Séance du 10 juin 1999
M. le président.
« Art. 40. - Il est inséré dans le code général des impôts un article 302
bis ZE ainsi rédigé :
«
Art. 302 bis
ZE. - I. - Il est institué, pour une durée de
cinq ans à compter du premier jour du mois qui suit l'entrée en vigueur de la
loi n° du portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux
enchères publiques, une taxe sur les ventes de meubles aux enchères publiques,
judiciaires ou volontaires.
« II. - Ne sont pas assujetties à cette taxe les ventes publiques volontaires
réalisées par les courtiers de marchandises assermentés mentionnés à l'article
52 de la loi précitée, les ventes des biens appartenant à l'Etat relevant de
l'article L. 68 du code du domaine de l'Etat, les ventes effectuées en la forme
domaniale dans les conditions prévues par l'article L. 69 du même code ainsi
que celles effectuées par les receveurs régionaux des douanes.
« III. - La taxe est acquittée, pour le compte de l'adjudicataire, par les
sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, les
commissaires-priseurs judiciaires et les autres officiers publics ou
ministériels compétents pour procéder aux ventes judiciaires et volontaires et
les ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne et des Etats
parties à l'accord sur l'Espace économique européen habilités à procéder aux
ventes volontaires.
« IV. - La taxe est exigible lors de l'adjudication des biens ou de leur
cession en application du troisième alinéa de l'article 8 de la loi n° du
précitée.
« V. - L'assiette de la taxe est constituée par le prix d'adjudication ou de
cession de chaque bien. »
« VI. - Le taux de la taxe est fixé à 1 %.
« VII. - La taxe est recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous
les mêmes sanctions, garanties et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée.
Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles
applicables à cette même taxe. »
Par amendement n° 96, M. Gaillard, au nom de la commission des finances,
propose de supprimer cet article.
La parole est à M. Gaillard, rapporteur pour avis.
M. Yann Gaillard,
rapporteur pour avis. J'ai beaucoup insisté sur ce point au cours de
l'exposé liminaire que j'ai eu l'honneur de présenter.
La commission des finances propose de supprimer cet article 40, c'est-à-dire
la taxe sur les ventes de meubles aux enchères publiques, judiciaires ou
volontaires. Elle invoque plusieurs arguments, que je résume.
Premièrement, aux termes des dispositions que nous venons d'adopter, le
fondement, c'est l'expropriation. Dans ce cas, l'indemnisation ne peut provenir
que de l'Etat. Il est contradictoire de considérer qu'une expropriation doit
être financée par les expropriés, fût-ce d'une manière indirecte.
Deuxièmement, cette taxe n'est pas nécessaire sur le plan financier. En effet,
le Gouvernement a inscrit un crédit de 450 millions de francs dans la loi de
finances rectificative pour 1998 par anticipation au chapitre 46-01 du budget
du ministère de la justice, placé à l'état H des crédits non soumis à
l'annualité budgétaire par le projet de loi de finances pour 1999. Cela
signifie que les fonds sont déjà là. On ne sait pas s'ils seront suffisants.
Cela dépendra en effet du processus législatif, en l'occurrence si le Sénat a
gain de cause à la fin de celui-ci. Cela dépendra aussi des décisions de la
commission d'indemnisation et du nombre de professionnels qui souhaiteront être
indemnisés plus rapidement, c'est-à-dire forfaitairement, comme le prévoit
l'article 37, modifié sur l'initiative des commissions et que le Sénat a adopté
voilà un instant.
En tout état de cause, le budget de l'Etat va déjà engranger un certain nombre
de ressources supplémentaires du fait de l'alignement des tarifs professionnels
sur ceux que pratiquent les sociétés anglo-saxonnes. Il ne semble donc pas que,
financièrement, cette taxe soit absolument nécessaire, les fonds étant là.
En outre, le Gouvernement, assez curieusement, n'a pas précisé la nature de
cette taxe. Il n'a pas créé un mécanisme d'affectation spéciale. Ce n'est pas
un compte spécial du Trésor. Entre, d'un côté, une taxe et, de l'autre, un
crédit budgétaire, aucun rapport n'est établi. Voilà qui montre bien que,
fondamentalement, le Gouvernement n'est pas totalement satisfait ou certain de
la solution qu'il a avancée.
