales introduites par la loi du 8 février 1995, qui instaure un juge unique pour un certain nombre d'affaires et qui étend le champ des requêtes qui peuvent être rejetées par une simple ordonnance du président de la juridiction.
Il faut souligner également l'effort fourni par les magistrats, recrutés en plus grand nombre et aidés par des assistants judiciaires, qui a permis une augmentation de productivité de 60 % en huit ans. Le nombre d'affaires jugées par magistrat s'élevait à 211 en 1998, contre 182 en 1991. C'est ainsi que 110 966 affaires ont été réglées par les tribunaux administratifs en 1998.
Enfin, plusieurs nouvelles juridictions administratives ont ouvert leurs portes depuis 1997 : le tribunal administratif de Melun et la cour administrative d'appel de Marseille. Plusieurs juridictions ouvriront leurs portes prochainement : la cour administrative d'appel de Douai en septembre 1999 et le tribunal administratif de Cergy-Pontoise en septembre 2000.
Pourtant, tous ces efforts ont vu leur portée limitée par l'augmentation constante du flux du contentieux qui produit des délais de jugement excessifs. C'est d'autant plus inadmissible que le juge administratif n'a ni les moyens de faire le tri entre les requêtes ordinaires et les demandes urgentes ni les moyens de traiter celles-ci en urgence.
Votre assemblée s'est à plusieurs reprises inquiétée de cette situation : en 1992, par exemple, dans l'excellent rapport de sa commission d'enquête dit rapport Haenel-Arthuis sur le fonctionnement des juridictions administratives ; en 1994, dans le rapport rédigé par M. Fauchon sur le projet de loi relatif à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
Votre assemblée avait alors appelé de ses voeux une réforme des procédures d'urgence devant le juge administratif afin de les rendre plus efficaces.
J'ai demandé dès le 2 mars 1998 au vice-président du Conseil d'Etat, M. Denoix-de-Saint-Marc, de me faire des propositions en ce sens. Ces propositions ont été élaborées par un groupe de travail présidé par M. Labetoulle, président de la section du contentieux du Conseil d'Etat. Sur cette base, le Gouvernement répond aujourd'hui à cette demande et vous propose, par le présent projet de loi, de donner au juge administratif les moyens de régler les situations d'urgence.
Avant de vous préciser les objectifs et le contenu du projet, je voudrais revenir un instant sur les lacunes de la situation actuelle, qui justifient à mes yeux la réforme.
Le constat est qu'il n'existe pas de véritable juge de l'urgence au sein des juridictions administratives et la situation actuelle n'est pas satisfaisante pour deux raisons.
En premier lieu, le juge administratif des référés tel qu'il existe aujourd'hui a des pouvoirs très réduits, qui ne lui permettent pas de répondre aux situations d'urgence.
Les trois procédures de référé qui existent actuellement permettent seulement d'ordonner des mesures d'expertise ou d'instruction, de prendre des mesures conservatoires limitées et, depuis 1988, d'allouer une somme d'argent par provision jusqu'au jugement sur le fond d'un litige.
Si ces procédures sont utiles, elles ne permettent pourtant pas au juge administratif de faire obstacle à une décision de l'administration et de lui adresser des injonctions dans les situations exceptionnelles où ses agissements portent gravement atteinte aux libertés fondamentales des citoyens. C'est même la raison pour laquelle ceux-ci sont tentés de saisir le juge civil des référés sur le fondement d'une conception erronée de la voie de fait.
En deuxième lieu, si le juge administratif dispose du sursis à exécution pour suspendre une décision de l'administration, son usage a été en pratique limité par l'interprétation très restrictive de ses deux conditions cumulatives d'octroi retenue par la jurisprudence.
La première est la condition de préjudice difficilement réparable qui aboutit en réalité à exclure du droit d'obtenir un sursis, les requérants qui justifient seulement d'un préjudice économique.
La seconde condition, celle d'un moyen sérieux de nature à justifier une annulation, a conduit le juge à une prudence telle qu'il procède à l'examen de la demande de sursis dans les mêmes conditions que celle du fond.
M. Jacques Peyrat. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Si on ajoute que le sursis est accordé, en principe, par une formation collégiale et au terme d'une procédure écrite, on comprend que les demandes de sursis à exécution ne sont pas instruites et jugées en « extrême urgence » comme le prévoit pourtant le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Les insuffisances de cette procédure de sursis à exécution posent d'autant plus de problèmes qu'elle compte au nombre des garanties essentielles des droits de la défense énoncées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 23 janvier 1987 et qu'elle participe du droit à un recours effectif tel que l'entendent la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour de justice des Communautés européennes.
C'est la raison pour laquelle, dans un premier temps, le législateur a organisé des sursis spéciaux qui ont présenté l'inconvénient de compliquer davantage encore l'état du droit et de ne concerner que des domaines particuliers.
C'est également pour pallier ces insuffisances que le législateur a imaginé, dans la loi du 8 février 1995, un mécanisme de suspension provisoire des décisions pour trois mois, dans l'attente de la décision sur le sursis. Mais, comme le craignait M. Fauchon, ce mécanisme, aux critères encore plus restrictifs que ceux du sursis, a été peu utilisé. Ainsi, sur les 1 172 demandes de suspension provisoire reçues par les tribunaux administratifs en 1998, seules 122 ont donné lieu à des suspensions.
La réforme voulue par le Gouvernement consiste à instituer un véritable juge des référés statuant en urgence. Son objectif est clair. Il s'agit de conférer au juge administratif des référés une efficacité comparable à celle du juge civil des référés, tout en tenant compte, bien entendu, des spécificités du contentieux administratif.
Il n'est pas en effet envisageable d'introduire, dans le contentieux administratif, une procédure identique à celle du référé civil dans la mesure où les litiges devant le juge administratif ne voient pas s'affronter deux intérêts privés mais concernent des décisions prises au nom de l'intérêt général, qui bénéficient d'une présomption de légalité.
Il est néanmoins inadmissible de laisser les citoyens démunis face aux illégalités qui peuvent être commises par l'administration et qui exigent une réponse immédiate. Il faut donc donner au juge administratif les moyens de traiter les situations d'urgence afin d'assurer une véritable protection des justiciables.
Le juge administratif a déjà prouvé qu'il pouvait répondre aux situations d'urgence dans le cadre de procédures particulières.
Il s'agit d'abord des recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière. Depuis 1990, un juge statuant seul, sans conclusions du commissaire du Gouvernement et après une procédure orale, se prononce, dans un délai de quarante-huit heures, sur la légalité de ces arrêtés.
Il faut ensuite rappeler l'existence de la procédure dite du référé précontractuel régie par les articles L. 22 et L. 23 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. Le président du tribunal ou son délégué intervient pour faire cesser les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sont soumises la passation des marchés publics et les délégations de service public.
Ces procédures ont démontré la capacité des tribunaux administratifs à décider rapidement. Elles demeurent néanmoins cantonnées, dans des contentieux très particuliers. L'ambition du Gouvernement est donc de créer des procédures d'urgence de droit commun devant le juge administratif.
La réforme que je vous propose aujourd'hui est une réforme d'ensemble touchant, à la fois, aux pouvoirs du juge administratif des référés et à la procédure suivie devant lui. Elle vise à atteindre trois objectifs : donner de véritables pouvoirs d'urgence au juge administratif des référés ; organiser une procédure souple et rapide ; enfin, simplifier l'état du droit.
Premier objectif : donner des pouvoirs d'urgence au juge administratif des référés.
Pour permettre au juge administratif de répondre aux situations d'urgence, le projet de loi donne trois pouvoirs au juge des référés.
Si celui-ci conserve sa compétence actuelle pour prendre des mesures conservatoires, il pourra désormais, en outre, suspendre l'exécution des décisions administratives illégales et prendre toutes mesures nécessaires en cas d'« atteinte grave et manifestement illégale » à une liberté.
Avant de détailler ces trois pouvoirs, je voudrais appeler votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait que le juge des référés, comme le rappelle l'article 1er du projet de loi, ne prend que des décisions provisoires qui ne lient en rien le juge appelé ensuite à statuer sur le fond du litige. Il n'intervient qu'à fin conservatoire en raison de l'urgence d'une situation et ne se prononce pas sur le principal.
Cette précision étant apportée, je vais d'abord évoquer la première procédure : le « référé-suspension ».
Face aux insuffisances du sursis à exécution, on aurait pu envisager de donner un caractère suspensif aux recours devant le juge administratif. Le Gouvernement n'a pas fait ce choix, d'abord pour une raison de principe : la généralisation du recours suspensif porterait atteinte au caractère exécutoire des décisions administratives qui bénéficient d'une présomption de légalité parce qu'elles sont prises dans l'intérêt général. En outre, une généralisation du recours suspensif conduirait à une paralysie de l'action administrative.
Le Gouvernement a néanmoins voulu offrir aux requérants, si l'urgence de la situation le justifie, une procédure rapide leur permettant d'obtenir immédiatement la suspension de l'exécution des décisions administratives illégales. C'est pourquoi il vous propose de substituer à l'actuel sursis à exécution un « référé-suspension ».
Cette réforme conduit à trois changements importants.
En premier lieu, elle rénove profondément les conditions d'octroi du sursis. Bien sûr, la nature de ces conditions demeure la même.
Dans la mesure où le caractère exécutoire des décisions administratives reste la règle, il est légitime que leur suspension ne soit ordonnée que si leur exécution immédiate risque d'avoir de graves conséquences et si leur légalité est constestable.
En revanche, le projet de loi tend à assouplir très nettement les conditions d'octroi définies par la jurisprudence.
D'une part, l'urgence suffira à justifier une demande de suspension. Par conséquent, cette condition se substituera au préjudice difficilement réparable que les représentants avaient beaucoup de mal à établir dès lors que l'on peut souvent réparer un dommage né d'une illégalité par l'allocation d'une somme d'argent.
D'autre part, l'existence, en l'état de l'instruction, d'un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée, permettra au juge d'accorder la suspension. Cela le dispensera de faire une analyse du fond de la requête, nécessairement longue et difficile, pour déterminer si le moyen d'annulation est sérieux ou non.
Ensuite - deuxième changement important - le projet de loi ouvre au juge la possibilité de moduler les effets de sa décision de suspension afin de répondre au mieux à la situation d'urgence qui lui est présentée. Il pourra ainsi ordonner la suspension d'une décision uniquement en tant qu'elle est rétroactive ou pour une durée limitée en attendant le résultat d'une mesure d'instruction, par exemple.
Enfin troisième changement important le projet de loi transfère le pouvoir de suspendre l'exécution des décisions administratives de la formation collégiale de jugement au juge des référés, c'est-à-dire à un juge unique.
Je rappellerai, à cet égard, que le Gouvernement répond ainsi au voeu formulé par le rapport de votre commission d'enquête sur le fonctionnement des juridictions administratives.
La seconde procédure est celle du « référé-injonction ».
Cette procédure est confiée, elle aussi, au juge des référés. Elle introduit un mécanisme totalement nouveau mis à la disposition des requérants. Il s'agit d'aller au-delà de la simple suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque cette exécution est insuffisante ou inadaptée pour assurer le respect des libertés des justiciables.
Le juge administratif des référés va pouvoir ordonner à l'autorité administrative toutes les mesures nécessaires pour faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Ces mesures pourront, bien sûr, revêtir la forme d'injonctions à l'administration.
L'étendue des pouvoirs ainsi confiés au juge se justifie par le champ d'application de ce référé. Il s'agit des atteintes graves et manifestement illégales aux libertés fondamentales. La notion de liberté fondamentale renvoie, je le rappelle, à l'article 34 de la Constitution, qui confie au législateur le soin de fixer les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ».
Cette nouvelle procédure pourra être utilisée pour protéger l'exercice d'un simple droit. En effet, dans une telle hypothèse, on peut estimer que le référé-suspension est suffisant. En outre, l'extension de cette procédure présenterait le risque de transférer la quasi-totalité du contentieux administratif dans l'orbite du référé, dénaturant ainsi sa fonction.
