Séance du 7 octobre 1999







M. le président. Je rappelle les termes de l'article 22 :
« I. - Un consommateur final dont la consommation annuelle d'électricité sur un site est supérieure à un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat est reconnu client éligible pour ce site. Ce seuil peut être modulé, pour limiter les distorsions de concurrence entre entreprises d'un même secteur économique, en prenant en compte la part de la consommation d'électricité dans les consommations intermédiaires de ce secteur. Ces seuils sont définis de manière à permettre une ouverture du marché national de l'électricité limitée à la part communautaire moyenne qui définit le degré d'ouverture du marché communautaire, déterminée chaque année par la Commission des Communautés européennes et publiée au Journal officiel des Communautés européennes. Ce même décret détermine la procédure de reconnaissance de l'éligibilité et les modalités d'application de ces seuils en fonction des variations des consommations annuelles d'électricité.
« Pour l'application du présent I aux entreprises exploitant des services de transport ferroviaire, leur éligibilité est fonction de leur consommation annuelle totale d'électricité de traction sur le territoire national.
« II. - Sont, en outre, reconnus clients éligibles :
« - sous réserve des dispositions du IV, les producteurs autorisés en application de l'article 7, autres que les collectivités territoriales ou les établissements publics de coopération dont elles sont membres, qui, afin de compléter leur offre, concluent des contrats d'approvisionnement avec des producteurs et des fournisseurs autorisés installés sur le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne ou, dans le cadre de l'exécution d'accords internationaux, sur le territoire de tout autre Etat ;
« - les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée, en vue de l'approvisionnement effectif des clients éligibles situés dans leur zone de desserte ;
« - sans préjudice des dispositions du deuxième alinéa du I, les propriétaires ou les gestionnaires de réseaux ferroviaires ou de réseaux de transports collectifs urbains électriquement interconnectés en aval des points de livraison par Electricité de France ou par un distributeur non nationalisé mentionné à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée.
« III. - Un client éligible peut conclure un contrat d'achat d'électricité avec un producteur ou un fournisseur de son choix installé sur le territoire d'un Etat membre de la Commuanuté européenne ou, dans le cadre de l'exécution d'accords internationaux, sur le territoire d'un autre Etat.
« Le cadre contractuel dans lequel s'effectue la fourniture d'électricité ne peut avoir une durée inférieure à trois ans.
« IV. - Les producteurs visés au II du présent article ou les filiales qu'ils contrôlent majoritairement qui, afin de compléter leur offre, achètent pour revente aux clients éligibles doivent, pour exercer cette activité, obtenir une autorisation délivrée pour une durée déterminée par le ministre chargé de l'énergie après avis de la commission de régulation de l'électricité. Les volumes d'électricité annuels achetés par un producteur ou les filiales qu'il contrôle majoritairement pour les revendre aux clients éligibles ne peuvent excéder un seuil fixé par décret en proportion de leur production annuelle.
« L'autorisation peut être refusée ou retirée pour des motifs portant sur les capacités techniques, économiques ou financières du demandeur, de manière à prendre en compte la sécurité et la sûreté des réseaux publics d'électricité, des installations et des équipements associés et la compatibilité avec les missions de service public.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent IV.
« V. - Le ministre chargé de l'énergie établit et rend publiques la liste des clients éligibles et celle des producteurs qui achètent pour revente aux clients éligibles. »
Au sein de cet article, nous en sommes parvenus aux amendements identiques n°s 279 et 402.
L'amendement n° 279 est présenté par M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République.
L'amendement n° 402 est présenté par M. Poniatowski.
Tous deux tendent à compléter in fine le paragraphe II de l'article 22 par un alinéa ainsi rédigé :
« - les propriétaires ou gestionnaires de réseaux de canalisation de transport d'hydrocarbures liquides ».
La parole est à M. Valade, pour défendre l'amendement n° 279.
M. Jacques Valade. Il s'agit, à l'instar de ce que nous avons fait hier pour les remontées mécaniques, d'intégrer dans la notion de réseau les réseaux de transport d'hydrocarbures liquides ou gazeux.
