Séance du 29 novembre 1999







M. le président. Par amendement n° I-3, M. Marini, au nom de la commission, propose d'insérer, avant l'article 2 bis un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le début du premier alinéa du 3 de l'article 6 du code général des impôts est ainsi rédigé : "Toute personne majeure âgée de moins de vingt et un ans, ou de moins de vingt-cinq ans lorsqu'elle poursuit ses études ou est demandeur d'emploi, ainsi que, quel que soit son âge,"... (Le reste sans changement.) »
« II. - L'article 196 B du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Art. 196 B. - Le contribuable qui accepte le rattachement des personnes désignées au 3 de l'article 6 bénéficie d'un abattement de 24 000 francs sur son revenu global net par personne ainsi prise en charge.
« III. - Le deuxième alinéa du 2 du I de l'article 197 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« Toutefois, la réduction d'impôt correspondant à la part accordée au titre du premier enfant est portée à 16 380 francs sauf pour les contribuables célibataires, divorcés ou soumis à l'imposition distincte prévue au 4 de l'article 6, qui répondent aux conditions fixées au II de l'article 194 pour lesquels la réduction d'impôt est de 20 610 francs. »
« IV. - Dans la première phrase du 2° ter du II de l'article 156 du code général des impôts, les mots : "soixante-quinze ans" sont remplacés par les mots : "soixante ans".
« V. - La perte de recettes résultant pour l'Etat des dispositions des paragraphes I à IV est compensée à due concurrence par une majoration des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le président, vous me faisiez remarquer, à juste titre, ce matin que nous avions voté la conséquence avant la cause ; la cause est ici. En d'autres termes, cet amendement portant article additionnel avant l'article 2 bis tend à déterminer une modification que nous avons déjà votée ce matin.
Il a pour objet de prévoir divers aménagements ponctuels favorables à la famille et aux solidarités privées, à savoir : rétablissement à 16 380 francs du plafond de l'avantage fiscal résultant d'une demi-part de quotient familial pour les familles n'ayant qu'un enfant à charge ; possibilité de rattachement au foyer fiscal des enfants à la recherche d'un emploi ; élévation à 22 000 francs du montant fixé par le code général des impôts pour l'abattement dont bénéficient les enfants rattachés ; enfin, abaissement à soixante ans de l'âge minimal à partir duquel la personne recueillie ouvre droit à la déduction prévue au code général des impôts.
Nous avons pris l'initiative de présenter ces dispositions, qui ont été, pour une large part d'entre elles votées par le Sénat, à l'occasion du récent débat sur le pacte civil de solidarité.
La commission des finances estimait qu'il était nécessaire en particulier de mieux traiter les familles comprenant des enfants de plus de vingt ans à la recherche d'un emploi et domiciliés chez leurs parents.
Nous sommes conscients qu'un tel régime d'abattement serait plus favorable que le mécanisme de quotient familial plafonné à 11 000 francs, mais nous estimons qu'il faut hiérarchiser les avantages. Ce dispositif a vocation à s'appliquer à des jeunes adultes qui entraînent, le plus souvent, des charges élevées pour les familles.
En outre, l'extension du système de l'abattement simplifierait les déclarations des contribuables qui, sur la base de 2 000 francs par mois, pourraient procéder à une telle réduction sans avoir à fournir des justificatifs, toujours fastidieux à rassembler, ce qui faciliterait, du même coup, la tâche des services fiscaux.
La commission estime qu'il faut encourager le développement des solidarités privées. C'est la raison pour laquelle elle souhaite favoriser l'accueil à domicile des personnes âgées en abaissant de soixante-quinze à soixante ans l'âge à partir duquel les personnes recueillies au foyer ouvrent droit à la déduction de 17 680 francs.
Monsieur le secrétaire d'Etat, nous attachons beaucoup d'importance à cette mesure, qui peut concerner nombre de foyers fiscaux.
Nous savons qu'elle a un coût significatif, probablement de l'ordre de 1 milliard de francs, mais elle nous semble nécessaire dans le cadre des orientations à donner à la réforme de l'impôt sur le revenu.
Tout à l'heure, j'ai parlé de la hiérarchisation des avantages fiscaux. Yves Fréville, lui, a formulé un certain nombre de réflexions concernant les couples en parlant de le « conjugalisation » de la décote.