La troisième procédure est celle du « référé conservatoire ».
Le mécanisme actuel est conservé dans son principe mais assoupli dans ses modalités.
En effet, l'interdiction de faire préjudice au principal est supprimée. Une telle prohibition est inutilement restrictive dès lors que les mesures ordonnées, comme toute décision en référé, ont nécessairement un caractère provisoire et sont dépourvues de l'autorité de la chose jugée.
Le deuxième objectif du projet de loi est de mettre en place une procédure souple et rapide.
La réforme ne porte pas uniquement sur les nouveaux pouvoirs accordés au juge des référés. Elle tend à permettre aux justiciables d'obtenir rapidement une décision de justice. Dans ce but, plusieurs mesures sont prises.
Tout d'abord, les trois procédures de référé dont j'ai parlé sont confiées à un juge unique, qui statue sans conclusions du commissaire du Gouvernement.
Ensuite, la procédure devant le juge des référés peut être orale. Cela permettra aux parties d'exposer leurs positions devant le juge lors de l'audience publique, qui est obligatoirement organisée en matière de référé-suspension et de référé-liberté.
En outre, un mécanisme de tri permet au juge des référés de rejeter, sans procédure contradictoire, les demandes dépourvues de toute chance de succès.
J'ajoute que les demandes de référés régies par le présent projet seront exonérées du droit de timbre institué par la loi de finances du 30 décembre 1993.
Enfin, les décisions prises par le juge des référés statuant en urgence ne seront soumises qu'à un contrôle de cassation, comme la procédure actuelle du référé précontractuel.
En effet, il est apparu peu utile d'organiser un appel devant les cours administratives d'appel, car il aurait conduit à compliquer la procédure sans apporter aux parties de véritable garantie supplémentaire.
Votre commission des lois demande qu'un appel devant le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat soit organisé s'agissant du référé-injonction. Cet amendement me paraît opportun. En effet, je ferai remarquer que le sursis particulier dont dispose le préfet à l'encontre des actes des collectivités locales susceptibles de compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle est soumis à appel porté devant le président de la section du contentieux. Il est donc légitime de traiter de la même façon le référé qui protège les mêmes libertés.
La procédure sera bien sûr précisée dans le volet réglementaire de la réforme. Le Gouvernement s'attachera à accélérer le processus de décision et à favoriser le dialogue avec les requérants, notamment en imposant au juge de fixer, dès sa saisine, un calendrier d'examen de l'affaire. Dans une affaire urgente, il me paraît en effet absolument nécessaire que les justiciables sachent à l'avance quand leur affaire sera examinée.
Le troisième grand axe de cette réforme touche à la simplification de l'état du droit.
Nous venons de voir que les trois référés en urgence seront soumis à la même procédure.
En outre, en offrant aux justiciables une procédure efficace de suspension des décisions administratives illégales, le projet permet de supprimer les sursis spéciaux qui avaient été institués par le législateur au cours des dernières années pour pallier les insuffisances du sursis à exécution de droit commun.
La réforme conduit aussi à la disparition du mécanisme de suspension provisoire régi par l'article L. 10 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, dont votre commission des lois avait d'ailleurs anticipé l'échec lors de l'élaboration de la loi du 8 février 1995.
Vous constaterez néanmoins que tous les sursis particuliers ne sont pas abrogés. Le Gouvernement en a conservé deux catégories.
Il s'agit d'abord des sursis ouverts au préfet dans l'optique de son contrôle de légalité. Le Gouvernement a souhaité conserver l'équilibre institutionnel mis en place par les lois de décentralisation et maintenir le rôle particulier du préfet, d'ailleurs consacré par le Conseil constitutionnel, en matière de contrôle de légalité des actes des collectivités locales.
Quant aux deux sursis à exécution institués par la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature et par la loi du 12 juillet 1983 sur la démocratisation des enquêtes publiques, il s'agit de procédures qui permettent au juge de suspendre automatiquement des décisions, soit en l'absence d'étude d'impact, soit en cas d'avis défavorable du commissaire-enquêteur. Leur importance pour la protection de l'environnement en justifie le maintien.
Ces sursis bénéficient néanmoins des assouplissements introduits dans la procédure de droit commun, à savoir le juge unique et les conditions rénovées d'octroi de la suspension.
Par ailleurs, le Gouvernement vous propose de compléter les articles L. 22 et L. 23 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel qui régissent la procédure dite du référé précontractuel en matière de contrats et de marchés.
La jurisprudence, se fondant sur la nature précontractuelle de ce mécanisme, a estimé que le juge se trouvait dessaisi par la signature du contrat. Cela a conduit au développement d'une pratique tendant à accélérer la signature du contrat dans le seul but de faire échec à l'intervention du juge. Pour y remédier, il est proposé que le juge puisse, dès sa saisine, enjoindre, à titre conservatoire, à l'autorité compétente pour signer le contrat de différer cette signature jusqu'à l'expiration de la procédure engagée devant lui.
Sous réserve d'un certain nombre d'amendements, votre commission a adopté le projet de loi sur le référé administratif, ce dont je me félicite. Je constate d'ailleurs que la plupart des amendements qu'elle a adoptés améliorent de manière significative le projet de loi. Le Gouvernement sera donc favorable à la plupart d'entre eux, notamment à celui qui rétablit la possibilité de faire appel devant le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat des décisions rendues au terme de la procédure du référé-injonction.
En revanche, le Gouvernement ne pourra que s'opposer à l'amendement qui tend à limiter à un an la durée de la suspension des décisions prononcées par le juge.
M. Jean-Jacques Hyest. Ah !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Cet amendement me semble dénaturer l'idée même du sursis à exécution d'une décision dont la légalité est douteuse.
Comme l'a très bien dit votre collègue Jean-Jacques Hyest en commission, « s'il existe un doute sérieux sur la légalité d'un acte, il subsistera tant que le juge du fond ne se sera pas prononcé, et non à l'expiration d'un délai donné ». Nous reviendrons sur cette question, importante en effet, lors de la discussion des articles.
Pour conclure, je veux remercier vivement la commission des lois, et plus particulièrement son rapporteur, M. Garrec, de la qualité du travail fourni et de l'esprit de collaboration dans lequel se sont déroulés nos travaux.
M. Hubert Haenel. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je tiens à souligner que ce projet est l'occasion de donner aux requérants toutes les garanties qu'ils sont en droit de revendiquer face aux agissements d'une administration qui doit être soumise au principe de légalité.
Il s'agit, certes, d'un projet de loi en apparence très technique, mais je crois qu'il ne faut pas sous estimer la révolution qu'il introduit dans notre procédure contentieuse administrative, au service des libertés de nos concitoyens.
Sa réussite, il faut le savoir, dépendra largement de l'implication de la juridiction administrative et de l'intégration de l'urgence dans la culture des juges. Pour les juges administratifs aussi, ce sera une révolution que d'intégrer dans leur pratique l'oralité des débats et la rapidité des décisions. Je ne doute cependant pas une seconde qu'ils y arriveront et qu'ils pourront acquérir, comme le demandait M. Haenel, à la page 82 de son rapport, « un sentiment de l'urgence ».
Je terminerai en citant le président Drai, qui soulignait, dans la préface d'un ouvrage sur le juge civil des référés : « Vivre dans un "état de droit", c'est pouvoir, en toutes circonstances, affirmer qu'il y a un juge qui s'implique dans l'action de tous les jours, accessible au dialogue direct et spontané ». (Applaudissements.)
M. Hubert Haenel. Comme c'est vrai !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. René Garrec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, de suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la garde des sceaux, vous avez tout dit sur l'encombrement des juridictions administratives, ce qui m'évitera d'en parler. C'est là une réalité, mais celle-ci tient uniquement au succès de ces juridictions et donc au talent de ceux qui les font vivre, je me plais à le souligner ici devant des membres du Conseil d'Etat, notamment M. Haenel.
Ce projet n'est pas anodin et, sous une apparence technique, il introduit une authentique novation, pour ne pas dire une révolution.
Je dirai simplement que, au nom de l'urgence, on nous propose un infléchissement de la conception de deux principes fondamentaux du droit public français : le caractère exécutoire des décisions administratives et l'interdiction faite au juge d'adresser des injonctions à l'administration à titre principal.
L'absence de commissaire du Gouvernement induit l'impression selon laquelle les droits de la défense seront moins bien garantis que lors de l'examen du litige au fond.
Cependant, ces infléchissements sont tempérés par le fait que le juge administratif des référés statue par des mesures qui ont un caractère provisoire, qui ne concernent pas le fond et qui n'ont donc pas, au principal, l'autorité de la chose jugée.
Après la présentation du projet à laquelle vous avez procédé, madame la ministre, je me contenterai d'indiquer ce qu'en pense la commission des lois.
D'abord, celle-ci s'est interrogée sur la répartition entre le domaine de la loi et celui du règlement.
Le présent projet de loi ne répond pas à une « conception extensive du domaine de la loi », comme le laisse croire le groupe de travail du Conseil d'Etat. Au contraire, il laisse une très grande marge de manoeuvre au pouvoir réglementaire.
S'agissant de la valeur législative du sursis à exécution, vous l'avez rappelé, l'article 34 de la Constitution ne mentionne expressément dans le domaine de la loi que la procédure pénale.
Toutefois, par le biais du caractère exécutoire des décisions administratives qui est « la règle fondamentale du droit public », le sursis à exécution, qui le tempère, appartient dans son principe au domaine de la loi.
Sans rappeler la jurisprudence du Conseil d'Etat, j'indiquerai que la commission des lois avait déjà souligné dans le passé - M. Fauchon nous avait soumis ses réflexions à ce sujet - que les dispositions d'ordre réglementaire traitent parfois de procédures fondamentales pour les droits des justiciables.
La commission des lois approuve aujourd'hui que le présent projet de loi reconnaisse la valeur législative du sursis à exécution, transformé en suspension.
Elle souligne que, non seulement les mesures réglementaires d'application de ce projet de loi sont nombreuses, mais elles conditionnent l'entrée en vigueur même de la loi et sont déterminantes au fond. Le contenu des dispositions votées par le législateur pourrait prendre un sens très différent selon les modalités qui seront retenues par décret en Conseil d'Etat. Le Parlement attachera une attention particulière au contrôle de l'action du Gouvernement en la matière.
Le présent texte ne prévoit aucune codification. Il s'agit de dispositions autonomes ne s'inscrivant pas dans le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ni dans les textes de référence relatifs au Conseil d'Etat.
La commission des lois désapprouve cette méthode et rappelle son attachement à la codification des textes législatifs et réglementaires.
Toutefois, il lui a paru délicat de codifier les dispositions du présent projet de loi, car une telle codification aurait nécessité l'insertion des articles dans le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, dans l'ordonnance du 31 juillet 1945 sur le Conseil d'Etat, mais aussi dans le décret du 30 juillet 1963 relatif à l'organisation et au fonctionnement du Conseil d'Etat.
En effet, de nombreuses dispositions figurant actuellement dans des règlements acquièrent valeur législative avec ce projet de loi, conformément à la répartition opérée entre le domaine de la loi et le domaine réglementaire par les articles 34 et 37 de la Constitution.
Dès lors, la codification aurait pu introduire une confusion supplémentaire entre le domaine de la loi et celui du règlement.
Formellement, le présent projet de loi trouvera sa place dans un livre, spécialement consacré aux procédures d'urgence, du futur code de justice administrative, selon ce que nous a indiqué M. Labetoulle, président de la section du contentieux du Conseil d'Etat.
Le futur code de justice administrative réunira pour la première fois dans un même texte les dispositions relatives aux tribunaux administratifs et aux cours administratives d'appel, d'une part, au Conseil d'Etat, d'autre part.
