Séance du 27 janvier 2000







M. le président. « Art. 6. - Les deux derniers alinéas de l'article 121-2 du même code sont ainsi rédigés :
« Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public sauf s'il s'agit d'une infraction constituée par un manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.
« La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l'article 121-3. »
Par amendement n° 23, le Gouvernement propose de remplacer les deux premiers alinéas de cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le dernier alinéa de l'article 121-2 du code pénal est ainsi rédigé : ».
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le présent amendement réécrit le début de l'article 6 de la proposition de loi, qui modifie l'article 121-2 du code pénal relatif à la responsabilité pénale des personnes morales, afin que ne soit plus modifié que le dernier alinéa de cet article, par coordination avec la modification de l'article 121-3 du code pénal limitant la responsabilité des personnes physiques pour les délits non intentionnels.
Il supprime ainsi la modification du deuxième alinéa de l'article 121-2, qui a pour objet d'étendre la responsabilité pénale des collectivités territoriales aux infractions constituées par des manquements non délibérés à des obligations de sécurité ou de prudence, même si ces infractions ont été commises dans le cadre d'activités non susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public.
Comme je l'ai indiqué dans la discussion générale, le Gouvernement est opposé à cette extension. En effet, cette modification permettrait de placer sous le contrôle des juridicitions répressives les prérogatives de puissance publique des collectivités territoriales et porterait atteinte au principe de la séparation des pouvoirs.
M. Michel Charasse. Ce n'est pas leur problème !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En outre, cette extension augmenterait le risque de pénalisation de la vie publique sans pour autant garantir une diminution des poursuites engagées ou des condamnations prononcées contre les élus, puisque, de toute façon, la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques.
Ce qui est important, dans la proposition de loi de M. Fauchon, c'est la réduction de la responsabilité pénale des personnes physiques pour les délits non intentionnels. Pour aboutir à ce résultat, il n'est nul besoin d'étendre la responsabilité pénale des collectivités territoriales, d'autant que leur responsabilité ne sera pas réduite par le nouvel article 121-3, ce qui incitera donc les juges à poursuivre les personnes morales plutôt que les personnes physiques.
Pour ces différentes raisons, je vous demande avec conviction de bien vouloir adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Nous abordons là une question intéressante et d'une très grande portée, à la fois théorique et pratique.
Nous avons posé le principe, voilà déjà un certain nombre d'années, de la responsabilité pénale des personnes morales. Cela a surpris : on nous a répondu, de manière peut-être trop immédiate, que, les personnes morales ne pouvant pas aller en prison, on ne pouvait donc prévoir leur responsabilité pénale. C'est toutefois une idée un peu courte : les personnes morales peuvent être frappées de blâmes ou de sanctions !
J'ajoute que, contrairement à ce qu'on a cru, ce n'est pas une idée nouvelle. Et, puisque nous parlons sous l'égide de Colbert, vous me permettrez peut-être de sortir de ma poche ce code de 1670. (M. le rapporteur montre un volume in-16.)
M. Michel Charasse. Oh là là !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cela va vous plaire, monsieur Charasse !
M. Michel Charasse. Beaucoup !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Il s'agit de l' Ordonnance de Louis XIV, roi de France et de Navarre, en matière criminelle, dans son édition de 1670. Vous constaterez qu'il s'agit d'une édition de poche, qui, je vous le fais observer, est d'époque ! Son titre XXI traite « de la manière de faire les procès aux communautés, villes, bourgs, village, corps et compagnies qui auront commis quelque rebellion, violence ou autre crime ». Suivent un certain nombre de dispositions, dont celle que nous proposons nous-mêmes, la désignation d'un syndic spécial : aux termes de l'article 4 « les condamnations ne pourront être que des réparations civiles, dommages et intérêts envers la partie, amendes envers nous, privation de leurs privilèges... » et quelques autres punitions qui marquent publiquement la peine qu'elles auront encourue par leurs crimes.
Il s'agit donc, en réalité, d'une idée ancienne, qui est enracinée dans nos institutions, d'une idée que je crois parfaitement justifiée, d'une idée que je crois, je le dirai tout à l'heure, tout à fait utile.