M. le président. L'amendement n° 402 est-il soutenu ? Quel est l'avis de la commission sur l'amendement n° 279 ?
M. Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 279 ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie. Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat. Je fais cependant remarquer que les réseaux de transport urbain et les réseaux de transport d'hydrocarbures ne sont pas électriquement interconnectés en aval de leur point de livraison ; leur accorder l'éligibilité globalement et sans condition est donc sujet à interrogation.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 279.
Mme Odette Terrade. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Les amendements de nos collègues de la majorité sénatoriale que nous allons maintenant examiner illustrent, s'il en était encore besoin, la préoccupation qui est la leur de défendre des intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général et du souci de maîtrise de l'ouverture à la concurrence.
En accumulant le nombre d'opérateurs susceptibles de devenir éligibles, il est évident que la démarche de ce projet de loi s'en trouverait remise en cause et, pout tout dire, profondément dénaturée.
En ce qui concerne les industries pétrolières, nous ne pouvons accepter que, sous prétexte d'une ouverture totale à la concurrence pratiquée chez certains de nos voisins européens, on accorde l'éligibilité aux sociétés d'oléoduc alors qu'elles réalisent par ailleurs de substantiels profits sur le marché des hydrocarbures.
Enfin, l'idée d'un client final unique aurait pour conséquence de détourner la lettre et l'esprit du présent projet de loi dans la mesure où de petits consommateurs se trouveraient en situation d'éligibilité de fait.
Aussi, notre groupe votera-t-il contre l'amendement n° 279, mais également contre les amendements n°s 280 et 221 rectifié bis à l'article 22 qui élargissent davantage les conditions de la concurrence.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 279, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 3:

Nombre de votants 313
Nombre de suffrages exprimés 313
Majorité absolue des suffrages 157
Pour l'adoption 214
Contre
99

Par amendement n° 280, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent de compléter in fine le II de l'article 22 par un alinéa ainsi rédigé :
« - les clients finals ayant conclu un contrat d'alimentation unique avec un seul point de livraison et dont le total des consommations répond au seuil mentionné au I. ».
La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. L'amendement n° 280 va sans doute entraîner les mêmes remarques de nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen. Son objet est de donner la possibilité aux entreprises de se regrouper afin de pouvoir jouer - si vous me permettez cette expression - dans la cour des grands.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Cet amendement qui tend, comme vient de l'expliquer M. Valade, à regrouper de petits consommateurs industriels pose problème. La commission a en effet choisi de respecter la logique d'ouverture progressive, qui passe par l'établissement de seuils.
On va commencer par une ouverture de l'ordre de 27 % du marché en 1999. L'objet de l'amendement est très louable, et l'on comprend bien les motivations de son auteur. Mais ne risque-t-on pas de susciter un appel d'air qui fasse sauter le seuil ?
Je souhaiterais donc connaître l'avis du Gouvernement sur l'incidence, si possible chiffrée, de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je ne pourrai malheureusement pas apporter de précisions chiffrées à M. le rapporteur. Je me propose de les lui communiquer, ainsi qu'à ses collègues membres de la Haute Assemblée, dès que j'en disposerai. Il faut que le mécanisme se mette en place.
Je dirai simplement, en réponse à M. Valade, que la référence au site de consommation est conforme aux objectifs fixés par la directive et recouvre en général la notion d'établissement industriel ; par ailleurs, étendre l'octroi de l'éligibilité à des regroupements sur des sites, par exemple sur une zone industrielle, comme le sous-entend votre amendement, monsieur le sénateur, sans égard pour les entreprises plus isolées, entraînerait une très grande inégalité entre les entreprises quant à la fourniture d'électricité.
Je ne suis donc pas favorable à l'amendement n° 280.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 280.
M. Jacques Valade. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. Cet amendement présente l'avantage de poser le problème.
Nous gérons tous des zones industrielles et essayons d'y attirer des entreprises. Si ces entreprises étaient autorisées à se regrouper quant à la fourniture d'électricité, cela leur apporterait un avantage par rapport au prix et ces zones seraient plus attractives.
