Séance du 1er mars 2000







M. le président. Par amendement n° 34 rectifié, Mmes Pourtaud, Derycke, Boyer, Printz, Dieulangard, Cerisier-ben Guiga, Durrieu, Bergé-Lavigne, MM. Estier, Dreyfus-Schmidt, Pastor, Miquel, Domeizel, Lagauche, Mélenchon, Picheral, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'ajouter, avant l'article 1er A, un article additionnel ainsi rédigé :
« Rendre effectif le principe constitutionnel favorisant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux quel que soit le mode de scrutin ainsi qu'aux fonctions électives, constitue un devoir pour tous les acteurs de la vie politique. Toutes dispositions appropriées doivent donc être prises pour favoriser un meilleur accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. »
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. La révision constitutionnelle du mois de juillet dernier a affirmé clairement le droit d'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, et cet amendement énonce le principe selon lequel c'est un devoir pour tous les acteurs de la vie politique que de garantir le principe constitutionnel de parité, manifestant ainsi clairement aux femmes que toutes les élections leur sont pleinement ouvertes.
L'absence de dispositions législatives incitatives ou de dispositions coercitives ne signifie en aucun cas que la réforme ne serait d'aucun effet pour les élections au scrutin majoritaire ou pour toutes les fonctions électives. Il nous a toutefois semblé nécessaire de poser en principe que la parité en politique est valable pour toutes les élections et pour toutes les fonctions électives, y compris pour celles qui ne sont pas visées par les présents projets de loi.
Il est, en effet, du devoir des partis politiques et de tous les acteurs de la vie politique de veiller à une représentation équilibrée des femmes et des hommes au niveau des candidatures, afin que les assemblées et les conseils élus reflètent notre société. Rien n'empêche, pour les cantonales par exemple, que les partis politiques incitent au dépôt de candidatures féminines en plus grand nombre. De la même manière, c'est un devoir pour les conseils municipaux de veiller à envoyer plus de femmes dans les organes délibérants des établissements publics de coopération interrcommunale.
La délégation du Sénat aux droits des femmes a été favorable à une résolution rédigée à peu près dans ces termes. Je ne doute donc pas un instant que le Sénat accepte cet amendement du groupe socialiste !... (Sourires.)
Je reconnais que cet amendement n'a pas de caractère normatif. Mais ce ne serait pas la première fois que le Parlement adopterait un article de cette nature. Je ne citerai qu'un exemple : l'article 1er de la loi du 31 mai 1990 relative au droit au logement, selon lequel « garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation ».
Souvent observées avec scepticisme par les juristes, ces déclarations de principe ont pourtant acquis une effectivité juridique certaine. Le Conseil constitutionnel lui-même, lors de l'examen de la loi du 31 mai 1990, a en effet indiqué que « les actions à mener pour promouvoir le logement des personnes défavorisées répondent à une exigence d'intérêt général ». Il est même allé plus loin à l'occasion du recours intenté contre la loi du 21 janvier 1995 relative à la diversité de l'habitat, en considérant que « la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle ».
Suivant le même raisonnement, nous estimons qu'il n'est pas inutile de rappeler dans cette loi que le respect du principe constitutionnel de parité des candidatures est un devoir pour l'ensemble des acteurs de la vie politique et que ce principe s'applique quel que soit le mode de scrutin. (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Hilaire Flandre. C'était nébuleux !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Guy Cabanel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission a estimé, comme l'a si bien dit Mme Pourtaud, que ce texte n'avait aucun caractère normatif, qu'il s'agissait d'un voeu pieux.
M. Hilaire Flandre. Voilà !
M. Guy Cabanel, rapporteur. La commission a relevé par ailleurs que cet amendement compliquait encore les choses puisque, au-delà des éléments qui sont déjà pris en compte pour appliquer aujourd'hui le principe de parité, les membres du groupe socialiste proposent, allant beaucoup plus loin, de s'attaquer à des domaines qui ne sont même pas cités dans la loi.
Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Le souhait de Mme Pourtaud me paraît tout à fait légitime. Il s'agit, pour la rapporteuse de la délégation du Sénat aux droits des femmes, d'inviter tous les acteurs de la vie politique à favoriser l'égal accès des hommes et des femmes aux fonctions électives, quel que soit le mode de scrutin.
Bien entendu, comme vient de le rappeler M. le rapporteur, cette disposition n'a pas un caractère normatif ; mais je tiens à dire que, pour ma part, au nom du Gouvernement, j'approuve l'idée qu'a développée Mme Pourtaud, à savoir l'organisation de grandes campagnes d'information pour faire connaître aux femmes les possibilités nouvelles qui leur sont offertes par la loi.
