Séance du 26 octobre 1999






RÉFORME DU CODE DE JUSTICE MILITAIRE

Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 478, 1998-1999), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, portant réforme du code de justice militaire et du code de procédure pénale. [Rapport n° 23 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de vous présenter, en deuxième lecture, ce projet de loi portant réforme du code de justice militaire.
Ce texte a pour objet de rapprocher autant que faire se peut la procédure pénale militaire de la procédure pénale de droit commun. Il concrétise une réforme de la justice militaire jugée nécessaire par tous, mais plusieurs fois repoussée en fonction de l'orientation parlementaire. La justice militaire se trouvera donc à l'avenir en phase avec l'ensemble de notre procédure pénale.
La Haute Assemblée, tout particulièrement sa commission des lois, partage pleinement les objectifs du Gouvernement, ce qui nous réjouit. Les débats de grande qualité qui se sont tenus dans cette enceinte ont permis, j'en conviens, d'améliorer le projet initial du Gouvernement, et nous sommes progressivement parvenus à un texte de qualité.
A cet égard, je veux remercier la commission des lois et son rapporteur M. René Garrec, de leur rapport très constructif, ainsi que la commission de la défense, que je n'aurai garde d'oublier, laquelle a été saisie pour avis en première lecture, et dont le rapporteur était M. Serge Vinçon.
Le texte que nous examinons aujourd'hui est issu de l'examen du projet de loi, le 30 juin dernier, à l'Assemblée nationale. Il recueille, pour l'essentiel, l'approbation des deux chambres et du Gouvernement, à l'exception de quelques points à propos desquels la commission propose au Sénat de s'en tenir au texte déjà discuté.
Je souhaite résumer la portée du texte que nous avons collectivement réalisé.
Nous avons assuré le rapprochement entre la procédure pénale applicable devant les juridictions militaires et la procédure pénale de droit commun, poursuivant en cela les objectifs de la réforme de 1982 et de la loi du 4 janvier 1993.
Cet alignement se manifeste notamment par l'instauration du jury populaire pour le jugement des affaires criminelles, par la suppression des restrictions relatives aux infractions permettant la mise en mouvement de l'action publique par les victimes et par un rapprochement des terminologies du code de procédure pénale et du code de justice militaire qui sera, je crois, utile pour les praticiens.
Désormais, les justiciables des juridictions militaires bénéficieront des mêmes garanties qu'en droit commun, notamment en ce qui concerne l'intervention d'un avocat pendant la garde à vue. Ils pourront également bénéficier d'un double degré de juridiction par l'exercice du droit d'appel. Enfin, les articles du code de justice militaire adoptés par les deux assemblées, qui renvoient à chaque fois au code de procédure pénale, permettront qu'à l'avenir les réformes de procédure pénale soient applicables de plein droit aux juridictions militaires, sauf mention contraire.
Nous avons retenu le principe de la compétence exclusive du tribunal aux armées de Paris, avec la possibilité de créer des chambres détachées, pour connaître de l'ensemble des infractions commises par des militaires français hors du territoire de la République. A la suite du vote de la loi, le tribunal aux armées des forces françaises stationnées en Allemagne sera dissous, d'un commun accord, par décret, son activité étant, aujourd'hui, très limitée.
Le code de justice militaire ne conservera plus, en temps de paix, que les dispositions minimales strictement nécessaires, destinées à garantir la stabilité de l'institution militaire, la spécificité de la condition militaire et la protection des intérêts de la défense nationale.
Ce texte, tel qu'il est issu de la seconde lecture à l'Assemblée nationale, diverge cependant sur un point encore avec la position du Gouvernement et celle de votre assemblée.
En effet, lors de son examen, le 30 juin dernier, l'Assemblée nationale a supprimé l'article 46 du projet de loi, qui précisait explicitement que la juridiction saisie par la partie lésée - par une victime - devait recueillir l'avis du ministre sur les poursuites engagées à l'encontre d'un militaire. Le Gouvernement n'a pas souhaité cette suppression, les termes de l'article 46 présentant l'avantage de la clarté de la procédure applicable, même si, en pratique, ceux de l'article 45 bis , en particulier, suffisent à fonder légalement l'avis du ministre de la défense.
Je souhaite, à cet égard, rappeler les motivations profondes qui expliquent le maintien de cette procédure de l'avis ministériel.
Les droits statutaires des militaires comportent, chacun le sait, des restrictions par rapport à ceux dont bénéficient d'autres citoyens. Ils n'ont pas la liberté d'association professionnelle, et leur droit d'expression est encadré.
Dans ce contexte, l'avis du ministre permet d'assurer la sauvegarde des intérêts du militaire, en portant à la connaissance de l'autorité judiciaire, dès le début de la procédure, les éléments de l'espèce, notamment ceux qui procèdent de la connaissance interne de l'institution militaire.
