Séance du 29 juin 1999






COUVERTURE MALADIE UNIVERSELLE

Suite de la discussion
d'un projet de loi en nouvelle lecture

M. le président. Nous reprenons la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, portant création d'une couverture maladie universelle.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Huriet, rapporteur.
M. Claude Huriet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le titre IV du présent projet de loi, consacré à une série de dispositions rangées sous l'intitulé « Modernisation sanitaire et sociale », comportait six articles dans le texte déposé par le Gouvernement.
Comme il était prévisible, dès lors que les possibilités offertes par un DMOS avaient été ouvertes par le Gouvernement, l'Assemblée nationale, en première lecture, a ajouté vingt-trois articles additionnels à ce titre IV.
Saisi, en conséquence, de vingt-neuf articles, le Sénat, en première lecture, en a adopté dix conformes, en a supprimé sept et a introduit quinze articles additionnels.
Vous vous souvenez que la commission des affaires sociales n'avait pas souhaité, en qualité de commission saisie au fond du projet de loi, ajouter de nouveaux articles additionnels à ce DMOS dès lors que la procédure lui semblait critiquable. Mais la commission ne pouvait ni ne devait s'opposer à l'initiative des sénateurs. Elle a donc donné un avis favorable à l'adoption de bon nombre d'amendements.
La commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion a ainsi été saisie d'un titre IV comportant trente-quatre articles, soit davantage que le nombre d'articles restant en discussion sur le texte portant création d'une couverture maladie universelle, à savoir vingt-trois.
La commission mixte a échoué sur l'article 1er du projet de loi, qui traduisait la différence de conception existant entre le Sénat et l'Assemblée nationale quant à la mise en oeuvre d'une couverture maladie complémentaire universelle, et le titre IV n'a été abordé qu'à l'occasion de considérations générales dans les interventions liminaires des rapporteurs.
Nul doute qu'un projet de loi portant diverses mesures d'ordre sanitaire et social aurait fait l'objet d'un examen approfondi, article par article, et donné ainsi tout son sens à la procédure de la commission mixte paritaire.
Le choix fait par le Gouvernement de confondre les deux textes dans un même projet de loi est donc profondément regrettable.
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale, saisie de ces trente-quatre articles du titre IV, en a adopté neuf sans modification et a confirmé la suppression de trois articles décidée par le Sénat. Elle a, en revanche, supprimé cinq articles additionnels introduits par le Sénat, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale ayant choisi de ne retenir que « les adjonctions compatibles avec le cadre du titre IV de la CMU ». A vrai dire, je n'avais pas remarqué jusque-là le caractère contraignant du cadre posé par le titre IV ou, plus exactement, je n'ai pu trouver, à ce jour, quel était le « cadre du titre IV » !
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, pour neuf articles, rétabli le texte qu'elle avait adopté en première lecture et modifié huit articles amendés ou introduits par le Sénat.
Elle a, en outre, introduit un nouvel article additionnel - il s'agissait d'un amendement de M. Bernard Accoyer-prévoyant que les composants alimentaires allergènes seront obligatoirement mentionnés sur les étiquettes des denrées alimentaires préemballées ; nous proposerons au Sénat de l'adopter conforme. C'est le seul amendement d'un député de l'opposition accepté par l'Assemblée nationale, il convient de saluer l'esprit d'ouverture ainsi manifesté par la majorité de l'Assemblée nationale !
Au total, le Sénat est saisi, en nouvelle lecture, d'un titre IV comportant vingt-trois articles en navette.
La commission des affaires sociales proposera, pour tous les articles pour lesquels les députés n'ont tenu aucun compte de sa position, de rétablir son texte de première lecture. Il en va différemment pour les quelques rares articles où nous avons été quelque peu entendus.
Je regrette, mes chers collègues, l'indifférence de l'Assemblée nationale à l'égard des propositions du Sénat. Si l'on peut comprendre une telle attitude quand elle se fonde sur des principes et des considérations politiques, elle me semble, à défaut, contraire à l'esprit de nos institutions : le bicamérisme n'est-il pas, en effet, un moyen de faire un bon travail législatif ?
J'en donnerai deux exemples.
Premier exemple : l'Assemblée nationale veut mieux contrôler l'activité libérale des médecins hospitaliers. Nous sommes d'accord, mais nous divergeons sur la méthode. Sur ce point, rien à dire, l'Assemblée nationale confirme sa position. Mais nous constatons, en procédant à une totale réécriture de l'article du code de la santé publique qui régit cette activité libérale, que l'Assemblée nationale a oublié, en première lecture, de recopier les dispositions qui interdisent toute activité libérale en matière de prélèvement et de greffe d'organes et de tissus. Cet oubli va à l'encontre de l'objectif visé par les députés.
Croyez-vous, pour autant, qu'ils en tiennent compte en deuxième lecture ? Non ! Ils rétablissent purement et simplement leur texte de première lecture,...
M. Charles Descours, rapporteur. On fera des greffes dans le privé !
M. Claude Huriet, rapporteur. ... ce qui signifie, monsieur le secrétaire d'Etat, que rien ne s'oppose à ce que des prélèvements d'organes et de tissus aux fins de greffe puissent entrer dans la pratique libérale.
M. Charles Descours, rapporteur. Très bien !
M. Claude Huriet, rapporteur. Mon second exemple concerne les médecins et les pharmaciens de nationalité ou à diplôme extra-européens. Tout le monde est d'accord, députés et sénateurs, pour qu'un régime comparable soit prévu pour les médecins et pour les pharmaciens. Nous faisons valoir aux députés que les dispositions prévues concernant les pharmaciens sont en retrait par rapport à celles qui concernent les médecins. Croyez-vous que notre point de vue ait été pris en compte sur des dispositions qui sont exclusivement techniques ? Nullement ! Les députés ont purement et simplement rétabli leur texte de première lecture.
Peut-être est-ce par manque de temps. En tout état de cause, ces exemples confirment, s'il en était besoin, les graves inconvénients et les imperfections que peuvent comporter des projets de loi soumis à déclaration d'urgence, surtout lorsqu'ils sont aussi volumineux et aussi disparates. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-CLAUDE GAUDIN
vice-président

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin. rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet de loi nous revient et, avec lui, les critiques fortes que nous avions pu exprimer lors de son examen en première lecture. Je ne reprendrai pas l'ensemble de notre argumentaire et je concentrerai mon propos sur un bilan des débats et sur un développement particulier consacré aux finances locales et à la question délicate des contingents communaux d'aide sociale.
La commission des finances avait décidé de se saisir de ce projet de loi pour avis, en première lecture, en raison à la fois du mode de financement de ce texte et de ses conséquences pour les organismes de protection complémentaire et pour les collectivités locales. Je rappellerai très brièvement nos principales critiques.
La première portait sur le coût du projet de loi. Nous avons chiffré les dépenses supplémentaires non pas à 1,7 milliard de francs, somme qui apparait dans le rapport du Gouvernement, mais à 10 milliards de francs. Nous avons listé une série de coûts induits qui n'avaient pas été mentionnés. J'ai interrogé le Gouvernement sur le sujet. Il ne nous a pas répondu. J'en conclus que qui ne dit mot consent...
La seconde critique de fond portait sur les effets pervers d'un dispositif ne prévoyant aucune maîtrise des dépenses, aucun mécanisme de régulation, aucune incitation des bénéficiaires à en sortir.
Votre couverture complémentaire, monsieur le secrétaire d'Etat, créera de dangereux effets de seuil, accentuera les inégalités, instaurera un peu plus d'assistance dans un système de protection sociale construit sur l'assurance.
