Séance du 21 mars 2000






CONSEIL D'ADMINISTRATION D'AIR FRANCE

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 254, 1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'élargissement du conseil d'administration de la société Air France et aux relations de cette société avec l'Etat, et portant modification du code de l'aviation civile. [Rapport n° 264 (1999-2000).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi que l'Assemblée nationale a adopté le 1er mars dernier en première lecture vise à augmenter le nombre des représentants des salariés au sein du conseil d'administration d'Air France et à élargir l'autonomie de gestion de la compagnie nationale.
Le principe de l'élargissement du conseil d'administration en faveur de la représentation des salariés qui ont accepté d'échanger une partie de leurs salaires contre des actions n'est contesté par personne.
L'Assemblée nationale l'a d'ailleurs bien compris, puisqu'il ne s'est pas trouvé un seul député pour voter contre ce texte, les groupes de gauche l'ayant approuvé et les trois groupes de l'opposition s'étant abstenus, sans qu'aucun amendement ne soit déposé.
Les députés de la majorité ont considéré que ce texte contribuait au redressement d'Air France en témoignant une confiance dans l'avenir de l'entreprise de la part de la direction et des salariés, en particulier des personnels navigants.
Les députés de l'opposition ont eu, pour leur part, la sagesse de ne pas vouloir remettre en cause, par une attitude tranchée, l'équilibre social et le climat de confiance qui prévalent aujourd'hui au sein de la compagnie.
Vous l'avez compris, ce projet de loi est en quelque sorte un dernier élément au plan que le Gouvernement a voulu mettre en oeuvre pour le redressement et pour le développement durable de cette entreprise dans laquelle l'Etat restera majoritaire.
Comme vous le savez, Air France s'est trouvée dans une situation difficile au début des années quatre-vingt-dix, lorsque le marché du transport aérien s'est brusquement dégradé, notamment avec la guerre du Golfe.
Les efforts consentis avant 1997 pour la sortir de cette situation ont été réels, et il ne m'appartient surtout pas de les nier.
Il convient également de saluer le travail accompli depuis cette date par le président Spinetta, conformément aux orientations définies par le Gouvernement, ainsi que par son équipe et par l'ensemble des salariés de l'entreprise.
Ils ont en effet fortement contribué à l'embellie que connaît aujourd'hui la compagnie, avec une progression sur l'exercice 1999-2000 de 13 % pour son trafic de passagers et de 7 % pour le fret.
Aujourd'hui, Air France construit une alliance de dimension mondiale, s'engage dans des partenariats, progresse en parts de marchés et, pour la quatrième année consécutive, présente un résultat d'exploitation positif, et ce tout en restant au sein du secteur public, ce que certains d'ailleurs me reprochent.
Les efforts engagés par nos prédécesseurs pour assainir la situation l'avaient au contraire été dans le but essentiel de privatiser l'entreprise, ce qui présentait à terme le risque non négligeable de voir celle-ci subir les effets d'une de ces offres publiques d'achat qui peuvent entraîner la disparition des entreprises qui en sont victimes.
Je vous laisse mesurer les effets qu'aurait pu avoir une OPA sur une entreprise nationale comme Air France, notamment ce qu'il aurait pu advenir pour la desserte aérienne intérieure et extérieure de la France si une telle situation s'était produite.
Dès 1997, l'objectif a été de mettre Air France sur le chemin du développement et de rétablir la confiance, au sein de l'entreprise et vis-à-vis de ses clients habituels ou potentiels.
Pour conquérir ou reconquérir des parts de marchés, il fallait créer une dynamique de conquête qui ne peut réellement s'affirmer que dans le cadre d'un climat social positif.
Depuis 1997, le Gouvernement inscrit ses efforts dans la perspective de la pérennisation de l'entreprise, donc dans le sens de l'intérêt général. Nous sommes désormais très loin des 8 milliards de francs de pertes de 1993 et nous considérons que, en recapitalisant l'entreprise à hauteur de 20 milliards de francs, l'Etat a fait son devoir d'actionnaire.
Certains ont voulu justifier la perspective de privatisation par les exigences communautaires. Mais, vous vous en souvenez sûrement, mesdames, messieurs les sénateurs, la Commission européenne elle-même déclarait, après nos interventions, le 4 septembre 1997 : « Nous ne demandons pas qu'une entreprise soit privée ou publique, mais qu'elle soit concurrentielle et qu'elle suive les règles du marché. »
Il se disait également à l'époque qu'Air France ne pourrait pas nouer d'alliances internationales si l'Etat restait l'actionnaire majoritaire.
Je relève à ce propos que, à l'époque, la perspective de la privatisation n'avait pas conduit à la conclusion d'alliances particulièrement florissantes.
Je note par ailleurs que, depuis, Air France a construit et continue de construire son réseau d'alliances qui permettra d'offrir, sous une marque unique, un réseau mondial formé de l'ensemble des réseaux de ses partenaires.
A cette fin, Air France a signé, le 22 juin dernier, un accord exclusif avec Delta Air Lines, qui a vocation à être complété par d'autres, tel celui qui est négocié avec Aeromexico. De plus, sur le marché européen, Air France a désormais la capacité de croître par des prises de participations.
Elle a récemment pris le contrôle, en France, de Regional Airlines, et, en Irlande, de City Jet. Afin d'améliorer son offre sur le marché domestique, elle fait aujourd'hui à British Airways une offre de rachat d'Air Liberté.
L'amélioration de sa position sur le marché intérieur ne pourra avoir que des effets bénéfiques sur sa compétitivité sur les marchés internationaux.
Parallèlement au rétablissement de sa situation financière, l'appareil de production d'Air France a été profondément restructuré. Une plate-forme de correspondance compétitive, le hub, a été créée à Roissy et elle se développe.
Des navettes ont été mises en place sur les principales lignes du marché intérieur. Le réseau, qui avait été restructuré avec la fermeture des lignes les plus déficitaires, se développe aujourd'hui à nouveau.
L'ouverture du capital, en février 1999, a été et demeure un progrès. La demande privée a très largement dépassé l'offre et l'opération destinée aux salariés a été aussi innovante que réussie. Ni les salariés ni les investisseurs privés n'ont manifestement été découragés par la place importante de l'Etat dans le capital et par le rôle qu'il entend jouer.
Cette présence est, au contraire, apparue aux nouveaux actionnaires comme un gage de sérieux et de stabilité pour la stratégie suivie par la compagnie. Son maintien dans le giron de l'Etat n'est donc ni perçu ni vécu comme un handicap.
A vrai dire, il faut bien se rendre compte du fait que la privatisation totale n'engendre pas automatiquement la confiance, comme l'atteste, parmi d'autres, l'exemple de British Airways, dont le cours de l'action, après avoir pratiquement doublé, a fortement baissé ces derniers temps.
L'ouverture du capital, qui n'incite pas à la spéculation boursière, permet, en fait, à Air France de financer son projet industriel, dont la réussite passe notamment par un renouvellement très important de sa flotte.
La solution choisie permet d'éviter à l'Etat d'avoir à financer ces achats d'avions à partir des deniers publics, ce qui, d'ailleurs et de toute manière, ne serait plus accepté ni par la Commission ni par la Cour de Luxembourg.
Donner à Air France les moyens de renouveler sa flotte, c'est aussi lui donner les moyens d'améliorer ses dessertes, le confort de ses clients et aussi, en définitive, de causer moins de nuisances sonores aux abords des aéroports où elle déploie son activité, car les nouveaux modèles d'avions sont de moins en moins bruyants.
Nous savons tous, mesdames, messieurs les sénateurs, combien ce dernier aspect des choses est important aujourd'hui à proximité de Roissy, d'Orly ou des principaux aéroports de nos régions.
L'ouverture du capital a permis de renforcer sensiblement l'actionnariat salarié qui a été mis en oeuvre pour la première fois par la compagnie en 1995. Elle a contribué au renouveau du dialogue social au sein de l'entreprise après un conflit d'envergure, vous vous en souvenez tous, avant la Coupe du monde de football. Je considère, pour ma part, que la réussite du dialogue social est l'une des conditions essentielles pour la réussite et le renouveau de la compagnie nationale.
Il convient de souligner que la part du capital proposée aux salariés a été plus importante que dans les précédentes opérations d'ouverture de capital d'entreprises publiques, car 15 % des titres ont été cédés, contre 10 % habituellement. Cette offre a été « sur-souscrite » par les salariés, dont près des trois quarts ont participé à l'opération.
