Séance du 15 juin 1999







M. le président. Je suis saisi, par M. Estier, Mme Dieulangard, M. Chabroux et les membres du groupe socialiste et apparentés, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi de MM. Jean Arthuis, Guy Cabanel, Henri de Raincourt et Josselin de Rohan relative à la famille (n° 410, 1998-1999). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole est à Mme Dieulangard, auteur de la motion.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, si le groupe socialiste a déposé une question préalable sur cette proposition de loi, ce n'est assurément pas pour éluder un débat qui a trait à l'une de ses priorités, la famille.
Mon ami Gilbert Chabroux a eu l'occasion d'évoquer avec force les différentes initiatives qu'a prises le Gouvernement à cet égard.
Je rappellerai, pour ma part, les principes et les exigences qui guident nos choix en la matière.
La politique familiale doit s'adapter à l'évolution de notre société, et nous ne voulons pas privilégier un modèle familial particulier, ce qui ne semble pas être le cas des auteurs de cette proposition de loi.
Les nouvelles orientations doivent parallèlement intégrer, messieurs de la majorité sénatoriale, un impératif de justice sociale et de solidarité. Elles appellent donc nécessairement des stratégies concertées portant sur l'ensemble des politiques publiques, au premier rang desquelles la politique de l'emploi, celle du logement, celle de l'éducation et, de façon transversale, la politique de la ville.
Ces orientations ne peuvent se concevoir que dans le cadre d'une étroite concertation avec les associations familiales, qui atteint son point d'orgue, chaque année, lors de la conférence de la famille.
C'est pourquoi le dépôt de cette proposition voilà quinze jours, à laquelle la droite sénatoriale entend conférer une force symbolique incontestable - j'en veux pour preuve la cosignature des quatre présidents des groupes qui la composent -, et l'organisation de ce débat avant même que ne se réunisse la conférence de la famille ont de quoi laisser perplexe et surprendre, sauf à considérer ce texte comme un contre-feu au PACS : piètre contre-feu !
N'est-ce pas vous-mêmes, chers collègues de la majorité sénatoriale, qui avez institué cette rencontre annuelle dans le cadre de la « loi famille » de 1994 ?
Faut-il en déduire que vos propositions peuvent aisément faire l'impasse sur les discussions que mèneront les associations familiales et le Gouvernement le mois prochain ?
Je vous croyais plus attachés à la concertation démocratique et plus soucieux du respect des dispositions législatives dont vous avez l'initiative !
M. Alain Gournac. Pour les allocations familiales, il n'y a pas eu de concertation !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Ainsi, je vous le rappelle, la modification du régime du quotient familial, adoptée par le Parlement l'année dernière, avait été préalablement discutée lors de cette conférence, et les associations familiales, à l'exception de Familles de France, avaient donné leur aval à cette modification.
M. Alain Vasselle. Elles n'avaient pas le choix !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Par ailleurs, nous nous interrogeons quant à la stratégie que vous avez choisie.
En effet, sauf à considérer que votre texte a vocation à devenir une nouvelle loi-cadre pour la famille, ce qui à l'évidence ne peut être le cas au regard des conditions de sa discussion et d'un contenu empilant des mesures financières, force est de constater que cette proposition de loi « préempte » largement les deux étapes fondamentales de notre travail parlementaire que sont la loi de financement de la sécurité sociale et la loi de finances.
Il en est ainsi de la création d'une allocation universelle d'accueil de l'enfant, qui touche à la loi de financement de la sécurité sociale.
Votre proposition tendant à restaurer l'exonération à 100 % des charges sociales d'un emploi de garde à domicile et d'en transférer la prise en charge sur la CNAF n'entre-t-elle pas, de même, dans le cadre de cette loi dès lors qu'elle aura de lourdes conséquences sur l'équilibre de la branche famille ?
Cette remarque vaut également pour les articles relatifs à la revalorisation des allocations familiales et aux ressources de la branche famille.
Votre proposition tend, par ailleurs, à réformer des mécanismes dont seule une loi de finances peut traiter, et vous semblez ne pas vous préoccuper des objections qui ne peuvent manquer de vous être opposées au titre de l'article 40 de notre Constitution.
