Séance du 22 juin 1999







M. le président. « Art. 1er. - I. - Après le premier alinéa de l'article L. 224-4 du code rural, il est inséré deux alinéas ainsi rédigés :
« Toutefois, la chasse du gibier d'eau peut être pratiquée deux heures avant le lever du soleil et deux heures après son coucher, heure légale. Elle s'exerce également de nuit à partir de postes fixes tels que huttes, tonnes, gabions, hutteaux, dans les départements où elle est traditionnelle et qui sont : l'Aisne, l'Ardèche, les Ardennes, l'Ariège, l'Aube, l'Aude, les Bouches-du-Rhône, le Calvados, la Charente-Maritime, les Côtes-d'Armor, la Drôme, l'Eure, l'Eure-et-Loir, le Finistère, la Haute-Garonne, la Gironde, l'Hérault, l'Ille-et-Vilaine, l'Indre-et-Loire, les Landes, la Loire-Atlantique, le Lot-et-Garonne, le Maine-et-Loire, la Manche, la Marne, la Meuse, le Nord, l'Oise, le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Atlantiques, les Hautes-Pyrénées, les Pyrénées-Orientales, le Rhône, la Haute-Saône, la Saône-et-Loire, la Seine-Maritime, la Seine-et-Marne, la Somme, le Vaucluse, la Vendée, l'Yonne.
« A compter du 1er juillet 2000, tout propriétaire d'une installation visée à l'alinéa précédent doit en faire la déclaration en mairie contre délivrance d'un récépissé. A compter de la même date, un carnet de prélèvement annuel est obligatoire pour chaque installation.
« II. - Le 2° de l'article L. 228-5 du code rural est ainsi rédigé :
« 2° Ceux qui auront chassé, pendant la nuit ou à la passée, sauf dans les lieux et selon les modalités prévus aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 224-4. »
Sur l'article, la parole est à M. Pintat.
M. Xavier Pintat. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, l'article 1er de la proposition de loi que nous examinons ce soir porte sur une des pratiques cynégétiques les plus ancrées dans les traditions de nos régions.
Nous avons pu constater, le 13 juin dernier, combien la chasse faisait partie intégrante de notre patrimoine culturel !
Dernièrement, le Conseil d'Etat a privé de base légale la chasse du gibier d'eau, alors qu'il s'agissait d'une pratique parfaitement connue des pouvoirs publics et du législateur, autorisée et encadrée, mais, hélas ! sous une forme inadaptée.
Cela est démontré dans le rapport de notre collègue Anne Heinis, qui, une nouvelle fois, a étudié ce dossier avec beaucoup de compétence, ce qui lui vaut d'ailleurs la reconnaissance et l'estime de nombreux chasseurs.
L'article 1er vient combler le vide juridique concernant la chasse au gibier d'eau, qui est d'ailleurs loin d'être une exception française, car pratiquée dans plusieurs pays européens, comme il est indiqué dans le rapport.
Il est important de rappeler dans quel contexte cette proposition de loi intervient.
La ruralité française, qui fournit l'essentiel des chasseurs, représente environ 5 % de notre population totale. En revanche, c'est la coresponsabilité de la gestion de 80 % du territoire que ces populations se voient confier, elles qui assurent par ailleurs l'essentiel de l'alimentation des Français.
En clair, la ruralité est en charge officiellement de responsabilités énormes, mal définies, fluctuantes, dont elle doit s'acquitter dans un climat de suspicion, quand ce n'est pas d'hostilité.
Il faut que la ruralité ait le plein exercice de la responsabilité de ses pratiques ancestrales. La chasse joue un rôle majeur dans la gestion des espèces et des espaces.
A cet égard, nul ne conteste que les pratiques cynégétiques en cause sont les principaux facteurs de survie, et même d'agrandissement des zones humides, facteur déterminant de l'équilibre de nos écosystèmes.
Déclarer en mairie les installations fixes et tenir un carnet de prélèvements participera incontestablement de la volonté des chasseurs d'être reconnus et responsabilisés en matière de gestion des espèces.
C'est pourquoi, mes chers collègues, je suis convaincu, comme vous l'êtes, que donner un cadre législatif définitif aux chasses du gibier d'eau relève davantage de la défense de la dignité de notre ruralité que de la simple régularisation d'une pratique cynégétique.
D'ailleurs, le Conseil d'Etat a statué en sa qualité d'expert du droit, mais il n'a en aucune façon fait le procès de la chasse.
Modifier le code rural est, par conséquent, aujourd'hui, une initiative aussi opportune que responsable. Cela contribuera à apaiser la chasse française, la plus nombreuse et l'une des mieux organisées d'Europe.
Cette modification contribuera aussi à préparer la loi d'orientation sur la chasse, que nous attendons tous.
Il revient au Sénat, représentant des communes et donc des espaces français, d'adresser à la ruralité et, par la même occasion à l'Europe, un message enfin clair et lisible par tous, fondé non plus sur la suspicion envers nos compatriotes mais sur la considération qui leur est due. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Anne Heinis, rapporteur. Permettez-moi, madame le ministre, de vous dire que j'admire tout particulièrement que, sur nos deux modestes articles de loi, vous ayez pu développer un discours aussi encyclopédique !
En revanche, je suis tout à fait navrée de voir que vous vous êtes posée en victime. Cela me désole, soyez-en sûre.
Afin de ne pas abuser de votre temps si précieux, je tiens simplement, avant de m'exprimer sur l'article 1e{r, à remercier les différents orateurs qui sont intervenus et dont je partage les préoccupations au fond.