La deuxième innovation a été la proposition aux personnels navigants techniques - les pilotes - d'un échange entre salaire et actions. Tout le monde se souvient du conflit de juin 1998 ; pourtant, témoignant de leur confiance dans l'avenir de l'entreprise, près de 80 % des pilotes ont accepté cet échange qui participe directement à la baisse des coûts de production de la société sans que le revenu des pilotes en soit affecté sur la durée de leur carrière.
En conséquence, Air France est maintenant une des entreprises françaises où l'actionnariat salarié est le plus développé, avec environ 11 % du capital.
Enfin, l'entreprise s'est redressée. L'exercice courant devrait se terminer, pour la cinquième année consécutive, par un résultat d'exploitation positif. A l'issue de son dernier exercice, le 31 mars 1999, le résultat net était de 1,64 milliard de francs. Les neuf premiers mois du présent exercice ont vu la compagnie accroître son offre de 12 %, son trafic de 13,3 % et ses recettes de 12,7 %.
Ce développement, conduit à un rythme plus rapide que celui de ses concurrentes européennes, a également été favorisé par l'extension de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, avec l'ouverture de la troisième piste, et l'occupation par Air France du nouveau terminal F à Roissy 2.
Ce développement profite à la compagnie, mais aussi à l'ensemble de la collectivité. Air France a en effet créé plus de 3 500 emplois depuis avril 1997 et compte en créer 6 500 de plus dans les trois prochaines années, grâce à l'effet conjugué de la négociation avec les partenaires sociaux sur la réduction du temps de travail et de la croissance de l'activité.
Alors que la compagnie avait dû supprimer, je le rappelle, 9 000 emplois pendant la crise dont j'ai parlé tout à l'heure, elle en aura créé au total plus de 10 000 entre 1997 et 2002.
Il convient aussi de souligner que la croissance d'Air France, qui gagne des parts de marché en Europe, ne se fait pas au détriment de la rentabilité. La compagnie garde la maîtrise de ses coûts. Il en est résulté, pour les neuf derniers mois de 1999, un résultat d'exploitation de 2,6 milliards de francs, ce qui représente une progression de 45 %.
Ces bons résultats contribuent à la consolidation de la structure financière de l'entreprise. Ainsi, l'endettement diminue, puisqu'il n'était plus que de 9,8 milliards de francs à la fin de l'année contre 14 milliards de francs en mars 1999. Air France a désormais en ce domaine des ratios comparables à ceux des grands transporteurs de l'Union européenne.
On peut donc dire que l'ouverture du capital a été une réussite. Le développement de l'entreprise se poursuit, dans l'appartenance au secteur public, et le présent projet de loi prouve que ce cadre n'est pas synonyme d'immobilisme, au contraire.
Le changement apporté par l'ouverture du capital et par la situation de vive concurrence doit être pris en compte dans le cadre institutionnel régissant la société. La modernisation des relations entre l'entreprise et l'Etat actionnaire doit être l'occasion d'une meilleure implication des salariés.
L'ouverture du capital implique de modifier les conditions d'exercice de la tutelle de l'Etat. Il convient en particulier de recentrer l'exercice de la tutelle sur le conseil d'administration et d'adapter la composition de celui-ci. Tel est l'objet du texte qui vous est proposé.
S'agissant des relations entre l'Etat et l'entreprise, certaines procédures sont inutilement lourdes et des dispositions sont devenues obsolètes car elles relèvent désormais de règlements communautaires. Il vous est par conséquent proposé de les supprimer.
Par ailleurs, le texte vise à recentrer sur le conseil d'administration l'examen des projets d'investissements et de prise de participation de la compagnie.
Modernisation de la tutelle ne veut cependant pas dire suppression de la tutelle. La volonté du Gouvernement étant qu'Air France reste dans le secteur public, l'Etat doit continuer à exercer l'ensemble de ses prérogatives d'actionnaire majoritaire par son intervention dans le conseil d'administration et dans le cadre de la tutelle exercée par le ministère des transports et par celui de l'économie.
Le renforcement de l'actionnariat salarié et l'arrivée de nouveaux actionnaires privés dans le capital d'Air France doivent aussi être pris en compte. C'est l'objet de l'élargissement du conseil d'administration de 18 à 21 membres, qui reflétera ainsi plus fidèlement la structure du capital tout en garantissant la représentation des salariés.
Je précise - c'est une nouveauté - que les salariés auront 6 représentants au conseil d'administration de la compagnie, ce qui correspond à une parité de sièges avec l'Etat.
Cette représentation s'inscrit - j'insiste sur ce point - dans le respect de l'accord signé avec les personnels navigants techniques le 29 octobre 1998. C'est donc un engagement du Gouvernement.
Votre rapporteur, M. Jean-François Le Grand, dont les compétences en matière de transport en général et de transport aérien en particulier sont bien connues,...
M. Jean-Pierre Plancade. Eh, oui !
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. ... propose, dans son rapport, d'adopter conforme le projet de loi issu de l'Assemblée nationale. Cela permettait ainsi la promulgation de cette loi dans le courant du mois prochain.
Cependant, à la suite d'un amendement parlementaire, la commission a modifié sa position. Je vous le dis très sincèrement, il serait dommageable pour l'entreprise que l'entrée en vigueur de la loi soit reportée de presque un an, du fait des navettes parlementaires.
Dans ce domaine comme dans d'autres, je crois qu'il faut savoir dépasser certaines querelles et toute position qui pourrait s'apparenter à du dogmatisme. L'intérêt général, l'esprit de responsabilité et tout simplement la raison doivent l'emporter.
Aussi, je souhaite que vous adoptiez ce projet de loi qui, comme vous le savez, est très attendu par toutes celles et tous ceux qui souhaitent le développement d'Air France. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un an après l'ouverture du capital d'Air France, il nous est proposé, avec le présent projet de loi, d'en tirer les conséquences juridiques. Autrement dit, le Gouvernement souhaite adapter le statut d'Air France, défini par le code de l'aviation civile, à la nouvelle composition de son capital.
Avant d'aborder ces dispositions, je dirai quelques mots sur le contexte. Comme vous le savez, le marché du transport aérien a connu, depuis une dizaine d'années, une libéralisation accélérée et sans précédent. Aujourd'hui, c'est un marché largement concurrentiel.
Je ne reviendrai pas sur les différentes étapes de cette libéralisation, ni sur l'adoption du deuxième paquet, entre 1990 et 1992, qui a apporté la cinquième liberté, c'est-à-dire le libre accès aux liaisons aériennes entre chaque Etat.
Confrontée à ce nouvel environnement, la compagnie Air France a dû entreprendre une restructuration qui était d'autant plus importante que, il faut le dire, elle y était mal préparée.
Tout d'abord, Air France avait été habituée à une situation de quasi-monopole. Victime de choix stratégiques contestables, elle avait accusé, dans les premières années de la libéralisation du marché, d'importantes pertes de parts de marché, qui se sont d'ailleurs très vite traduites par des pertes financières considérables. Ainsi, en 1994, ces dernières s'élevaient à environ 14 milliards de francs. C'est dire si, aujourd'hui, nous revenons de loin !
Depuis, Air France n'a pu se redresser qu'avec le soutien de l'Etat, qui - il faut le souligner - a procédé, en 1994, à une recapitalisation de 20 milliards de francs. Vous l'avez rappelé tout à l'heure à la tribune, monsieur le ministre, ce sont 20 milliards de francs que l'Etat a apportés, mais permettez-moi d'être un peu plus précis que vous ne l'avez été. En fait, ce sont les contribuables qui les ont apportés, à cette occasion, pour redresser les erreurs stratégiques et permettre à la compagnie de remédier aux différentes défaillances de son actionnaire principal.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. On le dit en termes pudiques, vous le constatez !
Cette recapitalisation n'a été autorisée par la Commission européenne - vous l'avez aussi rappelé - que sous réserve de la mise en place d'un plan de redressement financier et commercial sévère, qui commence aujourd'hui à porter ses fruits.
Le redressement est, il faut le dire, spectaculaire. L'exercice comptable de 1999 s'est clos, pour la quatrième année consécutive, sur un résultat d'exploitation positif. En 1998, Air France a conquis le troisième rang européen derrière British Airways et Lufthansa. Les actions structurelles mises en oeuvre par Air France depuis 1994 lui ont permis de renouer avec les profits.