Troisièmement, nous nous interrogeons sur l'efficacité de ce système. Vous
avez tous pu lire dans la presse, mes chers collègues, et encore tout
spécialement ce matin dans les pages saumon du journal
Le Figaro, que M.
le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie s'interroge très
sérieusement sur l'efficacité de notre système de recouvrement, beaucoup plus
cher et nettement moins efficace que celui des pays voisins du fait de la
multiplication du nombre d'administrations de recouvrement. D'ailleurs, de
grandes discussions ont lieu actuellement au sein de l'administration des
finances.
L'inspection générale des finances elle-même...
M. Emmanuel Hamel.
Dont vous êtes l'un des plus brillants fleurons !
M. Yann Gaillard,
rapporteur pour avis. ... a été chargée de faire une étude sur ce point.
Je suis persuadé, compte tenu de l'expérience que j'ai pu avoir autrefois de
cet honorable corps, que, si cette taxe avait existé au moment de la
réalisation de cette étude, l'Inspection générale des finances en aurait
dénoncé la lourdeur et le peu de rentabilité. En effet, cette taxe devra
s'appliquer à un nombre très important d'opérations sur l'ensemble du
territoire, et son rendement ne sera pas, à mon avis, très intéressant.
Quatrièmement, nous devons donner un signal au marché. Mme le garde des sceaux
a pris ce matin des engagements assez intéressants sur le plan de la fiscalité.
Elle a en effet déclaré que les objectifs visés par la réforme ne seront
véritablement atteints que si, parallèlement, des mesures sont prises en faveur
du développement du marché des oeuvres d'art, notamment pour réduire les
distorsions de concurrence existant actuellement. Ces mesures concernent tout
d'abord la TVA à l'importation sur les objets d'art, « une action en faveur
d'une réduction du taux dans l'ensemble de la Communauté européenne, voire
d'une exonération des objets d'art de toute TVA à l'importation, sera
entreprise », a déclaré Mme le garde des sceaux.
J'imagine que Bercy et la direction de la législation fisclae ont dû céder sur
ce point car, quand nous leur avions posé la question, nous nous étions trouvés
devant un
non possumus absolu !
Je salue donc cette grande victoire ! Cette proposition va d'ailleurs tout à
fait dans le sens du rapport sur le marché de l'art que nous avons présenté.
Elle ne fait que reprendre les propositions et les demandes incessantes des
plus grands spécialistes de l'affaire, tels M. Chandernagor et M. Aicardi.
Mais Mme le garde des sceaux a évoqué également deux autres mesures : d'une
part, la négociation du projet de directive européenne sur le droit de suite
visant à instaurer un taux dégressif, qui devra rapidement progresser, et,
d'autre part, la taxe sur les plus-values, un alignement du taux de la taxe
perçue pour les ventes effectuées par les négociants d'art sur le taux de 4,5 %
applicable aux ventes publiques devant être recherché - espérons qu'il sera
obtenu ! Ce dernier point correspond d'ailleurs à une demande que la commission
des finances a reprise dans son rapport sur le marché de l'art.
Je conseillerai donc au Gouvernement de ne pas s'arrêter en si bon chemin !
Qu'il continue cette action si nécessaire d'allégement des charges fiscales sur
le marché de l'art ! Et puisqu'il en est à une telle orientation, que je salue
vraiment - il y a beaucoup de joie dans les cieux pour le pêcheur repenti !
(Sourires) - qu'il ne commence pas par créer une taxe nouvelle dont j'ai
essayé de montrer à la fois l'inefficacité, la lourdeur et le manque de
fondement juridique. Donnons ce signal aux professionnels et au marché de
l'art. Ne commençons pas par faire une réforme en créant une taxe !
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je demande, au nom de la commission des
finances, la suppression de l'article 40.
M. René-Georges Laurin.
Très bien !
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Luc Dejoie,
rapporteur. La commission des lois est bien sûr favorable à la
suppression de la taxe sur les opérations de vente suggérée par la commission
des finances, et je vous présenterai à cet égard, mes chers collègues, une
sorte d'argumentation complémentaire.