Il s'agit, tout d'abord, du quotient familial que vous proposez de porter à 16 380 francs après que la loi de finances pour 1999 l'a abaissé à 11 000 francs.
M. Alain Vasselle. C'était une erreur !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Il s'agit également des modifications que vous apportez au régime de transmission du patrimoine entre grands-parents et petits-enfants.
En globalisant les incidences financières du plan quinquennal que vous nous proposez, l'engagement des fonds publics s'élèverait à environ 30 milliards de francs. Vous gagez cette dépense, de manière tout à fait traditionnelle, grâce à la taxe additionnelle sur le tabac et vous concentrez l'essentiel de ce plan - 80 % - sur des allégements fiscaux.
Je ne m'attarderai pas sur la joute oratoire qui a opposé récemment MM. Bayrou et Sarkozy à propos des promesses de réduction d'impôt non tenues. Elle a suffisamment fait couler d'encre et mis en évidence le triste sort que vous réserviez à vos engagements électoraux.
Je veux toutefois faire un parallèle avec notre récent débat sur la CMU, au cours duquel certains parlementaires de l'opposition ont critiqué le coût de cette avancée historique en matière de protection sociale.
Or, aujourd'hui, vous n'hésitez pas à engager les finances publiques pour près de 30 milliards de francs sur cinq ans.
Ne seriez-vous pas tentés de réitérer la fâcheuse expérience de la « loi famille » de 1994, dont le financement n'avait pas été assuré et qui a plongé cette branche dans des déficits importants - 13 milliards de francs en 1997 - dont elle commence à peine à se remettre ?
J'en viens maintenant au fond de certaines de vos propositions.
S'il fallait dégager un fil conducteur entre l'ensemble de ces dispositions, je dirais qu'elles sont étonnamment parcellaires et ne s'adressent qu'à une catégorie bien spécifique de familles.
Vous expédiez ainsi rapidement le débat concernant l'arrivée du premier enfant en affirmant que ce « ne saurait être une priorité de politique familiale puisque les couples ne renonceraient pas à avoir un premier enfant pour des raisons financières ».
Tout est dit, chers collègues ! Votre préoccupation se limite à la seule dimension nataliste de l'arrivée de ce premier enfant puisque vous ne vous posez à aucun moment la question des conditions d'accueil et d'éducation de cet enfant ni celle des difficultés éventuelles auxquelles seraient confrontés ses parents.
Qu'y a-t-il de commun entre les difficultés d'un couple de « smicards » et celles d'un couple de cadres lors de l'arrivée d'un premier enfant ?
Sur le principe même et les modalités de création d'une allocation universelle, nous observons un flou total, peut-être volontaire, sur le cumul, possible ou non, entre les allocations familiales traditionnelles et votre allocation universelle jusqu'au dixième mois de l'enfant. Il s'agit là d'une imprécision notable et dommageable.
Par ailleurs, votre exposé des motifs fait mention du cumul possible de cette allocation universelle et de l'APE, pouvant s'élever à environ 4 000 francs pour deux enfants et à environ 5 000 francs pour trois enfants. Même si ce texte ne veut pas faire référence ouvertement à un salaire maternel, cela y ressemble fort.
Nous n'oublions pas que, il n'y a pas si longtemps, les parlementaires de droite multipliaient les propositions de loi tendant à instaurer un tel salaire : pas moins de huit propositions de loi entre juin 1993 et janvier 1994 à l'Assemblée nationale !
M. Alain Gournac. Et alors ?
M. Bernard Murat. En quoi cela est-il choquant ?
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Vous nous soumettez également des propositions tendant à concilier vie familiale et vie professionnelle, notamment en direction des femmes qui souhaitent, selon votre expression, « faire carrière ».
Je relève qu'au seuil de l'an 2000 l'opposition semble enfin prendre acte d'une réalité bien tangible : nos concitoyennes n'envisagent plus de se projeter dans l'avenir sans exercer une activité professionnelle. Celle-ci contribue à forger une identité, à garantir une certaine autonomie ; elle favorise une évolution positive des relations au sein du couple. Mais elle est également dictée par des impératifs économiques.