Cette politique s'est développée autour de cinq axes que je ne détaillerai pas, puisque, lors des débats budgétaires ou de l'examen de textes relatifs aux transports aériens, nous avons examiné chacun d'eux. Je les rappellerai simplement pour mémoire : la restructuration du réseau d'Air France, le développement du hub à Roissy, la mise en oeuvre du système de tarification des sièges dit de yield management - nous ne pouvons que nous réjouir du fait qu'Air France ait utilisé cette technique, même si elle l'a fait longtemps après d'autres compagnies étrangères -, la conclusion d'une alliance globale avec Delta Airlines et l'adoption d'un plan d'économies de plus de 3 milliards de francs.
A cet instant, compte tenu de la qualité et de la nature du redressement, nous ne pouvons que féliciter à la fois la direction et les salariés de la compagnie pour leurs performances.
Ce redressement est également la conséquence de l'ouverture du capital d'Air France. Comme vous le savez, la réduction des coûts salariaux des pilotes n'a été possible que grâce à la cession de 12 % du capital à ceux qui ont consenti, au terme de l'opération « salaires contre actions », à des réductions de salaire. Il n'est point besoin de revenir sur les circonstances. C'était, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, l'époque de la Coupe du monde de football...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Juste avant !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. C'est exact. Cela a peut-être permis d'accélérer la conclusion de l'accord. On peut toujours imaginer, même si ce n'est pas écrit dans les textes, que ceci n'était pas étranger à cela...
Ainsi, 12 % du capital ont été cédés. Aujourd'hui, plus de 72 % des salariés d'Air France détiennent des actions de leur compagnie. Air France est ainsi devenue l'entreprise française cotée ayant l'actionnariat salarié le plus important. Parallèlement, les investisseurs privés ont acquis plus de 30 % du capital d'Air France. Les institutionnels comme les nombreux particuliers qui ont misé sur Air France n'ont pas aujourd'hui à le regretter.
Monsieur le ministre, nous aurions préféré la privatisation au lieu de cette respiration du capital. Nous aurions préféré le grand air ; ce fut un vent modéré. Nous attendions un vol long-courrier ; ce fut du moyen-courrier, l'Etat étant resté actionnaire majoritaire de la société. Sa part devrait se réduire d'ici à 2003 à seulement 53 % du capital. Nous ne sommes donc pas très loin in fine de la privatisation...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Mais nous n'y sommes pas encore !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. J'y reviendrai dans un instant.
Je me félicite, quant à moi, que le Gouvernement, à l'instigation de son ministre - je vous rends hommage ; comme vous m'avez cité tout à l'heure, c'est un juste retour des choses ! (Sourires) - ait engagé Air France dans cette voie, bien que ce soit quelquefois un peu curieux. Bien entendu, je vous invite à aller plus loin et à autoriser Air France à prendre le large. Encore un petit effort !
Je crois qu'Air France a besoin d'être guidée par un actionnaire capable d'exercer entièrement les responsabilités d'un gestionnaire d'entreprise. Elle a besoin d'un actionnaire capable d'accompagner financièrement son développement et d'assumer sans faiblesse les décisions propres à favoriser son succès.
Les choix industriels sont biaisés et le dialogue social est faussé dès lors que les ministres apparaissent comme des recours d'autant plus mobilisables que pèsent sur eux des pressions électorales et politiques qui peuvent ne pas être guidées parfois par les seuls intérêts de l'entreprise.
Je constate que les transporteurs aériens à statut public ne sont en Europe plus que des exceptions. British Airways et Lufthansa sont depuis longtemps privatisées ; Al Italia et Iberia sont en voie de l'être.
Sans doute m'objecterez-vous les difficultés que connaît British Airways ; on en entend parler ici et là. Cela étant, comparons ce qui est comparable ! Même si British Airways connaît quelques fluctuations dans son évolution, sa privatisation, depuis près de vingt ans, a fait de cette compagnie un leader européen - situation extrêmement confortable au niveau mondial - placé largement encore devant Air France.
Air France risque d'être, à la fin de l'année, la seule grande compagnie européenne encore publique. Il me semble que l'attachement - parfois louable - du Gouvernement à maintenir l'exception française pourrait s'exercer dans d'autres domaines que celui-là !
Je suis toutefois reconnaissant à l'actuelle majorité de n'avoir pas remis en cause la loi du 19 juillet 1993, par laquelle le Parlement a autorisé la privatisation d'Air France. Il faut vous en donner acte, monsieur le ministre, vous n'êtes pas revenu sur cette autorisation qui était accordée au Gouvernement d'aller jusqu'à la privatisation. Il suffirait donc d'un décret. Mais j'ai cru comprendre qu'un tel décret ne serait pas pris tant que vous seriez ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Pas d'ici à ce que je parte !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. On peut le faire maintenant, et privatiser Air France au cours de la séance ! Il me semble qu'un jour nous y parviendrons.
Venons-en aux dispositions du projet de loi lui-même.
Pour ne rien vous cacher, monsieur le ministre, je crois, dans un premier temps, que ces dispositions étaient un peu inutiles. Aucune d'elles, pour ce qui est des deux premiers articles, en tout cas, ne me paraît strictement indispensable au bon fonctionnement de l'entreprise.
Il est vrai que l'alignement des dispositions du code de l'aviation civile sur le droit communautaire était en toute rigueur nécessaire au respect de la hiérarchie des normes et à la cohérence juridique du texte. Toutefois, chacun le sait - j'ai été récemment rapporteur d'un texte de loi permettant d'adapter le droit français au droit européen - les règlements communautaires sont directement applicables et obligatoires dans tous leurs éléments ; les dispositions actuelles du code de l'aviation civile qui leur sont contraires ne pouvaient donc pas être appliquées.
Quant à l'allégement de la tutelle de l'Etat, annoncé assez généreusement dans l'exposé des motifs, il relève pour une large part d'un toilettage technique de dispositions qui sont - cela m'ennuie d'autant plus de vous le dire que vous avez fait, monsieur le ministre, une présentation importante de cette affaire - soit sans portée réelle, comme la contrainte de l'équilibre financier - qui exigerait le contraire d'une entreprise ? - soit inappliquées, comme les dispositions relatives aux conditions d'exercice du transport aérien.
Mes chers collègues, la portée juridique et pratique des deux premiers articles laisse donc à penser que leur vocation première était d'accompagner l'article 3, qui modifie la composition du conseil d'administration d'Air France.
Cette modification tend à tirer les conséquences de l'ouverture du capital d'Air France opérée en 1999. Elle permet l'introduction de nouveaux administrateurs représentant les actionnaires privés et le renforcement de la présence des représentants des salariés actionnaires.
Je constate néanmoins que l'augmentation du nombre d'administrateurs - seule mesure qui exigeait réellement le recours à la loi, la composition aujourd'hui relevant du décret - n'était pas elle-même indispensable à cet objectif.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, il était possible d'atteindre cet objectif sans modifier le nombre global d'administrateurs, c'est-à-dire sans recourir à la loi. Toutefois, j'ai cru comprendre que cette solution avait été écartée en raison de la crainte que des personnalités qualifiées, pourtant nommées par l'Etat, ne manifestent à l'occasion de certains votes une certaine indépendance, voire une indépendance certaine !
Il m'est donc arrivé de penser que ce projet de loi avait pour objectif ultime d'asseoir la majorité de l'Etat au sein du conseil d'administration.
Après réflexion, et suite à de nombreuses auditions, il m'a semblé que ce texte avait cependant une ambition tout autre.
Il permet d'abord de consacrer la participation des salariés actionnaires au conseil d'administration et à la direction d'Air France. C'est à mon sens un élément essentiel de motivation du personnel que son implication dans l'avenir de la société.
Il favorise ensuite l'introduction, pour la première fois depuis sa nationalisation, de représentants d'investisseurs privés au sein du conseil d'administration d'Air France. J'y vois là une consécration ou une affirmation d'un processus qui nous mène plus loin : vers la privatisation, comme je le disais tout à l'heure.
J'ai noté avec intérêt la volonté du Gouvernement d'assurer l'autonomie de gestion d'Air France. Je crois que la suppression de la procédure d'autorisation préalable pour les prises de participation d'Air France lui permettra d'engager sa parole dans des négociations sans devoir demander, pour chaque opération, l'approbation des services de l'Etat.
C'était déjà une réflexion que j'avais présentée voilà deux ou trois ans à l'occasion du vote du budget. J'avais indiqué qu'il était sans doute pénalisant pour Air France d'avoir systématiquement à recourir à l'autorisation préalable avant d'engager des pourparlers ici ou là et d'orienter différemment son activité.
Réjouissons-nous donc de la volonté de desserrer la tutelle de l'Etat sur le conseil d'administration !
