Séance du 25 novembre 1999






LOI DE FINANCES POUR 2000

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2000 (n°s 88 et 89, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Angels.
M. Bernard Angels. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet examen du projet de loi de finances est le troisième exercice du genre pour la majorité de gauche issue des élections de 1997.
Les deux premiers avaient été marqués par la même argumentation de la droite sénatoriale sur l'incapacité annoncée du Gouvernement et des parlementaires de la majorité à mettre en oeuvre une politique de relance de l'économie nationale, sur leurs choix plus que critiquables en matière fiscale et économique, sur leur aveuglement et leurs erreurs présumées.
L'opposition prophétisait alors une catastrophe inéluctable, et nous venons de nouveau d'entendre un certain nombre d'orateurs se livrer à cette magnifique démonstration : la droite, par nature, détiendrait-elle et elle seule, l'absolue vérité en matière économique !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ça, c'est bien envoyé !
M. Bernard Angels. Force est pourtant de constater qu'aujourd'hui, mes chers collègues, la réalité vous a donné tort. Les résultats obtenus par le Gouvernement en matière économique au cours de ces deux ans et demi rendent honneur à la persévérance que nous avons eu à défendre notre projet et accréditent le fait qu'il existait décidément bien une « autre politique » que celle pour laquelle vos collègues de l'Assemblée nationale se sont sacrifiés un soir de juin 1997.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. On ne leur a pas demandé leur avis !
M. Bernard Angels. Non seulement la réalité vous a donné tort, disais-je, mais, et cela est tout aussi important, les Françaises et les Français vous ont donné tort. Se gardant de vous suivre sur la périlleuse voie du libéralisme que vous aviez tracée, ils ont, au contraire, donné crédit au Gouvernement de son travail et de ses options politiques et économiques.
Et c'est dans ce contexte de confiance retrouvée, tant par les ménages que par les entreprises, dans ce climat de croissance rétablie, que s'inscrit le budget 2000, dont je me permettrai de souligner quelques aspects qui me semblent significatifs.
Revenons-en, pour l'instant, à ce bilan qui tranche tant avec les prévisions catastrophiques de la droite sénatoriale et qui place la France dans le peloton de tête des pays européens dans nombre de domaines.
Ce ne serait pas, je pense, faire preuve d'autosatisfaction éhontée que de qualifier ce bilan de très positif. Tous les observateurs, français et internationaux, s'accordent à créditer notre économie de bons résultats et de perspectives encourageantes.
Un certain nombre d'indicateurs économiques majeurs, longtemps restés « dans le rouge », atteignent aujourd'hui des niveaux tout à fait favorables pour notre pays. De ces grands agrégats, dont je vous épargnerai la litanie d'une liste exhaustive, je ne retiendrai que quelques éléments qui illustrent, à mon sens de façon sensible et pertinente, les trois vertus que nous avons su retrouver lors de ces derniers mois : croissance, confiance et activité.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est joli, cela !
M. Bernard Angels. La croissance, tout d'abord.
Le net ralentissement constaté l'hiver dernier n'aura été finalement que passager, même si les exportations françaises se sont fortement contractées dès la fin de l'année 1998 sous l'effet conjugué des crises russe et asiatique.
Ces deux chocs économiques, de même que le fort recul de l'économie japonaise, sont à l'origine du désormais fameux « trou d'air » qui s'est propagé en Europe au début de cette année. Dans ce cadre, il est difficile d'affirmer que la conjoncture internationale était particulièrement favorable à la poursuite d'une phase de croissance en France.
Et pourtant, vous l'aurez tous constaté, l'économie française a repris un rythme de croissance soutenu dès la fin du premier semestre 1999. Depuis juin 1997, la France a sensiblement creusé l'écart avec les grands pays de l'Union européenne, même s'il est vrai qu'elle partait avec un retard important. Entre juin 1997 et aujourd'hui, la croissance française aura été supérieure à la moyenne de la zone euro et pratiquement deux fois plus importante qu'en Allemagne ou en Italie, par exemple.
Les prévisions, qui restent relativement favorables pour 2000, se situent dans une fourchette variant entre 2,6 % et 3 %. Le FMI, comme les instituts de conjoncture, tablent, quant à eux, sur une croissance de 3 % pour notre pays, donc sur un taux, quoi qu'il en soit, dans tous les cas supérieur à la moyenne des pays de la zone euro qui se situerait à 2,8 %.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce sont des faits, cela !
M. Bernard Angels. Nos collègues de la droite sénatoriale et leurs amis sont bien obligés de constater ces chiffres positifs,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. D'autant qu'ils parlent de prélèvements !
M. Bernard Angels. ... mais ils ne peuvent se résoudre à accepter le fait qu'ils soient le résultat, même partiel, de la politique menée depuis deux ans par le Gouvernement et sa majorité.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Partiel, oui !
M. Bernard Angels. A les écouter, ces niveaux - records pour certains - de l'économie française trouveraient leur origine dans la seule conjoncture internationale.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Convenez qu'elle a tout de même joué un peu !
M. Bernard Angels. Pour ma part, mes chers collègues, je relèverai trois éléments qui me semblent devoir expliquer la réussite économique de notre pays depuis deux ans.
En premier lieu, je citerai l'euro. Il est incontestable que l'entrée dans l'euro a eu un effet stabilisateur sur les mouvements de change. Elle a davantage préservé l'Europe des turbulences monétaires extérieures et octroyé, en outre, à l'Union une autonomie dans la conduite de sa politique économique et monétaire.
Le Gouvernement français ne peut que se réjouir de ses effets largement bénéfiques pour notre pays, d'autant plus qu'une de ses premières réussites, souvenons-nous en, a justement été de qualifier la France pour l'euro.
Je ne voudrais pas attribuer l'exclusivité de ses mérites à la majorité actuelle,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est bien bon de votre part !
M. Bernard Angels. ... mais rappelons-nous tout de même que le défi était difficile et que, par des mesures courageuses, le Gouvernement l'a relevé ! En se replaçant dans ce contexte, il n'était pas si évident d'y parvenir.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Il a relevé les impôts, ça, c'est sûr !
M. Bernard Angels. J'en viens au deuxième élément : les nouvelles technologies.
L'émergence et le développement rapide des nouvelles technologies de l'information et de la communication ont dynamisé la croissance. On parle aujourd'hui de l'entrée de notre pays dans une nouvelle révolution industrielle, et les termes ne sont pas forcément excessifs.
Sur ce terrain, encore une fois, le Gouvernement a fait plus qu'accompagner l'apparition des nouvelles technologies : il a su contribuer à leur large propagation, aider les entreprises qui investissaient dans ce domaine, améliorer le lien entre la recherche et l'innovation d'un côté, la diffusion dans les entreprises et les administrations, ainsi que leur contribution à la croissance, de l'autre.
De nombreuses mesures pourraient être citées, mais je n'en retiendrai que la figure de proue, à savoir la loi du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche.
Le troisième élément est constitué par les orientations politiques et économiques du Gouvernement.
Incontestablement, la politique menée depuis juin 1997 a contribué à enclencher un cercle vertueux.
La confiance des Français a été restaurée. Depuis leur arrivée, le Gouvernement et la majorité ont entrepris de soutenir fermement la demande intérieure à travers l'augmentation du pouvoir d'achat et des salariés - plus 4 % - l'augmentation du SMIC - plus 6 % - le basculement des cotisations maladie sur la CSG, etc. Le résultat est là : les Français n'ont jamais autant consommé.
De plus, le Gouvernement a fait le choix de réorienter le partage de la valeur ajoutée en faveur du travail. Entre 1998 et 2000, la part des salaires nets des cotisations employeurs dans la richesse nationale passera de 46,7 % à 47,3 %. C'est dans cette voie qu'il faut poursuivre nos efforts.
Non seulement les ménages consomment, mais, de plus, les entreprises investissent, preuve, s'il en était besoin, que les acteurs économiques partagent l'appréciation positive de l'évolution de l'économie française que nous portons.
Croissance, confiance donc, mais aussi et surtout activité. L'investissement progresse - je le mentionnais tout à l'heure - et l'emploi se redresse. Le chômage, qui touche encore 2,8 millions de personnes et reste l'un des fléaux économiques majeurs de notre société, diminue pourtant sans interruption depuis juin 1997. De plus - il faut le noter - cette décrue intervient dans un contexte de forte hausse de la population active et se traduit donc par d'importantes créations d'emplois. Ainsi, plus de 630 000 emplois marchands nouveaux ont été créés depuis 1997.
La comparaison avec les périodes précédentes est relativement éclairante : entre juin 1993 et juin 1995, 65 000 emplois ont été créés ; entre juin 1995 et juin 1997, 125 000 emplois ont été créés. Les contextes économiques étaient certes différents ; pour autant, depuis le début de l'année 1999, cette tendance à la réduction du chômage s'accélère, et l'on compte encore 135 000 chômeurs de moins en huit mois, soit autant que pendant toute l'année 1998, où la croissance était pourtant forte.
Cette accélération s'explique par le retour de la croissance et de la confiance, mais aussi par l'effet conjugué des emplois-jeunes et des 35 heures.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ça !...
M. Bernard Angels. Je ne m'attarderai pas sur ces thèmes, mais notons tout de même quelques chiffres : 200 000 emplois-jeunes créés au 1er juillet dernier, 15 000 accords d'entreprises signés sur la réduction du temps de travail, pour un total de plus de 120 000 emplois créés ou sauvegardés.
Grâce à ces réformes de structure, la croissance française est plus riche en emplois. L'économie crée des emplois à partir d'un taux de croissance de 1,5 %, contre 2,5 % dans les années quatre-vingt, à raison de 100 000 emplois par point de croissance.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Comment cela s'explique-t-il ?
M. Bernard Angels. Croissance, confiance et activité, tels sont, monsieur le président de la commission, les maîtres mots du bilan à la moitié de cette législature. C'est dans cette optique que s'inscrit le projet de budget pour 2000 et qu'il convient de l'étudier, dans la continuité de l'effort engagé depuis deux ans.
Comme je l'ai préalablement précisé, je n'aurai pas la prétention de présenter dans leur ensemble les dispositions contenues dans le projet de budget.
Les trois axes qui me semblent tout à fait révélateurs de la démarche volontariste et responsable engagée par le Gouvernement et sa majorité depuis le début de la législature sont la réduction des déficits publics, le financement des actions prioritaires et la réforme fiscale.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ah ! C'est intéressant !
M. Bernard Angels. En 1999, le budget avait déjà reflété cete dynamique, se répartissant en trois tiers : un premier tiers consacré à la baisse des déficits publics, un deuxième consacré à l'augmentation de la dépense publique, un troisième consacré à la diminution des impôts.
Pour l'année 2000, le projet de loi de finances prévoit d'affecter deux tiers à la baisse d'impôts et un tiers à la réduction des déficits. Le financement des postes budgétaires prioritaires se fera grâce aux marges de manoeuvre dégagées, pour la première fois depuis vingt ans, par la diminution du poids de la dette ainsi que par des redéploiements ministériels.
J'évoquerai tout d'abord la réduction des déficits.
A la suite de la forte récession du début des années quatre-vingt-dix, la situation des finances publiques, en France comme chez ses principaux partenaires européens, s'était particulièrement dégradée : le déficit public agrégé de la zone euro atteignait ainsi, en 1993, 5,5 points de PIB,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est important, après cinq années de socialisme !
M. Bernard Angels. ... tandis que la dette brute des administrations publiques approchait 70 points de PIB. En France, cette même année, le déficit public s'établissait à 5,6 points de PIB et le ratio de la dette atteignait 45 points de PIB.
Pour faire face à cette dégradation et en vue de la mise en place de la monnaie unique, les gouvernements européens ont entrepris un important effort d'assainissement budgétaire. Malheureusement, la France était restée en retard par rapport à ses partenaires, ne parvenant pas à maîtriser ses dépenses publiques, augmentant ses prélèvements obligatoires et réduisant peu son déficit. C'est votre bilan !
L'assainissement européen se poursuit depuis 1997. Selon les programmes pluriannuels de stabilité budgétaire à l'horizon 2002 transmis par les différents gouvernements en 1999, les pays de la zone euro devraient réduire leur déficit de 2,3 % du PIB, en 1998, à 0,7 % en 2002, et leur dette publique devrait passer en deçà du seuil de 70 %.
La nouveauté de la situation tient au fait que, contrairement aux années précédentes, la France n'a pas à rougir de ses résultats et peut désormais se féliciter de la bonne tenue de ses objectifs par rapport à ses partenaires européens, alors même que son retard était des plus importants.
La France est le pays d'Europe où le déficit public diminue le plus rapidement :...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Eh oui !
M. Bernard Angels. ... moins 1,7 % depuis 1997.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il faut voir d'où l'on partait !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. On partait de haut !
M. Bernard Angels. Cependant, il reste encore élevé et, en 2000, il atteindra encore 200 milliards de francs, soit 1,8 % du PIB. Par conséquent, l'effort doit être et sera, j'en suis persuadé, poursuivi.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Nous ne demandons que cela !
M. Bernard Angels. Je note, monsieur le rapporteur, puisque vous semblez commenter mes propos,...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. De façon laudative ! (Sourires.)
M. Bernard Angels. ... que, en 1996, vous louiez les efforts du gouvernement que vous souteniez à l'époque quant à la réduction des déficits et des dépenses publiques. Or, aujourd'hui, vous ne faites pas preuve de la même clémence à l'égard du gouvernement que nous défendons, alors que ses efforts conduisent à des résultats bien plus satisfaisants.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Contexte très différent !
M. Bernard Angels. Bien sûr ! C'est trop facile !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et du budget. M. Marini ne donne pas quitus facilement !
M. Bernard Angels. Mais si vous avez bien écouté mon raisonnement, vous verrez que j'ai fait une comparaison avec les autres pays d'Europe.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je vous écoute avec grand intérêt !
M. Marc Massion. Laissez parler notre ami !
M. Bernard Angels. La baisse des déficits publics n'est pas une fin en soi.
Pourtant - et nous nous accorderons tous sur ce point - elle est fondamentale.
Je ne développerai pas cet aspect, connu de tous et sur lequel j'ai déjà eu l'occasion d'intervenir l'an dernier, mais je soulignerai simplement les deux raisons principales de cette obligation de résultat : d'une part, la réduction nécessaire de la dette publique, qui grève le budget national - 40 % des recettes fiscales supplémentaires dégagées ont ainsi été absorbées par la charge de la dette entre 1993 et 1997 - mais qui ralentit aussi les investissements productifs, et, d'autre part, l'absolue nécessité de conserver des marges de manoeuvre en matière de politique structurelle, de reconstituer nos réserves pour faire face à d'éventuels temps plus difficiles.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Cela, c'est sage !
M. Bernard Angels. Le budget pour 2000, qui s'inscrit dans le programme pluriannuel à l'horizon 2002, va incontestablement dans ce sens. En effet, le déficit de l'Etat sera réduit de 21 milliards de francs en 2000, atteignant 215,4 milliards de francs, et le budget dégagera un excédent primaire d'une vingtaine de milliards.
De plus, pour la première fois depuis vingt ans, la dette publique reculera de 60,5 % du PIB en 1999 à 59,9 % en 2000, et la charge de la dette baissera de 2,5 milliards de francs pour atteindre 234,7 milliards de francs.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Sauf que l'on continue à emprunter pour payer les dépenses de fonctionnement !
M. Bernard Angels. La politique budgétaire française est également marquée dorénavant par le choix d'un objectif de dépenses plutôt que de déficit.
Ainsi, les dépenses de l'Etat n'augmenteront que de 1 % en volume sur la période 2000-2002, quelle que soit la conjoncture. La part des dépenses publiques dans le PIB passerait ainsi d'environ 55 % en 1997 à 51 % en 2002. D'ores et déjà, alors que, de 1993 à 1997, la dépense publique de l'Etat a augmenté en moyenne de 1,5 % par an, depuis 1997, le rythme est passé à 0,3 % par an.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ce sont les faits !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. La dette coûte moins cher !
M. Bernard Angels. Pour 2000, la hausse des dépenses nettes du budget général sera nulle en volume, à hauteur de 1 685 milliards de francs à périmètre constant.
Pour autant, cette stabilisation ne nuit pas au financement de nos actions prioritaires, et ce grâce à des efforts importants d'économies et de redéploiements.
Les priorités du Gouvernement et de la majorité sont connues et maintenues depuis plus de deux ans maintenant. Il s'agit avant tout de lutter efficacement contre le chômage et de permettre au plus grand nombre de profiter des fruits de la croissance.
Ainsi, l'emploi, la justice, l'éducation, l'environnement, la culture ou la sécurité connaîtront une forte hausse grâce aux efforts de redéploiement, qui atteindront 34 milliards de francs pour l'annnée 2000.
En stabilisant les dépenses tout en engageant ou en poursuivant des actions structurelles d'ampleur, le Gouvernement est donc loin de proposer un « budget cigale », comme d'aucuns ont pu l'insinuer, mais situe son action dans un projet responsable et volontaire tant sur le plan comptable qu'au niveau des réformes entreprises.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. On ne peut pas mieux dire !
M. Bernard Angels. J'en arrive, mes chers collègues, au sujet sur lequel la majorité sénatoriale s'est montrée la plus critique : je veux parler de la fiscalité. (Exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Eh oui !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est un sujet qui nous intéresse !
M. Bernard Angels. En effet, voulant peut-être se faire pardonner les hausses d'impôt pratiquées alors qu'elle était elle-même au pouvoir (Exclamations sur les travées du RPR) ...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Touchés !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais alors, réduisez ces impôts ! Ne les percevez pas !
M. Bernard Angels. Vous êtes touchés, là !
Voulant peut-être, disais-je, se faire pardonner les hausses d'impôt qu'elle pratiquait, l'opposition tente à tout prix de démontrer que le gouvernement actuel manie également, comme elle l'a fait, la « massue fiscale ».
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Mais oui !
M. Bernard Angels. Malheureusement, comme bien souvent, le dossier des prélèvements obligatoires est abordé sous un angle inadapté, monsieur le rapporteur général.
Tout d'abord, la comparaison systématique des niveaux de prélèvements obligatoires entre les pays paraît tout à fait déraisonnable...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ah bon !
M. Bernard Angels. ... tant les structures de chaque Etat et les services publics financés par ces impôts sont différents.
M. Michel Caldaguès. C'est bien le problème !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est merveilleux !
M. Bernard Angels. Si la volonté de réduire fortement les prélèvements signifie, pour vous, la volonté de mettre à bas notre modèle social et de réduire drastiquement les prestations, il est alors clair que nous ne nous inscrivons pas dans cette école !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est ce à quoi mène votre politique !
M. Bernard Angels. Cette perspective n'effraie aucunement notre rapporteur général qui estimait, dans un article de presse du mois dernier, que les prestations d'assistance étaient trop élevées !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je disais qu'il fallait les transformer !
M. Bernard Angels. Je doute que, sur ce point, il soit suivi par une majorité de Français, et même peut-être par une simple majorité de l'opposition !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. On s'occupe de nos affaires, occupez-vous des vôtres !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Les crédits du RMI ont augmentés de 30 % en trois ans, c'est excessif !
M. Bernard Angels. Ensuite, selon M. le rapporteur général, le taux des prélèvements obligatoires n'a pas cessé de croître depuis 1997. Or, la hausse des recettes fiscales n'est que la conséquence mécanique de la croissance.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Eh bien, baissez-les !
M. Bernard Angels. En effet, chaque année, la croissance économique fait qu'il rentre plus d'impôt.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Malgré vous !
M. Bernard Angels. Quand bien même la fiscalité existante ne serait pas changée d'une année sur l'autre, celle-ci rapporterait plus à l'Etat, simplement parce que l'économie s'est développée.
La notion de prélèvements obligatoires, quant à elle, n'est qu'une donnée statistique qui agrège l'ensemble des dispositions fiscales à destination tant des particuliers que des entreprises. La prendre dans sa généralité n'a donc qu'une portée statistique ; ce qui importe, c'est de se rendre compte si, au niveau individuel, les Français et les entreprises de notre pays payent plus ou moins d'impôts ! De ce point de vue, les choses sont relativement claires : les Français font désormais plus confiance à la gauche qu'à la droite pour baisser les impôts !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Vous verrez, cela ne durera pas !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous avez intérêt à ne pas les décevoir !
M. Bernard Angels. Par ailleurs, il convient de calculer l'écart que la politique du Gouvernement, par les options choisies, apporte par rapport à cette évolution tendancielle. Ne pas tenir compte de l'évolution tendancielle n'a, en effet, aucun sens. Si l'économie s'écroulait - ce que nous ne souhaitons ni vous ni moi - et que la croissance chutait fortement, les recettes fiscales seraient plus faibles et nul ne pourrait, pour autant, se féliciter d'une quelconque baisse des impôts. Attention donc, mes chers collègues, à ne pas se tromper de débat ni à user d'arguments imprécis, voire tendancieux !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Donc, on garde le niveau d'impôts d'avant !