Je suis sensible à ce que M. le secrétaire d'Etat vient de dire, c'est-à-dire que cette mesure peut introduire une discrimination entre les entreprises qui sont regroupées et celles qui sont isolées. Il me semble cependant que, ces zones étant destinées à faire du développement économique, une telle discrimination inciterait les entreprises à s'y installer.
Il n'en demeure pas moins que je retire cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 280 est retiré.
Par amendement n° 221 rectifié bis, MM. Bohl, Dulait, Bécot, Arnaud, Hérisson, Cornu et César proposent d'insérer, après le paragraphe II de l'article 22, un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« ... - Dans leur zone de desserte, les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée peuvent, à leur demande, être désignés comme acheteur unique, pour une période se terminant au plus tard le 19 février 2006. »
La parole est à M. Bohl.
M. André Bohl. Cet amendement a pour objet d'appliquer aux distributeurs non nationalisés la formule de l'acheteur unique.
Au cours du débat d'hier, le Sénat a confirmé sa volonté que les entreprises non nationalisées puissent jouir d'une éligibilité partielle pour la revente à leurs clients éligibles. J'avais essayé de démontrer quelles étaient les difficultés d'application de cette mesure et quels risques nous prenions.
Lors de la discussion relative à la directive, la France a introduit un dispositif dit « de l'acheteur unique » pour permettre de voir comment la mise en concurrence dans le marché de l'électricité pouvait être supportée par les gestionnaires de réseaux de distribution.
Il s'agissait d'une solution alternative à l'accès des tiers au réseau. Cette solution a été adoptée par l'Allemagne et l'Autriche pour leurs entreprises locales de distribution mais, pour une période de temps limitée, soit jusqu'au 19 février 2006 puisque, d'ici là, la directive doit être renégociée.
Il s'agit de faire en sorte qu'un contrat de fourniture d'électricité négocié entre un client éligible et un fournisseur soit repris par le distributeur non nationalisé pour le compte de son client. Cette formule permettrait au distributeur non nationalisé de conserver un lien avec ses clients éligibles même si ces derniers choisissent un autre fournisseur ou lorsque ces derniers ont le même fournisseur que le fournisseur obligé de l'entreprise non nationalisée.
Je vous propose donc, par cet amendement, de n'autoriser cette possibilité que sur option pour les distributeurs nationalisés, et ce jusqu'au 19 février 2006, date prévue par l'Union européenne pour une nouvelle ouverture des discussions sur le marché de l'électricité.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ? M. Henri Revol, rapporteur. La commission ne peut pas retenir la proposition de M. Bohl. Le principe est en effet l'accès réglementé au réseau, régime plus transparent, où tous les acheteurs sont sur un pied d'égalité et les règles connues d'avance.
Nous avons déjà longuement évoqué ce sujet et je suggère à M. Bohl de retirer l'amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le projet de loi introduit un système équilibré en prévoyant une option pour les distributeurs non nationalisés : soit ils recourent à l'éligibilité partielle, que j'ai défendue hier soir, qui leur est conférée par l'article 22 pour alimenter leurs clients éligibles, soit ils globalisent leurs achats d'électricité à EDF au tarif de cession approuvé par le Gouvernement pour inclure dans cette démarche les clients non éligibles et les clients éligibles afin de bénéficier de tarifs d'approvisionnement plus avantageux, ce qui leur permet de présenter des offres adaptées à leurs clients éligibles.
En outre, je rappelle la possibilité qui est offerte à l'article 11 d'exploiter des unités de production d'électricité pour alimenter, dans le cadre des DNN, y compris leurs clients éligibles. Dans ce contexte, je dois dire très ouvertement que les distributeurs non nationalisés continueront à jouer le rôle central qu'ils assurent depuis toujours dans le service public de la distribution et qu'ils resteront, de toute évidence, au coeur de la relation commerciale qui les unit aux consommateurs situés dans leur zone de desserte.
Ayant ainsi montré l'intérêt que le Gouvernement porte aux distributeurs non nationalisés et pour les raisons évoquées par M. le rapporteur et par moi-même il y a un instant, je demande à M. Bohl de bien vouloir retirer son amendement.