Quel est l'état du droit actuel ? A partir du moment où l'on a admis la responsabilité pénale des collectivités territoriales en tant que personnes morales, il faut pratiquer une distinction entre deux hypothèses : soit elles exercent des compétences qui peuvent être déléguées - elles peuvent demander à une entreprise de refaire une chaussée, de construire un tennis ou de ramasser les ordures ménagères - et il n'y a alors aucune difficulté, la personne morale peut être condamnée pénalement si des faits d'imprudence ou de négligence ont été commis ; soit, au contraire, il s'agit de compétences qui ne peuvent être déléguées, comme le pouvoir de police, par exemple, et l'on ne peut alors envisager la responsabilité pénale de la personne morale, parce que ce serait, en quelque sorte, porter atteinte à une sorte de domaine sacré.
Vous avez parlé tout à l'heure, madame la ministre, de prérogatives d'Etat. Je constate que l'on se réfugie dans des formules qui sont extrêmement vénérables mais dont on ne connaît pas très bien au juste le fondement par rapport à la conscience juridique actuelle. Si l'on se réfère à la conscience juridique d'il y a cent ans, on voit bien de quoi il s'agit, mais, par rapport à la conscience actuelle, ce n'est pas clair. Il n'y a rien de vénérable ou de respectable dès lors qu'un délit est commis ! Si une personne morale a commis un délit, toute imprégnée qu'elle soit des prérogatives de la puissance publique, elle doit en répondre pénalement !
Mais on peut aller plus loin. A cet égard, j'ai été ravi d'entendre M. Mauroy ce matin : c'était un honneur et un bonheur pour nous tous. Il a évoqué, en élevant la réflexion, la question abordée par la commission Massot, en se demandant s'il ne conviendrait pas de s'interroger sur l'éventualité d'une responsabilité pénale de l'Etat.
M. Michel Charasse. Quelle horreur !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Avec le doigté que nous reconnaissons à notre excellent et éminent collègue, M. Mauroy a considéré qu'il s'agissait d'une vraie question mais qu'il était peut-être un peu prématuré de la poser,...
M. Michel Charasse. Et la responsabilité pénale du service public de la justice ?
M. Pierre Fauchon, rapporteur. ... que les esprits pouvaient évoluer et que l'on finirait peut-être par comprendre.
Je constate cependant que la commission Massot, que l'on aime à citer si souvent dans cette enceinte, n'a pas attendu, pour sa part, des années pour dire qu'il faut reconnaître cette responsabilité.
M. Jacques Larché, président de la commission. Mais pas M. Massot !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Qu'est M. Massot sans la commission Massot, je vous le demande ? (Sourires.) C'est un très respectable membre du Conseil d'Etat, mais ce n'est rien d'autre qu'un particulier, un juriste comme un autre !
M. Jacques Larché, président de la commission. Allons, monsieur Fauchon ! (Nouveaux sourires.)
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Permettez-moi cependant d'insister, parce qu'il y a là quelque chose qui est tout de même amusant et qui va faire l'objet d'une petite récréation momentanée dans notre débat, peut-être un peu austère par ailleurs.
La commission Massot a formellement considéré que, au regard de la conscience moderne, en présence d'une faute diffuse qui implique une responsabilité pénale de l'Etat, même si l'on ne peut atteindre physiquement celui qui l'a commise, il n'y a pas de raison de ne pas condamner cette faute.
M. Michel Charasse. Et, au nom de la « conscience moderne », on peut supprimer la République !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Monsieur Charasse, si vous voulez me torpiller, prenez ma place, ce sera la meilleure solution !
M. Michel Charasse. La « conscience moderne », en 1940, elle était pour Pétain !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Cela existe, la conscience moderne ! Vous en êtes un exemple éloquent... et un peu turbulent.
Permettez-moi de retrouver le fil de ma pensée.
M. le président. Monsieur Charasse, vous troublez M. le rapporteur !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Pour ce qui me concerne, comme ma conscience est peut-être un peu ancienne, j'ai effectivement du mal à imaginer la responsabilité pénale de l'Etat ; mais, comme M. Mauroy, je crois qu'il faut y penser et faire avancer cette idée.