Le texte en discussion va donc libéraliser la profession et supprimer les
tarifs légaux, de sorte que c'est la seule loi du marché qui fera la
rémunération du professionnel. Croyez-vous vraiment, madame la ministre, qu'il
pourra ajouter à sa marge bénéficiaire le 1 % correspondant à la nouvelle taxe
? Sûrement pas ! Ce 1 % sera finalement pris sur la rémunération du
professionnel, lequel pourra dire alors, sans trop de mauvais esprit : « on me
donne une indemnisation, mais, en fait, je la rembourse ! » Dans cette
hypothèse, ce ne serait plus véritablement une indemnisation résultant d'une
expropriation !
Mme Catherine Trautmann,
ministre de la culture et de la communication. Ce n'est pas une
expropriation !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Trautmann,
ministre de la culture et de la communication. Je ne souscris pas, au nom
du Gouvernement, à tous les arguments qui ont été évoqués par M. le rapporteur
pour avis de la commission des finances. Il s'est en effet référé de nouveau à
ce qui nous oppose, c'est-à-dire à l'expropriation, point sur lequel je ne
reviendrai pas.
Si le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement, c'est
la preuve que, lorsque ma collègue garde des sceaux s'est exprimée ce matin,
elle l'a fait au nom du Gouvernement. Elle a parlé des travaux qui sont en
cours et qui ont été motivés à la fois par l'écoute et la consultation de
l'ensemble des professionnels concernés par le marché de l'art : je pense à cet
égard, bien sûr, aux commissaires-priseurs, mais aussi à tous les antiquaires,
aux galeristes, aux restaurateurs, bref à tous les professionnels concernés de
façon directe ou indirecte par la vitalité de ce marché.
Nous montrons donc cette volonté et, sans être des pêcheurs repentis, nous
sommes là ! Je tiens à le souligner, car vous pouvez ainsi constater, messieurs
les rapporteurs, qu'il y a là un signe tout à fait positif que je n'avais point
vu dans les cieux précédemment !
(Sourires. - Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 96.
M. Robert Bret.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Bret.
M. Robert Bret.
Par cet amendement n° 96, la commission des finances nous propose de supprimer
l'article 40 du projet de loi.
Cependant, cette suppression soulève un certain nombre de questions sur
lesquelles je souhaiterais revenir ici.
Les crédits nécessaires au financement de la réforme, ou, plus exactement, à
la transposition dans notre droit de règles communautaires ont en effet été
inscrits dans la loi de finances rectificative pour 1998, attendu qu'il
existait une marge budgétaire mobilisable, quand bien même certains pourraient
contester, à bon droit, une telle inscription par anticipation.
Il est vrai, chers collègues de la majorité sénatoriale, que vous avez voté,
il n'y a pas si longtemps, des lois de finances rectificatives prévoyant des
prélèvements autoritaires, pour combler des dépenses non prévues ou
arbitrairement sous-estimées pour obtenir un effet d'affichage.
Indépendamment de cet aspect de la question, la taxe sur les opérations de
vente instituée par le présent article présente néanmoins l'avantage d'avoir
d'un recouvrement assuré, ce qui n'est pas tout à fait le cas du surplus de
taxe sur la valeur ajoutée décrit par le rapport de notre collègue Yann
Gaillard en exergue de sa proposition.
Pour cette raison au moins, nous voterons contre cet amendement de suppression
de l'article 40, d'autant que nous ne sommes pas convaincus, en ce domaine
comme en bien d'autres, que la levée de « contraintes » fiscales soit une
condition
sine qua non du développement d'une activité économique,
quelle qu'elle soit.
Mme Dinah Derycke.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke.
J'ai annoncé ce matin, dans la discussion générale, que nous ne voterions pas
la suppression de la taxe proposée ici. Nous n'avons toujours pas été
convaincus en l'état actuel du débat.
J'ajoute simplement que, de l'avis des professionnels eux-mêmes, la taxe est
indolore, contrairement à ce que vient de dire M. le rapporteur. Il est vrai
que les tarifs étaient fixés à 9 %, ce qui met en évidence un différentiel,
notamment par rapport à la Grande-Bretagne, où les tarifs sont de 15 %. On
pouvait donc sans crainte ajouter une taxe de 1 % et, de même, augmenter le
tarif. Il n'y avait pas de risque pour la profession. S'agissant donc d'une
taxe indolore, nous voterons contre l'amendement n° 96.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 96, pour lequel le Gouvernement s'en remet à
la sagesse du Sénat.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence l'article 40 est supprimé.
Article 41