Je mentionnerai notamment les lourdes conséquences de cette réforme pour la mutualité sociale agricole et ses bénéficiaires. J'en ai parlé avec des responsables de la mutualité sociale agricole de mon département : ils sont particulièrement inquiets du dispositif que vous êtes en train de mettre en place.
M. Louis Boyer. Ils ont raison !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. La troisième série de critiques portait sur la philosophie même de votre système. Il remet en cause les principes les plus établis de la distinction entre la protection de base, obligatoire et assurée par la sécurité sociale, et la protection complémentaire, volontaire et aux mains des acteurs privés. Il créé des inégalités de traitement difficilement explicables entre l'assurance maladie et les acteurs privés. Enfin, il est bien loin de son objectif d'universalité, puisqu'il n'aborde pas la question de la différence entre les régimes obligatoires, à l'inverse de ce que faisait l'assurance maladie universelle prévue par le texte du précédent gouvernement.
Nous avions décidé en première lecture de soutenir les propositions de la commission des affaires sociales sous réserve de quelques aménagements, que je mentionnerai rapidement.
Nos amendements étaient guidés par un souci de neutralité et de justice fiscale, c'est le moins, si l'on peut dire, pour la commission des finances.
Le Sénat a ainsi supprimé les doubles impositions générées par la taxe de 1,75 %. Il a remplacé la contrainte pesant sur les entreprises en matière de prévoyance par une forte incitation fiscale. Il a isolé les prélèvements obligatoires pesant sur les organismes de protection complémentaire des sommes perçues par eux pour l'accomplissement de missions de service public. C'était là de la pure technique de comptabilité publique, qui ne paraissait pas souffrir d'opposition. Malheureusement, aucune de ces remarques, non polémiques et de bon sens, je le répète, n'a trouvé grâce aux yeux de l'Assemblée nationale.
Je le regrette profondément. Comme viennent de le dire les deux excellents rapporteurs de la commission des affaires sociales, je crois que nous faisons là du mauvais travail législatif. Le Gouvernement aurait intérêt à écouter davantage les remarques du Sénat ; elles sont souvent le fruit de l'expérience et de la connaissance. Sur l'initiative de la commission des affaires sociales, nous aurons tout à l'heure l'occasion de reprendre chacun de ces points.
Je consacrerai maintenant un développement à la question des contingents communaux d'aide sociale, là encore, problème issu de la réflexion de notre assemblée.
La commission des finances a consacré de larges développements à ce sujet dans son avis de première lecture. Elle a estimé, je reprends les termes du rapport - que « la suppression des contingents communaux d'aide sociale doit être totale ». L'argumentaire est désormais connu, il a été largement évoqué dans cet hémicycle. D'abord, la couverture maladie universelle les ampute de plus 10 % de leur montant total. Ensuite, ce dispositif de participation des communes aux dépenses d'aide sociale des départements ne se justifie plus. Il repose sur des bases anciennes remontant à 1955. Il se justifiait à l'époque par le souci de responsabiliser les communes. Il est devenu une forme de tutelle des départements sur les communes. Il devait limiter les dépenses d'aide sociale de ceux-ci. Rien n'y a fait. Aujourd'hui, le contingent constitue plutôt une dépense non maîtrisable pour les communes. Elles ne décident rien, ni les attributions de droits ni ce qu'elles paient. Il fallait donc mettre fin à ce dispositif, telle était la position de notre assemblée.
Pour ne pas interférer avec les négociations en cours, la commission des finances avait proposé, en première lecture, un amendement d'appel consistant à demander au Gouvernement de déposer un rapport sur la réforme des contingents dans le cadre de la loi de finances.
Notre appel a été si bien entendu - pour une fois - que le Gouvernement a introduit par amendement à l'Assemblée nationale la suppression des contingents, ce qui était, finalement, l'objectif recherché. Le mécanisme de compensation qui fut adopté fonctionne au franc le franc : chaque commune verra sa dotation globale de fonctionnement diminuer à due concurrence du montant du contingent payé en 1999 ; dans le même temps, la dotation globale de fonctionnement sera augmenté proportionnellement au montant acquitté en 1999 par l'ensemble des communes du département.
Le Gouvernement a ajouté un mécanisme correcteur pour les communes ayant été les plus défavorisées par l'ancien système. Il a instauré un abattement sur la réduction de la dotation globale de fonctionnement des communes éligibles à sa dotation de solidarité urbaine et ayant acquitté un contingent particulièrement élevé par rapport à la moyenne. Cet abattement a un coût de 250 millions de francs environ, pris en charge par les départements.
Que penser de cette réforme ?
La commission des finances l'avait demandée en première lecture. Elle avait dit qu'il faudrait qu'elle soit guidée par le souci d'une neutralité financière globale pour les départements et d'une légère correction de certaines inégalités. Cette réforme est nécessaire et attendue. On peut la trouver réductrice, on peut en contester quelques aménagements. Je note pour ma part qu'elle a reçu l'aval des associations d'élus et des deux tiers des présidents de conseils généraux, ce qui me paraît suffisant. La commission des finances l'approuve et se réjouit d'avoir été à l'origine de cette suppression. Elle est donc satisfaite par le règlement de cette question des contingents communaux d'aide sociale, et l'opinion de la commission des finances est largement partagée par les membres de cette assemblée.
Nous vous proposerons donc de l'adopter.
Avec mon collègue Michel Mercier, je vous présenterai tout à l'heure un amendement réglant la question, négligée à l'Assemblée nationale, des communes ayant délégué à un organisme intercommunal leur contingent.
Au moment où le projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale est en cours d'adoption définitive, je crois qu'il était important de traiter ce point.
Sous cette réserve, la commission des finances se prononce en faveur de l'adoption de l'article 13 du projet de loi. Nos maires, nos élus locaux l'attendent et, j'en suis sûr, seront satisfaits.
En conclusion de cette brève intervention, je répéterai que nous nous retrouvons, certes, sur le principe de l'extension de la couverture de base à l'ensemble de la population. Toutefois, nous ne pouvons accepter, monsieur le secrétaire d'Etat, votre CMU étendue à la couverture complémentaire, qui sera, je le répète, déresponsabilisante, inflationniste et inégalitaire. Nous ne pouvons l'accepter sans une réforme plus large et plus profonde de notre système de santé. Nous soutiendrons donc les propositions justes et équilibrées de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Huchon.
M. Jean Huchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle revient devant notre assemblée. N'ayant pas l'honneur, pour ma part, d'appartenir à la commission des affaires sociales, je n'ai pas participé aux travaux préparatoires à l'examen de ce projet de loi. Mais nous connaissons tous la compétence des membres de ladite commission et nous sommes sûrs que la CMU sera à même de combler un vide social dont souffrent nos concitoyens.
Mon intervention concernera simplement l'amendement présenté par notre collègue M. François Autain, excellent par ailleurs, dont l'objectif, et le contenu, n'est rien moins que le renforcement des règles d'installation des officines pharmaceutiques.
Un dossier aussi important méritait mieux qu'une discrète introduction dans un texte qui n'a rien à voir avec le réglementation de l'installation des pharmaciens. Il m'a été rapporté que cette disposition était le résultat d'un marchandage et d'une prise en otage du milieu rural, ce qui ne m'a pas fait plaisir.
On se souvient que, lors de l'examen de la loi Pasqua-Hoeffel, ce sujet avait été largement évoqué et il était apparu impossible de faire reconnaître les besoins d'un service pharmaceutique proche et efficace de l'ensemble des citoyens de notre pays.