Que M. Massot, à titre personnel, comme l'a excellemment dit M. le président de la commission des lois - également à titre personnel, d'ailleurs -...
M. Jacques Larché, président de la commission. C'est par solidarité avec M. Massot !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. La solidarité est très sympathique, mais que vaut-elle sur le plan juridique ?
Que M. Massot nous ait dit qu'il était en désaccord avec les conclusions de la majorité de sa commission, soit ! Mais permettez-moi alors de poser une question au Gouvernement : quid d'un organisme au sein duquel, en cas de désaccord entre le président et la majorité, c'est au président qu'il faut donner raison ? Si nous posions ce principe, comme vous paraissez le souhaiter, on pourrait en tirer des conclusions non seulement sur le sujet dont nous débattons, mais également dans quantité d'autres domaines ! Cela ne dérangerait peut-être pas personnellement Mme le garde des sceaux, pour des raisons que nous imaginons bien, mais cela pourrait ne pas plaire à un certain nombre de ses collègues ! Jusqu'à nouvel ordre, je considère donc que l'avis des présidents est très respectable mais que celui de la majorité, quelquefois, est tout de même plus important encore.
Mais je reviens à mon propos en disant que la commission Massot n'a pas considéré qu'il était absurde de poser le principe de la responsabilité de l'Etat.
Redescendons cependant au niveau inférieur, celui des collectivités territoriales.
En vérité, je crois que la distinction entre les compétences selon qu'elles peuvent être déléguées ou non relève du pur raffinement juridique, parce que les prérogatives publiques sont en cause dans les deux hypothèses. La distinction est donc artificielle, et nous pouvons parfaitement la surmonter.
C'est ce que nous faisons dans le texte que nous vous proposons. Ainsi, la responsabilité pénale des collectivités territoriales pourra toujours être mise en cause, mais, dans l'hypothèse de compétences qui ne peuvent être déléguées, il ne sera possible, selon la suggestion de la commission Massot, de mettre en cause la responsabilité pénale de la personne morale que si l'on ne voit pas apparaître le manquement ou la violation manifestement délibérée d'une obligation par son représentant. En effet, si le maire ou le représentant de la collectivité a commis une faute lourde, il n'y a pas lieu de mettre en cause la responsabilité de la personne morale.
Pour autant, c'est une vraie question que de savoir si l'on doit ou non mettre en cause cette responsabilité. Personnellement, je crois que c'est tout à fait souhaitable, pour des raisons pratiques. Sans revenir sur un certain nombre de cas concrets connus de tous, je rappelle simplement que, dans certaines circonstances, même s'il y a responsabilité, on ne peut, en réalité, la situer sur la tête de tel ou tel élu : si un poteau de basket tombe, c'est peut-être parce que, voilà quinze ou vingt ans, on a choisi le devis le moins coûteux et que le poteau a été fabriqué avec du bois de mauvaise qualité, ou bien parce qu'il n'a pas été repeint régulièrement ! Mais il n'y a pas de raison que le maire en fonctions le jour où le poteau de basket tombe paie pour tout le monde ! En revanche, la collectivité locale, elle, d'une manière diffuse, a une certaine responsabilité pénale, c'est vrai.
Prenons l'exemple des manifestations qui ont lieu à Nîmes - vous connaissez ces choses mieux que moi, madame le garde des sceaux - à l'occasion de lâchers de taureaux : un maire a été mis en examen, finalement relaxé, parce qu'un accident s'était produit à l'occasion d'une telle fête. Il a objecté qu'il ne pouvait s'opposer à cette tradition populaire ancestrale ! La responsabilité, dans ce cas, ne peut être déléguée - il s'agit de l'autorité de police -, mais on peut s'interroger sur la responsabilité pénale de la personne morale qui accepte que soient pratiquées ces fêtes traditionnelles depuis longtemps, malgré les risques encourus par le public. Toutefois, le maire en fonctions le jour d'un éventuel accident doit-il porter le chapeau pour tout le monde ?