M. Philippe Marini, rapporteur général. On ne voit pas où il veut en venir !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il y va !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. M. Angels vient de dire que le Gouvernement ne baissera pas les impôts !
M. Bernard Angels. Depuis 1997, le Gouvernement a, au contraire, pratiqué de fortes baisses d'impôts, notamment en direction des ménages.
Les mesures prises vont toutes dans le sens d'un rééquilibrage entre la fiscalité pesant sur le travail et celle touchant le capital. Il en va ainsi du transfert cotisation-CSG, de la suppression de la base salariale de la taxe professionnelle ou des réductions ciblées de TVA. Au total, près de 40 milliards de francs de baisses d'impôts sont ainsi réalisées dans le budget pour 2000,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Les impôts baissent ?
M. Bernard Angels. ... dont 30 milliards de francs profitent directement aux ménages.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Vous ne rencontrez pas souvent les contribuables !
M. Bernard Angels. Ces mesures fortes et volontaristes font ainsi passer les prélèvements obligatoires d'Etat de 17,5 % à 16,9 % du PIB.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Au profit de ceux qui sont opérés au titre de la sécurité sociale !
M. Bernard Angels. Dans le détail, quinze milliards de francs sont la conséquence de mesures antérieures : suppression de la surtaxe de 10 % sur l'impôt sur les sociétés, soit plus de 12 milliards de francs d'allégements fiscaux en direction des entreprises, poursuite de la diminution de la taxe professionnelle engagée en 1999, soit 2 milliards de francs supplémentaires en 2000, ou crédit d'impôt pour les travaux d'entretien, à hauteur de un milliard de francs.
Vingt-quatre milliards de francs sont à mettre au bénéfice de nouvelles mesures, parmi lesquelles on peut citer le passage à 5,5 % de la TVA sur les travaux de réparation et d'entretien dans les logements, soit une baisse d'impôts de plus de 19 milliards de francs ; la baisse des droits de mutation, qui se monte à plus de 4 milliards de francs ou la suppression du droit de bail, avoisinant les 3 milliards de francs.
Ainsi, de juin 1997 à fin 2000, les 90 % de la population qui touchent les revenus les plus faibles auront bénéficié d'une forte baisse d'impôt. Dans le même temps, la pression fiscale sur les entreprises n'aura pas globalement augmenté mais sera plutôt redistribuée, la spéculation se voyant plus lourdement taxée alors que les prélèvements sur l'emploi baisseront de 20 milliards de francs environ.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Qu'est-ce qu'on appelle « spéculation » ?
M. Bernard Angels. Les baisses d'impôt sont aujourd'hui nécessaires, chacun l'admettra volontiers...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Nous sommes rassurés !
M. Bernard Angels. ... non pas dans le simple souci de bien figurer dans un classement mondial sur le taux de prélèvements obligatoires, mais, avant tout, pour soutenir la demande intérieure et rééquilibrer la charge fiscale au bénéfice du travail.
C'est en ce sens que les modalités de ces baisses sont centrales. L'impôt sur le revenu comporte, certes, des défauts qui doivent être corrigés. Pour autant, l'impôt qui, tant par son caractère injuste, son assiette que par sa répartition, pose le plus de difficultés, c'est la taxe d'habitation, qui devra faire l'objet d'un traitement de fond dans les délais les plus brefs.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Confions-le à une commission !
M. Bernard Angels. Le budget pour 2000 se situe donc bien dans la droite ligne des orientations prises par le Gouvernement et la majorité depuis deux ans en faveur de l'emploi et de la justice sociale. La politique fiscale constitue un axe majeur de réforme dans la voie d'une meilleure redistribution des richesses dans notre pays.
Pourtant, au-delà de ces questions strictement nationales, une question importante concerne l'harmonisation fiscale européenne. Elle s'avère absolument nécessaire dans une zone bénéficiant d'une monnaie unique afin d'éviter les distorsions de concurrence préjudiciables à l'ensemble des pays.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Donc, il faut faire des comparaisons !
M. Bernard Angels. Or, à ce jour, seules la TVA et les accises sont encadrées par le droit européen.
La « flibuste fiscale » est donc malheureusement à l'oeuvre en Europe.
Mario Monti avait déclaré, en 1997, que le manque de coordination fiscale était responsable d'un tiers du chômage en Europe, notamment parce que les Etats, contraints par la concurrence fiscale de baisser les impôts sur les bénéfices et l'épargne, se sont rattrapés en taxant le travail.
Cette concurrence déloyale pourrait s'aggraver avec la monnaie unique. Les travaux de l'OFCE portant sur « la concurrence fiscale en Europe », réalisés à la demande de notre commission des finances, énonçaient : « Faute de pouvoir dévaluer leurs monnaies, les gouvernements pourraient être tentés de recourir à l'arme de la concurrence fiscale et sociale pour améliorer la compétitivité de leurs entreprises et l'attractivité de leur territoire ».
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est bien ce qui se passe !
M. Bernard Angels. A Mondorf, le 13 septembre 1997, les ministres européens ont décidé la mise en place d'un « code de bonne conduite ». Concrètement, cet accord politique, non contraignant sur le plan juridique, devrait permettre l'adoption d'un « paquet fiscal » réglant la fiscalité des entreprises et la fiscalité de l'épargne. Un groupe de travail européen a été constitué et a identifié de nombreux régimes dérogatoires déloyaux. Les résultats de cette expertise seront présentés lors du conseil d'Helsinki, dans quelques semaines. Les Etats concernés seront tenus de présenter un calendrier de retour à la normale avant décembre 2002.
De son côté, la Commission de Bruxelles a adopté, en juin 1998, un projet de directive qui garantit un minimum d'imposition effective des revenus de l'épargne des particuliers.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Elle est mal partie !
M. Bernard Angels. Ce code de bonne conduite et la directive sur l'épargne sont bien loin de l'harmonisation que nous appelons de nos voeux, mais ils constituent un minimum nécessaire. Pourtant, leur adoption à Helsinki paraît très compromise, notamment du fait de la position exprimée par la Grande-Bretagne.
Aussi, monsieur le ministre, sachant que vous êtes en pleine négociation et que, ce week-end, une nouvelle réunion doit avoir lieu, pouvez-vous nous éclairer sur les chances de trouver un accord et, si tel n'était pas le cas, sur les raisons qui auraient conduit à cet échec, dramatique pour la construction européenne ?
Quoi qu'il en soit, sachez que le groupe socialiste vous soutient dans cette difficile négociation, tout comme il vous soutiendra lors de l'examen de ce projet de loi de finances pour 2000. En effet, ce texte a confirmé les orientations définies par le Gouvernement depuis deux ans avec, au coeur de cette politique, le choix majeur de l'emploi.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Très bien !
M. Bernard Angels. La continuité de la politique économique et budgétaire est la meilleure garantie de son succès. Elle a permis à notre pays, par sa pertinence, de renouer avec une croissance solidaire, de faire reculer le chômage - même si beaucoup reste à faire en ce domaine - et de rétablir le lien social.
Vous nous présentez donc, monsieur le ministre, un bon budget, responsable, ambitieux et résolument tourné vers l'avenir. Le groupe socialiste s'attachera, soyez-en certain, tout au long de la discussion qui s'ouvre, à l'enrichir, à le renforcer et à oeuvrer pour son adoption. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les allées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Mes chers collègues, nous étions convenus de terminer cette nuit la discussion générale. Mais il est bien sûr qu'il ne pourra en être ainsi que si chacun respecte le temps de parole qu'il a annoncé.
La parole est à M. de Villepin. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Xavier de Villepin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la discussion budgétaire se déroule, cette année, dans un contexte économique très favorable.
L'optimisme ambiant ne doit cependant pas nous faire oublier les menaces extérieures, qui persistent. Il faut, à ce propos, tirer les conséquences des crises cycliques qu'a déjà connues le système financier mondial.
Plus préoccupantes encore sont sans doute les faiblesses du capitalisme européen dans son ensemble face à ses principaux concurrents, en premier lieu les Etat-Unis. C'est vrai en matière de développement des nouvelles technologies.
En France, cette lacune se double d'une grande dépendance vis-à-vis du capital extérieur.
Par ailleurs, dans une conjoncture favorable, le Gouvernement sacrifie l'avenir au profit de considérations à court terme : les dépenses de fonctionnement progressent de nouveau au détriment des investissements publics.
Le projet de budget qui nous est soumis ne paraît pas à la hauteur des défis que la France doit relever dans le cadre de la mondialisation.
Il est vrai que la conjoncture internationale s'est nettement améliorée. Ce constat doit être nuancé, et ce sera le premier axe de mon propos.
Chacun se souvient de la grande réunion du Fonds monétaire international à Washington, en octobre 1998. Les principaux participants craignaient alors une catastrophe financière majeure et s'inquiétaient de l'évolution de la situation des pays asiatiques et de la Russie.
Un an après, les choses ont quelque peu changé. L'Asie, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, retrouve peu à peu les chemins de la croissance. La reprise asiatique devrait, cette année, ajouter près de 4 % au commerce international. L'économie américaine n'en finit pas de nous surprendre. Quant à l'Europe occidentale, elle touche en quelque sorte les dividendes de l'embellie de la situation internationale. La zone euro est entrée de nouveau dans un cycle de croissance sain : 12 % d'inflation en rythme annuel pour 2,1 % de croissance environ en 1999.
Cette amélioration intervient après un ralentissement de l'activité particulièrement sensible au début de l'année en Italie et, surtout, en Allemagne, pays plus durement touché que les autres par les crises asiatique et russe.
Cependant, la croissance économique actuelle reste fragile et dépend, en grande partie de facteurs extérieurs, monsieur le ministre. Une menace réelle pèse sur l'économie mondiale. Nous ne pouvons écarter totalement une crise financière, voire boursière.
La crise dite « asiatique » a eu le mérite de dévoiler les faiblesses cachées par deux décennies de croissance forte au sein même des économies émergentes, avec des systèmes bancaires et financiers insuffisamment robustes, des mécanismes de surveillance défaillants et des taux de change trop rigides. Mais c'est le mode de fonctionnement de l'économie mondiale qui est en cause.
Depuis la fin des années quarante, l'économie internationale s'est transformée. D'une économie fondée sur l'activité, elle est devenue une économie de crédit bâtie sur l'endettement, tant interne qu'externe. Au Mexique, en Russie comme en Asie, les grandes banques internationales ont fait preuve d'une gestion approximative des risques, multipliant les engagements hasardeux, provoquant l'afflux de capitaux à court terme à caractère spéculatif.
Faisant fi des enseignements des dernières crises, des établissements bancaires, aux Etats-Unis comme en Europe, persistent dans ces pratiques et mettent en péril l'équilibre du système financier international.
La mondialisation exige donc l'excellence de la gestion de l'ensemble des systèmes financiers, y compris ceux des pays développés. Si le FMI a su étendre peu à peu son champ d'intervention, il reste à rendre plus contraignantes les normes de gestion publique et privée applicables aux pays désireux d'avoir accès aux marchés internationaux de capitaux.
Il faudrait également mieux coordonner l'action des autorités monétaires des pays membres du G 7 et des principales institutions financières internationales.
Ma seconde inquiétude réside dans le fait que la croissance européenne redémarre, mais sans atteindre le niveau américain.
Les résultats économiques très flatteurs obtenus par les Etats-Unis depuis plus de huit ans tranchent par rapport à la faible augmentation du PIB en Europe sur la même période. La cause de ce phénomène est d'ordre structurel. Les Américains savent mieux que nous tirer parti du développement des nouvelles technologies.
Rappelons que les dépenses en recherche et développement atteignent près de 3 % de la richesse nationale aux Etats-Unis, soit un point de plus qu'en Europe, et que le capital-risque y est deux fois plus élevé. Conséquence de ce dynamisme, le chômage aux Etats-Unis touche seulement 4,2 % de la population active, contre 9,3 % en Europe et 11 % en France.
Mais, de façon plus générale, l'un des problèmes majeurs des économies européennes réside dans une difficulté d'adaptation des dirigeants et des citoyens aux nouvelles conditions de fonctionnement du capitalisme de marché. C'est vrai surtout pour la France, monsieur le ministre, comme le montre le récent et excellent ouvrage d'Erik Izraelewicz.
Du fait de la globalisation, le capitalisme d'Etat, irrémédiablement condamné dans les années quatre-vingt, se serait transformé, dans notre pays, en un capitalisme sans capital, particulièrement vulnérable devant les investissements étrangers.
Ainsi, la part des investisseurs internationaux serait passée dans l'Hexagone de 10 %, en 1985, à plus de 40 %. Aucun autre pays développé ne connaît un tel phénomène.
Aux Etats-Unis, la part des capitaux d'origine extérieure atteint à peine 7 %. Elle est de 10 % en Allemagne, de 15 % au Royaume-Uni, et je le répète, de plus de 40 % en France.
Les sociétés du CAC 40 sont majoritairement détenues par des investisseurs institutionnels américains.
Une entreprise comme Alcatel a vu subitement ses actions perdre 38 % de leur valeur en quelques heures, le 17 septembre 1998. (M. le ministre sourit.) Les investisseurs anglo-saxons ont voulu signifier ainsi qu'il fallait désormais compter avec eux et que leurs arbitrages en matière de placements étaient strictement régis par des critères de rentabilité.
Il ne s'agit pas d'évoquer avec nostalgie l'époque révolue d'une certaine forme de capitalisme replié sur lui-même. Les investisseurs internationaux sont utiles au développement de l'économie mondiale. N'oublions pas d'ailleurs que la France, troisième pays d'accueil des investissements étrangers, est le quatrième investisseur mondial.
Nous devons néanmoins nous interroger sur les moyens dont dispose notre économie pour se protéger - j'aimerais beaucoup vous entendre à cet égard, monsieur le ministre - contre les conséquences de la volatilité de certains capitaux.
A ce propos, la création de fonds d'épargne retraite, dont les placements pourraient renforcer les fonds propres de nos entreprises, constituerait sans doute un facteur de stabilisation du capital des entreprises tout en relativisant l'influence des investisseurs internationaux. Tel est l'objet d'une proposition de loi adoptée au Sénat le 14 octobre dernier, sur l'initiative notamment de mon groupe parlementaire.
Je me réjouis, à cet égard, que l'idée de créer des fonds d'épargne retraite s'impose peu à peu au sein de la société civile comme chez les responsables politiques, et ce au-delà des clivages traditionnels.
Un autre moyen de renforcer le capital des entreprises est évidemment le développement de l'actionnariat salarié, qui est par ailleurs l'élément indispensable d'un véritable partenariat social. Le Sénat en débattra le 16 décembre prochain et une autre proposition du groupe de l'Union centriste sera examinée à cette occasion.
Revenons maintenant au projet de loi de finances que le Sénat examinera au cours des trois prochaines semaines. Il n'est pas, monsieur le ministre - et, à cet égard, je me distingue de mon éminent prédécesseur à cette tribune - à la mesure des exigences qu'impose la globalisation à l'économie française. Ce sera la seconde partie de mon propos.
Afin de consolider la croissance en France, il faudrait que le travail et sa productivité augmentent très fortement et que l'investissement atteigne les normes internationales de rentabilité.
Ce n'est malheureusement pas le cas actuellement, du fait du caractère excessif des dépenses publiques et des charges pesant sur le travail.
Le projet de budget en tant que tel, sorti de son contexte, peut paraître vertueux - il l'est, et d'ailleurs je vous en donne acte - avec la réduction du taux des déficits publics prévue en 2000.
Mais, au-delà des apparences, la politique économique et budgétaire du Gouvernement souffre de deux défauts majeurs : l'effort de réduction du déficit s'avère insuffisant par rapport à celui de nos partenaires européens ; de surcroît, cette politique n'est pas à même de réduire de façon significative le taux de chômage.
Je sais bien qu'on nous fait quelques promesses à dix ans, mais vous permettrez à ceux qui ont des cheveux blancs d'être inquiets.
Mme Hélène Luc. C'est tout de même mieux qu'avant !
M. Xavier de Villepin. S'agissant du déficit et des dépenses publiques, je ne reviendrai pas sur les astuces de présentation du Gouvernement : des débudgétisations massives, certaines dépenses sous-estimées. Ces manipulations ont été excellemment dénoncées par nos collègues Alain Lambert et Philippe Marini. Qu'ils en soient remerciés !
Une chose est certaine : le poids des dépenses publiques rapporté au PIB est encore égal à 54,2 %, soit 6 points au-dessus de la moyenne de la zone euro et 15 points au-dessus de la moyenne du G7.
L'effort de réduction du déficit connaît, en fait, un net ralentissement depuis 1998, alors que les recettes fiscales sont très importantes. Si l'on compare le taux des déficits publics des différents pays européens en 1999, la France est en retard vis-à-vis de la plupart de ses partenaires. C'est vrai, justifié, prouvé.
Il est un autre fait inquiétant ; je veux parler de la forte augmentation des dépenses civiles de fonctionnement. L'ensemble des rémunérations et charges de personnel devraient augmenter de 3,7 % en 2000, soit plus que le taux de croissance.
L'augmentation des dépenses de fonctionnement reste ainsi forte et l'investissement public est de nouveau sacrifié, s'agissant notamment des dépenses militaires. Ce n'est pas l'intérêt de notre pays. Nous y reviendrons lors de l'examen du budget de la défense.
Une réduction durable des dépenses publiques passe par l'instauration de nouvelles règles de gestion de l'Etat, à caractère patrimonial, idée chère à notre collègue Jean Arthuis et au groupe de l'Union centriste. Les récents événements viennent de nous donner raison avec le rapport de M. Jean-Jacques François.
Ce document, dont la Haute Assemblée a obtenu non sans mal la communication, vient de dénoncer les graves dysfonctionnements de la comptabilité publique : des dizaines de milliards de francs seraient en jeu ! De son côté, le Parlement doit jouer son rôle et engager, dès qu'il le peut, des procédures d'enquête sur l'utilisation des deniers publics.
Des économies sont donc possibles par les administrations publiques. Il reste encore des marges de ressources inutilisées dans le secteur productif.
Afin d'obtenir une réduction significative du taux de chômage et de se rapprocher ainsi de la situation de pays comme les Pays-Bas ou les Etats-Unis, nous devons introduire plus de dynamisme et de liberté dans l'économie.
En matière de prélèvements sur les entreprises, la vertu du Gouvernement n'est qu'apparente. Comme pour 1999, le projet de budget pour 2000 affiche, en effet, une réduction d'impôt sur les entreprises. Or, si l'on tient compte de l'ensemble des mesures prises depuis 1997, y compris les réductions de cotisations liées au passage aux 35 heures, on aboutit à un prélèvement net sur le secteur productif de 1,5 milliard de francs, selon les études dont nous disposons. La France ne pourra pas vivre durablement avec un taux de prélèvement sur les entreprises supérieur à celui de ses principaux partenaires.
L'une des conséquences de cette situation est que l'investissement français reste en deçà de la moyenne européenne, comme le constate une excellente étude du secrétariat d'Etat à l'industrie.
Le plus préoccupant pour l'avenir est que le contenu en innovation de l'investissement est insuffisant : seules 40 % des entreprises françaises déclarent investir dans la recherche. Au cours de sa vie, une PME sur quatre dépose un brevet, alors qu'aux Etats-Unis et au Japon, que vous connaissez très bien, on atteint des taux de 40 % à 60 %.
Pis, le capital humain de nos entreprises, constitué en particulier d'ingénieurs et de chercheurs, serait menacé d'une nouvelle fuite des cerveaux. C'est l'une des conclusions du premier séminaire franco-américain sur l'innovation, qui s'est déroulé en octobre dernier.
Un Etat trop dispendieux, une initiative privée bridée par des charges fiscales et administratives excessives sont autant d'éléments de ce qui constitue actuellement la très regrettable « exception française » !
Fort heureusement, il semble bien qu'au sein même de la majorité gouvernementale un certain nombre de leaders aient acquis la conviction du caractère inexorable de nouvelles et profondes réformes de structure - et je tiens à féliciter ceux qui le disent publiquement - réformes sans lesquelles notre pays ne serait pas le mieux armé dans la perspective des nouveaux défis qu'il devra relever demain au sein d'une économie ouverte.
Je citerai un grand auteur que vous aimez bien, monsieur le ministre : Jaurès,...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ah !
M. Xavier de Villepin. ... qui disait, en d'autres temps, qu'« il ne peut y avoir révolution que là où il y a conscience ! »
Dès à présent, il appartient à l'opposition et à sa représentation au Sénat de présenter aux Français un autre projet politique. Ce sera l'objet de nos débats jusqu'au 14 décembre, en votre présence, monsieur le ministre.
N'ayant pas utilisé le temps que vous m'aviez accordé, monsieur le président, je tiens à rendre hommage à l'excellent travail réalisé par mon ami Alain Lambert et par notre rapporteur général.