Par conséquent, à l'approche des élections municipales, nous pourrons soutenir des propositions qui vont dans le sens des voeux exprimés par Mme Pourtaud. Un prochain comité interministériel doit se réunir sur les droits des femmes et je pense qu'il sera l'occasion de lancer cette campagne.
Je m'en remets à la sagesse du Sénat, dans la mesure où l'amendement n'a pas de valeur normative. Il a une valeur déclarative. Que Mme Pourtaud sache que le Gouvernement est en phase avec elle. (Rires sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Cela ne coûte rien de le dire !
M. Alain Gournac. C'est la langue de bois !
M. Guy Cabanel, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Cabanel, rapporteur. J'ai bien dit hier que, parmi les recommandations de la délégation aux droits des femmes, l'idée d'une campagne de sensibilisation était une bonne idée. Je suis donc heureux que M. le ministre de l'intérieur nous ait annoncé que cette campagne de sensibilisation allait avoir lieu.
Il n'en demeure pas moins que je maintiens l'avis défavorable de la commission sur cet amendement de principe, qui apporte un élément qui risque d'obscurcir la loi.
M. Alain Vasselle. Il n'apporte rien !
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 34 rectifié.
M. Patrice Gélard. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Je partage l'analyse de M. le rapporteur.
Je n'ai rien à redire sur le fond aux arguments exposés par Mme Pourtaud ; mes remarques portent sur la forme.
La première phrase de l'amendement est une mauvaise paraphrase de la révision constitutionnelle de juin 1999, et je ne vois pas pourquoi nous adopterions une loi qui paraphrase le texte même de la Constitution.
Quant à la deuxième phrase du texte, c'est une mauvaise phrase, parce qu'elle impose au législateur, alors qu'il ne s'agit que d'une loi, des règles pour le futur. Or une loi ne peut pas contraindre le législateur pour des lois à venir.
Par conséquent, pour des raisons formelles, il faut refuser cet amendement.
M. Paul Girod. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Pour des raisons exactement parallèles, j'aboutirai à une conclusion totalement opposée à celles de M. le rapporteur et de M. Gélard. J'espère qu'ils voudront bien m'en excuser.
A titre personnel, je voterai l'amendement pour deux raisons.
La première, c'est que justement il reprend les termes de la Constitution dans une loi qui ne « favorise » pas, mais qui organise, ce que le Constituant a ouvertement refusé d'inscrire dans la Constitution de débat en débat et jusqu'au Congrès. Pour une fois que nous avons un article qui reprend les termes de la Constitution, la redondance est peut-être inutile et superfétatoire, mais elle est intéressante.
La seconde raison, c'est que j'ai entendu Mme Pourtaud nous parler voilà un instant du droit au logement à propos de la parité. Dois-je comprendre que nous entrons dans une logique que j'aurai l'occasion de défendre à l'occasion de l'amendement suivant ?
M. Gérard Cornu. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cornu.
M. Gérard Cornu. J'approuve, moi aussi à titre personnel, cet amendement. Cela étant, je voudrais faire plusieurs remarques sur les explications qui ont été fournies dans sa présentation.
Tout d'abord, Mme Pourtaud s'est appuyée sur les travaux de la délégation, travaux auxquels je participe assidûment. Effectivement, sur le fond, nous sommes d'accord, madame Pourtaud. Vous avez pourtant déclaré que la délégation voulait la parité jusqu'aux conseils généraux, jusqu'aux plus petites communes. Ce n'est pas le cas, et vous le savez bien, madame Pourtaud, parce que nous sommes intervenus souvent sur ce point. (Mme Danièle Pourtaud fait un signe d'assentiment.)
L'évolution est inéluctable, certes, mais nous sommes méfiants, puisque, aujourd'hui, vous nous proposez d'abaisser le seuil à 2 000 habitants et donc de changer la loi électorale pour étendre la proportionnelle.
Pour cette raison, la délégation, dans sa majorité, n'a pas approuvé cette disposition. Vous ne pouvez donc pas vous prévaloir des conclusions de la délégation à propos des élections cantonales et des élections municipales dans les petites communes.
Cela dit, je suis, vous le savez, très favorable à la parité et j'approuve donc le principe de cet amendement, même s'il n'a pas un caractère normatif ; d'ailleurs je vous proposerai d'ailleurs moi-même tout à l'heure un amendement qui, lui, a un caractère normatif et dont l'application s'étend, au-delà du monde politique, à d'autres mondes, le monde professionnel notamment.
Je suis partagé, car je suis opposé à votre souhait d'étendre la proportionnelle aux conseils généraux et aux petites communes. Je voterai néanmoins votre amendement à titre personnel, mais j'attends d'autres explications de votre part.