Notre démarche générale, sur laquelle M. Vasselle a si bien insisté, vise à éviter l'injustice qui consiste à désigner absolument un bouc émissaire : condamner un innocent serait affreux. En revanche, on peut considérer qu'il y a globalement, de manière diffuse, une responsabilité de la personne morale, et envisager, par exemple, un blâme qui paraîtrait dans la presse : les victimes sauraient que quelqu'un a été condamné, que l'on n'a pas considéré que l'affaire était sans importance.
La responsabilité pénale de la personne morale, que les compétences puissent être déléguées ou non, a donc sa raison d'être.
Contrairement à ce qu'a dit tout à l'heure Mme le garde des sceaux, il me semble souhaitable de reconnaître la responsabilité globale de la commune plutôt que de chercher absolument à clouer au pilori un homme. Ce sera tout de même, me semble-t-il beaucoup moins grave, et une condamnation pourra quand même être prononcée. Cette solution me semble assez raisonnable.
Pour toutes ces raisons, la commission, bien qu'elle n'ait pas pu examiner cet amendement, puisqu'il vient d'être déposé, a montré, dans toutes ses délibérations, qu'elle ne pouvait pas approuver le dispositif qui est proposé car il est contraire à la position qu'elle a adoptée.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 23.
M. Pierre Mauroy. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Il n'est pas dans mes habitudes de m'exprimer d'une certaine façon dans la discussion générale et d'agir d'une autre lors de l'examen des articles.
J'ai, en revanche, l'habitude de suivre le Gouvernement, en particulier Mme le garde des sceaux. Mais j'avoue ne pas être très sensible à la distinction subtile qui est faite entre l'exercice d'une délégation de service public et celui d'autres activités. Je préférerais, comme je l'ai indiqué ce matin, un engagement systématique de la responsabilité des collectivités locales.
Je suis donc amené à me rallier à la position de M. le rapporteur.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Il s'agit d'un débat très important et j'ai dit tout ce que j'avais à dire à la fois dans mon discours introductif et en présentant tout à l'heure cet amendement.
Je voudrais juste mettre l'accent sur un ou deux points.
D'abord, je pense que la distinction plus précise qui sera faite, au titre de la faute non intentionnelle, entre les fautes qui ont un lien direct avec le dommage et celles qui n'en n'ont pas - donc la partie de votre proposition que le Gouvernement accepte, monsieur le rapporteur - aboutira à ce que la responsabilité pénale des personnes morales soit davantage engagée. Donc, par cette seule disposition, nous aurons l'effet que vous recherchez.
J'ajoute que, comme il n'est pas question, ni dans les propositions de M. Massot ni dans les vôtres, de substituer la responsabilité de la personne morale à celle de la personne physique, de toute façon, l'introduction de cette disposition ne constituera pas une garantie supplémentaire.
Enfin, j'ai parlé de prérogatives de puissance publique. C'est une notion bien connue. Seules les personnes morales de droit public peuvent prendre des règlements valables erga omnes qui s'imposent aux termes d'un acte unilatéral.
J'observe, d'ailleurs, que le Conseil constitutionnel a constitutionnalisé la compétence du juge administratif pour juger de ces compétences unilatérales. Et ce n'est pas pour rien ! C'est parce que, sur ce type de décision, qui participe des prérogatives de puissance publique, il ne faut pas laisser au juge pénal le soin de juger de l'opportunité de telle ou telle décision. Si nous allions dans cette voie...
M. Michel Charasse. Il n'y aurait plus de séparation des pouvoirs !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... nous participerions nous-mêmes à une pénalisation de la vie publique que nous voulons précisément diminuer avec le texte que nous examinons aujourd'hui. D'où ma mise en garde.
Les assemblées ont voté, ces dernières années, avec les meilleures intentions du monde, de nombreuses lois qui ont abouti à la pénalisation, aujourd'hui jugée insupportable, de notre vie publique. Et c'est après coup que l'on s'est rendu compte des conséquences !