C'est dans le souci de réaffirmer cette prérogative essentielle pour la protection des droits des justiciables et pour la complète information de la justice que le Sénat, suivant la suggestion du Gouvernement, avait adopté les articles 45 bis et 46.
L'Assemblée nationale, je crois, a été influencée dans sa position sur cet article 46 par les travaux de réforme de la justice engagés par ailleurs par le Gouvernement, travaux qui visent à assurer au parquet les conditions nécessaires à l'exercice indépendant de ses prérogatives. Or, comme je l'ai rappelé à l'Assemblée nationale, l'avis du ministre de la défense, au début d'une telle procédure, est sans rapport avec les instructions au parquet et ne peut nullement présenter le caractère d'une injonction adressée à la juridiction de jugement.
Mais, finalement, les points de vue sont voisins quant au déroulement effectif de la procédure, comme l'écrit très justement M. Garrec dans son rapport.
La rédaction de l'article 698-2 du code de procédure pénale, telle qu'elle a été confirmée par l'Assemblée nationale, ne remet pas en cause la procédure de l'avis ministériel.
Quant au cas d'un engagement de poursuite sur l'action d'une partie lésée à la demande d'une victime, l'analyse juridique conduit à le ramener au cas général, comme je l'avais d'ailleurs suggéré devant l'Assemblée nationale.
En effet, la possibilité de mise en mouvement de l'action publique par la partie lésée est restreinte par le texte à une seule formule qui est la plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction. Dans ce cas, l'article 86 du code du procédure pénale, qui, lui, n'est pas affecté par notre texte, fait obligation au juge d'instruction saisi d'une plainte de la communiquer au procureur de la République, lequel, en vertu du texte de l'article 698-1, devra, avant de prendre ses réquisitions, solliciter l'avis du ministre de la défense. C'est pourquoi, en cas de plainte avec constitution de partie civile, le ministre de la défense sera amené à donner son avis de toute manière. Cette conclusion me paraît coïncider avec la volonté exprimée par la Haute Assemblée.
Par sagesse, la commission des lois souhaite éviter une navette supplémentaire, alors que presque tout, sous réserve de ce point, a été dit sur ce texte. De plus, je le répète, ce dernier a été bien amélioré.
Le Gouvernement se range à cette position, car il estime ne pas devoir alourdir le travail parlementaire dans un contexte où l'analyse juridique, que je viens de résumer, indique que nous avons sauvegardé la possibilité pour le ministre de donner son avis, ce qui était le dernier point clé du projet de loi encore en débat.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi enrichi des travaux parlementaires, le texte qui vous est soumis aujourd'hui met enfin la procédure pénale applicable devant les juridictions militaires en conformité avec les progrès de la procédure de droit commun, tout en sauvegardant l'autorité nécessaire de l'Etat. A cet égard, il représente une avancée considérable pour les droits des justiciables militaires et répond à une attente formulée depuis 1993.
C'est donc avec confiance que je vous demande d'adopter ce texte.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. René Garrec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est appelé à examiner en deuxième lecture le projet de loi modifiant le code de justice militaire et le code de procédure pénale. Ce texte est en discussion depuis plus de dix-huit mois et, au vu des amendements adoptés par l'Assemblée nationale, il me semble que nous aurions pu nous épargner cette deuxième lecture.
Avant d'évoquer les articles restant en discussion, je rappellerai brièvement la situation actuelle et le contenu du projet de loi. Je le ferai de nouveau, après M. le ministre, mais la pédagogie, c'est aussi la répétition !
M. Alain Richard, ministre de la défense. Il n'y a ici que d'excellents élèves !
M. René Garrec, rapporteur. En tout cas, ce sont tous d'excellents pédagogues. Or ceux-ci ont quelquefois besoin de se recycler. (Sourires.)
Aujourd'hui, les infractions commises sur le territoire national par des militaires dans l'exercice de leurs fonctions relèvent de juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire.
La procédure devant ces juridictions spécialisées est très proche de la procédure de droit commun, à quelques exceptions près. En particulier, les possibilités pour la victime de mettre en mouvement l'action publique sont très limitées : il faut qu'il y ait décès, mutilation ou infirmité permanente. En outre, le procureur de la République doit demander un avis au ministre de la défense avant la mise en mouvement de l'action publique.
En ce qui concerne les infractions commises hors du territoire, elles relèvent des tribunaux aux armées lorsque de tels tribunaux ont été établis auprès d'une force stationnant à l'étranger. En pratique, il n'existe actuellement que le tribunal de Baden-Baden. En l'absence de tels tribunaux, les affaires relèvent des juridictions de droit commun spécialisées en matière militaire. La procédure demeure très dérogatoire par rapport au droit commun.