Comme je l'ai rappelé, tout à l'heure, la décision du Conseil d'Etat du 27 avril dernier ne condamne pas intrinsèquement la chasse de nuit. Mais, en s'appuyant strictement sur l'interdiction générale posée à l'article L. 224-4 du code rural et rappelant, compte tenu du principe de hiérarchie des normes, qu'une circulaire administrative ne peut instaurer de restrictions à l'application d'un principe défini au niveau législatif, elle annule pour excès de pouvoir l'instruction de l'Office national de la chasse. C'est donc une question de forme et non de fond.
En revanche, rien n'interdit au législateur d'assortir un principe d'un certain nombre d'exceptions ou de dérogations.
L'article 1er de la proposition de loi vient compléter l'article L. 224-4 du code rural, en autorisant expressément, s'agissant du gibier d'eau, la chasse à la passée deux heures après le coucher du soleil et deux heures avant son lever, ainsi que la chasse de nuit à la hutte, au hutteau, à la tonne ou au gabion dans les quarante-deux départements où ce mode de chasse se pratique traditionnellement.
Il faut d'ailleurs préciser que la chasse à la passée est autorisée à la botte comme à partir d'installations fixes, alors que la chasse de nuit n'est autorisée qu'à partir de postes fixes.
La liste des départements cités dans l'article reprend très exactement le contenu de celle qui est annexée à la circulaire de l'Office national de la chasse publiée en 1996 ; compte tenu de l'urgence et de la nécessité d'apporter une réponse appropriée pour la prochaine saison de chasse, nous n'avons pas voulu la modifier.
Il n'est pas impossible que, dans le cadre d'une réflexion plus générale sur les différents modes et périodes de chasse, il faille examiner très attentivement cette liste et proposer si le besoin s'en faisait sentir, d'éventuelles modifications pour tenir compte de l'évolution des pratiques.
De plus, il convient, de modifier l'article L. 228-5 du code rural qui prévoit les sanctions pénales en cas de chasse de nuit, afin de tenir compte de la passée et de la chasse de nuit du gibier d'eau à partir de postes fixes.
Enfin, je voudrais souligner le très grand intérêt du deuxième alinéa du paragraphe I de cet article, car il va permettre de s'assurer du bon usage de ce mode de chasse.
En effet, cet alinéa instaure deux obligations.
Tout d'abord, il impose la déclaration en mairie par le propriétaire, contre délivrance d'un récépissé, de toutes les installations à partir desquelles la chasse de nuit est autorisée.
De plus, il prescrit la tenue d'un carnet de prélèvement où seront inscrits les tableaux réalisés pendant les actions de chasse pratiquées de nuit à partir de ces installations. Cela permettra de mesurer effectivement l'impact de ce mode de chasse sur le capital cynégétique recensé sur les territoires concernés.
Ces deux mesures prendront effet à partir du mois de juillet 2000. Elles s'inscrivent parfaitement dans la continuité des plans de gestion que la commission des affaires économiques a prévus dans la loi n° 98-549 du 3 juillet 1998 pour les espèces de gibier de passage ne bénéficiant pas d'un statut de conservation favorable et chassées entre le 31 janvier et le 28 février. On peut d'ailleurs déplorer que l'arrêté permettant de mettre en oeuvre ces plans de gestion ne soit toujours pas publié.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous invite, mes chers collègues, à adopter cet article 1er.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'article.
M. Jean-Louis Carrère. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Madame la ministre, je voudrais redire, avec concision et plus de pédagogie peut-être, sur quoi se fonde la nécessité d'émettre un vote positif sur cet article.
Votre philosophie sur ce sujet, la quasi-totalité, voire la totalité d'entre nous, l'acceptons : il faut une loi sur la chasse et il convient d'oeuvrer au rapprochement des points de vue. Et, dès aujourd'hui, pour régler les problèmes qui se poseront dans les jours qui viennent, il est nécessaire de voter cet article.
En revanche, je n'accepte pas de vous entendre dire que ce texte a été élaboré dans l'urgence. Non ! Ce n'est pas vrai ! Une commission l'étudie depuis des semaines et des sénateurs de tous les groupes ont participé à son élaboration. Même si je peux comprendre que vous ayez employé ces mots par dépit, il n'est pas juste de dire que ce texte a été fait dans l'urgence, lui ôtant tout caractère de travail et de sérieux.
Par ailleurs, je tiens à faire part de l'adhésion très forte à ce texte de M. Philippe Madrelle, président du conseil général de la Gironde, et de M. Bernard Dussaut, qui joindront leurs suffrages aux nôtres. Ils considèrent, comme M. Xavier Pintat, que ces pratiques sont très importantes dans ce département, dans cette région.
M. Roland du Luart. Très bien !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Monsieur Carrère, je tiens beaucoup à renouer le contact, mais je peux vous dire que la méthode choisie n'est pas la bonne. OEuvrer et rapprocher les points de vue, cela suppose qu'on ne fasse pas de manière hâtive, inconsidérée, précipitée, des gestes qui rompent avec une tradition historique, qui vont au-delà des pratiques constantes dans ce pays et qui vont forcément braquer une partie des personnes dont vous espérez la participation pour un processus de concertation loyale. Je vous invite à réfléchir.
Trente minutes au lever du soleil, trente minutes au coucher du soleil, une heure même, cela pouvait être interprété comme n'étant ni tout à fait le jour, ni tout à fait la nuit et on pouvait en discuter. Mais deux heures, c'est de la provocation pure et simple, et vous savez fort bien que cela va rendre très difficile la reprise du dialogue avec certaines des catégories de citoyens dont vous souhaitez la mobilisation.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 2