La commission des lois souhaite donc, à l'occasion de l'examen par le Parlement du projet de loi de code de la justice administrative, prendre connaissance des dispositions proposées pour les améliorer le cas échéant. A cet égard, si la codification par ordonnance au titre de l'article 38 de la Constitution devait être acceptée, l'examen du projet de loi de ratification appellerait une vigilance particulière.
La commission a souhaité que l'on prenne la mesure des nouveaux pouvoirs du juge.
Ce projet de loi donnerait au juge administratif des référés statuant en urgence des pouvoirs lui permettant d'être aussi efficace que le juge civil des référés.
Pourtant, il n'est pas question, en donnant ces pouvoirs au juge administratif des référés, de nier la différence entre les deux ordres de juridiction.
Les magistrats administratifs ont une culture administrative. Ils font davantage référence aux libertés publiques, alors que le juge judiciaire protège en premier lieu la liberté individuelle. Surtout, ils ont l'habitude de manier un droit inégalitaire : l'administration ne peut être assimilée à un particulier dans la mesure où elle agit dans l'intérêt général.
En assouplissant considérablement les conditions d'octroi du sursis à exécution des décisions administratives, le présent projet de loi permet une utilisation plus fréquente de la suspension, au vu de critères qui ne sont pas précisément définis dans la loi, à savoir une situation d'urgence et un « doute sérieux » quant à la légalité de la décision attaquée.
Or, eu égard au principe fondamental du caractère exécutoire des décisions administratives, il ne paraît pas souhaitable de confier à un juge un pouvoir sans limite.
En particulier, le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales s'est accompagné, en 1982, du remplacement de la tutelle de l'Etat sur les collectivités locales par un contrôle de légalité a posteriori , fondé sur le principe que les actes des autorités décentralisées sont exécutoires de plein droit dès leur publication ou leur notification aux intéressés et leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou la région.
La commission des lois vous proposera de limiter dans le temps les effets de la suspension, afin de faire prévaloir l'efficacité de l'action publique. Impartir au juge un délai pour statuer sur la requête au fond, lorsque l'urgence est bien établie, permet d'attirer l'attention sur la lenteur avec laquelle le juge administratif statue au fond.
Il serait regrettable, en effet, que des projets entrepris dans l'intérêt général puissent être mis en échec par des recours devant la juridiction administrative sans examen au fond, alors qu'en première instance les tribunaux administratifs statuent dans un délai proche de deux ans.
Si l'urgence constatée justifie des mesures provisoires, la commission propose que le juge du fond statue dans un délai d'un an sous peine de mettre fin à la suspension prononcée en référé.
En ce qui concerne le pouvoir d'injonction à l'égard de l'administration dans le domaine des libertés fondamentales, le référé-injonction prévu à l'article 4 du présent projet de loi constitue une innovation majeure : il donne au juge administratif des référés un pouvoir d'injonction à titre provisoire lorsqu'une liberté fondamentale est menacée par une décision ou un agissement de fait de la personne publique.
La commission des lois approuve le référé-injonction en tant qu'il évite la saisine abusive des juridictions civiles ou pénales, intervenant dans les domaines de compétence du juge administratif pour mettre en cause systématiquement la responsabilité des élus locaux pour des fautes non intentionnelles. Mais elle met en garde contre les atteintes qui pourront être portées à la gestion des collectivités locales. L'ouverture au représentant de l'Etat de l'intérêt à agir lorsque l'atteinte sera le fait d'une collectivité locale créerait une nouvelle forme de contrôle de l'Etat sur les collectivités territoriales, dont le champ d'application serait beaucoup plus large que le contrôle de légalité qui s'applique aux actes soumis à la transmission obligatoire au préfet.
C'est pourquoi la commission vous proposera de supprimer la possibilité pour le préfet de solliciter un référé-injonction à l'encontre des collectivités territoriales.
Dans le cas général, c'est-à-dire la saisine du juge par un requérant personne privée, la commission s'est prononcée contre l'absence d'une voie de recours effective, la cassation ne permettant pas, sauf évocation, de statuer sur les éléments de fait du litige. La simple possibilité de revenir devant le juge pour demander la modification des mesures d'injonction provisoire prononcées par le juge des référés s'avère insuffisante dans un domaine aussi essentiel que la protection des libertés fondamentales.
Le double degré de juridiction ne peut souffrir d'exception lorsque les libertés fondamentales sont en jeu, sauf à priver de garanties les droits de la défense, constitutionnellement protégés.
La commission des lois vous proposera donc de revenir aux principes fondamentaux du droit du contentieux, qu'il soit administratif, civil ou pénal, en limitant les cas faisant exception au double degré de juridiction.
Une autre question a passionné la commission : il s'agit des moyens humains et financiers.
Cette réforme va représenter une charge de travail supplémentaire pour les magistrats administratifs, et surtout des responsabilités nouvelles.
Cette réforme est exigeante pour l'ensemble des intervenants.
Les requérants et leurs avocats devront faire diligence et argumenter précisément leurs requêtes.
L'administration devra former du personnel pour la représenter devant les juridictions administratives statuant en urgence.
Les collectivités locales seront fortement sollicitées et devront sans doute développer des services juridiques étoffés. Il est souhaitable que le corps préfectoral développe en amont le conseil aux collectivités locales, au lieu d'intervenir uniquement a posteriori, lors du contrôle de légalité.
Le juge administratif devra faire face à un afflux de contentieux. En effet, l'expérience du contentieux de la reconduite à la frontière a montré qu'une procédure rapide suscitait un recours accru au juge. Actuellement, le tribunal administratif de Paris reçoit environ une centaine de contestations d'arrêtés de reconduite à la frontière par jour et en juge environ une vingtaine. Avec un stock de 2 500 dossiers, il n'est pas en mesure de respecter le délai de quarante-huit heures prévu par le législateur ; ces affaires sont jugées en plusieurs mois.
Le personnel du greffe du tribunal devra se spécialiser dans le traitement de l'urgence, qui bouleverse les méthodes de travail habituelles.
L'augmentation globale des requêtes devant les tribunaux administratifs, indépendamment de cette réforme, nécessite des moyens supplémentaires, humains et financiers, importants. L'étude d'impact du projet de loi ne chiffre pas les besoins des juridictions. On a avancé le chiffres de soixante magistrats, lequel serait multiplié par 1,7 pour les greffes. Il s'agit là d'un ordre de grandeur.
Si l'on veut maintenir à son niveau actuel la capacité de jugement des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, voire diminuer le stock d'affaires, il faudra, en particulier, créer des postes de magistrats ayant le grade de président. Sont concernés, en effet, le président ou un vice-président de la juridiction, le président de la section du contentieux ou un magistrat désigné par lui, qui est nécessairement de niveau élevé.
J'en viens aux propositions de la commission. Outre sept amendements d'ordre rédactionnel, la commission vous propose douze amendements.
Le premier tend à limiter à un an la durée de la suspension de l'exécution d'une décision administrative.
Le deuxième amendement a pour objet de supprimer la mention expresse selon laquelle le représentant de l'Etat dans le département ou dans la région pourrait saisir le juge des référés d'une demande de référé-injonction à l'encontre d'un acte ou d'un agissement d'une collectivité territoriale.
Le troisième amendement vise à supprimer la faculté pour le juge de se ressaisir d'office d'une demande en référé pour la modifier au vu d'éléments nouveaux. Il convient de réserver cette faculté aux parties. En effet, l'autosaisine du juge n'est pas de nature à améliorer le bon fonctionnement de la justice et elle aboutit à une plus grande insécurité juridique.
Le quatrième amendement concerne la modification, par le même juge, des mesures de référé-injonction en matière de libertés fondamentales. Cette disposition n'est pas satisfaisante, car il ne s'agit pas d'une réelle voie de recours. Il est donc nécessaire de prévoir la possibilité de faire appel du référé-injonction, possibilité que vous avez vous-même évoquée, madame le ministre.
Le cinquième amendement tend à organiser une audience publique pour la modification, prévue par l'article 6 du projet de loi, des mesures prononcées au titre du référé-suspension ou du référé-injonction. L'audience publique est, en effet, une garantie pour les justiciables.
Le sixième amendement a pour objet de limiter le rejet pour irrecevabilité des demandes de référé aux cas d'irrecevabilité manifeste, conformément à la rédaction de l'article L. 9 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. S'agissant d'une procédure qui déroge au principe du contradictoire, il convient de limiter le risque d'erreur du juge statuant seul.
Le septième amendement vise à limiter à vingt jours la durée pendant laquelle le juge des référés précontractuels pourra enjoindre à l'administration de différer la signature du contrat en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Ce délai, actuellement réglementaire, mérite de figurer dans la loi, car il détermine la portée du pouvoir d'injonction provisoire du juge.
Le huitième amendement tend à rappeler que le juge des référés n'examine pas la requête principale tendant à la résolution au fond d'un litige.
Le neuvième amendement a pour objet d'aligner complètement sur le droit commun du référé-suspension les dispositions relatives aux actes des fédérations sportives.
Enfin, les trois derniers amendement visent à rendre applicables en Nouvelle-Calédonie les dispositions de l'article 12 du projet de loi relatives au contrôle de légalité des actes des communes exercé par le haut-commissaire de la République : suspension de droit commun, suspension d'extrême urgence en cas d'atteinte aux libertés, déféré défense nationale.
Sous réserve de ces observations et des modifications qu'elle vous soumet, la commission des lois vous propose d'adopter le projet de loi relatif au référé devant les juridictions administratives. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, j'ai quelques scrupules à intervenir, car le président et le rapporteur de la commission des lois, un futur orateur et les commissaires au Gouvernement font tous partie de notre haute juridiction administrative et l'on a quelquefois l'impression d'être entre spécialistes. Le débat prend ainsi une tournure intéressante et très technique.
La réforme des procédures d'urgence en matière de juridictions administratives était nécessaire ; le Sénat y a fait allusion dans plusieurs rapports.
Une étude a été confiée à M. Labetoulle, qui a déterminé un certain nombre des modifications qui ont été apportées. On peut donc se réjouir que le présent projet de loi vienne maintenant en discussion devant le Sénat.
Je ne reviendrai ni sur les propos ni sur le rapport écrit de M. le rapporteur, il s'est exprimé, avec beaucoup de pertinence, sur la lenteur des juridictions administratives. Il est vrai que, bien souvent, on a l'impression que les juridiction administratives ne font pas montre d'efficacité puisqu'elles se bornent à constater, en fait, l'illégalité de décisions qui sont prises en matière de construction, de domaine public... On pourrait citer quelques arrêts célèbres déclarant que tel ou tel acte n'est pas légal. Mais cela ne change rien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Cela change pour la suite !
M. Jean-Jacques Hyest. Effectivement ! Mais, vous le savez, il n'est pas mis fin pour autant à l'illégalité !
Bien entendu - et c'est l'autre aspect des choses - nombre de décisions administratives sont contestées ou annulées pour des raisons de procédure qui ne sont pas toujours fondamentales. Il suffit d'un document qui fait défaut ! Il s'ensuit une très grande insécurité juridique.
Les collectivités locales, notamment, sont très angoissées par le développement du contentieux administratif : quasiment toutes leurs décisions sont attaquées. Certaines associations, dont la vocation est de se préoccuper de l'environnement, contestent en permanence tout document d'urbanisme, tout permis de construire.
La nécessaire efficacité de l'action publique se trouve ainsi compromise et les retards enregistrés comportent souvent des conséquences très dommageables qui inquiètent beaucoup les collectivités locales.
J'en reviens au sujet. Vous avez eu raison de dire, madame le garde des sceaux, que le référé administratif était différent du référé civil, car il n'avait pas le même domaine d'application. Pour ma part, j'ai toujours vu dans le référé civil une institution extraordinaire et qui fonctionnait bien.
