Séance du 26 janvier 2000







M. le président. Par amendement n° 161, MM. Ralite, Renar, Mme Luc, les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 32, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans un délai de deux ans après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement présentera un rapport au Parlement sur l'état des négociations permettant :
« - la mise en oeuvre d'une politique industrielle européenne d'investissements pour la production de programmes audiovisuels et de logiciels.
« - la création d'un fonds de soutien à l'exportation et à la distribution de programmes audiovisuels européens en Europe et dans le monde.
« - la mise en place d'un fonds de garantie européen pour la création audiovisuelle. »
La parole est à M. Ralite.
M. Jack Ralite. Traditionnellement, en matière de politique européenne, nous sommes appelés, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, à ratifier un texte qui est à prendre ou à laisser.
S'agissant d'une question aussi importante que l'audiovisuel, et à quelques mois de la présidence française, nous devrions pouvoir donner une indication, bien que nous ne légiférions pas, ici, au niveau européen. C'est pourquoi, avec mes collègues, j'ai rédigé un amendement tendant à insérer un article additionnel qui a pour objet de demander au Gouvernement, dans un délai de deux ans après la promulgation de la présente loi, de présenter un rapport au Parlement sur l'état des négociations permettant la mise en oeuvre d'une politique industrielle européenne d'investissements pour la production de programmes audiovisuels et de logiciels ; la création d'un fonds de soutien à l'exportation et à la distribution de programmes audiovisuels européens en Europe et dans le monde ; la mise en place d'un fonds de garantie européen pour la création audiovisuelle.
Je suis, comme mes collègues, très attachés à ce texte, et l'audition, hier, par la commission des affaires culturelles de Mme Viviane Reding, commissaire européen, a renforcé encore ce sentiment. En effet, si elle nous a fait un exposé tout à fait intéressant qui semblait, de prime abord, aller dans le sens de nos préoccupations, sur des problèmes concrets, certains mots ont ébréché le sens des mots de départ.
S'agissant, par exemple, des quotas, elle nous a dit non pas qu'elle y était favorable, mais que nous devrions faire du lobbying pour défendre la position française présentée comme une position quasi exclusive. Elle a même eu cette expression : « Ce n'est vraiment pas facile, vous devez le savoir, c'est une question de foi ». Disons que cela ne me satisfait pas.
S'agissant des financements du programme MEDIA, elle a fait valoir une augmentation de 30 %. Mais quand on regarde les chiffres, on constate que l'on passe de 320 millions à 400 millions d'euros. Ce n'est vraiment pas la mer à boire, notamment pour la réalisation des programmes, d'autant que la DG IV est en train de mener une bataille acharnée contre les aides nationales au cinéma par rapport aux textes européens en la matière.
S'agissant de Time Warner, qui a d'abord passé un accord avec AOL, puis qui fait maintenant de la grosse couture avec Warner Music et EMI, je m'attendais à ce qu'elle dise que l'Europe ferait savoir à EMI qu'elle ne trouvait pas normal ce dernier accord. Mais non ! Mme Reding nous a demandé de réfléchir, car, puisque ces très grands s'entendent, il fallait que les petits de chez nous en fassent autant. Mais deux petits, cela ne fera jamais un grand, alors que trois grands, cela fera un plus grand encore ! Or cela marche comme cela depuis des années, et là est la vraie question !
Selon le commissaire européen, l'accord AOL - Time Warner représente 350 milliards de dollars ; l'éventuel accord Canal Plus - Lagardère ne pèsera que 12 milliards de dollars !
M. Michel Pelchat. Tout à fait !
M. Jack Ralite. Enfin - et cela nous ramène à la proposition de notre collègue M. Diligent sur les réalisateurs, sous la dernière forme que l'on en a retenue, quoique le statut ne soit pas vraiment la solution même si certains le défendent, ce que l'on peut respecter - elle a parlé des réalisateurs en disant qu'aux USA les oeuvres étaient commerciales, qu'en Europe c'étaient des oeuvres d'art et qu'il faudrait bien que les réalisateurs comprennent qu'une oeuvre d'art doit être diffusée. Cela me chiffonne profondément, pour ne pas dire plus !
Je lui ai rappelé le texte de M. Prodi, dont je donne lecture pour sa première partie : « La force de la culture américaine est symboliquement exprimée par les mass media. Elle est en effet considérée par certains comme capable de constituer la référence unitaire pour l'Europe à la recherche de son âme. Il n'y a rien de scandaleux dans cette hypothèse. »
J'aime la culture américaine, mais j'aime le bouquet total de toutes les cultures du monde, y compris les plus minoritaires. Un tel ralliement n'est pas conforme à la tradition pluraliste du continent auquel nous appartenons.
En tout cas, il me semble intéressant de demander que soit présenté au Parlement un rapport sur l'état d'avancement de propositions qui ne seront que l'épanouissement de la démarche nationale, dont on discute déjà souvent d'ailleurs, et dont Mme le ministre dans des instances internationales a défendu le contenu avec force dans la dernière période.
Le présent amendement me semble donc mériter non seulement une écouteattentive mais un vote positif.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Paul Hugot, rapporteur. La commission partage les conclusions de M. Ralite et a donné un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication. J'ai attentivement écouté le propos de M. Ralite, en particulier sur la manière dont il interprétait les propos de la commissaire européenne, Mme Reding.