Il avait été convenu et introduit dans la loi, afin d'essayer de résoudre les difficultés présentes et à venir, de charger le préfet de chaque département d'établir conjointement avec le conseil général, la profession, les élus et les usagers, une carte établissant un schéma de répartition équilibrée des officines pharmaceutiques.
Que s'est-il passé ? Rien !
J'éprouve trop de respect pour la profession pharmaceutique et trop de considération pour les pharmaciens, parmi lesquels, y compris dans cette assemblée, je compte de nombreux amis, pour ne pas m'exprimer envers eux franchement et courtoisement.
Je pense qu'à l'évidence la profession pharmaceutique mérite notre respect et qu'elle joue un rôle fondamental dans la structure de notre société. Mais pourquoi faut-il que les associations professionnelles, ordre et syndicats, fassent preuve d'un corporatisme au mépris total de l'intérêt des usagers qui n'ont pas la faveur « de vivre en ville », où les pharmaciens sont établis quelquefois à quelques dizaines de mètres de distance les uns des autres ?
Comme un texte modifiant la loi actuelle était prévu, grande a été ma surprise d'apprendre qu'un dialogue instauré entre le Gouvernement et les syndicats professionnels était en cours et que, finalement, un accord obtenu satisfaisait lourdement la profession pharmaceutique. On avait tout simplement oublié l'objectif de base qui est le service le plus complet et le plus proche des usagers.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Jean Huchon. Cet accord est fondé sur les deux piliers qui sont le fondement des exigences du lobby pharmaceutique, à savoir, d'une part, le passage du seuil d'installation de 2 000 à 2 500 habitants, pour les petites communes, et à 3 000 habitants pour les autres communes ; d'autre part, l'interdiction par la loi de toute possibilité de dérogation préfectorale.
Ces mesures, décidées par un accord professionnel discret, ont été introduites dans le domaine législatif par un amendement encore plus discret et non moins cavalier. Il en résulte la surprise, l'humiliation et, bien sûr - j'en fais l'expérience ces jours-ci - la colère.
Le seul but du nouveau texte est de pérenniser un marché spéculatif de l'officine au mépris des besoins réels des populations, que le Gouvernement, en cette circonstance, refuse d'entendre et de prendre en considération.
Aucune raison d'Etat, aucun motif crédible ne peut justifier une législation aussi restrictive de la liberté d'établissement, aussi discriminatoire à l'égard de la profession pharmaceutique et aussi inique pour des centaines de milliers de Français.
Aucun ministre, aucun gouvernement ne peut faire croire aux Français qu'une limitation du nombre des pharmaciens puisse contribuer à la réalisation d'un véritable service de santé publique de qualité.
Vous me permettrez de vous donner lecture de quelques réactions émanant d'origine diverse.
Une pharmacienne écrit : « Ce sont uniquement les prescriptions médicales qui conditionnent le volume des remboursements par la sécurité sociale. L'installation d'un jeune pharmacien n'interviendrait donc, en aucune manière, sur une augmentation globale des dépenses de santé. Pour des considérations opportunistes, peut-on admettre que, sans raison valable, de nombreuses promotions de pharmaciens soient sacrifiées aux exigences d'instances, bien en place, dont la principale raison d'être est de verrouiller complètement la profession ? Nous comptons sur vous pour veiller à ce que nos droits ne soient pas bafoués. »
L'Association nationale des étudiants en pharmacie réagit violemment et cite nommément l'amendement du Sénat. Elle se réjouit que les transferts et les regroupements soient facilités.
« Mais que dire du gel des créations d'officine ? Le texte supprime la possibilité d'ouvrir une officine par voie dérogatoire. Il ne tient nullement compte de l'aménagement du territoire, ni de la proximité, notamment en milieu rural. Ce texte supprime aussi la possibilité de création d'officine par voie dérogatoire.
Je ne citerai pas la liste des pharmacies fermées - il y en a une centaine sur le territoire français - mais je la tiens à votre disposition, monsieur le secrétaire d'Etat. Sachez que nos concitoyens se sentent humiliés.
Vous comprendrez parfaitement qu'un tel climat ne peut être favorable à l'application normale d'une loi. Je suis à votre disposition pour vous conduire sur le terrain. Ce n'est pas la brousse ! C'est la France profonde, la France respectable ; vous jugerez sur pièces.
Je pourrai vous remettre la liste des communes qui ont cru avoir une pharmacie par dérogation et qui en ont été privées par le tribunal administratif à la suite d'une plainte d'un autre pharmacien.
Monsieur le secrétaire d'Etat, comme vous, je souhaite que soit trouvée unesolution satisfaisante tenant compte des intérêts de l'ensemble des parties concernées. Ce climat agressif ne me convient pas du tout. Il existe des moyens de trouver d'autres solutions.
Une telle réforme mérite un autre traitement. Bien sûr, le système actuel doit être modifié, mais certainement pas de la façon dont nous sommes en train de le faire.
J'ai déposé un amendement tendant à supprimer l'article 37 sexvicies, afin que, très posément, tous ensemble - le Gouvernement, les pharmaciens, les usagers, les élus - nous élaborions une loi normale qui puisse respecter les intérêts de tous. Il est possible d'y parvenir en respectant l'intérêt des pharmaciens et en permettant que l'ensemble des usagers soit servi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voilà un an, le Parlement adoptait la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions dont la démarche visait à impulser une mobilisation de l'ensemble des partenaires sur tous les fronts : l'emploi, bien sûr, mais aussi la santé, le logement, les droits civiques, l'éducation, la culture, afin de garantir l'accès de tous aux droits de tous.
C'est la ligne de conduite qui guide l'ensemble des actions menées par le Gouvernement, car la lutte contre l'exclusion n'est pas seulement un impératif de justice sociale ; elle est également une exigence qui doit permettre à chacun de vivre sa citoyenneté.
L'accès à la santé est, bien sûr, l'un des volets essentiels du programme pluriannuel de lutte contre les exclusions et la couverture maladie universelle est une réforme fondamentale de notre protection sociale telle que celle-ci fut conçue il y a près d'un demi-siècle.
Personne, aujourd'hui, ne conteste l'urgence de cette réforme face aux réalités que sous-tendent les statistiques : un Français sur quatre admet avoir renoncé à des soins pour des raisons financières, et le taux de couverture dépend largement de la précarité de son emploi.
Cette réforme s'est appuyée sur une large concertation en amont avec le réseau associatif qui intervient auprès de nos concitoyens les plus en difficulté.
Toutes ces associations ont salué l'instauration de la CMU et nous ont fait part de leur expérience et de leurs attentes, afin que nous en tenions compte dans nos débats.
Elles seront amenées à jouer un rôle important, puisque la loi leur confie le soin d'accompagner les personnes les plus vulnérables qui rencontreraient des difficultés à l'occasion de leurs démarches.
Cette réforme a également nécessité une concertation approfondie avec le monde de la couverture complémentaire menée par notre colègue M. Jean-Claude Boulard, ainsi qu'avec les collectivités territoriales, au premier rang desquelles il y a les départements.
La couverture maladie universelle doit permettre de garantir enfin le droit à la santé, consacré par notre Constitution.
La loi organise à cette fin une solidarité se fondant sur de nouvelles modalités de participation, d'implication de l'ensemble des acteurs que sont l'Etat, les caisses d'assurance maladie, les organismes de protection complémentaire, les collectivités territoriales, ainsi que les professionnels de la santé.
Cette réforme tire également les enseignements des limites d'un système fondé exclusivement sur l'exercice d'une activité professionnelle, dans une société où près de 15 % de la population tire ses revenus des filets de sécurité que constituent les minima sociaux.