Bien évidemment, la nature des affaires qui sont portées devant le juge civil n'est pas comparable à celle des affaires qui sont soumises au juge administratif. On peut toutefois établir des comparaisons. En matière civile, sauf lorsque la modestie de la cause permet exceptionnellement de juger en dernier ressort, la plupart du temps, l'appel est autorisé, alors que le référé administratif qui nous est proposé l'exclut souvent. Je citerai également l'opposition, possibilité qui existe en droit civil, mais que vous n'avez pas prévue dans le présent projet de loi.
Je rappelle aussi que les pouvoirs des juges en matière de droit civil sont assez étendus pour leur permettre de prendre toutes les mesures d'urgence qui s'imposent et prescrire des mesures conservatoires ou de remise en état en cas de dommage imminent, pour faire cesser un trouble manifestement illégal. Pourquoi ne pas s'être inspirés de ces données, garantes de souplesse pour la juridiction civile ?
Madame le garde des sceaux, votre projet de loi ouvre des perspectives intéressantes, car l'intérêt du sursis à exécution est actuellement limité. Comme vous l'avez souligné à la fin de votre propos, il faut prendre en compte la pratique juridictionnelle et avoir conscience du fait qu'il ne suffit pas de changer les textes pour modifier les pratiques. Il est de vieilles habitudes qui ont la vie dure !
Actuellement, un certain nombre de possibilités en matière de référé existent. Or elles ne sont pas toujours utilisées par le juge administratif.
Par ailleurs, je ne sais pas s'il faut se réjouir de la suppression du droit de timbre, qui vise à faciliter le recours. C'est un vieux débat ! On peut dire que le recours est ainsi rendu accessible à tous. On peut dire aussi que les recours risquent de se multiplier. C'est une question dont on a souvent parlé ; je crois qu'il n'y a pas de bonne solution.
L'innovation, c'est le « référé-liberté », injonction qui tend à protéger les « libertés fondamentales ». Cette expression suscite une véritable interrogation de ma part. J'ai d'ailleurs failli déposer un amendement.
Vous avez rappelé, madame le ministre, l'article 34 de la Constitution : il s'agit des garanties fondamentales en matière de libertés publiques. Garanties fondamentales et libertés fondamentales, ce n'est pas la même chose ! D'ailleurs, les dispositions concernant le sursis à exécution, qui peut être demandé par le préfet, s'appliquent - c'est curieux, puisqu'il s'agit du même texte - à une décision qui est de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle.
Personnellement, je n'aime pas beaucoup cette nouvelle notion juridique de « libertés fondamentales », qui est imprécise. Bien entendu, la jurisprudence nous donnera des indications à cet égard.
Par ailleurs, autre question, de plus en plus, nos concitoyens sont conduits à obtenir une autorisation de l'administration, qui lutte à chaque instant pour que l'autorisation ne soit pas donnée si le délai est dépassé. Dans certains cas, on est même revenu sur certaines dispositions législatives pour obliger l'administration à répondre dans un délai donné. En l'occurrence, il n'est pas prévu d'injonction à l'administration qui est restée sans rien faire. Bien souvent, cela nuit aussi aux libertés individuelles.
Quant aux libertés individuelles - mais mon collègue Pierre Fauchon développera ce point car il est opposé, d'une manière générale, à la différenciation entre juridiction administrative et juridiction judiciaire, souhaitant l'unité du juge - un vrai problème subsiste en ce qui concerne la voie de fait.
Vous avez relevé une mauvaise interprétation de la voie de fait et évoqué le juge civil avec une jurisprudence maintenant bien fixée. Il n'en demeure pas moins que c'est quelquefois constitutif de voie de fait et que le juge judiciaire reste compétent, même si la possibilité de référé-liberté existe.
Telles sont les observations que je souhaitais formuler. Je me réjouis, bien entendu, des améliorations qui ont été apportées sur l'initiative de notre excellent rapporteur, notamment en ce qui concerne l'appel. Selon moi, le projet de loi ne va pas tout à fait jusqu'au bout de la démarche car un certain nombre de dispositifs particuliers sont tout de même maintenus. On aurait peut-être mieux unifié le référé dans un seul cadre. Cela aurait été utile, car la complexité des procédures nuit, en fait, à leur lisibilité et, surtout, à l'accès du citoyen à celles-ci puisqu'on souhaite que le citoyen puisse y accéder facilement. Il devra donc continuer à avoir des conseils avisés émanant de personnes éminentes.
Souhaitons, bien sûr, qu'à la suite des améliorations apportées le référé administratif prospère et que le juge administratif recoure à cette procédure. Mais une interrogation subsiste en ce qui concerne le juge unique sans commissaire du Gouvernement, alors que ce dispositif existe encore dans certains domaines. Je considère que, lorsqu'il n'y a pas appel, on va un peu loin et que cela ne garantit pas totalement les libertés publiques.
Néanmoins, le groupe de l'Union centriste votera le projet de loi.
M. Hubert Haenel. Quel suspense ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest. En effet, ce texte répond à une nécessité. Malgré les nuances que j'exprime, il constitue un progrès et permettra d'améliorer le fonctionnement de la juridiction administrative. Toutefois, madame le garde des sceaux, comme on le constatera pour d'autres projets, faut-il toujours améliorer les procédures sans se consacrer à ce qui est le plus important, à savoir rendre réellement la justice plus rapide ?
M. Hubert Haenel. Il faut des moyens !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est effectivement une question de moyens ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Fauchon, premier orateur à ne pas être membre du Conseil d'Etat, me semble-t-il,...
M. Jean-Jacques Hyest. Je ne le suis pas non plus !
M. le président. ... mais qui n'est pas dénué de talent pour autant. (Sourires.)
M. Pierre Fauchon. A tout péché miséricorde ! Si je ne suis pas membre du Conseil d'Etat, du moins ne l'ai-je pas fait exprès. (Nouveaux sourires.)
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui tend à généraliser une procédure d'urgence pour la juridiction administrative correspond sans doute à une nécessité. Il n'en pose pas moins de graves problèmes tant par son contenu que par les réflexions plus générales qu'il suggère.
C'est une nécessité dans la mesure où il apparaît comme un remède à la lenteur des procédures, qui, en dépit des statistiques, sur lesquelles je fais toutes réserves, ne cesse de se confirmer, sinon de s'aggraver, et constitue en fait, selon le verdict de la Cour européenne des droits de l'homme, une forme de déni de justice.
En conséquence, là comme dans l'ordre judiciaire avec la généralisation des procédures de référé - j'ai entendu l'un de nos éminents collègues dire que ce qui sauve la justice, c'est le référé ; il s'agit tout de même d'une bouée de sauvetage un peu particulière - l'Etat s'avoue incapable de donner au service de la justice les moyens d'une meilleure efficacité. Il institue, en conséquence, une procédure sommaire, susceptible, où que l'on espère susceptible, d'apporter une solution rapide aux problèmes les plus urgents.
Mais que l'on ne s'y trompe pas : il s'agit d'un remède partiel qui ne guérira pas le mal et qui constitue, en quelque sorte, un aveu d'impuissance à l'égard de ce mal, de ce grand mal de notre justice qui se révèle trop souvent incapable, vous le savez parfaitement, comme nous tous, madame la ministre - mais que faire ? - de remplir en temps réel les missions de plus en plus importantes qui lui incombent. L'expression « en temps réel » me paraît très contestable, cas plus le temps est long plus il est réel, me semble-t-il...
M. Hubert Haenel. Plus il est pesant !
M. Pierre Fauchon. Mais c'est ainsi que l'on s'exprime dans le jargon actuel. Il est assez curieux que l'on appelle temps réel l'instantanéité. Enfin, peu importe !
Nous ne saurions donc de gaieté de coeur aborder l'examen du présent projet de loi.
Mais, plus grave, ce texte révèle, à son tour, une conception singulièrement autonome - j'essaie de m'exprimer avec discrétion - de la justice administrative, je dis bien « singulièrement autonome ». Il met du même coup en lumière un certain archaïsme de cette juridiction.
D'une part, en effet, on veut réduire à l'extrême les garanties judiciaires. Juge unique, absence de voie de recours ordinaire, mais possibilité pour le juge de modifier en quelque sorte à son gré sa propre décision, même si le texte invoque la survenance d'un « élément nouveau » - qu'est-ce qu'un élément nouveau ? - sont autant d'entorses à la vieille sagesse qui veut que la décision de justice ne soit pas rendue par un seul homme et qu'elle soit susceptible d'un recours normal, ce qui n'est évidemment pas le cas du pourvoi en cassation sauf l'éventualité d'une évocation, avec quelle difficulté nous le savons.
Nous reviendrons sur ces points. Je remercie la commission et son rapporteur d'avoir adopté des amendements, que vous avez d'ailleurs bien voulu approuver, madame la ministre, et qui constituent une amélioration appréciable. Reste qu'il est tout de même assez singulier que l'on ait osé nous proposer de telles mesures.
Il importe aussi, pour des raisons qui tiennent à la Constitution - faut-il rappeler l'article 66 ? - et aux meilleures traditions de notre droit, de ne pas introduire un doute sur le point de savoir si les dispositions instituant le référé-injonction en matière d'atteinte aux libertés fondamentales ne rendraient pas en quelque sorte inutile ou superflue la compétence traditionnellement reconnue au juge de l'ordre judiciaire en matière de voie de fait.
De quoi vous inquiétez-vous, me dira-t-on probablement, car, à l'évidence, on ne touche pas aux procédures actuelles de la voie de fait puisqu'elles sont fondées sur la Constitution.
Toutefois, comme M. Garrec le constate dans son excellent rapport, le tribunal des conflits, qui ne se soucie pas trop de ce qui est écrit dans la Constitution, ou pas excessivement en tout cas, et qui ne se soucie guère non plus d'un certain article du code de procédure pénale, semble vouloir s'attacher à restreindre les conditions d'exercice de cette compétence des tribunaux judiciaires lorsqu'il y a voie de fait, c'est-à-dire atteinte à des libertés fondamentales.
Il invoque d'ailleurs, pour ce faire, le texte tout à fait archaïque datant de la Révolution française, aux termes duquel les tribunaux ne procèdent pas par injonction à l'égard de l'administration, et qui est un héritage de l'Ancien Régime. Mais nous savons parfaitement que ce texte est tout à fait dépassé et que cela ne correspond pas du tout à l'état actuel de la conscience juridique et de l'Etat de droit. C'est assez extraordinaire : en gros, cela signifie que l'Etat est au-dessus des lois. Nous avons adopté, en 1995, un texte qui autorise les tribunaux, statuant au fond, à procéder par voie d'injonction. Donc, c'est terminé. D'ailleurs, aujourd'hui, nous nous préparons à étendre cette possibilité aux procédures des référés, qui sont par définition provisoires.
M. René Garrec, rapporteur. En effet, provisoires !
M. Pierre Fauchon. Il n'en demeure pas moins que l'on pourra faire des injonctions provisoires. C'est tout de même aller assez loin par rapport aux textes de l'époque révolutionnaire auxquels on se réfère. Cela signifie bien que ces textes sont obsolètes. Par conséquent, que l'on ne s'y réfère pas indéfiniment, sauf à avoir une arrière-pensée.
Celle-ci, pour autant que l'on puisse en juger, à la lumière des commentaires de M. le rapporteur, l'évolution du tribunal des conflits, semble être de réduire progressivement le champ de la voie de fait tel que l'entend la juridiction judiciaire et de mépriser ainsi, notamment, l'article 136 du code de procédure pénale qui précise : « Dans tous les cas d'atteinte à la liberté individuelle, le conflit ne peut jamais être élevé par l'autorité administrative et les tribunaux de l'ordre judiciaire sont toujours exclusivement compétents. » C'est pourquoi j'ai déposé un amendement, que la commission des lois a bien voulu adopter, visant non pas à créer un droit nouveau, mais à rappeler l'état du droit.