Je partage avec vous, monsieur le ministre, le souci qu'Air France puisse se battre à armes égales avec ses concurrents. J'ai trop souvent regretté ici, à cette tribune, le retard pris dans un certain nombre d'alliances ; j'ai trop souvent regretté ici, à cette tribune, la difficulté pour Air France d'évoluer dans ce milieu éminemment concurrentiel pour, aujourd'hui, faire la fine bouche et ne pas dire que ce point nous paraît effectivement tout à fait positif.
Mes chers collègues, parce que ce texte représente une avancée dans la bonne direction, même s'il est encore insuffisant, parce qu'il constitue une étape vers la privatisation, la commission ne vous proposera aucune modification. Nous aurons donc seulement à étudier les amendements déposés par notre collègue M. Poniatowski,...
M. Ladislas Poniatowski. Et adoptés en commission !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. ... qui ont reçu un avis favorable de la commission ; j'y reviendrai dans un instant.
Cette approbation de principe s'accompagne néanmoins de quelques inquiétudes.
Je regrette notamment que la voie législative empruntée par le Gouvernement pour modifier le conseil d'administration entraîne l'interruption du mandat d'administrateurs désignés voilà à peine trois ans. En la matière, la continuité aurait permis, me semble-t-il, un suivi des dossiers plus propice au sérieux des travaux. La prorogation de l'actuel conseil d'administration avec adjonction de membres nouveaux aurait sans aucun doute été préférable.
Cette réforme aura en outre comme conséquence de provoquer de nouvelles élections syndicales, de sorte que, pour Air France, l'année 2000 sera une année d'élections, comme l'a été l'année 1999. Ce climat permanent de campagne électorale me semble être de nature à raviver les tensions entre les différentes catégories de personnels. De ce point de vue, on aurait pu attendre, de la part du Gouvernement, une attitude plus attentive à la cohésion sociale dans l'entreprise.
Certaines dispositions du projet de loi ont notamment soulevé les inquiétudes de certaines catégories de salariés. Ainsi, les dispositions permettant de prévoir les élections au sein de deux sections de l'assemblée générale composées respectivement du personnel navigant technique actionnaire et des autres salariés traduisent, je le sais, des accords passés par la direction avec les pilotes. Elles ont néanmoins l'inconvénient de raviver le clivage entre les PNT et les autres salariés, qui ont déjà assez mal perçu leur faible représentation au sein du comité d'audit et de stratégie.
Il est vrai, monsieur le ministre, que le fait que certains des salariés aient pu bénéficier, en échange de diminutions de salaire, d'actions de l'entreprise qui leur ont été, en quelque sorte, offertes, alors que d'autres ont dû acquérir les leurs au prix normal, c'est-à-dire au prix coûtant, a créé une différence notable dans la relation à l'intérieur même de l'entreprise.
Monsieur le ministre - faut-il le dire ? - les salariés sont la force de cette entreprise : leur cohésion est un facteur du redressement d'Air France.
Mes chers collègues, en dépit des quelques inquiétudes dont je vous ai fait part, la commission des affaires économiques vous propose d'approuver les dispositions du projet de loi ainsi amendé, qui, bien que de portée limitée, engagent un peu plus, et c'est bien, Air France dans la voie de la privatisation. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je n'avais pas l'intention de voter ce projet de loi relatif à l'élargissement du conseil d'administration d'Air France en l'état. Mais s'il est modifié dans le sens des amendements que j'ai déposés et que la commission a approuvés, mon groupe le votera. S'il n'est pas modifié en ce sens, nous ne le voterons pas.
Nous faisons l'objet, je le sais, d'une forte pression pour qu'il soit adopté conforme, « afin de ne pas prendre de retard », avez-vous dit, monsieur le ministre. Mais vous avez attendu presque un an et demi pour le présenter ; on peut bien attendre quelques semaines de plus pour une navette qui ne durera pas un an, monsieur le ministre !
Mme Hélène Luc. Vous faites du zèle par rapport à vos amis de l'Assemblée nationale !
M. Ladislas Poniatowski. Ce texte, mes chers collègues, contrairement à ce qui a été dit, est loin d'être anodin. Il est, en effet, l'aboutissement de deux événements importants qui ont eu lieu en 1998, événements que vous avez rappelés, monsieur le rapporteur, et auxquels vous avez également fait allusion, monsieur le ministre.
Le premier de ces événements, c'est la grève des pilotes d'Air France intervenue lors de la Coupe du monde de football, en juin 1998.
Le second événement, c'est l'ouverture du capital d'Air France, décidée en novembre 1998 et qui a pris effet en février 1999.
Je souhaite revenir sur ces deux événements et tenter de vous convaincre, mes chers collègues, de nous suivre en acceptant la modification sur laquelle la commission a donné un avis favorable ce matin.
Les pilotes d'Air France ont deux particularités. Première particularité : ce sont les pilotes les mieux payés au monde. Je m'en réjouis pour eux, bien sûr, mais cela coûte très cher à l'entreprise, au point de la handicaper par rapport à ses concurrents. Il faut savoir que, en termes de rémunération, les pilotes d'Air France coûtent 40 % de plus que ceux de la Lufthansa et 20 % de plus que ceux de British Airways.
Seconde particularité : lorsqu'ils font grève, c'est systématiquement à la veille de départs en vacances ou de week-ends fériés prolongés, voire à la veille de grands événements, comme ce fut le cas lors du Mondial. Cela leur réussit parfaitement, d'ailleurs, puisqu'ils obtiennent assez facilement des avantages. La preuve : ce sont, je le répète, les pilotes les mieux payés au monde ! La veille du Mondial, monsieur le ministre, ils ont fait fort, ils ont même fait trop fort ! En annonçant qu'ils ne transporteraient pas les centaines de milliers de spectateurs venus du monde entier pour assister aux différents matches organisés à travers notre pays, ils remettaient en cause tout le championnat du monde, avec ses intérêts économiques et financiers, en matière de télédiffusion notamment, intérêts que nous connaissons bien, les uns et les autres. La menace était telle que le Gouvernement, notamment vous-même, monsieur le ministre, était prêt à tout céder. Et il a tout cédé !
Jamais, dans aucune négociation sociale, les revendicateurs n'ont à ce point obtenu tout ce qu'ils réclamaient. Cette négociation, et je pèse mes mots, monsieur le ministre, je considère qu'elle a été honteuse, vous allez voir pourquoi.
Vous avez tout accordé, à qui ? A une toute petite minorité de salariés - 3 600 - les mieux payés de l'entreprise, alors que rien n'a été donné aux 45 000 autres salariés ! Je vous rappelle, au passage, que les dix jours de grève ont coûté cher à Air France, qui a perdu au total 1,8 milliard de francs de recettes pendant que ses avions étaient cloués au sol. Elle a coûté cher aussi aux pilotes en terme d'image dans l'opinion publique. Non seulement ils ont été perçus plus que jamais comme des privilégiés mais aussi comme des êtres peu responsables, dans la mesure où la paralysie de la compagnie a profité surtout à ses concurrents.
Monsieur le ministre, vous n'avez peut-être pas participé directement aux discussions entre la direction d'Air France et les syndicats de pilotes, mais vous étiez à la tête de la cellule de suivi qui a été mise en place dans votre ministère...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. C'est vrai.
M. Ladislas Poniatowski. ... comprenant des représentants du ministère des transports, du ministère de l'économie et des finances et même de Matignon puisque M. Schramek, directeur de cabinet de M. Jospin, fut particulièrement présent dans les derniers jours.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Ça c'est faux !
M. Ladislas Poniatowski. Cette cellule représentait l'Etat actionnaire, ce qui est normal puisque certains éléments de la négociations concernaient précisément l'Etat actionnaire. C'est bien vous qui avez donné le feu vert pour le point fort de l'accord auquel vous faisiez allusion, monsieur le ministre.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Ça c'est vrai !
M. Ladislas Poniatowski. En échange d'un gel des salaires pendant sept ans, les pilotes ont obtenu un sacré cadeau en actions, un cadeau tel qu'on n'en avait jamais vu auparavant dans toute l'histoire de la participation dans notre pays.
Les négociations sur ce que l'on appelle « l'échange salaire-actions » n'ont en fait abouti que plus tard puisqu'elle ont redémarré après les vacances, entre septembre et octobre. L'objectif visé était très bon puisqu'il s'agissait d'obtenir une économie sur la masse salariale des pilotes afin de diminuer les coûts d'exploitation et de favoriser corrélativement l'ouverture du capital de la compagnie en valorisant les actions émises.
