Séance du 28 mars 2000







M. le président. La parole est à Mme Beaudeau, auteur de la question n° 724, adressée à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ma question s'adressait à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie, mais je vous remercie, monsieur Masseret, d'y répondre ce matin.
Je veux en préalable dire que mon propos ne vise nullement à remettre en cause le choix fait par la France de recourir à l'énergie nucléaire.
Cette dernière a renforcé notre taux d'indépendance énergétique, qui était de 23 % en 1973 et qui a atteint aujourd'hui près de 50 %.
Notre savoir-faire est reconnu. La France maîtrise l'ensemble du cycle du combustible nucléaire : l'extraction, le retraitement, le recyclage, l'enrichissement de l'uranium, la fabrication du combustible.
Notre maîtrise en la matière nous permet de produire une énergie nucléaire avec un solde exportateur de près de 30 milliards de francs en rentrées de devises.
A cette indépendance énergétique et économique s'ajoute une réponse à la nécessité de réduire la production de dioxyde de carbone, d'oxyde d'azote, de poussières, autant d'émissions qui, liées aux pluies acides, produisent l'effet de serre qui gêne la vie sur notre planète. Nous avons pris des engagements à Kyoto, ils doivent être tenus.
Je ne conteste pas ce capital. C'est justement parce que je suis attachée à le préserver que j'interpelle ce matin M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.
C'est en 1963 que le véritable coup d'envoi du programme électronucléaire a été donné. Un premier programme de seize réacteurs a été lancé le 5 mars 1974, suivi, deux ans après, de vingt réacteurs supplémentaires. Certains réacteurs datent donc d'un quart de siècle.
Au 1er janvier 2000, les vingt et un sites nucléaires sont encore placés sous la dépendance, la surveillance, des neuf organisations régionales d'intervention d'EDF. Il s'agit des centres pour la région de Normandie, du Nord, d'Ile-de-France, de l'Ouest, de l'Est, du Sud-Est, de la Méditerranée, du Sud-Ouest et d'Amilly, dans le Loiret.
A un appel pour une vérification, un examen, une réparation, plusieurs agents de l'ORI-EDF se rendent sur place. Cela signifie que ces agents sont suffisamment nombreux, expérimentés, formés et aguerris. Or des inquiétudes apparaissent.
Alors que le vieillissement de nos centrales appelle des soins plus attentifs, donc des personnels plus qualifiés, EDF ne devrait-elle pas s'orienter vers une politique nouvelle en matière de renforcement de la surveillance ? Au vu du dernier rapport annuel que vient de publier la direction de la sûreté des installations nucléaires, on peut douter qu'elle s'engage dans cette voie. Ce rapport faisait en effet état, l'année précédente : « de négligence, de laisser-faire et d'endormissement. » Un an après, on ne note que peu de progrès.
Un nombre important de problèmes d'exploitation subsistent, l'inondation de la salle des pompes de refroidissement du Blayais, en Gironde, le 27 décembre dernier, en témoigne.
Ce rapport est inquiétant car il précise que c'est au niveau de la protection contre les rayonnements qu'EDF semble manquer de résultats, comme le montre l'irradiation d'un technicien, il y a un an, à la centrale du Tricastin.
Au sujet du vieillissement induisant un phénomène d'usure, ne pensez-vous pas que la durée d'existence d'une centrale soit bien de cinquante à soixante ans ? La direction de la sûreté des installations nucléaires semble le contester.
La direction d'EDF admet, certes, le vieillissement et l'usure, mais, dans le même temps, elle ne semble pas prendre les mesures nécessaires. Elle envisage même de réduire le nombre des centres ORI et des personnels EDF formés, mais aussi de transférer ses missions d'entretien, de réparation et de surveillance au privé, à des « nomades du nucléaire ». Or, chacun se souvient d'une émission de La Marche du siècle, qui avait bien montré que ces personnels n'avaient ni la culture ni la vigilance des agents spécialisés d'EDF.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous m'indiquer si le Gouvernement approuve ces décisions et me faire part des interventions du Gouvernement pour stopper cette évolution ?