Sous le bénéfice des observations que j'ai présentées, le groupe de l'Union centriste votera donc les propositions d'amendements et suivra les différents avis de la commission des finances sur le projet de budget pour l'an 2000. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Lachenaud.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, « illusion budgétaire, illusion fiscale », tel serait le titre de mon intervention si la tradition sénatoriale me conduisait à donner un titre aux quelques minutes que je vais consacrer au débat budgétaire, au nom du groupe des Républicains et Indépendants, après mon collègue, ami et éminent sénateur Roland du Luart.
L'illusion fiscale, je l'avais dénoncée à l'occasion du débat sur les orientations budgétaires. Mais les questions que j'avais formulées étaient restées sans réponse.
J'avais également fait un pronostic : celui que nous apprendrions ce qu'il en serait de la fiscalité pour l'an 2000 non pas au Sénat, non pas même à l'Assemblée nationale, dont les compétences en matière budgétaire et fiscale, qui sont précisées dans la Constitution, sont estimées et considérées comme supérieures, mais par la presse durant l'été. C'est effectivement par cette voie que nous avons eu connaissance de la « sauce fiscale » de l'an 2000 ! Puis il y a eu le débat à l'Assemblée nationale.
C'est en fonction des décisions et des orientations qui ont été prises au cours des derniers mois en matière de politique fiscale que je souhaite formuler quatre observations.
La première est, à mon sens, très grave : il existe une rupture de l'unité et de l'universalité du budget en matière fiscale. Elle est soulignée de manière tout à fait sérieuse et approfondie dans le rapport général de notre collègue M. Marini.
Monsieur le ministre, je vous pose donc la question : comment se fait-il que le ministre des finances, qui est traditionnellement attaché à l'unité, à l'universalité du budget, et au fait que ce dernier intègre l'ensemble des ressources, ait pu accepter cette séparation due à la difficulté de financement de la loi de financement de la sécurité sociale et des trente-cinq heures ?
Je vois une explication possible : vous avez voulu éviter la contagion d'un budget social en déshérence complète, au rythme de dépenses accéléré et aux déficits incontrôlés. Mais peut-être en aurez-vous une autre ?
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Certainement !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Cette rupture de l'unité et de l'universalité des ressources inscrites au budget constitue une violation flagrante de l'esprit de l'ordonnance de 1959, ce que rappelle aussi collègue Marini dans son rapport. Nous nous posons donc très sérieusement la question de savoir s'il ne faudrait pas engager une réforme de cette ordonnance afin de mieux la positionner par rapport à la réalité des ressources fiscales, c'est-à-dire des ressources de l'Etat et des ressources du système social.
Cette année, nous constatons, outre cette rupture de l'unité et de l'universalité du budget, une très grande instabilité des régimes des comptes d'affectation spéciale : une fraction importante des droits sur les alcools et sur les tabacs ainsi que du produit de la taxe sur les activités polluantes et un nouvel impôt, la taxation des heures supplémentaires, sont affectés à la sécurité sociale.
Cette instabilité rend impossible la comparaison d'une année sur l'autre. C'est vraiment une violation de l'esprit de l'ordonnance de 1959. C'est aussi, dans une certaine mesure, une marque de mépris et une atteinte aux droits fondamentaux du Parlement, dont le rôle est de voter l'impôt, un impôt dont les ressources, limitatives, permettent d'équilibrer les budgets.
On peut également s'interroger sur l'imbrication croissante, année après année, de la fiscalité de l'Etat et de la fiscalité des collectivités locales, qui a été évoquée tout à l'heure par l'un de nos collègues et qui marque une tendance inquiétante. Il est bon que la fiscalité des différentes collectivités locales soit séparée de la fiscalité de l'Etat ; cela devrait être une orientation de la réforme fiscale dans les années à venir.
A quoi assiste-t-on ? D'abord, à la réforme de la taxe professionnelle et, dans le projet de budget pour 2000, à la réforme des droits de mutation. Demain, on assistera, très vraisemblablement, à la réforme de la taxe d'habitation, si l'on en croit les indications communiquées par le Premier ministre à la presse. C'est toujours la presse qui a la primeur des informations dans le domaine fiscal !
M. Jacques Oudin. Ça, c'est vrai !
M. Jean-Philippe Lachenaud. A chaque fois, vous êtes obligé de prévoir des mécanismes de compensation qui contribuent à cette imbrication et, par la même, à un affaiblissement de la responsabilité de chacune des collectivités et de l'Etat en matière de décision fiscale. C'est un processus tout à fait dommageable auquel il faudrait mettre un terme. Cette rupture de l'unité et de l'universalité budgétaire rend difficile l'appréciation de la réalité fiscale et porte vraiment atteinte aux droits du Parlement.
Ma deuxième observation - qui est évidemment tirée du rapport de M. Marini, dont je voudrais approfondir l'analyse - porte sur la manière dont l'évaluation des ressources est faussée en 1999. La question n'est pas de savoir s'il en est vraiment ainsi ou non ; elle est de savoir de combien cette évaluation est faussée.
Dans le rapport qui accompagne la loi de finances, les excédents de recettes par rapport aux prévisions pourraient être, selon vous, de 6 milliards à 9 milliards de francs. Dans le rapport présenté par le rapporteur général, on va jusqu'à avancer les chiffres de 30 à 40 milliards de francs. Vos dénégations, monsieur le ministre, ne nous ont pas convaincus. Nous ne savons donc pas s'il s'agit de 20 ou 25 milliards de francs ou de 10 ou 15 milliards de francs. Mais le point important, c'est que les bases de 1999 sont faussées, et nous aimerions savoir de combien.
Tout à l'heure, vous avez indiqué que M. Marini aurait procédé par extrapolation et même qu'il était le prince de l'extrapolation. Mais ce n'est pas du tout ainsi qu'il a procédé et ce n'est pas ainsi que j'ai lu le rapport !
Moi, j'ai lu qu'au mois de juillet et au mois de septembre on avait établi une coupe photographique et que l'on avait fait des comparaisons sur plusieurs années, ce qui a permis d'évaluer les perspectives de ressources complémentaires. Nous avons cependant ajouté, à titre de prudence - prudence extrêmement importante ! - qu'au cours des mois de novembre et de décembre se produisent des mouvements quelque peu erratiques d'une année sur l'autre, mouvements de renvois d'excédents ou de prélèvements supplémentaires, notamment en matière de TVA. Tout entrepreneur, toute entreprise qui sait comment fonctionne la TVA comprend très bien ces mécanismes qui se produisent en fin d'année, compte tenu de la politique adoptée, notamment en matière de remboursements, et l'on comprend bien qu'il puisse se produire des glissements d'un trimestre à l'autre.
Ces difficultés d'évaluation n'occultent pas le fait que l'impôt sur les sociétés aura augmenté de 18 % - je dis bien 18 %, c'est un chiffre incontestable.
Quant à l'impôt sur le revenu, il aura augmenté de 8 %.
Si je prends pour exemple les impôts directs, c'est parce qu'ils ne sont pas liés à l'activité économique. Il y a donc bien une véritable augmentation, une augmentation sensible, des prélèvements et sur les entreprises et sur les ménages.
Alors, nous nous sommes demandé pourquoi. Une première réponse vient à l'esprit : c'est parce que le ministre des finances veut faire une cagnotte !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Oh !
M. Jean-Philippe Lachenaud. C'est un réflexe de bon gestionnaire. D'ailleurs il m'est arrivé à moi-même, en tant que maire ou président de conseil général, de sous-évaluer les recettes et de bien apprécier les dépenses,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Quel aveu !
M. Jean-Philippe Lachenaud. ... de manière à me constituer une cagnotte. Au fond, c'est un élément de bonne gestion que cet excédent !
Puis je me suis dit que ce n'était sans doute pas l'explication et qu'il s'agissait plutôt d'une cagnotte pour l'an 2000 et l'an 2001. Suivez mon regard : il y aurait peut-être des élections en 2001 auxquelles le Premier ministre voudrait se préparer et une cagnotte serait la bienvenue !
L'explication technique est dans le rapport de M. Marini ; c'est l'idée de lisser par glissements successifs la réduction du déficit budgétaire. C'est peut-être la solution.
Ma question est donc double, monsieur le ministre.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Quelle imagination !
M. Jean-Philippe Lachenaud. J'ai peut-être trop d'imagination.
Quelle est l'évaluation réelle des recettes qui servira de base pour l'an 2000 ? Sera-t-elle de près de 80 milliards de francs de recettes nouvelles ou bien faut-il ajouter 30 milliards, ce qui ferait 110 milliards ? S'il faut ajouter 20 milliards, cela fera 100 milliards de francs de plus de recettes nouvelles en l'an 2000 et donc des moyens d'action extrêmement importants.
Les conséquences de cette sous-évaluation des recettes sont évidentes. C'est une occasion manquée de réduire plus les impôts et c'est une occasion manquée de réduire plus le déficit. C'est même une occasion doublement manquée, parce qu'on l'a manquée en 1999 et parce qu'on la manque de nouveau en l'an 2000. Vraiment, monsieur le ministre, nous attendons des explications complémentaires sur ce point !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Cela va crescendo !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Les impôts vont crescendo !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Toujours plus d'impôts, toujours plus de prélèvements, c'est évidemment contraire à l'objectif affiché par M. Strauss-Kahn, et par vous-même, d'ailleurs, puisque vous avez indiqué que votre action s'inscrivait dans la continuité à cet égard.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Absolument, et j'en suis fier !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Quel sera donc le taux de prélèvement : 45,3 %, 45,6 %, 45,7 % ? On le saura l'année prochaine. Pour le moment, vous allez pouvoir me dire que ces prélèvements n'augmentent pas. Autrefois, dans les cours de finances publiques, courait, sous forme de plaisanterie, une recette miraculeuse pour les spécialistes des impôts, qui consistait à « demander plus à l'impôt et moins aux contribuables. »
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est Edgar Faure qui disait cela !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Oui, c'est Edgar Faure.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'était un bon centriste !
M. Jean-Philippe Lachenaud. La formule a été reprise comme un bon conseil de gestion sans que personne ait d'ailleurs trouvé la solution !
Maintenant, nous nous trouvons en présence de ce que M. Marini a très gentiment appelé le « théorème Dominique Strauss-Kahn », théorème que vous reprenez à votre compte. Ce théorème dit : l'impôt produira davantage et les prélèvements baisseront en pourcentage. Eh bien, ce n'est pas ce qui s'est passé !
Tout d'abord, les impôts ont augmenté, et vous pouvez en demander la confirmation aux ménages et aux entreprises : ils ressentent tous un alourdissemnt de la fiscalité.
Par ailleurs, la réalité statistique est inverse, puisque le taux de prélèvement semble atteindre 45,6 %. En fait, et le rapport de M. Marini le montre excellement, l'excédent de prélèvement est de l'ordre de 0,8 point du PIB.
C'est une réalité incontournable, et ce que l'on appelle le théorème Dominique Strauss-Kahn est devenu, à mon sens, le paradoxe Dominique Strauss-Kahn, démenti par les faits. J'espère que cela ne deviendra pas un sophisme ! Voilà, en tout cas, la question que nous nous posons.
Ma quatrième remarque concerne votre méthode et votre approche des réformes fiscales, sur lesquelles je suis longuement intervenu lors du débat d'orientation budgétaire.
Commençons par un petit « discours sur la méthode ». (Sourires.)
La méthode est contestable, et c'est toujours la même : on commence par réaliser une étude qui reste purement interne à l'administration et, ensuite, on fait une annonce à la presse pendant l'été, tout cela étant fondé sur des simulations imparfaites. C'est une démarche tout à fait contraire à la démocratie parlementaire, et surtout inefficace. En effet, le résultat en est que l'on ne se rend pas compte des difficultés que l'on va rencontrer avec ses partenaires à l'Assemblée nationale, qui démontreront tout le système, et que l'on ne peut prendre connaissance des réactions des professionnels ni celles des élus ou des spécialistes des questions fiscales.
Personnellement, je pense que c'est votre méthode d'approche qui entraîne les difficultés. Le Sénat a beau dire : « Sur le droit de bail vous vous "plantez" », il n'est ni suivi ni écouté. Une autre méthode de travail et de réflexion donnerait des résultats plus efficaces.
Par ailleurs, nous avons le regret de constater que, dès que la discussion s'engage à l'Assemblée nationale, le Gouvernement cède à des pressions démagogiques.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Oui, il est victime de sa majorité !
M. Jean-Philippe Lachenaud. On l'a constaté voilà quelques semaines encore. Qu'est devenue le régime fiscal des créateurs d'entreprises ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Disparu !
M. Jean-Philippe Lachenaud. L'indexation du barème de l'ISF, où est-elle ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Disparue !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Et l'article 57, où est-il ? Maintenu ?
Voilà quelques exemples qui illustrent parfaitement les difficultés que vous éprouvez à gérer la réforme lors du passage à l'Assemblée nationale.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Barre, lui, utilisait l'article 49-3 pour faire adopter son projet de budget !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Si l'on est convaincu de l'efficacité d'une réforme et de son opportunité du point de vue démocratique et fiscal, il vaut peut-être mieux agir ainsi plutôt que d'accepter, sous le coup de l'émotion, sous le coup des événements, sous le coup des médias ou sans la pression de tel ou tel groupe parlementaire, des modifications au projet de loi.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument ! M. Barre avait raison.
Mme Marie-Claude Beaudeau. La démocratie du 49-3, parlons-en !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Je vais risquer une formule, monsieur le ministre : avec cette méthode, votre réforme fiscale est une « réforme à géométrie plurielle. »
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Et cela ne peut être une bonne géométrie fiscale.
En tout cas, ce qui ne facilite pas notre travail, c'est que l'évaluation des coûts et des rendements des réformes fiscales est un peu fantaisiste ; ce n'est d'ailleurs pas récent.
Mme Hélène Luc. Ça oui !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Je ne reviens pas sur la question de savoir si on nous donne les renseignements en temps voulu ; je me suis suffisamment exprimé à cet égard.
Quoi qu'il en soit, je n'ai pas eu en mains personnellement et la commission des finances, n'a reçu que tardivement les renseignements relatifs à la TVA, notamment sur les possibilités et les hypothèses de baisse de TVA dans différents secteurs, à savoir celui des services aux personnes, celui de la restauration ou celui du logement.
J'approuve, pour ma part, la décision qui a été prise en matière de logement.
Je pense qu'elle mériterait de faire école dans d'autres secteurs. Je n'ai d'ailleurs pas très bien compris pourquoi on n'avait pas pu faire bénéficier d'autres secteurs de dispositions qui ont eu cours dans d'autres Etats d'Europe.
Au demeurant, l'important est de savoir exactement combien coûtera le dispositif ou bien combien rapportera le nouvel impôt.
Or, j'ignore comment fonctionnent les ordinateurs de votre grande maison, mais nous avons l'impression d'un flou et d'un vague extrême, notamment dans l'évaluation des ressources nouvelles ou des pertes, qui peut donner lieu à des écarts absolument faramineux.
Toujours sur la réforme fiscale, je formulerai une dernière remarque.
Monsieur le ministre, le Gouvernement cède aux effets d'annonce dictés par un calendrier politique, et cela est inacceptable ! Il n'est pas admissible de pouvoir lire des propos tels que ceux que M. le Premier ministre a laissé paraître dans France-Soir voilà trois jours : ne nous occupons pas de l'an 2000, ne nous occupons pas de la loi de finances, disait-il en substance. L'avenir va être merveilleux. L'an prochain, la loi de finances pour 2001 comprendra une réforme de la taxe d'habitation - peut-être y aura-t-il des municipales en 2001 ? - et une réforme de l'impôt sur le revenu, ce qui revenait à dire : on ne vous a peut-être pas tout à fait convaincus que les impôts ont baissé, mais au moins rêvez et pensez à des lendemains qui chantent en imaginant la réforme fiscale de 2001. Franchement, cet effet d'annonce, cette prise en compte du calendrier politique et cette dévalorisation du débat budgétaire pour 2000 sont très discutables.
J'en arrive à ma conclusion, en espérant ne pas être intervenu trop longuement.
Vous avez parlé, monsieur le ministre, de cercle vertueux de la politique budgétaire. Je parlerai de nouveau, l'ayant déjà fait, du cercle vertueux de la politique fiscale.
Ce cercle vertueux doit répondre à trois objectifs. C'est une figure géométrique un peu bizarre qu'un cercle qui doit passer par trois points en même temps, mais enfin on va tenter cela !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Par trois points, il passe toujours un cercle !
M. Jean-Philippe Lachenaud. Par une infinité de points, ce qui rend la réforme fiscale infiniment complexe ! Nous en apprécions et nous en comprenons bien la difficulté.
Les trois objectifs habituellement annoncés sont la justice sociale, le rendement et le dynamisme économique.
A notre avis, ces trois objectifs sont mal pondérés et un mauvais équilibre s'établit entre eux. Mais vous allez essayer, à travers le projet de loi de finances pour 2001, d'y remédier.
S'agissant de la justice sociale, c'est clair, votre sentiment est différent du nôtre. Vous estimez que c'est la préoccupation majeure de toute réforme fiscale. Je vous mets en garde contre des retombées imprévisibles, mais aussi contre les limites d'une telle réforme. En effet, quand la moitié des foyers ne paient pas d'impôts, il devient difficile d'améliorer leur sort en réduisant les impôts !
Par ailleurs, toujours sur le plan social, vous n'avez pas résolu le problème important de l'épargne salariale. Vous dites y travailler. Nous espérons que vous parviendrez à trouver une solution pour améliorer le financement des retraites.
J'en viens au rendement.
Le rendement, vous l'avez : la croissance le donne. Les impôts sont élastiques, comme on dit, et leur rendement augmente encore plus vite que la croissance en valeur. Mais soyons bien conscients du fait qu'une réforme fiscale est plus facile à mettre en oeuvre en période de rendement croissant des impôts qu'en une période moins favorable aux finances publiques.
Vous avez manqué quelques occasions en 1999. A notre sens, vous en manquez d'autres en l'an 2000 : vous auriez pu faire un peu mieux sur la réduction de la TVA, un peu mieux sur l'impôt sur le revenu et vous auriez pu faire peser un peu moins d'impôts nouveaux sur les entreprises.
Le rendement attendu des années 2000 et 2001 devrait normalement vous permettre d'élaborer une réforme significative.
Ce qui nous chagrine le plus, c'est que l'argument du dynamisme économique - qui est vraiment, à nos yeux, l'objectif fondamendal de toute réforme fiscale - argument indispensable dans le climat de concurrence européenne, voire mondiale, qui est le nôtre, semble vous avoir convaincu, mais que, malgré vos bonnes intentions, au premier obstacle, vous reculez, vous abandonnez vos projets ; c'est très regrettable.
Si l'on prend, par exemple, le cas des moyennes entreprises, on constate qu'une entreprise ayant un chiffre d'affaires compris entre 50 millions de francs et 250 millions de francs acquitte aujourd'hui plus d'impôts qu'hier. Elle est, certes, gagnante en matière de taxe professionnelle avec la suppression de la contribution exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, mais elle est perdante avec la contribution sociale sur les bénéfices et elle le sera avec le financement des 35 heures, ainsi qu'avec la taxe générale sur les activités polluantes.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Elles est gagnante en matière de cotisations sociales.
M. Jean-Philippe Lachenaud. Il faut voir !
Je souhaiterais que soit dressé le bilan d'une de ces entreprises ayant un chiffre d'affaires de 100 à 200 ou 300 millions de francs ; je ne parle pas des très grandes entreprises. Je suis certain que les petites et moyennes entreprises sont pénalisées par l'évolution de la fiscalité et que rien n'a été réellement fait pour accroître leur dynamisme, leur capacité d'exportation et d'investissement.
De même, je souhaiterais que soit dressé un bilan de l'épargne risquée investie - je ne parle pas de celle qui dort : vous pouvez estimer qu'elle doit être surtaxée et caricaturer facilement notre position - je souhaiterais, disais-je, que soit dressé un bilan de l'épargne et de son régime de taxation au cours des dernières années, car je pense que l'épargne risquée, investie, est taxée plus lourdement aujourd'hui que voilà quelques années.
Mais il y a plus grave, et je l'avais déjà indiqué lors du débat sur les orientations budgétaires. Je suis en effet l'une de ces innombrables personnes, chefs d'entreprise, élus, qui essaient de vous montrer que le statut de l'entrepreneur n'est pas, chez nous, à la hauteur de ce qu'il est à l'étranger, que notre régime des stocks-options est l'un des éléments, parmi beaucoup d'autres, qui pénalisent l'entrepreneur dynamique et innovant en France. Nous ne sommes pas encore parvenus à vous convaincre, et nous le regrettons très sincèrement.
Il faut que vous placiez le dynamisme économique au premier rang de vos préoccupations en 2000 et aussi en 2001, puisque les réformes fiscales sont, pour l'essentiel, reportées à l'année suivante.