La cession d'actions aux salariés en échange d'une réduction de salaire - qui dit gel sur plusieurs années dit réduction de salaire - est un procédé qui n'était pas nouveau. Il avait déjà été mis en application peu de temps auparavant dans d'autres pays. C'est ainsi qu'aux Etats-Unis les salariés de United Airlines possèdent 51 % du capital de l'entreprise et ceux de Northwest 37 % du capital. Mais, dans l'une comme dans l'autre entreprise, le dispositif n'a pas été réservé à 3 600 salariés. Dans les deux cas de figure, le capital a été ouvert à tous les salariés.
C'est pour cette raison que j'ai qualifié votre négociation de « honteuse », monsieur le ministre, car elle a créé un nouveau type de participation : la participation réservée aux privilégiés.
M. Michel Pelchat. A deux vitesses !
M. Ladislas Poniatowski. Oui, tout à fait !
Je suis un chaud partisan de la participation, mais de la participation telle qu'elle avait été initiée par le général de Gaulle, c'est-à-dire d'une participation pour tous. Le gouvernement de M. Jospin restera, dans l'histoire sociale de la France, comme étant celui qui aura donné, je dis bien donné - vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur, et vous avez raison - 7 % du capital aux salariés les plus favorisés d'Air France et qui aura vendu 4,5 % du capital aux 45 000 autres salariés d'Air France au prix du marché, même s'ils ont bénéficié d'un petit avantage fiscal au passage, ce qui est exact.
M. Joël Bourdin. C'est la lutte des classes ! (Sourires.)
M. Michel Pelchat. Ce sont des marxistes !
M. Ladislas Poniatowski. Je souhaite vous indiquer que cette première injustice de traitement entre les pilotes et les autres salariés s'est doublée d'une seconde injustice entre les pilotes en exercice à la date de la signature de l'accord et les nouveaux pilotes embauchés depuis.
Au rythme d'environ deux cents nouveaux pilotes par an - d'ici à cinq ou dix ans, vous voyez combien cela fera - ils seront suffisamment puissants pour bloquer à leur tour la compagnie et obtenir un cadeau similaire en capital.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Vous encouragez les grèves !
M. Ladislas Poniatowski. De cet accord, la direction escompte retirer une économie estimée à environ 235 millions de francs par an de la masse salariale...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Un peu plus !
M. Ladislas Poniatowski. Par an.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Un peu plus !
M. Ladislas Poniatowski. La direction donne cette estimation, mais vous connaissez mieux que moi la situation de la masse salariale de l'entreprise, monsieur le ministre.
En échange, le cadeau accordé aux pilotes n'a pas été négligeable puisque la cession gratuite d'actions représente un cadeau de 1,4 milliard de francs, valeur février 1999, c'est-à-dire le jour de la mise sur le marché du capital d'Air France.
Le texte que nous examinons aujourd'hui n'est que la cerise sur le gâteau par rapport à ce cadeau puisqu'il s'agit d'accorder une place supplémentaire au conseil d'administration d'Air France.
Je voudrais m'arrêter maintenant sur le second événement qui a manqué Air France en 1998 : la décision d'ouverture de son capital, qui s'est achevée par une entrée en bourse réussie le lundi 22 février 1999.
Ce fut une entrée en bourse très réussie puisque, finalement, 2,4 millions d'actionnaires individuels - vous aviez raison de le dire tout à l'heure, monsieur le ministre - ont souscrit à l'ouverture du capital pour un prix de 14 euros, soit à peu près 91 francs par titre. La demande avait été telle que, pour la satisfaire « en partie », le nombre d'actions offertes aux particuliers avait été augmenté au détriment des investisseurs institutionnels. Bercy, et c'est un bien, avait tenu à donner une priorité absolue aux petits actionnaires. Les ordres ayant fait l'objet d'une réservation inférieure à dix actions ont été servis et tous ceux qui avait demandé plus n'ont reçu que dix actions. Cela montre le succès de cet appel à l'actionnariat populaire, et je m'en réjouis.
Les investisseurs institutionnels français et internationaux, qui s'étaient bousculés, avaient en définitive reçu un nombre d'actions à peine plus important que les particuliers - 23,6 millions d'actions contre 21,9 millions d'actions.
Monsieur le ministre, vous aviez raison de rappeler que le cumul des réservations de titres des investisseurs particuliers et institutionnels s'élevait à près de cent milliards de francs, pour une offre portant sur seulement quatre milliards de francs.
Les pilotes ont bien sûr largement profité de ce bon accueil. Ils ont profité de ce qui s'est passé depuis car l'action a augmenté en un an de près de 11 %. Cela signifie que le cadeau qui représentait très précisément 1,45 milliard de francs à l'époque représente aujourd'hui 1,64 milliard de francs. Ainsi, près de 85 % des pilotes ont accepté l'offre d'échange « salaire-actions ».
Quant à l'immense majorité des salariés d'Air France qui ont eu le droit d'acheter des actions de leur entreprise, ils ont bénéficié d'un avantage important par rapport aux autres citoyens français : chacun a eu le droit d'acheter plus de dix actions. Je pense que c'est une excellente chose, car il me paraît très intéressant que des salariés puissent détenir une partie du capital de leur entreprise. C'est ainsi que les salariés d'Air France autres que les pilotes sont aujourd'hui propriétaires de 4,4 % du capital de l'entreprise.
La répartition du capital d'Air France est actuellement la suivante : 11,5 % aux salariés de l'entreprise, notamment les pilotes ; 31,7 % aux investisseurs particuliers - les 2 400 000 petits porteurs - et institutionnels ; enfin, 56,8 % à l'Etat, étant entendu que la part de l'Etat ne sera plus que de 53 % en mars 2003.
Le texte que nous examinons aujourd'hui tend à augmenter le nombre de sièges au conseil d'administration d'Air France afin de tenir compte de cette nouvelle répartition. Cependant, nous ne sommes amenés à nous prononcer que sur le nombre : c'est ensuite vous, monsieur le ministre, qui déciderez de la répartition, par voie d'arrêté.
J'ai eu la curiosité de lire le projet d'arrêté. Il y est précisé que l'Etat conservera onze représentants, soit des fonctionnaires, soit des personnalités. Conformément à la loi de 1983 sur le secteur public, les salariés garderont six sièges ; je signale au passage qu'un des sièges est réservé aux pilotes. Les actionnaires autres que l'Etat et les salariés, qui n'avaient aucun siège, en obtiendront deux. Monsieur le ministre, vous avez raison : c'est un premier pas. Il reste que, à Air France, la détention de 32 % du capital donne droit à moins de 10 % des sièges, et je considère qu'il y a là une anomalie : d'où ma proposition.
Ma proposition vous donne d'ailleurs une marge de manoeuvre plus importante, monsieur le ministre. En portant non à vingt et un mais à vingt-trois le nombre de membres du conseil d'administration, je ne cherche pas à me substituer à vous pour déterminer à qui il faut attribuer les deux sièges supplémentaires. Cependant, dans mon esprit, il s'agit évidemment de faire en sorte que ceux qui sont mal représentés au conseil d'administration le soient mieux. Selon moi, il conviendrait donc d'attribuer un des deux sièges supplémentaires aux actionnaires autres que les salariés et l'Etat.
En revanche, vous serez certainement obligé, monsieur le ministre, de réserver le second à l'Etat. En effet, en tant que représentant de la nation, je souhaite que l'Etat qui est majoritaire dans le capital le soit également au sein du conseil d'administration. Mais l'amendement qui a été approuvé ce matin en commission vous permet de réparer une injustice.
Les grands défis auxquels devra faire face Air France au cours des dix prochaines années sont ceux que doivent relever toutes les grandes compagnies mondiales. Les quarante premières compagnies aériennes, même si certaines sont « plus publiques » et d'autres « plus privées », ont d'ailleurs des statuts assez semblables à celui d'Air France.
Il faut savoir que, dans le transport aérien, les fusions et les OPA sont interdites. Sur tous les continents, les compagnies dépendent du domaine souverain des Etats. Même aux Etats-Unis, la loi interdit à un investisseur étranger de posséder plus de 25 % d'un transporteur aérien local. En Europe, les Etats ouvrent plus ou moins le capital de « leur » compagnie nationale, mais tous tiennent mordicus à ce que 51 % du capital restent au moins entre les mains d'investisseurs nationaux. Ces règles, qui tendent à protéger le secteur très particulier qu'est le transport aérien, doivent être maintenues.