M. le président. Monsieur Bohl, maintenez-vous votre amendement ?
M. André Bohl. La réponse particulièrement précise en matière de relations entre le fournisseur EDF et les clients qui sont les DNN est une approche de solution. Je tiens à en remercier tout particulièrement M. le secrétaire d'Etat.
Ces précisions quant aux modalités de négociation me paraissent très importante pour les années à venir et m'incitent à retirer l'amendement.
M. le président. L'amendement n° 221 rectifié bis est retiré.
Toujours sur l'article 22, je suis saisi de cinq amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques. L'amendement n° 119 est présenté par M. Revol, au nom de la commission.
L'amendement n° 233 est présenté par M. Hérisson et les membres du groupe de l'Union centriste.
L'amendement n° 281 est présenté par M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République.
Tous trois tendent à supprimer le second alinéa du III de l'article 22.
Par amendement n° 343 MM. Lefebvre, Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent, dans le second alinéa du III de l'article 22, de remplacer le chiffre : « trois » par le chiffre : « cinq ».
Par amendement n° 429, le Gouvernement propose de compléter le dernier alinéa du III de l'article 22 par les mots : « , dans le respect du principe de mutabilité des contrats ».
Cet amendement est assorti d'un sous-amendement n° 440 présenté par MM. Lefebvre, Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, et visant, avant le texte proposé par l'amendement n° 429, d'ajouter les mots suivants : « par souci de l'efficacité de la programmation pluriannuelle des investissements de production, des missions de service public et ».
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 119.
M. Henri Revol, rapporteur. Le second alinéa du paragraphe III de l'article 22, d'une part, est flou, puisqu'il vise la notion de cadre contractuel et, d'autre part, pourrait être dangereux s'il venait à être appliqué de façon stricte. Tous les contrats d'achat d'électricité devraient avoir une durée de trois ans. Une telle rigidité serait incompatible avec la souplesse de la vie des affaires que connaît d'ores et déjà EDF.
M. le président. La parole est à M. Bohl, pour défendre l'amendement n° 233.
M. André Bohl. Je me range à l'avis de M. le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Valade, pour défendre l'amendement n° 281.
M. Jacques Valade. Cet amendement traite d'un problème très important : la fixation d'une durée minimale de trois ans pour les contrats de fournitures. Nous considérons qu'il s'agit là d'un dispositif contraire à deux principes posés par la directive : la liberté de contracter et le jeu de la concurrence.
Fixer la durée minimale du contrat de fourniture d'électricité à trois ans a pour effet d'entraver la libéralisation dès lors qu'on privilégie des relations contractuelles à long terme dont, en l'état, seule EDF est à même de tirer profit.
Je pense qu'il n'est pas nécessaire de faire de plus amples commentaires et nous demandons purement et simplement la suppression du second alinéa du paragraphe III de l'article 22.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 119, 233 et 281 ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Comme je l'avais indiqué à l'Assemblée nationale, il s'agit ici de la fixation d'une durée minimale de trois ans non pas pour les contrats, mais pour le cadre dans lequel pourront être conclus les contrats entre les fournisseurs et les clients éligibles, de manière à concilier la liberté contractuelle et la cohérence de la politique énergétique.
Il convient d'éviter une situation trop volatile qui découragerait l'investissement et qui gênerait la mise en oeuvre d'une politique énergétique de long terme ainsi que le bon accomplissement des missions de service public. Toutefois, il faut être bien précis : la liberté contractuelle des clients éligibles et de leurs producteurs doit être respectée.
C'est pourquoi la durée de la fourniture d'énergie, les prix, les quantités livrées, les périodes d'effacement, les compléments de la fourniture, la saisonnalité ou encore les secours doivent entrer dans le champ de la liberté de négociation entre les contractants. En pratique, les accords de trois ans visent à rechercher la solution contractuelle et la plus stable. Mais cette solution contractuelle restera toujours librement fixée par les parties, notamment pour ce qui est de leur évolution.