Ainsi, vous dites vouloir encourager le temps partiel choisi en prolongeant au-delà de trois ans la période durant laquelle le ou la salariée peut faire valoir ce droit à l'égard de son employeur.
Or vous faites totalement l'impasse sur ce qu'est aujourd'hui le temps partiel. Celui-ci a, certes, connu une forte croissance et concerne aujourd'hui plus de 17 % des salariés, en grande majorité des femmes. Mais plus de 43 % des intéressés déclarent vouloir travailler plus.
Cette organisation du travail s'est implantée dans des secteurs comme le commerce, les entreprises de nettoyage, où les salaires sont bas, où les rythmes et les horaires de travail sont soumis à une instabilité chronique qui rend particulièrement difficile la conciliation de la vie familiale avec la vie professionnelle.
Pour ce qui est du travail à temps partiel véritablement choisi, il faut être conscient qu'il se développe dans des milieux de travail relativement protégés comme les fonctions publiques.
Dois-je rappeler que, lors de la discussion des dispositions tendant à moraliser le recours au temps partiel, la majorité de cette assemblée s'était prononcée contre la requalification des contrats en cas de recours abusif et répété aux heures complémentaires ? Tout au plus avait-elle accepté la proposition du Gouvernement tendant à limiter l'amplitude de la journée et à réglementer les pauses.
Vous abordez naturellement la question primordiale de la garde des enfants. Mais l'angle par lequel vous l'appréhendez est à ce point restreint que cela en devient presque caricatural.
Les aménagements que vous envisagez ne concernent, en effet, que la garde d'enfants au domicile des parents. L'AGED est perçue comme l'unique réponse pertinente aux horaires débridés et flexibles que devraient subir les femmes qui aspirent à une promotion professionnelle.
M. Alain Vasselle. C'est une bonne mesure !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. En proposant de restaurer les conditions de déduction fiscale et l'ancien régime de prise en charge des cotisations sociales par l'AGED, vous polarisez l'effort de la collectivité sur les ménages les plus aisés ; cela a déjà été dit par plusieurs orateurs. Les différentes études sur les modes de garde ont révélé que le cumul de ces deux mécanismes entraînait une prise en charge de 80 % du coût d'un tel emploi.
Votre proposition de loi renforce donc la dérive à laquelle s'est attaqué le gouvernement de Lionel Jospin, dérive qui aboutit à ce que le taux d'effort des familles les plus modestes est largement supérieur à celui des familles les plus aisées.
M. Alain Vasselle. C'est faux !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Je suis désolée, lisez les statistiques et vous verrez que ce n'est pas faux du tout !
Votre parti pris appelle plusieurs remarques.
Tout d'abord, les emplois de garde à domicile se sont développés en marge de tout encadrement ; une enquête de la Caisse nationale des allocations familiales a démontré que les femmes qui assumaient ces emplois étaient très souvent sollicitées pour assurer aussi les tâches ménagères.
Il convient donc de franchir une nouvelle étape en termes de professionnalisation, à l'image de ce qui a été fait pour les assistantes maternelles. Or je ne décèle à aucun endroit une volonté de votre part d'aller en ce sens.
Ensuite, vous n'abordez à aucun moment la question cruciale de l'amélioration du réseau des crèches collectives.
Sans vouloir trancher le débat entre garde individuelle ou garde collective, les parents doivent avoir le choix. Les professionnels de la petite enfance reconnaissent l'importance de ces équipements pour la socialisation des petits, la mixité sociale, ainsi que pour le soutien et les conseils en direction des parents. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Vous n'êtes pas d'accord, vous l'avez dit ! Laissez-moi parler à mon tour !
Enfin, permettez-moi de vous faire part de quelques témoignages recueillis tout récemment. J'ai eu, en effet, l'occasion de soumettre vos propositions à de jeunes femmes qui exercent ce qu'il est convenu d'appeler des postes « à responsabilités », tout en ayant des enfants.
Elles se sont toutes étonnées de voir que vous calquiez votre idée de la réussite et de la promotion professionnelle sur un modèle bien masculin qui veut que la démonstration de ses compétence et la reconnaissance par ses pairs passent par la multiplication des heures supplémentaires et les rentrées tardives à la maison.