Elle peut bousculer, il est vrai, les conceptions traditionnelles sur la nature de la couverture complémentaire, dont on peut se demander si elle revêt toujours un caractère facultatif dès lors qu'il s'avère qu'elle conditionne toute démarche de soins pour certains de nos concitoyens, cette situation résultant, il est vrai, des diminutions successives de remboursement auxquelles a procédé l'assurance maladie.
L'articulation voulue par le Gouvernement entre couverture de base et couverture complémentaire, le partage des compétences entre caisses primaires d'assurance maladie et mutuelles ou assurances a certes suscité des discussions de fond quant à la répartition de leurs compétences respectives.
Toutefois, l'exigence d'efficacité, l'expérience acquise pour la prise en charge des allocataires du RMI, la diversité des futurs bénéficiaires de la CMU commandent la plus grande souplesse dans la mise en oeuvre de ce dispositif. C'est un des enseignements de nos entretiens avec les associations telles que Médecins sans frontières ou Médecins du monde.
Les discussions de notre assemblée ont démontré que le principal clivage qui nous oppose, mes chers collègues, concerne précisément le volet complémentaire.
Nous souhaitons mettre en place une protection complète et gratuite pour les personnes en situation de précarité en deçà d'un seuil de revenus : 3 500 francs pour une personne seule.
Les parlementaires de l'opposition préfèrent le mécanisme de l'allocation personnalisée de santé qui, en permettant de solvabiliser les allocataires, présenterait l'avantage de les maintenir dans le droit commun.
Cette allocation serait modulable selon les revenus, et un résiduel serait laissé à la charge de son bénéficiaire, à l'image de ce qui existe pour l'APL, puisque seuls les allocataires du RMI verraient leurs dépenses de santé prises en charge à 100 %.
J'ai entendu dire que cette formule était, aux yeux de la majorité sénatoriale, un système « généreux et responsabilisant » qui ne stigmatiserait pas les plus démunis de nos concitoyens.
Cette affirmation est louable. Malheureusement, le système que vous nous proposez, mes chers collègues, contredit ces déclarations et exclut, de fait, un nombre important des bénéficiaires potentiels devant être pris en charge par la CMU.
Je reviendrai sur ce qui constitue, selon nous, les principales failles du dispositif de l'APS, puisque vous reprenez intégralement aujourd'hui, à l'occasion de cette nouvelle lecture, les propositions que vous avez exposées lors de la première lecture.
L'allocation personnalisée de santé se veut être un système qui permet d'éviter l'écueil des effets de seuil et qui prévoit à cet effet une progressivité du résiduel que doit acquitter l'allocataire, progressivité qui est fonction de ses revenus.
Concrètement, ce dispositif comprend donc bien un seuil, le RMI, puisque cette proposition n'envisage une prise en charge à 100 % que pour les seuls allocataires de celui-ci.
Or le seuil que vous avez fixé représente une véritable régression pour les personnes qui jusque-là bénéficiaient d'une prise en charge plus avantageuse, assumée par la plupart des départements qui ont fait le choix de privilégier leurs interventions en matière d'aide sociale, et singulièrement d'aide médicale. Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité nous avait indiqué que cette régression pourrait concerner un million de personnes !
Par ailleurs, le dispositif de l'APS soumet l'octroi d'une couverture complémentaire au paiement d'une cotisation, et la majorité sénatoriale propose de sanctionner le non-paiement de cette contribution par la solution radicale que représente la suspension de la couverture complémentaire.
Par cette mesure, vous vous alignez certes sur le droit commun, mes chers collègues, mais à quel prix pour les personnes les plus vulnérables ?
Alors que la CMU est une réforme qui permet de garantir véritablement l'accès à la santé, l'APS renforce sa conditionnalité et risque de faire perdurer la marginalisation d'assurés sociaux qui, se trouvant en situation précaire, préféreraient sacrifier ce poste de dépenses et voir leur état de santé se dégrader.
Notre objectif commun est de faire en sorte que personne ne renonce à se soigner pour des raisons financières. Mais le mécanisme que vous nous proposez risque de laisser persister les obstacles et les dysfonctionnements que nous connaissons actuellement.
Par vos propositions alternatives, vous voulez promouvoir, dites-vous, un dispositif qui ne stigmatise pas les personnes les plus démunies ; il n'en demeure pas moins que vous n'envisagez pas d'offrir le choix d'un organisme complémentaire aux allocataires du RMI.
Cette même proposition n'est-elle pas en contradiction avec le réquisitoire que vous prononcez à l'encontre d'une CMU qui remettrait en cause les fondements de notre sécurité sociale en reconnaissant que les personnes concernées auront le choix entre une caisse primaire d'assurance maladie et une assurance ou une mutuelle pour le volet complémentaire ?
A vouloir mettre en place un dispositif favorisant des démarches de droit commun, vous nous proposez, mes chers collègues, un système beaucoup moins « ambitieux et généreux », pour reprendre vos termes, que le système qui se mettra en place dans quelques mois maintenant.
Par ailleurs, nos discussions permettent de confronter nos approches différentes quant aux nouvelles démarches que vous entendez promouvoir, monsieur le secrétaire d'Etat, pour rénover notre politique de santé publique.
Ces divergences se manifestent, par exemple, sur les modalités d'encadrement des dépassements d'honoraires et de tarifs que pratiquent les professionnels de santé et les fabriquants de dispositifs médicaux.
Nous estimons que la voie conventionnelle doit encadrer ou limiter très strictement ces dépassements d'honoraires, car nous pensons qu'ils ne peuvent se concevoir à l'égard des usagers les plus en difficulté. Cet encadrement est précisément un facteur essentiel pour favoriser un libre accès, non discriminatoire, à l'ensemble des professionnels de santé.
Les amendements adoptés par la majorité de la commission des affaires sociales atténuent la portée de cette prescription en en faisant une simple faculté, laissée au bon vouloir des médecins ou des chirurgiens-dentistes.
Le libre choix de son médecin, cette liberté à laquelle sont fortement attachés les patients, est parfois au centre de bien des polémiques au cours desquelles on brandit - à tort, probablement - le spectre de sa disparition. Mais ne croyez-vous pas, mes chers collègues, qu'un des premiers obstacles à cette liberté est précisément le coût anormalement élevé qu'atteignent certaines consultations, certaines prothèses ?
Vous affirmez que la CMU porte en elle les germes d'une médecine à deux vitesses, mais ce sont ces dépassements d'honoraires, ces dérapages injustifiés du prix de telle ou telle prothèse dentaire ou auditive qui constituent des dérives vers une médecine à deux vitesses.
Là où vous voyez dans les accords spécifiques pour les bénéficiaires de la CMU des mécanismes stigmatisants, nous envisageons au contraire des pistes à explorer pour l'ensemble des usagers.
Par ailleurs, vos amendements modifient le système conventionnel en intervenant au niveau des partenaires, puisque notre rapporteur nous propose de centrer les négociations sur le panier de soins entre les caisses d'assurance maladie et les organismes complémentaires.
En matière de politique conventionnelle, vous admettez certes que l'Etat puisse intervenir dans ce champ de négociations, mais en dernier ressort, pour valider les accords, ou, à défaut d'accord, pour déterminer par arrêté l'ensemble de ces conditions. Or nous pensons que, dans ce dispositif essentiel de solidarité, c'est à l'Etat d'assumer le rôle d'animation et de garantir le respect de lignes directrices au cours des discussions.