Au delà de ce texte, nous sommes conduits, madame la ministre, à élever le niveau de nos réflexions et à considérer l'ensemble des problèmes posés par la juridiction administrative. Les singularités du texte, aussi bien d'ailleurs que sa procédure d'élaboration, nous y invitent expressément dans la mesure où ils mettent en lumière une certaine ambivalence de cette juridiction qui, d'une part, s'affirme comme telle, comme une seule juridiction au sens plein du terme, mais qui, d'autre part, conserve, ici et là, des conceptions du xixe siècle, des conceptions datant de l'ancien conseil de préfecture, selon lesquelles l'autorité publique ne saurait se soumettre aux règles communes de l'Etat de droit et ne peut accepter que des contrôles en quelque sorte internes - c'était l'idée d'origine - relevant, au fond, davantage du pouvoir hiérarchique ou d'une variante du pouvoir hiérarchique que d'une démarche véritablement judiciaire.
Or, j'ai l'impression que ces conceptions anciennes continuent d'être vivantes, et peut-être plus encore du fait de la généralisation des tribunaux administratifs. Effectivement, si ce stade a été dépassé pour ce qui est du Conseil d'Etat, on retrouve au niveau tant des tribunaux administratifs que des cours administratives d'appel une certaine culture de conseil de préfecture. Nous devons tout de même y être très attentifs.
L'audition de M. Labetoulle, qui est certainement un très haut magistrat, ne nous a pas donné une impression contraire. Elle comportait d'ailleurs des éléments « pittoresques » ou surprenants que je préfère ne pas évoquer à cette tribune, mais qui nous ont donné cette impression que nous n'avions pas tout à fait la même idée, les uns et les autres, ou du moins pas une idée aussi convergente de ce qu'est l'administration de la justice. Mais je n'en dirai pas plus.
Il résulte de cette dualité profonde de nos systèmes juridiques des conflits de compétences. Est-ce en matière judiciaire ou en matière administrative ? Je vous assure que, pour un professionnel, c'est éreintant, car la question est sans cesse renaissante. Cher ami, vous y faites allusion, des solutions apparaissent, mais deux ou trois ans plus tard, c'est à recommencer.
Il en résulte aussi des divergences de systèmes juridiques, et donc de jurisprudence, qui sont toujours fâcheuses, quelquefois scandaleuses et, en tout cas, bien peu conformes à l'idée que les citoyens voudraient se faire d'un Etat de droit, par définition unifié et homogène.
Que l'on me permette de citer un souvenir personnel. J'ai eu à connaître d'un grave accident dans une piscine publique résultant d'une glissade sur un tapis de plongeoir. Le tribunal administratif saisi a constaté que ce tapis avait été enlevé le lendemain et que l'on était incapable de le présenter à l'expertise. Il en a déduit, chose tout à fait remarquable, que n'était pas rapportée la preuve du lien de causalité entre l'état du tapis et l'accident - accident grave, suivi de troubles psychiques qui perdurent encore dix ans après.
Il est évident qu'un tribunal de l'ordre judiciaire aurait considéré que le fait de faire disparaître le tapis de plongeoir le lendemain de l'accident et de ne pas être capable de le présenter à une expertise était un aveu évident. En de telles circonstances, pour un juridiction judiciaire, il n'y a pas de doute.
Les conséquences des divergences de jurisprudence sont les suivantes : dans un cas on est indemnisé, dans l'autre on ne l'est pas. Nous sommes donc là dans un domaine qui, sur le plan humain, est de la plus extrême gravité.
Je ne tente pas, ici, de remettre en cause les attributions de la juridiction administrative en ce qui concerne la légalité des décisions, ce que nous appelons le contentieux des recours pour excès de pouvoirs et des annulations susceptibles d'en résulter, non pas que ce système ne soit pas en lui-même et intellectuellement à l'abri de toute critique mais parce qu'il est entré dans notre tradition juridique, il y est parfaitement établi, et il fonctionne d'ailleurs de manière très convenable. Il n'est donc pas fondé, en tout cas pas aisé de le remettre en cause.
En revanche, je fais allusion au contentieux de la responsabilité de la puissance publique : sans attaquer la décision, on pourrait dire simplement que le comportement de la puissance publique a causé un préjudice.
C'est là que les divergences de procédures, les divergences de règles de droit apparaissent. En effet, certaines règles du code civil, par exemple dans le domaine de la construction, ne s'appliquent pas automatiquement dans le domaine administratif. Si la jurisprudence administrative veut bien, comme elle dit, en tenir compte, elle en tient compte, mais si elle ne veut pas en tenir compte, elle n'en tient pas compte.
Cela appelle, à mon avis, une révision en vue d'unifier le contentieux de la responsabilité à l'égard duquel les prérogatives propres de la puissance publique qui ne sont pas en cause ne sauraient être légitimement invoquées.
Cela est si vrai que, dans un domaine où l'abondance du contentieux rendait caricaturale la dualité des systèmes juridiques - la responsabilité aux tiers en matière d'accidents de la circulation - une loi de 1957 a procédé à une unification. Personne ne s'est jamais plaint de ce texte ; au contraire, tout le monde s'en félicite, car il a mis fin à des divergences véritablement absurdes.
Pourquoi ce qui est vrai pour les accidents de la circulation ne le serait-il pas pour le contentieux de la construction, pour les services hospitaliers, pour les équipements sportifs, etc. ? Le moment n'est-il pas venu, madame le garde des sceaux, de procéder progressivement, par étapes, à l'unification de ce contentieux de la responsabilité ?
C'est une grave question que le texte nous donne l'occasion de poser et sur laquelle je me permets d'attirer très particulièrement et respectueusement votre attention. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel. Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui vise à donner au juge administratif - cela a été rappelé longuement par vous-même, madame la ministre, et par notre excellent collègue M. Garrec - les moyens juridiques de traiter des situations d'urgence en lui conférant des pouvoirs proches de ceux du juge des référés en matière civile.
Comme l'a rappelé le groupe de travail présidé par M. Daniel Labetoulle, président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le dispositif qui nous est proposé vise, en effet, à conférer au juge administratif statuant en urgence une efficacité comparable à celle que l'on reconnaît au juge civil des référés. S'il diffère du mécanisme civil c'est en raison des différences tenant à la nature des litiges portés devant les deux ordres de juridiction et à la façon dont ils se nouent au plan contentieux.
L'instance devant le juge civil des référés constitue bien souvent la première confrontation de revendications antagonistes exprimées par des personnes privées agissant l'une comme l'autre dans le cadre de l'autonomie des volontés.
Devant le juge administratif, la plupart des litiges ont trait à une décision émanant d'une autorité publique investie d'un mandat découlant des principes de notre organisation politique ; cette décision traduit soit l'émanation d'une prérogative éminente de puissance publique, soit la réponse à une démarche préalable de l'administré apportée par l'autorité publique dans le cadre d'une procédure déterminée par la loi. Le débat contentieux devant le juge administratif de l'urgence ne peut ainsi s'engager dans les mêmes termes que devant le juge civil des référés.
Je crois qu'il faut toujours avoir présentée à l'esprit cette notion, cette différence de nature, afin d'éviter de vouloir à tout prix calquer un système sur l'autre.
Le texte dont nous discutons est cependant d'importance, comme l'a rappelé notre excellent rapporteur René Garrec, puisque les juridictions administratives ont à régler des litiges concernant aussi bien les libertés publiques que l'urbanisme, la fiscalité ou la gestion des collectivités locales.
Par ailleurs, au nom de l'urgence, il nous est proposé un assouplissement, un infléchissement, auquel je souscris, de deux principes fondamentaux du droit public français : le caractère exécutoire des décisions administratives et l'interdiction faite au juge d'adresser des injonctions à l'administration.
Ne perdons cependant pas de vue que, malgré la qualité de la réforme proposée, la principale critique portée à l'encontre des tribunaux - la longueur excessive des délais de jugement - est encore plus fondée en ce qui concerne les juridictions administratives. Celles-ci n'échappent pas à la montée en puissance du recours systématique au juge.
La notion de délai raisonnable est bien souvent devenue une clause de style qui a valu à la France plusieurs condamnations par la Cour européenne des droits de l'homme.
Il y a deux raisons à cela : l'insuffisance des effectifs et l'accroissement des contentieux. Cette situation est de plus en plus inacceptable pour les justiciables.
Il n'est certes pas dans l'objet du projet de loi de contenir des dispositions de nature à remédier à la lenteur du juge du fond ou à certaines pratiques qui veulent que plusieurs mois s'écoulent parfois, dans certains tribunaux, entre le prononcé du jugement et sa notification au requérant. Peut-être pourrez-vous indiquer au Sénat, madame la ministre, aujourd'hui ou à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances, quelles mesures vous envisagez de prendre pour remédier à cette situation.
Sans entrer dans les détails des différents référés, excellemment analysés par vous-même et par M. le rapporteur, je dirai qu'il s'agit de savoir quel nouveau pouvoir doit être donné au juge alors même que ce dernier a la possibilité d'adresser des injonctions à l'administration, d'ordonner la suspension de décisions administratives qui interviennent dans l'intérêt général.
Il est souhaitable de remédier à la situation actuelle qui fait que, dans certains cas, la décision du juge administratif reste lettre morte puisque l'administration a déjà agi. Ainsi, en matière d'expulsion des étrangers, l'annulation de la décision par les tribunaux intervient parfois alors que l'étranger est déjà expulsé ; mais il faut également garder à l'esprit que, compte tenu du principe fondamental du caractère exécutoire des décisions administratives, on ne saurait confier au juge des référés un pouvoir sans limite.
Par exemple, depuis les lois de décentralisation, les actes des collectivités territoriales sont exécutoires de plein droit dès leur publication ou leur notification aux intéressés et leur transmission au préfet, qui effectue un contrôle de légalité a posteriori.
Il serait donc regrettable - la commission des lois et son éminent rapporteur M. René Garrec ont eu raison de le souligner - que des projets entrepris à des fins d'intérêt général puissent être systématiquement mis en échec par des recours aussi systématiques devant la juridiction administrative.
En effet, parmi les causes d'insécurité juridique les plus graves, si l'on excepte les atteintes aux libertés, se trouvent les actions exercées à l'encontre de ce que l'on appelle des actes ou opérations complexes - certes, les définitions de ces opérations divergent selon les cas - qui n'interviennent qu'après un long processus d'élaboration, de consultation et d'enquête publique.
Aussi, vous me permettrez de souligner que la sécurité juridique des documents d'urbanisme est aujourd'hui en danger : le nombre de recours pour excès de pouvoir intentés contre les décisions prises par les collectivités en la matière n'a cessé d'augmenter. Il est passé de 2 700 en 1978 à plus de 11 000 aujourd'hui.
Ce contentieux peut durer jusqu'à sept, voire dix ans. Durant cette période, la politique d'aménagement et d'urbanisme de la collectivité se trouve compromise du fait de l'incertitude pesant sur l'avenir de ces actes.
Il semble donc nécessaire d'instaurer un délai butoir afin de ne pas mettre en échec les actes des collectivités locales pour une durée illimitée. Mais cela n'est pas très facile. La commission nous propose par conséquent d'obliger le juge du fond à statuer dans un délai d'un an sous peine de mettre fin à la suspension prononcée en référé.
Cette disposition demanderait peut-être, me semble-t-il, un aménagement. En effet, l'automaticité du dispositif envisagé peut entraîner des effets pervers et susciter des manoeuvres dilatoires d'une partie pour faire en sorte que le délai d'un an ne puisse être tenu.
En outre, si, au terme de ce délai, l'effet suspensif se trouve interrompu, il sera toujours possible au demandeur, puisque rien dans la loi ne l'interdit, de saisir le juge d'une nouvelle demande de suspension à laquelle il devra faire droit puisque les raisons ayant justifié la suspension initiale subsisteront.
Il est donc nécessaire de mettre en place un dispositif qui évite d'aller de recours suspensifs en recours suspensifs sur plusieurs années.