Les précisions que je viens d'apporter sont, je pense, de nature à répondre aux objections qui ont été formulées par M. le rapporteur et par M. Valade, à qui je demande de retirer leurs amendements.
Au cas où ce ne serait pas possible, j'indique que le Gouvernement propose d'amender le texte par l'amendement n° 429 qui a pour objet de préciser que le droit des contrats s'applique pleinement aux contrats conclus entre les clients éligibles et leurs fournisseurs et que les contrats de trois ans ont pour objectif de favoriser la stabilité des relations contractuelles, étant entendu que celles-ci ressortissent à la liberté fondamentale des parties quant à l'évolution des contrats qui les lient.
M. le président. La parole est à M. Lefebvre, pour défendre l'amendement n° 343 et le sous-amendement n° 440.
M. Pierre Lefebvre. En abordant ce paragraphe III de l'article 22, nous parvenons à l'un des points de divergence majeure entre le Gouvernement et la majorité plurielle, d'un côté, et la majorité sénatoriale, de l'autre.
Les amendements de suppression que cette dernière nous propose sont délibérément inscrits dans la logique du marché et du court terme qui, selon elle, doit prévaloir dans les rapports entre clients éligibles et producteurs.
Conformément à l'esprit du présent projet de loi, qui vise à maintenir, un tant soit peu, le pouvoir du politique dans le choix et les orientations de la répartition des énergies et des techniques de production, le groupe communiste républicain et citoyen juge indispensable d'encadrer la liberté contractuelle des entreprises en vue de limiter ou de restreindre les risques d'une concurrence effrénée, sans règles et sans cohérence avec la planification de long terme des investissements qu'autorise, je le rappelle, la directive.
Peut-on, mes chers collègues, parler de politique énergétique nationale ou accorder une quelconque crédibilité à la programmation pluriannuelle des investissements si, par ailleurs, les gros consommateurs ont toute latitude pour aller et venir d'un producteur à un autre, selon les conditions du marché et la fluctuation des prix !
Remettre en cause la notion d'une durée limite des contrats c'est réintroduire de facto le négoce de l'électricité que le Gouvernement et sa majorité ont rejeté à l'Assemblée nationale.
Nos positions respectives sont donc strictement opposées et, pour tout dire, inconciliables, puisque nous préférons quant à nous la puissance régulatrice de long terme du pouvoir politique et démocratique à la main « invisible » et frénétique du marché, source d'instabilité et de volatilité dans la production électrique.
Les contrats de fourniture, qu'ils soient d'une durée de trois mois minimale - ou de cinq ans, comme nous le proposons par notre amendement - apportent une garantie indispensable à la bonne application des lignes directrices de la programmation énergétique arrêtée par les pouvoirs publics, ainsi qu'au respect des missions de service public, dont nous sommes comptables les uns et les autres.
L'amendement présenté par le Gouvernement, sous réserve de la précision que M. le secrétaire d'Etat vient d'apporter, ne nous pose pas de problème. Compte tenu de ce rappel des règles élémentaires du droit des contrats, rien ne s'oppose, désormais, à l'acceptation d'une durée plus longue du contrat liant le producteur et son client. Une période de cinq ans semble, à ce titre, plus conforme à la réalité des investissements et des constructions des installations électriques.
C'est la raison pour laquelle nous vous invitons, mes chers collègues, à voter l'amendement et le sous-amendement que nous vous proposons et à repousser les amendements de suppression qui sont présentés par la majorité sénatoriale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 343 et 429 et sur le sous-amendement n° 440.
M. Henri Revol, rapporteur. La commission n'a pas examiné l'amendement n° 429. A titre personnel, je dirai qu'il vide de son venin le paragraphe III de l'article 22, puisqu'il permettra une révision des contrats, même si ceux-ci sont d'une durée de trois ans, chaque année, à tout moment. S'il était adopté, nous ne verrions donc pas d'inconvénient à ce que notre amendement n° 119 ne le soit pas.
Nous souhaitons par ailleurs que nos collègues retirent leurs amendements n°s 233 et 281, qui ont le même objet.