Par ailleurs, les restrictions que vous apportez à l'extension du tiers payant à l'ensemble des usagers qui opteront pour un médecin référent attestent de l'hostilité que vous avez à l'égard d'une formule, initiée dans le cadre de la négociation conventionnelle, je vous le rappelle, qui contribue à une prise en charge plus efficace des patients parce qu'elle est mieux coordonnée.
Face à de telles divergences, la commission mixte paritaire a échoué et nos collègues de l'Assemblée nationale ont restauré l'ensemble de leurs dispositions, en acceptant toutefois certains amendements adoptés dans cette enceinte, vous le rappeliez, monsieur le rapporteur, notamment l'amendement, déposé par le groupe socialiste et voté à l'unanimité, qui concerne la prise en compte des charges que constituent les pensions et obligations alimentaires dans l'évaluation des ressources disponibles.
Mais, ainsi que M. le rapporteur l'a indiqué, la principale innovation de cette nouvelle lecture réside dans la nouvelle organisation des transferts financiers entre les collectivités territoriales et l'Etat.
Gilbert Chabroux, Bernard Cazeau et moi-même avions exprimé, avec d'autres, lors de l'examen en première lecture, les interrogations des sénateurs sur le devenir des contingents communaux d'aide sociale, qui contribuaient jusqu'ici au financement de l'aide médicale par les départements.
Nous souhaitions qu'une solution simple, lisible et juste soit apportée d'ici à la fin de l'examen du projet de loi, car il n'était pas concevable que de tels mécanismes demeurent en l'état, alors même que la compétence était transférée.
L'amendement déposé par le Gouvernement reflète, ainsi que vous nous l'avez précisé, monsieur le secrétaire d'Etat, l'accord intervenu à l'issue de la concertation entre la direction générale des collectivités locales et les représentants de ces collectivités - l'AMF, l'ADF, l'association des maires des grandes villes de France... -, ce dont nous nous félicitons, car sur un sujet aussi sensible et complexe - et il l'est redoutablement - un tel accord s'imposait.
Nous nous félicitons que cette modification du régime de la DGF des communes tienne compte de la situation spécifique des villes moyennes et, plus encore, des grandes villes, qui versent des contributions par habitant très élevées par rapport à la moyenne nationale - n'est-ce pas, monsieur le président ? - alors que ce sont dans ces villes que se manifestent avec une acuité accentuée les difficultés sociales. Gilbert Chabroux avait suggéré qu'il soit envisagé de moduler les transferts en fonction d'un indice comparable à celui de la DSU, alors que notre collègue Michel Mercier avait indiqué qu'il ne fallait pas compliquer les choses.
Je relève ici avec satisfaction que la solution à laquelle ont abouti les représentants du ministère de l'intérieur et ceux des collectivités locales prévoit justement de mettre en place un abattement pour les communes attributaires de la DSU.
Je conclurai sur le volet principal de ce projet de loi en évoquant une question qui fut présente, en toile de fond, tout au long de nos discussions : celle du lissage des seuils, mission qui, selon la proposition de notre collègue M. Jean-Claude Boulard, pourra être confiée aux fonds sociaux des différents intervenants que sont les CPAM, les CAF, les collectivités locales et les organismes complémentaires.
En tant qu'élue locale en charge de l'action sociale dans la ville de Saint-Nazaire, je suis amenée, comme beaucoup d'entre nous j'en suis sûre, à examiner toutes les semaines des demandes de secours émanant de telle personne pour une prothèse dentaire, de telle autre pour un appareil auditif plus performant, ou d'une autre encore pour le paiement d'une mutuelle. Ces personnes accomplissent un véritable parcours du combattant pour obtenir 300 francs auprès de leur CCAS, 500 francs auprès de leur CPAM...
Nous pourrions imaginer que soit très rapidement soulevée l'opportunité de rassembler autour d'une même table, à l'échelon du bassin d'habitat et sur la base du volontariat, ces différents intervenants, afin de rationaliser ces secours et de simplifier les démarches de personnes qui, en raison de ressources au-dessus des seuils, sont toutefois obligées de solliciter des aides ponctuelles.
La question est sensible. Chacun entend mener sa politique sociale selon les lignes directrices qu'il définit et garder la maîtrise de ses fonds sociaux. Il faudra respecter ce souhait, mais je reste persuadée que cette proposition serait de nature à améliorer les services rendus à nos concitoyens.
Je laisserai le soin à mon collègue François Autain d'intervenir sur le deuxième volet de ce projet de loi relatif à la modernisation sanitaire et sociale.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il faut bien l'admettre, cette nouvelle lecture devant le Sénat ne modifiera pas les positions des uns et des autres.
Les sénateurs socialistes souscrivent pleinement aux objectifs de ce projet de loi qui permettront de garantir à près de 10 % de la population française une couverture de base et une couverture complémentaire.
Nous partageons l'approche défendue par le Gouvernement et tendant à mobiliser l'ensemble des partenaires autour de ce dispositif de solidarité essentiel. Cette mobilisation n'aurait pas été possible si la CMU n'avait donné lieu à une étroite concertation.
Enfin, nous souhaitons que les différentes exigences posées par ce projet de loi, telles que la non-sélection des assurés par les organismes complémentaires, les accords tendant à encadrer les tarifs de dispositifs médicaux, le recours au tiers payant, puissent à l'avenir bénéficier à l'ensemble des usagers.
C'est pour ces raisons que nous ne pouvons nous satisfaire de la formule de l'allocation personnalisée de santé, et que nous ne voterons pas le projet de loi tel qu'il résultera des délibérations du Sénat. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens à souligner, puisque cette nouvelle lecture nous en donne l'occasion, que le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle est un volet essentiel du dispositif engagé l'année dernière avec la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions et que notre soutien de principe tient d'abord au fait qu'il réaffirme avec force que le droit à la santé est un droit fondamental de la personne.
Le renoncement aux soins d'une part malheureusement croissante de notre population comme les jeunes chômeurs, les chômeurs de longue durée et les salariés pauvres, le plus souvent en raison de leur précarité, rendait une action indispensable. Toutes les associations de lutte contre les exclusions exprimaient depuis des années à ce sujet une revendication de dignité pour tous, sans ghettos et sans charité. C'est bien ce principe-là qui nous anime s'agissant de la couverture maladie universelle.
Le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale constitue un début de réponse à une situation inacceptable, comme cela vient d'être dit, pour six millions de personnes, soit 10 % de la population qui est exclue, en droit ou en fait, de l'accès aux soins faute de couverture complémentaire.
Pour la couverture de base à l'assurance maladie, les 150 000 personnes qui en étaient totalement privées s'en verront attribuer une et les 550 000 personnes qui jusqu'alors étaient soumises à l'assurance personnelle, au mécanisme complexe, se verront offrir une affiliation immédiate.
Les débats en première lecture ont montré que le choix de 3 500 francs de revenus pour l'assurance complémentaire gratuite retenu à l'heure actuelle par le Gouvernement posait des problèmes : non seulement celui de l'effet couperet du seuil, comme pour tout seuil, mais aussi celui du niveau lui-même, qui écartera notamment les personnes n'ayant d'autres ressources que le minimum vieillesse ou l'allocation aux adultes handicapés.
Aussi, je tiens à le réaffirmer ici, nous souhaitons que le dispositif envisagé par le Gouvernement avec le fonds d'aide à la mutualisation soit accessible à tous, quel que soit le choix de chacun, et efficace.
Pour moi, loin d'être une fin en soi, la CMU doit tirer vers le haut le niveau de protection sociale pour éviter que ce que nous votons aujourd'hui ne soit pas, demain, le début d'une médecine à deux vitesses. Nous avons donc eu la volonté de renforcer le texte pour fermer la porte à une immixtion des assureurs dans notre système de protection sociale.