L'EDF assure désormais l'entretien de cinquante-huit réacteurs, ce qui représente des millions d'heures de travail, qui sont assurées par les 1 100 agents spécialisés et formés de l'entreprise. Réduire les effectifs statutaires de maintenance reviendrait à « basculer » au profit d'entreprises privées, car je n'arrive évidemment pas à croire que l'on pourrait s'acheminer vers une réduction de l'entretien et de la surveillance. Ce serait contraire à une politique de sûreté et de sécurité.
La maintenance statutaire et de qualité passe, bien entendu, par le maintien et l'amélioration du service public. La réforme passe par l'annulation immédiate de toutes les décisions et de tous les projets de regroupement des centres ORI, du transfert des missions publiques au service privé et, évidemment, de toute réduction du nombre d'agents et de toute suppression d'emploi.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'aimerais connaître l'avis du Gouvernement sur ce point.
Pouvez-vous également me dire quelles décisions seront prises pour préserver la qualité du service public et la poursuite de l'utilisation de l'énergie nucléaire ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-Pierre Masseret, secrétaire d'Etat à la défense chargé des anciens combattants. Madame la sénatrice, votre intervention orale étant plus large que le libellé écrit de votre question, je n'ai probablement pas tous les éléments pour vous répondre ce matin. Sachez cependant que M. Christian Pierret sera tout à fait disposé, si vous le souhaitez, à compléter les réponses que je vais vous donner ce matin en son nom et qui sont surtout consacrées aux organisations régionales d'internventions d'EDF, les ORI.
M. Christian Pierret vous fait observer que la sûreté nucléaire des installations de production d'électricité, la protection des matières nucléaires et la sécurité des personnes sont naturellement des objectifs fondamentaux auxquels le Gouvernement, dans son ensemble, et, à mon avis, le pays tout entier attachent une importance particulière.
Le contrat d'entreprise conclu en 1997 par l'Etat avec EDF prévoit ainsi que « la sûreté des moyens de production nucléaire devra être maintenue durablement au plus haut niveau mondial » et « constituera une priorité absolue pour l'entreprise et la première condition pour assurer une durée de vie aussi longue que possible aux centrales nucléaires en exploitation. »
S'agissant des organisations régionales d'intervention, qui sont devenues des agences de maintenance thermique, leurs personnels étaient, en 1997, au nombre de 1 100. Ces agents qualifiés garantissent, au sein d'EDF, la qualité des interventions menées, le plus souvent, pendant les arrêts pour rechargement des réacteurs nucléaires, avec le concours de prestataires extérieurs.
EDF a entendu faire évoluer depuis quelques années le rôle de ces agences de maintenance technique pour adapter leurs missions aux caractéristiques de l'entretien des installations thermiques nucléaires et classiques, ainsi qu'hydrauliques.
Les évolutions en cours depuis 1998 liées à cette préoccupation prennent en compte deux facteurs.
Le premier est constitué par les évolutions de la courbe de charge de l'entretien des installations du parc de production. C'est ainsi que, face à la montée en puissance du parc de réacteurs nucléaires, l'adaptation des installations du thermique classique entraîne, à terme, un redéploiement de l'ordre de cent emplois.
Le deuxième facteur concerne le parc nucléaire. EDF a été amenée à modifier la constitution des coeurs de réacteurs, ce qui a permis d'effectuer progressivement les arrêts pour rechargement tous les dix-huit mois et non plus chaque année. Cette adaptation entraîne un redéploiement à terme de l'ordre de trois cents emplois.
Ces redéploiements, qui ont débuté dès 1998 et 1999, et qui se poursuivent, sont l'occasion d'améliorer les missions et les responsabilités des personnels restant en place. Le contenu de leurs métiers est orienté vers des fonctions de qualification plus grande. Cette évolution est favorable en termes de carrière et de conditions de travail ainsi que de sûreté pour les intervenants.
Dans ce contexte, l'entreprise estime donc que les besoins d'entretien pour le parc nucléaire, les installations classiques et l'hydraulique exigent, à l'horizon de quatre à cinq ans, environ sept cents emplois qualifiés. Les emplois restants donnent lieu à un redéploiement entre les agences, sur les sites nucléaires existants, ou dans des métiers dont EDF a besoin dans d'autres activités.