Ces femmes s'impliquent autant que leurs collègues masculins, mais elles supportent difficilement les vaines discussions qui prolongent inutilement les réunions... Elles ne rentrent certes pas à quinze heures de déjeuners d'affaires, parce qu'elles savent devoir quitter le bureau vers dix-huit heures pour aller chercher les enfants...
A l'appui de leurs réflexions, j'ajouterai que les négociations qui se déroulent actuellement sur le passage aux 35 heures ont révélé la forte aspiration des cadres à bénéficier de cette réduction du temps de travail, notamment pour consacrer plus de temps à leurs enfants et pour mieux équilibrer le partage des tâches au sein de leur couple.
Il faut souhaiter que ce temps libéré puisse être largement disponible pour le salarié et non pas utilisable pour les seuls besoins de l'entreprise.
La preuve est faite qu'un profond et salutaire changement de mentalités est en train de se produire chez ces salariés, que vous ne prenez absolument pas en compte dans vos rélexions.
Je conclurai en relevant que vous ne vous penchez absolument pas sur le devenir du congé parental d'éducation et pas davantage sur l'allocation parentale d'éducation. Nous disposons aujourd'hui d'études sur les premières leçons à tirer de ces dispositifs ; mon collègue Gilbert Chabroux en a d'ailleurs fait état.
Dans 99 % des cas, ce sont les mères qui interrompent leur travail pour prendre ce congé, notamment parce que ce sont elles qui ont, le plus souvent, des conditions de travail difficiles et de faibles salaires.
Or le retour à l'emploi de ces femmes est parsemé d'obstacles, soit parce qu'elles étaient inscrites auparavant à l'ANPE, ce qui les a éloignées davantage encore du monde du travail, soit parce qu'il leur est difficile de retrouver des fonctions identiques dans leur entreprise.
Notre collègue Dominique Gillot a évoqué des pistes de rélexion en vue de remédier à ces effets pervers, afin notamment de ne pas totalement rompre les liens avec le monde du travail, dans le cadre d'une formation continue, par exemple.
C'est cette même préoccupation qui a animé le Gouvernement lorsqu'il a instauré la possibilité de cumuler, sous certaines conditions, l'allocation de parent isolé avec un emploi.
Mes chers collègues, on s'est beaucoup interrogé sur le point de savoir s'il y avait une politique familiale de gauche et une politique familiale de droite. Votre initiative, ce soir, est une illustration, parmi d'autres, qu'une différence existe bien.
MM. Alain Vasselle et Alain Gournac. Heureusement !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. L'examen de votre proposition de loi, outre les lacunes qu'il fait apparaître, nous apporte l'éclatante démonstration que vous n'entendez pas légiférer pour l'ensemble des familles.
M. Alain Vasselle. C'est totalement faux !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Il est clair que l'équité et la justice ne sont pas des valeurs que vous entendez promouvoir dans le cadre d'une politique familiale pour le xxie siècle.
Les sénateurs socialistes ont déposé une question préalable, car ils pensent que votre proposition de loi incomplète, non financée et inéquitable,...
M. Alain Vasselle. C'est votre politique familiale qui est sélective, ce n'est pas la nôtre !
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. ... ne peut donner lieu à un débat parlementaire sur un enjeu aussi important. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Gournac, contre la motion.
M. Alain Gournac. Alors que le Gouvernement que vous soutenez mène, depuis son arrivée au pouvoir, une politique en défaveur des familles, il est pour le moins étonnant que vous vous opposiez à la tentative de reconstruction de la politique familiale de notre pays proposée par les quatre présidents de groupes de la majorité sénatoriale.
Vous affirmez qu'une politique familiale doit servir les intérêts généraux de toute une population et non d'une partie de celle-ci. Cela est complètement contradictoire avec les mesures prises depuis deux ans par votre majorité, qui s'est acharnée à stigmatiser une partie des familles prétendument aisées, sans pour autant que cela ait profité aux familles plus défavorisées.
M. Alain Vasselle. Très bien !
M. Alain Gournac. Pour nous, une politique familiale doit se traduire par un soutien de la nation tout entière envers l'ensemble des familles et non conduire à en dresser certaines contre les autres, comme vous le faites.