Pour faire face à ces défis qui attendent les compagnies, celles-ci prennent des décisions comparables. En particulier, un peu partout, elles concluent des alliances. La plus importante est la fameuse star alliance, qui regroupe United Airlines, Lufthansa, Singapore Airlines, Air Canada et Varig. Mais il y a aussi la « petite alliance », celle qui unit Air France, Delta Airlines et Aero Mexico.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Et ce n'est pas fini !
M. Ladislas Poniatowski. Quel est l'objectif de ces alliances ?
Il s'agit peut-être de contourner l'obstacle des fusions interdites, et pourtant indispensables dans d'autres secteurs économiques, comme on le constate.
Il s'agit sans doute de répondre à des impératifs économiques : mieux négocier les achats d'avions ou de carburant, éviter les doublons de gestion.
Il s'agit surtout de proposer un catalogue de vols et de services plus complets à la clientèle. Aujourd'hui, cela s'accompagne de baisses des tarifs. J'espère que ce sera encore le cas dans l'avenir mais je suis un peu plus sceptique sur ce point.
Les règles qui régissent ces géants du ciel sont les mêmes pour tous. Elles sont du domaine de l'économie de marché. Notre compagnie nationale a tourné le dos à ses difficultés des années quatre-vingt-dix ; M. le rapporteur, avec raison, a insisté sur ce point. Elle a su se désengluer des conflits sociaux à répétition. Elle a accompli d'énormes efforts pour appliquer les règles de management du transport aérien moderne, tout simplement en imitant les autres.
Il ne faut pas retomber dans les mauvaises habitudes, qui risquent d'alourdir le climat social dans l'entreprise. N'oublions pas que les progrès de productivité ont été réalisés par l'ensemble du personnel et non pas seulement par une catégorie. Vous le savez, monsieur le ministre, car vous êtes bien informé, les autres catégories de personnel ont profondément le sentiment que les pilotes bénéficient d'avantages, voire de privilèges.
Nous vous donnons l'occasion d'atténuer cette injustice, comme d'autres, et j'espère que vous la saisirez. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien qu'il comporte un nombre limité d'articles, le projet de loi relatif à l'élargissement du conseil d'administration de la société Air France et aux relations de cette société avec l'Etat, et portant modification du code de l'aviation civile, n'en constitue pas moins un texte important puisqu'il vient conclure, sur le plan législatif, une série de mesures qui ont permis à la compagnie nationale non seulement de se redresser mais aussi de s'adapter avec succès à son nouvel environnement : secteur fortement concurrentiel, constitution d'un espace aérien communautaire.
La compagnie Air France a connu bien des vicissitudes depuis sa création en 1933 : sa nationalisation en 1945 ; la fusion-absorption d'UTA, en 1992, dont nous subissons encore quelques séquelles, notamment en matière d'indemnisation des salariés, et, sur ce point, monsieur le ministre, nous espérons qu'un accord amiable interviendra rapidement ; en 1994, la constitution d'une société holding, Groupe Air France SA, avec Air Inter ; en 1998, la transformation de la compagnie nationale Air France en société Air France, l'Etat étant alors autorisé à céder gratuitement, dans la limite de 12 % du capital, des actions Air France aux salariés ; enfin, en 1999, la société est cotée en bourse.
Je rappelle qu'en 1994 l'Etat a décidé de recapitaliser Air France pour un peu plus de 20 milliards de francs : c'était le prix à payer pour la survie de cette société. La Commission européenne a donné son accord sur cette participation supplémentaire de l'Etat français en contrepartie de mesures garantissant le fait que cet argent ne pourrait pas être utilisé pour modifier les règles égalitaires de la concurrence.
C'est pourquoi Air France a dû prendre toute une série de mesures - administratives, juridiques, financières - depuis cette date, qui font qu'aujourd'hui elle est devenue une entreprise nouvelle, une entreprise publique exemplaire, socialement et économiquement.
Cette entreprise a vocation à demeurer dans le secteur public précisément parce que un peu plus de 20 milliards de francs ont été injectés dans le capital. Cela justifie pleinement que l'Etat reste actionnaire majoritaire. D'ailleurs, comme le disait tout à l'heure notre excellent collègue M. Le Grand, il s'agit de l'argent des contribuables.
La participation de l'Etat a cependant été ramenée à 57 % aujourd'hui, tandis que 12 % des actions sont détenus par les salariés et 31 % par divers actionnaires, dont la BNP.
Le caractère public de cette entreprise ne lui interdit d'ailleurs pas d'être cotée en bourse et il ne freine pas son développement national ou international.
Sur le plan social, l'accord du 29 octobre 1998 a concrétisé l'opération d'échange « salaire contre actions ». Près de 79 % des pilotes d'Air France ont accepté de réduire leur salaire et ont reçu en échange 1,4 milliard d'actions. Et M. Poniatowski pense qu'il s'agit là d'une injustice ! Le personnel au sol et le personnel navigant, en dehors des pilotes, détiennent, quant à eux, 6 % du capital. Ils les ont obtenus à des conditions différentes, monsieur Poniatowski, de celles qui concernent les pilotes puisque ceux-ci ont accepté une baisse de salaire. En tenant compte des retraités, Air France est ainsi devenue l'entreprise française dont l'actionnariat salarié est le plus important.
L'ouverture du capital à d'autres actionnaires a aussi été un succès puisque des titres ont été achetés par 2 400 000 particuliers et que la demande des investisseurs institutionnels est quarante fois supérieure à l'offre. Sans doute ont-ils également estimé qu'il y avait là une injustice !
Ces constats tendraient à prouver qu'Air France est entrée avec vigueur sur le marché et que, bien que publique, elle est donc considérée par le monde économique comme une entreprise performante. C'est bien la preuve, comme avec France Télécom et Thomson, que le statut d'entreprise du secteur public n'est pas contradictoire avec la performance économique.
M. Marcel Charmant. Très bien !
M. Jean-Pierre Plancade. Sur le plan économique, après une longue période difficile et après la mise en place du plan de redressement, Air France a renoué voilà maintenant cinq ans avec les bénéfices.
Non seulement elle bénéficie d'une progression de son chiffre d'affaires et de son résultat net d'exploitation, mais de surcroît 3 500 emplois ont été créés depuis 1997 et vous nous avez annoncé, monsieur le ministre, qu'elle espérait en créer plus de 6 000 dans les toutes prochaines années.
La société Air France est donc une belle entreprise publique qui n'a plus rien à voir avec celle qui a été créée en 1948 et elle doit continuer à se développer. C'est la raison pour laquelle nous devons encore moderniser ses structures.
Tel est aussi le sens du projet de loi qui nous est soumis.
L'article 1er allège la tutelle de l'Etat sur Air France. Les conditions d'exploitation ne sont plus fixées par le ministre des transports et l'autorisation préalable de la tutelle n'est plus requise. Cet article conforte ainsi l'autonomie de gestion d'Air France, tant demandée dans cette assemblée. Désormais l'Etat ne pourra exercer son rôle que par ses seuls représentants au conseil d'administration.
L'article 2 supprime l'obligation d'équilibre financier et prend en compte les obligations de service public auxquelles doit se soumettre Air France.
L'article 3 supprime tout d'abord une disposition contraire aux règles communautaires proscrivant les aides d'Etat.
Ensuite, il fixe la composition du conseil d'administration et porte le nombre de ses membres de dix-huit à vingt et un, comme l'autorise la loi de 1983 sur la démocratisation du secteur public. Le conseil d'administration comptera donc six représentants de l'Etat, cinq personnalités qualifiées, deux représentants des salariés actionnaires, six représentants des salariés, comme actuellement, et deux représentants des actionnaires autres que les salariés et l'Etat.
Nous estimons souhaitable que l'ensemble des salariés, y compris ceux qui ne font pas partie du personnel navigant technique, puissent participer activement au conseil d'administration.
Nous regrettons par ailleurs que les usagers ne soient plus représentés au conseil d'administration de cette société. J'aimerais, monsieur le ministre, que vous m'indiquiez comment Air France compte assurer le dialogue avec ses clients, qui ont, eux aussi, je peux vous l'assurer, des choses à dire...
Je souhaiterais aborder également deux sujets qui ne sont pas liés directement au projet de loi, mais qui concernent le transport aérien et Air France.
Le développement d'Air France ne pourra se poursuivre que si cette compagnie, tout comme les autres, prend en compte l'exigence environnementale, non seulement en remplaçant les avions les plus bruyants, mais aussi en donnant des consignes à ses pilotes, notamment à l'occasion des atterrissages.