M. René Garrec, rapporteur. Tout à fait !
M. Hubert Haenel. Dans le même esprit, la commission des lois a déposé un amendement supprimant la possibilité pour le préfet de solliciter un référé-injonction à l'encontre des collectivités territoriales. Je ne saurais qu'approuver cet amendement puisque le texte proposé par le Gouvernement constituait en effet une nouvelle forme de contrôle de l'Etat sur les collectivités territoriales.
Je souhaiterais également attirer l'attention de la Haute Assemblée sur les procédures applicables aux référés prononcés en urgence qui excluent certaines caractéristiques essentielles de la procédure administrative contentieuse, à savoir le caractère écrit de cette procédure, le double degré de juridiction, les principes de la publicité de l'audience et de la collégialité et, enfin, la présence du commissaire du Gouvernement.
L'oralité, même si elle n'est pas une tradition de notre droit administratif, a eu tendance à se développer au cours des dernières années, notamment dans le domaine du contentieux de la reconduite à la frontière. Admise seulement en première instance, l'oralité se justifie par des considérations d'efficacité évidente.
Quant au double degré de juridiction, il s'agit d'un élément essentiel de la garantie des droits de la défense. On peut concevoir qu'il puisse y être dérogé sous certaines réserves pour des mesures qui n'ont pas, au principal, autorité de la chose jugée et qui ne règlent pas un litige au fond. On peut donc admettre un seul degré de juridiction pour certaines procédures en référé.
Toutefois, la commission des lois limite à juste titre cette possibilité aux référés suspension et conservatoire. Elle l'exclut pour des raisons évidentes dans les domaines des libertés fondamentales, même si la définition n'est pas aussi précise qu'on le voudrait. C'est la raison pour laquelle elle propose un amendement permettant aux parties d'interjeter appel des mesures prises en référé au titre du référé-injonction.
Quant au juge unique, s'il est tout à fait justifié dans une procédure de référé, je rappellerai cependant que la commission d'enquête de 1991 que j'ai eu l'honneur de présider et dont M. Arthuis était rapporteur conseillait, à l'époque, d'y recourir certes, mais avec prudence. Il serait nécessaire notamment que le juge unique soit un juge expérimenté - M. le rapporteur l'a indiqué tout à l'heure - et non pas un simple conseiller débutant. Est-ce bien dans ce sens que vous souhaitez que cette réforme soit appliquée, madame la ministre ?
Enfin, en ce qui concerne l'absence de conclusion du commissaire du Gouvernement, elle se justifie par l'oralité de l'audience publique. L'intervention du commissaire du Gouvernement perdrait en effet tout son sens s'il devait prononcer des conclusions écrites alors que les moyens auraient été soulevés par oral.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voterons ce texte avec les moditifications proposées par la commission des lois en formulant cependant cette réserve que toute réforme - c'est évidemment en coiffant la casquette de rapporteur spécial du budget de la justice que je m'exprime ici - doit être dotée des moyens de la réaliser. Or, l'étude d'impact sur ce texte, bien que discrète, révèle que la modification des procédures d'urgence, en favorisant l'accès des citoyens aux tribunaux, risque d'accroître le recours au juge administratif et nécessiterait par là même une augmentation significative des emplois de magistrats et de greffiers. Envisagez-vous, madame la ministre, d'accompagner cette réforme des moyens nécessaires à la concrétisation des excellentes mesures que vous nous proposez ?
Enfin, comme l'a souligné le groupe de travail sur les procédures d'urgence - vous l'avez d'ailleurs dit vous-même, madame la ministre -, au-delà des modifications de textes qui paraissent nécessaires pour rendre efficaces les procédures d'urgence devant les juridictions administratives, le succès de la réforme dépend certes des moyens mais aussi de l'approfondissement, à tous les stades de la juridiction administrative, d'une culture de l'urgence encore inégalement partagée.
Pour conclure, permettez-moi de souligner qu'il est apparemment plus facile, madame la ministre, d'engager des réformes dans le domaine de la justice administrative que dans celui de la justice judiciaire. Pourquoi ? Sans doute que, pour l'instant, la médiatisation y est moins grande, l'unité du corps est réelle, tout comme la discrétion, la personnalisation du juge absente ; de même, les lobbies de toutes sortes, les écuries, les chapelles, les ordres en tout genre, les groupes de pression divers n'y ont pas de la même manière droit de cité. L'Etat y est sans doute moins confisqué. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Sutour.
M. Simon Sutour. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour discuter d'un projet de loi, loin du tumulte médiatique et - pourquoi le taire ? - des passions politiciennes.
Pourtant, cette sérénité ne doit pas tromper. Ce texte revêt une véritable importance. D'apparence technique, puisque consacré à la modification d'une partie de la procédure administrative contentieuse, il porte avec lui les signes d'une nouvelle évolution de notre droit public. Dans un pays où la religion de l'Etat a longtemps figuré l'horizon indépassable, et continue même de l'être pour certains, toutes les réformes affectant le droit administratif, y compris celui du contentieux administratif, doivent être regardées avec attention, car ce droit correspond à une situation sociopolitique, à une réalité historique.
Au cours des années soixante-dix, le mouvement législatif et réglementaire fut notamment dirigé vers l'amélioration de la transparence de l'action administrative et de ses relations avec les citoyens. Ce corpus fait d'ailleurs actuellement l'objet d'une modification défendue devant le Parlement par Emile Zuccarelli, au nom du Gouvernement.
Depuis les années quatre-vingt et jusqu'à la présente décennie, l'organisation de la juridiction administrative a été complétée par la création des cours administratives d'appel, dont tout dernièrement celle de Douai, et par l'octroi de nouveaux pouvoirs au juge de l'administration. Je pense ici à la loi de 1995 lui reconnaissant des compétences - dont celle d'injonction - qu'il se refusait à lui-même ou que la tradition du droit public l'empêchait d'exercer.
Le présent projet de loi s'inscrit parfaitement dans ce dernier mouvement. A cet égard, je le qualifierai de significatif. En effet, par les dispositions que vous nous proposez et sur lesquelles je reviendrai, madame la ministre, vous déplacez le point d'équilibre entre différents principes irriguant le droit public. D'un côté, il y a le privilège du caractère exécutoire des décisions de l'administration, affirmé avec force en 1982 par le Conseil d'Etat comme principe fondamental ; de l'autre, il y a les droits de la défense et la garantie des droits et libertés du citoyen.
Ces deux aspects se traduisent aujourd'hui par le fait que, normalement, les décisions faisant grief, lorsqu'elles sont attaquées devant le juge, ne sont pas suspendues d'effet et par la circonstance que le justiciable peut cependant en demander, à titre dérogatoire, le sursis à exécution, voire la suspension sous certaines conditions bien limitées, droit que le Conseil constitutionnel a rangé, en 1987, parmi les droits de la défense, donc au niveau des normes de valeur constitutionnelle.
Il reste que cette conciliation n'offre pas, aujourd'hui, de réelle satisfaction.
Nul ne prétend qu'il faille remettre en cause ce privilège de la puissance publique. Celui-ci trouve sa justification non pas tant dans une quelconque présomption de légalité - dont on ne voit pas, au demeurant, pourquoi les citoyens seraient privés pour leurs actes - que dans la nécessité d'assurer la continuité de l'Etat et, partant, des services publics.
Il s'agit bien de garantir la satisfaction de l'intérêt général, c'est un impératif. Cependant, l'unanimité se fait pour dire que, dans certaines hypothèses que l'on voudrait peu nombreuses, l'exécution immédiate d'une décision ou d'une action administrative peut aboutir à des situations inadmissibles, insupportables, voire absurdes.
La méconnaissance de la règle de droit peut ainsi produire des conséquences attentatoires à la substance des droits de la personne. L'intérêt général ne saurait donc la justifier, il ne peut la couvrir d'un privilège.
Mais, à cet instant, les outils accessibles au juge sont - et, là encore, le constat est commun - inadaptés. Le sursis et les autres procédures extraordinaires ressemblent bien trop souvent à de minces sabres de bois, en sorte que l'insuffisance des moyens dont le juge souffre dans ce genre de situation a conduit un de ses représentants éminents, M. Abraham, à y voir en 1995 une des principales questions posées au droit administratif.
C'est dans ce droit-fil que le vice-président du Conseil d'Etat, M. Denoix de Saint-Marc, a donné mission à M. Labetoulle de constituer un groupe de travail pour réfléchir et proposer des adaptations en ce domaine.
Ce travail remarquable une fois accompli, vous avez pris soin de le traduire, madame la ministre, dans un délai là aussi remarquable, en projet de loi. Vous avez eu raison, à un double titre. D'abord, par principe, il faut éviter de laisser en suspens les travaux d'une commission : outre la rancoeur, on risque alors l'oubli ; ensuite et surtout, ce texte tel que vous l'avez fait adopter en conseil des ministres répond pleinement à votre volonté de réformer la justice.
En l'occurrence, il s'agit de la justice administrative, justice dont le champ des compétences intéresse nos concitoyens plus souvent qu'on l'imagine habituellement.
A cet instant, je ne reviendrai pas sur les aspects très pointus si précisément étudiés par le rapport du Conseil d'Etat et par celui, non moins intéressant, de notre excellent collègue M. Garrec. Je me plairai, en revanche, au nom du groupe socialiste, à souligner que cette discrétion de la grande presse, alors qu'il est question de justice, ne doit pas faire oublier ce que ce texte pourrait apporter au quotidien du justiciable et à la protection des libertés.
Ce projet est de nature à améliorer la justice au quotidien, à laquelle le juge administratif participe évidemment.
Pour s'en tenir aux seuls tribunaux administratifs, on se plaira à citer M. Michel Gentot, indiquant en 1997 qu'en douze ans le nombre d'affaires enregistrées par ces juridictions a doublé et que, désormais, 100 000 justiciables les saisissent chaque année.
Face à ce contentieux massif, il apparaissait indispensable de réfléchir aux procédures d'urgence permettant de régler immédiatement les illégalités les plus flagrantes et les moins réversibles, en évitant ainsi que le juge administratif donne la fâcheuse impression d'être moins accessible que son collègue judiciaire, moins attentif que lui au besoin de la solution urgente.
C'est dire que vos préoccupations quant au service public de la justice se retrouvent ici !
Jusqu'à présent, il faut bien avouer que les procédures d'urgence devant le juge administratif n'offraient pas les qualités de clarté et de simplicité attendues. Prévert aurait peut-être trouvé plaisir à scander l'énumération : référé provision, référé conservatoire, référé préfectoral, référé précontractuel, constat d'urgence, contentieux des reconduites à la frontière, sursis à exécution, suspension provisoire... Le plaideur, non !
Pour s'en tenir au sursis et à la suspension provisoire, on ajoutera que leur mise en application ne manque pas de chausse-trapes.
Que les conclusions aux fins de sursis soient déposées après qu'une requête au fond l'a été, que le requérant démontre l'existence forte d'un moyen sérieux et d'un préjudice difficilement réparable, qu'il forme simultanément, le cas échéant, une requête en suspension prouvant alors le préjudice irréversible que le juge, appréciant très restrictivement ces conditions, conserve alors qu'elles seraient réunies, la faculté de ne pas accorder la mesure demandée, tout cela nourrit un sentiment de perplexité.
D'évidence, en rester là ne pouvait que laisser pensives des colonies de Hurons venant au Palais-Royal répéter naïvement qu'eux, « bons sauvages, esprits simples », pensent que la justice est faite pour le justiciable et que sa valeur se mesure en termes de vie quotidienne, que ce n'est pas le développement du droit que les intéresse mais la protection efficace qu'en tire le particulier.
Vous avez décidé, madame la ministre, d'entreprendre de rassurer les Hurons et l'ensemble des citoyens.
Pour preuve de cette volonté, je m'en tiendrai essentiellement à la refonte des procédures du sursis et de la suspension par l'article 3 ; je laisserai de côté les procédures spéciales ; après quoi, je m'attacherai aux aspects strictements procéduraux, qu'organisent notamment les articles 7 et 9.