Cela me permet de conclure que l'équilibre de la réforme fiscale est mal assuré et que la méthode n'est pas satisfaisante, que la situation des finances publiques pour l'an 2000 montre bien que nous continuons à travailler sur toute une série de chiffres illusoires. Dès lors, l'affirmation selon laquelle les prélèvements obligatoires baisseraient heurte le sens commun, s'oppose à la conviction des ménages et des chefs d'entreprise et contredit les réalités statistiques.
Telles sont les raisons pour lesquelles les membres du groupe des Républicains et Indépendants et moi-même apporterons notre soutien aux propositions de la commission des finances. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disons les choses clairement, ce budget pour l'an 2000 n'est ni sincère, ni maîtrisé, ni porteur d'avenir ; ce sont beaucoup de défauts pour la première année de ce nouveau siècle.
Il n'est pas sincère parce que vous vous êtes ingénié, monsieur le ministre, à occulter, à cacher et parfois même à tronquer certains chiffres.
Il faut dire que la juxtaposition d'une loi de finances qui dépend de vous et d'une loi de financement de la sécurité sociale dont la maîtrise revient à votre collègue le ministre de l'emploi et de la solidarité vous facilite bien la tâche et celle du Gouvernement.
Le Parlement et, donc, la nation n'ont plus la vision globale des finances publiques, non plus que des prélèvements obligatoires, qui sont le fondement du droit budgétaire, ainsi que notre rapporteur général l'a rappelé dans son excellent rapport.
Les trois règles essentielles du budget sont l'unicité, l'universalité, l'annualité. L'article 2 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 précise que « la loi de finances de l'année prévoit et autorise pour chaque année civile l'ensemble des ressources et des charges de l'Etat ».
Ce n'est, malheureusement, désormais plus le cas.
Prenons l'exemple de la TGAP, la taxe générale sur les activités polluantes, dont nous reparlerons beaucoup tout au long de ce débat, après l'avoir évoquée également tout au long de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale. L'an dernier, cette taxe figurait à l'article 30 de la loi de finances que vous présentiez. Cette année, elle n'y figure pas, alors qu'elle devrait rapporter à l'Etat 3,2 milliards de francs. Sa création est décidée par un texte, son extension par un autre et, comme les besoins qu'elle est amenée à financer sont énormes, puisqu'il s'agit des 35 heures, son produit risque de quadrupler en 2001. Quel texte en décidera ? La loi de financement de la sécurité sociale ou la loi de finances ?
J'ai déjà dénoncé, dans mon avis sur la loi de financement de la sécurité sociale, les interactions nombreuses, et parfois peu claires, entre ces deux textes. M. le rapporteur général l'a également fait dans son rapport.
J'ai montré qu'en quatre exercices budgétaires cette séparation entre deux modes d'instauration de prélèvements obligatoires avait permis à l'Etat, par l'intermédiaire de son budget, de faire preuve d'une apparente modération alors que, d'un autre côté, le même Etat, par la loi de financement de la sécurité sociale, faisait étalage d'une imagination débordante pour créer de nouvelles taxes et augmenter les assiettes ou les taux de taxes existantes. J'en ai dénombré douze ! Tout cela est excessif.
Personne n'a désormais une vision claire et globale des finances publiques et des prélèvements obligatoires.
La consolidation des comptes publics et sociaux évoquée et traitée par le président de la commission des finances et le rapporteur général est une tâche de clarification indispensable, à laquelle je souhaite d'ailleurs apporter mon concours.
Dans le domaine des dépenses, je vous reproche de ne pas avoir fait figurer au budget la totalité des dépenses qui auraient dû y être inscrites. Je développerai ce point dans mon rapport spécial sur les crédits de la santé et de la solidarité. Les crédits de ce budget sont, à mon avis, sous-estimés d'environ 6 milliards de francs.
Je citerai quelques exemples de ces omissions.
Bien que le Premier ministre ait décidé, lors de la conférence de la famille, que la majoration de l'allocation de rentrée scolaire serait pérennisée, les crédits qui doivent la financer, c'est-à-dire 4,7 milliards de francs, ne figurent pas dans le projet de loi de finances.
Il en est de même de la subvention de 1 milliard de francs que l'Etat s'est engagé à verser à la CNAF, la Caisse nationale des allocations familiales, pour couvrir les dépenses qu'elle supporte pour le fonds d'action sociale des travailleurs immigrés et de leurs familles. Peut-être cette somme figurera-t-elle dans le collectif, mais de telles manipulations disqualifient par avance la sincérité de votre budget.
D'autres exemples pourraient être cités : la couverture maladie universelle, la CMU, pour laquelle il manquerait 200 millions de francs, ou les subventions aux régimes spéciaux, pour lesquelles il semble qu'il y ait une insuffisance de financement de 260 millions de francs.
Je ne voudrais pas quitter le problème de la sincérité de votre budget, au sens le plus large du terme, sans évoquer la façon dont nos concitoyens peuvent comprendre et appréhender le principe et l'extension de la taxe générale sur les activités polluantes.
Nous savons bien que l'environnement est, avec l'emploi, un des grands défis de notre siècle, un de ceux auxquels nos concitoyens sont le plus sensibles, car cela concerne la qualité de leur vie quotidienne. Taxer les activités polluantes et les produits polluants peut être compris et admis. Les redevances que nous payons sur l'eau que nous consommons servent à financer les investissements en faveur de l'eau potable et de l'assainissement. Mais créer, étendre et alourdir une taxation des activités polluantes en sachant qu'aucune de ces ressources ne viendra financer les actions en faveur de l'environnement, cela dépasse l'entendement.
Il fallait imaginer un tel financement des 35 heures ! Eh bien, vous l'avez fait ! Je pense que l'avenir vous donnera tort, sur ce point comme sur l'alourdissement de nos prélèvements obligatoires.
L'exception française est, dans ce domaine, à la fois éclatante et inquiétante.
Tous les économistes ont largement analysé et démontré deux corrélations qui s'appliquent parfaitement à la France.
Premièrement, plus les charges qui pèsent sur une économie sont importantes, plus le niveau moyen de chômage est élevé ; dans ces deux domaines la France bat des records.
Deuxièmement, moins le temps de travail moyen est élevé, moins la productivité globale de l'économie considérée est forte. C'est ainsi que la France, qui possède une proportion considérable de fonctionnaires par rapport au nombre de ses emplois marchands, qui détient deux records, l'un concernant l'entrée tardive des jeunes dans la vie active, l'autre le départ prématuré de cette vie active des plus de cinquante ans, a un niveau de productivité globale qui la situe désormais au dix-septième rang des nations développées. (M. le ministre manifeste son désaccord.)
Or quelle politique recouvre votre budget ? Celle de l'alourdissement des prélèvements obligatoir es et de l'allégement autoritaire du temps de travail. C'est exactement l'inverse de ce qu'il faudrait faire !
Comme vous savez bien que les charges tuent l'emploi, vous essayez d'alléger les charges sur les bas salaires, mais c'est aussitôt pour augmenter celles qui affectent les hauts salaires et les autres revenus. Vous déplacez les problèmes, mais vous n'en résolvez aucun.
Cette politique de Gribouille, qui contribue à la fuite des cerveaux et des capitaux, n'est pas à l'honneur de notre pays et suscite les critiques de tous les organismes internationaux qui analysent à long terme les rouages de notre économie et ses perspectives d'évolution.
Monsieur le ministre, vous avez dit tout à l'heure que nous avons reçu les compliments de certains organismes internationaux.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Et c'est vrai !
M. Jacques Oudin. Permettez-moi, alors, de tirer quelques citations de l'étude sur la France contenue dans le rapport de l'OCDE pour 1999.
A la page 12, à propos de la fiscalité : « Des pans entiers du système fiscal sont en effet archaïques ou sources de distorsions nuisibles à la croissance et à l'emploi. »
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. C'est exact !
M. Jacques Oudin. Toujours à la page 12 et sur le même sujet : « La modernisation doit être menée sans accentuer une instabilité parfois chronique,... » - pensez à la fiscalité sur les flottes marchandes et les bateaux, créée en 1996 et supprimée en 1997 : le yoyo fiscal ! - « ... ce qui est difficile dans le cadre d'une approche privilégiant les retouches successives plutôt qu'une remise à plat plus générale. »
Quant aux effectifs budgétaires, voici ce qu'en dit l'OCDE, toujours à la page 12 : « Stabiliser les effectifs au niveau actuel permettrait d'amorcer leur réduction tout en rajeunissant la structure démographique de la fonction publique. »
Vous le voyez, il n'y a pas que des compliments !
Je passe à la page 13 : « S'agissant du problème des retraites, dont l'OCDE a souvent souligné l'ampleur et l'urgence, peu de mesures nouvelles ont vu le jour depuis la réforme du régime général en 1993. »
J'en arrive au chômage : « Nonobstant la décrue du chômage... son taux demeure très élevé, tant en perspective historique que vis-à-vis de la plupart des autres pays de l'OCDE, et ce malgré un grand nombre de mesures d'aide parfois coûteuses. »
Tout cela, c'est l'OCDE qui l'écrit !
Page 22 : « Sur le moyen terme, la consolidation budgétaire doit être poursuivie résolument et le poids des prélèvements obligatoires diminué encore sensiblement. En outre, il convient d'accélérer les réformes structurelles afin de soutenir la croissance et de résorber un chômage encore trop élevé. »
Eh bien voilà, monsieur le ministre, les félicitations que nous accordent les organismes internationaux !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Citations tronquées !
M. Jacques Oudin. Pas du tout ! Si vous le souhaitez, la bibliothèque peut vous fournir le document dans un instant !
Si nous nous penchons sur l'évolution récente de votre budget et ses perspectives proches, nous constatons une triple caractéristique : en premier lieu, le développement continu, inéluctable et fort, de vos dépenses de fonctionnement ; en deuxième lieu, la réduction de la part de l'investissement ; enfin, en troisième lieu, le renvoi systématique à des échéances lointaines des grands dossiers, dossiers dont le poids est une menace pour notre avenir.
Sur l'évolution des dépenses de fonctionnement, l'analyse des finances sociales est particulièrement instructive.
Le débat sur les comptes de la protection sociale a parfaitement montré que la réduction du déficit, approché en termes de solde, ne doit rien à une maîtrise des dépenses mais doit l'essentiel - 195 milliards de francs - au surplus de recettes issues de la croissance et le reste - 50 milliards de francs - à l'alourdissement des prélèvements.
Afin d'occulter les chiffres qui auraient fait apparaître une accélération des dépenses de maladie, le Gouvernement a calculé la progression de l'ONDAM, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie, pour 2000, non sur l'objectif initial de 1999 mais sur la réalisation prévisionnelle de cette année. Bref, vous affichez 2,8 % de croissance des dépenses alors que la réalité est plus proche de 4,5 %.
En période de croissance économique, de réduction du taux de chômage - qui reste malgré tout, dixit l'OCDE, parmi les plus élevés d'Europe - et de créations d'emplois, il convient tout de même de s'interroger sur l'augmentation accélérée des crédits affectés à certaines aides.
En un an, monsieur le ministre, les crédits affectés au RMI ont augmenté de 8,7 %.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Un grand succès !
M. Jacques Oudin. Il y a dix ans, les dépenses affectées au RMI s'élevaient à 10 milliards de francs. Elles étaient de 20 milliards de francs en 1994. Elles vont atteindre près de 30 milliards de francs en l'an 2000. Et tout cela alors que nous sommes, dit-on, en période de croissance !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Méhaignerie est plus généreux que vous !
M. Jacques Oudin. Pour l'allocation aux adultes handicapés, nous sommes passés, au cours de la même période, de 15 milliards à 25,5 milliards de francs.
Je développerai tous ces postes dans mon rapport spécial sur le budget des affaires sociales, dont le montant augmente de près de 14 %, soit 10 milliards de francs, passant de 80 milliards à 90 milliards de francs. Il est vrai qu'il faut financer la CMU et les 35 heures, sans que nous connaissions pour autant toutes leurs conséquences financières.
Parmi les dépenses de fonctionnement, il y a, bien sûr, le traitement des fonctionnaires. Dans ce domaine aussi, nous détenons un record parmi les pays développés : la proportion des membres de la fonction publique par rapport aux actifs du secteur marchand.
Aux 2,1 millions d'agents civils de l'Etat, il faut ajouter 1 323 000 agents de la fonction publique territoriale, 650 000 agents de la fonction publique hospitalière, 460 000 agents de La Poste et de France Télécom, 313 000 militaires - hors appelés - et d'autres.
Bien entendu, globalement il n'y a jamais eu aucune réduction de ces effectifs dans le passé, il n'y en a aucune dans le budget actuel et il n'en est envisagé aucune pour l'avenir.
C'est la raison pour laquelle je vous poserai, monsieur le ministre, deux questions.
Pouvez-vous dire au Parlement combien d'agents de cette fonction publique vont partir à la retraite au cours des dix prochaines années et préciser si vous entendez les remplacer poste par poste ?
La deuxième question concerne les mises à disposition des fonctionnaires. Vaste sujet ! J'estime, pour ma part, que ces pratiques sont scandaleuses et peuvent mener à des débordements particulièrement regrettables et répréhensibles.
Ces mises à disposition ont été autorisées par les lois n° 84-16 du 11 janvier 1984, n° 84-53 du 26 janvier 1984, n° 86-33 du 9 janvier 1986. Vous remarquerez qu'il ne s'agit que de lois adoptées sous des gouvernements socialistes. En outre, préalablement à l'adoption de ces dispositions - je me suis reporté aux procès-verbaux - il n'y a eu ni rapport ni débat.
La définition de la mise à dispostion est donnée par l'article 41 de la loi 84-16 du 11 janvier 1984 : il s'agit de « la mise à disposition du fonctionnaire qui demeure dans son corps d'origine, est réputé occuper son emploi, continue à percevoir la rémunération correspondante, mais qui effectue son service dans une autre administration que la sienne ».
Peu importe qu'il s'agisse d'administrations ou d'organismes publics.
Certes, un décret de 1985 a bien prévu le remboursement de la rémunération des fonctionnaires mis à disposition, mais il a aussitôt admis l'exonération partielle ou totale de ce remboursement.
En fait, la mise à disposition viole deux principes essentiels.
Le premier concerne le Parlement, et plus particulièrement l'affectation des ressources votées à une mission de service public donnée : ces ressources qui sont ainsi détournées vers un autre objet.
Le second principe concerne les citoyens : il s'agit de l'impossibilité de rendre compte clairement de l'usage qui est fait des contributions publiques qu'ils ont consenties ; ce sont, vous le savez, les articles XIV et XV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Dans ces conditions, ne vous paraît-il pas souhaitable de demander à la Cour des comptes d'effectuer une enquête générale et détaillée dans toutes les administrations, y compris, bien entendu, l'éducation nationale, afin de connaître les conditions précises de mise à disposition de fonctionnaires ?
Je prendrai un seul exemple pour montrer l'ampleur du phénomène : le ministère de l'emploi et de la solidarité, qui a pour mission de contrôler les caisses - assurance maladie, famille, vieillesse, etc. - et les hôpitaux,
Eh bien, monsieur le ministre, ces organismes contrôlés mettent à disposition du contrôleur, c'est-à-dire du ministère, 375 agents, dont 112 du cadre A ! Parmi ces agents, 172 proviennent des caisses et 203 des hôpitaux. Vous trouverez d'ailleurs 75 de ces agents à la direction des hôpitaux, tous issus des hôpitaux.
Je suppose que la quasi-totalité de ces organismes sont remboursés par le déficit de l'assurance maladie, dont ce n'est manifestement pas l'objet.
Je sais que vous avez prévu 10 millions de francs pour commencer à amorcer une modeste régularisation, qui est hors de proportion avec l'ampleur du phénomène.
Je vous poserai donc une seule question : compte tenu du fait que le budget de ce ministère a augmenté de 10 milliards de francs cette année, pensez-vous pouvoir régulariser totalement cette situation au 31 décembre 2001 en ajustant les dotations budgétaires concernées ?
Ma question vaut aussi pour l'ensemble des ministères, mais là, la tâche est digne des travaux d'Hercule.
La contrepartie de cette croissance excessive des dépenses de fonctionnement est la réduction dramatique de notre effort public dans le domaine de l'investissement et plus particulièrement dans celui des infrastructures de transport.
Deux constatations sont évidentes.
La première est que tout pays qui renonce à s'équiper et à investir est un pays qui obère son avenir et son développement. La seconde est que la France, qui a une place exceptionnelle et privilégiée au coeur de l'Europe comme plaque tournante pour tous les systèmes de transport, devrait avoir une politique cohérente de transport. Or, elle ne l'a pas.
Pas plus que l'Europe, la France n'a de politique financière à long terme pour ses infrastructures de transport.
Or, la mondialisation des échanges, la création d'un espace européen élargi, l'évolution des besoins de transport tant des ménages que des entreprises entraînent une demande forte à laquelle nous aurons de plus en plus de mal à faire face.
Toutes les études montrent que la demande de transport va croître à un rythme accéléré au cours des prochaines décennies et au moins jusqu'en 2040.
Le ciel européen est déjà saturé. Il en est de même de certaines liaisons qui desservent nos grands ports ainsi que des axes transalpins ou transpyrénéens.
Qu'en est-il du côté français ? La gestion de nos ports est largement inadaptée à la concurrence internationale. Vous pouvez vous référer au dernier rapport de la Cour des comptes. Notre ambition maritime est réduite à la portion congrue et notre flotte de commerce, avec moins de deux cent vingt bateaux, se situe à la vingt-septième place mondiale. Nous avons réussi des prouesses technologiques évidentes pour le transport des voyageurs avec le TGV, mais le fret ferroviaire perd des parts de marché année après année.
Quelles ambitions peut-on avoir avec un ensemble ferroviaire qui ne survit que grâce aux 62 milliards de francs, ou plus, de contributions publiques qu'il reçoit chaque année et qui augmentent à un rythme soutenu, plus de 8 % l'an dernier ?
Quelle ambition fluviale peut-on avoir sans budget et sans ressources ?
Quelles solutions comptez-vous apporter pour faire face à la croissance de la demande de transport routier, tant de marchandises que de voyageurs ?
Il semble que, dans quelques jours, les ministres de l'Union européenne vont adopter une déclaration sur les transports où l'avenir de tous les modes sera évoqué, sauf celui des transports routiers, alors que c'est celui où la demande augmente le plus vite. Nier l'évidence, les réalités et les besoins ne permettra jamais de bâtir une politique réaliste et ambitieuse.
Le Gouvernement a lancé, depuis plusieurs mois, une vigoureuse offensive contre notre système autoroutier concédé, je dis bien « contre ». Il y a d'abord eu les déclarations gouvernementales, puis les décisions d'annulation ou de report de tronçons autoroutiers, enfin les rapports convergents de la Cour des comptes et de la MEC, la mission évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale,...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Ça, ce n'est pas le Gouvernement !
M. Jacques Oudin. ... pour critiquer le seul mode de transport - je veux parler des autoroutes concédées - dont l'équilibre financier est assuré et qui, de surcroît, procure 8 milliards de francs de recettes à l'Etat, dont 2 milliards de francs au profit du FITTVN, le fonds d'investissement des transports terrestres et des voies navigables.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Et 100 milliards de francs de dettes !
M. Jacques Oudin. Nous vivons un paradoxe étonnant : une politique autoroutière restrictive face à des besoins assurés et à des ressources garanties.
Bien entendu, il s'agit non pas de faire je ne sais quelle politique dite du « tout autoroute », mais de considérer les enjeux nationaux que cela représente ; quelle politique de transport combiné, quelle politique intermodale peut-on mener quand un système de transport, le ferroviaire, a besoin pour survivre de 62 milliards de francs de contributions publiques annuelles ?
Vous n'échapperez pas à des analyses lucides sur des sujets de cette nature qui engagent l'avenir de notre pays.
Vous ne pourrez occulter longtemps le financement des investissements universitaires et scolaires, le coût des restructurations hospitalières, le financement de la recherche et celui de toutes nos infrastructures, qu'elles soient urbaines ou dans le domaine des transports.
Vous ne trouverez de solutions qu'en réfléchissant à la réforme d'un Etat trop budgétivore, à la juste place des collectivités territoriales, à la réforme de notre système de protection sociale, et donc à l'avenir de nos retraites.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Moins de protection, plus d'autoroutes !
M. Jacques Oudin. Dans un environnement d'ouverture, de changement et de compétition, les pires menaces qui nous guettent sont l'inaction et l'imprévision. Or, votre budget est lourd de ces menaces et d'un avenir incertain.
Pour ces raisons, comme l'a dit le président du groupe du Rassemblement pour la République, nous ne pourrons hélas ! que rejeter le présent projet de budget. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ferai d'abord quelques remarques sur l'amélioration de la situation économique et sociale.
Si, depuis 1997, les débats qui entourent l'examen du projet de loi de finances prennent un caractère aussi intéressant et passionné, à droite comme à gauche, c'est tout simplement parce qu'il y a enfin matière à une véritable discussion parlementaire sur le budget de la nation.