Nous savons en effet que des forces importantes oeuvrent en ce sens. Nous nous inquiétons des projets de la CNAM, qui veut rogner encore plus sur le remboursement des soins et faire supporter des contraintes supplémentaires aux hôpitaux publics. Les AGF et autres AXA, déterminés à gagner par l'intermédiaire de la CMU de la place sur le terrain de la santé, doivent recevoir une fin de non-recevoir non moins déterminée. Les propos tenus par Denis Kessler aujourd'hui dans Le Monde ne peuvent que me conforter dans cette volonté.
Dans la même logique, nous avons fait valoir que la sécurité sociale devait améliorer la couverture de base obligatoire, ce qui pose, bien entendu, la question du financement de l'assurance maladie. Le débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 nous ramènera, encore une fois, à ces problèmes non encore résolus.
J'ai eu l'occasion de le dire, et je le redis ici, nous ne voterons pas, bien entendu, le contre-projet de la majorité sénatoriale, qui, sous couvert de gommer les effets de seuils, qui sont un réel problème, s'inscrit largement dans une logique concurrentielle et de restriction de l'offre de soins. La crainte exprimée sans fard par M. Oudin en première lecture que les pauvres risquent de dépenser plus que prévu en dit long sur l'état d'esprit qui anime la majorité sénatoriale !
En nouvelle lecture, la majorité des députés à l'Assemblée nationale a rétabli le texte dans sa logique initiale. Permettez-moi d'exprimer quelques regrets.
Cohérents avec la volonté exprimée tout à l'heure de tirer vers le haut toute la protection sociale, nous avons proposé également d'étendre le système de tiers payant sans obligation d'avoir un contrat avec un médecin référent. Nous regrettons qu'à la demande du Gouvernement l'Assemblée nationale soit revenue, en deuxième délibération, sur l'amendement du groupe communiste qui allait dans ce sens.
Nous avons également eu l'occasion d'exprimer, à l'article 21, l'exigence d'un traitement égal entre tous les bénéficiaires et de renforcer l'aspect, par ailleurs affirmé dans le projet de loi, du droit des personnes de choisir leur couverture complémentaire. Assurer aux personnes qui ont choisi les CPAM le droit d'obtenir, lorsque la condition de ressource est dépassée, une adhésion ou un contrat à tarif préférentiel auprès d'un organisme complémentaire, et leur offrir la possibilité de résilier tout contrat passé avant l'ouverture des droits à la CMU avec un organisme complémentaire ainsi que celle d'opter pour un nouveau me paraît être la meilleure manière de résoudre une contradiction importante du texte, qui, malheureusement, ne le permet pas actuellement.
Je mentionnais voilà quelques instants à quel point une logique de maîtrise des dépenses par trop comptable maintient et renforce en réalité la misère et l'assistanat, déjà trop omniprésents dans notre société.
Nous avons, quant à nous, le souci de dépenser mieux en matière de santé, mais nous pensons que cela ne peut se faire sans cesse aux dépens des assurés.
Aujourd'hui, le déficit de l'assurance maladie a été considérablement réduit, mais à quel prix ? Doit-on continuer à restreindre les prises en charge, c'est-à-dire l'efficacité de l'assurance maladie, ou doit-on, au contraire, commencer à réfléchir sérieusement à la façon de dégager des moyens nouveaux, particulièrement auprès des entreprises qui portent une énorme responsabilité dans l'augmentation du chômage et de la précarité, causes essentielles des difficultés d'accès aux soins comme aux autres droits fondamentaux de la personne ?
Dans le cadre de la CMU, la création d'une cotisation sociale sur les revenus financiers des entreprises permettrait de dégager des moyens, notamment pour les salariés précaires à peine mieux lotis que les personnes en dessous du seuil de 3 500 francs, comme cela a été indiqué par nombre de parlementaires.
Dans le même souci d'efficacité et de justice sociale, nous souhaitons que soit inscrite dans l'article 1er l'égalité de droit à l'accès aux soins et à la prévention. Lors de la première lecture au Sénat, Mme Martine Aubry avait émis un avis favorable sur cet amendement. L'Assemblée nationale n'a malheureusement pas voulu réécrire l'article 1er en question. Nous le regrettons. Pourquoi ne pas aller définitivement en ce sens ? L'accès à la prévention doit faire partie intégrante des objectifs affichés de toutes les politiques et mesures concernant la santé publique.
Au regard de l'énorme manque de mise en oeuvre d'une politique de prévention à la hauteur des besoins, nous pensons que cet amendement, qui n'est pas un exercice de style, traduirait que le droit à la santé n'est pas limité au droit aux soins, mais qu'il inclut aussi l'accès à la prévention.
N'ayant pas réussi à vous convaincre de la nécessité d'inclure les étrangers en situation irrégulière dans le champ de la CMU, je me réjouis que l'Assemblée nationale en nouvelle lecture ait repris notre proposition visant à accorder l'aide médicale à titre préventif, disposition indispensable en termes de santé publique que vous entendez supprimer. De plus, il est positif qu'à l'article 30 les vaccins et certains dépistages demeurent pris en charge au titre de cette aide médicale pour ceux qui n'auront pas accès à la couverture maladie universelle.
Je ne dirai rien de l'article 13, laissant à mon ami M. Guy Fischer le soin d'intervenir sur ce sujet à l'occasion de la discussion des articles.
J'en viens au titre IV, qui a été, de l'avis de beaucoup, ajouté un peu abusivement au texte de la CMU.
L'article 37, qui concerne le traitement des données personnelles de santé à des fins d'évaluation ou d'analyse des activités de soin et de prévention, a connu un cheminement compliqué, c'est le moins qu'on puisse dire ! L'article modifié par le Sénat qui intégrait nos deux sous-amendements nous paraissait être à même de répondre aux inquiétudes concernant l'anonymat des personnes. Les modifications proposées par le rapporteur, M. Recours, bien qu'aboutissant à une rédaction différente, remplissaient la même fonction. Nous sommes d'autant plus étonnés que, par un amendement de dernière minute en séance, on revienne en arrière en autorisant une possibilité de dérogation au dispositif.
A défaut de la version initiale de M. Recours sur laquelle, à mon avis, tout le monde aurait pu tomber d'accord, nous voterons celle du Sénat, qui nous paraît plus claire que le texte qui nous est soumis.
En ce qui concerne les médecins à diplômes étrangers, même si de nombreux problèmes persistent, je me réjouis que la navette ait permis d'avancer sur certains points. Mais le chemin est encore long pour remédier à la situation de précarité de ceux qui assurent dans les hôpitaux, on peut le déplorer mais c'est ainsi, 60 % des gardes et des urgences en ne représentant que 25 % des effectifs hospitaliers.
Par ailleurs, au sujet de l'article 36, qui concerne la validation des conventions médicales annuelles, nous persistons à penser que le contrat « patient-médecin généraliste », utile dans son principe, est « plombé » par de nombreuses contraintes, notamment celle du médecin référent.
L'exemple de la gynécologie médicale, dont nous avons débattu ici même il y a à peine deux semaines - ce dont je vous remercie encore - souligne s'il en était besoin les problèmes liés à ce genre d'approche.
Permettez-moi pour finir d'insister sur l'urgence qui existe d'appliquer rapidement et avec tous les moyens nécessaires la loi qui, selon toute vraisemblance, sera votée à l'Assemblée nationale. A l'instar de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions et de la loi sur les 35 heures, elle fait partie des leviers nécessaires pour contrecarrer les logiques libérales.