M. Alain Vasselle. Exactement !
M. Alain Gournac. Or la même année, en 1998, vous avez placé sous condition de ressources les allocations familiales et réduit de moitié les aides liées à la garde d'enfants à domicile, réduisant le pouvoir d'achat de certaines familles de plus de 20 %.
La politique familiale ne doit pas, effectivement, ne servir qu'une partie de la population. Mais elle ne doit pas non plus s'acharner systématiquement sur celle-ci. Je crois bien que vous êtes tombés dans cet excès.
Bien évidemment, une politique familiale ne peut se résumer à des besoins financiers. On ne fait pas des enfants pour des questions matérielles ! En revanche, comme l'a souligné mon collègue Alain Vasselle, on peut renoncer à avoir des enfants pour des raisons financières.
Bien entendu, il faut tenir compte de tout un environnement, dont vous citez certains éléments : emploi, logement, services publics, système scolaire.
Cependant, je dois constater que, là non plus, le Gouvernement que vous soutenez ne s'illustre pas par des résultats très brillants.
Par exemple, des lois coûteuses et laborieuses - emplois-jeunes, 35 heures - se succèdent avec de bien maigres résultats au regard des sommes englouties.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Alain Gournac. Par ailleurs, après de tonitruantes annonces de réformes, M. Allègre s'étant heurté à la toute puissance du mammouth, il s'est enfermé, prudent, dans un silence assourdissant. (Rires.)
Quant à vos considérations sur le fait que nous serions directement dans le champ de discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, elles ne peuvent nous être opposées.
Il y a urgence, mes chers collègues !
Les familles ne peuvent plus attendre un hypothétique revirement de votre politique. Loin d'être inutile, cette proposition de loi illustre notre volonté de prendre date, de leur redonner espoir, de leur exprimer notre soutien, face à une politique incohérente qu'elles ne peuvent ni comprendre ni accepter.
Pour toutes ces raisons, les quatre groupes de la majorité sénatoriale voteront contre la motion tendant à opposer la question préalable présentée par Mme Dieulangard et les membres du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Il me paraît un peu abusif de prétendre, comme le font les auteurs de cette motion, que ce débat est précipité. Le temps a, certes, été compté à notre commission pour examiner un texte d'une telle ampleur. Mais c'est une « fenêtre » qu'il nous a été permis d'occuper. M. le secrétaire d'Etat lui-même disait que, s'il avait beaucoup plus de temps, cela lui permettrait de placer de nombreux textes qui lui tiennent à coeur.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Bien sûr !
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Ces derniers temps, certains textes ont été examinés dans la précipitation !
Néanmoins, le travail a été fructueux et, contrairement à ce que j'ai pu entendre, j'ai pu avoir des contacts avec les responsables du mouvement familial.
Ce matin encore, à l'occasion d'auditions, j'ai rencontré le président de l'Union nationale des associations familiales.
J'ai également pu m'entretenir longuement, par téléphone, avec la nouvelle présidente de la Caisse nationale d'assurance familiale. A aucun moment, je n'ai rencontré d'hostilité ou d'ironie, comme ce fut le cas ce soir.
Permettez-moi une digression, monsieur le secrétaire d'Etat. Je fais partie du baby-boom. Ce soir, je me suis fait traiter, en quelque sorte, de « singularité démographique ». Cela relève de la meilleure boutade d'une émission télévisée du samedi soir. Mais c'est un peu triste.
Il est important que le Sénat puisse adopter, avant la fin de la présente session, une proposition de loi aussi fondamentale pour l'avenir de notre pays et pour la cohésion de notre société.
Contrairement à ce qu'affirment les auteurs de la motion tendant à apposer la question préalable, cette proposition de loi est destinée à toutes les familles, quels que soient leur composition ou leur milieu social.
Ce texte tend à supprimer la condition de ressources pour l'octroi de certaines prestations et à créer une allocation universelle d'accueil de l'enfant dont bénéficieront toutes les familles dès la naissance du deuxième enfant. Aucune disposition du texte n'est réservée à un type particulier de familles je crois que nous devons insister sur ce point.