Le projet de loi a pour objet de rapprocher fortement la procédure applicable devant les juridictions militaires de la procédure de droit commun, notamment en ce qui concerne la garde à vue, la détention provisoire et la mise en examen. A l'avenir, toutes les réformes de procédure pénale seront automatiquement applicables devant le tribunal aux armées de Paris.
Au cours de la première lecture, l'Assemblée nationale et le Sénat sont tombés d'accord pour rapprocher la procédure militaire de la procédure de droit commun. Ainsi, l'Assemblée nationale a supprimé la possibilité d'établir des tribunaux aux armées auprès des forces stationnant à l'étranger, de sorte que le tribunal aux armées de Paris va devenir la seule juridiction compétente pour les infractions commises par des militaires hors du territoire de la République. La question pouvait se poser compte tenu des événements survenus dans les Balkans et ailleurs. L'Assemblée nationale a tranché ; nous avons suivi.
Le Sénat s'est vu proposer - et a donc accepté - de supprimer toute allusion au tribunal de Baden-Baden dans le code de justice militaire, ce tribunal étant appelé à disparaître définitivement.
Quels sont les points de désaccord ?
Cinq articles restent en discussion, qui portent, en fait, sur trois sujets.
Le premier désaccord - et cette appréciation n'est pas péjorative - me semble tout à fait anecdotique.
L'Assemblée nationale souhaite à tout prix que l'on fasse mention, au début du code de justice militaire, de certaines équivalences fonctionnelles entre les juridictions ordinaires et le tribunal aux armées.
Il s'agit, par exemple, de dire que les attributions du procureur sont exercées par le procureur près le tribunal aux armées. Cette précision ne m'avait pas paru indispensable, pas plus qu'à la commission des lois, mais on ne peut qualifier cela de désaccord grave.
Le deuxième désaccord porte sur le jugement des crimes. En première lecture, le Sénat a modifié le texte pour tenir compte du fait que le tribunal aux armées de Paris va devenir la seule juridiction militaire. Nous avons notamment prévu des modalités spécifiques pour la constitution du jury, car il était difficile d'appliquer sans rien changer les règles des cours d'assises.
Nous avons, en outre, prévu que des chambres détachées du tribunal aux armées de Paris auprès des forces stationnées à l'étranger puissent délibérer en matière criminelle. Nous avons donc précisé que, dans un tel cas, la juridiction serait composée d'un président et de six assesseurs. L'Assemblée nationale a refusé que les chambres détachées puissent statuer en matière criminelle et a préféré que les militaires poursuivis pour crime soient rapatriés afin qu'un jury populaire puisse être constitué. La commission des lois a décidé d'accepter cette modification.
Enfin, le troisième désaccord - peut-être le seul sur le fond - porte sur l'avis du ministre de la défense en cas de poursuites contre les militaires.
En 1992, on a ouvert, dans des conditions très encadrées, la possibilité pour la victime de mettre en mouvement l'action publique, mais l'avis du ministre de la défense n'a pas été explicitement prévu, alors qu'il l'est quand le procureur met en mouvement l'action publique.
Le Gouvernement avait souhaité réparer cet oubli dans le présent projet de loi. L'Assemblée nationale ne l'a pas suivi. Elle a considérablement élargi les possibilités pour la victime de mettre en mouvement l'action publique et a refusé d'inscrire l'avis du ministre de la défense dans la loi. Le Sénat a accepté l'élargissement des possibilités de mettre en mouvement l'action publique, mais a estimé normal que le ministre de la défense puisse donner un avis pour éclairer les juges sur le contexte de l'infraction.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a refusé de se ranger à nos arguments et a de nouveau supprimé l'avis, malgré vos exhortations, monsieur le ministre.
La commission des lois considère qu'il n'y a aucune raison d'exclure l'avis du ministre de la défense quand la partie lésée met en mouvement l'action publique. L'avis du ministre de la défense n'est en rien comparable à ces instructions du garde des sceaux que le Gouvernement souhaite aujourd'hui supprimer.
Il faut cependant rappeler que l'article 698-1 du code de procédure pénale indique que le procureur demande l'avis du ministre avant tout acte de poursuite. Or, quand la victime met en mouvement l'action publique, on peut considérer que les réquisitions du procureur sont un acte de poursuite, auquel cas l'avis est nécessaire. En s'appuyant sur cette interprétation, la commission considère que l'avis devra être demandé en tout état de cause, même s'il aurait été préférable de l'inscrire explicitement dans la loi.
A ce stade, afin de faciliter l'entrée en vigueur rapide d'un texte utile, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, de l'adopter sans modification.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

TITRE Ier

DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE
DE JUSTICE MILITAIRE

Article 2