La commission n'a pas non plus examiné le sous-amendement n° 440. A titre personnel, j'émets un avis de sagesse positive, car la programmation pluriannuelle des investissements est prévisionnelle, nous l'avons bien fait préciser par M. le secrétaire d'Etat à plusieurs reprises au cours de nos débats.
Enfin, la commission est défavorable à l'amendement n° 343 de M. Lefebvre, qui va à l'encontre de l'amendement n° 119 de la commission.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 343 et le sous-amendement n° 440 ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est favorable au sous-amendement n° 440.
Il est défavorable à l'amendement n° 343 car il tend à allonger de trois à cinq ans la durée des contrats.
M. le président. L'amendement n° 119 est donc retiré.
Monsieur Bohl, l'amendement n° 233 est-il maintenu ?
M. André Bohl. Après les excellentes explications fournies par M. le rapporteur, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 233 est retiré.
Monsieur Valade, l'amendement n° 281 est-il maintenu ?
M. Jacques Valade. A entendre Pierre Lefebvre, je serais tenté naturellement de maintenir cet amendement. Mais M. le rapporteur a retiré son amendement, qui est identique. Par ailleurs, les explications données par M. le secrétaire d'Etat en séance seront consignées au procès-verbal. De ce fait, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 281 est retiré.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 343, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le sous-amendement n° 440, accepté par le Gouvernement.

(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 429, accepté par la commission, ainsi modifié.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je suis saisi de sept amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 120, M. Revol, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit le paragraphe IV de l'article 22 :
« IV. - L'autorisation d'exercer l'activité d'achat d'électricité pour revente aux clients éligibles est délivrée pour une durée déterminée par le ministre chargé de l'énergie, après avis de la Commission de régulation de l'électricité.
« Cette autorisation peut être refusée ou retirée pour des motifs portant sur les capacités techniques, économiques ou financières du demandeur, de manière à prendre en compte la sécurité et la sûreté des réseaux publics d'électricité, des installations et des équipements associés et la compatibilité avec les missions de service public.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent IV. »
Cet amendement est affecté d'un sous-amendement n° 222 rectifié bis , présenté par MM. Bohl, Dulait, Bécot, Arnaud, Hérisson, Cornu et César, et tendant, après le deuxième alinéa du texte de l'amendement n° 120, à insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée, dans le cadre de leur éligibilité, achètent pour revente aux clients éligibles. »
Par amendement n° 282, M. Valade et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent de rédiger comme suit le premier alinéa du IV de l'article 22 :
« L'autorisation d'exercer l'activité d'achat d'électricité pour revente aux clients éligibles est délivrée par le ministre chargé de l'énergie, après avis de la Commission de régulation de l'électricité. »
Les quatre amendements suivants sont présentés par MM. Lefebvre, Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L'amendement n° 344 tend, dans la première phrase du premier alinéa du paragraphe IV de l'article 22, à supprimer les mots : « ou les filiales qu'ils contrôlent majoritairement ».
L'amendement n° 345 vise à compléter la première phrase du premier alinéa du IV de l'article 22 par les mots suivants : « et de l'Observatoire national du service public de l'électricité ».
L'amendement n° 346 a pour objet, après la première phrase du premier alinéa du IV de l'article 22, d'insérer une phrase ainsi rédigée :
« Leur demande doit être motivée par l'existence de contraintes d'exploitation et d'entretien de leurs installations de production. »
L'amendement n° 347 vise, dans la seconde phrase du premier alinéa du IV de l'article 22, à remplacer les mots : « un seuil fixé par décret en proportion » par le pourcentage : « 20 % ».
Par amendement n° 223 rectifié bis , MM. Bohl, Dulait, Bécot, Arnaud, Hérisson, Cornu et César proposent d'insérer, après le deuxième alinéa du IV de l'article 22, un alinéa ainsi rédigé :
« Les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée, dans le cadre de leur éligibilité, achètent pour revente aux clients éligibles. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 120.
M. Henri Revol, rapporteur. Cet amendement a pour objet de rétablir le négoce.
M. le président. La parole est à M. Bohl, pour défendre le sous-amendement n° 222 rectifié bis.
M. André Bohl. Dès que les distributeurs non nationalisés sont autorisés à vendre une partie de leur électricité aux clients éligibles, il est indispensable qu'ils puissent acheter pour revendre pour le compte de ces mêmes clients.