Enfin, je vous rappelle que EDF a signé, le 25 juin 1999, un accord social avec l'ensemble de ses organisations syndicales prévoyant la création de 3 000 à 5 000 emplois.
S'agissant de la durée de vie des centrales nucléaires, je ne saurais vous dire, ce matin, si elle est de cinquante, soixante ou soixante-dix ans. Sur toutes les questions qui dépassent les thèmes évoqués dans votre question, sachez que M. Christian Pierret reste à votre disposition.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai bien noté que M. Pierret restait à ma disposition pour répondre de façon plus précise à ma question de ce matin. Je le souhaite d'autant plus que les chiffres que vous m'avez communiqués, monsieur le secrétaire d'Etat, concernant le redéploiement des personnels me semblent assez inquiétants.
Votre réponse était plutôt générale alors que ma question était très précise. Elle me paraît quelque peu théorique et n'est pas de nature à résoudre le problème du maintien de toutes les ORI ainsi que des personnels statutaires. Par ailleurs, elle ne m'apporte aucune information quant au refus de transfert de travaux et de surveillance à des entreprises privées.
Je ne doute pas, bien entendu, de la détermination du Gouvernement d'assurer la sécurité et la sûreté de nos installations nucléaires, mais certaines décisions prises par EDF ne me semblent pas aller dans ce sens.
EDF ne peut pas continuer à transférer au privé des activités aussi importantes que celles qui portent sur les pompes alimentaires, les stations de pompage, les compresseurs, les fuites de chaudières, les robinetteries primaires et secondaires, et bien d'autres qui appellent une grande vigilance pour permettre aux centrales de résister au vieillissement.
Nous connaissons les maintenances qui ont été effectuées jusqu'à maintenant et qui seraient susceptibles de favoriser un redéploiement. En revanche, il existe de grandes inconnues quant au vieillissement des centrales du fait du caractère tout à fait nouveau de cette activité. Je veux donc solennellement attirer l'attention du Gouvernement sur ces problèmes. En agissant ainsi, je me place dans la ligne du rapport qui a été établi par le Sénat.
D'une façon générale, les exigences en termes de sûreté sont très élevées et visent à répondre à une double préoccupation. A cet égard, je reprendrai les propos qu'a tenus, lors de son audition devant notre commission, le représentant du syndicat CGT de l'énergie : il convient, d'une part, de réduire encore les risques d'incidents ou d'accidents en améliorant la fiabilité des systèmes et matériels, et, d'autre part, de favoriser la sûreté en exploitation, en facilitant les opérations d'exploitation courante - conduite et entretien - et en rendant encore plus performants les moyens et les diagnostics en situation « incidentelle » ou accidentelle.
Les salariés m'ont fait connaître des exemples nombreux à Vaires, Vitry, Saint-Laurent, Dampierre.
Ils me font part aussi de leur inquiétude de voir rattachée l'agence de Taverny, qui est une agence de maintenance nationale, à celle d'Amilly-Montargis, qui, elle, a simplement une compétence de proximité.
Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai lu un certain nombre de documents avant de vous poser cette question. J'ai ainsi pris connaissance d'une brochure - qui émane d'ailleurs du secrétariat d'Etat à l'industrie - intitulée L'Energie nucléaire en 110 questions . Au chapitre 6, « Les accidents nucléaires dans le monde », est abordé le problème des trois accidents graves survenus à Wincale, en Grande-Bretagne, en 1957, à Three Mile Island, aux Etats-Unis, en 1979, et à Tchernobyl en 1986. Dans les trois cas, nous sommes en présence de problèmes liés au manque d'entretien ou à des fautes commises.
Dans ce domaine, le hasard n'existe pas. L'accident de Saint-Laurent-des-Eaux, en 1980, quant à lui a pour origine les détériorations d'une plaque métallique interne du réacteur. Comme vous le voyez, monsieur le secrétaire d'Etat, défendre le nucléaire, c'est assurer sa sécurité.
Le problème de la fusion thermonucléaire contrôlée est évoqué par les chercheurs comme une possibilité nouvelle pour l'avenir. C'est très bien, mais, en attendant, ne touchez pas au potentiel humain des 1 100 agents des vingt et une ORI, qui est, de notre point de vue, le plus sûr garant de la sûreté nucléaire dans notre pays.

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