J'attire donc vraiment l'attention de la Haute Assemblée sur cette disposition, qui, sur le plan des principes, présente l'inconvénient majeur que je viens de dire et qui, sur le plan pratique, n'aura pas les répercussions qu'on souhaite lui voir comporter, alors même que l'autre disposition de la proposition de M. le rapporteur incitera davantage encore les juges à choisir la responsabilité pénale de la personne morale au lieu de la responsabilité de la personne physique, lorsque, naturellement, ce sera justifié.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. C'est vrai, nous sommes, sur ce sujet, partagés.
Si nous nous référons à notre expérience et à l'exigence de nos collègues, à laquelle nous nous associons, d'ailleurs, nous souhaitons faire disparaître cette distinction qui, dans la vie concrète de tous les jours, est incompréhensible, inexplicable.
Mais si nous nous plaçons sur le plan des principes, celui qui nous intéresse tout particulièrement dans cette assemblée - qui du juge, qui du législateur, qui de la puissance publique doit avoir le pas dans la République ? - alors, madame la ministre, votre raisonnement nous trouble, ou, en tout cas, me trouble.
Quand vous dites que, partant d'une bonne intention, nous pourrions accentuer une évolution qu'unaninement nous regrettons, il est vrai que l'argument porte.
Pour ce qui me concerne, n'engageant pas, dans cette affaire, le groupe auquel j'appartiens, parce que le débat me paraît, à ce stade en tout cas, trop délicat, je me rangerai à votre avis, madame la ministre. Mais je le ferai non sans trouble de conscience et j'aurai beaucoup de mal - mais je m'y emploierai - à expliquer aux élus locaux la position que je prends.
M. Jacques Larché, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jacques Larché, président de la commission. Le débat que nous venons d'engager est extrêmement intéressant.
Il est certain que les dangers qu'a soulignés Mme le garde des sceaux peuvent toujours se profiler derrière l'adoption de tel ou tel texte. Dans cette affaire, nous cheminons. La commission a pris une position. M. le rapporteur a dit que, sur cet amendement, elle n'avait pas délibéré, mais qu'il lui semblait que la position prise ne pouvait entraîner son acceptation.
Je suggère donc que, quel que soit le vote qui sera émis, nous ne considérions pas comme définitive la position que nous adopterons en cet instant. Il y aura une navette, l'Assemblée nationale s'exprimera, et il est tout à fait possible que, dans cette perspective, nous revoyions et précisions les intentions qui sont les nôtres.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Tout en souscrivant à ce qui vient d'être dit avec beaucoup de sagesse par M. le président de la commission, je veux revenir un instant sur le propos de Mme la ministre pour attirer l'attention sur deux points.
En premier lieu, madame la ministre, vous avez dit que, de toute façon, notre système n'aurait pas beaucoup d'efficacité parce qu'il n'empêcherait pas, éventuellement, la condamnation de la personne physique. Nous sommes bien d'accord. Nous croyons l'un et l'autre qu'il faut maintenir les deux responsabilités dans une situation de concurrence.
Mais, encore une fois, il est des cas où il apparaîtra injuste de condamner une personne physique, sorte de bouc émissaire, alors qu'il sera assez juste de condamner la personne morale parce qu'il y aura ce que j'ai appelé une responsabilité pénale diffuse. Il est d'ailleurs souhaitable que soit désamorcé ce désir de recherche de bouc émissaire qui caractérise quelque peu nos sociétés, grâce à l'effet cathartique de l'audience pénale, avec tout de même une condamnation pénale, mais sans pour autant clouer au pilori celui qui s'est trouvé là ce jour-là et est, en fait, innocent.
Ce n'est pas la faute du maire d'Ouessant s'il y a des falaises, s'il y a des sentiers le long de ces falaises et s'il y a des enfants qui circulent à vélo tout le long des falaises ! Donc, cela peut servir. C'est ma première observation.
En second lieu, je tiens à dire qu'il ne faut pas trop se bercer d'illusions sur l'idée de la séparation des pouvoirs, de l'impossibilité pour les tribunaux de condamner les pouvoirs publics lorsque ceux-ci commettent des fautes civiles ou pénales.