Nous sommes sortis de la période de déclin économique et de restrictions budgétaires dans laquelle la politique économique du gouvernement Juppé, par exemple, nous avait plongés.
Le Gouvernement dirigé par Lionel Jospin et soutenu par la gauche plurielle a su prendre les mesures volontaristes et courageuses pour relancer la machine économique et parvenir enfin à inverser durablement la courbe du chômage.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ça commence mal !
M. Paul Loridant. Monsieur le rapporteur général, ce n'est pas seulement une affaire de conjoncture.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pour partie tout de même !
M. Denis Badré. Oui, tout de même un peu !
M. Paul Loridant. J'ai dit : « pas seulement » ! C'est aussi une affaire de volonté politique.
Les mesures de relance de la consommation, la création des emplois-jeunes et la réduction du temps de travail ont permis à la France de connaître, depuis 1997, une croissance plus forte que la moyenne de la zone euro, deux fois plus élevée qu'en Allemagne ou en Italie.
Cette croissance a contribué à une amélioration sensible des ressources budgétaires de l'Etat et, surtout, à une baisse significative du nombre de chômeurs. Depuis 1997, près de 530 000 emplois ont été créés. A l'évidence, cela démontre le rôle central que peut jouer l'Etat s'il est décidé à assumer pleinement ses missions et à ne pas abandonner ses prérogatives aux seules règles du marché.
Venons-en aux mesures du projet de loi de finances pour 2000, qui, selon nous, vont dans la bonne direction.
Le projet de budget pour 2000 comporte des dispositions positives qui, par un allégement de la pression fiscale sur les ménages et une plus grande justice sociale, contribueront à enrichir la croissance en emplois.
Le logement, secteur essentiel aussi bien par sa dimension sociale que par son poids dans l'économie, bénéficie d'une attention particulière.
Nous nous réjouissons de la baisse de la TVA applicable aux travaux d'entretien des logements d'habitation, même si je note qu'elle est en partie compensée par la suppression d'avantages au titre de l'impôt sur le revenu, ce qui n'est pas sans poser des problèmes, compte tenu de nos critiques à l'égard de la TVA, dont le taux normal nous paraît trop élevé.
Nous apprécions la suppression du droit de bail pour les locataires et la baisse des droits de mutation sur l'immobilier d'habitation, qui se traduira par un allégement de près de 4,6 milliards de francs pour les ménages.
Néanmoins, excepté une baisse de la TVA sur certains services à la personne, ces mesures constituent les seuls actes forts du Gouvernement en matière d'allégement de la fiscalité indirecte, et je le regrette.
Nous attendons, monsieur le ministre, des mesures de réduction du taux normal de la TVA, car cette taxe, en frappant indistinctement les ménages, accroît les inégalités sociales.
Le second motif de satisfaction dans ce projet de loi de finances réside dans l'effort budgétaire en faveur des secteurs prioritaires que sont, selon nous, l'éducation nationale, l'emploi et la solidarité, la justice ainsi que la sécurité, domaine dans lequel nous nous devons de poursuivre nos efforts dans la direction prise depuis le colloque de Villepinte.
En revanche, je considère que le budget de la recherche, qui connaît une légère contraction de ses crédits, n'est pas à la hauteur des ambitions de notre pays et de la place que celui-ci tient aujourd'hui dans le domaine de la science.
Certes, le budget de la recherche ne recouvre pas l'ensemble de la politique menée par l'Etat en la matière. Toutefois, l'évolution des crédits affectés au Centre national d'études spatiales et, surtout, l'abandon du projet de construction en France du nouveau synchrotron dénommé « Soleil » me conduisent à émettre de sérieuses critiques et à réserver mon vote sur ce budget.
Mme Hélène Luc. Effectivement !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ça commence à aller mieux !
M. Paul Loridant. Le projet de loi de finances pour 2000, s'il contient des mesures positives, souffre, selon nous, d'un manque d'audace dont l'origine réside principalement dans le carcan budgétaire que nous imposent le pacte de stabilité budgétaire et les orientations trop souvent restrictives de la Banque centrale européenne.
Je note au passage l'augmentation significative de la contribution de la France au budget de l'Union européenne, alors que cette dernière nous fixe un cadre budgétaire très strict. Il y a là une contradiction que certains n'acceptent pas.
Sur cette question européenne, force est de reconnaître les retards, pour ne pas dire les échecs, pour faire émerger une véritable Europe sociale. Les propositions intéressantes et souvent courageuses de M. Lionel Jospin, en vue de donner un contenu social à la construction européenne, ont été poliment rejetées par nos partenaires européens, notamment l'Allemagne et la Grande-Bretagne, dont les options libérales suscitent le trouble et le désarroi dans leurs pays respectifs.
Revenons plus spécifiquement au projet de loi de finances pour 2000.
La politique budgétaire doit être conçue comme le fer de lance de la politique générale du Gouvernement. Cette conception devrait nous conduire à mettre en oeuvre des mesures de dépenses socialement et économiquement utiles qui seraient de nature à apporter un mieux-être à nos concitoyens, à soutenir la consommation et à conforter la croissance, ce qui, finalement, est le meilleur moyen de lutter contre les déficits publics.
Les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposeront et défendront une série d'amendements dans ce sens.
Enfin, je dirai quelques mots des collectivités locales.
Dans le domaine de la fiscalité locale, on ne peut se satisfaire du statu quo prévu dans le projet de loi de finances pour 2000. Je pense notamment au report de l'actualisation des bases de la taxe d'habitation et du foncier bâti, et à la nécessité, selon nous, de prendre en compte les revenus des ménages dans le calcul de l'impôt local.
De même, nous souhaitons que les collectivités locales, qui, par la masse de leurs investissements, jouent un rôle majeur dans l'activité économique, en retirent un peu plus les fruits. L'indexation partielle des enveloppes normées par rapport à la croissance économique devrait, selon nous, être revue à la hausse.
Nous n'ignorons pas la rigueur qui entoure la préparation et la discussion de la loi de finances. Aussi, pour toutes ces dépenses supplémentaires nous vous ferons des propositions pour trouver des ressources budgétaires et favoriser la justice fiscale, notamment en élargissant l'assiette de la taxe professionnelle aux actifs financiers, qui affichent une insolente santé, monsieur le rapporteur général. Il est temps, en effet, qu'ils participent un peu plus à l'effort de solidarité national.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous les ferez partir à l'étranger !
M. Paul Loridant. Le groupe ATTAC, qui s'est récemment constitué au Sénat, vous proposera, dans le même ordre d'idées, un amendement pour lutter contre les effets déstabilisateurs de la spéculation monétaire et financer les actions en matière de solidarité et de coopération.
En conclusion, monsieur le ministre, le groupe communiste républicain et citoyen soutient le présent projet de budget, car il marque un certain effort de justice sociale, une priorité aux questions essentielles que sont, pour nous, l'emploi, la solidarité, la jeunesse et l'éducation. C'est sur ces points que nous serons jugés par nos concitoyens. Aussi serons-nous attentifs au respect des engagements pris. Nous comptons sur vos efforts pour améliorer l'architecture du projet de loi de finances pour 2000 et pour répondre aux exigences du troisième millénaire. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Miquel.
M. Gérard Miquel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget pour 2000 est un budget de consolidation et de transition pour les collectivités locales.
Le budget de 1999 avait permis la mise en place du contrat de solidarité et de croissance entre l'Etat et les collectivités locales, qui était plus respectueux des besoins des collectivités que le pacte de stabilité. Par ailleurs, il avait entamé une profonde réforme de la taxe professionnelle.
Quant au budget pour 2001, il devrait marquer une nouvelle étape de la décentralisation.
Ce budget pour 2000 est néanmoins important, car il consolide les efforts du Gouvernement en faveur des collectivités locales. Il voit en effet la mise en place de l'importante réforme de l'intercommunalité, votée cet été, ainsi que la clarification dans les interventions sociales des collectivités locales consécutives à la loi sur la couverture maladie universelle, la CMU.
Avant d'entrer dans le détail des évolutions, il faut rappeler que la politique économique du Gouvernement, si elle profite largement aux Français, comme l'a démontré mon collègue Bernard Angels, profite aussi largement aux collectivités locales.
Jusqu'en 1997, ces dernières étaient prises dans un effet de ciseaux entre des dépenses de fonctionnement en croissance toujours rapide et des recettes de plus en plus malmenées, notamment les dotations de l'Etat.
Je rappellerai simplement que, sous la précédente législature, les dotations de fonctionnement avaient pratiquement stagné - plus 8,5 % - les dotations d'équipement avaient baissé fortement - moins 10,8 % - tandis que les dotations « passives » avaient été largement ponctionnées.
Quant aux allégements que l'Etat avait décidés, ils étaient demeurés inchangés.
Au total, sur la période, les modifications d'indexation et les ponctions diverses avaient amputé les collectivités locales de plus de 25 milliards de francs.
M. Michel Sergent. C'est bien vrai !
M. Gérard Miquel. Comme leur gestion était demeurée fondamentalement saine, les collectivités locales avaient dû restreindre leurs efforts d'équipement - les investissements avaient baissé en 1995 et 1996 - et accroître fortement la fiscalité locale, dont les taux avaient augmenté deux fois plus vite entre 1992 et 1997 qu'entre 1987 et 1992.
Depuis, la situation s'est largement améliorée. Les collectivités locales bénéficient en effet à la fois d'une hausse des assiettes fiscales, grâce à la croissance, et du maintien à bas niveau de l'inflation et des taux d'intérêts. Ces deux éléments conjugués allègent fortement la charge de leur dette, qui représente aujourd'hui 6 % des recettes de fonctionnement, contre 11 % en 1993.
Associée à la maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement, cette réduction leur permet de dégager une épargne de gestion et de disposer d'une marge de manoeuvre budgétaire.
Elles peuvent ainsi se désendetter et réduire la pression fiscale. Il en résulte que les augmentations de taux sont maintenant très faibles : 1,3 % en 1997, 0,7 % en 1998, 0,5 % en 1999, 0 % prévu en 2000.
Elles peuvent, enfin, développer leurs efforts d'investissement : plus 7 % en 1998, plus 5 % prévu cette année. Ces évolutions sont très importantes.
La réduction de la pression fiscale locale est aujourd'hui nécessaire, ne serait-ce que pour désamorcer un certain mouvement de contestation de l'impôt local que provoque chez nos concitoyens l'archaïsme de nos impôts locaux.
La reprise de l'investissement est encore plus fondamentale, car les collectivités locales réalisent 80 % des investissements publics et 12,5 % de l'ensemble des investissements de la nation.
De plus, elles sont confrontées à de lourds besoins : entretien d'un patrimoine de 2 300 milliards de francs, programme de traitement des eaux imposé par les directives européennes, traitement des déchets ménagers, travaux de rénovation et de sécurité des locaux scolaires, investissements dans les transports, etc.
L'augmentation raisonnée des dépenses de fonctionnement ne peut que se poursuivre.
D'abord, parce que les collectivités locales sont aujourd'hui fortement impliquées dans la lutte contre le chômage - notamment par les emplois-jeunes - dans le secteur social, dans la rénovation des quartiers dégradés, dans le maintien de l'activité en zone rurale.
Ensuite, parce qu'elles sont soumises à des contraintes importantes, au premier rang desquelles figurent les traitements de leurs agents. Contrairement à ce que pense la majorité de la commission des finances, la hausse des traitements des agents locaux ne me paraît pas une mauvaise chose, même si elle représente une charge importante.
J'en viens à la CNRACL, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. Ses difficultés financières sont croissantes du fait de la surcompensation et de la dégradation naturelle du ratio démographique. Le rapport cotisants-retraités devrait en effet passer de 3,3 cotisants par retraité, en 1995, à 1,4 en 2015. Le déficit prévu pour 2000 est de 2 milliards de francs et il est de 6 milliards de francs cumulés à la fin de 2001.
Deux mesures ont donc été prises. Le taux de cotisation employeur sera augmenté de 0,5 point en 2000 et en 2001. Il sera ainsi porté de 25,1 % à 26,1 %. Cela représente un abondement de 3 milliards de francs, dont 550 millions de francs, l'an prochain, pour les collectivités locales.
Mais le Gouvernement a décidé de baisser, en contrepartie, le taux de surcompensation de 38 % à 34 % en 2000, et de 34 % à 30 % en 2001. Cette demande formulée depuis plusieurs années par notre groupe a été entendue, et nous ne pouvons qu'apprécier cette répartition des efforts et cette prise en compte des équilibres financiers des collectivités qui avaient fait défaut voilà cinq ans.
Autre contrainte, qui devient lourde : le coût des services départementaux d'incendie et de secours. Les contributions des collectivités ayant augmenté de 11 % entre 1998 et 1999, il devient urgent de maîtriser l'évolution de ces dépenses et de réformer le dispositif, qui n'est pas satisfaisant. Il faut donc que les collectivités locales conservent leur bonne santé financière.
Si les évolutions positives enregistrées sont à mettre au crédit de la politique économique générale du Gouvernement, elles proviennent également d'une évolution plus favorable des concours de l'Etat aux collectivités locales. Ainsi, les dotations sous enveloppe, dans le cadre du contrat de croissance et de solidarité, ont progressé de 1,8 % en 1999 et progresseront de 1,5 % en 2000, évolutions largement supérieures à l'inflation.
Contrairement au pacte de stabilité de M. Juppé, ce nouveau contrat entre l'Etat et les collectivités locales prend en compte une fraction de la croissance, apport qui, cumulé, représente pour nos collectivités 3,8 milliards de francs de plus en 2000 et 6,6 milliards de francs de plus en 2001.
Au sein de ce contrat, l'évolution de la dotation globale de fonctionnement, principale dotation de l'Etat aux collectivités locales, est primordiale. Elle a augmenté fortement en 1999 - plus 2,8 % - sans compter l'abondement spécifique de DSU de 500 millions de francs. Cet abondement compris, l'augmentation sera, cette année, de 3,25 %.
Pour l'année prochaine, une inquiétude était apparue chez les élus locaux du fait du recalage de la DGF 1999 et de la prise en compte d'une forte régularisation négative sur 1998.
A ces mauvaises nouvelles dues à des initiatives prises par la précédente majorité...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Eh oui !
M. Gérard Miquel. ... s'ajoutait la nécessaire prise en compte du recensement, qui risquait d'entraîner une réduction des dotations d'aménagement.
Monsieur le ministre, ces inquiétudes ont été levées lors de la discussion du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale.
En effet, à la reconduction de l'abondement spécifique de la DSU de 500 millions de francs décidée l'année dernière, aux 500 millions de francs supplémentaires prévus pour la mise en oeuvre de la nouvelle loi sur l'intercommunalité, aux 200 millions de francs prévus pour éviter que la prise en compte du recensement n'ait des effets négatifs sur les dotations d'aménagement, ont été ajoutés 500 millions de francs supplémentaires pour la DSU et 150 millions de francs pour la DSR.
On arrive ainsi, au total, à un bonus de 1,85 milliard de francs pour la DGF, auquel il faudrait d'ailleurs ajouter 150 millions de francs au titre de la compensation de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle.
Ainsi, la DGF augmentera l'année prochaine de 2,05 % par rapport à la DGF 1999, ce qui représente une évolution très positive ; je crois que nous pouvons tous le reconnaître. Cela permet une augmentation de la DSU de 16 % l'année prochaine, l'amenant à 3,83 milliards de francs, et de la DSR de 4,5 %, l'amenant à 2,3 milliards de francs. Depuis 1997, la DSU aura ainsi augmenté de près de 80 %. et la DSR de 40 %.
Monsieur le ministre, permettez-moi, au nom de mon groupe, de féliciter le Gouvernement pour ces initiatives et pour avoir compris que, devant l'ampleur des missions qui sont remplies par les collectivités territoriales, il est nécessaire de leur donner les moyens financiers permettant l'accomplissement de leurs tâches.
Cette attitude tranche avec celle du gouvernement précédent, qui voyait essentiellement dans les finances locales un bon gisement d'économies budgétaires et avait oublié l'effet de levier formidable exercé par les dépenses et les investissements locaux.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est de la caricature !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Non, c'est la vérité !
M. Gérard Miquel. Signalons que les autres dotations ne nous réservent aucune mauvaise surprise, ce qui change, là encore, des années 1993-1997. La dotation globale d'équipement, qui avait baissé durant cette période, augmentera de 3,56 % l'année prochaine.
Budget de consolidation des concours de l'Etat aux collectivités locales, le budget pour 2000 est également un budget de consolidation de la réforme de la taxe professionnelle, de l'intercommunalité, et des conséquences de la mise en place de la couverture médicale universelle.
Sur le premier point, la réforme se poursuit, puisque l'abattement sera de 300 000 francs l'année prochaine, contre 100 000 francs cette année, soit une exclusion de l'application de la taxe portant sur 1 670 000 francs de salaires, soit une suppression de la base salaires pour 90 % des établissements redevables. La compensation pour les collectivités locales atteindra 22,6 milliards de francs l'année prochaine.
Selon le rapport rendu par le Gouvernement, la réforme a été neutre pour les collectivités locales, voire légèrement positive. Il faut également souligner l'excellente initiative de nos collègues de l'Assemblée nationale, qui ont porté l'indexation à 2,05 %.
Sur le deuxième point, l'intercommunalité, la réforme se met en place avec succès.
Le renforcement des dotations DGF pour les communautés d'agglomération, mais aussi pour les communautés de communes à taxe professionnelle unique, est un élément important, très apprécié par les acteurs locaux engagés dans l'intercommunalité de projet, laquelle devient de plus en plus indispensable pour structurer le développement local, renforcer les péréquations volontaires, accentuer les concertations.
A cet égard, la création de trente communautés d'agglomération est prévue avant 2000, et de nombreuses communautés de communes vont mettre en place une taxe professionnelle unique.
Deux interrogations subsistent cependant, monsieur le ministre.
Première interrogation : les 500 millions de francs supplémentaires seront-ils suffisants ?
La seconde interrogation est relative au délai. Il est très court, puisque les communautés doivent être mises en place avant le 31 décembre.
Or, il faut répondre aux critères démographiques, disposer du périmètre requis, avoir les compétences obligatoires et optionnelles imposées par la loi. Tout cela nécessite des ajustements qui peuvent être longs à mettre au point, à l'instar, d'ailleurs, des consultations des conseils municipaux qui peuvent également être longues.
Monsieur le ministre, comment permettre aux communautés d'agglomération ou ou aux communautés de communes qui n'arriveront pas à formaliser leur création avant le 31 décembre, mais seulement dans les premiers mois de 2000, de bénéficier malgré tout de la DGF majorée ?
Sur le troisième point, la mise en place de la CMU par la loi du 27 juillet 1999, applicable au 1er janvier 2000, a entraîné une profonde réforme des financements en matière d'action sociale, un domaine majeur d'intervention des collectivités locales. En mettant fin aux financements croisés, la loi permet une véritable clarification des compétences des différents niveaux de collectivités.
La réforme, qui a fait l'objet d'une vaste concertation auprès des associations d'élus départementaux et communaux, prévoit une suppression des contingents communaux avec, en contrepartie, une diminution à due concurrence de la DGF, la mise en place d'un dispositif d'écrêtement en faveur des communes qui supportent les contingents les plus élevés, un abondement de la DGF des départements d'un montant équivalent aux prélèvements effectués.
La réforme est neutre pour la majorité des collectivités locales. Compte tenu du dispositif d'écrêtement mis en place, elle aura même un impact redistributif en faveur des communes qui supportaient les dépenses d'aide sociale les plus importantes.
L'année 2000 verra également le début de la période des contrats de plan 2000-2006. A l'issue d'une longue concertation, les montants définitifs ont été annoncés cette semaine : 120 milliards de francs sont donc prévus.
Les élus de toutes sensibilités soulignent cet effort financier unique qui permettra de financer les divers projets structurants dans toutes nos régions.
De plus, l'Etat consacrera plus de 20 milliards de francs à de grands projets d'infrastructures.
En matière de fiscalité locale, comme je l'ai dit en introduction, le projet de budget pour 2000 marque une transition. Aucune disposition fiscale n'était prévue à cet égard dans le projet de loi initial.
L'Assemblée nationale en a introduit deux, qui sont intéressantes : la réduction du seuil de dégrèvement de la taxe d'habitation accordé aux contribuables modestes de 1 500 à 1 200 francs et l'exonération de la taxe d'habitation pour les RMistes retrouvant un emploi pendant toute la durée du cumul du RMI avec leur revenu d'activité et pendant l'année qui suit la perte du RMI.
Des réformes sont cependant attendues. Le Gouvernement a déjà annoncé que le projet de loi de finances pour 2001 devrait donner l'occasion d'une réforme de la fiscalité directe locale. L'Assemblée nationale a d'ailleurs adopté un amendement demandant au Gouvernement le dépôt d'un rapport analysant les moyens d'alléger la charge supportée par le contribuable au titre de la taxe d'habitation.