Mme Dinah Derycke. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. En tant que président de la délégation aux droits des femmes, je voudrais dire que M. Cornu n'a pas été, me semble-t-il, très attentif aux propos de Mme Pourtaud ; mais je pense qu'elle s'expliquera elle-même.
En effet, il n'a pas été dit que la délégation avait tranché dans le sens de l'extension de la parité à toutes les communes, y compris les plus petites, et aux élections cantonales !
Il y a des élections - dont les cantonales - et des communes - de moins de 2 000 habitants si l'on prend pour référence le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, ou de 3 500 habitants si l'on prend le texte du Gouvernement - qui n'entrent pas dans le champ d'application de la loi que nous voterons pour accroître l'égal accès des hommes et des femmes aux fonctions électives et aux mandats électoraux. Voilà ce que dit l'amendement.
Il a pour objet de rappeler à tous les acteurs politiques - il a bien été dit à maintes reprises dans cette assemblée, à l'occasion du débat sur le projet de loi constitutionnelle, que c'était de la responsabilité des partis politiques - que, même si la future loi ne modifiait pas - nous ne l'avons pas souhaité et le Gouvernement s'y était engagé - la loi électorale, par exemple pour les élections cantonales, ils avaient un devoir moral de tenir compte de l'esprit de cette révision constitutionnelle.
Cet amendement est, en quelque sorte, un appel et une ouverture sur d'autres dispositions - je pense, par exemple, à un véritable statut de l'élu, que nous souhaitons tous ici comme le souhaite l'Assemblée nationale -,...
M. Alain Vasselle. Il ne faut pas mettre la charrue avant les boeufs !
Mme Dinah Derycke. ... destinées à favoriser l'égal accès des hommes et des femmes et donc l'entrée des femmes dans le monde politique.
M. Jean Chérioux. Déposez une proposition de loi !
Mme Danièle Pourtaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Je voudrais en fait rassurer mes collègues, MM. Gélard et Cornu.
M. Gélard n'avait peut-être pas entre les mains le texte rectifié de notre amendement n° 34, qui ne constitue pas une injonction au législateur de prévoir dans la loi des dispositions favorisant l'égal accès des femmes et des hommes. L'amendement n° 34 rectifié précise seulement que : « Toutes dispositions appropriées doivent être prises... » C'est un devoir qui incombe, au-delà du législateur, à un éventail beaucoup plus large d'acteurs.
M. Hilaire Flandre. Et le législateur aussi ! C'est plein de sous-entendus !
Mme Danièle Pourtaud. J'en viens à l'intervention de M. Cornu.
Je le rassure, je n'ai absolument pas dit que la délégation avait demandé l'application des dispositions de la future loi aux élections cantonales, au scrutin pour les petites communes ou encore pour l'élection des sénateurs élus au scrutin uninominal. Je n'ai absolument pas dit cela. J'ai seulement dit que la délégation avait approuvé le principe selon lequel il était souhaitable que la parité se diffuse, y compris pour les élections qui ne font pas, pour l'instant, l'objet de dispositions appropriées. Ensemble, au sein de la délégation, nous avons utilisé les termes d'« effet de contagion », et il me semble me souvenir que vous approuviez cette position !
Dans mon intervention, tout à l'heure, j'ai dit très clairement que rien n'empêche, pour les élections cantonales par exemple, que les partis politiques incitent au dépôt de candidatures féminines en plus grand nombre. Avouez que je n'ai pas fait preuve d'une coercition extraordinaire à l'égard des partis politiques en disant une chose pareille !
J'espère que je vous aurai rassuré et que vous pourrez, par conséquent, voter avec un peu plus d'enthousiasme cet amendement n° 34 rectifié.
M. le président. La parole est M. Chérioux, pour expliquer son vote.
Je vous sentais trépigner, mon cher collègue. (Sourires.)
M. Jean Chérioux. Je ne trépignais pas, mais j'aime bien que les choses soient claires.
Par définition, la loi doit être normative. Elle est faite pour émettre des règles. Or je suis inquiet, car on nous dit que tel n'est pas le cas. Je ne vois alors pas pourquoi un tel amendement nous est présenté !
A moins qu'il ne s'agisse d'une injonction ! Dans ce cas, je voudrais bien savoir si elle est limitée aux seuls partis politiques, car si elle était destinée au Gouvernement, je serais encore plus inquiet puisque, alors, cette disposition serait inconstitutionnelle.
Au fond, il s'agit de ce que j'appellerai un amendement à usage médiatique. Ce n'est pas notre façon d'agir au Sénat, où nous sommes des gens sérieux !
Par conséquent, je voterai contre cet amendement. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 34 rectifié, repoussé par la commission et pour lequel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme Hélène Luc. Dommage !
M. Hilaire Flandre. C'est aussi bien : il était inutile !
M. Jean Chérioux. Oui, il ne servait à rien !

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