En effet, en réalité, on est dans une fiction. D'abord, on prétend que les tribunaux de l'ordre judiciaire ne pourraient pas condamner, alors que les tribunaux de l'ordre administratif, eux, le peuvent...
M. Michel Charasse. Pas pénalement !
M. Pierre Fauchon, rapporteur. Civilement !
... parce que ce ne sont pas des tribunaux. Mais qu'est-ce au juste, alors ? C'est inquiétant pour l'idée qu'on se fait de la justice, si ce ne sont pas des tribunaux !
En réalité, ils condamnent l'Etat à longueur de temps, et ils ne se gênent pas pour le faire. Là encore, ce sont des distinctions verbales issues de nos traditions qui font que l'on admet qu'il n'y a pas atteinte au principe.
Mais ce qui est encore plus fort, c'est que, dans des domaines comme les atteintes à la propriété privée, il y a compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire. De même, on a fait un texte spécial pour traiter de la responsabilité des enseignants. Ainsi, dans un certain nombre de domaines, parfois des plus importants, ce sont les tribunaux de l'ordre judiciaire qui sont compétents, spécialement compétents, et même l'Etat peut alors être condamné par voie de référé.
Dès lors, quid du principe selon lequel on ne condamne pas la puissance publique ?
En réalité, tout cela tient à des théories assez anciennes qui ne correspondent plus très bien à la situation actuelle. Il faut l'avoir présent à l'esprit et en revenir tout simplement à ce que j'appellerai le bon sens. Comme le disait très bien M. Mauroy, s'il y a une responsabilité réelle de la personne morale, de la collectivité locale, que la compétence puisse être déléguée ou pas, il y a une responsabilité pénale, et c'est assez normal.
Il serait artificiel d'aller voir à la loupe si la compétence peut être déléguée ou non. Ce faisant, on éprouverait d'ailleurs quelque difficulté, car la distinction ne sera probablement pas toujours si claire que cela.
Dans son action, la collectivité territoriale a commis une faute pénale que le tribunal juge devoir être sanctionnée. Il la sanctionne. Je ne vois pas ce que cela a de tragique.
M. Alain Vasselle. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Il nous faut, sans aucune doute, suivre l'avis de la commission, même si - je l'ai dit dans la discussion générale - j'aurais préféré que le rapporteur aille beaucoup plus loin en ce qui concerne la responsabilité des collectivités locales sur le plan pénal et même si - cela pourra paraître contradictoire - je ne me fais guère d'illusion quant au résultat, en définitive, s'agissant de la mise en responsabilité pénale des personnes physiques que sont les maires dans l'exercice de leurs fonctions.
Cela étant, je souscris à ce qu'a dit M. le président de la commission des lois en réponse à Mme le garde des sceaux : notre vote, a fortiori s'agissant d'une proposition de loi, ne sera pas gravé dans le marbre. Non seulement la navette pourra nous permettre d'avancer dans notre réflexion, mais, même au-delà, nous ne devons pas considérer, nous législateur, que nous votons un texte pour l'éternité, ni même pour des décennies.
Il nous faudra tirer des enseignements, de la jurisprudence, de l'attitude qu'auront les magistrats.
En effet, si le législateur légifère, on s'aperçoit parfois que l'application du texte n'est pas nécessairement celle que nous aurions souhaitée les uns et les autres : il y a la lettre et l'esprit de la loi. Voilà ce qui a provoqué la véritable émotion, pour ne pas dire la psychose, de l'ensemble des élus de nos collectivités. Là est le problème, et pas ailleurs !
Il faudra bien que, un jour ou l'autre, les esprits évoluent, l'idéal étant que magistrats et législateur arrivent à marcher côte à côte pour que l'interprétation soit la même et que le résultat soit celui que souhaite le législateur.
M. Michel Charasse. C'est du rêve !
M. Alain Vasselle. Car ce que souhaite le législateur, c'est ce que souhaite le peuple !
M. Michel Charasse. Le peuple, il s'en fout ! (Rires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 23, repoussé par la commission.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 6.

(L'article 6 est adopté.)

Article 7