M. le président. La parole à M. Valade, pour présenter l'amendement n° 282.
M. Jacques Valade. Mon argumentation rejoindra celle de M. le rapporteur. Il est inconcevable, alors qu'on libéralise le marché de l'électricité, de ne pas organiser ce que l'on appelle le trading .
Nous sommes donc favorables à ce que nous reconstituions cette possibilité qui a été évoquée à l'Assemblée nationale avant d'être in fine écartée.
M. le président. La parole est à M. Lefebvre, pour présenter les amendements n°s 344, 345, 346 et 347.
M. Pierre Lefebvre. Notre groupe a présenté quatre propositions de modification de ce paragraphe. Toutes vont dans le sens d'un renforcement de l'encadrement des conditions de recours au trading . Nous souhaitons avant tout empêcher une pratique spéculative du trading de la part des producteurs qui utiliseraient cette technique pour attiser les conditions de la concurrence.
Première proposition : nous souhaitons supprimer la possibilité d'utiliser des filiales dont la seule vocation serait d'acheter et de revendre aux clients éligibles. Ces filiales représenteraient, en quelque sorte, les « grossistes » de l'électricité qui négocient les conditions d'achat et de revente pour le compte de leur actionnaire majoritaire ou de tout autre producteur. Ce serait en réalité une façon détournée de réintroduire dans ce texte le négoce de l'électricité. Gageons que les producteurs privés et EDF elle-même utiliseront cette méthode de la filiation pour spéculer sur le marché du négoce au jour le jour.
Deuxième proposition : dans le prolongement de notre amendement sur l'article 3, nous souhaitons que l'Observatoire national du service public de l'électricité puisse émettre un avis sur la délivrance d'une autorisation de recourir au trading des producteurs. Dès lors que cette activité touche directement à la continuité de l'approvisionnement ainsi qu'à la planification organisée par l'Etat du secteur électrique et aux missions de service public, il est juste, me semble-t-il, que les salariés des IEG, les usagers soient consultés pour donner leur opinion sur la compatibilité entre les exigences du marché et les obligations de service public.
Troisième proposition : nous estimons que le souci manifesté par un producteur pour demander le droit de compléter son offre doit être justifié et motivé par des nécessités techniques telles que l'arrêt provisoire d'une installation pour son entretien ou pour le renouvellement de tel ou tel équipement.
Il s'agirait de recourir à cette méthode d'achat-vente pour des raisons d'ordre technique et économique, mais d'interdire le recours strictement financier et spéculatif. L'amendement n° 346 présente donc une garantie supplémentaire pour éviter des abus en ce domaine.
Quatrième proposition : plutôt que de renvoyer à un décret la proportion de la production annuelle qui peut donner lieu à un complément de l'offre, il est préférable de fixer dans la loi un taux de 20 %, chiffre qui tient compte de la réalité et que vous avez vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, qualifié de « raisonnable » à l'Assemblée nationale.
Ainsi, les modalités des transactions entre opérateurs seront clarifiées et orientées exclusivement vers un besoin auquel tout producteur peut prétendre.
Ainsi, ce taux relativement large n'entrave pas la réciprocité des relations entre EDF et les autres opérateurs européens.
Tel est le sens de ces amendements.
J'en profite pour dire que nous voterons donc contre les amendements n°s 120 et 282 et le sous-amendement n° 222 rectifié bis, qui réintroduisent le trading au péril de la planification et du service public de l'électricité.
M. le président. La parole est à M. Bohl, pour défendre l'amendement n° 223 rectifié bis.
M. André Bohl. Il s'agit d'un amendement de repli au cas où, l'amendement n° 120 de la commission n'étant pas adopté, le texte resterait en l'état, mais il est identique au sous-amendement n° 222 rectifié bis.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. La commission est défavorable au sous-amendement n° 222 rectifié bis et donc à l'amendement n° 223 rectifié bis . En effet, les distributeurs non nationalisés, dès lors qu'ils jouissent d'une éligibilité partielle aux termes de l'article 22, paragraphe II, alinéa 3, peuvent acheter pour revente à leurs clients éligibles à l'exclusion des autres. Ils ne sont donc pas effectivement des négociants. C'est pourquoi la commission ne peut retenir une telle disposition.