De plus, une commission de la décentralisation vient d'être installée sous la direction éclairée et compétente de notre collègue Pierre Mauroy. Elle devrait présenter des propositions dans le courant de l'année 2000 pour permettre que la décentralisation soit plus efficace, plus légitime et plus solidaire. La réforme de la fiscalité locale y sera certainement abordée.
En effet, si la loi de décentralisation du 2 mars 1982 avait prévu qu'une loi extérieure fixerait la répartition des ressources publiques résultant des nouvelles règles de la fiscalité locale et des transferts de crédits aux collectivités locales, ce qui devait constituer le complément indispensable à la décentralisation, cette loi n'est jamais intervenue et, de bricolage en replâtrage, force est de constater que le financement des collectivités locales est aujourd'hui à bout de souffle. Plusieurs éléments le montrent.
Premièrement, les bases des impôts locaux sont obsolètes, la répartition entre les différentes collectivités est peu lisible, les impôts sont de plus en plus mal acceptés. Surtout, la fiscalité locale des ménages est lourde et injuste. Les ménages ont consacré 5,2 % de leurs revenus, en 1997, à payer les taxes locales, contre 3,6 % en 1992. Et la pression fiscale locale s'accroît plus vite sur les ménages - plus 40 % de 1992 à 1997 - que sur les entreprises - plus 17 %.
Or, la taxe d'habitation est dégressive par rapport au revenu, malgré les mesures de personnalisation qui aboutissent à ce que six millions de foyers fiscaux ne la paient pas et qu'environ 30 % en soient exemptés en partie ou totalement. Si, en valeur absolue, les cotisations augmentent avec les ressources, en valeur relative, elles frappent plus les revenus moyens et modestes. En 1993, la valeur moyenne de cotisation par rapport au revenu était de 2,3 % pour les revenus annuels inférieurs à 150 000 francs et de 0,9 % pour les revenus annuels supérieurs à 500 000 francs.
Par conséquent, il importe de réformer la taxe d'habitation en tenant compte de deux objectifs, à savoir la justice fiscale et l'allégement de la taxe pour les ménages moyens et modestes.
Certes, la France et la Suède demeurent les pays où cette autonomie fiscale des collectivités locales est la plus grande. L'exemple allemand montre qu'un système reposant essentiellement sur les dotations de l'Etat peut fonctionner sans altérer l'indépendance des collectivités locales. Certains pensent donc que notre pays pourrait s'inspirer de ces systèmes et remplacer notre fiscalité directe locale par des mécanismes de partage du produit d'un grand impôt national. Néanmoins, la substitution du contribuable national au contribuable local n'est pas neutre. De plus, le montant pour les collectivités locales ne serait plus garanti. Il suffit de regarder l'évolution de la dotation de compensation de la taxe professionnelle, la DCTP. Enfin, je pense qu'il nous faut conserver un lien étroit entre le contribuable local et la collectivité locale, notamment pour les communes et pour les groupements de communes.
Troisièmement, la péréquation des ressources financières des collectivités locales demeure très mal assurée. Pour tenter de corriger les disparités de ressources existant entre les collectivités, plusieurs mécanismes sont possibles.
Le premier mécanisme est la péréquation verticale : financée par le budget national, elle est destinée à doter de ressources supplémentaires les collectivités considérées comme les plus pauvres. Mais elle ne s'attaque pas aux causes mêmes des inégalités.
Le deuxième mécanisme consiste en la péréquation horizontale : alimentée par les budgets locaux, elle revient à prendre une partie des ressources des collectivités jugées riches pour les donner aux collectivités jugées pauvres. Elle corrige les écarts à la source.
Le troisième mécanisme est la péréquation volontaire, c'est-à-dire la mise en commun des ressources avec convention de partage.
En France, la péréquation a d'abord été verticale, notamment avec la DGF et les fonds de péréquation de la taxe professionnelle. Puis, les gouvernements socialistes ont développé la péréquation horizontale, avec la création du fonds de solidarité pour la région d'Ile-de-France, le FSRIF, de la DSU et de la majoration de la DFM, en 1991, puis du fonds de correction des déséquilibres régionaux, en 1992. Enfin, la péréquation volontaire s'est développée avec l'essor des groupements à fiscalité propre issus de la loi relative à l'administration territoriale de la République de 1992, puis avec la loi Chevènement de juillet 1999.
Malgré ces efforts, les sommes globales affectées à la péréquation restent faibles : la dotation d'aménagement de la DGF représente 11 % du total ; dans le fonds de péréquation de la taxe professionnelle, comme le rappelait le conseil des impôts dans son rapport de 1997 relatif à cette imposition, moins de 5 % des produits de la taxe professionnelle sont concernés par les mécanismes de redistribution entre collectivités locales.
De plus, il y a absence totale de convergence entre la répartition de ces dotations et les priorités géographiques définies dans le cadre de l'aménagement du territoire. Enfin, les modalités d'utilisation de ces sommes ne contribuent en fait que faiblement à la péréquation. Ainsi, la DSU est accordée aux trois quarts des communes de dix mille habitants, même s'il y a une modulation. De même, la seconde fraction de la DSR est répartie entre 33 653 communes, soit la quasi-totalité.
Un groupe de travail a été constitué au sein du comité des finances locales sur la péréquation des dotations de l'Etat ; mais il faut élargir et diversifier les réponses, car, sans péréquation forte, il est des collectivités qui ne pourront plus assumer certaines de leurs missions, et une inégalité devant les services publics est à craindre.
Ce n'est pas le moment d'expliquer nos propositions. Toutefois, une question devrait être résolue rapidement : le retour dans le droit commun de la fiscalité locale de France Télécom. Sa taxe professionnelle devrait, me semble-t-il, être attribuée progressivement au fonds national de péréquation de la taxe professionnelle, cela en sus de l'attribution déjà effectuée. Pour compenser les pertes financières pour l'Etat, le dispositif de compensation de l'allégement des bases de 16 % prévu par la loi de finances pour 1987 pourrait être réformé par la suppression de la compensation réalisée sur les bases qui n'existent plus, avec un dispositif de lissage sur la part compensation « perte de bases » du fonds national de péréquation de la taxe professionnelle.
En conclusion de ce tour d'horizon du projet de budget pour 2000 et des collectivités locales, je souligne les progrès réalisés dans les relations financières entre les collectivités locales et l'Etat depuis 1997. Le temps des ponctions apparaît terminé au profit d'un équilibre concerté et partagé, équilibre qui devrait trouver son plein épanouissement avec la réforme de la décentralisation qui nous a été annoncée. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la reprise de la croissance mondiale se confirme. En 2000, elle devrait tourner, en France et en Europe, autour de 3 % et ce sans tension inflationniste. Dans ce contexte, le chômage devrait continuer à refluer. Toutefois, des incertitudes demeurent de l'Amérique latine à l'Asie du Sud-Est et au Japon en passant par les pays d'Europe de l'Est et, bien sûr, la Russie. Je ne parle pas des pays en voie de développement qui restent, pour la plupart, les grands oubliés du mouvement général de reprise. Gardons-nous donc d'un optimisme excessif. L'histoire nous a habitués à des retournements de conjoncture souvent cruels et soudains.
Dans ces conditions, il est clair que les fruits de la croissance doivent d'abord être utilisés pour améliorer structurellement notre situation afin que nous soyons toujours plus forts et mieux protégés dans un monde qui demeure durablement difficile.
Si la nécessité d'assainir apparaît de manière flagrante dans les moments difficiles, il est tout de même plus simple de redresser la barre dans les passes favorables. Malheureusement, le « petit temps » incite à la facilité, et je crains que vous ne cédiez trop à cette dernière, alors que notre pays souffre de trois types de maux qui hypothèquent son avenir : des prélèvements fiscaux excessifs, une dépense publique excessive et une dette excessive.
Dernier de la classe de l'Union monétaire pour le déficit et ne faisant pas ce qu'il faudrait pour que la situation change, notre pays n'est pas, loin s'en faut, le meilleur du point de vue de la fiscalité. Sur les trois dernières années, le taux des prélèvements obligatoires s'est accru de 0,5 %, atteignant le niveau historique de 45,3 % du PIB. Aux contraintes administratives lourdes s'ajoutent des prélèvements obligatoires records.
Si l'harmonisartion fiscale et sociale était engagée dès aujourd'hui dans l'Union européenne, la France, compte tenu de son retard, serait contrainte d'abdiquer toute fierté et de demander plusieurs années pour retrouver le niveau moyen de ses partenaires. Et pendant ces années, pour ne pas laisser de nouveau « filer » son déficit ou être obligée d'emprunter, elle devrait réduire drastiquement ses dépenses, ce qui, dans les deux cas, représenterait un nouveau dérapage de la dette, également exclu.
Heureusement pour nous, l'harmonisation n'est pas tout à fait pour aujourd'hui mais elle est sans doute pour demain. Heureusement aussi, nous disposons des produits de la croissance ; nous devrions en toute priorité les mobiliser pour alléger dès aujourd'hui nos prélèvements et réduire d'autant immédiatement le chemin qui nous restera à parcourir demain. Ce n'est nullement ce que vous faites, monsieur le ministre. Plus grave, au lieu de chercher à rejoindre le peloton de nos partenaires de l'Union européenne,...
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Nous sommes devant !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pour les prélèvements !
M. Denis Badré. ... vous augmentez vos dépenses pour rendre encore plus difficile l'effort qui devra de toute façon être engagé tôt ou tard sur ce point.
En tout état de cause, pourquoi attendre que, demain, l'Europe nous demande de faire un effort que nous pourrions engager nous-mêmes dès maintenant ?
Monsieur le ministre, je parlerai de l'Europe non pas maintenant, mais mercredi, en tant que rapporteur spécial. De même, au risque de vous décevoir, je ne parlerai ni de TVA en général ni des taux de la TVA dans le secteur de la restauration, sujets que j'aborderai au moment où nous traiterons de l'article 3, c'est-à-dire lundi.
J'en viens donc aux dépenses. Leur très relative stabilisation s'opère curieusement au détriment des dépenses d'investissement, pourtant directement porteuses d'emploi, dépenses qui sont très curieusement sacrifiées dans votre projet de budget.
C'est donc aux collectivités locales que reviendra la charge de compenser en partie la réduction des investissements publics. Plus sages ou peut-être plus proches des contribuables, elles s'astreindront, elles, à contenir la fiscalité locale et elles le feront malgré toutes les contraintes qu'elles sont appelées à supporter.
Monsieur le ministre, lorsque nous vous demandons pourquoi vous n'inversez pas les priorités en privilégiant clairement les dépenses d'investissement plutôt que celles de fonctionnement, vous nous répondez généralement que vous devez réaliser le programme sur lequel vous avez été élu. Sans doute, mais la vie continue ; de nouvelles opportunités apparaissent, des difficultés imprévues également. Aujourd'hui, certains de vos projets s'imposent peut-être moins. Nos débats peuvent encore vous amener à reclasser vos priorités.
C'est bien pourquoi, inlassablement, de projet de loi en projet de loi, nous vous demandons de préciser le chiffrage des dépenses à prévoir pour aujourd'hui et pour demain. Malheureusement, nous restons généralement sur notre faim.
Si vous n'aviez pas le retour de la croissance à votre disposition, comment financeriez-vous votre programme ? En remettant en cause les actions existantes, en augmentant la pression fiscale ou en creusant le déficit ? Ne seriez-vous pas amené plutôt à différer ou à reconsidérer certains projets, monsieur le ministre ? Ce serait en tout cas la sagesse. Non, vous choisissez de tenir immédiatement les engagements de votre programme plutôt que de réduire la dette ou la fiscalité, et nous le regrettons. Vous n'aviez pas, au demeurant, expliqué ce choix en présentant votre programme aux contribuables français.
S'agissant de ce programme, j'insisterai ici non pas sur le coût des 35 heures mais plutôt sur la difficulté du chiffrage de cette réforme : on nous annonce 65 milliards de francs en 2000 et 105 milliards de francs en 2001. Qu'en sera-t-il réellement ? Il en est du coût d'une telle mesure comme du nombre d'emplois créés : vos prévisions restent très hypothétiques, pour ne pas dire totalement floues.
Il en est de même pour le chiffrage du coût de la CMU, des emplois-jeunes, du PACS. Combien en 2000 ? Et, surtout, combien les années suivantes ?
Nous partons à l'aveuglette. Seule certitude, il faudra payer ! Ne placez-vous pas sous nos pieds et, pis, sous ceux de nos enfants, quelques bombes à retardement ?
Il est d'ailleurs une autre bombe à retardement dont je ne parlerai pas, mais que nous avons tous à l'esprit : le financement des retraites.
Je m'arrêterai ici simplement sur un point particulier, celui des pensions publiques. En 2000, l'Etat versera 206 milliards de francs au titre de ses retraités, soit en charge nette, près de 148 milliards de francs. C'est une charge en nouvelle progression de 3,6 % par rapport à 1999. Les pensions civiles et militaires représentent désormais plus de 11 % de notre budget.
Où allons-nous à ce rythme ? En l'occurrence, c'est bien le débat sur les effectifs de la fonction publique qui est clairement ouvert. Monsieur le ministre, vous ne pouvez plus différer la mise en chantier d'une véritable réforme de l'Etat.
Aujourd'hui, au-delà des révisions budgétaires déchirantes, il faut engager des réformes structurelles, elles aussi probablement déchirantes mais incontournables.
Alors, dans l'océan d'incertitudes dans lequel vous nous plongez, nous sommes tout de même certains d'une chose : nous allons débuter l'année 2000 avec un budget de l'Etat déjà amputé de 235 milliards de francs, puisque, malgré la baisse des taux d'intérêt, c'est le niveau - encore en progression de 3 % par rapport à l'évolution réalisée pour 1999 - de la charge nette de la dette.
Or, tant que le déficit reste au niveau que vous retenez, cette dette continue à progresser pour atteindre, cette année, plus de 60 % du PIB, plus donc que le plafond autorisé par le traité de Maastricht. La seule croissance de la dette depuis trois ans représente - j'en ai fait le calcul - 750 milliards de francs, soit 45 % de notre budget actuel.
Nous pensons que, même si ce n'était pas spontanément votre choix, les circonstances auraient pu vous inciter à faire beaucoup mieux.
En conclusion, monsieur le ministre, votre projet de loi nous semble très en deçà de ce que nous attendions, très insuffisant, et ce des trois points de vue que je viens d'évoquer : la fiscalité, qui n'est que très partiellement allégée, les dépenses de fonctionnement, qui progressent beaucoup trop, et la dette, qui continue à s'alourdir. Ce budget ne prépare pas l'avenir. En l'état, le groupe de l'Union centriste ne peut donc l'approuver. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Bourdin.
M. Joël Bourdin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais vous présenter les principales conclusions des travaux de projection et de simulation macroéconomique réalisés, comme chaque année, par la délégation du Sénat pour la planification, conclusions qui font l'objet d'un rapport d'information mis en distribution aujourd'hui sous le n° 71. Je vous invite, bien sûr, à le lire.
Il me semble, en effet, que ces travaux présentent un double intérêt dans le cadre de cette discussion budgétaire : d'une part, replacer l'analyse du projet de loi de finances dans une perspective pluriannuelle ; d'autre part, analyser la cohérence de l'évolution des finances publiques, décrite par ce projet de budget, avec les évolutions macroéconomiques.
J'évoquerai ainsi, à la lumière des travaux de modélisation réalisés à la demande du Sénat, trois questions : l'environnement international et l'économie française - il en a déjà été largement question ; les perspectives à moyen terme pour l'économie française ; enfin, les principales tendances des finances publiques.
Sur l'environnement international, je me contenterai de deux observations, car le sujet a déjà été largement évoqué.
Tout d'abord - et je pense que cela ne vous surprendra pas, monsieur le ministre - le rapport s'efforce d'illustrer cette contradiction, qui me paraît flagrante, entre les opportunités réelles de croissance mondiale, qui donnent aujourd'hui une tonalité très optimiste à la plupart des analyses, et les risques, tout aussi évidents, de crise financière tant la situation de l'économie américaine est, à bien des égards, anormale.
Je n'insisterai pas longtemps sur le redressement de l'économie mondiale qu'anticipent tous les économistes et qui est au coeur de ces prévisions. Il faut rappeler tout de même qu'il y a un an, à la fin de la crise des pays émergents, nous étions en plein doute. La thèse du « trou d'air » était la bonne.
Si nous en sommes sortis aujourd'hui, c'est, selon la délégation, pour trois raisons.
La première est le dynamisme exceptionnel des ménages et des entreprises américaines, qui a permis de soutenir la croissance mondiale. Il faut savoir - c'est ce que nous révèlent les organismes de recherche auxquels nous avons fait appel - que la demande intérieure privée américaine assure, depuis deux ans, 50 % de la croissance de la demande mondiale, alors que les Etats-Unis ne représentent que 21 % du produit intérieur brut mondial.
La deuxième raison est la bonne tenue, finalement, des économies européennes. A n'en pas douter, l'une des raisons en aura sans doute été la décision de la banque centrale européenne, le 8 avril 1999, de baisser les taux d'intérêt, ce qui a contribué très largement à soutenir la confiance des ménages et des entreprises.
Enfin, la troisième raison est le retour à la croissance de la plupart des pays émergents, Brésil et Corée notamment, même si cela reste encore « faiblard ».
Mais le problème, aujourd'hui et pour demain, nous vient des Etats-Unis, nous le savons tous. S'il n'y avait qu'un mot pour caractériser l'économie américaine, ce serait celui d'« endettement ». Comment ce processus s'arrêtera-t-il, puisque tout processus d'endettement s'arrête bien un jour ?
Nous avons donc tenté d'évaluer, avec l'aide du centre d'observation économique de la chambre de commerce et d'industrie de Paris, les conséquences d'un atterrissage brutal de l'économie américaine, avec une hausse des taux longs et une chute de la bourse qui se diffuseraient vers les places européennes : on a simulé un krach.
Le premier enseignement de cette simulation est que, finalement, elle aurait certes des effets négatifs, mais qui ne seraient pas de l'ampleur de ce que l'on redoute généralement : 0,4 point de croissance en moins la première année aux Etats-Unis, pour une bourse qui chuterait de 30 %, pour un dollar également en chute, puis 0,9 point la deuxième année, et 0,2 point de croissance en moins en Europe pendant deux ans. On voit que cela n'entraînerait pas les Etats-Unis dans la récession - c'est une simple correction qui interviendrait - et que la trajectoire de croissance de l'Europe n'en serait que peu affectée.
Mais il faut bien reconnaître qu'il s'agit là d'une évaluation finalement assez favorable, dans la mesure où elle ne prend pas en compte ce qu'il adviendrait en cas de défiance persistante autour du dollar, car, là, les taux d'intérêt se tendraient durablement et la compétitivité de l'Europe serait alors affectée.
Le deuxième point sur l'environnement international, que je voudrais évoquer concerne les perspectives de croissance en Europe, et notamment cette notion à laquelle les économistes se réfèrent souvent lorsqu'ils réfléchissent au moyen terme, notion que vous avez d'ailleurs évoquée, monsieur le ministre, et qui est celle de croissance « potentielle » ou de « sentier de croissance de longue période ».
La croissance potentielle est évaluée à partir d'observations du passé, et, en la « plaquant » en quelque sorte sur les années à venir, les économistes ne prédisent pas grand-chose.
L'exemple des Etats-Unis, qui est assez largement analysé dans le rapport, notamment sous l'angle des enseignements que l'Europe pourrait en tirer, nous le montre bien : la croissance peut être durablement supérieure à ce fameux potentiel, qui tient à l'existence du facteur travail et du facteur capital cumulés, à condition que l'accumulation du capital productif soit elle-même élevée.
Pour cela, il faut que les investissements soient rentables et que les entreprises soient placées dans des conditions favorables pour les financer. Cela nous paraît être la clé de la croissance pour l'Europe dans les prochaines années.
J'en viens maintenant aux perspectives de l'économie française. Je serai bref, car les enseignements des travaux de projection réalisés à la demande de la délégation paraissent assez clairs et convergent avec les observations faites jusqu'à maintenant.
La plupart des exercices à moyen terme présentés dans ce rapport sont raisonnablement optimistes : la croissance pendant les cinq prochaines années serait comprise entre 2,5 et 3 %. Je rappelle à cet égard que entre 1990 et 1997, la croissance a été inférieure : 1,7 % par an.
Cet optimisme résulte évidemment d'un point de départ, la situation actuelle, favorable : lorsque le présent est rose, peint aux couleurs optimistes, la vision de l'avenir tend à l'être aussi.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. L'avenir est rose ! (Sourires.)
M. Joël Bourdin. Cependant, il faut bien comprendre que le dynamisme actuel de la demande privée est solide. En effet, nous savons bien que la France a subi plus que d'autres les politiques économiques très dures qui ont été menées en Europe dans la première moitié des années quatre-vingt-dix, puisque, à l'inverse de beaucoup de ses partenaires, elle n'a pas dévalué sa monnaie, et, aujourd'hui, je pense que nous assistons en matière de demande à un phénomène de rattrapage assez naturel du retard pris entre 1990 et 1995.