Dans la fiscalité sur la personne, il faut retrouver des valeurs. Il faut que la conception de l'impôt sur le revenu reflète une vision claire de la société, de son devenir et, de même que nous sommes attachés au mariage et au statut fiscal qui doit lui correspondre, de même nous estimons, s'agissant des jeunes à la recherche d'un emploi et à la charge de leurs parents, qu'il est bon que la fiscalité tienne compte des besoins objectifs qu'une telle situation peut induire.
Tel est l'esprit dans lequel la commission des finances a préparé cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. Cet amendement présente quatre propositions différentes ; il vise : en premier lieu, - et c'est le point sur lequel vous avez le plus insisté, monsieur le rapporteur général - à étendre aux enfants chômeurs âgés de moins de vingt-six ans la possibilité du rattachement au foyer fiscal de leurs parents ; en deuxième lieu, à substituer au quotient familial l'application d'un abattement de 24 000 francs pour tout enfant majeur rattaché au foyer fiscal d'un contribuable ; en troisième lieu, à porter de 11 060 francs à 16 380 francs le plafond du quotient familial pour le premier enfant à charge ; en quatrième et dernier lieu, à abaisser de soixante-quinze ans à soixante ans l'âge à partir duquel une personne hébergée sous le toit d'un contribuable ouvre pour celui-ci le droit à déduction des frais d'accueil de son revenu imposable.
Je vais donner une réponse précise à chacun de ces quatre points.
Premier point : les enfants majeurs qui ne poursuivent pas d'études sont imposables à l'impôt sur le revenu sous leur propre responsabilité dès lors qu'ils ont plus de vingt et un ans. Toutefois, s'ils sont en situation de besoin, les parents peuvent déduire de leur revenu imposable, dans la limite de 20 480 francs pour l'imposition des revenus de 1999, les sommes qu'ils leur versent à titre de pension alimentaire.
Monsieur le rapporteur général, cette solution est beaucoup plus favorable que celle du rattachement de l'enfant au foyer fiscal de ses parents pour les personnes qui ne disposent que de revenus modestes.
Je prendrai un exemple chiffré. A l'heure actuelle, un couple marié déclarant 140 000 francs de salaires et versant annuellement 20 000 francs de pension alimentaire à un enfant chômeur de plus de vingt et un ans verse 2 602 francs au titre de l'impôt sur le revenu. Si l'amendement était adopté, son imposition serait portée à 3 699 francs, soit une augmentation de plus de 40 %.
C'est bien entendu à dessein que je n'ai pas pris l'exemple d'un couple percevant des revenus salariaux élevés. Ce qu'il faut essentiellement retenir, monsieur le rapporteur général, c'est que votre suggestion ne paraît guère favorable aux plus modestes.
J'en viens au deuxième point : le rattachement des enfants mariés ou célibataires chargés de famille âgés de moins de vingt et un ans, ou de moins de vingt-cinq ans s'ils poursuivent des études, prend la forme d'un abattement qui est aujourd'hui de 20 480 francs par personne rattachée pour l'imposition des revenus de 1999, de telle sorte que l'avantage maximal en impôt n'excède pas, pour les contribuables imposés au taux marginal le plus élevé, celui qui résulte du quotient familial, soit 11 060 francs.
Votre proposition tendant à accorder un abattement de 24 000 francs pour tout enfant majeur rattaché au foyer d'un contribuable aurait pour effet d'accorder un avantage en impôt plus important aux personnes qui rattachent un enfant majeur qu'à ceux qui ont la charge d'un enfant mineur. En effet, aux termes de cette proposition, l'avantage maximal en impôt - calculé en fonction du taux marginal le plus élevé, soit 54 % - s'élèverait à 12 960 francs, alors que celui qui résulte du plafond du quotient familial, qui s'appliquait en tout état de cause aux enfants mineurs, est limité pour 1999 au plafond de 11 060 francs. Il y a là, me semble-t-il, un problème de conception, à moins que vous ne cherchiez à avantager les enfants majeurs par rapport aux enfants mineurs.
Sur le troisième point, le plafond du quotient familial a été fixé l'an dernier à 11 000 francs. Cette mesure, décidée après concertation avec les associations familiales, est la contrepartie du rétablissement de l'universalité des allocations familiales. Elle permet d'introduire une progressivité de l'effort de solidarité en fonction du revenu et de préserver la situation de toutes les familles disposant de revenus modestes.