Je suis de ceux qui pensent que les compagnies aériennes ne pourront plus envisager une expansion commerciale sans contribuer au développement durable des territoires concernés, notamment par la réduction du bruit aux abords des plates-formes aéroportuaires.
A ce propos, la proposition de notre collègue le député Jean-Pierre Blazy, qui souhaite que les compagnies acquittent une taxe de trois francs par passager et de un franc par tonne de fret pour alimenter des fonds de compensation contre les nuisances sonores, permettant aux collectivités riveraines des grands aéroports de mener une politique de protection environnementale au bénéfice des populations, me paraît tout à fait intéressante.
La préoccupation environnementale est extrêmement importante, car elle conditionne réellement l'avenir du transport aérien.
Enfin, je voudrais attirer votre attention sur l'inquiétude - mais je sais qu'elle ne vous a pas échappé - des pilotes à la suite de la décision d'Air France et de La Poste de mettre un terme à leur collaboration dans le cadre de l'aéropostale. Connaissez-vous les raisons de ce choix et savez-vous quel est l'avenir des pilotes de l'aéropostale ?
En conclusion, le projet de loi qui nous est soumis procède à un toilettage du code de l'aviation civile ; il permet d'élargir le conseil d'administration aux salariés actionnaires et aux autres ; il donne une autonomie et une liberté de gestion à cette entreprise qui doivent lui permettre d'affronter la concurrence, très dure à l'échelon international, de s'adapter et de préserver son avenir.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, le groupe socialiste votera ce projet de loi sans état d'âme et en l'état ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Vinçon.
M. Serge Vinçon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 13 décembre 1990, le Sénat a décidé la création d'une commission de contrôle, présidée par M. Cartigny, chargée d'examiner la gestion administrative, financière et technique de l'entreprise nationale Air France.
A l'époque, la crise du Golfe, la concurrence imposée par Bruxelles, la fermeture brutale par l'entreprise nationale de nombreuses lignes internationales au départ de grandes villes de province, sans concertation avec les élus et les responsables économiques locaux, justifiaient, en effet, une réaction de notre assemblée.
La commission de contrôle fut donc décidée sur les fondements suivants : comprendre, analyser et, si possible, apporter une aide à l'entreprise nationale. A la suite de nombreuses auditions et d'une réflexion approfondie, nous avions notamment conclu que la privatisation ne réduisait pas et ne modifiait pas automatiquement l'intérêt national porté aux services aériens.
Malgré le mouvement constaté partout vers la privatisation, nous constations, déjà, qu'il était plus facile d'introduire des capitaux étrangers dans une compagnie privée que dans une société d'Etat.
Aujourd'hui, plus de dix années plus tard, force est de constater que l'adaptation de la compagnie Air France à un environnement de plus en plus concurrentiel passe toujours par sa privatisation.
Or l'ouverture du capital d'Air France a été préférée à la privatisation par le Gouvernement qui est contraint, par le biais de ce projet de loi, d'apporter les adaptations nécessaires à cette timide ouverture de capital.
Alors que M. Edouard Balladur puis M. Alain Juppé, Premiers ministres, considéraient le retour dans le secteur privé du secteur public aérien comme l'un des éléments clés de leur politique économique, vous avez affirmé à de nombreuses reprises, monsieur le ministre, que vous ne souhaitiez ni privatisation ni statu quo.
Cela n'a pas empêché le Gouvernement auquel vous appartenez d'achever, en deux ans, l'adaptation juridique de certaines entreprises publiques au secteur concurrentiel. Ainsi, du « ni-ni », le Gouvernement, avec la bienveillance du membre éminent du parti communiste que vous êtes, monsieur le ministre (Exclamations sur les travées socialistes)...
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Et fier de l'être !
M. Serge Vinçon. ... est rapidement passé à une politique plus pragmatique, autorisant la privatisation d'entreprises comme le GAN-CIC et Thomson CSF, ou des cotations en bourse comme pour France Télécom, ou encore la libéralisation pure et simple du plan entier d'un secteur public comme celui de l'électricité avec la mise en concurrence de l'opérateur historique Electricité de France.
Dans le cas particulier de la compagnie Air France, la privatisation devait répondre à un engagement du gouvernement français pris devant la Commission de Bruxelles en 1994 comme condition de la recapitalisation du groupe à hauteur de 20 milliards de francs. A ce titre, je me permets d'ailleurs de rappeler que cet engagement a été validé par le Parlement. En effet, lors de l'adoption de la loi de privatisation du 19 juillet 1993, celui-ci a fait figurer Air France parmi la liste des sociétés privatisables par décret.
Signe de votre clairvoyance, monsieur le ministre, cette loi de juillet 1993 n'a pas été abrogée. Mieux encore, le projet de loi que vous nous soumettez aujourd'hui tente d'intervenir pour apporter les adaptations, sur le plan institutionnel, nécessaires, comme pour toute entreprise du secteur public qui évolue dans une environnement concurrentiel.
Cependant, on ne peut qu'être frappé par le contraste entre l'enjeu crucial que constitue le développement de la compagnie Air France et la modestie de ce projet de loi.
Aujourd'hui, comme hier, nous sommes confrontés à cette récurrente question : n'allons-nous pas causer de graves et irrémédiables problèmes à la compagnie en la maintenant dans la position exceptionnelle, quasi unique dans le monde d'entreprise publique ?
Même si cette entreprise a effectué un redressement spectaculaire, grâce à l'action de son actuel président, M. Jean-Cyril Spinetta, mais aussi grâce à l'action de son prédécesseur, M. Christian Blanc, qui a obtenu, en quatre ans, des résultats remarquables à la tête de la compagnie nationale, les verrous de l'Etat français n'apportent pas au groupe Air France l'assistance dont il aurait besoin dans la recherche de ses alliances.
La preuve en est qu'il n'a toujours pas complété ses alliances avec l'Asie et qu'il n'a pas encore de partenaire européen à part entière.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. On y travaille !
M. Serge Vinçon. Avant-hier déjà, souvenons-nous, la compagnie Iberia refusait de développer un partenariat avec Air France, préférant finalement une solution plus anglo-américaine. Hier encore, souvenons-nous, le récent accord enfin conclu avec Delta Airlines ne provoquait pas d'autres nouvelles alliances pourtant vitales.
Ainsi, la privatisation permettrait définitivement au groupe Air France de répondre à deux enjeux majeurs, qui sont sa compétitivité face à la concurrence internationale et son adaptation au nouveau paysage aérien mondial qui se structure en réseaux d'alliances depuis près de dix ans.
Avec ce projet de loi, le Gouvernement tourne le dos à ces enjeux essentiels pour le transport aérien français, nie le transport aérien du futur et rétrograde Air France dans une époque où l'Etat assurait à la compagnie nationale une protection bienveillante, en la soutenant financièrement, réglementairement et politiquement.
Le Gouvernement préfère donc l'ouverture du capital à la privatisation, renouant ainsi avec le traditionnel pilotage automatique des entreprises publiques par les gouvernements socialistes. Une fois de plus, la politique du Gouvernement est motivée exclusivement par des raisons idéologiques.
M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement. Mais non !
M. Serge Vinçon. Vous me répondrez tout à l'heure !
Malgré ce constat et pour conclure, je soutiens, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, la position de notre excellent rapporteur, qui propose d'adopter ce projet. Comme l'a souligné notre collègue Jean-François Le Grand, ce texte technique permet en effet une avancée significative dans la bonne direction, celle de la privatisation du groupe Air France. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qu'il revient à notre assemblée d'examiner aujourd'hui comporte deux volets : d'une part, l'élargissement du conseil d'administration d'Air France et, d'autre part, le renforcement de l'autonomie de gestion de la société.
Ce texte s'inscrit dans le prolongement de l'ouverture du capital du groupe Air France, effective depuis février 1999, et sur laquelle, vous le savez, monsieur le ministre, notre groupe a déjà eu l'occasion d'exprimer ses réserves, ses craintes, tant pour la situation des personnels que pour les obligations d'intérêt général auxquelles Air France doit rester fidèle.
Bien évidemment - et les propos tenus par les députés de l'opposition à l'Assemblée nationale ou ceux qui ont été prononcés dans cette enceinte, en particulier par le rapporteur M. Jean-François Le Grand n'en font pas mystère - Air France serait, à ce jour, sans nul doute privatisée à 100 % si les Français n'avaient pas décidé de changer de majorité en juin 1997.