Cela signifie désormais que, pour la France, il faut avoir clairement présent à l'esprit l'inversion nécessaire des priorités de la politique économique : celles-ci ne doivent pas être orientées vers le soutien de la demande, puisqu'elle est là et qu'elle semble solide, mais vers le soutien de l'offre productive, car, comme je le disais plus haut à propos des Etats-Unis, on sait que, dans un contexte de demande soutenue, c'est l'accumulation du capital qui permet d'avoir une croissance durablement élevée.
C'est pourquoi j'en viens maintenant à une question qui, dans le cadre de cette analyse, me paraît tout à fait fondamentale : les 35 heures.
Vous me direz, monsieur le ministre, que nous avons déjà eu de longs débats avec vos collègues sur ce sujet. Certes, mais personne ne peut nier que l'impact des 35 heures sur l'économie française constitue une forte incertitude à court comme à moyen terme, que cette question a, à l'évidence, des implications budgétaires, et que, en cela, elle a toute sa place dans cette discussion. Le rapport s'efforce donc de proposer des éclairages sur trois inconnues relatives aux 35 heures : les perspectives, l'équilibre macroéconomique et le financement.
S'agissant, tout d'abord, des perspectives en matière de créations d'emplois, l'OFCE, à la demande de la délégation et du Sénat, a effectué une simulation des effets des 35 heures qui s'appuie sur le bilan des premiers accords. Cette simulation amène à réviser nettement à la baisse les estimations antérieures de l'impact des 35 heures sur l'emploi. Celles-ci sont désormais beaucoup plus proches de 400 000 emplois créés jusqu'en 2004 que des 700 000 qui étaient annoncés jusqu'alors.
Mais surtout, cette simulation montre que la mise en oeuvre des 35 heures pourrait spontanément détériorer les comptes des entreprises, ainsi que ceux des administrations publiques, ce qui n'est évidemment pas de nature à créer les conditions favorables à la forte accumulation du capital que j'évoquais tout à l'heure.
Je dirai maintenant quelques mots sur les perspectives qui s'offrent en matière de chômage.
Dans les scénarios qui sont présentés dans le rapport, et qui sont plutôt favorables, le chômage diminue certes jusqu'en 2004, mais faiblement, puisque la population en âge de travailler continuera d'augmenter jusqu'à cette époque. A cette date, avec le taux de croissance que je citais, nous aurions encore un taux de chômage supérieur à 9 %, soit sensiblement celui de 1990. On a ainsi l'impression que, malgré des périodes de croissance - et nous en vivons une en ce moment - l'économie française n'arrive pas à « mordre » significativement dans le taux de chômage et qu'il est tout à fait prématuré, là aussi, de parler de retour au plein emploi.
Les tendances des finances publiques que je vais brièvement évoquer maintenant doivent être appréciées à la lumière du contexte macro-économique dont je viens de souligner les incertitudes.
Les projections que nous avons demandées à l'OFCE montrent qu'après six années de croissance soutenue - soit 2,8 % par an - c'est-à-dire un scénario très favorable à la résorption des déficits publics, ceux-ci représenteraient encore 1,5 % du PIB en 2004.
Comme l'indiquait M. Roland du Luart, cet après-midi, ce n'est pas rassurant. Cela ne nous permettrait pas de faire face à une récession dans des conditions satisfaisantes. Il faut rappeler que 1,5 % du PIB, c'est le déficit que connaissait la France avant le ralentissement, puis la récession du début des années quatre-vingt-dix, laquelle avait porté celui-ci à 5,6 % du PIB.
Il faut rappeler aussi le problème du financement des retraites : le déficit des régimes de retraite atteindrait en effet près de 1,5 % du PIB entre 2005 et 2010.
C'est donc un objectif de réduction du déficit public beaucoup plus ambitieux qu'il faudrait se fixer pour le moyen terme.
Il me semble, dés lors, que le débat que l'on voit poindre aujourd'hui sur des prétendues « marges de manoeuvre budgétaires » est tout à fait prématuré. La priorité me semble, au contraire, devoir aller vers une maîtrise encore plus forte de la dépense publique et, en particulier, celle de la fonction publique, dont, jusqu'à présent, on n'a pas réussi véritablement à stopper l'augmentation. Cela passe, bien sûr, par le contrôle des effectifs publics, mais je dois dire que l'introduction des 35 heures dans la fonction publique est, à cet égard, extrêmement préoccupante, puisque je ne vois pas comment elle ne se traduirait pas par une augmentation des effectifs.
Un objectif de stabilisation des effectifs publics pour les prochaines années donnerait aux engagements du Gouvernement sur la maîtrise des dépenses publiques beaucoup plus de consistance.
Je conclurai cette présentation par ce qui me semble être finalement l'enseignement principal des travaux présentés par la délégation pour la planification.
En Europe et en France, dans la première moitié des années quatre-vingt-dix, il semble assez clair que, pour diverses raisons, et en particulier le niveau des taux d'intérêt et l'appréciation du taux de change, la demande intérieure a manqué et qu'il y a eu un excès de l'offre productive sur la demande.
Aujourd'hui, la demande paraît établie sur des bases solides ; il faut donc être très attentif aux conditions qui permettront à l'offre d'accompagner ce mouvement, en particulier par une accélération de l'investissement.
Il ne me semble pas que les perspectives en matière de finances publiques, ou encore la mise en oeuvre des 35 heures, répondent à cet objectif. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants. - M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de finances qui nous est proposé cette année s'inscrit dans le cadre de la politique de réforme fiscale engagée par le Gouvernement depuis juin 1997. Cette réforme, méthodique et progressive, a relevé un défi difficile : placer la fiscalité au service de l'emploi.
La fiscalité, si elle n'est qu'un des aspects du budget, constitue, pour le pouvoir politique, un instrument efficace et lisible qui permet d'influer heureusement sur le cours des choses. Elle peut ainsi corriger les discours sur la prétendue perte d'influence du politique.
Par ailleurs, pour nous, socialistes, la fiscalité est aussi un instrument de justice sociale. (M. le président de la commission des finances s'exclame.) C'est un outil performant dans une politique d'aide à la création d'emplois et de réduction des inégalités. C'est dans cet esprit que le Gouvernement mène depuis deux ans et demi une politique fiscale solidaire et encourageant la poursuite du rééquilibrage de la fiscalité ainsi que la baisse des impôts. (M. le rapporteur général s'exclame également.)
De fait, en 1997 et 1998, nous avons fait le choix, avec le Gouvernement, de privilégier le rééquilibrage de la fiscalité du capital et du travail et la lutte contre les avantages fiscaux injustifiés.
Le basculement des cotisations sociales maladie vers la CSG a permis un allégement significatif des prélèvements sur les salaires tout en faisant davantage contribuer les revenus financiers au financement de la protection sociale. Cela s'est traduit par une augmentation sensible de la fiscalité sur les revenus de l'épargne, puisque le produit de cette fiscalité est passé, entre 1997 et 1998, de 50 milliards de francs à 75 milliards de francs, soit une augmentation de 50 %.
Cette réforme s'est accompagnée d'autres disositions de la fiscalité de l'assurance vie, la suppression ou la réduction marquent la même orientation : la réforme de certaines niches fiscales relatives à l'impôt sur le revenu comme à l'impôt sur les sociétés, telles que la loi Pons ou le dispositif des quirats, qui ne profitaient qu'aux revenus les plus élevés.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Oui, monsieur Oudin !
M. Marc Massion. Le renforcement de l'ISF en 1999 a complété cette action. Cette année 1999 aura été celle du lancement de la réforme de la taxe professionnelle, promise par tous les gouvernements et jamais réalisée.
L'année 2000 sera celle de l'allégement de la fiscalité indirecte : en deux ans, la TVA aura diminué de près de 30 milliards de francs et les droits de mutation auront été profondément modernisés.
Pour 2001, la réforme de la fiscalité directe sur les ménages sera approfondie. Mais, contrairement à ce qui avait été fait par les gouvernements précédents, il s'agira d'une baisse pour l'ensemble des ménages, concernant l'impôt sur le revenu et la taxe d'hatitation, comme l'a confirmé tout récemment M. le Premier ministre.
Ainsi, mes chers collègues, les enseignements à tirer de la réforme fiscale engagée depuis 1997 sont patents : jamais un gouvernement n'aura mené une réforme aussi importante de notre fiscalité en si peu de temps.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Jamais les impôts n'auront été aussi élevés !
M. Marc Massion. La loi de finances pour 2000 s'inscrit dans le prolongement de la lutte contre les inégalités mise en oeuvre par les précédentes lois de finances. Elle place l'emploi au coeur de la réforme fiscale. Le Gouvernement n'a pas voulu distiller des baisses d'impôt sans certitude de résultat.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Ah, ça non !
M. Marc Massion. C'est pourquoi il a ciblé son action sur le secteur du bâtiment et du logement et concilié ainsi création d'emplois et baisse des prélèvements.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Et pourquoi pas sur le secteur de la restauration ?
M. Marc Massion. Le Gouvernement a accompli une véritable modernisation structurelle de notre fiscalité du logement. Plusieurs mesures vont dans ce sens : la baisse de la TVA sur les travaux d'entretien et de rénovation des logements, la baisse des « frais de notaire », la suppression du droit de bail pour les locataires, la montée en charge de l'amortissement Besson, la poursuite de la baisse de la taxe professionnelle, qui favorise en priorité les entreprises à forte utilisation de main-d'oeuvre.
Au total, ces mesures représentent plus de 30 milliards de francs, dont 20 milliards de francs dus à la baisse de la TVA. Grâce à cette mesure, près de 30 000 emplois ont été ou seront créés dans le secteur du bâtiment.
Cette diminution des impôts indirects, obtenue - faut-il le rappeler ? - grâce à la ténacité du Gouvernement à convaincre ses partenaires européens, devra s'accompagner d'une réforme des impôts directs pour alléger la charge fiscale des Français.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Demain, on rase gratis !
M. Marc Massion. Pourquoi pas ? Cela m'avantagerait, monsieur le rapporteur général ! (Rires.)
Mais une réforme fiscale réaliste et efficace doit prendre en compte les contextes européen et mondial. Aussi, je voudrais insister sur la double nécessité d'une harmonisation fiscale européenne et d'une régulation des marchés financiers internationaux.
Les quinze pays de l'Union européenne doivent adopter, avant la fin de cette année, un « paquet fiscal » organisant une mise en oeuvre de l'harmonisation des prélèvements que l'arrivée de l'euro rend impérieuse.
Au sommet européen d'Helsinki, les 10 et 11 décembre prochains, les Quinze devront s'entendre sur une taxation harmonisée des revenus de l'épargne. L'opposition des Luxembourgeois, et surtout des Britanniques, peu disposés à perdre leurs fiscalités avantageuses, fait barrage. Voilà dix ans que l'Europe bute ainsi sur l'harmonisation de la fiscalité de l'épargne !
Dès 1989, la Commission avait pris l'initiative d'une première directive visant à introduire un régime unique de retenue à la source. Le projet avait tourné court faute d'accord unanime des Etats membres.
Le 5 juin 1998, en application d'une décision du Conseil des ministres de l'Union de décembre 1997, la Commission a présenté un nouveau projet de directive tendant à instaurer un système de « coexistence ». Les Etats membres auraient le choix entre une retenue à la source de 20 % sur les revenus des non-résidents ou un échange d'informations leur permettant d'imposer les revenus perçus par leurs résidents dans d'autres Etats membres.
Ce texte est aujourd'hui au coeur des discussions, mais la position du Royaume-Uni bloque, pour l'heure, toute perspective d'accord. Dans ces conditions, la règle de l'unanimité pour les décisions d'ordre fiscal doit-elle être maintenue ? Il y a danger à ne pas réussir à harmoniser la fiscalité de l'épargne.
Le marché unique supporte mal les distorsions de concurrence créées par le « moins-disant fiscal ». En l'absence de règles communes, les capitaux se dirigent naturellement vers les pays qui offrent la fiscalité la plus favorable.
Mon ami Gérard Fuchs, député de Seine-Maritime, dans son rapport d'information sur la fiscalité communautaire de l'épargne, précise que quelque 220 banques et 70 compagnies d'assurances géreraient aujourd'hui, au Luxembourg, plus de 2 500 milliards de francs d'une épargne venue de toute l'Europe, soit dix fois plus qu'il y a quinze ans. La libéralisation des mouvements de capitaux peut poser aux Etats des problèmes majeurs, car le niveau de l'épargne est un facteur primordial de la croissance et de l'emploi. L'absence d'harmonisation fiscale incite l'épargne à se localiser en fonction non des besoins économiques locaux mais de la fiscalité des Etats.
Enfin, plus grave car plus complexe, la libéralisation des marchés de capitaux a considérablement accru l'instabilité de nos économies. En effet, la déréglementation et l'innovation financière ont entraîné la mise en place d'un vaste marché international des capitaux disponibles. Désormais, ce sont non plus les paiements courants des pays qui commandent les mouvements de capitaux, mais les gains de tous ordres, souvent à court terme, qui peuvent être obtenus par la gestion dynamique de portefeuilles d'actifs. L'instabilité des changes et des taux d'intérêt joue un rôle certain dans l'apparition de ces gains.
La masse de ces capitaux est énorme : il s'échange chaque jour plus de 500 milliards de dollars sur le marché des changes.
Les statistiques de la BRI, la Banque des règlements internationaux, nous indiquent qu'à la fin de 1994 les encours de titres sur les marchés avoisinaient les 25 000 milliards de dollars, alors que, à la même date, les réserves officielles de change de tous les pays industrialisés et des pays en voie de développement étaient de l'ordre de 1 100 milliards de dollars. De plus, ces capitaux sont très mobiles.
La multiplication et la volatilité de ces capitaux n'est pas sans entraîner de graves conséquences sur les politiques économiques.
Tout d'abord, le taux de change a échappé au pouvoir des pays ; il est actuellement largement déterminé par le comportement des marchés. Avec des taux de change flottants, du fait de l'ampleur des sommes échangées sur les marchés, il est devenu impossible pour un pays, sauf à propulser les taux d'intérêt à des niveaux astronomiques, de stabiliser sa monnaie et de mener une politique monétaire un tant soit peu indépendante.
Les marchés déterminent également les taux d'intérêt à long terme, en même temps qu'ils exercent des pressions sur les taux d'intérêt à court terme, qui restent pourtant dominés par les taux de refinancement des instituts d'émission, en fonction des politiques monétaires mises en oeuvre. En pratique, si un pays veut défendre sa parité, il doit gérer ses taux d'intérêt en fonction de cet objectif.
Enfin, si les marchés internationaux permettent la transmission internationale de l'épargne - ils ont financé le développement de la Russie et de l'Amérique latine - le fonctionnement actuel du système international de paiement ne répond pas aux besoins de croissance des économies.
Comme l'a montré l'évolution et la répartition de ces capitaux dans les années quatre-vingt-dix, il y a eu mauvaise allocation des capitaux, d'où bulles spéculatives et fluctuations brutales des marchés.
Les mouvements de ces capitaux peuvent être très dé-stabilisants. Ainsi, les pays les plus touchés par la crise asiatique ont capté 93 milliards de dollars en 1996. En 1997, ils ont enregistré 12 milliards de dollars de sorties nettes. Cet exode a présenté l'équivalent de 10 % de leur produit intérieur brut.
L'instauration d'une taxe sur les opérations de change permettrait de freiner les mouvements de capitaux spéculatifs de court terme et réduirait la vulnérabilité de nos économies face aux marchés financiers.
M. Philippe Marini, rapporteur général. La taxe Tobin !
Mme Marie-Claude Beaudeau. On y viendra !
M. Marc Massion. Il s'agirait d'appliquer à chaque transaction une taxation, l'objectif étant de favoriser l'investissement à long terme par rapport à l'investissement à court terme et de dissuader les « allers et retours » sur une monnaie. Les sommes obtenues pourraient financer une partie de l'aide au développement des pays du tiers monde.
C'est, bien sûr, de la taxe dite « Tobin » qu'il est question ici, étant entendu que son efficacité serait inévitablement liée à son adoption sur la plan international.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est le moins que l'on puisse dire !
M. Philippe Marini, rapporteur général. On pourrait commencer par la France !
M. Marc Massion. Dans un premier temps, pourquoi ne pas tenter de l'appliquer à une zone phare, la zone euro ?
Cela dit, cette taxe « Tobin » n'a pas l'exclusivité de la démarche. D'autres pistes allant dans le même sens peuvent aussi être explorées.
De toute façon et quel que soit son nom, une telle disposition ne serait bien évidemment qu'un des éléments de réponse aux dysfonctionnements des marchés financiers. Elle devrait s'accompagner de mesures structurelles ciblées organisant la lutte contre la fraude fiscale et les paradis fiscaux, en préconisant, par exemple, la transparence et le renforcement des systèmes financiers et des contrôles prudentiels.
Il faut en effet accomplir des progrès en matière de transparence des comptes, que ce soit pour les agents publics ou les agents privés, notamment les fonds spéculatifs, les hedge funds .
Tony Blair a proposé la mise en place d'un code de bonne conduite en matière financière et monétaire et le développement de normes internationales de comptabilité publique.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. C'est un bon modèle, Tony Blair !
M. Marc Massion. L'opacité financière dans les pays émergents doit être dissipée. Cela favorisera une allocation optimale des fonds et permettra au FMI de mieux superviser.
Dans cette même optique, on ne peut qu'encourager une amélioration de la supervision et de la réglementation financière, notamment par une meilleure coordination entre les institutions financières et les organismes régulateurs. Il serait en effet nécessaire de favoriser les échanges de données entre les places financières et entre les autorités de surveillance. Le G7, lors de sa réunion du mois d'octobre 1998, a d'ailleurs demandé à M. Hans Tietmeyer, président de la Bundesbank, de présenter une série de recommandations sur les améliorations possibles de la surveillance financière et des règles prudentielles.
Plus avant, il s'agirait d'organiser une libération ordonnée des mouvements de capitaux, en autorisant l'instauration de dispositifs ciblés et temporaires dans les pays émergents, afin de freiner l'afflux soudain de capitaux à court terme.
De la même façon que la dynamique créée en France conforte efficacement la croissance mondiale, il faut que la volonté française de faire obstacle aux fraudes fiscales et à la circulation abusive des capitaux, transformés en fonds spéculatifs, soit entendue lors des négociations internationales, en particulier avec nos partenaires européens.
Il s'agit là, à mon sens, d'un prolongement naturel et indispensable de la politique menée par le Gouvernement. Je ne doute pas de la volonté de ce gouvernement de s'investir dans cette démarche. Et là encore, monsieur le ministre, puisqu'il s'agit d'aller vers plus de justice et plus de solidarité, vous nous trouverez à vos côtés. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, M. du Luart a souhaité élever la qualité de l'information économique de nos concitoyens.
En dehors de quelques contrevérités qui se sont égarées ici ou là, le débat général qui a porté sur la loi de finances pour l'an 2000 a, je crois, apporté des informations économiques importantes. Parmi les contributions à ce débat, je voudrais mentionner tout spécialement l'exposé de M. Bourdin et le rapport, que j'ai pu feuilleter, sur les perspectives macroéconomiques pour 2004. Ils participent, à l'évidence, de cette contribution importante, traditionnelle, mais de qualité, de la Haute Assemblée au débat économique dans ce pays.
Ce débat a donc été de bonne qualité.
Je voudrais dire à M. du Luart que j'ai parfois perçu, dans son argumentation, une tendance, à coup de citations américaines, à déprécier un peu les performances économiques de notre pays, dont la réussite est, selon moi, indéniable. Ce succès n'est pas uniquement imputable au Gouvernement, bien évidemment - M. de Rohan l'a fort bien dit - car chacun y a mis du sien, notamment les entreprises, auxquelles vous avez rendu hommage, hommage auquel je souscris volontiers, sauf peut-être pour telle ou telle qui se glorifie de licencier devant les analystes financiers.
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Auxquelles pensez-vous ?
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je ne sais pas ! Laissez mon propos rouler, si vous voulez bien ! (Sourires.)
Les entreprises ont créé 635 000 emplois, en bonne partie grâce à la croissance, en bonne partie grâce à d'autres dispositifs tels que la réduction du temps de travail, sur laquelle je reviendrai à propos de l'exposé de M. Bourdin.
Vous avez parlé, monsieur du Luart, de « capitalisme populaire ». S'il s'agit de sortir de dispositifs opaques dans lesquels certains s'attribuent, dans une obscurité parfaite, des rémunérations qui n'ont pas forcément un lien direct soit avec l'audace, soit avec la prise de risques, si vous êtes partisan d'associer les salariés, un grand nombre de salariés, à la prospérité de leur entreprise, voire à la prise de décisions dans les entreprises, je pense que les réflexions que le Gouvernement mène actuellement avec sa majorité sur l'épargne salariale et sur l'actionnariat salarié iront dans votre sens. J'espère qu'au moment où il faudra voter des textes nous aurons votre soutien !