Ainsi, s'agissant des couples mariés avec un enfant, seules les familles percevant plus de 36 485 francs de revenu déclaré par mois, sont concernées par le plafonnement du quotient familial.
Par ailleurs, la situation des foyers monoparentaux a été préservée par le Gouvernement puisque le plafond de la majoration du quotient familial afférent au premier enfant à charge de ces contribuables n'est pas modifié.
J'ajoute que votre proposition aurait pour effet de compliquer, s'il en était besoin, le mécanisme du quotient familial, qui comporte déjà quatre plafonds différents.
En outre, votre amendement avantagerait de façon anormale les personnes qui vivent en union libre et qui ont à leur charge un enfant chacun par rapport aux couples soumis à une imposition commune.
Sur le dernier point, enfin, la déduction prévue au 2° ter du II de l'article 156 du code général des impôts vise à encourager les contribuables à accueillir à leur domicile des personnes âgées et démunies de ressources en l'absence d'obligation alimentaire entre ces personnes. De plus, les avantages en nature consentis par les foyers d'accueil constituent des libéralités et, à ce titre, ne sont pas imposables pour leurs bénéficiaires ; cela a d'ailleurs été confirmé par la Cour de cassation.
Compte tenu de son caractère extrêmement favorable, cette mesure doit conserver son champ d'application strictement limité aux personnes les plus âgées ne disposant pas de moyens financiers importants.
Pour ces différentes raisons - et je pense avoir opposé sur chacune de vos propositions, des objections dirimantes - je vous demande, monsieur le rapporteur général, de bien vouloir retirer cet amendement.
M. Michel Moreigne. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je ne suis pas convaincu, monsieur le secrétaire d'Etat, par l'ensemble de cette démonstration.
M. Michel Moreigne. Elle est pourtant mathématique !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Non, pas tant que cela !
Sur l'intérêt respectif du système de l'abattement et du système de la pension alimentaire, il faut se souvenir que ce dernier est plus difficile à gérer pour les contribuables. En effet, il leur impose de fournir des justificatifs aux services fiscaux. Le choix de l'abattement correspond donc surtout à un souci de simplicité.
M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat. C'est important ! Et cela va aussi dans le sens de la transparence !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Bien sûr ! Mais peut-être existe-t-il des situations où le contribuable serait susceptible de choisir l'une ou l'autre voie.
Je voudrais me réserver la possibilité, d'ici à la seconde lecture, d'améliorer éventuellement la rédaction de l'amendement sur ce point.
S'agissant de la hiérarchisation des avantages, il est vrai qu'un jeune adulte à la recherche d'un emploi coûte plus cher à ses parents qu'un enfant d'âge scolaire : je crois que chacun peut en faire l'expérience. Je ne vois aucun inconvénient, bien au contraire, à ce que, en ce domaine, les avantages soient ajustés à la réalité des coûts, dans un état donné de la société.
Monsieur le secrétaire d'Etat, comme vous l'avez montré par votre intervention très détaillée, il s'agit de sujets complexes. La commission maintient son amendement en se réservant de l'améliorer sur des points techniques, soit en vue d'un accord en commission mixte paritaire - il n'est pas interdit d'espérer ! - soit en vue d'une nouvelle lecture.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° I-3.
M. Yves Fréville. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Fréville.
M. Yves Fréville. J'approuve l'amendement de la commission, et le raisonnement de M. le rapporteur général sur ce que, en langage technique, on appelle l'« échelle d'Oxford », c'est-à-dire le fait qu'un enfant majeur coûte plus cher qu'un enfant mineur, me paraît tout à fait pertinent.
Mais je veux surtout réagir à un propos de M. le secrétaire d'Etat concernant la fiscalité d'un couple en union libre ayant des enfants. Je crois me souvenir que, du fait du vote d'un amendement de M. de Courson, amendement dont j'étais d'ailleurs cosignataire, il n'y plus à cet égard de différence selon que le couple vit en union libre ou se trouve dans une autre situation. Je n'ai pas du tout compris, sur ce point, le raisonnement de M. le secrétaire d'Etat et je ne voudrais pas que cette interprétation fît en quelque sorte jurisprudence.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° I-3, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, avant l'article 2 bis .

Article 2 bis