Je pense que, dans cet amendement, monsieur le sénateur, vous faites allusion aux programmes MEDIA, qui, de fait, couvrent l'ensemble des trois points sur lesquels vous souhaitez avoir un rapport.
C'est, en effet, le programme MEDIA sous ses formes successives qui est l'outil financier de la politique européenne d'aide à la production de programmes audiovisuels, programmes institués depuis 1991, mais c'est l'année 2000 qui doit voir aboutir les négociations pour fixer le programme d'action des années 2001 à 2006, le programme MEDIA Plus, qui a déjà été évoqué dans notre débat, mais aussi le montant de la contribution financière prévue aujoud'hui à 400 millions d'euros.
Les négociations portent actuellement sur les trois volets suivants.
Elles portent, premièrement, sur les aides aux formations et au développement, qui sont des mesures en amont de la réalisation et qui ne sont pas toujours prises en compte par les régimes d'aides nationaux.
Elles portent, deuxièmement, sur les aides à la distribution, lesquelles doivent assurer une réelle circulation des oeuvres ; l'accent sera mis sur cet aspect dans MEDIA Plus car, sans circulation, le dispositif d'aides serait incomplet et inopérant.
Enfin, troisièmement, elles portent sur l'aide à l'exportation, que plusieurs de mes collègues et moi-même avons défendue pour qu'elle soit vraiment prise en compte dans le programme MEDIA Plus. Cette aide à l'exportation doit faciliter la présence sur les marchés internationaux et faciliter la tâche des mandataires commerciaux.
Pour chacun de ces volets, un effort particulier sera consenti en faveur du développement des nouvelles technologies.
Il va de soi, évidemment, et surtout en raison de la présidence française, que ces mesures feront l'objet d'un suivi attentif des autorités françaises. Le Parlement sera informé en tout état de cause, et cela même avant deux ans. En effet, le problème se posera avec le plus d'acuité au moment de l'adoption du programme MEDIA.
J'étais plutôt défavorable à cet amendement, parce que je pensais, en tout état de cause, être entendue par la commission des affaires culturelles du Sénat et par celle de l'Assemblée nationale quand il s'agirait de faire état de notre action sous la présidence française de l'Union européenne.
Cela étant, un tel compte rendu peut être fait sous une autre forme, et même si une dizaine, voire plus, de rapports sont déjà prévus par la Haute Assemblée, je m'en remets sur ce point à sa sagesse !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 161.
M. Michel Pelchat. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat. Je voudrais revenir sur deux ou trois éléments qui m'amènent à soutenir la proposition de notre collègue Jack Ralite.
Certes, nous sommes un peu isolés en Europe dans notre défense de l'exception culturelle, mais je me dois de rappeler, madame la ministre, que nous nous trouvons dans une situation relativement difficile à défendre face à nos partenaires européens. En effet, l'exception culturelle est en quelque sorte notre rempart défensif, mais l'on sait bien que, dans les batailles de cette nature, il faut aussi développer des offensives pour opérer des percées chez l'adversaire. Or comment cela serait-il possible, sinon en produisant des programmes ? C'est bien la tactique qu'ont adoptée nos principaux partenaires européens. L'Allemagne produit près de 2 000 heures d'emissions audiovisuelles par an, l'Angleterre 1 400 heures ; quant à nous, nous n'en sommes qu'à 550 heures !
Sur leurs ondes, que reçoivent-ils en prime time ? 90 % de production nationale pour l'Angleterre, 70 % pour l'Allemagne, contre 47 % pour la France !
Evidemment, quand nous leur disons que, au nom de l'exception culturelle, il nous faut lutter contre l'invasion de nos écrans par les Américains, ils nous répondent : mais faites comme nous ! Consacrez le même effort financier que nous ! Vous le savez bien, mes chers collègues, les chiffres que j'ai rappelés tout à l'heure ne concernent que le secteur public : je ne parlais pas de l'ensemble du paysage audiovisuel anglais ou allemand, je ne parlais que des médias publics anglais et allemands.
Là, on ne peut que rappeler la faiblesse des ressources publiques que nous attribuons au secteur de la télévision française. Or cette faiblesse est la cause de la fragilité de notre défense de l'exception culturelle, exception culturelle que je soutiens également, madame la ministre, et que je vous remercie d'avoir soutenue, comme l'a rappelé notre collègue Jack Ralite, avec beaucoup de vigueur, de force et de conviction. Mais, vous le voyez, voilà le défaut de notre cuirasse.
Nous ne tiendrons pas longtemps dans cette situation : nous ne parviendrons pas à entraîner nos partenaires européens à se solidariser avec nous si, de notre côté, nous ne faisons pas un effort dans le domaine de la production audiovisuelle.
Cela étant, madame la ministre, si vous avez la possibilité de déposer ce rapport en moins de deux ans, nous ne pourrons que nous en réjouir. En effet, s'il est écrit « deux ans » dans l'amendement, j'ai bien compris que dans l'esprit de son auteur cela signifiait : « au plus tard dans deux ans ».
En tout cas, n'oublions pas l'effort à consentir en faveur de la production. Il interviendra encore bien des événements dans le secteur privé. Cela doit, certes, nous préoccuper, mais surtout renforçons le pôle public, car c'est autour d'un pôle public fort que nous pourrons résister à l'invasion de nos écrans et faire émerger la production nationale.
Il n'y a pas d'autre solution pour que perdure une vraie télévision française, avec de vrais auteurs français, de vraies fictions nationales, expressions de notre culture. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 161, accepté par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 32.

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