L'amendement n° 282 est en parfaite harmonie avec l'amendement n° 120 de la commission, que nous lui préférons et qui donne satisfaction à M. Valade.
M. Jacques Valade. Je retire cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 282 est retiré.
Poursuivez, monsieur le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. La commission est défavorable aux amendements n°s 344, 345, 346 et 347, qui sont contraires à l'amendement n° 120 de la commission.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Monsieur le président, je ferai en deux temps une explication liminaire qui me permettra de présenter rapidement l'avis du Gouvernement sur chacun des amendements proposés.
Oui, il est indispensable de faire toute leur place aux transactions internationales nécessaires à la vie des opérateurs, à EDF comme aux autres entreprises. Pour autant, l'électricité n'est pas un bien de consommation comme les autres. L'impératif de sécurité des approvisionnements pour la vie économique et de stabilité pour les entreprises implique que l'activité de négoce de l'électricité conserve un lien organique avec la production. Par conséquent, elle doit s'accompagner d'obligations d'asseoir l'activité de négoce sur la disposition d'actifs physiques.
Ainsi la législation française impose-t-elle aux opérateurs pétroliers, par exemple, de constituer des stocks stratégiques en proportion des quantités de produits pétroliers qu'ils mettent à la consommation. La disposition dont nous débattons à cette heure est du même type.
Le Gouvernement propose donc que les producteurs d'électricité ou leurs filiales puissent compléter leur offre par des achats sur le marché européen, à la condition qu'il démontrent qu'ils ont la capacité de production suffisante située sur le territoire européen.
Ayant ainsi précisé l'encadrement et les deux temps, aussi importants l'un que l'autre, de la démarche du Gouvernement, je suis amené à demander le retrait de leurs amendements, à M. Revol, à M. Bohl, qui visent à étendre cette possibilité aux distributeurs non nationalisés, et à M. Lefebvre, dont la batterie d'amendements est, je crois, satisfaite par l'esprit que je viens de résumer et qui résulte, après de longs débats, d'un accord sur ce point à l'Assemblée nationale entre la majorité plurielle, monsieur Lefebvre, et le Gouvernement.
M. le président. Monsieur le rapporteur, l'amendement n° 120 est-il maintenu ?
M. Henri Revol, rapporteur. Il est absolument impossible que la commission retire son amendement, monsieur le secrétaire d'Etat : il est pour elle fondamental de rétablir cette possibilité de négoce.
M. le président. Monsieur Bohl, le sous-amendement n° 222 rectifié bis est-il maintenu ?
M. André Bohl. M. le rapporteur a dit qu'en vertu du paragraphe II de l'article 22, les entreprises non nationalisées pouvaient acheter pour revendre. C'est exactement ce qui figure dans mon sous-amendement. Si j'ai ainsi satisfaction, je ne vois aucun inconvénient à retirer ce dernier, mais j'aimerais bien que cela me soit confirmé par M. le rapporteur et par M. le secrétaire d'Etat.
M. Henri Revol, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur. Monsieur Bohl, cette mesure s'applique aux clients éligibles uniquement.
M. André Bohl. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Bohl.
M. André Bohl. C'est bien ce qui figure dans mon amendement : « achètent pour revente aux clients éligibles ». C'est très clair. Les limites sont bien définies. Si j'ai également confirmation par M. le ministre, j'accepte de retirer mon sous-amendement.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Je confirme.
M. André Bohl. Je retire donc le sous-amendement n° 222 rectifié bis et l'amendement n° 223 rectifié bis.
M. le président. Le sous-amendement n° 222 rectifié bis et l'amendement n° 223 rectifié bis sont retirés.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 120, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, les amendements n°s 344, 345, 346 et 347 n'ont plus d'objet.

Article 15 (suite)