Une mise en oeuvre rapide et effective est donc indispensable pour commencer à dépasser ce que le président d'ATD Quart monde appelait un « demi-siècle de résignation où l'on peut mourir dans notre pays faute d'argent ». (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Leclerc.
M. Dominique Leclerc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme notre collègue Jacques Oudin, je déplore que l'examen de ce texte qui nous revient en nouvelle lecture se fasse dans le cadre d'un débat tronqué, l'urgence ayant été déclarée. En disant cela, je pense à l'article 13 pour lequel nous aurions aimé disposer de certaines simulations et de certaines réflexions, en un mot, d'un peu plus de temps.
Monsieur le secrétaire d'Etat, votre projet de loi, c'est vrai, est généreux ; nul ici ne pourrait le nier. Plus contestables sont en revanche les moyens que vous avez choisis pour atteindre vos objectifs.
En effet, la majorité qui vous soutient à l'Assemblée nationale n'ayant absolument pas tenu compte de nos propositions, qui, elles, privilégient un mécanisme de partenariat, nous transmet une nouvelle fois un texte entaché de nombreux défauts qui le rendent inacceptable en l'état ; en tout cas, c'est ce que nous pensons et c'est ce que nous voulons vous dire ce soir.
Le projet de loi comprend en réalité trois parties bien différentes.
La première, qui porte sur la couverture de base, pourrait de prime abord ne pas sembler critiquable. Elle instaure une affiliation automatique au régime général de base sur le seul critère de la régularité et de la stabilité, qui ressemble sur ce point à l'assurance maladie universelle initiée par les réformes structurelles de 1996. Malheureusement, la ressemblance s'arrête là.
En effet, la réforme d'Alain Juppé visait à créer une assurance maladie vraiment universelle puisque tous les Français et résidents réguliers auraient été affiliés sans exception et auraient été couverts dans les mêmes conditions par le régime obligatoire.
Il est regrettable que vous ne soyez pas allé au bout de cette réforme qui tendait à harmoniser les différents régimes existants, et je pense que vous avez reculé devant les difficultés.
Le deuxième volet du projet de loi, qui porte sur la couverture complémentaire, me laisse beaucoup plus sceptique en raison de certaines imperfections qu'il présente et qui constituent, me semble-t-il, de véritables dangers.
En premier lieu, ce projet de loi, présenté comme le prolongement de la loi relative à la lutte contre l'exclusion, place en réalité hors de notre système de protection, au lieu de les y intégrer, un ensemble non homogène de six millions de personnes.
En effet, parmi ces personnes toutes ne sont pas « désociabilisées » puisque certaines d'entre elles, vous le savez, cotisent à une mutuelle et bénéficient souvent, à des tarifs certes adaptés, d'une couverture à titre payant.
Ces personnes ne souhaitent pas être enfermées dans une « case à part ». Elles aspirent, bien au contraire, à rester dans le dispositif de droit commun, grâce à une prise en charge totale ou partielle de leur contrat par l'Etat qui les rendrait ainsi solvables.
Malheureusement, vous n'avez pas voulu entendre cette demande. Vous avez préféré, encore une fois, développer une logique d'assistanat, qui ne fait qu'enfoncer dans la dépendance et l'exclusion des millions de personnes.
Par là même, vous vous éloignez du but que vous vous étiez initialement fixé puisque vous acceptez tacitement qu'un nombre toujours plus élevé de citoyens demeurent confinés dans un statut de second rang.
Mais là n'est pas le seul défaut de ce projet de loi.
Ce texte, cela a été dit, est également profondément inégalitaire. Il l'est par son effet de seuil et par la concurrence déloyale qu'il entraîne entre les caisses, les mutuelles et les assurances.
L'effet couperet du seuil est assez effrayant.
Tout d'abord, ce seuil crée une barrière infranchissable entre des personnes dont les revenus sont pourtant sensiblement les mêmes et pour lesquelles le fait de percevoir 10 ou 100 francs de plus ne change pas la vie.
Et pourtant, pour celles dont les revenus seront en dessous de ce seuil, tout sera gratuit ; elles bénéficieront des facilités du guichet unique.
En revanche, celles dont les revenus se situeront juste au-dessus devront payer des cotisations mutualistes ou des primes d'assurance pour couvrir, le plus souvent imparfaitement, leurs dépenses de soins.
Elles n'auront droit ni au tiers payant, ni à une aide pour faciliter leur accès au bénéfice d'une assurance complémentaire ou privée.
Vous vous contentez de les renvoyer vers une forme d'aide sociale attribuée par les départements, les fonds sociaux des caisses d'allocations familiales et des caisses primaires d'assurance maladie.
Par ailleurs, ce dispositif est dissuasif au regard de l'emploi et du travail dans bien des cas.
En effet, comment imaginer qu'une personne disposant de revenus d'assistance inférieurs à 3 500 francs et trouvant un petit travail rétribué pour un peu plus acceptera de travailler plutôt que de continuer à être assistée ?
A nouveau, je regrette que vos actions ne soient pas plus axées vers l'incitation à l'activité que vers l'assistanat.
Enfin, en fixant ce seuil à 3 500 francs, soit juste en dessous du seuil de pauvreté et du montant de l'allocation adulte handicapé ou du revenu minimum vieillesse, vous alimentez un sentiment d'injustice chez tous les titulaires de ces différentes prestations qui, bien que rencontrant de nombreuses difficultés, non seulement ne bénéficieront pas du dispositif, mais risqueront de surcroît d'être pénalisés.
L'une des autres inégalités flagrantes engendrées par le texte réside dans la concurrence déloyale introduite par divers mécanismes entre les différents acteurs.
En premier lieu, seuls les bénéficiaires de la CMU, contrairement aux assurés classiques, auront le choix de s'adresser, pour leur protection complémentaire, aux caisses primaires d'assurance maladie ou aux divers organismes assurant cette protection sociale complémentaire.
En second lieu, tout en laissant la possibilité de choix aux bénéficiaires de la CMU, vous avez néanmoins instauré une inégalité de traitement entre ces divers organismes.
En effet, le projet de loi ne prévoit pas un seul système de remboursement des dépenses engagées au titre de la converture complémentaire des bénéficaires de la CMU.
Alors que les régimes d'assurance maladie seront remboursés au franc le franc, les organismes de protection sociale complémentaire recevront un forfait annuel par personne de 1 500 francs, supposé être représentatif des prestations versées.
De plus, seuls les organismes de protection complémentaire contribueront, à raison de 1,75 % de leur chiffre d'affaires, à l'abondement du fonds réservé à la CMU.
Enfin, des inégalités existeront également entre les organismes de protection complémentaire.
Certains d'entre eux ont pu déterminer, par des études précises, que le pourcentage moyen des bénéficiaires potentiels de la CMU parmi leurs adhérents était de 10 % et même, dans certains cas, de 20 % à 30 %.
Ces organismes, pour justifier leur existence, n'auront pas d'autre choix que de conserver leur clientèle « CMU ».
Or la couverture complémentaire d'un artisan ou d'un commerçant à la CANAM coûte plus cher que celle d'un salarié à sa caisse correspondante.
Aussi, certains organismes, dont la clientèle est composée en majorité d'artisans ou de commerçants, vont avoir le plus grand mal à assurer leur équilibre financier, dès lors qu'une partie de leurs adhérents basculeront vers la CMU.
Ils risquent fort de se retrouver rapidement en péril en raison, d'abord, des charges nouvelles qu'ils vont devoir subir, ensuite, du manque à gagner dû au forfait de 1 500 francs qu'ils vont devoir supporter, enfin, de la contribution de 1,75 % qu'ils vont devoir verser.
