Séance du 16 décembre 1999







M. le président. La parole est à M. de Villepin.
M. Xavier de Villepin. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères et porte sur la décision du Conseil européen d'Helsinki d'accorder à la Turquie le statut officiel de candidat à l'adhésion.
La perspective, pour ce grand pays allié qu'est la Turquie, d'intégrer, le moment venu, l'Union européenne est, certes, de nature à accélérer les réformes nécessaires dans ce pays, en particulier dans le domaine des droits de l'homme et du respect des minorités.
De même cette perspective pourrait-elle contribuer à faciliter le règlement de litiges bilatéraux anciens entre ce pays et la Grèce et à apaiser durablement une région particulièrement sensible aux portes de l'Europe.
Il va de soi, enfin, que nous mesurons l'importance économique qui s'attacherait à l'élargissement de l'Union européenne à la Turquie.
Pour toutes ces raisons, la démarche d'Helsinki peut être un facteur de progrès.
Les perspectives ainsi ouvertes posent cependant à l'Union un problème, que je crois essentiel à plus long terme et qui concerne son identité, sa cohésion et ses frontières géographiques.
Tout d'abord, monsieur le ministre, s'agissant de la Turquie, quels seront la séquence et le calendrier du processus d'adhésion auquel ce pays est désormais associé ?
Ensuite, quelles réponses, et fondées sur quels critères, l'Union européenne sera-t-elle à même de formuler à de nouvelles demandes d'adhésion émanant de pays situés, comme la Turquie, aux marches de notre continent ? Quelles réponses ferons-nous également à des pays du pourtour méditerranéen qui, comme le Maroc, placent leur arrimage à l'Europe au premier rang de leurs priorités internationales ?
Enfin, monsieur le ministre, la conception qui apparaît aujourd'hui d'un élargissement concernant d'ores et déjà treize pays est-elle, à terme, compatible avec l'approfondissement de la construction communautaire et la réalisation du dessein européen que nous appelons de nos voeux ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vos interrogations sur l'identité européenne et les conséquences de l'élargissement sont à la fois très importantes et parfaitement légitimes. J'essaierai de dire en quelques mots, de manière très condensée, par quel cheminement les Quinze sont passés pour en arriver aux décisions d'Helsinki.
D'abord, les Quinze se sont voulus en cohérence avec leurs prédécesseurs. Il faut se rappeler que, depuis 1963, on annonce que la Turquie a une vocation européenne. On le disait d'ailleurs à l'époque aussi pour la Grèce. La question avait été souvent posée à l'Union, qui avait toujours répondu : vous n'êtes pas prêts, et jamais : vous n'êtes pas européens.
Par ailleurs, les Quinze ont tenu compte d'un élément nouveau, à savoir la dynamique entre la Grèce et la Turquie, qui a changé le paysage à cet égard.
Ils se sont enfin voulus responsables. Rappelez-vous les réactions après le « non » à la Turquie à Luxembourg, en 1997, et les craintes inverses que cela avait suscitées en Europe.
Les Quinze ont pensé que dire de nouveau « non à la Turquie, ce serait briser la dynamique d'amélioration des rapports entre la Grèce et la Turquie, se priver de la coopération utile de la Turquie dans le Caucase, les Balkans ou au Proche-Orient, priver les modernisateurs turcs de leurs moyens d'appui et, enfin, laisser aux Etats-Unis le monopole de la politique occidentale envers la Turquie. Ils ont donc cherché à se doter d'un levier pour la modernisation et la démocratisation de ce pays.
J'ajoute qu'à Helsinki il a été rappelé que tout pays candidat devrait avoir sérieusement progressé dans le respect des critères dits de Copenhague, qui sont nos critères politiques et démocratiques, avant que la négociation ne s'engage vraiment.
Pendant tout ce temps, l'Union suivra l'évolution de la Turquie à travers une politique de préadhésion. Elle aura à décider ultérieurement de l'ouverture de la négociation proprement dite. Il y aura ensuite une négociation qui sera, à l'évidence, complexe et longue et, quand viendra le moment de dire « oui » ou « non » à l'adhésion de la Turquie, l'Union ne sera probablement pas à quinze, comme aujourd'hui, mais à vingt-sept. Le contexte sera donc tout à fait différent.
Je répondrai à l'autre partie de votre question que, à mon sens, le cas de la Turquie ne peut pas faire précédent. Même si la géographie ne définit pas aussi sûrement les frontières de l'Europe que celles, par exemple, de l'Amérique, elle doit rester le premier critère de l'appartenance éventuelle à l'Union européenne.
La Turquie jouissait d'une position particulière, d'abord en raison de la promesse faite depuis 1963, que j'ai rappelée, ensuite, parce qu'elle est à cheval sur les Balkans, donc l'Europe, et sur l'Asie mineure. Si vous prenez les autres pays qui ne sont à l'évidence pas européens et qui sont orientés vers l'Europe, vous n'en trouverez aucun qui soit dans cette situation. Il faudra donc, à l'avenir, que l'Union européenne définisse un grand partenariat stratégique par rapport à ses voisins.
Pour conclure, j'évoquerai les conséquences de l'élargissement. C'est naturellement par plus de souplesse, c'est-à-dire par la géométrie variable, pour appeler les choses par leur nom, que nous poursuivrons, de manière volontariste, l'approfondissement, même après l'élargissement. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)

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