Je reconnais que cette proposition de loi obéit à une logique différente de celle qui guide la politique menée par l'actuel gouvernement et qui vise, précisément, à exclure certaines familles du bénéfice des prestations familiales.
Il est vrai qu'il existe des confusions importantes, et cela a été relevé par certains orateurs : confusion entre politique familiale et politique sociale, confusion entre justice sociale et égalitarisme.
M. Alain Vasselle. Tout à fait !
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur. Je considère, comme les auteurs de la motion, qu'une politique familiale doit être globale. L'article 1er de la proposition de loi dispose d'ailleurs que la politique familiale doit prendre en compte tous les aspects de la vie familiale. Ainsi, la proposition de loi ne se limite pas à des considérations financières : elle comprend des dispositions importantes concernant la création d'un congé de solidarité familiale, l'extension du droit au travail à temps partiel, la valorisation du rôle des pères et les rythmes scolaires.
En ce qui concerne les propos malicieux sur les propositions ou les attitudes qui auraient pu être les nôtres lors du débat sur la loi portant création de la couverture maladie universelle, je signale qu'il existe une grande différence en matière de financement : d'un côté, nous avons le financement d'une politique d'aide sociale, d'une politique de solidarité que nous acceptons ; de l'autre, nous nous inscrivons véritablement dans une politique d'investissement à long terme dans les hommes, qui, eux, seront productifs dans le futur, ce qui est tout à fait différent.
Naturellement, d'autres aspects auraient pu être abordés. Je pense, notamment, aux questions relatives au droit de la famille. Notre débat de ce soir n'est, en fait, qu'une étape d'un développement plus important.
Je pense aussi à des travaux que mène actuellement Mme le garde des sceaux et à l'occasion desquels nous avons dit qu'il serait nécessaire de développer un code de la « parentalité ». Bien sûr, il n'était pas de la compétence de la commission des affaires sociales de développer ce type de sujets.
A l'évidence, ce texte a vocation à s'enrichir au cours d'une navette éventuelle et nous examinerons avec attention les ajouts qui pourraient y être apportés.
Pour l'ensemble de ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable, que nous invitons nos collègues à repousser. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Je ne veux pas allonger inutilement cette discussion, mais, après avoir annoncé que les membres du groupe communiste républicain et citoyen voteront la motion tendant à opposer la question préalable, déposée par le groupe socialiste,...
M. Alain Gournac. Quelle surprise !
Mme Nicole Borvo. ... j'aimerais vous dire, chers collègues, que, non, il n'y a pas de défenseurs attitrés, naturels, en quelque sorte, de la famille en butte à d'autres qui n'en auraient cure, voire pis, comme je l'ai entendu. De même, il n'y a pas non plus de valeur intrinsèque de la famille en dehors des valeurs de la société. Il y a des familles qui transmettent la violence, la haine, le racisme, etc ; il y a des parents, et pas des plus défavorisés, qui vont frapper des enseignants dans les écoles. (Murmures sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicain et Indépendants.) Je suis désolée, mais il faut bien dire les choses comme elles sont !
Mme Gisèle Printz. C'est vrai !
Mme Nicole Borvo. Sinon, vous vous érigez en défenseurs de la famille, mais une famille...
M. Alain Gournac. Ce n'est pas le problème !
Mme Nicole Borvo. ... qui n'aurait rien à voir avec la société.
En revanche, il y a des conceptions différentes de la politique familiale à mettre en oeuvre, de la politique à mener à l'égard des enfants et de leur famille parce que, c'est certain, les enfants ont droit à une famille ; vous, vous vous préoccupez de démographie - vous avez raison - et de natalité, comme c'est légitime ; moi, je me préoccupe de l'enfant, de la justice sociale, et je pense que cela a des effets sur la natalité bien que cela n'ait rien de mécanique.
Il ne suffit pas, monsieur Vasselle, de faire référence à Ambroise Croizat pour que nous puissions nous mettre d'accord.
Vous avez reproché au Gouvernement les mesures passées, pour exemple la mise sous condition de ressources temporaire des allocations familiales. Comme vous le savez, nous étions contre, et nous l'avons dit. Mais vous vous empressez d'ajouter des mesures qui favorisent - cela a été dit, et je ne m'étends donc pas sur ce point - certaines catégories de familles.