Avez-vous bien réfléchi, monsieur le secrétaire d'Etat, aux lourdes conséquences économiques de ce dispositif pour bon nombre de ces organismes ?
Je souhaite à présent m'attarder sur l'un des autres points négatifs de ce dispositif, et non le moindre : la sous-estimation de son coût.
Partant du principe que la couverture complémentaire représenterait un coût unitaire de 1 500 francs par bénéficiaire et que six millions de personnes seraient concernées, vous en avez estimé le coût global à 9 milliards de francs. Une telle hypothèse me semble en réalité bien en dessous de la vérité, car le coût unitaire retenu est sous-évalué.
En effet, il repose sur des données de 1995 qui ne sont pas actualisées. Par ailleurs, il a été calculé par référence à une population qui n'était pas celle de la CMU, puisque n'ont été prises en compte ni les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans ni celles qui relèvent des régimes dont la couverture de base est bien moins favorable que celle qui est est assurée par le régime général.
Or le ticket moyen des dépenses afférentes au ticket modérateur des personnes démunies prises en charge par l'aide médicale, c'est-à-dire par les départements, s'élève généralement à 2 200 francs. Il existe donc un écart très net entre ces 2 200 francs et les 1 500 francs prévus.
En outre, la CMU concernera de très nombreux retraités, en particulier dans le secteur agricole.
A l'heure actuelle, je vous le rappelle, le coût des dépenses afférentes au ticket modérateur s'élève couramment à 3 000 francs. Dans ces conditions, la sous-évaluation est encore plus flagrante.
Il n'est pas difficile, dès lors, d'imaginer quelles seront les conséquences d'une telle sous-évaluation, non seulement sur les mutuelles et sur les transferts financiers de l'Etat en direction de l'assurance maladie, mais également sur les comptes de l'assurance maladie déjà bien mal en point.
C'est pourquoi il aurait été préférable, au lieu d'évaluer le coût initial de la CMU à 9 milliards de francs, de l'estimer dès le départ à une somme bien plus réaliste.
Enfin, ce chiffre ne tient pas compte du nombre de bénéficiaires qui ne manquera pas d'augmenter. Le dispositif prévu fait donc peser de lourdes menaces sur l'équilibre futur de notre système de protection sociale.
Face à ce constat, j'avoue ne pas comprendre que vous vous obstiniez à maintenir ce dispositif, dont la préparation reste floue et l'évaluation évasive.
Aussi, je souhaite que les propositions que nous allons à nouveau vous faire sauront trouver grâce à vos yeux.
En effet, elles tendent à créer une prise en charge personnalisée sur le mode de l'allocation logement.
Ce système présente le double avantage de fonctionner à coût constant tout en s'adressant à un plus grand nombre de bénéficiaires, et de gommer l'effet de seuil.
Il a par ailleurs l'énorme intérêt de responsabiliser les bénéficiaires hors contribution.
Il permet enfin de gommer certains effets pervers comme la non-incitation à l'emploi, la dissimulation de revenus ou l'éclatement des familles pour bénéficier de la couverture maladie universelle.
En conclusion, j'évoquerai d'un mot le troisième volet de votre projet de loi, véritable DMOS, que vous avez refusé de considérer comme tel et qui trouve mal sa place dans ce texte.
Je pense que ces nombreuses questions sociales méritaient mieux que d'être traitées à « la sauvette », à l'occasion de la discussion d'un texte ayant un tout autre objet ; elles méritaient d'être précisées ou modifiées.
Cela n'a malheureusement pu être le cas puisque vous avez pratiquement repoussé l'ensemble des amendements qui étaient proposés, à quelques exceptions près, marquant ainsi votre volonté de voir les articles votés en l'état, c'est-à-dire tels que vous les aviez pensés. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Puisque M. Descours a trouvé mon ton tranchant, je vais m'efforcer de faire preuve d'une aménité renouvelée. (Sourires.)
M. Jean Delaneau, président de la commission des affaires sociales. Cela va être encore pire ! (Nouveaux sourires.)
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Excusez-moi, monsieur Descours, de ne pas être d'accord avec vous ! J'ai cru pouvoir constater l'existence de deux projets qui s'opposaient. Quoi de plus naturel ? Il y a une majorité et une opposition ! Que la majorité, non pas la majorité sénatoriale mais la majorité dans le pays, l'emporte me semble de bonne démocratie !
Je voudrais simplement réagir brièvement sur trois mots que vous avez employés pour qualifier notre texte : inflationniste, déresponsabilisant, inégalitaire.
Notre projet de loi serait donc inflationniste. Nous verrons bien ! Je ne le crois pas mais, si nous devons en effet payer plus - et je rappelle que c'est l'Etat qui assume la charge de tout ce dispositif - pour que ceux qui n'étaient pas soignés le soient, eh bien, j'accepte cette inflation ! J'espère qu'elle sera modérée. Si elle se manifeste, en tout cas, elle sera le signe - triste signe ! - de la nécessité de prendre en charge des gens qui ne l'étaient pas.
Notre projet de loi serait également, selon vous, déresponsabilisant.
Je ne veux pas reprendre la discussion que nous avons eue en première lecture - en fait, seuls les deux points que sont les contingents communaux d'aide sociale et les pharmaciens devraient donner lieu à des échanges plus nourris, au cours de cette nouvelle lecture - mais je tiens tout de même à rappeler que, selon moi, c'est l'ensemble de notre système de protection face à la maladie qui est déresponsabilisant. Mme Borvo l'a dit : ce système est pervers parce qu'il a besoin de la maladie pour fonctionner et que l'on ne se préoccupe pas suffisamment de la prévention. De ce fait même, il est déresponsabilisant. C'est ainsi ! J'ai déjà dénoncé cet état de fait devant vous il y a bien des années et, si vous voulez y mettre fin, je serai à vos côtés.
La consommation médicamenteuse et médicale - et, là, il y a bien inflation - est, par excellence, le signe du caractère déresponsabilisant de notre système.
Mais nous n'ajoutons rien à la déresponsabilisation en proposant que ceux qui n'avaient pas de couverture puissent accéder au système de soins !
Enfin, je rappellerai à ceux d'entre vous qui estiment que notre dispositif est inégalitaire que l'effet de seuil était le fait des départements. Cela a été dit plusieurs fois : on reprend aux départements un argent qu'ils dépensaient pour que cet effet de seuil - souvent plus bas, parfois plus haut - joue. Nous n'avons donc rien inventé à cet égard !
Ce que nous avons inventé - et je crois que c'est quelque chose de réellement positif - c'est un dispositif assurant une prise en charge de l'ensemble de notre population telle qu'il n'en existe nulle part ailleurs.
M. Alain Vasselle. Vous avez inventé les seuils !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Non, nous n'avons pas inventé les seuils ! Les départements les avaient inventés avant nous et les appliquaient.
M. Alain Vasselle. Ils étaient progressifs !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Ils n'étaient pas progressifs. Ils étaient exactement semblables au nôtre.
A propos du tiers payant, je vous signale que, s'il pénalise le retour au travail, il y a désormais, un très bon moyen de faire en sorte que l'ensemble de nos concitoyens puissent bénéficier du tiers payant : c'est le médecin référent, et tout le monde peut y accéder.
Ceux qui pensent que cet effet très précis, celui du tiers payant, n'est pas ouvert à tout le monde se trompent. Pour le moment, il ne l'est pas mais, dans quelques mois, il va le devenir.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er