Mme Hélène Luc. C'est vrai !
M. Pierre Lefebvre. Le maintien de la compagnie nationale dans le secteur public tient probablement aussi, pour une bonne part, à votre présence, monsieur le ministre, au ministère des transports. Du reste, vos propos, et vous venez de les confirmer, ont toujours été sans équivoque sur ce point. Il est non seulement de l'intérêt d'Air France et de ses salariés que l'Etat reste l'actionnaire majoritaire, mais, n'en déplaise aux prédictions funestes de nos collègues de la droite sénatoriale, cette situation n'a en rien freiné, bien au contraire, ni le développement d'Air France sur le plan international ni la conclusion d'accords commerciaux déterminants pour les perspectives de croissance de l'entreprise.
A ce jour, Air France, parmi les compagnies européennes, est l'entreprise dont la situation financière et économique est la plus favorable ; elle dispose, en outre, d'atouts solides que vous avez soutenus, monsieur le ministre - le hub de Roissy-Charles-de-Gaulle n'est pas le moindre - dans un secteur où la concurrence exacerbée que se livrent les transporteurs fait craindre, à terme, l'abandon de dessertes vitales pour le désenclavement de certains territoires, des suppressions de personnels, une détérioration de l'environnement et une dégradation de la qualité et de la sécurité des flottes.
Dans ce contexte lourd de dangers, Air France poursuit son redressement : la dette nette est passée de 14,4 milliards de francs en mars 1999 à 11,7 milliards de francs au 30 septembre de la même année ; la capacité d'autofinancement est passée de 3,5 milliards à 5 milliards de francs ; le résultat net du groupe a progressé de 52 % au cours du premier semestre de l'exercice 1999-2000 ; le trafic passagers a augmenté de 16 % pour un coefficient de remplissage proche, aujourd'hui, de 80 %.
Ces bons résultats sont, de toute évidence, à mettre à l'actif de l'entreprise et de tous ses salariés mais aussi, il faut le dire à l'actif du Gouvernement qui a tout d'abord su créer les conditions d'un climat social plus apaisé au sein de l'entreprise et qui accepte, enfin, de prendre ses responsabilités d'actionnaire principal, de propriétaire des infrastructures aéroportuaires et de garant de la sécurité des passagers et des riverains.
Le redressement d'Air France était inespéré voilà encore cinq ans, à une époque où d'aucuns ne juraient - comme aujourd'hui d'ailleurs - que par la privatisation totale comme seule porte de sortie pour la compagnie. Leur mot d'ordre pouvaient se résumer à ceci : « la privatisation ou la mort ».
Aujourd'hui, Air France n'est pas privatisée et elle est pourtant bien vivante.
Que dire, en revanche, de British Airways, société privatisée depuis de nombreuses années et dont le bilan s'avère particulièrement désastreux,...
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Robert Bret. Quelle efficacité !
M. Pierre Lefebvre. ... à tel point, d'ailleurs, qu'elle s'apprête à céder Air Liberté, qui pourrait revenir à Air France.
Pour autant, on ne peut considérer Air France comme étant à l'abri de pressions libérales qui s'exercent et qui s'exerceront jusqu'au sein du nouveau conseil d'administration.
L'effacement de l'Etat-tutelle, que prévoit ce projet de loi, conformément au règlement communautaire du 23 juillet 1992, et le désengagement progressif de l'Etat-actionnaire, qui devrait conserver 53 % du capital d'Air France d'ici à 2003, sont autant de facteurs qui offrent des marges de manoeuvre supplémentaires aux intérêts privés dont les préoccupations ne peuvent que conduire à privilégier la recherche du profit maximal par rapport à l'intérêt général et à l'intérêt des salariés.
Dans ce contexte de mixité du capital d'Air France, les salariés-actionnaires seront-ils les jouets de la Bourse ou, pire, les acteurs de leur propre exploitation ?
Pour ma part, je suis convaincu, d'une manière générale, que sans l'obtention de droits nouveaux pour les salariés, sans l'intervention et le contrôle de ceux-ci sur la gestion de l'entreprise, sans l'expression d'une véritable démocratie sociale à tous les échelons, l'actionnariat salarié ne serait, en définitive, rien d'autre que la forme la plus achevée de l'exploitation capitaliste.
Pire, celle-ci s'exercerait avec le concours inconscient de ses victimes, c'est-à-dire des salariés eux-mêmes.
Je ne me fais donc aucune illusion sur les pouvoirs nouveaux dont disposeraient les salariés grâce à leur seule entrée dans le capital.
Parler de droits nouveaux pour les salariés, actionnaires ou non, est, à nos yeux, essentiel si on ne veut pas s'enfermer dans un débat dont les termes et les solutions seraient in fine le reflet des positions patronales.
Ces réflexions dépassent, j'en conviens, le cadre de ce projet de loi. Pour autant, nous ne pouvons ignorer les craintes et les interrogations générées par l'ouverture du capital d'Air France, qui trouve son prolongement et sa confirmation dans ce texte. Notre groupe avait déjà eu l'occasion d'exprimer ces réserves au moment de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier de 1998, dont l'article 51 prévoyait, pour les pilotes en grève, le principe d'une baisse de salaire en contrepartie de l'acquisition d'actions d'Air France.
Selon nous, il convient, en outre, de veiller à ce que la nouvelle représentation des différentes catégories de personnels au sein du conseil d'administration d'Air France ne vienne attiser des divisions qui seraient stériles et qui mettraient en péril la cohésion et le dialogue qui commencent à s'instaurer - il faut s'en réjouir - depuis plusieurs mois.
La division des personnels, selon les catégories ou selon leurs statuts, si elle devait se réveiller et trouver à s'exprimer, y compris à l'intérieur du conseil d'administration, ne ferait finalement le jeu que de ceux qui aspirent à démanteler l'entreprise et à obtenir le retrait de la puissance publique dans ce secteur.
D'ores et déjà, cette tension est permanente entre les intérêts contradictoires, d'une part, de l'Etat et des salariés, dont les intérêts convergent vers la satisfaction des besoins des usagers, d'autre part, des groupes financiers, dont le seul objectif est d'adapter la gestion de l'entreprise qu'ils contrôlent partiellement en vue d'optimiser le rendement des actions.
Or l'orientation de la direction d'Air France vers ce que l'on appelle le « gouvernement d'entreprise » ne revient-elle pas, en réalité, à mettre l'entreprise sous contrôle de la finance, sous le regard bienveillant mais impuissant des pouvoirs publics ?
Ce projet de loi, s'il ne vise qu'à une simple mise à jour de la loi pour tenir compte d'une réalité existante, entérine cette évolution vers l'« autonomisation » d'Air France, mais sans offrir par ailleurs de garantie durable sur l'orientation des critères de gestion de la compagnie.
Peut-on se satisfaire d'une situation dans laquelle l'Etat serait seulement informé a posteriori des stratégies d'investissement et de participation élaborées par la direction, comme c'est déjà le cas aujourd'hui ?
Peut-on se satisfaire d'un conseil d'administration qui ne serait, en définitive, qu'une chambre d'enregistrement de décisions prises ailleurs ?
Dans ce cas, les droits reconnus aux salariés actionnaires ne seraient que factices, et ceux-ci n'auraient, dès lors, à attendre de l'achat d'actions que la seule rente financière hypothétique, sans les pouvoirs supplémentaires escomptés et annoncés.
En conclusion, monsieur le ministre, tout en prenant en considération les efforts que vous fournissez pour infléchir le processus de libéralisation du ciel européen qui prévaut depuis de longues années, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'interrogent sur un dispositif qui participe, qu'on le veuille ou non, de cette logique.
A cet égard, face au projet néfaste de la Commission de Bruxelles d'avancer vers une séparation des fonctions de fournisseurs de services et des fonctions de contrôle et de régulation pour pousser plus encore la déréglementation du ciel européen, la France doit, à notre avis, saisir l'occasion de la présidence du Conseil qu'elle exercera dans trois mois pour proposer un projet alternatif accordant la priorité aux règles de sécurité d'environnement et favorisant l'harmonisation des normes sociales au niveau des compagnies européennes.
Aussi, monsieur le ministre, nos réserves sur ce texte n'entament en aucune matière le soutien que notre groupe apporte à l'action que vous menez depuis bientôt trois ans à la tête de ce ministère et aux combats que vous aurez également à mener pour contrecarrer les visées de Bruxelles dans les mois à venir. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certaines travées socialistes.)
M. le président. A la demande de M. le ministre, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt heures.)