Certes, le texte ne va pas jusqu'à reproduire le référé civil à l'identique. Sans doute faut-il y voir le souci de ne pas négliger l'originalité du contentieux administratif !
Mais le dispositif de l'article 3 devrait rendre plus aisée l'obtention de l'effet suspensif d'un recours. Ce nouveau référé supprime l'exigence d'un préjudice difficilement réparable et se borne à exiger la démonstration de l'urgence. Quant au moyen sérieux, il se réduit désormais au doute sérieux.
Il est vrai que l'expression « doute sérieux » laisse interrogatif. Faut-il considérer que le juge des référés ne s'attardera plus sur l'examen au fond des moyens développés par le requérant ? Dès lors qu'un seul des moyens n'apparaîtrait pas dilatoire ou fantaisiste, la demande sera-t-elle favorablement accueillie ? Il importe effectivement que le juge ne cherche plus à extrapoler ce que pourrait être la décision au principal. Juge de l'urgence, il deviendrait également juge de l'évidence.
En retenant ainsi une acceptation large de ces nouveaux critères, le juge administratif donnera à cette réforme sa pleine dimension, d'autant plus que la procédure envisagée laisse une place importante à l'oralité des débats.
L'article 7, en réaffirmant le principe du contradictoire, impose non seulement au juge de statuer en audience publique, mais il l'invite à ne pas se borner aux seules écritures. L'échange de mémoires est, certes, la forme élaborée du débat devant la juridiction administrative, et c'est un gage certain de la qualité de l'argumentation, car il oblige le requérant et le défendeur à peser le poids des mots et des moyens. Il oblige à la réflexion.
Il demeure qu'en matière d'urgence, voire d'extrême urgence, l'oralité se fait soeur de la célérité.
Une requête sommaire, l'absence de temps suffisant pour rédiger un mémoire détaillé, le besoin de ne pas allonger les délais par l'attente de la production des écritures en défense - délai que l'administration sait utiliser parfois pour ruiner l'intérêt du sursis - voilà autant d'éléments qui rendent indispensable l'oralité de la procédure d'urgence.
Je dois cependant dire mon interrogation sur le « ou » utilisé à l'article 7. D'abord, je crois que le principe du contradictoire comprend, au moins en la matière, l'écrit et l'oral ; ensuite, je me demande à partir de quoi il sera donné un tour oral ou écrit à la procédure. Cela sera-t-il laissé à l'initiative de la partie demanderesse ? Au pouvoir de décision du juge ? Pourra-t-on développer à l'audience des moyens nouveaux par oral ? Autant de questions dont je suppose que les réponses figureront dans le décret prévu à l'article 20 et dans une jurisprudence que l'on espère libérale.
A cet égard, le fait que, sauf exception, le juge des référés statuera en juge unique et en l'absence de conclusions du commissaire du gouvernement paraît un élément de rapidité particulièrement bienvenu.
Mais je ne peux m'empêcher d'exprimer mon regret de ne pas voir dans ce texte l'équivalent de l'article 809 du nouveau code de procédure civile organisant le référé à jours ou heures fixes, voire « au domicile du juge à portes ouvertes », ce qui, s'agissant de cette dernière faculté, est assurément un bon moyen de rapprocher le justiciable de sa justice.
Sans aller jusqu'à cette possibilité de visite domiciliaire du requérant chez son juge, il reste que les procédures d'urgence peuvent exiger une fixation de l'audience publique dans un temps extrêment court.
Sans doute le décret du 28 mai 1997 ouvre-t-il cette faculté aux tribunaux administratifs de fixer l'audience à une date précise et rapprochée et d'encadrer l'instruction écrite. Il aurait pourtant été souhaitable de l'étendre expressément au Conseil d'Etat et d'en affiner le mécanisme à l'occasion de l'examen de ce texte.
Sans doute pourriez-vous me répliquer que, précisément, il s'agit d'un problème d'ordre réglementaire et que le décret d'application y pourvoira. Mais, en matière de référé, je crois que cette précision pourrait figurer utilement dans la loi. A cet instant, la révolution culturelle serait apparue plus nette encore.
Peut-être, sans aller jusque là, aurions-nous pu nous contenter d'un délai limite - quinze jours au moins - au cours duquel le juge aurait dû statuer. A défaut de s'être prononcé dans ce laps de temps, il aurait été dessaisi d'office au bénéfice du président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, qui aurait dû juger dans ce même délai. Loin de compliquer la procédure, cela aurait, au moins psychologiquement, contribué à l'enracinement de la réforme car, puisqu'on pose comme nouvelle condition pour le demandeur de justifier de l'urgence de sa situation, il n'y aurait rien que de très logique à exiger du juge des référés qu'il se prononce en urgence.
Ce sont là quelques regrets et quelques souhaits qui trouveront, je continue de l'espérer, une réponse heureuse dans le décret et dans la pratique juridictionnelle et, pourquoi pas, dès la navette parlementaire.
Paradoxalement, certains de mes collègues ont plutôt exprimé la crainte de voir apparaître, au-delà de l'engorgement des rôles, un contrôle plus contraignant de l'action des collectivités locales. Le juge suspendant plus facilement les effets des décisions administratives, une paralysie de l'action publique locale serait à redouter.
Ce scénario catastrophe, faisant référence pour partie au rôle de certaines associations excessivement procédurières, me semble, quant à moi, bien exagéré. Je ne le crois pas plausible. D'une part, il existe toujours la possibilité de prononcer des amendes pour recours abusif ; d'autre part, avec le mécanisme prévu à l'article 9, vous instituez un filtrage à partir duquel le juge des référés pourra, par ordonnance motivée, rejeter sans contradiction les requêtes manifestement irrecevables ou mal fondées.
C'est là un garde-fou propre à apaiser les inquiétudes des élus locaux. Toutefois, à mon sens, ce tamis porte avec lui un risque de glissement de la réforme.
Autant, s'agissant de l'irrecevabilité tenant à l'incompétence de la juridiction administrative ou à une forclusion de délai, je ne vois là rien que de très classique - cela existe déjà en substance - autant le fait que figure comme condition de mise en oeuvre de ce tri la condition de l'urgence ou du doute sérieux me pose problème. En effet, ces deux conditions sont celles qui, en définitive, justifient l'éventuelle obtention de la suspension.
Permettre que le juge du référé écarte sans contradictoire la requête, comme s'il s'agissait de traiter une simple fin de non-recevoir, désavantage le demandeur, non pas en ce que cette absence contradictoire interdira à l'administration de se défendre, mais plutôt en ce que le caractère d'urgence peut ne pas ressortir clairement d'un mémoire sommaire. Le plaideur pourrait fort bien éclairer le juge par des observations orales lors d'une audience publique !
Ecarter l'oralité alors qu'il est question du fondement de l'action en référé, à savoir l'urgence, me paraît dommageable.
Bien sûr, l'ordonnance sera motivée, ce qui devrait empêcher toute motivation stéréotypée. Relevant de la cassation, une telle insuffisance de motivation serait censurée. Quelle sera, en revanche, la portée du contrôle du juge de cassation sur l'existence de la condition d'urgence niée par le premier juge ? Le juge de cassation ne sera-t-il pas tenté d'y voir une appréciation souveraine échappant à son contrôle ?
A vrai dire, j'espère me tromper sur le risque de voir l'article 9 fonctionner comme un « aspirateur de référé ». Je crois toutefois que la navette pourrait, là encore, concourir à préciser ce dispositif.
Quoi qu'il en soit, les craintes de voir peser toujours plus le contrôle du juge sur l'exercice des pouvoirs locaux ne sont pas fondées, si peu fondées même que cette réforme qui accroît les pouvoirs du juge de la puissance publique pourrait contribuer à enclencher une spirale vertueuse.
L'exercice d'un pouvoir par l'administration, à quelque niveau qu'elle se situe, réclame un respect des formes et une réflexion qui sont des garanties contre l'arbitraire. La jurisprudence administrative a souvent fait oeuvre de pédagogie à l'égard de l'Etat. Sachant désormais que l'illégalité, l'abus flagrant, seront sanctionnés immédiatement, sachant que le temps qui coule ne lui profitera plus forcément, l'administration, sous toutes ses formes, serait alors plus encline à la modestie.
Modestie d'un Etat, au niveau central où à ses échelons décentralisés, qui doit disposer de tous les moyens nécessaires à son action et doit, dans le même mouvement, se montrer capable de remise en cause, de dialogue, d'argumentation, un Etat qui n'aille pas contre la société, un Etat qui, à travers ses différentes expressions, garantit les libertés.
Est mise en place une justice plus protectrice des libertés. En effet, votre projet, madame le garde des sceaux, s'inscrit - je me plais à le souligner - dans une évolution vers une plus grande garantie des libertés.
Nul ne peut sérieusement ignorer que la mise en place du groupe de travail, en 1997, a répondu aux débats nourris provoqués par la décision du tribunal des conflits du 12 mai 1997 relative aux passagers du cargo Félix . Cette décision, touchant aux libertés et à la dignité de la personne humaine, eut un écho amplifié par l'intervention - fait rarissime ! - du ministre de la justice d'alors pour départager le tribunal.
Au-delà de ces circonstances, se trouvaient en jeu les moyens du juge administratif pour intervenir utilement et rapidement lorsque les libertés sont en cause.
Force est de constater que les instruments d'intervention du juge administratif sont parfois insuffisants pour donner la pleine mesure concrète à sa constante volonté de garantir les libertés.
Cela explique en partie le succès du recours à la théorie de la voie de fait, conduisant de nombreux justiciables à préférer le juge civil des référés, désespérés qu'ils sont d'attendre Godot devant le juge administratif.
L'article 4 de votre projet répond en très grande partie à cette préoccupation.
En dotant le juge administratif du pouvoir d'injonction, du pouvoir de faire cesser l'atteinte à une liberté fondamentale, votre texte réduira certainement l'usage de la voie de fait.
En tout cas, ses interprétations extensives devraient cesser. L'administration trouvera auprès de son juge naturel la sanction des errements vers lesquels ses passions et ses faiblesses la poussent parfois.
Mais l'économie novatrice du référé-liberté ne limite pas sa portée à la seule hypothèse de la voie de fait. Elle vise toutes les formes d'atteintes illégales et graves aux libertés fondamentales.
On peut s'interroger sur la notion de libertés fondamentales. Je pense cependant que notre droit public recèle tous les éléments de réponse pour les définir conformément aux fondements de notre République.
Vous mesurez l'importance de cette référence, madame la ministre, vous qui, comme moi, venez d'une région où le démon de l'extrême-droite a fait des ravages. Vous savez, comme moi, combien dans certaines villes conquises par le Front national, la violation des libertés et du principe d'égalité sont la substance des politiques menées. Sciemment sont niées les valeurs de notre société ; sciemment, elles sont foulées au pied. Il est donc plus qu'utile d'armer le juge pour contrer les arrêtés discriminatoires et les arrêtés liberticides.
Certes, le préfet dispose depuis 1982 du déféré préfectoral, grâce auquel il peut agir vite dès lors qu'une liberté publique est mise en cause par une collectivité locale et obtenir de la juridiction administrative une décision rapide.
Il m'apparaît donc indispensable que chaque citoyen ou groupement de citoyens lésé par une décision inacceptable puisse réagir directement, immédiatement. En armant ainsi le citoyen, on renforce l'esprit de liberté.
La grande majorité des élus locaux n'ont rien à craindre de ce nouveau pouvoir du juge. Mais ceux - malheureusement, nous en connaissons déjà trop ! - qui croient trouver leur salut électoral dans la tambouille extrémiste trouveront sur leur chemin des juges et des citoyens pour rétablir la légalité républicaine.
C'est pourquoi, en l'occurrence, je considère indispensable l'existence d'une voie d'appel.
Sur l'initiative de notre collègue Robert Badinter, la commission des lois a préféré qu'une décision juridictionnelle touchant aux libertés fondamentales puisse être critiquée par le biais d'un recours adapté.