M. Philippe Darniche a expliqué que les abattements d'impôts n'étaient pas exactement ce qu'ils étaient, qu'il y avait du plus, qu'il y avait du moins. Nous vous proposons très clairement un budget qui prévoit une baisse nette de 40 milliards de francs d'impôt. Depuis le 15 septembre, les Français en sont, je crois, convaincus, et je voudrais répondre à certains propos.
M. Darniche a parlé de la résorption du travail au noir. Je peux lui dire qu'à hauteur de 1 milliard de francs nous avons fait l'hypothèse que du travail non déclaré deviendrait du travail déclaré.
M. Darniche a dit, je l'ai noté, qu'il s'agissait d'une bonne mesure. Comme c'est la principale mesure de ce projet de loi de finances, je me réjouis de ses compliments, d'autant qu'il les a étendus à la couverture maladie universelle et au revenu minimum d'insertion, sur lequel des critiques ont été faites ici ou là. Il a parlé - il a été le premier, mais pas le seul - des rapports entre l'Etat, les communes, les départements, les régions. Je voudrais évoquer un seul argument qui, me semble-t-il, est frappant : si le pacte de stabilité, qui couvrait la période 1996-1998 - pacte qui a été voté par ceux qui siègent à droite de cet hémicycle - et qui avait été imposé de façon unilatérale, sans être négocié, aux collectivités locales, avait été prolongé jusqu'à l'an 2000, ce sont 3,8 milliards de francs de moins que les collectivités auraient eus ! Nous lui avons substitué un contrat de croissance et de solidarité.
M. Darniche a fait allusion à la compensation de la diminution de la taxe professionnelle. Il n'est pas sans savoir que l'Assemblée nationale a indexé cette compensation non pas sur ce qui résultait des règles, c'est-à-dire 0,8 %, mais sur la progression de la dotation globale de fonctionnement avant qu'elle ne bénéficie, si je puis dire, des abattements dont M. Auberger s'est fait l'auteur célèbre.
M. Darniche a parlé de formation professionnelle. C'est un sujet important, car il est clair que, à côté de la politique de demande que nous avons menée et dans le cadre de la politique d'offre que certains ont souhaitée, nous devons, pour des raisons économiques, mais aussi pour des raisons sociales, faire un effort accru de formation professionnelle, formation technique, initiale et continue. Il y a là une ambition que le Gouvernement entend développer et un livre blanc a été publié par ma collègue sur ce sujet.
M. Darniche a fait allusion à la revalorisation de l'allocation aux adultes handicapés. Le Gouvernement a pris l'engagement de garantir le pouvoir d'achat de cette prestation importante. Pour 1999 et 2000, la hausse de cette allocation dépassera même celle des prix. Pour les handicapés eux-mêmes, un programme pluriannuel couvre la période 1999-2003 concernant la création de places de centres d'aide par le travail ou d'ateliers protégés. En matière d'appui à nos concitoyens handicapés, ce gouvernement a donc fait beaucoup et il continuera.
M. de Rohan, j'y ai fait allusion tout à l'heure, a dressé au début de son propos un panorama, sans doute vrai mais flatteur, de la situation économique de notre pays. Il a reconnu, je l'ai dit, une part de responsabilité au Gouvernement.
Il a fait allusion à des comparaisons en matière de prélèvements obligatoires, mais sur ce point il faut être prudent, car les dispositifs sont différents. Par exemple, les systèmes de retraite complémentaire sont inclus dans notre dispositif de prélèvements, ce qui n'est pas le cas en Allemagne. Ce qui compte, ce ne sont pas tant les niveaux que les évolutions, et, l'an prochain, les prélèvements obligatoires diminueront.
Il a été le premier à parler de la grande misère supposée des investissements civils. Je citerai tout à l'heure des chiffres relatifs à la progression de ces investissements. Je peux d'ores et déjà indiquer que, dans la loi de finances pour 1999, les investissements atteignaient, tout compris, 168,79 milliards de francs, et qu'ils passeront, dans le budget prochain, à 172 milliards de francs. Cette progression est deux fois plus rapide que celle du budget de l'Etat. Où est donc le sacrifice annoncé en l'an 2000 ? Je crois qu'il n'existe pas, et si l'on considère les contrats de plan, dont j'ai déjà parlé, c'est-à-dire cette masse considérable de 120 milliards de francs que l'Etat va investir dans les équipements civils sur la période 2000-2006, on peut affirmer que le thème du sacrifice des investissements civils n'est absolument pas corroboré par les faits.
M. de Rohan a, en outre, estimé que le périmètre du budget de l'Etat changeait, en soupçonnant le Gouvernement d'avoir transféré un certain nombre de charges à l'extérieur de celui-ci. Je voudrais, par souci d'équilibre, mentionner la rebudgétisation, pour un total de près de 56 milliards de francs depuis le mois de juin 1997, la suppression de sept comptes spéciaux du Trésor et de cinquante fonds de concours et l'amorce d'une réforme de la parafiscalité. Je crois que, du point de vue de la sincérité, nous n'avons pas de leçon à recevoir. Je ne ferai évidemment pas allusion, à une heure aussi tardive, à la soulte de France Télécom !
M. Philippe Marini, rapporteur général. De vieilles choses !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. de Rohan a aussi reproché à l'Etat d'avoir réduit le taux de la taxe professionnelle, au moins pour sa part salariale, restreignant ainsi l'autonomie fiscale des collectivités locales.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est bien vrai !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Comme l'expérience le montre - les collectivités locales le sentent et les entreprises le vivent - la suppression sur cinq ans de la part salariale de la taxe professionnelle est une bonne mesure pour l'emploi, et chacun doit s'en féliciter. La compensation a été justement calculée.
M. Philippe Marini, rappporteur général. Un dégrèvement aurait été bien meilleur !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. De toute façon, monsieur le rapporteur général, M. Miquel l'a rappelé à juste titre, l'Etat a institué une commission de décentralisation pour réexaminer les rapports et la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités locales. Cette commission est présidée par un homme incontestable, M. Pierre Mauroy, qui a conduit, en 1982, en qualité de Premier ministre, cette décentralisation contre laquelle la droite unie s'était alors arc-boutée.
Mme Beaudeau a estimé que nos prévisions étaient quelque peu optimistes. Je ne le pense pas, madame. Je pense, au contraire, qu'elles traduisent notre foi confiante dans le potentiel de croissance de notre pays.
Vous avez soupçonné le Gouvernement d'avoir minimisé les recettes fiscales de l'année 1999. Nous allons, me semble-t-il, atteindre le taux de croissance qui était prévu, taux qui était jugé irréaliste voilà un an par certains ici. Ce taux devrait se situer autour de 2,7 % de 1998 à 1999, mais la hausse des prix sera plus faible : 0,5 % à 0,6 % au lieu des 1,2 % ou 1,3 % escomptés. Certes, l'impôt sur le bénéfice des sociétés rapportera plus ; certes, parce que la création d'emplois a été importante et parce que le pouvoir d'achat a progressé, l'impôt sur le revenu rapportera plus, mais, au titre de la TVA, comme il y a moins de hausse des prix, nous aurons un peu moins de produit.
Madame la sénatrice, je crois que l'estimation, que nous avons établie au mois de septembre dernier, d'une plus-value fiscale de 13 milliards de francs en 1999 par rapport à ce que nous escomptions voilà un an est une prévision réaliste et prudente. Comme vous le savez, et nous le verrons au cours du débat sur le collectif budgétaire, nous opérons un partage en deux moitiés de cette plus-value, la première étant destinée à couvrir les baisses d'impôt qui ont été lancées le 15 septembre, l'autre moitié visant à compenser un certain nombre de dépenses sur lesquelles nous reviendrons.
L'an prochain, il ne se profile pas non plus de miracle fiscal. Si l'on raisonne à fiscalité constante, sans changer les barèmes, les impôts progresseront au même rythme que la production nationale, ce qui est normal, c'est-à-dire d'un peu moins de 4 %.
Comme nous vous proposons de baisser les impôts l'an prochain de 40 milliards de francs, la progression des recettes sera inférieure à la progression de la production nationale.
Telles sont mes observations concernant les recettes.
S'agissant des dépenses, vous avez dit que la droite, pour reprendre vos termes, voulait dépenser moins et mieux. Ce sont exactement les termes qui ont été employés par le président de la commission des finances, et je respecte entièrement ses convictions.
Notre conviction à nous, c'est que nous devons dépenser non pas moins et mieux,...
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Plus !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... mais mieux et mieux !
M. Alain Lambert, président de la commission des finances. Plus !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Je crois que le projet de budget qui vous est soumis correspond tout à fait à cela.
Vous avez, et c'est bien normal, attiré l'attention sur la lutte contre la pauvreté et vous avez souligné que, dans le projet de loi de finances, enrichi notamment par la composante communiste de la majorité durant le débat en première partie à l'Assemblée nationale, nous avons fait un effort dans le domaine fiscal, dans le domaine des revenus, vers nos concitoyens les plus en difficultés. Mais nous aurons l'occasion d'en reparler à l'occasion de la réflexion que nous mènerons ensemble sur la réforme de la fiscalité directe, la taxe d'habitation et l'impôt sur le revenu, d'ici à 2001.
Vous avez fait un certain nombre de suggestions précises et claires sur le plan fiscal ; nous aurons également l'occasion d'y revenir.
Madame la sénatrice, nous allons dans la bonne direction en termes de partage du revenu national. En effet, la répartition entre les salaires et les profits, pour schématiser, qui s'était dégradée de façon continue au détriment des salariés, est en train de se redresser avec la croissance retrouvée en 1999 et en 2000. Je rappelle que le SMIC a connu en deux ans une augmentation de pouvoir d'achat de 6 %.
J'en viens maintenant à l'exposé très coloré de M. Paul Girod, oscillant entre le rose et le noir. Je voudrais lui dire - en ayant recours à un argument que je n'ai pas encore utilisé - puisqu'il parle de trompe-l'oeil, de bonneteau et autres amabilités, que ce que nous avons fait en matière de relations entre l'Etat et la sécurité sociale est un pur plagiat de ce que M. Balladur a fait, en 1994, lorsqu'il a transféré les taxes sur les alcools et une partie de la contribution sociale généralisée au fonds de solidarité vieillesse ; il y en avait, à l'époque, pour une cinquantaine de milliards de francs.
Quelle différence y a-t-il entre cette opération faite en 1994, opération à laquelle vous avez certainement, avec la discipline que je vous connais, monsieur le rapporteur général, apporté votre soutien, et ce que nous faisons en 1999 en transférant les impôts sur le tabac à un fonds d'allégement des cotisations sociales pour les travailleurs moins qualifiés ?
M. Paul Girod a parlé de fuites des capitaux, alors que nous avons un excédent de balance des paiements ; il a parlé d'exode des capitaux, alors que la France est le premier pays d'accueil des investissements étrangers en Europe et que, si la bourse est à un bon niveau, c'est dû, non seulement à l'épargne française, mais aussi à l'afflux de capitaux étrangers. Il a parlé de foisonnement de créations d'impôts, alors que nous avons supprimé dix impôts en 1999,...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Des tout petits, imperceptibles !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... que nous en supprimons cinquante en l'an 2000, que 15 millions de formulaires disparaissent cette année et que 5 millions de formulaires disparaîtront l'an prochain. Si cela avait été fait antérieurement, comme aurait dit M. Dominique Strauss-Khan, nous n'aurions pas à le faire maintenant !
M. Girod a parlé d'aménagement du territoire. Eh bien, à l'intention des quartiers en difficulté, des zones de revitalisation rurale, nous avons pris des mesures concrètes pour la création d'emplois. Nous avons organisé des transferts financiers précis. A ce propos également, je le renvoie au remarquable exposé de M. Miquel, qui a dressé un panorama complet de la dynamique des relations entre l'Etat et les collectivités locales les plus défavorisées. En la matière, les propos alarmistes de M. Girod, quoique brillants, me semblent tout à fait injustifiés.
M. Bernard Angels a fait devant la Haute Assemblée un exposé sur le triptyque éclatant : croissance, confiance, activité, exposé charpenté dans lequel la raison l'emportait sur l'anathème et les faits sur les prévisions apocalyptiques. C'est le type même d'exposé républicain qui, prononcé à la Convention en 1789, aurait été édité et porté à la connaissance des citoyens.
M. Philippe Marini, rapporteur général. La Convention, c'était un peu plus tard.
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. En effet !
M. Angels a apporté deux éléments très positifs au débat. Il a bien montré que notre dynamique de croissance portait à la fois sur les nouvelles technologies et sur les secteurs traditionnels comme le bâtiment. Nous « poussons » la croissance dans tous les secteurs.
Par ailleurs, il a évoqué, en employant une très jolie expression, la « flibuste fiscale » en Europe.
M. Massion, quant à lui, a fait allusion à l'harmonisation fiscale. J'étais à Londres, ce matin, pour débattre avec mon collègue britannique de ce sujet.
J'avoue que l'évolution du dossier sur la fiscalité de l'épargne me préoccupe. Il est bien évident que tous les citoyens « en raison de leurs facultés », comme l'indique la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, doivent apporter leur contribution aux finances publiques. Mais nous reparlerons de cette question lundi, lors du conseil ECOFIN, et lors du sommet d'Helsinki, qui s'ouvrira peu après.
M. de Villepin a, comme toujours, dressé une grande fresque précise et lucide des menaces extérieures.
En matière de crise financière, je l'invite à se reporter à l'analyse commentée par M. Bourdin, qui a montré que l'hypothèse d'une crise boursière aux Etats-Unis n'aurait pas les effets catastrophiques que certains prédisent. Elle apporterait simplement un coup de frein à la croissance américaine ; on a parlé de quelque 0,4 %. Cela aurait un petit impact sur notre économie et, si les prévisions que nous avons élaborées sont un peu en dessous de celles des instituts privés, c'est parce que nous avons considéré l'hypothèse dans laquelle l'économie américaine connaîtrait une certaine décélération.
Je voudrais indiquer à M. de Villepin que notre pays enregistre un surplus d'épargne, alors que les Etats-Unis doivent faire face à un déficit. Le grand défi que nous nous sommes lancé est de faire en sorte que l'épargne française, abondante, se déplace peu à peu des placements sûrs que sont les placements obligataires, vers les placements plus rémunérateurs mais plus risqués que sont les placements en actions. Des contrats d'assurance vie qui portent des initiales fameuses vont dans cette direction.
Lorsque nous parlerons d'épargne salariale, nous pourrons amplifier le mouvement.
M. de Villepin a également évoqué les dépenses militaires. Je lui signale courtoisement que 12 milliards de francs ont été annulés à ce titre en 1995 et que le budget militaire, à la fin de 1999, enregistrera des reports de crédits d'investissement supérieurs à ceux de 1998.
M. Lachenaud a parlé de rupture d'unité, d'universalité du budget. Là encore, je me référerai à l'opération légitime de transferts de ressources à la sécurité sociale opérée par M. Balladur. Par ailleurs, en instituant une discussion sur le budget de la sécurité sociale, M. Juppé, alors Premier ministre, a contribué au débat démocratique.
M. Lachenaud a évoqué notre méthode de réforme fiscale. Nous avons certes pu nous montrer imparfaits sur tel ou tel sujet, mais la réforme de la TVA sur le bâtiment a résulté d'un dialogue parlementaire. M. Badré, au Sénat, y a participé et l'Assemblée nationale a voté une résolution ciblée sur les travaux d'entretien du bâtiment. Nous avons dialogué avec les professionnels et nous continuons à le faire, notamment à propos des bâtiments en copropriété comprenant à la fois des bureaux et des logements. Je pense que cette réforme - dont, d'ailleurs, vous avez approuvé le principe - a été bien conçue, bien concertée et est bien appliquée.
M. Oudin a parlé de l'unicité du budget ; je crois lui avoir répondu. Il a inventé un théorème selon lequel plus les prélèvements obligatoires sont élevés plus le chômage est élevé. Or, tout près de chez nous, les Pays-Bas ont un taux de chômage de 3 % et un taux de prélèvements obligatoires qui ne devrait pas nous faire rougir. Le seul moment où il y a eu corrélation entre les deux termes, chez nous, c'est entre 1993 et 1997, lorsque les prélèvements obligatoires ont été majorés de deux points et le chômage de 500 000 personnes.
M. Oudin n'aime pas les fonctionnaires ; c'est son droit.
M. Philippe Marini. rapporteur général. Cela m'étonnerait de sa part !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il peut souhaiter que nous privatisions l'enseignement, comme aux Etats-Unis ; nous avons une autre conception.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il n'a pas dit cela !
M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Il a cité l'OCDE de façon tronquée. Je pourrais, à mon tour, citer les éloges des administrateurs du Fonds monétaire international, mais, à coup de citations, nous pourrions dialoguer encore longtemps !
M. Loridant a évoqué l'Europe économique et monétaire comme un carcan. Je pense très sincèrement que la croissance que nous avons retrouvée, grâce à une politique monétaire accommodante, grâce à des politiques budgétaires sérieuses, est compatible avec l'euro, je dirai même est favorisée par l'existence de l'euro.
Pour ce qui est de l'Europe sociale, nous allons préparer le sommet de Lisbonne. Vous savez que M. le Premier ministre a suggéré que nous donnions comme perspective le retour au plein emploi à l'échelle européenne. Il a préconisé l'établissement d'un pacte social pour cinq ans qui puisse permettre à chaque pays de définir son chemin pour se rapprocher du plein emploi en jouant sur le clavier de tous les instruments.
M. Miquel a présenté un exposé objectif, clair, approfondi sur les finances locales. Il a parlé de la Caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales, sujet que Mme Beaudeau a également abordé.
Il a expliqué que l'effort de redressement était partagé entre l'Etat et les employeurs : c'est la première fois que l'Etat apporte une contribution en réduisant ce qu'on appelle le taux de surcompensation.
Il a posé une véritable question, celle de la péréquation. Ensemble, nous devons trouver les moyens de renforcer cette péréquation. Le problème n'est pas que l'Etat donne de plus en plus d'argent aux collectivités locales, il est de faire en sorte que cet argent donné aille à celles qui en ont le plus besoin. Ce qui a été fait en matière de dotation de solidarité urbaine, la DSU, et de dotation de solidarité rurale, la DSR, va, à cet égard, dans le bon sens.
Monsieur Miquel, vous avez aussi évoqué la taxe professionnelle de France Télécom. Avec cette entreprise, nous sommes en train de recenser les bases de sa taxe professionnelle. Vous avez suggéré des idées intéressantes pour que, lorsque nous aurons déterminé cette taxe professionnelle, elle soit plutôt affectée à la péréquation.
M. Badré nous a reproché de barrer « par petit temps ». Le temps, on ne le choisit pas, mais le fait d'être en tête de la régate n'est pas complètement défavorable !
Je lui dirai tout simplement que, s'agissant des investissements civils, les contrats de plan sont là pour prouver que le Gouvernement agit.
En ce qui concerne la dette, il a cité les chiffres de 1997 à 1999. Je lui rappellerai que la dette publique a augmenté de 1 000 milliards de francs entre 1993 et 1997 et que, l'an prochain, elle baissera en pourcentage du produit intérieur brut pour la première fois depuis vingt ans.
J'en viens à M. Bourdin.
J'ai déjà fait allusion à ses travaux de grande qualité. Il a mentionné comme une perspective réaliste, d'après les instituts consultés, la création de 400 000 emplois d'ici à 2004 grâce aux 35 heures. Cette estimation tranche avecles cris d'alarme poussés ici ou là.
Je discuterai simplement son affirmation selon laquelle le taux de chômage ne pourrait baisser au-dessous d'un plancher fixé à 9 %. Un économiste de qualité comme M. Artus pense que, si nous avons une croissance de 3 % - ce qui est possible d'ici à 2005 - notre taux de chômage pourrait diminuer jusqu'à 5 %.
M. Massion, pour terminer, s'est livré à une présentation pédagogique de la politique fiscale menée par le Gouvernement. Il a fait allusion à ce que nous devons entreprendre à l'échelle européenne. Il a montré combien il était urgent de parvenir à mieux maîtriser les mouvements internationaux de capitaux par des règles prudentielles, par un contrôle des fonds spéculatifs, par une lutte contre les centres off-shore, c'est-à-dire non coopératifs. Il a souhaité qu'on réfléchisse à des règles qui s'imposeraient à tous.
Il a fait allusion à la taxe Tobin. Je répondrai simplement que, si nous en limitions l'application à la seule zone euro, nous ferions la part trop belle à des centres financiers situés en dehors de cette zone. Ce champ serait à l'évidence trop restreint.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, peut-être trop brièvement exposées, - mais l'heure tourne ! - les réponses que je voulais apporter dans ce débat qui, comme toujours à la Haute Assemblée, a été de très grande qualité. ( Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général applaudissent également.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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