Et vous oubliez bien vite que c'est vous qui avez mis sous condition de ressources l'allocation pour jeune enfant...
M. Gilbert Chabroux. Absolument !
Mme Nicole Borvo. ... et que, plus généralement, M. Juppé envisageait la mise sous condition de ressources ou la fiscalisation des allocations familiales. (Mme Printz applaudit.)
M. Guy Fischer. Eh oui !
Mme Nicole Borvo. La précédente majorité a été condamnée par le Conseil d'Etat faute d'avoir revalorisé les allocations familiales pendant la période 1993-1996, comme la loi l'imposait. (Exclamations sur les travées de l'Union centriste.)
La « grande loi famille » de Mme Veil n'a en rien permis de répondre aux problèmes rendus urgents par la dégradation de l'emploi et la montée de la précarité.
On l'a dit, vous voulez favoriser tels types de garde d'enfant plutôt que d'autres. Vous enlevez donc la possibilité de choix.
Un sénateur de l'Union centriste. Ce n'est pas vrai !
Mme Nicole Borvo. Pour vous, qui voulez être de toutes les libertés de choix, cela me paraît mauvais.
Permettez-moi de vous dire que vous avez gouverné souvent depuis 1945 et que la natalité n'en a pas été favorisée pour autant. (M. Alain Gournac s'exclame.)
Mme Gisèle Printz. Voilà !
Mme Nicole Borvo. Les politiques familiales des autres pays européens sont différentes : certaines sont plus favorables, et elles n'ont pas pour autant d'effet automatique sur la natalité et la fécondité. Vous le savez très bien, et il faut donc avoir un minimum de bonne foi en la matière.
M. Alain Gournac. Mieux vaut ne rien faire ! (Rires.)
Mme Nicole Borvo. Pour mettre en oeuvre une politique familiale, il faut savoir intégrer les problèmes réels auxquels sont confrontés les parents et les parents potentiels. Cela a déjà été dit, et je ne développerai donc pas ce point.
Je crois justement que vous ne prenez pas en compte la réalité de ces problèmes que sont l'emploi, la crise, le logement, l'éducation, l'accès à la culture et aux loisirs. Pour moi, la politique familiale doit participer à une politique de progrès social parce que le premier objectif est celui du droit de l'enfant à un minimum d'égalité. C'est la raison pour laquelle je me préoccupe de chaque enfant, et du premier, d'abord.
Vous vous souciez d'une minorité de familles, ce qui - permettez-moi de vous le dire - ne peut avoir d'effet réel sur la natalité compte tenu de leur faible nombre. Il est vraiment malvenu de dire que vous vous préoccupez de natalité alors que d'autres ne se soucieraient que de justice sociale, comme si c'était un défaut.
Nous apprécions que le Gouvernement soit revenu sur la mise sous condition de ressources des allocations familiales - comme vous l'avez indiqué précédemment, nous avons contribué à ce que tel soit le cas - et qu'il ait abaissé le plafond du quotient familial.
M. le président. Madame, il vous faut conclure.
Mme Nicole Borvo. Je ne reviendrai pas sur les différentes mesures qui ont été prises. Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement s'engage davantage et que les objectifs affichés soient suivis de mesures concrètes... (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Alain Gournac. Merci, madame !
Mme Nicole Borvo. Nous voudrions un vrai débat sur la famille et non un texte commandé par des impératifs politiciens.
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
Mme Nicole Borvo. Bien évidemment, ce débat est lié aux questions plus globales du financement des prestations sociales. Or, de ce point de vue, permettez-moi de vous le dire, vous souhaitez toujours plus de restrictions des politiques et des prestations sociales. Nous verrons donc au moment du débat sur le financement de la sécurité sociale comment vous vous comporterez.
En attendant, je voterai, pour les raisons qui ont été dites, la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable, repoussée par la commission.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet de la proposition de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous abordons la discussion des articles. (Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen et ceux du groupe socialiste quittent l'hémicycle.)

TITRE PRÉLIMINAIRE

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Article 1er