M. Pierre Fauchon. Il n'était pas le seul !
M. Simon Sutour. Il n'était peut-être pas le seul, mais c'était tout de même sur son initiative.
M. Pierre Fauchon. Pas du tout !
M. Simon Sutour. Porté devant le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat, à l'instar de la procédure du déféré-liberté, cet appel permettra d'assurer une meilleure protection des libertés et une unité de jurisprudence, ce qui, en ce domaine, n'est pas indifférent.
On mesure ici que la voie de la cassation initialement prévue ne suffit pas. Si elle peut être satisfaisante pour les décisions prises sur la base des articles 3, 5, 6 et 9 du projet, elle ne suffit pas lorsqu'il est question des libertés. Je n'ignore pas que le Conseil constitutionnel a déjà considéré que la voie de la cassation constitue une garantie fondamentale pour le justiciable ; je n'ignore pas non plus la position nuancée de la Cour européenne de Strasbourg sur le double degré de juridiction.
Mais, en l'espèce, il faut bien voir qu'à l'occasion de cette refonte des procédures d'urgence il y avait, dans ce projet, la suppression d'une voie de recours actuellement existante en cas de demande de sursis à exécution. J'observe que le groupe de travail du Conseil d'Etat a d'ailleurs hésité sur ce point et qu'il aurait été peu logique in fine d'avoir la procédure du déféré-liberté avec l'appel et celle du référé-liberté avec la cassation.
Aussi, je ne doute pas, madame le garde des sceaux, que vous accueillerez favorablement l'amendement modifiant l'article 7, au moins dans son principe. Je pense sincèrement que cela répondra à la philosophie générale de ce projet et à votre volonté politique.
Enfin, il m'apparaît utile de relever l'apport de l'article 10 s'agissant du référé précontractuel. En évitant que l'intervention du juge soit inutile parce que le contrat est déjà conclu, le texte devrait contribuer à mieux satisfaire la nécessité de transparence en matière de marchés publics et de délégations de service public, transparence non étrangère aux attentes de nos concitoyens, notamment pour ce qui est du bon emploi des deniers publics.
Venu le temps de conclure, il faut répéter, madame le garde des sceaux, l'importance de votre projet. A la veille du xxie siècle, il en va des exigences d'une bonne justice.
Certains sont toujours tentés de réclamer la fin du dualisme juridictionnel. Ce débat d'une autre ampleur appellerait une révision constitutionnelle hors de propos pour le moment, d'autant que vous nous permettez de rapprocher l'efficacité du juge administratif de celle du juge judiciaire. Ce texte ne réduit pas toutes les complications ni toutes les imperfections, mais il est un pas essentiel vers une évolution nécessaire.
Cette évolution culturelle à laquelle vous invitez les magistrats administratifs, j'espère qu'ils y répondront positivement en donnant une interprétation libérale de leurs nouveaux pouvoirs, qu'ils abandonneront un peu plus encore leur parfois inutile et excessive révérence vis-à-vis de l'administration, cette dernière ne devant jamais oublier qu'elle est la servante de l'intérêt général et non sa maîtresse.
La République suppose le respect de la loi. Elle exige la vertu. Que l'usage d'une prérogative de puissance publique soit un privilège ne doit pas se traduire par l'ignorance de cette vertu. Majoritairement, l'administration s'y attache. Pourtant, nous le savons, il arrive qu'en usant d'une compétence liée ou de son pouvoir discrétionnaire elle commette une illégalité flagrante et grave. A cet instant, elle prend le visage de l'arbitraire. Une seule hypothèse de dérive justifierait donc votre texte.
La refondation du pacte républicain à laquelle M. le Premier ministre, vous-même et l'ensemble du Gouvernement oeuvrez si fortement a besoin d'une administration vertueuse.
Ce projet de loi a vocation à y contribuer. Aussi, le groupe socialiste, compte tenu des observations que j'ai faites et de l'amendement tendant à modifier l'article 7 votera ce texte avec plaisir. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi relatif au référé devant les juridictions administratives est un texte attendu des magistrats des juridictions administratives.
Il devrait également contenter les justiciables, qui vont ainsi voir s'améliorer les délais de jugement.
Les tribunaux administratifs, on le sait, sont débordés. Le nombre des requêtes devant les juridictions ne cesse d'augmenter. Plus de 26 000 requêtes ont été déposées entre 1997 et 1998.
Il faut cependant tenir compte, dans cette augmentation, des demandes d'annulation de décisions d'expulsion formulées par les sans-papiers, qui représentent, à elles seules, 20 000 demandes.
Cet engorgement n'est pourtant pas nouveau puisque l'une des raisons essentielles de la création des cours administratives d'appel, en 1987, était de remédier à la saturation du Conseil d'Etat.
Depuis, le « stock » d'affaires en attente s'est considérablement alourdi. On estime à près de deux ans le délai théorique de résorption du stock.
Ces délais de jugement sont loin d'être « raisonnables », au sens de la Cour de justice des Communautés européennes, et ils conduisent parfois à des catastrophes pour les administrés, qui se trouvent dans des situations tout à fait aberrantes face à l'administration toute puissante.
Les matières en lesquelles le juge administratif a la possibilité de statuer en urgence ont déjà permis une atténuation du mythe de la puissance publique. Mais elles sont encore aujourd'hui trop peu nombreuses. Cela est dû aux spécificités du droit administratif, spécificités qui, comme le privilège du préalable, le caractère exécutoire des décisions administratives ou encore la prohibition des injonctions à l'encontre de l'administration, paraissent difficiles à concilier avec la notion d'urgence.
Soucieux de rendre effectifs les recours juridictionnels, le Conseil d'Etat a formulé des propositions sur les procédures d'urgence, propositions qui font pour la plupart l'objet du projet de loi.
S'il est vrai, comme le souligne M. le rapporteur, que ce texte n'a pas comme première vocation la réduction des délais de jugement de fond, il va - il faut le reconnaître - améliorer considérablement les réponses aux attentes des justiciables, qui pourront, désormais, bénéficier rapidement d'un minimum de garanties face à l'administration.
Trois procédures sont mises en place au principal.
Le référé-suspension, à l'article 3, dont les conditions d'octroi seront l'urgence et l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
Le référé-injonction - peut-être le plus novateur des trois - autorise le juge à prendre toute mesure de sauvegarde d'une liberté fondamentale quand celle-ci est manifestement atteinte gravement et illégalement.
Ce référé aura d'autant plus d'efficacité que les magistrats interpréteront de façon extensive la notion de liberté fondamentale. Je tiens d'ailleurs, à dire mon désaccord avec la majorité sénatoriale, qui envisage de supprimer la saisine préfectorale quand l'atteinte à une liberté fondamentale est le fait d'une collectivité territoriale.
Il semble, ici, que le souci de protéger les élus locaux prenne le dessus, au point qu'on ne supporte pas qu'un juge puisse faire des injonctions aux administrations territoriales.
D'abord, il appartient aux préfets d'exercer le contrôle de légalité des décisions des collectivités territoriales. Il n'est pas choquant, dès lors, qu'ils aient également la possibilité d'un recours en urgence, dans les cas ou l'administration n'a pas pris de décision et que cela porte préjudice à quelqu'un.
En outre, ces dispositions sont de nature, puisque le juge administratif sera en mesure de statuer rapidement - s'il en a les moyens ! - à dépénaliser la responsabilité des élus locaux.
Cet article est également de nature à limiter les intrusions du juge judiciaire, au moyen de la théorie de la voie de fait, dans le domaine administratif.
L'interprétation de l'intérêt général et des libertés fondamentales du juge administratif devrait mieux tenir compte des situations particulières des citoyens face à l'administration.
Enfin, à l'article 5, le référé conservatoire acquiert valeur législative et la condition selon laquelle les mesures prononcées ne peuvent faire préjudice au principal disparaît.
Le projet de loi, comme le préconise le Conseil d'Etat et comme le souhaitent les syndicats de magistrats, ne prévoit pas d'appel. En revanche, il met en place, à l'article 6, des mesures exemplaires de par leur souplesse, à l'inverse de l'image rigide de la justice. « Le juge des référés peut, à tout moment, modifier les mesures qu'il avait ordonnées. »
La commission des lois améliore encore le dispositif en proposant d'étendre les dispositions prévues par l'article 6 aux règles procédurales définies à l'article 7.
L'article 8 exonère les requérants du droit de timbre, qui s'élève actuellement à une centaine de francs, pour les procédures d'urgence instaurées par ce texte.
C'est une bonne chose, mais il me semble que cette exonération devrait être élargie à toutes les procédures administratives parce que ce droit de timbre ne s'applique qu'aux requêtes devant les juridictions administratives et qu'il crée, par conséquent, une inégalité entre les justiciables. En outre, sa suppression ne représenterait pas une perte importante pour le budget de l'Etat.
Je tiens aussi à souligner que cette avancée positive, en termes d'accès au droit, ne va pas profiter aux plus démunis, qui en sont exonérés du fait de l'aide juridictionnelle.
L'article 9 instaure un mécanisme de tri des requêtes. Il appartient au juge des référés de statuer sur la recevabilité. La conciliation entre les garanties des droits du justiciable et la nécessité de l'urgence nous semble avoir trouvé un juste équilibre, l'affaiblissement des garanties apportées aux justiciables étant tempéré par le caractère provisoire des mesures ordonnées par le juge des référés.
L'article 10 est une grande nouveauté, car le juge des référés pourra désormais, dans le mécanisme de référé précontractuel, enjoindre l'administration de différer la signature d'un contrat de nature à porter préjudice à un tiers.
Les articles suivants réactualisent les règles relatives aux procédures particulières d'urgence instaurées dans le cadre de la décentralisation ; vous l'avez rappelé voilà un instant, madame la ministre. Le contrôle de légalité, en matière d'urbanisme - article 11 - le contrôle de légalité des actes des collectivités locales par le préfet - article 12 - des décisions des mairies d'arrondissement par les maires des villes de Paris, Marseille et Lyon, des marchés des établissements publics de santé - article 14 - des actes relatifs aux enquêtes publiques prévues par la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature - article 16 - des actes des fédérations sportives exercés par le ministère de la justice et des sports.
Nous pouvons nous féliciter du maintien de ces procédures particulières et de leur réactualisation.
Si l'ensemble du projet de loi nous satisfait, nous ne pouvions évincer la question des moyens. Les réformes envisagées ne seront réalisées que si elles sont assorties de financements suffisants.
La loi quinquennale du 8 février 1995 qui prévoyait la création de 180 nouveaux postes de magistrats pour les juridictions adminsitratives a, certes, bien été exécutée, mais la juridiction administrative ne dispose pas encore de moyens suffisants.
Les syndicats estiment qu'une bonne application des procédures d'urgence - et cela, au regard du dispositif mis en place par les tribunaux pour répondre, en urgence, aux requêtes contre les décisions de reconduite à la frontière - nécessite qu'au moins deux greffiers ne s'attellent qu'aux procédures d'urgence dans chaque tribunal.
Nous estimons à cinquante le nombre de postes de magistrats et à cent le nombre de postes de greffiers nécessaires à la mise en place de cette réforme. Seront-ils budgétés dans le projet de loi de finances pour 2000 ? Nous y veillerons.
Madame la ministre, si les moyens nécessaires n'étaient pas débloqués, cette réforme pourrait provoquer l'effet inverse du but qu'elle recherche, c'est-à-dire une forte augmentation des recours, et une multiplication des ordonnances d'irrecevabilité proposée comme solution au désengorgement.
Au-delà de ces préoccupations liées aux moyens nécessaires pour pouvoir appliquer demain cette loi, le groupe communiste républicain et citoyen approuvera le texte qui nous est soumis. (Applaudisssements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

TITRE Ier

DU JUGE DES RÉFÉRÉS

Article 1er

M. le président. « Art. 1er. _ Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté).